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Date : 20171026


Dossier : IMM-3288-16

Référence : 2017 CF 958

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2017

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

GIGA ODOSASHVILI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Giga Odosashvili [le demandeur] demande le contrôle judiciaire de la décision rendue en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR] par la Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada le 26 juillet 2016 [la décision]. La SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée, en violationde l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Par conséquent, une ordonnance d’expulsion a été émise contre le demandeur.

[2]  Le demandeur soutient que la SI a mal interprété la preuve en concluant qu’il était membre d’une organisation criminelle. Il soutient que la conclusion relative à sa participation à une organisation criminelle est hypothétique et fondée sur son appartenance à un groupe ethnique (géorgien) dont des membres ont des démêlés avec la police. Le demandeur soutient également qu’il n’a fait l’objet d’aucune condamnation criminelle. Il avance également que l’organisation criminelle présumée, ou l’un de ses membres présumés, n’a fait l’objet d’aucune accusation criminelle par la police.

[3]  En somme, le demandeur affirme que la preuve devant la SI pouvait seulement, au mieux, créer des soupçons quant à l’existence d’une organisation criminelle. La preuve ne parvenait pas à soulever des motifs raisonnables de croire qu’une telle organisation existait ou que le demandeur en était membre.

[4]  Le défendeur soutient que le demandeur demande que la Cour apprécie à nouveau la preuve. La SI devait uniquement avoir des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre d’une organisation criminelle. La preuve était plus que suffisante, tant verbale (c.-à-d. le témoignage de l’enquêtrice de police principale) que documentaire, pour atteindre le seuil du motif raisonnable.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la demande contrôle judiciaire est rejetée. Bien que le demandeur ait insisté à obtenir une décision contraire, sa demande est principalement fondée sur un désaccord concernant la façon dont la SI a apprécié la preuve. Je suis de l’avis que la SI a su cerner et appliquer le bon critère aux faits, puis qu’elle a procédé de façon raisonnable. Le processus et les motifs de la SI dans sa décision sont également clairs. La décision se retrouve parmi la gamme des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

II.  Faits

[6]  Le demandeur est arrivé au Canada en 2008 et a soumis une demande d’asile qui a été accueillie en tant que citoyen géorgien. Il a obtenu sa résidence permanente en 2013. De 2008 à 2013, il a vécu à Toronto et a occupé un emploi d’installateur de portes et de fenêtres. Bien qu’il semble que la nationalité du demandeur a été remise en question après la décision, ces renseignements ne figuraient pas devant la SI et ne sont pas pertinents à l’espèce.

[7]  En 2009, la police régionale de York [PRY] a commencé à remarquer des similitudes entre une série d’introductions par effraction [IE]. La PRY et les services policiers de Toronto [SPT] ont mis sur pied un groupe de travail mixte afin de mener un certain nombre d’enquêtes sur ce qui semblait, à l’époque, être des crimes de moindre importance. À la suite des enquêtes menées par la PRY en 2011 et 2012, les services policiers ont commencé à croire qu’il y avait un lien entre ces crimes : les personnes arrêtées pour bon nombre des IE se connaissaient. La police en est arrivée à la conclusion que ces crimes étaient menés par une organisation criminelle composée principalement de Géorgiens.

[8]  Bien que le demandeur n’ait pas été initialement soupçonné d’IE dans la région de York, il a été vu à de nombreuses reprises en compagnie de personnes qui ont été accusées d’IE. Par conséquent, le demandeur a été considéré par la PRY comme un [traduction] « associé connu » de personnes impliquées dans les crimes d’IE.

[9]  En décembre 2013, deux personnes ont été aperçues en train de commettre une IE par un voisin qui a les a décrits aux policiers. La police a arrêté le demandeur et M. Sidamonidze à proximité du crime d’IE, peu de temps après avoir reçu ces descriptions. Le demandeur a été repéré portant un manteau rouge matelassé, correspondant à la description donnée par le voisin à la police. Le demandeur et M. Sidamonidze ont ensuite été associés à trois autres IE grâce à l’identification des empreintes de chaussures laissées sur les lieux de ces IE, lesquelles correspondaient aux chaussures du demandeur. L’une des IE a été captée sur vidéo par les SPT et l’un des auteurs portait un manteau rouge matelassé.

[10]  Le demandeur a été accusé des quatre IE; cependant, ces accusations ont été suspendues par la Couronne, car celle-ci ne parvenait pas à trouver un traducteur assermenté en géorgien. Quand la Couronne a finalement réussi à trouver un traducteur, la période d’un an lui permettant de reprendre les poursuites contre le demandeur était échue.

[11]  Au moment de l’audience de la SI, le demandeur avait eu des interactions continues avec les services policiers. Il a été impliqué à nouveau dans d’autres IE avec M. Sidamonidze et un autre coaccusé, M. Chokelli, à Toronto, et a été remis en liberté sous caution. Le demandeur a été accusé dans une autre IE commise durant l’engagement. Le demandeur attentait une décision à ce sujet au moment de la décision. D’autres chefs d’accusation ont été déposés contre lui : agression armée, possession d’armes dangereuses, harcèlement criminel et omission de se conformer à un engagement. Il semble que le demandeur n’avait pas encore été traduit devant les tribunaux pour ces dernières accusations au moment de l’audience devant la SI.

