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Date : 20171025


Dossier : IMM-1082-17

Référence : 2017 CF 948

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ROLAND HOMENSZKI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un citoyen de la Hongrie qui affirme avoir été victime de persécution en Hongrie tout au long de sa vie en raison de ses origines romes, notamment de racisme et de harcèlement de la part d’extrémistes de droite. Il conteste le caractère raisonnable ou la légalité d’une décision défavorable rendue le 25 janvier 2017 par un agent principal de l’immigration (agent) lors d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). L’agent a conclu que le demandeur ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [LIPR], puisqu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il était plus probable que le contraire qu’il serait exposé à un risque de persécution, ou qu’il serait personnellement exposé à un risque, s’il devait retourner en Hongrie.

[2]  Le demandeur a fui la Hongrie à destination du Canada en 2001, après avoir été victime d’une grave agression aux mains de néonazis qui l’aurait laissé grièvement blessé. Il a déposé une première demande d’asile au Canada en 2003. À l’époque, il était représenté par un avocat réputé, semble-t-il, pour sa mauvaise gestion des demandes d’asile des Roms. La demande d’asile a été rejetée et, par conséquent, il a dû retourner en Hongrie en 2003. Il prétend maintenant que la situation s’est détériorée : il n’a pas été en mesure de se trouver du travail, sa recherche d’un logement a été ardue, il n’a cessé de craindre les groupes néonazis qui ont ciblé les Roms à Miskolc, sa ville natale. Il a été victime de mauvais traitements similaires à Debrecen, où il a vécu entre 2006 et 2008. En décembre 2013, le demandeur et sa femme ont déménagé à Miskolc où le ciblage systématique des Roms aurait prétendument commencé. Le demandeur soutient avoir été battu par des néonazis en avril 2016. Il n’est pas allé à l’hôpital parce qu’il ne bénéficiait d’aucune protection d’assurance et ne s’est pas présenté aux policiers en raison de la brutalité policière exercée à l’endroit des Roms. En août 2016, le demandeur et sa famille ont été expulsés de leur logement, et ils ont tous été la cible d’agressions. Le demandeur a conduit sa femme à l’hôpital, parce qu’elle aurait eu une hémorragie, alors qu’elle a été simplement inscrite pour une éventuelle « grossesse à risque ». Elle serait retournée à l’hôpital en raison d’autres saignements et on lui aurait alors indiqué de revenir lorsque le bébé serait sur le point de naître. La famille a réussi à trouver refuge chez un proche, mais il lui a été impossible d’inscrire les enfants à l’école parce qu’elle n’avait pas d’adresse légale. Après avoir demandé l’aide du Conseil de la minorité rome, le demandeur a pu obtenir de la nourriture, mais on lui a également conseillé de quitter le pays, puisque les services d’aide à l’enfance allaient vraisemblablement prendre les enfants une fois avisés par les autorités de l’itinérance de la famille. C’est pourquoi le demandeur et sa famille sont partis à destination du Canada en septembre 2016. Ils ont tous déposé des demandes d’asile. Considérant sa demande antérieure, il lui a été impossible de déposer une seconde demande d’asile et, par conséquent, une mesure d’expulsion a été prise à son endroit en septembre 2016. Il a présenté une demande d’ERAR, laquelle a été rejetée, le 25 janvier 2017, et c’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[3]  Le demandeur sollicite le contrôle de la décision contestée essentiellement parce que l’agent a commis une erreur dans son appréciation du risque auquel il était personnellement exposé et de la disponibilité de la protection de l’État, tout en omettant de se demander s’il serait approprié de tenir une audience. Le demandeur soutient que, dans l’ensemble, la présente affaire repose sur un simple désaccord quant à la méthode adoptée par l’agent pour apprécier les éléments de preuve, même s’il n’avait pas l’obligation de tenir une audience.

[4]  La présente demande est rejetée. La décision contestée est raisonnable. Que la question liée au défaut de tenir une audience soit examinée en fonction de la norme de la décision correcte ou de la norme de la décision raisonnable, il n’y a pas lieu d’intervenir.

[5]  Tout d’abord, l’agent a déclaré que la représentation en deçà des normes à laquelle le demandeur avait eu droit de la part de son avocat précédent ne devrait pas être prise en considération dans le cadre de son évaluation, tout en ajoutant que le demandeur avait eu amplement l’occasion de modifier son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ou d’apporter des correctifs à son témoignage au moment de déposer sa demande initiale. Bien que l’on puisse remettre en question cette remarque de l’agent, la conclusion qu’il a tirée n’est pas déraisonnable, puisque ce n’est pas à l’agent d’ERAR qu’il incombe d’examiner les conclusions défavorables rendues en 2003 par la Section de la protection des réfugiés, à la suite de la mauvaise représentation de son avocat.

