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Date : 20171019


Dossier : T-1122-16

Référence : 2017 CF 934

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT

demandeur

et

YAN RIVERIN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, visant la décision rendue le 8 juin 2016 par Me Bruno Leclerc, agissant en qualité d’arbitre dans le cadre d’un appel interjeté par le demandeur conformément à la section XIV de la partie III du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [le Code].

II.                 Les faits

[2]               Le demandeur [le Conseil ou l’employeur] est un conseil au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5. Sa mission est d’assurer la protection et la gestion des intérêts de la Première Nation innue de Pessamit dont le territoire est situé à l’ouest de Baie-Comeau, au Québec.

[3]               Le Conseil est composé d’un chef et de six conseillers élus pour un mandat de deux ans. Au moment des faits, la structure administrative de la Première Nation était composée d’une direction générale, qui relevait directement du Conseil, et de dix directions sectorielles, qui relevaient quant à elles de la Direction générale. Une de ces directions sectorielles était celle des affaires économiques et des ressources naturelles. Les décisions adoptées par une majorité du Conseil étaient confiées à la Direction générale pour leur exécution.

[4]               Lorsqu’il a été congédié, le défendeur [M. Riverin ou le défendeur] était directeur des Affaires économiques et des Ressources naturelles du Conseil, et ce, depuis 2009. Le mandat de la Direction des affaires économiques consistait notamment à promouvoir et à chapeauter les activités économiques de la Première Nation tant sur son territoire que sur le territoire ancestral connu sous le nom de Nistassinan. La Direction était aussi responsable de la gestion des pourvoiries situées sur le territoire du Conseil.

[5]               D’août 2002 à août 2012, M. Raphaël Picard a occupé le poste de chef de la Première Nation. La situation économique se serait détériorée durant son mandat. D’ailleurs, en janvier 2008, en raison d’exigences du ministère des Affaires indiennes, un cogestionnaire a officiellement été chargé de s’occuper des finances de l’organisation. Aucune dépense ne pouvait être effectuée sans son approbation.

[6]               En 2011, des mesures de redressement ont été prises. On a réduit le nombre d’employés et la durée de la semaine de travail. Jean-Marie Vollant était à la tête de la Direction générale à titre intérimaire depuis 2010.

[7]               Le 8 décembre 2011, M. Riverin est devenu actionnaire, directeur et président d’Uapats, entreprise qui œuvre dans le domaine de la sylviculture et exerce ses activités sur le Nistassinan avec les partenaires économiques du Conseil.

[8]               Le 3 mai 2012, M. Riverin a représenté le Conseil lors d’une rencontre tripartite avec Résolu et Uapats. Les parties ont alors discuté d’une entente entre Résolu et Uapats pour des travaux de sylviculture sur le territoire de Pessamit ainsi que de l’emploi de la pourvoirie par Uapats pour y loger ses travailleurs. M. Riverin avait divulgué ses intérêts dans la société Uapats à certains membres du Conseil avant cette rencontre, mais au moins un membre présent, soit Adélard Benjamin, n’en avait aucune connaissance.

[9]               En juin 2012, le Conseil a donné son approbation à l’entente entre Résolu et Uapats, et Uapats a entrepris ses activités. C’est alors seulement que M. Benjamin a été informé de l’existence d’un conflit d’intérêts potentiel. La situation a été acceptée parce qu’elle permettait l’emploi de plusieurs membres de la collectivité de façon tacite, sans décision formelle ou procès-verbal de la rencontre du Conseil au cours de laquelle la décision avait été prise.

[10]           Le 17 août 2012, à la suite d’une élection, M. René Simon est devenu chef de la Première Nation et il y a eu plusieurs changements au sein du Conseil. Jean-Claude Vollant est devenu responsable de la Direction générale en septembre 2012 et a remplacé Jean-Marie Vollant.

[11]           Après l’élection d’août 2012, M. Riverin a entrepris des démarches en vue de divulguer son conflit d’intérêts potentiel au nouveau Conseil. Aucune enquête ou démarche formelle n’a été faite en réponse à la divulgation.

[12]           À la suite de l’élection, le chef Simon a adopté des politiques et des mesures restrictives afin d’améliorer la transparence au sein de l’administration et d’éliminer les conflits d’intérêts. Toutes les directions en poste, dont celle de M. Riverin, en ont été avisées. Durant cette même période, il y a eu une refonte de l’administration de la Première Nation, ce qui a entraîné l’élimination de cinq directions et la fusion de cinq secteurs, dont celui des affaires économiques et des ressources naturelles.

[13]           Du 21 novembre au 18 décembre 2012, les relations entre M. Riverin et le directeur général ont été tendues. Le directeur général avait alors avisé M. Riverin que certaines de ses tâches lui seraient retirées. Le 6 décembre, M. Riverin a informé le directeur général qu’il vivait une situation de harcèlement psychologique. Toutefois, il semble qu’à l’issue d’une longue rencontre le 18 décembre 2012, M. Riverin et le directeur général seraient arrivés à s’entendre.

[14]           Le 10 décembre 2012, le Conseil a reçu une plainte sur le conflit d’intérêts potentiel de M. Riverin. En janvier 2013, le Conseil a donné comme mandat à la Direction générale d’entamer une enquête à ce sujet.

[15]           Le directeur général n’a pas réussi à obtenir de renseignements sur le possible conflit d’intérêts de M. Riverin. Le 12 février 2013, il a formellement convoqué M. Riverin à une rencontre le lendemain afin que toute documentation et information pertinente lui soit remise.

[16]           Dans une lettre en date du 13 février 2013, M. Riverin a refusé de donner suite à la demande du directeur général en l’absence d’explications écrites clarifiant le mandat et le fondement juridique invoqués pour enquêter sur les affaires d’une entreprise privée. Il a indiqué que si ces explications ne lui étaient pas fournies, il porterait ses demandes devant le Conseil. De plus, cette lettre a aussi mis la Direction générale en demeure de cesser le harcèlement psychologique dont il disait être victime depuis les échanges du 6 décembre 2012.

[17]           Le 21 février 2013, la Direction générale a obtenu un document démontrant que M. Riverin était actionnaire, administrateur et président d’Uapats.

[18]           Le 11 mars 2013, M. Riverin a obtenu un billet médical lui prescrivant un arrêt de travail d’un mois. Le lendemain, il a déposé une plainte de harcèlement contre la Direction générale auprès de la Commission de santé et sécurité au travail [CSST].

[19]           Le 14 mars 2013, la Direction générale a transmis au chef et au Conseil un rapport préliminaire concernant la conduite de M. Riverin. Ce rapport propose deux recommandations possibles :

La première est d’offrir à Monsieur Riverin l’opportunité de demeurer dans l’organisation dans un rôle différent et des responsabilités inférieures à celles actuelles en échange de l’abandon de ses activités ou intérêts dans la compagnie UAPATS PESSAMIT. La rétrogradation serait la mesure disciplinaire qui s’appliquerait. Toutefois, le danger avec cette option est de reconnaître tacitement qu’une situation apparente ou réelle de conflit d’intérêt [sic] pourrait être acceptable pour l’organisation et que celle-ci soit interprétée comme un acte jurisprudentiel.

La seconde option est plus draconienne. C’est d’appliquer la mesure disciplinaire la plus rigoureuse, soit le congédiement pour cause juste et suffisante. Bien entendu, dans le cas précis de Monsieur Riverin et dans le [sic] mesure où on peut démontrer un réel conflit d’intérêt [sic], c’est la seule possibilité envisageable en tenant compte de l’intérêt public. Bien sûr, il y a toujours lieu de le faire selon les principes de justice naturelle.

[20]           Selon le demandeur, ces recommandations n’ont pu être entérinées à ce moment par une résolution du Conseil en raison de l’impossibilité du Conseil de se prononcer sur la question à cause de l’abstention de certains élus pour des raisons personnelles n’ayant aucunement trait au fond de la question du conflit d’intérêts de M. Riverin.

[21]           Le 4 avril 2013, la plainte de harcèlement psychologique a été rejetée dans son entièreté. Le 15 juillet 2013, M. Riverin a réintégré ses fonctions.

[22]           Au printemps 2014, le Conseil a demandé à M. Riverin de remettre les clés d’une des pourvoiries à un de ses subalternes. Selon M. Riverin, les clés n’étaient pas en sa possession.

[23]           En mai 2014, M. Riverin a posé sa candidature à la chefferie du Conseil. Le 17 août 2014, un nouveau Conseil a été élu et M. Riverin a été défait par le chef Simon.

[24]           En septembre 2014, le directeur général a demandé à M. Riverin de remettre les clés d’une des pourvoiries aux agents territoriaux du Conseil, mais M. Riverin a refusé de le faire.

[25]           Le 21 octobre 2014, le Conseil a adopté la résolution suivante :

Après la présentation du directeur général et les explications de Me Kenneth Gauthier [avocat du Conseil] concernant le dossier de Yan Riverin, le Conseil décide d’entériner la recommandation résultant de cette démarche.

Le directeur général ayant suivi toutes les étapes de la politique d’emploi et qu’il a informé le principal intéressé au sujet de ses manquements, monsieur Yan Riverin ne s’est pas comporté de façon à corriger son comportement. Malgré les nombreux avertissements relativement à ses fautes, les rencontres avec monsieur Riverin et les demandes répétées de se conformer aux directives, la situation n’a pas changée [sic].

Le Conseil autorise le directeur général à procéder au congédiement de Yan Riverin du poste de directeur de Développement économique et que ce congédiement soit effectif le 31 octobre 2014.

[26]           Le 30 octobre 2014, le Conseil a transmis à M. Riverin un avis de congédiement accompagné des motifs suivants :

a)         Vous êtes actionnaire et administrateur ou dirigeant de la Corporation 9255-3601 Québec inc., faisant affaire sous la raison sociale Uapats Pessamit;

b)         Cette corporation dont vous avez le contrôle fait affaire dans des domaines où le Conseil joue un rôle de premier plan ce qui vous place en conflit d’intérêts;

c)         Malgré plusieurs demandes claires et formelles, vous avez refusé catégoriquement de fournir à votre supérieur immédiat des informations quant à vos activités au sein de cette entreprise et celles entourant ladite entreprise;

d)         Vous avez fait preuve d’insubordination à l’égard de votre supérieur immédiat en refusant de suivre les directives qu’il vous avait formulées:

e)         Vous avez à maintes reprises fait preuve d’insubordination, notamment en vous adressant directement au Conseil des Innus de Pessamit sans suivre la ligne de direction;

f)          Vous avez enfreint des ordres et des directives provenant de votre supérieur immédiat;

g)         Vous avez, de mauvaise foi et malicieusement, porté plainte contre votre supérieur immédiat, et ce, sans justification;

h)         Vous avez refusé et/ou négligé d’appliquer les politiques et les orientations indiquées par votre supérieur immédiat;

i)          Vous vous êtes absenté de votre travail et de vos fonctions de façon répétée et sans justification raisonnable;

j)          Vous avez refusé d’effectuer votre prestation de travail en ne soumettant pas à vos supérieurs les différents rapports et budgets annuels [sic] MAINC, obligeant ainsi les autres membres du Conseil ou de l’organisation à effectuer ces tâches;

k)         Vous avez refusé de remettre les clés des installations d’une pourvoirie appartenant au Conseil aux agents territoriaux malgré de nombreuses demandes à cet effet de la part du Directeur général du Conseil;

l)          Votre attitude et votre comportement, au surplus vos activités qui sont incompatibles avec vos fonctions ne correspondent pas aux orientations que le Conseil des Innus de Pessamit entend prendre au niveau des Affaires économiques;

m)        Certaines situations décrites précédemment avaient déjà été dénoncées par les Directions précédentes sans que vous amendiez vos comportements et attitudes.

[27]           M. Riverin a porté plainte pour congédiement injuste conformément à l’article 240 du Code.

[28]           Le 8 juin 2016, Me Bruno Leclerc a conclu que le congédiement de M. Riverin était injuste au sens du Code et qu’il avait droit d’être réintégré dans son emploi.

III.               Décision contestée

[29]           Dans sa décision, Me Leclerc commence par rejeter l’argument préliminaire du Conseil selon lequel M. Riverin ne peut bénéficier des dispositions de la section XIV du Code puisque celles-ci ne s’appliquent pas aux employés qui occupent un poste de directeur et, par conséquent, l’arbitre n’a pas compétence pour entendre la plainte de congédiement injuste. Cette conclusion n’est pas contestée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[30]           L’arbitre prend acte des motifs énoncés dans l’avis de congédiement du 30 octobre 2014 et lance son analyse en décrivant le fardeau incombant au Conseil :

Les nombreux faits allégués dans la lettre P-4, s’ils sont prouvés, peuvent justifier le congédiement du plaignant. Selon la règle de droit, celui qui veut faire valoir un droit — dans ce cas-ci le droit de mettre fin à l’emploi du plaignant — doit prouver les faits qui soutiennent ses prétentions.

[31]           Par la suite, l’arbitre résume les témoignages, la preuve documentaire et les observations des parties. En résumant les observations du Conseil aux paragraphes 135 à 138 de ses motifs, l’arbitre décrit les fonctions du Conseil sans faire référence au développement économique, mais mentionne qu’il n’y a aucune relation contractuelle entre le Conseil et Uapats, que le M. Riverin n’avait aucun pouvoir décisionnel et que le M. Riverin avait divulgué ses intérêts au Conseil de 2010. Il déclare ensuite au paragraphe 145 :

Et, sur cette question de manquement à ses obligations comme sur l’allégation de conflit d’intérêts, je souscris aux arguments du procureur du plaignant.