[12]  Le 12 février 2014, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a publié un rapport établi en vertu de l’article 44 de la LIPR alléguant que le demandeur était interdit de territoire en raison de son association au crime organisé. Il a ensuite été arrêté et détenu par l’ASFC le 21 février 2014. Sa détention a été maintenue à l’audience du septième jour, mais la décision a été infirmée par le juge Zinn le 31 mars 2014 à la suite d’une demande de contrôle judiciaire. Le juge Zinn a conclu que la détention du demandeur n’avait pas été menée de façon équitable. Le procureur du ministre a déclaré sans équivoque que deux associés du demandeur étaient des membres connus d’une organisation criminelle bien que les accusations criminelles aient été retirées et qu’aucune cour criminelle n’ait rendu une décision à ce titre.

[13]  Plus tard, le demandeur s’est enfui à Calgary. Il a témoigné à la SI en disant que la PRY lui faisait subir une pression psychologique et le menaçaient continuellement de l’expulser du pays. Il croyait qu’il était vain de tenter de contester une ordonnance d’expulsion, il a donc décidé de fuir Toronto pour éviter l’expulsion. Par conséquent, le demandeur n’a pas été présent à une audience conjointe d’interdiction de territoire prévue pour le demandeur et M. Sidamonidze les 21 et 22 juillet 2015. À l’audience, M. Sidamonidze a été interdit de territoire. Le demandeur n’a pas non plus comparu dans le cadre des accusations criminelles et un mandat d’arrêt a été lancé à son endroit. Un autre mandat d’arrêt a été lancé lorsque sa caution s’est retirée.

III.  Questions préliminaires

[14]  Deux questions préliminaires doivent être examinées avant d’aborder le fond de la décision.

A.  Questions liées à l’équité procédurale

(1)  La vidéo d’Al Jazeera

[15]  Lors de l’audience de la présente demande, l’avocat du demandeur a soulevé une question d’équité procédurale, à son sens. Le demandeur n’a pas soulevé cette question dans ses documents écrits. La question porte sur une vidéo réalisée par Al Jazeera portant sur les groupes criminels roumains et géorgiens qui opéraient en France. Le demandeur soutient que cette vidéo, mentionnée dans la décision, n’était aucunement pertinente aux circonstances devant la SI. À l’audience, l’avocat du demandeur a affirmé qu’il aurait posé d’autres questions à la SI s’il avait su que cette vidéo serait importante. Il a précisé qu’il s’était même demandé la raison d’être de celle-ci dans les documents communiqués par le ministre, car elle ne semblait avoir aucune incidence sur le dossier.

[16]  Le défendeur souligne que cette vidéo a été divulguée au demandeur avant l’audience et qu’il ne tenait qu’à son avocat de se préparer en conséquence.

[17]  Je suis d’accord avec le défendeur. Si l’avocat ne comprenait pas la pertinence de la vidéo, il aurait dû s’efforcer d’en déterminer le motif. Je remarque également que, dès le début de l’audience, la SI a indiqué avoir reçu un CD avec certaines vidéos, puis a confirmé auprès de l’avocat du demandeur que celui-ci l’avait également reçu. L’avocat a ainsi eu l’occasion d’exprimer ses préoccupations quant à la pertinence de celle-ci, mais il en a décidé autrement.

[18]  La décision d’examiner ou non une demande de contrôle judiciaire par la Cour est une question de pouvoir discrétionnaire : Alberta (Commissaire à l’accès à l’information et à la protection de la vie privée) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 22 à27, [2011] 3 R.C.S. 654. En l’espère, la SI n’a accordé que peu d’importance à la vidéo, hormis la mention de son existence parmi les éléments de preuve examinés. Le demandeur aurait pu poser des questions avant l’audience ou soulever ses préoccupations devant la SI. Or, n’ayant pas été présentées à la SI, il n’y a aucun moyen de savoir comment celle-ci aurait tranché la question. À la lumière des faits de l’espèce, je n’userai pas de mon pouvoir discrétionnaire pour accepter cet argument maintenant.

(2)  Le rapport du renseignement

[19]  Le demandeur s’est également opposé à la suggestion selon laquelle une descente en France en 2009 aurait pu entraîner une arrivée importante d’immigrants géorgiens au Canada. Il soutient que celle-ci est dépourvue de fondement. Cette suggestion est issue d’un rapport de renseignement de février 2014 préparé par un analyste de la PRY. Le demandeur a vivement contesté la dernière phrase du rapport du renseignement, laquelle soutient qu’aucune personne ne devrait être autorisée à entrer au Canada dans le but d’exploiter les politiques d’immigration et de parasiter les services sociaux canadiens.

[20]  Je remarque que cette phrase a été soulevée par l’avocat du demandeur dans ses observations à la SI. L’avocat a soutenu à la SI qu’il y voyait une indication de profilage racial dans le rapport de 20 pages ainsi qu’une absence de preuve véritable quant à l’existence d’une organisation. La SI a indiqué avoir lu la phrase en question et l’avoir trouvée inadéquate. Cependant, la SI n’est pas parvenue à une conclusion de profilage racial. Le fait que la SI ne soit pas parvenue à une telle conclusion ne signifie pas que le processus était dénué d’équité procédurale envers le demandeur. La SI n’a simplement pas souscrit aux observations de l’avocat du demandeur.

B.  Requête visant à examiner de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du contrôle judiciaire

[21]  Environ deux mois après l’audience, le demandeur a présenté une demande en vertu de l’alinéa 312c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, pour déposer de nouveaux éléments de preuve au dossier dans un affidavit. Advenant sa requête soit accueillie, il souhaitait ensuite permettre au défendeur d’effectuer un contre-interrogatoire du déposant.