[6]  Quoi qu’il en soit, le demandeur soutient que l’agent a omis de tenir compte du fait qu’une audience était nécessaire, conformément à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Le demandeur concède que l’agent n’a pas expressément conclu à l’absence de crédibilité, mais il soutient qu’il l’a fait implicitement. Je partage l’avis du défendeur selon lequel il n’était pas nécessaire de convoquer une audience. En fait, l’agent n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité, il a plutôt simplement apprécié les éléments de preuve concernant les risques, et a conclu de manière raisonnable qu’ils étaient insuffisants. Rien dans la décision contestée n’indique que l’agent a implicitement tiré une quelconque conclusion quant à la crédibilité.

[7]  Devant notre Cour, les arguments du demandeur portaient presque exclusivement sur la question de la décision raisonnable. Le demandeur soutient que l’agent a écarté des éléments de preuve pertinents ou a omis de fournir des motifs suffisants pour appuyer sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas personnellement exposé à un risque, qu’il ne serait pas victime de persécution parce qu’il est un Rom, et qu’il existait une protection adéquate de l’État. Le défendeur répond que l’agent a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents, et qu’il a fourni des motifs suffisants pour appuyer sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il était plus probable que le contraire qu’il serait exposé à un risque de persécution, ou qu’il serait personnellement exposé à un risque, s’il devait retourner en Hongrie. Je suis d’accord avec le défendeur.

[8]  En l’espèce, l’agent a précisément tenu compte des allégations du demandeur selon lesquelles il avait été battu en avril 2016, et de son refus subséquent d’aller à l’hôpital ou à la police. L’agent souligne qu’il incombait au demandeur d’en faire davantage pour se prévaloir de la protection de l’État dans un pays démocratique comme la Hongrie. Le demandeur devait faire plus que simplement montrer qu’il était allé voir certains policiers, et que ces efforts avaient été vains. Les éléments de preuve indiquaient que la Hongrie est en mesure de fournir une protection adéquate, bien qu’imparfaite, si le demandeur en fait la demande. Qui plus est, l’agent a précisément examiné les éléments de preuve liés à l’expulsion forcée de leur habitation à Miskolc. Il a reconnu que la ville et le gouvernement avaient entamé un processus d’expulsion en 2014 et que l’immeuble avait été démoli en 2016. Il a tout de même conclu que le demandeur n’avait pas réussi à produire des éléments de preuve démontrant qu’il était personnellement ciblé lors de cette campagne d’expulsion et de démolition menée par la ville sur l’ensemble de son territoire. Les éléments de preuve montraient également que cette expulsion éventuelle avait été communiquée au demandeur un an auparavant. En ce qui a trait à la violence subie lors de cette expulsion, l’agent a souligné que la famille du demandeur n’avait pas tenté d’obtenir des soins médicaux, sauf en ce qui concerne son épouse, alors que le dossier de cette dernière n’indique aucun traumatisme ni aucune hémorragie. En fait, il est faux de prétendre que des soins médicaux lui ont été refusés en raison de son origine rome. L’agent a également précisément tenu compte du risque d’itinérance au retour en Hongrie. Il a conclu qu’aucun élément de preuve objectif n’avait été déposé pour appuyer les déclarations selon lesquelles le demandeur, même s’il trouvait un appartement à son retour, ferait l’objet d’une expulsion, et serait alors sans abri et vulnérable aux agressions des extrémistes et des policiers, en plus de se voir imposer des amendes arbitraires et d’être emprisonné. L’agent a également conclu à l’absence d’éléments de preuve suffisants pour le convaincre que les activités des groupes d’extrême droite, ainsi que la haine à l’égard des Roms, s’accentuaient. L’agent a reconnu que les articles présentés faisaient état d’incidents violents et de discrimination visant les Roms en Hongrie, mais ils n’ont pas réussi à le convaincre que le demandeur risquait personnellement de subir un tel traitement.

[9]  Somme toute, l’agent a reconnu la situation particulièrement difficile que vivait le demandeur en Hongrie, mais il a conclu que ce dernier n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant qu’il avait fait l’objet d’une discrimination grave et systématique à répétition au point de constituer de la persécution. De plus, les éléments de preuve ont démontré que la protection de l’État était raisonnablement accessible et efficace. Le demandeur n’a pas été en mesure de réfuter la présomption selon laquelle l’État de la Hongrie est en mesure d’assurer la protection de ses citoyens compte tenu de l’existence d’un appareil étatique fonctionnel. Cette conclusion est appuyée par les éléments de preuve versés au dossier et la Cour estime qu’elle n’est pas déraisonnable. Les arguments présentés par le demandeur sont sans fondement.

