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Date : 20171024


Dossier : T-165-17

Référence : 2017 CF 946

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

RIHAM KAMEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un citoyen iraquien de 29 ans. Grâce au parrainage de son père, il est arrivé au Canada en qualité de résident permanent vers 2005, avec sa mère et ses deux sœurs. Il a soumis une demande de citoyenneté canadienne le 4 février 2016. Le 7 juillet 2016, il a passé une entrevue et l’examen pour l’obtention de la citoyenneté. On lui a alors remis une liste des documents à fournir pour établir sa conformité aux conditions de résidence et de présence effective pour l’obtention de la citoyenneté canadienne. Il disposait d’un délai de 30 jours pour fournir les documents ou pour présenter une excuse raisonnable justifiant l’inobservation de ce délai. À l’échéance prescrite, le demandeur n’avait fourni aucun des documents demandés et un avis de rappel final lui a été signifié le 18 août 2016 qui lui octroyait 30 jours pour les fournir. L’avis donnait les renseignements suivants au demandeur :

Si, conformément au sous-alinéa 13.2(1)a)(i) de la Loi sur la citoyenneté, vous ne fournissez pas les renseignements supplémentaires demandés dans les trente (30) jours suivant la date de la présente lettre, ou si la raison invoquée pour l’inobservation de ce délai n’est pas valable, nous avons le regret de vous informer que votre demande sera considérée comme abandonnée et qu’il n’y sera pas donné suite, et que votre dossier sera fermé.

Les 7 et 18 septembre 2016, le demandeur a fourni une partie des documents demandés, avec les explications suivantes dans une lettre d’accompagnement : [traduction] « Je, Riham Kamel, fournis tous les éléments de preuve supplémentaires à ma disposition, en sus des renseignements demandés. »

[2]  Dans une lettre datée du 30 décembre 2016, un agent de la citoyenneté informait le demandeur que sa demande était considérée comme abandonnée aux termes du paragraphe 13.2(1) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29. Dans cette lettre, l’agent évoquait le défaut de fournir les documents suivants : avis de cotisation de Revenu Canada pour les années d’imposition 2010 à 2015; sommaire des réclamations personnelles de soins de santé dans la province entre le 26 janvier 2010 et le 26 janvier 2016; relevés bancaires complets pour la période visée; documents liés aux dépenses courantes (factures des services publics, cartes de fidélité, primes d’assurance, immatriculation de véhicules, droits d’affiliation ou de permis professionnels, etc.); relevés d’emploi et tout autre document attestant l’existence de liens avec le Canada au cours de la période visée. L’agent ajoute dans sa lettre qu’il n’avait pas jugée raisonnable l’explication donnée par le demandeur à l’égard du défaut de fournir tous les documents demandés. Le demandeur cherche maintenant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision de l’agent au titre de l’article 22.2 de la Loi sur la citoyenneté.

I.  Questions en litige et discussion

A.  Modification de l’intitulé de la cause

[3]  Il a été établi au début de l’audience que le défendeur avait été incorrectement désigné comme étant le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. L’intitulé sera par conséquent modifié, avec effet immédiat, par substitution du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.

B.  Norme de contrôle

[4]  Il n’est pas controversé entre les parties, et j’abonde dans le même sens, que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la décision d’un agent portant qu’une demande de citoyenneté a été considérée comme abandonnée (voir Zhao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 207, au paragraphe 19, 2016 ACF no 196 [Zhao]).

[5]  Suivant cette norme, il est demandé à la Cour d’examiner le caractère raisonnable en s’en tenant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