[22]  Le demandeur souhaite déposer en preuve au dossier des documents qui démontrent que les accusations criminelles qui étaient en suspens au moment de l’audience de la SI et au moment du dépôt de la demande de contrôle judiciaire ont été retirées par la Couronne sur ordonnance d’un juge de la Cour de l’Ontario qui croyait qu’il n’y avait pas de perspective raisonnable de condamnation. Le demandeur, citant la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, 479 NR 189, souhaite déposer ces éléments de preuve en vertu de l’article 312 des Règles afin de démontrer que le défendeur avait eu tort en affirmant que les chefs d’accusation contre le demandeur avaient été retirés en raison de formalités. En outre, les chefs d’accusation ont été retirés en raison d’une preuve insuffisante et n’offrant pas perspective raisonnable de condamnation.

[23]  Le défendeur s’y oppose et soutient que le demandeur tente de faire rouvrir le dossier devant la Cour afin d’y faire ajouter des renseignements qui sont survenus après l’audience. Bien que l’avocat puisse tenter de rouvrir le dossier, cette tentative n’est pas fondée, affirme le défendeur.

[24]  Le défendeur s’oppose également à l’introduction de tels nouveaux éléments de preuve pour les deux motifs suivants : (1) la preuve est présentée par voie d’un affidavit d’un de ses avocats, sans avoir obtenu l’autorisation préalable de la Cour, ce qui enfreint l’article 82 des Règles; et (2) il n’y a aucun fondement permettant l’ajout de ces nouveaux éléments de preuve.

[25]  Après examen des documents, je ne suis pas prête à autoriser le demandeur à déposer l’affidavit. Non seulement ces renseignements n’étaient pas devant la SI, mais l’affidavit ne s’inscrit sous aucune des exemptions réglementaires me permettant d’examiner une telle preuve. Je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse d’une situation justifiant l’élargissement des catégories.

[26]  L’affidavit ne comprend aucun fait général pouvant aider la Cour à comprendre les questions dont elle est saisie. En outre, il ne souligne aucun vice de procédure qui ne puisse être dans le dossier de la SI, il ne démontre pas l’absence complète de preuve devant la SI et ne soulève aucune atteinte à l’équité procédurale du dossier devant la SI ou la Cour. Je ne suis également pas convaincue que la conclusion de la SI aurait été différente si ces éléments de preuves avaient été devant elle étant donné les faits et le droit, particulièrement à la lumière de l’article 33 de la LIPR.

[27]  Comme je l’explique plus tard dans ces motifs, l’existence ou non d’accusations criminelles contre le demandeur, que celles-ci aient mené ou non à une condamnation, n’est pas un facteur déterminant dans la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur est, ou était, membre d’une organisation criminelle. Il y avait amplement de preuves devant la SI pour parvenir à la conclusion, après avoir examiné tous les critères relatifs aux motifs raisonnables de croire, que le demandeur, ainsi que les personnes avec qui il s’associait, était membre d’une organisation criminelle, comme cela est prévu à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Bien que le demandeur tente toujours de faire admettre que la norme de preuve en vigueur au pénal doit s’appliquer à l’espèce, ce n’est tout simplement pas la norme établie par la LIPR. Les documents que le demandeur souhaite faire ajouter au dossier n’ont pas un caractère déterminant. L’admission de ceux-ci n’est pas exigée en vertu du principe d’équité procédurale.

[28]  La requête est rejetée.

IV.  Les lois applicables

[29]  La présente demande nécessite l’examen de deux articles de la LIPR, ainsi que d’un article du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, [Code criminel], lesquels sont tous reproduits ci-dessous.

[30]  Le demandeur a été interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR :

Activités de criminalité organisée

Organized criminality

37 (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

37 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern; or

[…]

[…]

[31]  La Cour suprême du Canada, dans B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704 [B010], a examiné l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, compte tenu de la définition au paragraphe 467.1(1) du Code criminel. À la lecture du paragraphe 37(1) de la LIPR dans son ensemble, la Cour suprême a conclu que les alinéas 37(1)a) et b) de la LIPR avaient été introduits pour contrer les activités du crime organisé conformément aux obligations internationales du Canada. En outre, la Cour suprême a statué, aux paragraphes 42 à 46, que les expressions « criminalité organisée » de la LIPR et « organisation criminelle » du paragraphe 467.1(1) du Code criminel devraient être interprétées de façon concordante et harmonieuse.

[32]  Le paragraphe 467.1(1) du Code criminel se lit comme suit :

Définitions

Definitions

467.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

467.1 (1) The following definitions apply in this Act.

organisation criminelle Groupe, quel qu’en soit le mode d’organisation :

a) composé d’au moins trois personnes se trouvant au Canada ou à l’étranger;

b) dont un des objets principaux ou une des activités principales est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient lui procurer — ou procurer à une personne qui en fait partie —, directement ou indirectement, un avantage matériel, financier.

La présente définition ne vise pas le groupe d’individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction. (criminal organization)

infraction grave Tout acte criminel — prévu à la présente loi ou à une autre loi fédérale — passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans ou plus, ou toute autre infraction désignée par règlement. (serious offence)

serious offence means an indictable offence under this or any other Act of Parliament for which the maximum punishment is imprisonment for five years or more, or another offence that is prescribed by regulation. (infraction grave)

criminal organization means a group, however organized, that

(a) is composed of three or more persons in or outside Canada; and

(b) has as one of its main purposes or main activities the facilitation or commission of one or more serious offences that, if committed, would likely result in the direct or indirect receipt of a material benefit, including a financial benefit, by the group or by any of the persons who constitute the group.