[10]  Le demandeur soutient que l’agent a procédé à une analyse sélective des conditions dans le pays et que les conclusions tirées par ce dernier reposaient sur de la spéculation ou n’étaient pas corroborées par les éléments de preuve au dossier, comme le fait que le demandeur peut se présenter devant les policiers, que des améliorations modestes ont été réalisées en ce qui a trait au contrôle des activités des groupes d’extrême droite, que le gouvernement a mis en œuvre de nombreux projets visant à contrecarrer le racisme et la discrimination dont fait l’objet le peuple rom et que le demandeur n’a produit aucun élément de preuve démontrant objectivement que le risque auquel les populations sans abri font face s’est accentué. La Cour estime qu’il n’y a pas eu une analyse sélective des éléments de preuve. En fait, l’agent était autorisé à conclure que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour démontrer que la discrimination contre les Roms ne constituait pas de la persécution et que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il était personnellement exposé à un risque. L’agent n’était pas de tenu de faire allusion à chaque élément de preuve présenté pour rendre une décision raisonnable. En ce qui a trait à l’itinérance et au risque associé à l’intégrisme de l’extrême droite, les motifs démontrent que ces questions ont été prises en compte. En fait, l’agent a reconnu que les articles présentés portaient sur des incidents relatifs à la violence et à la discrimination contre les Roms en Hongrie.

[11]  Je partage l’avis du défendeur selon lequel la présente contestation n’est que l’expression d’un désaccord quant à l’interprétation d’éléments de preuve documentaire contradictoires en ce qui a trait à l’état de la situation en Hongrie. L’agent pouvait très bien reconnaître que les expulsions avaient eu lieu, et rejeter quand même le fait que le demandeur ait personnellement été visé. L’agent pouvait également conclure que les expulsions menées par la ville sur l’ensemble de son territoire ne constituaient pas de la persécution. Quoi qu’il en soit, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Cette conclusion n’est pas déraisonnable. La protection de l’État n’a pas à être sans faille, pour autant qu’elle soit adéquate. Il s’agit d’une question de fait qui relève du domaine et de l’expertise spécialisée de l’agent. En effet, en tenant compte des éléments de preuve, l’agent a conclu qu’en dépit de flagrants incidents de discrimination contre les Roms, l’État de la Hongrie déployait des efforts en vue d’améliorer la situation. La Hongrie est un État démocratique, et à ce titre, elle est réputée pouvoir assurer la protection de ses citoyens. Je conclus que l’agent a appuyé cette décision sur les éléments de preuve présentés : il a en fait précisément fait référence aux articles et au rapport du Département d’État américain de 2015 portant sur les droits de la personne.

[12]  Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 41 [Hinzman], « […] l’asile est censé constituer une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine » (voir également Canada (Procureur General) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 709, 103 DLR (4th) 1 [Ward, avec renvoi au RCS]). Il existe une présomption selon laquelle les États sont en mesure d’assurer la protection de leurs citoyens – en particulier lorsqu’il s’agit d’un État démocratique (voir Ward, à la page 725; Hinzman, au paragraphe 54; Canada (Minister of Employment and Immigration) v Villafranca, 99 DLR (4th) 334, à la page 337, 1992 CanLII 8569 (CAF)]. Pour réfuter cette présomption, « il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection » (voir Ward, à la page 724). Cette présomption s’applique autant dans les cas où une personne prétend craindre d’être persécutée par des entités non étatiques, comme des groupes intégristes d’extrême droite, que dans les cas où l’État serait le persécuteur (voir Hinzman, au paragraphe 54). Il s’agit, ainsi, de « l’exigence fondamentale en droit des réfugiés voulant que le demandeur d’asile cherche à obtenir la protection de son pays d’origine avant de demander à l’étranger la protection offerte par le système des réfugiés » (Hinzman, au paragraphe 62). « […] [D]ans le cas de démocraties bien établies, il incombe au demandeur de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer » (voir Hinzman, au paragraphe 57; voir également Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kadenko, 143 DLR (4th) 532, 1996 CanLII 3981 (CAF) [Kadenko, avec renvoi au DLR]).

[13]  Pour terminer, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il a déjà tenté d’obtenir la protection de l’État : il n’a jamais tenté de déposer une plainte à la police après les graves agressions dont il a fait l’objet, et il n’a pris aucune autre mesure visant à obtenir l’aide de l’État. La raison de son inaction était attribuable au fait que la police agresse les Roms. Lorsque l’on a affaire à un État dont les institutions politiques et judiciaires sont fonctionnelles, le refus de certains policiers d’intervenir ne saurait en lui-même rendre l’État incapable de le faire (voir Kadenko, à la page 534). Par conséquent, l’agent pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’une protection adéquate de l’État en Hongrie : il n’a pas démontré qu’il avait épuisé tous les recours de protection dont il pouvait disposer. Cet élément est donc déterminant en l’espèce, indépendamment de l’analyse faite par l’agent en ce qui a trait aux efforts déployés par la Hongrie pour assurer la protection des Roms. Par conséquent, je dois conclure que l’évaluation de l’agent quant à l’existence de la protection de l’État était raisonnable.

[14]  Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1082-17

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1082-17

 

INTITULÉ :

ROLAND HOMENSZKI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline Lewis

 

Pour le demandeur

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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