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Date : 20171026


Dossier : IMM-695-17

Référence : 2017 CF 955

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2017

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

JASVINDER SINGH GREWAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

[1]  Le demandeur, Jasvinder Singh Grewal, demande le contrôle judiciaire, conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision prononcée le 17 janvier 2017 par un agent d’immigration travaillant au Haut-commissariat du Canada à Colombo, au Sri Lanka (l’agent). L’agent a refusé la demande de visa de résident permanent que le demandeur avait présentée aux termes du Programme des candidats du Manitoba. L’agent a conclu que le demandeur avait délibérément fait de fausses déclarations ou omis de déclarer des faits importants quant à son emploi comme superviseur des services alimentaires. En raison de la conclusion de fausses déclarations, le demandeur n’est pas autorisé à présenter une nouvelle demande pendant une période de cinq ans conformément à l’article 40 de la Loi.

[2]  Le défendeur a précisé que le titre de ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration devait figurer dans l’intitulé étant donné qu’il s’agit du titre correct du ministre responsable. Par conséquent, l’intitulé a été modifié.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

I.  Résumé des faits

[4]  Le demandeur a présenté avec succès une demande aux termes du Programme des candidats du Manitoba en 2013 et a reçu un certificat de désignation du Manitoba en application du code 6212 – Superviseurs/superviseures des services alimentaires de la Classification nationale des professions. Après avoir été désigné, il a présenté une demande de visa de résident permanent ainsi que la documentation justificative. Il a indiqué ses études et ses antécédents de travail en Inde, y compris son emploi comme superviseur des services alimentaires à l’hôtel Mohini Resort des mois de janvier à novembre 2014. Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), qui dressent la chronologie du traitement de sa demande, et qui constituent les motifs de la décision, indiquent qu’un autre agent d’immigration avait été chargé de vérifier les renseignements. Cet agent d’immigration a communiqué avec l’hôtel Mohini Resort au mois de février 2016 et parlé au réceptionniste parce que le directeur général n’était pas disponible. Le réceptionniste a affirmé que le demandeur avait travaillé à l’hôtel Mohini Resort pendant trois ou quatre ans comme cuisinier et qu’il avait quitté son poste six mois auparavant (soit au mois d’août 2015). Selon les notes dans le SMGC, une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée au demandeur neuf mois plus tard, au mois de novembre 2016, faisant état de certaines réserves concernant les antécédents de travail du demandeur et indiquant que, après vérification, il semblait que le demandeur n’ait pas travaillé à titre de superviseur des services alimentaires à l’hôtel Mohini Resort.

[5]  Le demandeur a fourni une lettre avec pièces jointes en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale au mois de décembre 2016. Il a expliqué qu’il était étonné d’apprendre ces renseignements et que le réceptionniste avec qui l’agent d’immigration avait parlé n’était pas en mesure de fournir lesdits renseignements et était mal informé. Le demandeur a joint une lettre du directeur général de l’hôtel Mohini Resort dans laquelle ce dernier affirmait que le demandeur avait travaillé comme superviseur des services alimentaires des mois de janvier à novembre 2014 et à laquelle étaient joints des talons de paie mensuels pour cette même période.

[6]  L’agent a pris en compte la réponse du demandeur, mais a préféré à celle-ci les renseignements [traduction] « spontanés et attestés » fournis par le réceptionniste. L’agent a noté que le réceptionniste avait affirmé avoir vérifié les dossiers avant de fournir une réponse, avoir travaillé à l’hôtel Mohini Resort pendant quinze ans et connaître le nom des deux superviseurs des services alimentaires, et qu’il s’était exprimé d’un ton confiant en informant l’agent d’immigration au téléphone que le demandeur avait été cuisinier. De plus, l’agent a noté que la lettre du demandeur en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale n’était pas datée et il a aussi constaté que les talons de paie avaient été écrits avec la même encre, ce qui laissait croire qu’ils avaient tous été préparés en même temps.

[7]  L’agent a conclu qu’il était convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait délibérément fait de fausses déclarations sur ses antécédents de travail, lesquels constituaient un fait important pertinent quant à la possibilité pour l’agent d’évaluer la capacité du demandeur à réussir son établissement économique au Canada. L’agent a également conclu que cette fausse déclaration aurait pu empêcher une possibilité d’enquête aux termes de la Loi et entraîné une erreur dans l’administration de la justice. L’agent a conclu que les conditions permettant de conclure à une présentation erronée aux termes de l’article 40 avaient été remplies de ce fait.