[32]           L’arbitre conclut sa décision par une analyse très courte de quatre paragraphes dans laquelle il conclut que le Conseil a suivi une procédure inadéquate pour congédier M. Riverin. Il ajoute, en s’appuyant sur les arguments de M. Riverin quant aux allégations de conflit d’intérêts et à la question de manquement à ses obligations, que les actes allégués d’insubordination constituaient en fait une tentative de la part de M. Riverin de faire respecter ses droits. Finalement, il conclut que l’emploi de M. Riverin avait été remis en cause dès 2012 sous un faux prétexte et qu’il avait été congédié de mauvaise foi et pour des raisons politiques.

IV.              Loi pertinente

[33]           M. Riverin a porté plainte pour congédiement injuste en vertu du paragraphe 240(1) du Code :

Plainte

Complaint to inspector for unjust dismissal

 

240 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

240 (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement, may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

 

V.                 Questions en litige

[34]           La seule question en litige est de savoir si la décision de l’arbitre est raisonnable.

VI.              Norme de contrôle

[35]           La norme de contrôle à l’égard des conclusions de fait de l’arbitre est énoncée au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1970, c F-7 : la décision de l’arbitre était‑elle fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait? Cette norme commande un degré élevé de déférence.

[36]           L’application par l’arbitre du critère juridique applicable en matière de congédiement injuste est une question mixte de fait et de droit. On peut ainsi tenir pour acquis qu’on doit chercher à savoir, dans le cadre du contrôle, si la décision de l’arbitre était déraisonnable. De plus, la présence d’une clause privative stricte à l’article 243 du Code indique aussi qu’il convient d’appliquer la norme de la décision déraisonnable et qu’il faut faire preuve d’un degré élevé de déférence à l’égard de l’expertise de l’arbitre (voir Colistro c BMO Banque de Montréal, 2008 CAF 154, au paragraphe 6, et Banque Canadienne Impériale de Commerce c Torre, 2010 CF 105, au paragraphe 7).

VII.            Prétentions des parties

[37]           Le Conseil fait valoir que l’examen de la décision démontre qu’en aucun temps l’arbitre n’a procédé à une véritable analyse des motifs de congédiement, soit l’existence d’un conflit d’intérêts et de gestes d’insubordination. L’arbitre n’a aucunement tenu compte des faits importants avancés par le Conseil à l’appui des motifs du congédiement et a procédé à une analyse partiale. De plus, la décision de l’arbitre est déraisonnable puisqu’il a omis de tenir compte du contexte pertinent. La décision est aussi déraisonnable parce que l’arbitre ne s’est pas prononcé sur les allégations d’insubordination. Enfin, l’arbitre a outrepassé sa compétence en effectuant un contrôle d’une résolution adoptée par le Conseil au lieu d’analyser les deux motifs de congédiement invoqués par le Conseil.

[38]           M. Riverin avance pour sa part que l’arbitre a raisonnablement analysé le bien-fondé de la preuve pertinente relative aux allégations de conflit d’intérêts et d’insubordination et que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de son expertise. De plus, l’arbitre avait compétence pour analyser la légalité de la décision prise par résolution du Conseil.

VIII.         Analyse

[39]           Les allégations contre M. Riverin sont, à mon avis, principalement liées à la question centrale de son conflit d’intérêts avec Uapats, mais elles peuvent être catégorisées de la façon suivante : celles qui se rapportent au conflit d’intérêts allégué et celles qui se rapportent à son insubordination.

[40]           Les allégations contenues dans la lettre de congédiement concernant le conflit d’intérêts avec le Conseil sont les suivantes :

Notre client nous indique que vous occupez le poste de directeur du développement économique de Pessamit.

[...]

a)         Vous êtes actionnaire et administrateur ou dirigeant de la Corporation 9255-3601 Québec inc., faisant affaire sous la raison sociale Uapats Pessamit;

b)         Cette corporation dont vous avez le contrôle fait affaire dans des domaines où le Conseil joue un rôle de premier plan ce qui vous place en conflit d’intérêts;

[...]

1)         Votre attitude et votre comportement, au surplus vos activités qui sont incompatibles avec vos fonctions ne correspondent pas aux orientations que le Conseil des Innus de Pessamit entend prendre au niveau des Affaires économiques;

[Je souligne.]

[41]           Les allégations concernant l’insubordination pertinentes quant à la question du conflit d’intérêts sont les suivantes :

c)         Malgré plusieurs demandes claires et formelles, vous avez refusé catégoriquement de fournir à votre supérieur immédiat des informations quant à vos activités au sein de cette entreprise et celles entourant ladite entreprise ;

[...]

e)         Vous avez à maintes reprises fait preuve d’insubordination, notamment en vous adressant directement au Conseil des Innus de Pessamit sans suivre la ligne de direction;

[...]

g)         Vous avez, de mauvaise foi et malicieusement, porté plainte contre votre supérieur immédiat, et ce, sans justification ;

[...]

k)         Vous avez refusé de remettre les clés des installations d’une pourvoirie appartenant au Conseil aux agents territoriaux malgré de nombreuses demandes à cet effet de la part du Directeur général du Conseil ;

[42]           Les alinéas c), e) et g) portent sur le comportement de M. Riverin au printemps 2013, notamment sur la question de savoir s’il a agi avec malveillance afin d’entraver l’enquête qui visait à déterminer s’il était en situation de conflit d’intérêts avec le Conseil. L’allégation à l’alinéa k) concerne le refus de M. Riverin de fournir les clés de la pourvoirie au Conseil en septembre 2014. Uapats utilisait la pourvoirie pour loger ses ouvriers lorsqu’ils travaillaient sur le territoire de Pessamit. Ces allégations ne doivent pas être confondues avec celles qui se rapportent directement au conflit d’intérêts, mais elles sont pertinentes quant aux allégations d’insubordination en lien avec le conflit d’intérêts.

[43]           Mon analyse portera pour commencer sur le caractère raisonnable des motifs de l’arbitre relatifs au congédiement de M. Riverin. J’examinerai ensuite si la décision de congédier M. Riverin était viciée ou si elle était empreinte de mauvaise foi.

A.                 L’analyse de l’arbitre concernant les allégations de conflit d’intérêts était déraisonnable

(1)               Introduction

[44]           En ce qui concerne le conflit d’intérêts en cause en l’espèce, je suis d’avis que l’arbitre a mal interprété le droit. La question centrale était de savoir si les intérêts privés de l’employé étaient incompatibles avec son devoir envers son employeur. Pour déterminer s’il existe un tel conflit d’intérêts, il faut examiner la situation objective du contexte de l’emploi sans tenir compte du comportement fautif allégué de l’employé. Afin de distinguer ce type de conflit d’intérêts de celui impliquant un comportement fautif de la part de l’employé, je qualifie le premier de conflit d’intérêts de situationnel, par opposition à un conflit d’intérêts disciplinaire ou fautif. À mon avis, l’arbitre n’a pas compris ou bien analysé les allégations du Conseil selon lesquelles il était nécessaire de congédier M. Riverin, car il était en conflit d’intérêts avec le Conseil, mais a plutôt considéré que l’affaire avait uniquement trait à la discipline.

[45]           Mon analyse sera structurée comme suit. En premier lieu, j’examinerai le droit en matière de conflits d’intérêts situationnels, en commençant avec la jurisprudence invoquée par M. Riverin devant l’arbitre. En second lieu, j’exposerai le raisonnement sous-tendant ma conclusion que l’arbitre a mal compris les principes pertinents et a plutôt effectué une analyse qui n’était pas pertinente quant aux intérêts conflictuels inconciliables. Je terminerai par l’examen des éléments de preuve qui n’ont pas été examinés par l’arbitre : premièrement, la divulgation par M. Riverin de ses conflits d’intérêts aux membres du Conseil précédent; deuxièmement, l’impossibilité d’avoir une décision à ce sujet avant l’élection d’un nouveau Conseil à l’automne 2014.

(2)               Le Conseil fait valoir que le défendeur était dans une situation de conflit d’intérêts inconciliable

[46]           Les motifs de l’arbitre décrivant les observations du Conseil ne sont pas détaillés, mais l’arbitre a toutefois indiqué que le Conseil a invoqué l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Banque de commerce canadienne impériale c Boisvert, [1986] 2 CF 431 (CAF) [Boisvert]. Dans cette affaire, la Cour a annulé la décision de l’arbitre parce qu’il avait conclu que tous les congédiements ayant une « cause juste » visés par le Code nécessitent un certain degré de faute ou un comportement fautif de la part de l’employé. L’arrêt énonçait également certains principes applicables aux conflits d’intérêts situationnels inconciliables.

[47]           S’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Boisvert, le juge McGuigan n’a pas souscrit à la proposition selon laquelle un comportement fautif était nécessaire pour qu’un congédiement injuste fondé sur un conflit d’intérêts soit juste en vertu du Code. Il a conclu qu’une telle exigence rendrait la définition de conflit d’intérêts trop restrictive. Je cite les paragraphes 28 et 35 de l’arrêt Boisvert qui portent sur ces points :

[28] Dans sa plaidoirie, la Banque nous a invités à reconnaître que les faits au dossier établissaient l’existence d’un conflit d’intérêts opposant l’intimée à la Banque. Je suis d’avis que cette caractérisation est trop restrictive : la seule question que soulève le litige est de savoir si, pour reprendre les mots de Lord Esher, supra, « he does anything incompatible with the due or faithful discharge of his duty to his master » [« [l’employé] agit de façon incompatible avec l’exercice régulier ou loyal de ses fonctions »], cette incompatibilité pouvant être établie par un nombre incalculable de situations. Il importe peu que les faits de l’espèce tombent à l’intérieur des limites ordinaires d’un conflit d’intérêts ou pas puisqu’il suffirait qu’ils établissent une incompatibilité avec les devoirs de l’intimée envers son employeur.

[...]

[35] Il ressort de ce passage que l’arbitre avait une conception tout à fait erronée du droit. À son avis, la juste cause de congédiement exigeait de la part de l’intimée la perpétration d’un acte illégal ou contraire à la loi. Si c’était là le critère applicable, plusieurs des cas de conflits d’intérêts seraient éliminés. Cependant, le critère applicable à la détermination de la faute de l’employé est celui que lord Esher a formulé et que nous avons déjà cité : il vise les actes de l’employé qui sont « incompatible[s] avec l’exercice régulier ou loyal de ses fonctions ».

[Je souligne.]

[48]           Je comprends que lorsque la Cour a renvoyé aux « limites ordinaires d’un conflit d’intérêts » au paragraphe 28, elle avait à l’esprit les situations impliquant un comportement fautif. Dans l’arrêt Boisvert, aucune faute n’avait été attribuée à l’employée de la banque en raison du fait qu’elle avait un conjoint qui avait commis plusieurs vols dans des banques.

[49]           Dans l’arrêt Boisvert, la Cour décrit les autres facteurs pertinents en matière de conflit d’intérêts comme suit au paragraphe 27 :

[27]      [...] Il n’est pas nécessaire de prouver que l’employeur a subi un préjudice réel. Le préjudice virtuel suffit : Empey v. Coastal Towing Co. Ltd., [1977] 1 W.W.R. 673 (C.S. C.-B.); Tozer v. Hutchinson (1869), 12 N.B.R. 540 (C.A. W.-B.). Ainsi que l’écrivait le juge Meldrum dans l’affaire Bursey v. Acadia Motors Ltd. (1979), 28 N.B.R. (2d) 361, à la p. 370 (décision modifiée sur un autre point en appel : (1982), 35 N.B.R. (2d) 587) :

[traduction]

Il n’y a aucune preuve que le défendeur était en quelque sorte lésé par les conflits d’intérêts potentiels. Néanmoins, dans des situations de conflit d’intérêts, la règle de l’épouse de César s’applique. Il ne doit pas seulement être pur, il doit être perçu comme pur.

Il n’importe pas que le comportement de l’employé visait à protéger seulement son propre intérêt et ne cherchait pas à nuire à celui de son employeur : Federal Supply and Cold Storage Co. Of South Africa v. Anghrn & Piel (1910), 80 LJPC 1; Empey v. Coastal Towing Co. Ltd., précité.

[50]           En d’autres mots, l’incompatibilité potentielle ou apparente entre les intérêts de l’employé et ceux de l’employeur est suffisante pour démontrer l’existence d’un conflit d’intérêts. À l’inverse, un conflit d’intérêts situationnel ne nécessite aucun acte répréhensible ou préoccupation concernant l’honnêteté de l’employé.

[51]           Dans ses motifs, l’arbitre a aussi renvoyé à la décision de la Commission des relations du travail du Québec Bergeron c Agence métropolitaine de transport, 2007 QCCRT 482 [Bergeron]. Cette décision fournit une description complète d’un conflit d’intérêts situationnel en plus d’une analyse détaillée des faits dans une situation où aucun comportement répréhensible n’était reproché à l’employé.