It does not include a group of persons that forms randomly for the immediate commission of a single offence. (organisation criminelle)

[33]  La LIPR prévoit également des règles quant à l’interprétation de l’article 37 :

Interprétation

Rules of interpretation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

[34]  Par conséquent, la SI devait déterminer s’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il y avait une organisation criminelle conformément à la définition du Code criminel. Si elle parvenait à la conclusion qu’une telle organisation existait, elle devait ensuite déterminer s’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était, ou avait été, membre de ladite organisation.

V.  Décision faisant l’objet du contrôle

A.  Analyse du droit

[35]  La SI a déterminé que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Pour en arriver à cette conclusion, la SI a reconnu que la norme applicable de preuve que devait satisfaire le ministre était celle de l’existence de motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre d’une organisation criminelle telle que définie au paragraphe 467.1(1) du Code criminel.

[36]  La SI a reconnu que cette norme de preuve était considérablement moins exigeante que la norme de preuve en matière pénale et que la norme de preuve civile de prépondérance des probabilités. La SI, se fondant sur l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114, [2005] 2 R.C.S. 100 [Mugesera] de la Cour suprême, a déterminé que l’existence de motifs raisonnables doit être plus qu’un simple soupçon. En outre, la croyance doit être fondée objectivement sur des renseignements concluants et dignes de foi.

[37]  Le paragraphe 467.1(1) du Code criminel affirme qu’un groupe, « quel qu’en soit le mode d’organisation », peut être une organisation criminelle s’il satisfait aux critères énoncés. La SI a remarqué que l’expression « quel qu’en soit le mode d’organisation » a été interprétée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Venneri, 2012 CSC 33, [2012] 2 R.C.S. 211 [Venneri] comme ayant pour objet d’englober les organisations criminelles structurées de différentes façons (paragraphe 31), bien qu’il doive y avoir une structure quelconque et une certaine continuité (paragraphe 29).

B.  Preuve devant la SI

[38]  La SI a entendu deux témoins : l’enquêtrice Tracey Turner [l’enquêtrice Turner] de la PRY et le demandeur, lequel était représenté par son avocat. L’audience de la SI s’est tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) et à Calgary (Alberta) par vidéoconférence.

[39]  La SI a également évalué la preuve documentaire, incluant les rapports policiers des différents services de la grande région de Toronto, les rapports du renseignement, les deux dernières décisions de la SI de Toronto, ainsi que certaines preuves vidéo.

(1)  Examen de la preuve par la SI

[40]  La preuve vidéo comprenait cinq fichiers, quatre étant des vidéos issus de caméras de surveillance ayant captés une IE différente que la PRY croyait avoir été commise par la même organisation criminelle. Ces vidéos ont été présentées afin d’illustrer le modus operandi de l’organisation. La cinquième vidéo, un document en anglais d’Al Jazeera sur les gangs criminels sévissant en Europe, était celle dont le défendeur contestait l’équité, car il n’en avait pas prévu la pertinence au dossier. La vidéo d’Al Jazeera n’a pas été présentée durant l’audience, mais a été mentionnée au passage dans la décision.

[41]  Les deux décisions de la SI rendues dans la région de Toronto ordonnaient l’expulsion de M. Sidamonidze et de M. Pataraia, tous deux complices du demandeur, au motif qu’ils étaient membres d’une organisation criminelle. La SI a souligné qu’elle n’était pas liée par ces décisions.

[42]  La preuve présentée par l’enquêtrice Turner ainsi que les informations du rapport du renseignement ont été résumées par la SI pour montrer que [traduction] « ces hommes semblent tous liés, mais nous ne savons pas exactement comment ». Le témoignage était qu’il y avait des liens entre plusieurs Géorgiens impliqués dans des IE et d’autres activités criminelles. Ils étaient souvent vus ensemble et agissaient à titre de caution pour l’un et l’autre. La PRY a conclu qu’un groupe d’environ 100 personnes était soupçonné d’être impliqué de façon coordonnée dans 450 crimes commis dans la grande région de Toronto depuis 2009. L’enquêtrice Turner a affirmé que la PRY avait ses soupçons quant aux dirigeants intermédiaires et supérieurs de l’organisation mais que, étant donné que l’enquête était toujours en cours, elle n’a pas soumis le nom des suspects à la SI.

[43]  La SI a déterminé que le témoignage de l’enquêtrice Turner était crédible et que celle-ci était clairement convaincue, à partir de son expérience, qu’il existait une organisation criminelle formée de Géorgiens commettant des IE dans la grande région de Toronto. Elle a décrit une hiérarchie formée des membres qui commettent les IE, des chefs locaux qui donnent les directives, puis d’un patron qui ne se trouve peut-être pas au Canada. Le nombre de membres du groupe est changeant, et varie selon qui a été pris, emprisonné ou expulsé.

[44]  Le témoignage du demandeur a été examiné dans la décision. Il a nié être entré par effraction dans un domicile. Il a admis connaître M. Sidamonidze, qui fréquente la même église, et a nié être membre d’une organisation criminelle géorgienne. Il a affirmé avoir fui Toronto durant sa liberté sous caution, car il craignait que la PRY l’expulse du pays. Quant à l’accusation d’introduction par effraction à son égard, il a soutenu n’avoir été présent à proximité que parce qu’il cherchait à acheter une voiture.

[45]  La SI reconnaît qu’il n’a aucune condamnation à son dossier, bien qu’il y ait eu des accusations en suspens, y compris une pour une IE à Toronto. La SI a également tenu compte du fait que les quatre chefs d’accusation pour IE avaient été suspendues dans la région de York en raison de l’absence d’interprète. Ceci a été perçu comme une formalité n’ayant aucun lien à la commission ou non de l’acte criminel.