C.  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[6]  Le demandeur fait valoir que sa demande de citoyenneté n’aurait pas dû être réputée abandonnée puisqu’il s’est appliqué à faire la démonstration de ses liens avec le Canada durant la période visée et à fournir autant de documents que possible. À son avis, la jurisprudence sur l’abandon de demandes d’asile s’avère édifiante et applicable en l’espèce en raison du manque de précédents sur la question de l’abandon d’une demande dans le contexte du droit de la citoyenneté et de la parenté entre les deux régimes. Le demandeur soutient que les définitions de l’abandon sont essentiellement similaires en droit de la citoyenneté et des réfugiés. Il fonde cet argument sur la décision Aslam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 514, 250 FTR 307 [Aslam], qui met en cause une conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur s’était désisté de sa demande d’asile en refusant de se présenter à l’audience sans son avocat et en se voyant refuser sa demande de remise. Dans cette décision, le juge Harrington conclut que M. Aslam n’avait pas clairement l’intention de se désister, et précise au paragraphe 6 que « [s]e désister signifie abandonner complètement, ou abandonner avant l’achèvement; cela veut dire renoncer, et ici, le désistement ressemble davantage à un rejet pour défaut de poursuivre ». Dans le même ordre d’idée, le demandeur en l’espèce allègue qu’en donnant suite à la demande de documents, il a manifesté son intention d’aller de l’avant avec sa demande de citoyenneté. Il estime que la décision de l’agent n’était pas raisonnable puisqu’il a démontré une intention manifeste de maintenir sa demande et fait de son mieux en transmettant un nombre important de documents en réponse à la demande de l’agent.

[7]  Le demandeur relève une importante distinction entre sa situation et celle dont il est question dans la décision Zhao, qui concerne un demandeur ayant refusé de fournir des documents supplémentaires parce qu’il considérait la demande excessive, illégale, voire discriminatoire. En l’espèce, le demandeur estime avoir fait de son mieux pour fournir les documents demandés. Les éléments de preuve produits remplissaient l’objectif de la demande de l’agent et il aurait dû, selon le demandeur, en tenir compte pour déterminer s’ils étaient suffisants pour établir la conformité aux conditions de résidence.

[8]  Le défendeur maintient que la décision de l’agent était raisonnable et commande la déférence. Il s’appuie sur trois énoncés de principe cités dans la décision Zhao : la citoyenneté canadienne est un privilège, il incombe au demandeur d’établir qu’il respecte les exigences, et le fait d’exiger du décideur qu’il informe le demandeur de lacunes précises dans sa preuve reviendrait à lui transférer le fardeau indûment.

[9]  Le défendeur précise que le demandeur n’a pas respecté le premier délai de 30 jours pour transmettre ses documents, et qu’il a ensuite fourni une partie seulement des renseignements supplémentaires demandés. Le demandeur affirme avoir transmis tous les documents qu’il était en mesure de fournir, mais il n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas été en mesure de répondre pleinement à la demande. Le défendeur ne voit pas de lien entre la décision Aslam et la présente espèce puisque la définition d’abandon est différente dans les contextes du droit de la citoyenneté et des réfugiés. Il renchérit que l’agent n’était pas tenu d’informer le demandeur des réserves soulevées par l’un ou l’autre des éléments de preuve soumis, ni d’en faire l’analyse dans un contexte où il n’avait pas satisfaisait à une demande valide et conforme à la Loi sur la citoyenneté.

1)  Discussion

[10]  La question centrale dans la présente demande de contrôle judiciaire porte sur l’interprétation et l’application de l’article 13.2 de la Loi sur la citoyenneté :

Abandon de la demande

Abandonment of application

13.2 (1) Le ministre peut considérer une demande comme abandonnée dans les cas suivants :

13.2 (1) The Minister may treat an application as abandoned

a) le demandeur omet, sans excuse légitime, alors que le ministre l’exige au titre de l’article 23.1 :

(a) if the applicant fails, without reasonable excuse, when required by the Minister under section 23.1,

(i) de fournir, au plus tard à la date précisée, les renseignements ou les éléments de preuve supplémentaires, lorsqu’il n’est pas tenu de comparaître pour les présenter,

(i) in the case where the Minister requires additional information or evidence without requiring an appearance, to provide the additional information or evidence by the date specified,

[…]

Effet de l’abandon

Effect of abandonment

(2) Il n’est donné suite à aucune demande considérée comme abandonnée par le ministre.

(2) If the Minister treats an application as abandoned, no further action is to be taken with respect to it.

[…]

Autres renseignements, éléments de preuve et comparution

Additional information, evidence or appearance

23.1 Le ministre peut exiger que le demandeur fournisse des renseignements ou des éléments de preuve supplémentaires se rapportant à la demande et préciser la date limite pour le faire. Il peut exiger à cette fin que le demandeur comparaisse — devant lui ou devant le juge de la citoyenneté pour être interrogé — soit en personne et aux moment et lieu qu’il fixe, soit par le moyen de télécommunication et au moment qu’il fixe.