[52]           L’arbitre ne s’est toutefois pas fondé sur cette décision pour clarifier les principes relatifs aux conflits d’intérêts situationnels ou comme modèle d’analyse pour ce type d’affaires. Il l’a plutôt citée pour illustrer, au regard de la question de la détermination de la compétence de l’arbitre à l’égard d’un cadre, une situation où l’employé n’avait aucun pouvoir décisionnel. En fait, dans la décision Bergeron, l’employé avait un conflit d’intérêts situationnel malgré le fait qu’il n’avait aucun pouvoir décisionnel, ce qui appuie la conclusion de la Cour que l’arbitre a mal compris la nature du conflit d’intérêts dont il était saisi.

[53]           La décision Bergeron énonce les principes directeurs applicables en matière de conflits d’intérêts situationnels et adopte le passage suivant de la décision Ville de Montréal c Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (AZ-85142046), où l’arbitre décrit le conflit d’intérêts inconciliable comme suit :

La situation de conflit d’intérêts est celle dans laquelle une personne se trouve dans l’obligation ou dans la possibilité d’avoir à choisir entre deux intérêts.

Ces deux intérêts peuvent être soit le sien et celui de son employeur, ou soit l’intérêt d’un de ses amis ou d’une personne qu’il veut servir et l’intérêt de la personne qu’il doit servir.

Avec une telle définition, il n’est pas nécessaire qu’il ait à choisir entre deux intérêts, il suffit qu’il soit dans la situation d’avoir à choisir.

[54]           Après avoir entendu les arguments se rapportant aux conflits d’intérêts situationnels et avoir cité la jurisprudence s’y rapportant, l’arbitre était tenu d’appliquer correctement les principes directeurs et de tenir compte des faits pertinents pour son analyse.

(3)               L’arbitre n’a pas examiné la question des conflits d’intérêts dans le secteur public

[55]           En tant que directeur des Affaires économiques et des Ressources naturelles, M. Riverin a occupé un poste central dans le secteur public de sa collectivité. Les conflits d’intérêts dans le secteur public soulèvent souvent des questions de conflits d’intérêts situationnels. Ce contexte ne semble pas avoir été examiné par l’arbitre.

[56]           Les politiques du Conseil visent expressément le besoin d’éviter les situations de conflits d’intérêts, comme l’indique le paragraphe 2.2.4 des politiques d’emploi du Conseil :

L’obligation d’éviter tout conflit d’intérêts :

Le conflit d’intérêts est lié aux situations où l’employé a un intérêt personnel suffisant pour que celui-ci l’emporte, ou risque de l’emporter, sur l’intérêt public en vue duquel il exerce ses fonctions.

La notion de conflit d’intérêts constitue une notion très large. De fait, il suffit pour qu’il ait conflit d’intérêts, qu’il existe une situation de conflit potentiel, une possibilité réelle que l’intérêt personnel, qu’il soit pécuniaire ou moral, soit préféré à l’intérêt public.

Placé dans une situation où il se croit susceptible d’être en conflit d’intérêts, l’employé doit en informer ses supérieurs afin que soient déterminées les mesures qui devront être prises à cet égard.

[Je souligne.]

[57]           Tout d’abord, l’obligation d’informer l’employeur des situations de conflit d’intérêts est une considération pertinente non examinée par l’arbitre lorsqu’il a analysé le refus de M. Riverin de fournir des renseignements concernant son conflit d’intérêts potentiel quand le directeur général le lui a demandé en février 2013.

[58]           De plus, les politiques du Conseil semblent être similaires à celles décrites aux pages 376 à 379 du Traité de droit administratif (2e édition) de René Dussault et Louis Borgeat :

b) Le conflit d’intérêts

D’une manière générale, on peut définir le conflit d’intérêts comme « une situation dans laquelle un employé du secteur public a un intérêt privé ou personnel suffisant pour influencer ou sembler influencer l’exercice de ses fonctions officielles ».

[Note : La note de bas de page se rapportant à cette affirmation décrit en détail le fondement des conflits d’intérêts non disciplinaires fondés sur le principe général de l’incompatibilité des intérêts en ces termes :

Le Manuel de gestion du personnel, supra, note 143, vol. 1, ch. 3, p. 1, donne du conflit d’intérêts la définition suivante : « Il y a conflit d’intérêts réel ou possible quand les affaires ou les intérêts personnels d’un employé sont incompatibles ou semblent être incompatibles avec ses fonctions et attributions officielles, ou semblent l’empêcher d’exercer son jugement de manière à servir les intérêts de la fonction publique. »]

Il y a conflit d’intérêts principalement dans trois types de situations : lorsque le fonctionnaire qui est chargé des contrats, prêts ou subventions du gouvernement peut en retirer des bénéfices financiers; lorsqu’il peut se servir de son pouvoir de décision ou de son influence à l’avantage de groupes ou de personnes avec qui il a des liens d’affaires, d’amitié ou de parenté; celle, enfin, où le fonctionnaire peut utiliser à son profit personnel les informations auxquelles il a un accès privilégié en raison de son emploi.

[...]

Le second type de conflit, qui peut entraîner un jeu d’influence indue, est d’une gravité particulière vu l’importance des répercussions qu’il peut avoir à tous les niveaux de l’Administration, mais principalement à ceux de la prise de décision. Dans cette situation, qui contrevient à la règle fondamentale de justice naturelle, Nemo judex in sua causa, le fonctionnaire ne peut éviter d’être partial dans sa décision.

[Note : La note de bas de page se rapportant à la première phrase de ce paragraphe donne l’exemple pertinent suivant d’une influence indue sur le processus décisionnel :

Comme exemple, l’auteur cite le cas de l’employé qui a un intérêt dans les affaires d’une société ou d’un organisme public (comme une municipalité ou une commission scolaire) et qui peut influencer la décision du gouvernement sur une demande de prêts, de subventions ou autre avantage présentée par cette société ou cet organisme.]

Le troisième type de conflits d’intérêts concerne l’utilisation d’informations privées que le fonctionnaire obtient dans l`exercice de ses fonctions. Le « détournement ›› de l’information au profit d’intérêts privés est prohibé de manière expresse tant au fédéral qu’au Québec.

[Notes omises.]

[59]           Comme nous le verrons plus en détail, l’arbitre n’a ni examiné ni appliqué ces principes directeurs dans son analyse de la situation du défendeur en tant que fonctionnaire. Selon l’arbitre, les conflits d’intérêts semblent plutôt viser les situations où l’employé faisait concurrence à l’employeur, ce qui n’est aucunement pertinent quant aux questions dont nous sommes saisis.

(4)               L’arbitre a mal interprété et appliqué le droit en matière de conflits d’intérêts

[60]           Aux paragraphes 135 à 137 de sa décision, l’arbitre indique avoir souscrit aux observations du défendeur tant en ce qui concerne le droit en matière de conflit d’intérêts que l’application de ce droit aux faits de l’espèce. Par conséquent, l’analyse consiste principalement à énoncer et à confirmer les observations de l’employé à ce sujet.

[61]           Je suis d’avis que, dans son analyse, l’arbitre a mal interprété et appliqué le droit en matière de conflits d’intérêts en commettant les erreurs déraisonnables suivantes pour conclure à l’absence de conflit d’intérêts :

a)      l’arbitre s’est appuyé sur l’absence de concurrence entre le Conseil et la société du défendeur;

b)      l’arbitre n’a pas décrit les intérêts pertinents du Conseil;

c)      l’arbitre s’est appuyé sur l’absence de pouvoir décisionnel du défendeur;

d)      l’arbitre s’est appuyé sur l’absence de relation contractuelle entre le Conseil et la société du défendeur;

e)      l’arbitre s’est appuyé sur la divulgation que le défendeur a faite concernant ses intérêts dans Uapats au Conseil en 2010.

a)                  L’arbitre s’est appuyé sur l’absence de concurrence entre le Conseil et la société du défendeur

[62]           Je conclus que l’arbitre a commis une erreur en se concentrant sur des questions non pertinentes ayant trait à l’obligation de l’employé d’éviter d’être en concurrence avec l’employeur ou de favoriser indûment ses intérêts personnels au détriment de ceux de l’employeur.

[63]           Cette erreur peut être constatée dans la conclusion que l’arbitre formule au paragraphe 135 de ses motifs, où il cite l’une de ses propres décisions, Premier aviation centre de révision inc c Barbeau, 2008 CanLII 50524, dans laquelle il reproduit un extrait d’un ouvrage de Robert P. Gagnon sur le droit du travail qui décrit comme suit le droit applicable en matière de conflits d’intérêts :

[135] M. Riverin était-il en conflit d’intérêts? En premier lieu, le procureur me renvoie aux paragraphes [51] et [52] de la décision que j’ai rendue le 25 août 2008 dans Premier aviation centre de révision inc. et Yves Barbeau où, traitant de cette question sous l’angle de l’obligation de loyauté, j’écris :

« [51] Robert P. Gagnon, dans son ouvrage Le droit du travail du Québec, traitant de l’obligation de loyauté écrit :

114 –Loyauté– Le salarié travaille au bénéfice de son employeur, qui le paie en retour. Ce fait et la bonne foi que l’article 1375 C.c.Q. lui impose dans sa conduite commandent naturellement un comportement honnête et loyal envers l’employeur et son entreprise. L’intensité de l’obligation de loyauté variera selon la nature des fonctions et responsabilités confiées aux salariés, ceux qui assument des responsabilités de direction dans l’entreprise ou qui en sont des employés-clés étant tenus à une obligation plus lourde, apparentée à celle des mandataires envers leurs mandants. Dans tous les cas, le salarié doit s’interdire un comportement malhonnête envers son employeur ou de nature à porter atteinte à sa réputation sans motif valable. De même, il doit éviter toute situation de conflit d’intérêts, notamment en favorisant un concurrent de son employeur ou en profitant lui-même indûment de son emploi au détriment de celui-ci.

Sous cette réserve et en l’absence de clause d’exclusivité de service, l’employeur ne peut lui reprocher d’occuper un autre emploi. Rien n’interdit non plus au salarié, en principe, de se préparer à pratiquer éventuellement la même activité que son employeur, soit pour le compte d’un autre employeur, soit pour son propre compte, et d’utiliser les connaissances et l’expérience acquises dans son emploi. Il doit toutefois s’abstenir de toute conduite agressive à l’encontre des intérêts de son employeur tant qu’il est à son service, et même, à certains égards, après la fin de son emploi.

[52] Comme l’indique cet auteur, rien n’interdit au salarié de pratiquer éventuellement la même activité que son employeur et d’utiliser les connaissances et l’expérience acquises dans son emploi, de même que celles obtenues par la formation qu’il a reçue. Il doit toutefois éviter les situations de conflit d’intérêts et celles qui pourraient l’amener à concurrencer directement ou indirectement son employeur dans le même domaine d’activité pendant qu’il demeure à son emploi. Ce sont-là [sic], à mon point de vue, les règles et les balises qui ressortent des autorités qui m’ont été citées par les avocats des parties ainsi que par la lecture de l’ouvrage de Me Gagnon. »

[Notes omises, je souligne]

[64]           Au paragraphe 136 de ses motifs, l’arbitre poursuit comme suit son analyse en mettant l’accent sur l’absence de concurrence entre le défendeur et le Conseil :

Et, comme son confrère le mentionne dans son argumentation, le Conseil n’est pas une entreprise commerciale ni industrielle, alors que Uapats est une entreprise dont l’activité principale est la sylviculture. Comment ces deux entités peuvent‑elles se faire concurrence?

[65]           Comme il a déjà été mentionné, le passage tiré de l’ouvrage de Me Gagnon porte sur des principes généraux en matière de droit du travail et, en fait, les deux paragraphes cités ci‑dessus comportent les seuls renvois à la question du conflit d’intérêts dans tout l’ouvrage. Ces deux courts paragraphes ne portent que sur les circonstances se rapportant aux employés qui se trouvent en concurrence avec l’employeur ou qui bénéficient des avantages de leur poste au détriment de l’employeur.

[66]           En sa qualité de fonctionnaire, M. Riverin se trouve en situation de conflit d’intérêts, mais pas en concurrence avec le Conseil. Le conflit d’intérêts repose plutôt sur l’incompatibilité entre ses intérêts privés et ses fonctions de cadre supérieur au sein du Conseil. À titre d’employé au service du public pour le compte du Conseil, il est visé par chacune des trois situations pouvant mener à un conflit d’intérêts dans le secteur public relevées par Dussault et Borgeat, et l’arbitre n’en a examinée aucune.

[67]           Tout d’abord, comme tiers fournisseur de services dans le cadre de la relation contractuelle entre Résolu et le Conseil, Uapats retire des bénéfices financiers du poste occupé par le défendeur en exerçant des activités d’exploitation forestière à Pessamit. Ces arrangements ont été établis le 3 mai 2012 lors de la rencontre tripartite entre le Conseil, Résolu (anciennement Abitibi‑Bowater) et Uapats. Le défendeur y a participé à titre de représentant du Conseil alors qu’il n’avait pas divulgué ses intérêts dans la société Uapats.