II.  Les questions en litige

[8]  Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’offrant pas de précisions sur les réserves qu’il avait à l’égard de ses antécédents de travail, y compris la mention de la source des renseignements auxquels l’agent s’est fié, et en n’accordant pas au demandeur la possibilité de répondre aux réserves de l’agent relatives à la véracité des renseignements fournis par le directeur général de l’hôtel Mohini Resort. Le demandeur soutient également que la décision de l’agent est déraisonnable parce qu’elle n’est pas transparente et justifiée. Le demandeur a fourni des éléments de preuve documentaire pour étayer sa demande et prouver son emploi comme superviseur des services alimentaires; or, l’agent s’est fié presque exclusivement aux renseignements erronés fournis par un réceptionniste plutôt qu’au directeur général de l’établissement, sans fournir suffisamment d’explications et sans évaluer la totalité des éléments de preuve.

III.  La norme de contrôle

[9]  Les questions de procédure doivent être examinées par un tribunal judiciaire selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339). S’il est conclu qu’il y a eu violation de l’équité procédurale, le décideur ne fait l’objet d’aucune retenue.

[10]  La décision de l’agent quant à l’admissibilité du demandeur au statut de résident permanent oblige l’agent à évaluer la demande et à exercer son pouvoir discrétionnaire et doit, par conséquent, être contrôlée en fonction de la norme de la raisonnabilité (Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542, au paragraphe 14, 424 FTR 191 [Obeta]).

[11]  Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, la Cour évalue si la décision s’inscrit dans les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, en l’espèce l’agent, et la Cour ne réévaluera pas la preuve.

IV.  L’agent a enfreint l’obligation d’équité procédurale à laquelle le demandeur avait droit dans les circonstances.

[12]  Le demandeur soutient que la lettre relative à l’équité procédurale de l’agent aurait dû dévoiler la source des renseignements qui ont mené l’agent à remettre en question l’emploi du demandeur, de sorte que le demandeur puisse fournir une réponse mieux ciblée. Même si le demandeur a découvert lui-même qu’un agent d’immigration avait appelé le réceptionniste, et non le directeur général, et que le réceptionniste avait dit à l’agent d’immigration que le demandeur avait été cuisinier, le demandeur soutient que la lettre relative à l’équité procédurale aurait dû contenir ces détails. Le demandeur soutient également que l’agent aurait dû lui accorder par la suite la possibilité de répondre aux réserves de l’agent concernant la véracité des lettres et des talons de paie (Toki c Canada (Immigration, Réfugiés, et Citoyenneté), 2017 CF 606, au paragraphe 25, [2017] ACF no 614 [Toki]).

[13]  Comme l’a indiqué la juge Gagné dans la décision Asl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1006, au paragraphe 23, [2016] ACF no 985 :

[23]  Tout d’abord, je désire souligner que l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont soumis les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, au paragraphe 23). Bien sûr, l’obligation d’équité dans ce contexte « impose aux agents des visas de communiquer leurs réserves aux demandeurs, de manière à ce qu’ils aient l’occasion de les dissiper ». Voir Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25, au paragraphe 21.

[14]  En l’espèce, l’agent a signalé au demandeur qu’il avait une réserve du fait qu’il possédait des renseignements selon lesquels le demandeur n’avait pas travaillé à titre de superviseur des services alimentaires à l’hôtel Mohini Resort, comme le demandeur l’avait affirmé. Selon ces renseignements, le demandeur aurait eu une connaissance suffisante de « ce qu’il devait réfuter » aux fins de sa réponse. L’agent n’était pas tenu de lui préciser la source des renseignements. Le dossier démontre que le demandeur a pris connaissance de la source des renseignements, avait suffisamment de renseignements pour répondre aux réserves exprimées et a effectivement fourni une réponse.

[15]  La question connexe est celle de savoir si l’agent aurait dû accorder la possibilité de répondre aux réserves découlant de la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale.

[16]  Il a été établi dans la jurisprudence que la teneur de l’obligation d’équité procédurale varie selon le contexte. Il a également été établi dans la jurisprudence que l’agent n’est pas tenu de fournir à un demandeur un « résultat intermédiaire ». L’obligation d’équité procédurale dont doivent s’acquitter les agents des visas, qui, comme il a été mentionné, se situe à l’extrémité inférieure du spectre, dépend toutefois du contexte.

[17]  Dans Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, aux paragraphes 21 à 24, [2013] ACF no 284, la juge Bédard a examiné le rejet de la demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés, a passé en revue de façon exhaustive la jurisprudence applicable et a fourni un résumé des principes pertinents : il incombe au demandeur d’établir qu’il satisfait aux exigences du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) en fournissant des éléments de preuve suffisants pour étayer sa demande; l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont astreints les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du registre; un agent des visas n’est ni tenu d’aviser un demandeur des lacunes relevées dans sa demande, ni dans les documents fournis à l’appui de la demande; l’agent n’est pas tenu de donner la possibilité au demandeur de dissiper ses préoccupations lorsque les documents sont incomplets, peu clairs ou insuffisants pour convaincre l’agent que le demandeur satisfait aux exigences. La juge Bédard a ajouté aux paragraphes 25 à 28 que, comme il a été conclu dans l’affaire Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24, 302 FTR 39 [Hassani], un agent peut avoir une telle obligation lorsque les réserves découlent de la crédibilité, de la véracité ou de l’authenticité des documents, et non de la suffisance des documents.