23.1 The Minister may require an applicant to provide any additional information or evidence relevant to his or her application, specifying the date by which it is required. For that purpose, the Minister may require the applicant to appear in person or by any means of telecommunication to be examined before the Minister or before a citizenship judge, specifying the time and the place — or the time and the means — for the appearance.

[11]  Le texte de ces dispositions me semble limpide. Le ministre jouit du pouvoir discrétionnaire d’enjoindre à un demandeur de lui fournir, avant une date donnée, des renseignements ou des éléments de preuve supplémentaires à l’appui d’une demande. Si le demandeur omet, sans excuse légitime, de fournir les documents ou les éléments de preuve supplémentaires avant la date précisée, le ministre peut traiter la demande comme abandonnée, auquel cas il n’y sera pas donné suite. Il ressort de ces dispositions qu’il n’est pas pertinent de savoir que les documents fournis représentent la somme des meilleurs efforts du demandeur pour donner suite à une demande d’un agent ou que le demandeur a l’intention de maintenir sa demande de citoyenneté et non de s’en désister. À moins que le demandeur donne une excuse légitime de son omission de fournir les renseignements ou les éléments de preuve supplémentaires demandés, il encourt le risque que sa demande soit traitée comme abandonnée et qu’il n’y soit pas donné suite.

[12]  En l’espèce, le demandeur n’a pas fourni tous les documents demandés à la date précisée et il n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas été en mesure de satisfaire pleinement à la demande de documents supplémentaires. Ainsi, parmi les documents fiscaux fournis ne se trouvaient pas les avis de cotisation demandés, les relevés bancaires produits ne couvraient pas toute la période visée et il n’a fourni aucun sommaire des réclamations personnelles de soins de santé présentées dans la province. Comme le demandeur a omis de fournir tous les documents demandés et déclaré qu’il avait transmis [traduction] « tous les éléments de preuve supplémentaires » qu’il pouvait fournir, il était loisible à l’agent de conclure que le demandeur n’avait pas donné d’excuse légitime de son omission et de considérer sa demande comme abandonnée. Il ne s’agissait pas d’une conclusion déraisonnable de sa part. La décision de l’agent de traiter la demande de citoyenneté en cause comme abandonnée se justifiait et appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[13]  Pour terminer, je précise que la présente espèce se distingue de l’affaire Zhao uniquement par le fait que dans cette dernière, le demandeur avait adressé une lettre à Citoyenneté et Immigration Canada dans laquelle il se disait certain d’avoir fourni suffisamment de documents pour établir sa présence au Canada au cours de la période visée et refusait de fournir les documents supplémentaires demandés par l’agent de la citoyenneté. Par suite de ce refus, la demande de citoyenneté de M. Zhao a été considérée comme abandonnée. Par contraste, le demandeur dans l’affaire qui nous occupe n’a pas refusé de fournir les documents supplémentaires demandés, mais il n’a pas fourni la totalité des documents demandés ni d’excuse légitime de son omission. L’espèce diffère également de la décision Lim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 217, [2016] ACF no 157 [Lim], par laquelle la Cour a annulé la décision du ministre de considérer la demande de citoyenneté comme abandonnée et de fermer le dossier au motif que la demanderesse n’avait pas donné suite à sa demande de lui fournir des renseignements plus précis. Dans cette décision, la Cour a jugé que, conformément au paragraphe 13.2(1) de la Loi sur la citoyenneté, Mme Lim avait une « excuse légitime » puisqu’elle n’avait pas reçu la lettre du ministre lui demandant de fournir des renseignements plus précis et l’avisant que le défaut de répondre à temps ferait en sorte que sa demande de citoyenneté serait réputée abandonnée. Ce n’est pas le cas du demandeur dans la présente espèce. Il a bel et bien reçu la lettre lui demandant de fournir des documents, mais il n’a pas fourni tous les documents exigés et il n’a pas donné d’excuse légitime pour son omission.

II.  Conclusion

[14]  Pour les motifs énoncés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[15]  Comme les parties n’ont pas soulevé de question sérieuse de portée générale, aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-165-17

LA COUR modifie par les présentes l’intitulé, avec effet immédiat, par substitution du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté à titre de défendeur, rejette la demande de contrôle judiciaire et ne certifie aucune question de portée générale.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-165-17

 

INTITULÉ :

RIHAM KAMEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker

 

Pour le demandeur

 

David Joseph

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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