[68]           La situation du défendeur soulève aussi des préoccupations quant à un conflit d’intérêts apparent et potentiel relativement aux deuxième et troisième types de conflits relevés par Dussault et Borgeat en ce qui concerne les fonctionnaires. Le défendeur occupe un poste de cadre supérieur au sein du Conseil, ce qui lui donne un accès direct à des renseignements confidentiels et à une expertise concernant les projets de développement économique potentiels ou en cours du Conseil. De plus, ses fonctions lui permettent de formuler des recommandations et d’influer sur les décisions relatives au développement économique et à l’exploitation des ressources naturelles susceptibles d’avoir une incidence sur les activités d’Uapats et de profiter à celle‑ci. De plus, comme il ressort de la plainte que le Conseil a reçue en décembre 2012, le conflit d’intérêts est évident aux yeux des membres de la collectivité qui constatent que le haut fonctionnaire chargé du développement économique et de l’exploitation des ressources est également président d’une société qui exerce ses activités dans l’un des principaux secteurs d’exploitation des ressources de leur territoire.

b)                  L’arbitre n’a pas décrit les intérêts pertinents du Conseil

[69]           L’arbitre a omis de reconnaître que la promotion et le développement des activités économiques liées aux ressources de Pessamit faisaient partie des fonctions et des intérêts du Conseil, qui agit pour le compte de la collectivité. Au paragraphe 136 de ses motifs, citant le témoignage de Jean‑Claude Vollant, l’ancien directeur général (à ne pas confondre avec Jean‑Marie Vollant qui a remplacé ce dernier), l’arbitre a énuméré les fonctions suivantes du Conseil :

1.         Protéger et sauvegarder les droits des membres de la collectivité;

2.         Promouvoir les valeurs culturelles et coutumières; et

3.         Assurer des services à la population.

[70]           Compte tenu des questions en litige en l’espèce, la Cour voit difficilement comment l’arbitre pouvait omettre de prendre en considération le rôle important en matière de promotion du développement économique et de l’exploitation des ressources que joue le Conseil pour le compte de la collectivité. J’estime qu’il faudrait admettre d’office que les collectivités du Canada accordent une grande importance à la promotion de leur développement économique. De toute évidence, c’est aussi le cas du Conseil. Il était composé d’un vice‑chef (l’ancien vice‑chef Paul Vollant) et d’un directeur (M. Riverin) qui avaient pour mandat de promouvoir le développement économique de la collectivité.

[71]           Comme il a omis d’inclure le développement économique parmi les fonctions du Conseil, l’arbitre ne disposait d’aucun élément de preuve permettant de conclure à l’incompatibilité entre les intérêts privés de M. Riverin et les intérêts du Conseil. Il s’agit d’une omission déraisonnable, qui explique probablement pourquoi l’arbitre n’a pas analysé l’incompatibilité entre le rôle du défendeur en sa qualité d’employé du Conseil chargé de la promotion des intérêts du Conseil en ce qui concerne le développement économique et l’exploitation des ressources, et son rôle central au sein d’Uapats, société susceptible de retirer des bénéfices des décisions du Conseil en matière de développement économique et d’exploitation des ressources.

[72]           Le défaut de l’arbitre de prendre en considération cet intérêt pertinent et fondamental soulève des préoccupations quant à la transparence de son analyse des faits au regard de ses conclusions. Ces préoccupations s’étendent également à plusieurs autres aspects de l’analyse où des éléments de preuve qui sont incompatibles avec les conclusions de l’arbitre et défavorables au défendeur ne sont pas mentionnés.

c)                  L’arbitre s’est appuyé sur l’absence de pouvoir décisionnel du défendeur

[73]           L’arbitre a ensuite conclu, au paragraphe 137 de ses motifs, que M. Riverin ne se trouvait pas en situation de conflit d’intérêts potentiel parce qu’il n’avait aucun « pouvoir décisionnel »:

[137] Peut‑on parler de conflit d’intérêts potentiel alors que M. Riverin n’a aucun pouvoir décisionnel? Il soumet que cette éventualité n’existe pas, en s’appuyant sur la décision de la commissaire, Arlette Berger, dans Richard Bergeron c. Agence métropolitaine de transport, qui décrit une situation de conflit d’intérêts potentiel comme une situation où l’employé « serait susceptible de faire primer ses intérêts ou ceux d’un tiers sur ceux de son employeur ».

[Notes omises, je souligne.]

[74]           Le fait que le défendeur n’avait pas de pouvoir décisionnel n’est pas pertinent dans ce type d’affaires. Comme le font observer Dussault et Borgeat, « un jeu d’influence indue [...] est d’une gravité particulière vu l’importance des répercussions qu’il peut avoir à tous les niveaux de l’Administration, mais principalement à ceux de la prise de décision ». L’arbitre devait plutôt se demander, si, à titre de directeur des Affaires économiques du Conseil et compte tenu de ses connaissances et de son expertise dans le domaine relevant de ses fonctions, M. Riverin avait la possibilité d’influer sur les décisions du Conseil ou sur les décisions d’autres intervenants participant au développement économique du territoire, ou encore sur les décisions des personnes souhaitant participer à ce type de projets. Au lieu de procéder en bonne et due forme à une telle analyse, l’arbitre a conclu de façon déraisonnable qu’en l’absence de pouvoir décisionnel, le défendeur ne pouvait pas se trouver en situation de conflit d’intérêts.

[75]           J’ai déjà fait remarquer le raisonnement illogique adopté par l’arbitre pour conclure que la décision Bergeron pouvait appuyer la cause du défendeur. Là encore, la question de l’existence du pouvoir décisionnel a été soulevée dans cette affaire uniquement parce que l’arbitre était tenu de déterminer si l’employé pouvait être considéré comme un « cadre supérieur » au sens du paragraphe 3(6) de la Loi sur les normes du travail. Or, malgré l’absence de pouvoir décisionnel, il a été jugé que l’employé avait un conflit d’intérêts dans une situation analogue à celle du défendeur.

[76]           En résumé, je conclus que l’arbitre n’indique pas dans son raisonnement s’il a bel et bien examiné la question de savoir si le défendeur avait un conflit d’intérêts avec son employeur. En d’autres termes, l’arbitre n’a pas tenté de déterminer si une personne raisonnable au fait des circonstances pertinentes estimerait que M Riverin avait, avait peut-être ou semblait avoir des intérêts personnels qui entraient en conflit avec ses obligations envers le Conseil.

d)                  L’arbitre s’est appuyé sur l’absence de relation contractuelle entre le Conseil et la société du défendeur

[77]           Au paragraphe 136 de ses motifs, l’arbitre se fonde sur l’absence de contrat entre Uapats et le Conseil pour conclure que l’employé n’était pas en conflit d’intérêts :

Selon la preuve, le Conseil n’est pas un donneur d’ouvrage dans la foresterie (Adélard Benjamin et Raphaël Picard); Uapats n’a jamais signé de contrat avec le Conseil (Raphaël Picard, Riverin, Arias); MM. Riverin et Arias, associés dans Uapats, ont convenu de ne pas soumissionner sur des contrats dont le donneur d’ouvrage est le Conseil; et, selon Adélard Benjamin, autant Uapats que le Conseil avaient à gagner dans l’attribution de contrats par Résolu à Uapats puisque, pour le Conseil, l’important c’est l’employabilité.

[78]           À mon avis, il s’agit d’une conclusion qui induit en erreur. L’arbitre fait fi de l’ensemble du contexte factuel qui démontre que le Conseil de 2010 a subrepticement joué un rôle s’apparentant à celui d’un partenaire actif en aidant le défendeur à créer sa situation de conflit d’intérêts et à en retirer un avantage.

(i)                  Le Conseil contrôlait qui pouvait mener des activités forestières sur son territoire

[79]           L’arbitre a raison de dire que le Conseil ne donnait pas de contrats d’exploitation forestière, mais la preuve concernant la réunion tripartite du 3 mai 2012 démontre que le Conseil déterminait qui pouvait travailler sur le territoire de Pessamit et qu’il y avait des entreprises qui se disputaient l’attribution du travail. Le Conseil s’est servi de ce pouvoir en exerçant un contrôle sur l’attestation des entreprises participant aux appels d’offres. Faute d’une telle attestation, les entreprises ne pouvaient mener des activités forestières sur le territoire de Pessamit. L’arbitre n’en fait pas mention dans sa décision. Voici un extrait de la page 2 des notes de la réunion du 3 mai 2012 :

M. Benjamin fait une sérieuse mise en garde à Résolu à l’effet qu’il sait que pour avoir la certification FSC, Résolu doit faire la démonstration qu’il entretient des relations harmonieuses avec Pessamit. Pessamit veut voir ses droits sur le territoire mieux reconnus.

M. Villeneuve explique que oui Résolu est en voie de faire certifier le territoire selon la norme FSC mais qu’aucune intention de forcer la main n’est envisagée. M. Villeneuve explique aussi que Résolu ne peut contrôler comment Pessamit répond aux invitations et à la sollicitation faite pour la certification. Toutefois, chez Résolu les gens ont le contrôle sur comment ils perçoivent Pessamit et dans ce sens les gens de Résolu misent sur une approche respectueuse envers la culture innue et envers les besoins de la communauté de Pessamit. La rencontre d’aujourd’hui est un grand pas vers une relation harmonieuse.

[Je souligne.]

(ii)                Le chef en fonction en 2010 et les membres du Conseil ont subrepticement soutenu le défendeur

[80]           Les liens entre le défendeur et Uapats remontent à la constitution de cette société en décembre 2011. Le défendeur a été nommé président d’Uapats, en plus d’occuper un poste de directeur et de faire partie de ses actionnaires. L’arbitre précise que M. Riverin a divulgué ses intérêts dans Uapats à cette époque, mais uniquement au grand chef Raphael Picard, au vice‑chef Paul Vollant et au directeur général Jean‑Marie Vollant. Il ressort de la preuve qu’aucune de ces trois personnes n’a fait part de cette information à d’autres membres du Conseil, du moins elles n’en ont pas parlé au vice‑chef Adélard Benjamin.

[81]           Le grand chef Picard et le vice‑chef Vollant ont choisi d’agir de connivence avec le défendeur en lui permettant de participer à la réunion tripartite du 3 mai 2012 comme représentant du Conseil alors qu’il était aussi président d’Uapats. Même si elle a été qualifiée de séance d’information, cette réunion visait manifestement à obtenir l’accord du Conseil pour permettre à Résolu et à Rexforet de conclure des contrats en vue de mener des activités forestières sur le territoire de Pessamit. En fait, ils se sont servis de l’engagement d’Uapats à effectuer une partie du travail pour essayer de convaincre le Conseil d’appuyer leur soumission au détriment d’autres sociétés. Par conséquent, même s’il n’y avait pas de relation contractuelle directe entre le Conseil et Uapats, des arrangements ont été pris lors de cette réunion pour permettre à Uapats, et donc au défendeur, de retirer des bénéfices financiers.

[82]           Le vice‑chef Benjamin, l’un des participants à la réunion, a témoigné qu’il n’avait été informé des intérêts du défendeur dans Uapats qu’en juin ou en juillet 2012. Cette affirmation était contredite par l’affidavit de M. Arias d’Uapats. L’affidavit en question a été admis en preuve par consentement au motif qu’il s’agissait du témoignage de son déposant. Selon M. Arias, M. Riverin avait communiqué ses intérêts dans Uapats au début de la réunion du 3 mai 2012, mais avait précisé qu’il participait à cette rencontre à titre de représentant du Conseil.

[83]           Malgré cette contradiction évidente et importante dans la preuve, l’arbitre n’a pas essayé de trancher la question de savoir à quel moment le défendeur avait avisé le vice‑chef Benjamin de ses intérêts dans Uapats, mais il s’est fondé sur le témoignage de ce dernier dans ses motifs.

[84]           Je conclus que la question de savoir si le vice‑chef Benjamin avait été avisé du conflit d’intérêts du défendeur lors de la réunion du 3 mai 2012, ou s’il n’en avait été informé qu’après le lancement des opérations d’Uapats en juin, constitue un fait important. Le défendeur ne pouvait en aucun cas ignorer que le vice‑chef Benjamin n’était pas au courant de ses intérêts dans Uapats lorsqu’il a participé à la réunion du 3 mai 2012. Conclure que le défendeur a omis de communiquer ses intérêts au vice‑chef Benjamin établirait de manière irréfutable sa déloyauté envers le Conseil.

[85]           Les éléments de preuve mentionnés dans les motifs de l’arbitre étayent fortement la conclusion selon laquelle M. Benjamin n’a pas erronément témoigné que le défendeur n’a communiqué aucun renseignement de cette nature au début de la réunion du 3 mai 2012. Premièrement, le défendeur n’a pas témoigné qu’il avait divulgué, au début de la réunion, l’existence de son conflit d’intérêts. De toute évidence, c’est à lui qu’il appartenait de témoigner à ce sujet à l’audience, l’affidavit constituant alors du ouï‑dire et étant inadmissible du fait qu’il n’était pas la meilleure preuve disponible. Deuxièmement, les notes détaillées de la réunion, notamment celles au sujet des représentants des parties, ne font pas état d’une telle déclaration, qui aurait dû être d’ailleurs consignée. Troisièmement, le vice‑chef Benjamin n’a pas été contre‑interrogé au sujet de la contradiction entre son témoignage et la preuve par affidavit. Il a été seulement invité à confirmer qu’il a eu connaissance de l’existence du conflit d’intérêts en juin 2012, et non en juin ou en juillet comme il le disait dans sa déclaration initiale. Cela reviendrait apparemment à approuver un arrangement avec Uapats avant que la société ne lance ses opérations en juin. Logiquement, les « boniments » qu’on a servis au vice‑chef Benjamin – seul participant à la réunion qui n’était pas au courant du conflit d’intérêts du défendeur – auraient été beaucoup plus compliqués si le défendeur avait divulgué ses intérêts dans Uapats. Par ailleurs, il est peu probable que M. Benjamin aurait accepté que le président d’Uapats représente le Conseil vu la nature des discussions menées. Quoi qu’il en soit, l’arbitre n’a pas tenu compte de tous ces éléments de preuve ni de leur incidence contextuelle notable sur les événements futurs.