[46]  En raison de l’ensemble de la preuve de l’enquêtrice Turner, du rapport du renseignement, des rapports policiers et de la vidéo décrivant la situation en France, la SI a conclu que le modèle de répétition des actes et les connaissances communes indiquaient qu’il y avait là plus qu’un groupe d’hommes se rencontrant aléatoirement pour commettre des actes criminels.

VI.  Norme de contrôle

[47]  Les parties, dans leurs observations écrites, ne s’entendent pas sur la norme de contrôle. Aucune observation n’a été faite à l’audience quant à la norme applicable. J’ai donc soupesé les arguments avancés par chacune des parties dans leur mémoire.

[48]  Le demandeur soutient que la SI, dans son interprétation de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, devait respecter la norme de la décision correcte. Le défendeur affirme que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable puisque la SI interprétait sa loi constitutive. Le défendeur s’appuie sur Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Tran, 2016 CF 760 [Tran] et B010.

[49]  Je suis convaincue que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. La Cour d’appel fédérale a statué dans B010 que l’alinéa 37(1)b) de la LIPR s’interprétait selon la norme de contrôle de la décision raisonnable. La Cour suprême, en appel, ne s’est pas penchée sur la question de la norme de contrôle. Le juge Leblanc, dans Tran, dans le contrôle judiciaire d’une décision rendue en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, a conclu que la question de savoir si la preuve était suffisante pour établir des motifs raisonnables de croire qu’un résident permanent était membre d’une organisation criminelle est une question mixte de fait et de droit, dont la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

[50]  En l’espèce, la SI a bien cerné le critère défini dans B010. Le demandeur conteste l’appréciation des faits par la SI dans l’application du critère. Il s’agit également d’une question mixte de fait et de droit dont la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 53, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir].

[51]  Une décision raisonnable émane d’un processus décisionnel justifiable, transparent et intelligible et se situe parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, paragraphe 47). Il est essentiel lorsqu’on tente de déterminer le caractère raisonnable d’une décision de suivre la consigne dans Dunsmuir selon laquelle la retenue est d’une part une attitude à adopter par la Cour, et d’autre part une exigence du droit dans l’exécution d’un contrôle judiciaire. Il importe de respecter les processus décisionnels des tribunaux spécialisés quant aux faits et au droit (paragraphe 48).

[52]  En règle générale, si les motifs du tribunal permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi la décision faisant l’objet du contrôle a été rendue et de déterminer si elle se trouve parmi les issues possibles, elle sera dite raisonnable : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Newfoundland and Labrador (Treasury Board), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 R.C.S. 708 [Nfld Nurses].

VII.  Questions en litige

[53]  Les parties s’accordent à dire que la question est de savoir si la SI a commis une erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire au motif de criminalité organisée en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

[54]  La SI a d’abord conclu à l’existence d’une organisation criminelle, puis que M. Odosashvili en était, ou en avait été, membre, pour parvenir à cette conclusion. Si l’une ou l’autre de ces conclusions n’était pas raisonnable, c’est dire que la SI a commis une erreur.

VIII.  La SI a-t-elle raisonnablement conclu qu’il existait une organisation criminelle?

A.  Preuve de l’enquêteuse Turner

[55]  À l’audition de la demande, l’avocat du demandeur m’a pressé de croire que la preuve soumise par l’enquêtrice principale, l’enquêtrice Turner, n’était pas véritablement une preuve, mais plutôt un témoignage quant à son opinion ou à sa croyance, auquel la SI a souscrit malgré l’absence de preuves objectives au dossier. Il a également soutenu que l’enquêtrice Turner et l’auteur du rapport du renseignement étaient partiaux; l’enquêtrice en raison de son enquête en cours; et l’auteur du rapport en raison de la phrase finale de celui-ci laquelle semble accuser les Géorgiens d’abuser du système d’immigration canadien.

[56]  En réponse, l’avocat du défendeur soutient qu’à ce moment, l’enquêtrice Turner avait 25 années de services au sein de la police de Toronto, qu’elle dirigeait personnellement l’enquête, qu’elle connaissait personnellement les personnes impliquées ainsi que le demandeur, et que c’était elle qui avait déposé les chefs d’accusation contre ce dernier. Le témoignage de l’enquêtrice Turner a été établi sous serment et n’était pas une opinion, mais une preuve digne de foi. La SI, qui avait pour mandat de déterminer la crédibilité, a préféré cette preuve aux dénégations du demandeur. L’avocat du défendeur a soutenu que les preuves matérielles à l’appui du témoignage n’étaient pas nécessaires, car elles auraient eu pour effet de transformer l’enquête en un procès criminel.

[57]  Je suis d’accord pour dire que l’enquêtrice Turner a donné son opinion personnelle puisqu’aucun tribunal n’a rendu de décision quant aux accusations déposées par le demandeur. Cependant, il s’agit d’une opinion informée établie au fil de ses années d’enquêtes et de collecte de renseignements, à ce sujet en particulier. En outre, la police a remarqué une augmentation des introductions par effraction dans la grande région de Toronto dès 2009-2010. La preuve qu’elle a soumise est présentée de façon plutôt détaillée dans la décision et n’a pas à être répétée dans les présentes. En résumé, au fil du temps, la police a remarqué que les accusés dans différents dossiers d’IE ou d’autres crimes contre la propriété avaient ensuite été aperçus ensemble. Cela comprenait de se trouver en compagnie les uns des autres, d’agir en qualité de caution de façon mutuelle, de cohabiter, de conduire la voiture de l’un et de l’autre et, à au moins une reprise, trois de ces personnes, y compris M. Odosashvili, se sont rendues ensemble au poste de police pour récupérer une voiture qui avait été amenée à la fourrière. La preuve recueillie au fil du temps a mené la police à croire que les différentes IE étaient commises par différents auteurs qui formait une association criminelle.