[18]  Dans Hassani, le juge Mosley a réuni la jurisprudence existante et a conclu au paragraphe 24 (renvois internes omis) :

[24]  Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, [...] décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

[Non souligné dans l’original.]

[19]  Bien que les principes dégagés de la jurisprudence aient généralement été suivis pour traiter le devoir auquel est soumis l’agent des visas lors de l’évaluation des documents justificatifs et des éléments de preuve dans le cadre de la demande initiale, les mêmes principes ont guidé mon évaluation de la teneur de l’obligation d’équité procédurale qui est due en l’espèce. Selon les renseignements consignés dans le SMGC, l’agent a remis en question l’absence de date sur la lettre de réponse du demandeur, il a douté de la véracité du contenu de la lettre du directeur général et il a douté de la véracité ou de l’authenticité des talons de paie, en mentionnant que la présence de la même encre sur ceux-ci laissait croire qu’ils avaient tous été préparés en même temps, et non chaque mois. Le défendeur soutient également que ces documents présentaient des signes manifestes de non-fiabilité. La crédibilité, la véracité ou l’authenticité des documents était manifestement en cause.

[20]   Dans les circonstances particulières de l’espèce, y compris celles mentionnées dans mes observations ci‑dessous, l’agent aurait dû accorder au demandeur la possibilité de répondre aux nouvelles réserves.

V.  Il n’est pas nécessaire de se pencher sur le caractère raisonnable de la décision.

[21]  Étant donné la conclusion de manquement à l’équité procédurale, il n’y a pas lieu de décider si la décision était raisonnable. Le rôle de l’agent est d’évaluer l’ensemble des éléments de preuve et d’accorder le poids convenable à ceux-ci. Si l’agent avait permis au demandeur de répondre à ses réserves concernant la lettre du directeur général et les talons de paie, l’évaluation des éléments de preuve pertinents et le poids qui a été accordé à ceux-ci n’auraient peut-être pas été les mêmes.

[22]  Je constate que l’agent a jugé les renseignements fournis par le réceptionniste [traduction] « attestés », sans préciser la façon dont ils avaient été vérifiés et sans sonder leur fiabilité malgré certains signaux d’alarme. L’agent a accepté les renseignements que le réceptionniste avait fournis verbalement dans le contexte d’un appel non sollicité fait par un autre agent d’immigration. Le réceptionniste a d’abord indiqué qu’il n’avait pas les renseignements recherchés et qu’il fallait communiquer avec le directeur général. L’agent d’immigration qui a fait l’appel n’a pas attendu que le directeur général soit disponible, mais a rappelé après dix minutes et, dans ce bref intervalle, le réceptionniste avait apparemment eu accès à tous les dossiers de l’employé. Il est communément admis qu’un réceptionniste est la personne qui achemine les appels aux membres concernés d’un organisme et qui reçoit les visiteurs ou les clients et les dirige vers d’autres personnes, qui, en l’espèce, auraient dû être le directeur général. L’agent n’avait aucune connaissance de l’étendue des tâches du réceptionniste ou de son accès aux dossiers. Rien dans les notes de l’agent n’explique la façon dont l’agent a rapproché l’affirmation du réceptionniste selon laquelle le demandeur avait travaillé à l’hôtel Mohini Resort pendant trois ou quatre ans et son affirmation subséquente selon laquelle il s’était peut-être agi que d’une période de trois ans. Si le réceptionniste avait les dossiers en sa possession, il n’y aurait eu aucune incertitude. L’agent n’a pas non plus reconnu que l’affirmation du réceptionniste selon laquelle le demandeur avait quitté l’hôtel Mohini Resort six mois auparavant ne concordait pas avec les autres renseignements du demandeur relatifs à son emploi, plus précisément, le fait que le demandeur a présenté des documents pour établir son travail ailleurs jusqu’en 2014, qu’il a travaillé à l’hôtel Mohini Resort des mois de janvier à novembre 2014, qu’il avait quitté en novembre 2014 et non au mois d’août 2015, et qu’il avait travaillé ailleurs par la suite. Ces renseignements auraient dû susciter des interrogations quant à l’exactitude des renseignements du réceptionniste et quant à la nécessité de poursuivre l’enquête.

[23]  En conclusion, il y a lieu que la demande de visa de résident permanent soit évaluée par un autre agent d’immigration et que le demandeur ait la possibilité de répondre aux réserves soulevées quant aux documents fournis par le demandeur au mois de décembre 2016 en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale du mois de novembre 2016.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucune question n’a été posée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-695-17

 

INTITULÉ :

JASVINDER SINGH GREWAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Christina Guida

 

Pour le demandeur

 

David Joseph

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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