[86]           Le défendeur entretenait également des rapports avec Rexforêt en qualité de superviseur des programmes de formation sur l’exploitation forestière. Rexforêt a été présentée comme un organisme sans but lucratif soutenu par le ministère des Ressources naturelles. M. Stéphane Vachon, qui a témoigné pour le compte du Conseil, a travaillé sur le site de Résolu comme contremaître pour la société Uapats en juin et juillet 2012. Il a déclaré avoir été embauché par M. Riverin à la suite de sa participation à un cours sur la sylviculture donné par le défendeur à titre de superviseur du programme de formation de Rexforêt. Il a ajouté que, lorsqu’il travaillait pour Uapats, M. Riverin était son superviseur. De plus, M. Vachon a affirmé que M. Riverin, qui avait le même horaire de travail hebdomadaire du lundi au jeudi comme tous les autres employés du Conseil, s’était présenté sur le site quatre ou cinq fois au cours des deux mois où il y a travaillé, et a indiqué qu’il fallait probablement plus de trois heures pour se rendre au site. L’analyse de l’arbitre ne faisait état d’aucun de ces renseignements. Ces éléments de preuve vont manifestement au‑delà du conflit d’intérêts puisqu’ils soulèvent des questions de nature disciplinaire. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un exemple évident de la manière dont le défendeur avait irrégulièrement dû choisir entre les intérêts du Conseil et ses propres intérêts dans Uapats.

[87]           Enfin, pour corroborer le fait que les trois parties avaient conclu des ententes qui ont été signées peu de temps après, notamment pour mettre la pourvoirie à la disposition des parties contractantes, avec l’approbation du Conseil, les extraits suivants sont tirés des pages 3 et 4 des notes de la réunion du 3 mai 2012 :

Lors de cette rencontre, Uapats-Pessamit a aussi signifié son intérêt pour du scarifiage [site preparation].

[...]

Pour le scarifiage, M. Villeneuve [un représentant d’Uapats] propose un niveau de 300ha. Les secteurs visés sont dans le secteur de la Toulnustouc. Il y a déjà des surfaces de ciblées et le reste sera dans les coupes de 2012. Les travailleurs pourraient être logés à la Pourvoirie du Lac des Îles, propriété de Pessamit. Cela intéresse vivement les membres du conseil présents.

Pour le scarifiage, M. Villeneuve explique qu’une entente entre Résolu et Rexforêt sera conclue afin que Rexforêt assure la planification et le suivi des travaux de scarifiage. De plus, Resforêt aura la responsabilité de signer un contrat avec Uapats-Pessamit pour l’exécution.

L’entente entre Résolu et Rexforêt sera explicite relativement au niveau de scarifiage à confier à Uapats-Pessamit.

Afin de faciliter les démarches de financement pour Uapats-Pessamit, il est demandé à Résolu de faire parvenir une lettre d’intention précisant les quantités offertes.

M. Villeneuve constate que les gens de Uapats-Pessamit acceptent les quantités offertes.

[Je souligne.]

[88]           En sa qualité de membre du Conseil qui était « vivement intéressé » à permettre aux travailleurs d’Uapats d’être logés dans la pourvoirie du Conseil, le défendeur retire un bénéfice de l’utilisation d’un actif du Conseil générant des revenus dont il est responsable en tant que directeur des Affaires économiques et des Ressources.

[89]           L’arbitre n’a pris en compte aucun de ces éléments de preuve expliquant la manière dont Uapats, et par conséquent le défendeur, tirerait des avantages financiers des ententes que le Conseil était invité à accepter. Comme il a déjà été mentionné, il estimait que, dans la mesure où le Conseil n’avait pas conclu de contrat directement avec Uapats, il n’y avait aucun conflit d’intérêts. Cette conclusion est manifestement déraisonnable.

e)                  L’arbitre n’a tenu compte ni des faits entourant la divulgation par le défendeur de ses intérêts au Conseil de 2010 ni de l’acceptation par ce dernier du conflit d’intérêts du défendeur

[90]           Au paragraphe 138 de ses motifs, l’arbitre énonce sa conclusion selon laquelle le défendeur ne pouvait pas se trouver dans une situation de conflit d’intérêts réel ou potentiel parce qu’il avait divulgué ses intérêts dans Uapats au moment de la constitution de la société, et qu’il avait par la suite obtenu l’autorisation du Conseil de 2010 et du Conseil de 2012 :

[138]    En dernier lieu, au moment de l’incorporation de son entreprise, M. Riverin a divulgué au grand chef, Raphaël Picard, au vice-chef, Paul Vollant, et au directeur général, Jean-Marie Vollant, son implication dans Uapats. De plus, Adélard Benjamin a toujours appuyé Uapats pour l’obtention de contrat de Résolu ou Rexforêt. Il soumet que le code d’éthique, pièce P-6, a été respecté puisque M. Riverin a rempli son obligation d’information. On voit donc mal, selon la preuve, dans quelle mesure ou en vertu de quoi M. Riverin est potentiellement ou réellement en conflit d’intérêts.

[91]           En fait, l’arbitre a omis de prendre en considération les faits pertinents entourant la divulgation par le défendeur de ses intérêts ainsi que l’acceptation apparente de cette situation par les Conseils de 2010 et de 2012.

(i)                  L’acceptation par le Conseil de 2010 du conflit d’intérêts du défendeur

[92]           J’ai déjà fait observer que l’arbitre n’a tenu compte d’aucun des éléments de preuve susmentionnés concernant la première divulgation ciblée et restreinte faite par M. Riverin au grand chef et aux autres personnes en décembre 2011, ni de l’appui subreptice que M. Riverin a reçu de ces membres du Conseil pour ses ententes conclues avec Résolu et Rexforêt en vue d’obtenir l’approbation du Council et de permettre le commencement des activités en juin 2012. Il ressort de la preuve que l’arbitre a fermé les yeux sur ces faits lorsqu’il a conclu que le défendeur avait rempli son obligation de divulguer ses intérêts malgré le fait que certains membres n’en ont été informés qu’en juin 2012, lorsqu’Uapats était devenue opérationnelle.

Le Conseil de 2010 était confronté à un fait accompli

[93]           L’arbitre a raison d’affirmer que le vice‑chef Benjamin a appuyé Uapats en lui permettant d’obtenir le contrat avec Résolu ou Rexforêt, mais il semble que lorsque celui‑ci a appris l’existence du conflit d’intérêts en juin 2012, il a été confronté à un fait accompli. En effet, il ressort de la preuve que lorsque le vice‑chef Benjamin a accepté la situation dans laquelle se trouvait le défendeur, Uapats avait déjà commencé ses activités ou était en mesure de commencer ses activités dès qu’elle obtiendrait l’autorisation de le faire.

[94]           Bien qu’il ne le mentionne pas expressément, l’arbitre s’est appuyé, pour formuler ses conclusions concernant la divulgation du défendeur, sur une partie du témoignage rendu par Adélard Benjamin pour le compte du Conseil, décrit aux paragraphes 97 à 100 de ses motifs :

[97] Selon le compte-rendu que le témoin produit comme pièce E‑33, le but de la rencontre est de discuter d’opportunité économique et passer en revue les principales exigences de la norme FSC boréale. II est invité à cette rencontre par Paul Vollant, vice-chef responsable du développement économique. C’est là qu’il connaît l’existence de Uapats et rencontre pour la première fois ses représentants. II ne sait pas que M. Riverin est actionnaire de Uapats. Quant à Résolu, il déclare que cette entreprise fait toujours des travaux sur les terres revendiquées par les Innus, un territoire qui touche la Côte-Nord et le Saguenay —  Lac Saint-Jean.

[98] À ce moment-là, la communauté rencontre un problème d’employabilité et le Conseil voulait être impliqué dans le domaine forestier autant au niveau sylvicole que pour l’usine de produits. On a rencontré plusieurs compagnies forestières, ce qui semble une obligation en vertu de la norme FSC.

[99] En reconnaissant Uapats, le Conseil y trouve un avantage parce que cela procure de l’emploi aux membres de la communauté et cela permet à Uapats-Pessamit d’obtenir des contrats d’aménagement forestier. Selon le témoin, c’était normal de faire affaire avec Uapats parce que c’était la seule entreprise autochtone impliquée dans la sylviculture. Seulement les entreprises sylvicoles peuvent obtenir des contrats d’aménagement.

[100] Il apprend en juin ou juillet que M. Riverin est actionnaire dans Uapats-Pessamit. Il lui demande de venir expliquer au nouveau Conseil après l’élection du mois d’août 2012 son rôle dans cette entreprise. Ce dernier s’est présenté puisqu’il voulait clarifier sa situation afin qu’il n’y ait pas de malaise au sein de notre organisation.

[Je souligne.]

[95]           La preuve démontre qu’Uapats était opérationnelle dans le mois suivant la réunion du 3 mai 2012. Le témoignage de M. Vachon à ce sujet n’a pas été contredit. Il semble que le Conseil de 2010 ait donné les approbations nécessaires pour les activités de Résolu et d’Uapats à peu près en même temps, soit en juin 2012. Aucune explication n’a été donnée quant à la raison pour laquelle le chef Picard, d’autres membres du Conseil et le directeur général n’ont révélé avoir déjà eu connaissance du conflit d’intérêts du défendeur qu’en juin 2012, époque où Uapats avait déjà commencé ses activités. L’arbitre n’a formulé aucune observation à cet égard.

L’acceptation par le Conseil de 2010 de la situation de conflit d’intérêts était non officielle et reposait sur des renseignements incomplets

[96]           Selon la preuve, même lorsque le vice‑chef Benjamin a appris l’existence des intérêts du défendeur dans Uapats en juin 2012, on lui a dit que le défendeur était un actionnaire de la société. Rien n’indique que le vice‑chef Benjamin était au courant du fait que le défendeur occupait également les postes de président et de directeur de la société.

[97]           Il semble en outre que lorsqu’il est devenu le nouveau directeur général en septembre 2012, Jean‑Claude Vollant n’était pas au courant de tous les intérêts du défendeur dans Uapats. À la suite du refus du défendeur de communiquer des renseignements en février 2013, il n’a appris l’existence de ces intérêts que par l’intermédiaire du registraire des sociétés. Cela indique que tout le processus de divulgation avait pris la forme d’un bouche-à-oreille et que le Conseil n’avait jamais pris de décision formelle. Le chef Picard l’a confirmé dans une certaine mesure en déclarant qu’il n’y avait eu aucune résolution du conseil de bande [RCB], aucun procès‑verbal, ni aucune recommandation écrite formulée par le directeur général lors des réunions où le Conseil avait approuvé les activités d’Uapats sur le territoire de Pessamit. Par ailleurs, rien n’indique que cette question ait fait l’objet d’un avis juridique. Là encore, l’arbitre ne le mentionne pas.

[98]           Même si l’arbitre ne mentionne pas l’absence de corroboration écrite de l’acceptation apparente par le Conseil du conflit d’intérêts du défendeur, je tiens à souligner qu’il semble indiquer que l’absence d’une RCB ou d’une recommandation écrite de congédiement du directeur général donnait à penser que le Conseil avait agi de mauvaise foi en congédiant le défendeur. L’allégation de mauvaise fois a été formulée malgré le fait que la décision a été consignée dans le procès‑verbal de la réunion du Conseil et que, selon les témoignages, la question avait fait l’objet de discussions avec le directeur général et un avocat pendant plus d’une heure avant que le Conseil ne décide à l’unanimité de licencier le défendeur.

Le Conseil de 2010 a accepté la situation de conflit d’intérêts sans avoir évalué les principes pertinents en la matière

[99]           Le chef Picard a déclaré que le Conseil de 2010 a estimé que les circonstances ne donnaient pas lieu à un conflit d’intérêts réel ou potentiel. Il convient de préciser que, malgré son lien de parenté avec le défendeur en raison de son petit‑fils, le chef avait aussi conclu que la politique du Conseil semblait se limiter à la filiation directe. De toute évidence, il s’agit d’une opinion fortement intéressée puisqu’il est universellement reconnu que les grands‑parents éprouvent une grande affection envers leurs petits‑enfants. De plus, en ce qui concerne le conflit d’intérêts, le chef Picard a confirmé que M. Riverin était notamment responsable du développement économique car il facilitait le démarrage des nouvelles entreprises de la collectivité. Il a également confirmé que M. Riverin était chargé de décider où seraient faites les récoltes de bois dans le cadre du plan de gestion forestière du Conseil. Les fonctions de M. Riverin comprenaient aussi la gestion des pourvoiries, qui servaient à héberger les travailleurs d’Uapats. L’arbitre a passé sous silence tous ces éléments de preuve qui permettaient de conclure que le Conseil de 2010 avait accepté le conflit d’intérêts du défendeur sans avoir évalué les principes pertinents.