[58]  Le rapport du renseignement décrit méticuleusement les nombres sources de renseignements ainsi que l’analyse qui a été effectuée afin de parvenir à la conclusion selon laquelle il y avait un groupe organisé de ressortissants géorgiens qui commettait des crimes. La collecte de renseignements a été effectuée par des agents du renseignement de l’ASFC, des SPT et de la PRY. En plus de ces sources policières, incluant les vidéos de caméras de surveillance, les analystes ont consulté les sources de renseignements ouvertes, les réseaux sociaux, je présume, où ils ont trouvé des photos démontrant que les différentes personnes d’intérêt se connaissaient. Notamment, le rapport du renseignement soulignait que le nombre de IE avait [traduction] « chuté » depuis l’arrestation des différents auteurs d’IE. Finalement, le rapport indique qu’il y avait un [traduction] « groupe organisé composé de personnes profondément liées et impliquées dans une vaste gamme de crimes variés ».

[59]  La SI avait des éléments de preuve crédibles en main qu’elle pouvait raisonnablement utiliser pour déterminer qu’il y avait des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une organisation criminelle. La SI a conclu que l’enquêtrice Turner était un témoin sincère et digne de foi. La preuve de l’enquêtrice Turner était fondée sur son observation personnelle du demandeur ainsi que sur une compréhension exhaustive des enquêtes menées à la suite de la vague d’IE ayant eu lieu dans la région de York, des rapports de police déposés après ces IE, et des discussions du groupe de travail. Elle était également soutenue par l’analyse, figurant dans le rapport du renseignement, des rapports criminels et des statistiques policières connexes.

[60]  À mon sens, le dossier sous-jacent soutient amplement la preuve de l’enquêtrice Turner étant donné la norme de preuve à appliquer par la SI. Le demandeur tente d’élever le fardeau de preuve du ministre jusqu’à la norme de preuve en matière pénale, tandis que la norme prévue par la loi est celle d’avoir des motifs raisonnables de croire. Je reconnais que l’espèce comprend une définition du Code criminel et que le demandeur a été accusé d’avoir commis des actes criminels (ce qui est exact, en dépit de la poursuite ou non de ces procédures); néanmoins, la loi dispose que la SI doit seulement avoir des motifs raisonnables de croire qu’il existe une organisation criminelle et que le demandeur en est, ou en a été, membre. Dans la présente demande, je suis chargée de déterminer si la SI a agi façon raisonnable en parvenant à cette conclusion. Je suis d’avis qu’il était entièrement raisonnable pour la SI d’accepter et de se fonder sur la preuve soumise par l’enquêtrice Turner pour rendre sa décision.

[61]  De toute façon, la SI devait évaluer la crédibilité de la preuve qui lui été présentée. Elle était la mieux positionnée pour déterminer si elle préférait la preuve de l’enquêtrice Turner à celle du demandeur. La Cour n’a pas pour rôle de remettre cette décision en question, particulièrement lorsque celle est appuyée par le dossier.

B.  Conclusion quant au contrôle de la détention et absence de chef d’accusation lié à une organisation criminelle

[62]  Le demandeur s’appuie également sur les commentaires du juge Zinn quant au contrôle de la détention du demandeur selon lequel l’opinion de la police n’était pas pertinente et qu’aucun tribunal n’a statué sur l’existence ou non d’une organisation criminelle. Je remarque, cependant, que cette question n’était pas franchement devant le juge Zinn; il a conclu qu’il y avait eu un vice d’équité dans la procédure contre le demandeur. Le juge Zinn ne s’est pas avancé sur les mêmes questions qui font l’objet de la présente demande.

[63]  Reconnaissant que la SI n’a qu’à déterminer l’existence de motifs raisonnables de croire que le demandeur est membre d’une organisation criminelle, l’avocat du demandeur souligne également qu’il s’agit de la même norme imposée à la police quant au dépôt de chefs d’accusation criminels contre une personne. Malgré une enquête de longue durée, l’avocat soutient que les policiers n’ont toujours pas déposé de chef d’accusation en lien à une organisation criminelle suspectée, car la preuve n’est simplement pas suffisante. Or, la SI a reconnu qu’aucune accusation n’avait été déposée en raison du fait que l’enquête était toujours en cours.

[64]  À mon sens, rien ne reposait sur l’absence d’une telle accusation quant à ces faits. Une fois encore, le demandeur cherche à imposer une norme de preuve plus élevée que nécessaire. La preuve devant la SI indiquait qu’il y avait d’autres volets au dépôt d’une telle accusation, notamment la nécessité d’obtenir l’approbation du procureur général. Il n’est pas déraisonnable de croire, étant donné le fardeau de preuve en l’espèce, qu’une personne est membre d’une organisation criminelle en vertu de la LIPR, bien qu’aucune accusation connexe n’ait été déposée en matière criminelle : Lennon Sr c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1122, au paragraphe 21, 11 Imm LR (4e) 344.

C.  Structure de l’organisation

[65]  La SI a pris en compte la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Venneri, précité, dans laquelle elle conclut que la définition d’une organisation criminelle comprend de nombreuses formes différentes, mais qu’il doit y avoir un certain degré d’organisation formelle, y compris une continuité et une structure. Toute autre définition viendrait englober les simples séries de crimes commis par trois personnes ou plus dans un but matériel et ne permettrait plus de distinguer les notions de complot, de complicité et « d’intention commune » figurant dans les dispositions du Code criminel.