Le Conseil de 2010 a accordé son appui à Uapats parce que la société employait des membres de la collectivité

[100]       Le chef Picard a témoigné qu’il a appuyé Uapats, tout comme le vice‑chef Benjamin, parce que la société offrait des emplois à une douzaine de personnes de la collectivité. Il m’est difficile d’accepter cette explication pour différentes raisons dont aucune n’a été examinée par l’arbitre. Premièrement, il n’y a pas lieu de croire que ces possibilités d’emploi auraient disparu si le défendeur avait été congédié ou obligé de céder ses intérêts dans Uapats. L’entente conclue avec Résolu et Uapats établissait une relation viable et profitable sur le plan économique pour les deux entreprises et il est peu probable qu’elle aurait pris fin si la situation du défendeur avait changé.

[101]       Deuxièmement, en l’absence d’un processus concurrentiel permettant à d’autres entrepreneurs de faire des appels d’offres en vue de conclure des ententes semblables qui fournissent des emplois aux membres de la collectivité, il n’y a aucune façon de savoir si de meilleures ententes auraient pu être conclues. La preuve donne fortement à penser que la dissimulation des intérêts du défendeur dans Uapats visait à mettre le Conseil devant un fait accompli : une entente déjà conclue et qui emploierait immédiatement des membres de la collectivité pour empêcher le Conseil de prendre en considération d’autres concurrents.

[102]       Troisièmement, et peut-être l’élément le plus pertinent, le fait que le défendeur offrait aux membres de la collectivité des emplois dans son entreprise ne faisait qu’aggraver la situation de conflit d’intérêts dans une petite collectivité comme celle qui était régie par le Conseil. Cette conclusion est confirmée par le témoignage du M. Hervieux au sujet du Conseil du 2012, dont il sera question plus loin. Selon M. Hervieux, les recommandations concernant le licenciement de M. Riverin que le directeur général a formulées en 2013 en raison du conflit d’intérêts sont restées sans réponse parce que certains chefs ont refusé de voter contre M. Riverin parce que’Uapats comptait parmi ses employés plusieurs membres de leurs familles.

[103]       En ce qui concerne la capacité du défendeur à influer sur les décisions du Conseil ou d’y faire obstacle, il est logique que penser que plus le nombre de membres de la bande qui travaillaient pour Uapats était élevé dans une petite collectivité, plus l’influence du défendeur dans le cadre du Conseil était grande, d’où le conflit d’intérêts apparent et potentiel, ce qui aggrave le conflit d’intérêts existant.

Conclusion

[104]       La preuve ne fait état d’aucun examen par le Conseil de 2010 de la situation de conflit d’intérêts dans laquelle se trouvait le défendeur. Elle démontre plutôt qu’une faction du Conseil de 2010, dirigée par un grand chef qui avait des liens de parenté avec le défendeur, a subrepticement soutenu ce dernier, ce qui a engendré un conflit d’intérêts inconciliable en permettant à Uapats d’obtenir des contrats pour mener des activités forestières sur le territoire de Pessamit. Cette situation était incompatible avec les fonctions du défendeur au Conseil comme directeur des Affaires économiques et des Ressources naturelles. L’arbitre n’a ni mentionné ni analysé la preuve qui permettait de tirer cette conclusion. J’estime qu’il était déraisonnable de la part de l’arbitre de conclure que la divulgation du défendeur au Conseil de 2010 sur son conflit d’intérêts et la décision du Conseil de permettre à la société du défendeur de mener des activités sur le territoire de Pessamit démontraient que le défendeur n’était pas « potentiellement ou réellement en conflit d’intérêts ».

B.                 Le Conseil de 2012 a subi l’influence du défendeur

[105]       Il ressort de la preuve que le Conseil de 2012 a reçu, en décembre de la même année, une plainte au sujet du conflit d’intérêts du défendeur. Le Conseil a donné suite à cette plainte, mais le défendeur a refusé de collaborer en ne fournissant pas les renseignements demandés concernant son rôle au sein d’Uapats et ses intérêts dans la société. Après avoir obtenu, par l’intermédiaire du registraire des sociétés, de l’information sur les fonctions du défendeur en tant que président, directeur et actionnaire d’Uapats, le directeur général a conclu à l’existence d’un conflit d’intérêts apparent ou réel et a notamment recommandé le licenciement du défendeur. La preuve établit également que la majorité des membres du Conseil de 2012 n’étaient pas disposés à donner suite à la recommandation du directeur général pour des raisons personnelles, étant donné qu’Uapats comptait parmi ses employés plusieurs membres de leurs familles.

[106]       Dans son analyse, l’arbitre n’a pas cherché à savoir pourquoi la recommandation du directeur général n’avait pas été acceptée, mais a précisé qu’il avait fallu 18 mois et la formation d’un nouveau Conseil pour que le licenciement soit enfin effectué. L’arbitre a ainsi omis de reconnaître qu’une grande partie du retard (soit 16 mois) a été causée par des circonstances d’ordre personnel et politique. L’arbitre n’a pas non plus cherché à savoir s’il était approprié de la part du défendeur de refuser de collaborer avec le directeur général en ne lui fournissant pas les renseignements demandés sur ses intérêts dans Uapats. Il semble aussi faire preuve de tolérance à cet égard, en mentionnant que le défendeur « n’a fait qu’exercer ses droits et tenter de les faire respecter ». J’estime que ces conclusions sont déraisonnables et que, quoi qu’il en soit, qu’elles ne justifiaient pas l’arbitre de ne pas chercher à savoir si, au moment de son congédiement, le défendeur avait ou non un conflit d’intérêts inconciliable.

[107]       Tout de suite après les élections de 2012, le défendeur a porté à l’attention du nouveau Conseil la question de ses intérêts dans Uapats. Son intervention n’a pas eu pour effet de modifier la décision de l’ancien Conseil de tolérer l’existence du conflit d’intérêts. Rien dans la preuve n’indique ce que le défendeur a dit au Conseil de 2012 ni pourquoi ce dernier n’a pas pris à l’époque des mesures concernant le conflit d’intérêts. Il s’agit probablement des mêmes raisons d’ordre personnel que celles pour lesquelles le Conseil a refusé de donner suite à la recommandation du directeur général de licencier le défendeur en mars 2013.

[108]       Toutefois, à la suite d’une plainte déposée en décembre 2012, le directeur général a été appelé à faire enquête sur la question. Il a finalement obtenu lui-même les renseignements demandés après que le défendeur eut refusé de répondre à sa demande d’information. Le 13 mars 2013, le directeur général a fait parvenir au grand chef et au Conseil une lettre recommandant le licenciement du défendeur en raison de son conflit d’intérêts.

[109]       Le Conseil a refusé de prendre en compte la recommandation du directeur général au sujet du licenciement du défendeur. Au paragraphe 108 de ses motifs, l’arbitre explique, en se fondant sur le témoignage de M. Hervieux, que les intérêts personnels de la majorité des membres du Conseil ont empêché ceux‑ci de donner suite à cette recommandation :

[108] En 2012, il est élu au Conseil en même temps que M. René Simon dans un contexte financier très difficile qu’il décrit. Le Conseil décide alors de lutter contre ces situations qui minent la vie de la communauté. On exige alors plus de transparence mais quatre conseillers ont de la parenté qui travaille avec M. Riverin. Le Conseil ne voulait pas donner la gestion entière des dossiers à la direction générale. En 2014, lors de l’élection au Conseil, les acteurs changent et le parti de René Simon obtient la majorité au Conseil. On maximise alors l’utilisation de la direction générale.

[Je souligne.]

[110]       Voilà ce qui permet d’expliquer pourquoi, en mars 2013, on n’a pas donné suite à la recommandation du directeur général de licencier le défendeur. Comme le mentionne l’arbitre, le témoignage du directeur général, résumé au paragraphe 94 de ses motifs, est quelque peu différent et moins clair, mais il va dans le même sens. Selon le directeur général, sa recommandation n’a pas été adoptée parce que la majorité des membres du Conseil n’a pas appuyé la motion pour des raisons personnelles qui n’ont rien à voir avec leurs fonctions :

[L]e chef ne pouvait se prononcer sur le dossier parce que la conjointe du coordonnateur aux pêches siégeait au Conseil, que M. Benjamin, un conseiller, avait soutenu M. Riverin et qu’un autre conseiller, Éric Canapé, a donné comme raison qu’il travaillait ou avait travaillé avec M. Riverin.

[111]       Par conséquent, il était déraisonnable de la part de l’arbitre de conclure que la divulgation faite par le défendeur au Conseil de 2012 ou l’omission de ce Conseil de donner suite à la recommandation du directeur général signifiaient qu’il n’y avait aucun conflit d’intérêts réel ou potentiel. L’acceptation du conflit d’intérêts évident du défendeur, tant par le Conseil de 2010 que par le Conseil de 2012, s’explique par le favoritisme personnel dont les membres ont fait preuve à son égard, ce qui n’avait rien à voir avec leurs fonctions comme membres du Conseil. Ces éléments de preuve ne peuvent raisonnablement permettre de conclure que le conflit d’intérêts du défendeur avait fait l’objet d’un examen adéquat et que le Conseil de 2014 n’était pas en droit d’examiner de nouveau la question sur le fond avec l’assistance d’un conseiller juridique.

[112]       À titre subsidiaire, l’arbitre a évoqué le fait que le défendeur a été licencié 18 mois après que le directeur général eut formulé sa recommandation à cet égard pour justifier sa conclusion au sujet du caractère abusif et politique du licenciement. À mon avis, puisqu’il n’a tenu compte adéquatement ni du contexte ni de la preuve non contredite selon laquelle les Conseils de 2010 et de 2012 n’étaient pas disposés à prendre des mesures contre le défendeur relativement à son conflit d’intérêts en raison des intérêts personnels de leurs membres, l’arbitre n’a pas réussi à saisir la nature circulaire du conflit d’intérêts.

[113]       C’est justement à cause du conflit d’intérêts du directeur qu’Uapats était autorisée à embaucher des travailleurs de la collectivité (et aussi en raison des relations d’ordre personnel ou d’autre nature que le directeur avait avec certains membres du Conseil) que le défendeur a été en mesure d’influer sur les décisions du Conseil, qui se serait autrement prononcé contre le conflit d’intérêts. Ce n’est qu’à la suite d’un changement majeur dans la composition du Conseil en 2014 que le défendeur n’a plus été en mesure d’influer sur les décisions du Conseil et qu’il a fait l’objet d’une décision impartiale quant à sa situation évidente de conflit d’intérêts. Par conséquent, 16 des 18 mois qu’il a fallu au Conseil pour prendre des mesures au sujet du conflit d’intérêts du défendeur après la recommandation formulée par le directeur général en mars 2013 sont attribuables à la situation de conflit d’intérêts elle‑même. L’arbitre a déraisonnablement écarté les éléments de preuve permettant d’expliquer que le laps de temps écoulé avant que le Conseil prenne des mesures était attribuable à l’influence exercée par le défendeur sur les anciens Conseils et il va complètement dans l’autre direction en reprochant au Conseil d’avoir fait preuve de mauvaise foi lorsqu’il a finalement agi au sujet du conflit d’intérêts du défendeur.

(1)               Le défendeur devait fournir des renseignements concernant ses intérêts dans Uapats lorsque le directeur général le lui a demandé, ce qui sanctionnait l’action unilatérale du Conseil au sujet de son conflit d’intérêts

[114]       La question du conflit d’intérêts a été relancée en février 2013 par un événement que le directeur général ne pouvait pas contrôler : deux membres de la collectivité ont déposé auprès du Conseil, en décembre 2012, une plainte concernant le conflit d’intérêts du défendeur. Vers janvier ou février, le Conseil nouvellement constitué a demandé au directeur général de faire le suivi de la plainte et d’en faire rapport. Après avoir demandé informellement plusieurs fois des renseignements au défendeur sur ses intérêts dans Uapats et n’avoir reçu aucune réponse, le directeur général lui a finalement envoyé une lettre, le 12 février 2013, l’invitant à participer à une réunion pour fournir les renseignements demandés et à apporter des documents concernant ses intérêts dans Uapats.

[115]       La lettre prévoyait en substance ce qui suit :

Le Conseil des Innus de Pessamit a déjà été informé que vous étiez actionnaire et administrateur de l’entreprise 9255-3601 Québec Inc. faisant affaire sous la raison sociale Uapats.

En raison de cette information et des plaintes que le Conseil a reçues en regard de vos activités au sein de l’organisation du Conseil et de celles que vous exercez au sein de l’entreprise Uapats, le Conseil m’a mandaté afin de traiter ces plaintes et de lui faire rapport de la situation.

En raison de ce mandat, je vous ai déjà demandé lors d’une rencontre de me fournir des informations supplémentaires et des documents concernant les sujets que j’ai traités avec vous.

Je constate en date des présentes, et malgré ma demande claire et formelle à cet effet, que je n’ai toujours rien reçu et que vous négligez ou refusez de me remettre la documentation et les informations pertinentes.

Nous vous rappelons que le Conseil et la direction générale sont soucieux du code d’éthique dont doivent faire preuve les différentes directions relevant du Conseil.

[Je souligne.]

[116]       On demandait clairement dans la lettre des renseignements sur le possible conflit d’intérêts. Il s’agissait d’une affaire de nature non disciplinaire qui requérait l’examen des intérêts du défendeur et de ceux du Conseil (« en regard de vos activités au sein de l’organisation du Conseil et de celles que vous exercez au sein de l’entreprise Uapats »). Cette demande faisait suite à d’autres demandes visant à obtenir des renseignements.

[117]       L’arbitre a rejeté l’argument que le défendeur aurait mal agi en ne répondant pas à cette lettre et en posant d’autres gestes après avoir reçu cette lettre :

[146]    Quant aux allégations d’insubordination que Jean-Claude Vollant dégage de la mise en demeure que Yan Riverin lui adresse le 13 février 2013, pièce E-24 reproduite au paragraphe [81] de la présente, et son refus d’accepter les ordres de son supérieur, d’avoir enfreint la ligne d’autorité et d’avoir porté plainte malicieusement et de mauvaise foi contre lui, et ce, sans justification, la preuve démontre que Yan Riverin n’a fait qu’exercer ses droits et tenter de les faire respecter.

[Je souligne.]

[118]       Je conclus que cette réponse à la série de questions examinées dans le paragraphe est déraisonnable compte tenu de la pauvreté de l’analyse de la preuve à cet égard et des conclusions qui contredisent la preuve présentée.

[119]       En ce qui concerne la question du possible conflit d’intérêts, l’employé devait chercher de façon proactive à divulguer ses intérêts à l’employeur conformément au paragraphe 2.2.4. de la politique en matière d’emploi :

Placé dans une situation où il se croit susceptible d’être en conflit d’intérêts, l’employé doit en informer ses supérieurs afin que soient déterminées les mesures qui devront être prises à cet égard.

[120]       Le défendeur devait être conscient du fait que la question de son conflit d’intérêts n’était toujours pas réglée, et ce, même s’il n’y avait pas de plainte de la part de membres de la collectivité. Le contexte tortueux de sa première divulgation proactive du conflit d’intérêts et son rôle lors de la réunion du 3 mai 2012, ainsi que le comportement dolosif des membres du Conseil qui lui a permis d’obtenir le contrat d’exploitation forestière sur le territoire des Pessamit étaient à l’origine de son conflit d’intérêts manifeste. De plus, il se sentait obligé d’aller rencontrer les nouveaux membres du Conseil de 2012 immédiatement après l’élection d’août pour expliquer son rôle dans Uapats.

[121]       Même si les Conseils de 2010 et de 2012 ont accepté son conflit d’intérêts, il n’y a jamais eu de preuve écrite corroborant les renseignements qu’il avait fournis au Conseil et sur lesquels celui-ci s’était fondé pour prendre ses décisions. Ce point est important. M. Hervieux a uniquement mentionné que le défendeur était un actionnaire d’Uapats. Fait plus important encore, les seuls renseignements mentionnés dans la lettre de demande du directeur général étaient que M. Riverin était un actionnaire et administrateur d’Uapats. Je pense qu’on peut tenir pour acquis que si le directeur général avait su que le défendeur était le président et PDG d’Uapats, il l’aurait mentionné, puisqu’il s’agit du renseignement additionnel qu’il a obtenu du registre des entreprises du Québec et sur lequel il s’est fondé pour conclure que le défendeur était en conflit d’intérêts apparent et réel avec le Conseil.

[122]       Je suis aussi convaincu que le défendeur était pleinement conscient du fait que sa situation de conflit d’intérêts était, comme le directeur général l’a déclaré lorsqu’il a recommandé au Conseil son renvoi, « lourde de conséquences ». Je suis aussi fermement d’avis qu’il était tout à fait dans l’intérêt du défendeur de donner des réponses évasives au directeur général pour éviter d’avoir à fournir les renseignements demandés et pour décourager le Conseil nouvellement formé d’examiner sérieusement son conflit d’intérêts. Comme nous le verrons, j’estime que c’est tout à fait ce que sa lettre de réponse du 13 février 2013 fait.

[123]       Dans sa lettre, le défendeur impose quatre conditions au directeur général avant d’acquiescer à sa demande d’information concernant ses intérêts dans Uapats :

Afin de me permettre de donner une suite satisfaisante à votre demande, je vous enjoins de me fournir par écrit, les informations suivantes :

        le document officiel vous mandatant à prendre des procédures à mon égard par le Conseil des Innus de Pessamit ;

        la nature exacte des faits reprochés dans un narratif ou un rapport ;

        votre analyse ou rapport qui vous supporte dans cette action d’intrusion dans les affaires d’une entreprise privée ;

        l’obligation de vous fournir des documents confidentiels et personnels sont exigées (sic) en vertu de quelle Loi ou règlement ?

[Je souligne.]

[124]       À mon avis, un employé de niveau de directeur ne peut pas raisonnablement exiger de voir le mandat du directeur général l’autorisant à demander des renseignements concernant des conflits d’intérêts, particulièrement lorsque les politiques du Conseil prévoient clairement une obligation proactive de fournir en premier lieu de tels renseignements. De plus, rien ne justifie le défendeur de demander au directeur général une analyse de quelque forme que ce soit pour que ce dernier soit fondé à obtenir des renseignements sur une entreprise privée qui a des activités sur le territoire des Pessamit. Ce qui est encore plus inapproprié, c’est la tentative du défendeur de qualifier les renseignements demandés de confidentiels et de personnels en invoquant la législation sur la protection de la vie privée. Comme nous l’avons vu, la demande de renseignements était faite « en regard de vos activités au sein de l’organisation du Conseil et de celles que vous exercez au sein de l’entreprise Uapats ». Il s’agit tout à fait du type de renseignements qu’il avait l’obligation de fournir en vertu des politiques du Conseil.

[125]       En ce concerne la demande du défendeur visant à obtenir un rapport sur « la nature exacte des faits reprochés », il convient de répondre qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’une question disciplinaire, mais d’un conflit d’intérêts au regard d’Uapats concernant la compatibilité des fonctions du défendeur au sein d’Uapats et ses fonctions comme directeur des Affaires économiques et des Ressources.

[126]       Pour ces motifs, je conclus qu’il était déraisonnable de la part de l’arbitre de conclure que le refus du défendeur de fournir les renseignements sur son conflit d’intérêts constituait un simple exercice de ses droits. J’arrive à cette conclusion sans égard à la plainte de harcèlement ou des allégations non étayées d’insubordination qui justifieraient une telle violation claire de l’obligation du défendeur de fournir les renseignements demandés, questions que j’examinerai maintenant.

a)                  Rien ne justifiait la plainte de harcèlement du défendeur

[127]       Le refus du défendeur de fournir les renseignements dans sa lettre du 13 février 2013 était clairement accompagné d’une menace de poursuite fondée sur une allégation de harcèlement psychologique de la part du directeur général et du Conseil :

Entretemps, en regard des différentes correspondances que l’on a échangées depuis le 6 décembre 2012 et le manque d’écoute à l’égard de mes plaintes de harcèlement psychologique, je me vois contraint de vous mettre en demeure de cesser ces comportements abusifs et harcelants à mon égard.

[128]       La menace de plainte pour harcèlement a été mise à exécution après que le directeur général a obtenu par lui-même les renseignements pertinents selon lesquels le défendeur était le président d’Uapats, chose dont le directeur général ne semblait pas avoir connaissance précédemment.

[129]       Le défendeur a commencé un congé de maladie le 12 mars 2013 et a déposé dès le lendemain devant la Commission de santé et sécurité au travail [CSST] une plainte de harcèlement visant le directeur général et le Conseil. Le fait que cela ait eu lieu ainsi juste avant la présentation de la lettre du directeur général, datée du 14 mars 2013, recommandant le congédiement du défendeur par un conseil dont des membres étaient favorables aux intérêts du défendeur serait une grande coïncidence.

[130]       La CSST et la Commission chargée de la révision n’ont retenu aucun aspect de la plainte de M. Riverin, qu’elles toutes deux ont rejetée. Les conclusions finales de la formation siégeant en révision étaient les suivantes :

Dans ces circonstances, la preuve ne démontre pas que le travailleur a été soumis sans répit à des attaques répétées, dans un contexte d’escalade, de la part de l’employeur. La perception du travailleur quant à l’aspect harcelant, humiliant et dénigrant des comportements de l’employeur n’est pas corroborée par les faits objectifs disponibles.

La Commission, en révision, est d’avis que la lésion psychique diagnostiquée chez le travailleur est reliée à sa difficulté face au droit de gérance de l’employeur et à des difficultés pouvant se retrouver dans tout milieu de travail. Bien qu’elles ne soient pas souhaitables, ces difficultés ne constituent pas en soi un événement imprévu et soudain et ne sont pas assujetties à la loi.

Par ailleurs, la Commission, en révision, estime que la preuve médicale est nettement insuffisante pour expliquer de manière satisfaisante l’étiologie [the causation of a disease or condition] de la lésion psychique.

[Je souligne.]

[131]       Je lis ces conclusions comme indiquant qu’il y a absence de preuve objective pour étayer la plainte et que la fondation médicale relative à la revendication de harcèlement psychologique est mise en question, c'est-à-dire la bonne foi de l'allégation de détresse émotionnelle. Encore une fois, je conclus que l’arbitre n’a pas examiné toute la preuve qui indiquait que l’emploi du défendeur n’avait jamais été en jeu, que la réduction de ses fonctions ne reposait pas sur un prétexte et que ces actions n’étaient pas contraires aux politiques du Conseil. L’arbitre a aussi omis d’examiner l’argument du Conseil selon lequel la plainte de harcèlement du défendeur était malveillante.

b)                  L’arbitre a omis d’examiner l’ensemble de la preuve relative à la réduction des fonctions du défendeur

[132]       L’arbitre semble avoir conclu que la réduction des fonctions du défendeur à l’automne 2012 constituait une forme de congédiement implicite effectué sous le prétexte que le Conseil avait des difficultés financières, comme il l’a exposé au paragraphe 148 de ses motifs.

[148]    À cet égard, le plaignant était bien fondé de s’interroger sur son avenir dans l’organisation par suite de la modification substantielle de ses conditions de travail que lui imposait, a l’automne 2012, le directeur général en lui enlevant ses tâches et fonctions de représentant du Conseil auprès du CDEM et d’autres organismes, sans justification ni raison apparente, et ce, contrairement a son contrat d’emploi défini à P-7 et P-8, sous prétexte que le nouveau Conseil présidé par René Simon, confronté à une situation financière difficile, devait prendre de nouvelles orientations.

[Je souligne.]

[133]       J’examinerai pour commencer la politique du Conseil en matière d’emploi. Le paragraphe 8.1.3 de cette politique explique qu’il y a rétrogradation lorsqu’il y a une réduction des responsabilités accompagnée d’une diminution de salaire. Le salaire du défendeur n’a pas été réduit et il n’aurait pas pu invoquer l’existence d’un congédiement implicite.

[134]       De plus, il ne ressort pas de la preuve que l’emploi du défendeur ait jamais été en danger avant qu’il ne refuse de fournir les renseignements sur le conflit d’intérêts. Selon la lettre du directeur général en date du 14 mars 2013, M. Riverin avait remis en question son futur au sein du Conseil avant que ses fonctions soient réduites en laissant entendre, lors de leur première rencontre en septembre, qu’un accord négocié devrait être conclu pour son départ. De plus, dans sa lettre datée  du 18 décembre 2012 adressée au défendeur, le directeur général l’assurait que rien ne justifiait de conclure que sa réputation serait entachée et que les modifications apportées à ses fonctions de représentation étaient minimes, car elles n’avaient pas d’incidence sur ses principales fonctions, lesquelles demeuraient inchangées. Il a aussi rassuré le défendeur sur le fait que son poste n’était pas en jeu. Il convient de souligner que rien de donnait alors à penser que son poste au sein du Conseil était en danger en raison de son conflit d’intérêts, qui avait été accepté depuis août 2012.

[135]       En fait, la CSST a rejeté, motifs approfondis à l’appui, ces allégations relatives à la réduction des tâches du défendeur en décembre 2012. Elle a conclu, comme nous l’avons vu précédemment, que « [l]a perception du travailleur quant à l’aspect harcelant, humiliant et dénigrant des comportements de l’employeur n’est pas corroborée par les faits objectifs disponibles ».

[136]       Le directeur général a répondu à la plainte du défendeur concernant la réduction de ses tâches en expliquant que le retrait des fonctions de représentation était attribuable au nouveau contexte organisationnel du Conseil et relevait du droit de l’employeur d’exercer son pouvoir discrétionnaire de placer les personnes dans différents postes. Cette explication semble raisonnable eu égard au changement de garde consécutif au départ de l’ancien chef qui était resté en poste pendant 12 ans, particulièrement dans le contexte où ce dernier a favorisé les intérêts du père de son petit-fils.

[137]       Il convient de faire remarquer que, selon la preuve non contredite du directeur général, les questions relatives à la réduction des tâches du défendeur ont été réglées dans le cadre d’une réunion de deux heures qui s’est terminée par une poignée de main et des souhaits mutuels pour le temps des Fêtes.