[66]  Le demandeur soutient que la jurisprudence actuelle exige qu’une organisation criminelle ait une structure et une hiérarchie. Le demandeur affirme que ni l’une ni l’autre ne figuraient dans la preuve devant la SI; par conséquent, la SI n’a pas apprécié les faits de façon raisonnable lorsqu’elle a interprété les exigences du Code criminel en ce qui concerne l’existence ou non d’une organisation criminelle. Au surplus, le demandeur remarque la Cour d’appel fédérale dans Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, au paragraphe 43, [2007] 3 C.F. 198 [Sittampalam], a reconnu le type d’indices qui peuvent aider à déterminer l’existence ou non d’une organisation criminelle, y compris la présence d’un chef et d’une forme élémentaire de hiérarchie, les directives en provenance d’un chef, l’existence d’un nom précis permettant son identification, l’occupation d’un territoire et le choix d’emplacements pour se rencontrer au sein de celui-ci. Le demandeur soutient qu’aucun de ces indices n’ont été identifiés par les policiers enquêteurs ou la SI.

[67]  Or, je remarque que la Cour suprême dans Venneri a clairement indiqué que les attributs communs d’une forme de structure criminelle ne doivent pas constituer une liste à cocher. Il est plus judicieux de se concentrer sur l’objet visé par la législation, soit d’identifier et d’endiguer les groupes de trois personnes ou plus qui constituent une menace élevée à la société en raison de l’association continue et organisée de leurs membres : Venneri, précité, aux paragraphes 38 et 40. La Cour d’appel fédérale a, de façon similaire, reconnu que les organisations criminelles n’ont pas habituellement de structure formelle et qu’il fallait adopter une démarche souple dans l’évaluation de la présence ou non de caractéristiques essentielles à une organisation dans un cas particulier : Sittampalam, précité, au paragraphe 39.

[68]  Le rapport du renseignement indique que la police a rassemblé un groupe de plus de 100 personnes soupçonnées d’avoir participé de façon coordonnée à plus de 450 crimes. L’enquêtrice Turner a témoigné en disant que la police avait des suspects en mire dans les postes de direction intermédiaire et supérieure de l’organisation, mais qu’elle ne pouvait pas communiquer l’identité de ce ceux-ci à la SI en raison de l’enquête qui est toujours en cours.

[69]  La SI a conclu que le témoignage de l’enquêtrice Turner quant à l’existence d’une hiérarchie était vague et pourrait décrire n’importe quelle organisation. Néanmoins, elle a admis son témoignage selon lequel la police soupçonnait une personne d’en être le chef. La SI a conclu que la méconnaissance d’une organisation n’équivalait pas à son inexistence. La SI a également souligné que la nécessité de planifier pour commettre une IE ne signifie pas qu’une organisation criminelle soit impliquée, mais qu’il pourrait y avoir un complot ou un groupe de personnes qui se rassemblent de façon ponctuelle pour commettre des crimes; et ce, à plus d’une reprise.

[70]  La SI a reconnu qu’une organisation criminelle devait être formée d’au moins trois personnes. Le demandeur a soutenu qu’il n’y avait pas plus de deux personnes accusées en lien avec les crimes pour lesquels il a été accusé; la SI a conclu que cet élément n’était pas pertinent, car, de toute évidence, il y avait trois personnes ou plus dans l’organisation élargie. La SI a indiqué que le fait qu’il n’y avait que deux personnes impliquées dans les IE concernant le demandeur n’a pas d’importance si ces crimes ont été commis à titre de membre d’une plus grande organisation de trois personnes ou plus.

[71]  La SI a conclu qu’il était [traduction] « très improbable » que tous les Géorgiens accusés d’IE fussent uniquement reliés par une langue, une origine et un mode de vie criminelle communs, tout en commettant le même type de crimes. La SI a décelé une preuve de continuité, et, en raison du nombre d’IE et de leur succès relatif, et une certaine organisation.

[72]  Le demandeur soutient qu’il doit y avoir au moins trois personnes impliquées dans la commission d’une infraction pour respecter la définition prévue par le Code criminel; or, il n’y avait que deux personnes : le demandeur et un coaccusé. Cependant, comme le souligne la SI, la définition du Code criminel exige que l’organisation comprenne au moins trois membres, et non le groupe commettant l’infraction. Je suis d’accord. La définition utilise un langage simple et dispose que l’organisation doit être composée d’au moins trois personnes.

[73]  Il se peut que, quant à la question d’un nombre minimal de trois personnes impliquées dans l’infraction, le demandeur se fonde sur les commentaires du juge Barnes dans la décision Saif c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 437, 45 Imm. L.R. (4e) 47. Si c’est le cas, j’ai lu les commentaires du juge Barnes à ce sujet : il donnait simplement un exemple pour illustrer comment il n’est pas raisonnablement possible de conclure qu’un tiers qui ne fait qu’effectuer une transaction avec une organisation ne peut être considéré comme l’un de ses membres. Il n’a pas dit qu’au moins trois personnes devaient commettre une infraction ensemble afin que ceux-ci soient considérés comme membres d’une organisation criminelle.

[74]  La SI a conclu que le nombre élevé de crimes, commis en série par un groupe d’hommes, en paire ou en groupes de trois, et qui semblaient tous se connaître et avaient la même origine était convaincant, même si les membres de chaque équipe semblaient varier selon lesquels avaient été pris, emprisonnés ou expulsés.

[75]  Le demandeur souhaite que la Cour examine chaque élément de preuve individuellement et non l’ensemble de la preuve présentée à la SI. La lecture de la transcription et de la preuve présentée par l’enquêtrice Turner, la majeure partie ayant été divulguée durant le contre-interrogatoire, démontre que la police avait bien plus qu’un simple soupçon quant à l’existence d’une organisation criminelle. Selon la preuve présentée, il était raisonnable que la SI soit parvenue à la conclusion qu’il y avait une organisation criminelle.

IX.  La SI a-t-elle raisonnablement conclu que M. Odosashvili était, ou avait été, membre de cette organisation criminelle?

[76]  Quant à la notion d’appartenance à une organisation, la SI a souligné que le demandeur n’avait fait l’objet d’aucune condamnation, mais qu’il faisait l’objet de quatre chefs d’accusation à Toronto et de quatre chefs d’accusation dans la région de York, lesquels ont été suspendus en raison d’une formalité entourant l’incapacité à trouver un interprète. Bien que le demandeur ait nié ces crimes, la SI a conclu que la preuve de l’enquêtrice Turner était plus crédible. Cependant, la SI a décidé qu’elle n’avait pas à trancher entre la culpabilité ou l’innocence du demandeur. La SI a plutôt conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis ces infractions et que les liens entre celui-ci et d’autres membres de l’organisation ainsi que la participation au même type d’activité principale donnaient des motifs raisonnables de penser qu’il était membre de cette organisation.

[77]  La SI a conclu que l’enquêtrice Turner était un témoin crédible et que la preuve qu’elle a soumise quant à la commission d’IE par le demandeur était plus crédible que les dénégations du demandeur.

[78]  La SI a également reconnu que le demandeur avait été accusé dans le cadre de deux IE à la suite d’une concordance établie entre ses empreintes et celles laissées sur les lieux des crimes et que, au moment de l’audience, il faisait face à d’autres chefs d’accusation. La SI a reconnu que le demandeur a témoigné en disant ne jamais s’être introduit dans le domicile de quelqu’un et ne pas être membre d’un groupe criminel géorgien. Il a également soutenu qu’il se trouvait à proximité des lieux lorsqu’il a été arrêté par la PRY, car il venait voir une voiture.

[79]  À ce titre, l’enquêtrice Turner a témoigné en disant que son équipe avait arrêté le demandeur le 12 décembre 2013 après une IE sur la promenade Forest, après avoir visionné la veille, lors d’une réunion avec d’autres officiers de police, une vidéo d’une IE d’un domicile. Elle a témoigné en disant que le demandeur et M. Sidamonidze avaient été vus sur la vidéo en train de s’introduire par effraction dans un domicile à Toronto et que, le jour de l’arrestation, le demandeur avait le même manteau rouge qu’il portait sur la vidéo visionnée la veille. L’enquêtrice Turner, questionnée par l’avocat du demandeur quant à savoir si elle croyait que celui-ci participait aux activités d’une organisation criminelle géorgienne, a répondu par l’affirmative, en raison des chefs d’accusation qui pesaient contre lui ainsi que de son association avec d’autres personnes avec lesquels il échangeait des renseignements. Elle a affirmé clairement que le demandeur [traduction] « est définitivement, définitivement membre d’une organisation criminelle ».

[80]  À nouveau, à l’examen du dossier, je suis d’avis que la SI n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre d’une organisation criminelle. Bien que le demandeur souhaite faire relever la norme de preuve quant à son appartenance à une organisation criminelle, ce n’est tout simplement pas la norme applicable.

X.  Conclusion

[81]  La SI a examiné la preuve devant elle, elle a examiné la jurisprudence et les arguments du demandeur, elle a expliqué pourquoi et comment elle est parvenue à certaines conclusions, puis elle a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une organisation criminelle et que le demandeur en était membre. Suivant les principes de contrôle judiciaire enseignés par les arrêts Dunsmuir et Nfld Nurses, je suis convaincue, pour ces motifs, que la décision est raisonnable et qu’elle se situe parmi les issues possibles et acceptables en regard des faits et du droit. Le processus décisionnel est transparent, intelligible et justifiable.

[82]  Le demandeur a résumé sa position de la façon suivante dans son mémoire en réplique :

[traduction]

Le fondement de l’argument du demandeur demeure inchangé : le fait d’utiliser le processus d’immigration de la façon présente établit un dangereux précédent, étant donné le manque de preuve au final. Une allégation en vertu de l’article 37 de la LIPR est très sérieuse et ne devrait pas être utilisée à l’encontre du demandeur à moins qu’on puisse démontrer très clairement que a) une organisation criminelle existe et que b) le demandeur en est membre. Dans l’éventualité où le demandeur serait condamné à la suite des accusations déposées contre lui, il pourra alors être expulsé suivant le protocole approprié en qualité de résident permanent. Entre-temps, le processus d’immigration ne devrait pas être utilisé comme un moyen alternatif d’expulser une personne comme c’est le cas dans l’espèce.

[83]  Je comprends le point de vue du demandeur, or, il est à l’opposé de la décision du Parlement à cet égard et c’est ce principe qu’a suivi la Cour suprême du Canada dans B010 et la Cour d’appel fédérale dans Sittampalam. Le Parlement a clairement indiqué, dans l’article 33 et l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, que le processus d’immigration peut être utilisé au lieu d’une condamnation criminelle (laquelle nécessite une conclusion hors de tout doute raisonnable), en raison, comme dans l’espèce, de cette norme de preuve bien moins exigeante en matière de motifs raisonnables de croire. Il n’appartient ni au demandeur, ni à la SI, ni à la Cour d’en décider autrement.

[84]  La demande est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soulevée par les parties ou n’a été cernée au regard des faits de l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3288-16

 

 

INTITULÉ :

GIGA ODOSASHVILI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Bjorn Harsanyi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Galina Bining

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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