[138]       Finalement, rien ne contredit les témoignages rendus par Jean-Paul Vollant et M. Hervieux selon lesquels le Conseil de 2012 avait les problèmes économiques et il était nécessaire d’avoir une gestion plus rigoureuse pour redresser la situation et régler d’autres problèmes, comme le manque de transparence en ce qui concerne les activités du Conseil.

c)                  L’arbitre a omis d’examiner l’allégation du Conseil selon laquelle la plainte de harcèlement du défendeur était entachée de malveillance

[139]       Ma conclusion selon laquelle l’arbitre a omis d’examiner adéquatement la preuve qui lui a été soumise est par ailleurs étayée par son omission d’examiner l’allégation du Conseil voulant que la plainte de harcèlement formulée par le défendeur soit entachée de malveillance, particulièrement à la lumière du rejet catégorique de cette plainte par la CSST. Je pense que la question la plus pertinente à laquelle il faut répondre est celle de savoir si la plainte a été déposée par le défendeur dans le but de faire de l’obstruction et d’intimider le Conseil pour qu’il ne prenne pas de mesures à l’égard du conflit d’intérêts.

[140]       Le Conseil a argué sérieusement cette allégation, invoquant à l’appui de nombreuses affaires québécoises en matière d’emploi où il a été jugé que de fausses allégations de harcèlement constituaient un motif valable pour mettre fin à l’emploi d’un employé dans des situations similaires. Dans ces affaires, l’employé avait été averti des risques associés aux fausses déclarations, mais ne les avait pas retirées et les allégations avaient été complètement rejetées. Je remarque que l’arbitre n’a pas rien dit au sujet de la conclusion de la CSST selon laquelle rien ne fondait les allégations de difficultés psychologiques du défendeur, pas même un lien de cause à effet.

[141]       Je trouve déraisonnable la conclusion de l’arbitre qui tient dans une unique phrase au paragraphe 146 de ses motifs portant que l’allégation de harcèlement formulée par le défendeur constituait un simple exercice de ses droits et visait à faire respecter ces droits. Si l’affaire devait être renvoyée pour nouvelle audition devant un autre arbitre, j’ordonnerais que cette question soit réexaminée puisque, selon le droit québécois en matière de travail, il s’agit d’un motif valable de congédiement.

(2)               Le défendeur a un conflit d’intérêts inconciliable au regard de ses fonctions au sein du Conseil

[142]       L’arbitre n’a pas cherché à effectuer une analyse des intérêts du défendeur et de ceux du Conseil pour déterminer s’il existait un conflit inconciliable. Même s’il ne l’a pas fait, je suis convaincu que la preuve au dossier me permet de tirer une conclusion à cet égard. En fait, je conclus qu’il est évident que le défendeur avait un conflit d’intérêts inconciliable avec le Conseil qui constituait un « motif valable » de congédiement en octobre 2014.

[143]       Le défendeur est en conflit d’intérêts réel puisqu’il tire un avantage financier d’Uapats. Il détient des intérêts importants dans Uapats et y occupe un poste de cadre supérieur. Uapats mène des activités de récolte des ressources dans les forêts de Pessamit que le défendeur doit, en tant que haut fonctionnaire travaillant pour le Conseil, développer dans l’intérêt économique de la collectivité.

[144]       Parmi les tâches exercées au nom du Conseil, le défendeur doit contrôler et gérer les activités d’Uapats sur le territoire de Pessamit. Il doit par exemple déterminer quelle forêt cette entreprise peut exploiter. Vu son intérêt personnel dans Uapats et ses fonctions au sein du Conseil, je conclus que le conflit d’intérêts du défendeur correspond à la première catégorie de conflit d’intérêts décrite dans le texte de Dussault et Borgeat : « lorsque le fonctionnaire qui est chargé des contrats, prêts ou subventions du gouvernement peut en retirer des bénéfices financiers ».

[145]       Il a aussi un conflit d’intérêts potentiel apparent qui correspond aux deuxième et troisième catégories mentionnées par les auteurs : « se servir de son pouvoir de décision ou de son influence à l’avantage de groupes ou de personnes avec qui il a des liens d’affaires, d’amitié ou de parenté » et « utiliser à son profit personnel les informations auxquelles il a un accès privilégié en raison de son emploi ».

[146]       Le défendeur a démontré sa volonté de tirer un profit de son expertise en foresterie et de son poste comme directeur des Affaires économiques. S’agissant des intérêts du Conseil, il est la personne clé qui possède l’information et l’expertise sur les questions relatives au développement économique et aux ressources de la collectivité, ce qui le place dans une situation privilégiée pour influencer le Conseil de façons méconnues ou non reconnues qui pourraient favoriser ses intérêts dans Uapats et sa relation avec Résolu et Rexforet.

[147]       Comme directeur des Affaires économiques, le défendeur encourage les nouvelles entreprises à mener des activités dans les territoires gérés par le Conseil, ce qui exige qu’il travaille étroitement avec de nouvelles entreprises ou des entreprises existantes d’exploitation de ressources pour les aider, notamment dans leurs activités d’exploitation des importantes ressources forestières de la collectivité. Le poste donne au défendeur la possibilité de collaborer avec ces entreprises, d’obtenir notamment leurs renseignements financiers confidentiels, de les aider à travailler avec les organismes gouvernementaux et les institutions financières pour obtenir du soutien financier et, de façon générale, d’offrir son expertise pour les questions relatives au développement économique et aux ressources. À l’occasion, son rôle va jusqu’à aider les nouvelles entreprises à élaborer des plans d’affaires et de faisabilité, particulièrement dans le domaine des activités forestières dans lequel il a une grande expertise et de grandes responsabilités.

[148]       Uapats dépend aussi des contrats qu’obtient le Conseil et d’autres relations économiques avec Résolu et Rexforet en raison des profits qui en découlent. L’étendue des conflits d’intérêts potentiels avec le défendeur outrepasse par conséquent les possibles concurrents d’Uapats pour viser aussi les entreprises qui font concurrence à Résolu et Rexforet ou, à l’inverse, les entreprises qui travaillent avec elles sur des projets liés à la collectivité des Innus de Pessamit. Les complications possibles en ce qui concerne les relations d’Uapats avec Résolu et Rexforet augmentent l’étendue et le risque de conflit entre les intérêts de ces entreprises et ceux du Conseil.

[149]       Il pourrait aussi y avoir des désavantages imprévisibles pour le Conseil attribuables aux effets dissuasifs inconnus et incertains associés au fait que le directeur des Affaires économiques et des Ressources du Conseil dirige une entreprise de foresterie privée qui mène ses activités sur le territoire de Pessamit. La situation pourrait décourager les nouvelles entreprises qui découvrent que M. Riverin porte deux chapeaux à entreprendre des activités de développement. Encore une fois, l’effet dissuasif vise aussi l’intérêt financier du défendeur découlant de la relation d’Uapats avec Résolu et Rexforet.

[150]       La situation pose aussi problème au regard de la collectivité pour ce qui est de l’équité et de la capacité du défendeur d’influer sur des décisions du Conseil ou de subalternes, étant donné qu’il agit simultanément comme directeur et président d’Uapats et que de nombreux employés relèvent de lui.

[151]       La façon dont le directeur utilise son temps pendant de la semaine de travail peut poser problème. En effet, les activités du Conseil et Uapats ont lieu en même temps et personne n’est en mesure de savoir comment le défendeur utilise son temps de travail. Il peut souvent être difficile de savoir s’il agit pour le compte du Conseil ou celui d’Uapats.

[152]       Enfin, le défendeur a démontré pourquoi il ne peut pas conserver son poste de directeur en mars 2013 lorsque quatre membres du Conseil n’ont pas été disposés à suivre la recommandation du directeur général de le congédier pour les raisons n’ayant rien à voir avec le conflit d’intérêts.

[153]       Par conséquent, je conclus que directeur avait un conflit d’intérêts inconciliable avec le Conseil et que ce conflit constituait un motif valable pour son congédiement par le Conseil.

C.                 La décision de congédier le défendeur n’était ni entachée d’un vice de procédure ni de mauvaise foi

[154]       Aux paragraphes 143 à 145 de ses motifs, l’arbitre critique le Conseil en raison de ce que j’appellerais son processus décisionnel péremptoire et non étayé. Les paragraphes en question sont reproduits ci‑après :

[144] En me renvoyant à ses passages des notes du juge Iacobucci, le procureur du plaignant m’interroge sur la manière utilisée par l’Employeur pour congédier Yan Riverin et sur les raisons évoquées pour le faire.

[145] Le Conseil, comme toute corporation ou entité publique, parle par résolution. La résolution qui autorise le directeur général « à procéder au congédiement de Yan Riverin », produite comme pièce E-31 et citée au long au paragraphe [94] de la présente, est sibylline. Le premier paragraphe se lit ainsi :

« Après la présentation du directeur général et les explications de Me Kenneth Gauthier concernant le dossier Yan Riverin, le Conseil décide d’entériner la recommandation résultant de cette démarche. » (mes soulignés)

Quelle est cette recommandation qui résulte de quelle démarche? Je ne retrouve aucun élément dans la preuve présentée qui s’apparente à une recommandation, si ce n’est le rapport du 14 mars 2013, pièce E-26, de Jean-Claude Vollant, adressé directement au chef, René Simon, qui n’a manifestement fait l’objet d’aucune discussion au Conseil, puisqu’aucune résolution du Conseil concernant la conduite de Yan Riverin de septembre 2012 à octobre 2014 n’a été produite en preuve.

Au deuxième paragraphe de la résolution E-31, on reproche à Yan Riverin ses manquements et ses fautes sans davantage les préciser.

(1)               Le défendeur a refusé de laisser les clés à la pourvoirie lorsqu’on lui a demandé de le faire en septembre 2014

[155]       Comme autre motif démontrant son insubordination persistante au regard de son conflit d’intérêts, le Conseil allègue que le défendeur a refusé de laisser les clés à la pourvoirie en septembre 2014, ce que j’interprète comme voulant dire qu’il a refusé de céder contrôl de la pourvoirie au Conseil. Cette allégation est pertinente quant au processus décisionnel puisqu’elle fait un pont entre les événements de mars 2013, lorsque le Conseil a refusé de procéder à son congédiement, et son congédiement en octobre 2014.

[156]       Selon l’arbitre, la période de 18 mois démontrait que le congédiement avait été fait de mauvaise foi et était motivé par des considérations de politique consécutives à la perte de l’élection par le défendeur au profit du grand chef Simon en août 2014, mais le Conseil a fait valoir que le refus de la part de M. Riverin de rendre les clés en septembre 2014 constituait un point culminant, ou, comme je le formulerais, un incident déclencheur ayant mené à sa décision de procéder au congédiement. L’arbitre n’a pas tiré de conclusion à l’égard de cet incident, ce qui fait en sorte que le temps écoulé avant que le Conseil prenne des mesures pour congédier le défendeur en octobre 2014 semble n’être lié à aucun événement récent.

[157]       Les seuls éléments de preuve mentionnés relativement à cette question se trouvent au paragraphe 92 des motifs, où l’arbitre renvoie à une note de service datée du 11 février 2014 (pièce E‑30) dans laquelle on informe M. Riverin que « le service des agents territoriaux assumera, à partir de maintenant la surveillance des installations de la pourvoirie du Lac des Îles ». Le directeur général a témoigné que M. Riverin a répondu, lorsqu’on lui a demandé de laisser les clés à la pourvoirie, qu’il ne les avait pas.

[158]       J’ai déjà dit qu’il avait notamment comme responsabilité à titre de directeur des Ressources naturelles, de gérer la pourvoirie, qui serait un actif générant des revenus. Cette responsabilité supposerait qu’il assure en tout temps le contrôle de l’accès aux installations, ou qu’il s’assure que les employés qui relèvent de lui puissent le faire. Par conséquent, le Conseil a considéré qu’il était inadéquat de répondre qu’il n’avait pas les clés. Il aurait dû soit prendre immédiatement des mesures pour savoir où elles se trouvaient, soit changer les serrures afin d’être en mesure d’assurer le contrôle des installations. Ces faits se sont produits alors que le Conseil de 2012 était en poste.

[159]       Quoi qu’il en soit, la demande de remettre les clés à la pourvoirie en février 2014 n’avait apparemment rien à voir avec les actions prises contre le défendeur, mais était plutôt liée aux événements de septembre 2014. Le Conseil a déclaré que le directeur général savait à cette époque que les travailleurs d’Uapats étaient logés sans autorisation dans la pourvoirie du Lac St‑Pierre. M. Riverin aurait refusé de retourner les clés sans aucune justification.

[160]       Comme nous l’avons vu, l’arbitre n’a mentionné dans ses motifs ni la preuve relative à cet incident ni les observations du Conseil. La seule mention se trouve à la dernière phrase du paragraphe 140 des motifs : « le procureur du plaignant conclut en affirmant que la preuve ne démontre aucun élément culminant qui puisse justifier une telle sanction disciplinaire en 2014 imposée sans aucun avertissement préalable à M Riverin qui a un dossier disciplinaire vierge. » Par conséquent, le défendeur ne soutiendrait pas que l’incident n’a pas eu lieu, mais seulement qu’il n’existe pas de preuve d’élément culminant qui justifierait son congédiement sans préavis, vu l’absence de prises de mesures disciplinaires antérieures à son endroit par le Conseil. J’accepte que ceci est la conclusion que l’arbitre a omis de tirer.

[161]       Par ailleurs, à supposer que le Conseil aurait pu démontrer qu’un refus répété, depuis février 2014, de la part de M. Riverin de laisser les clés à la pourvoirie ou que M. Riverin continuait de loger ses travailleurs dans la pourvoirie après qu’on lui ait ordonné de remettre les clés, une telle insubordination éhontée de la part d’un employé qui occupe un poste de cadre et se trouve dans une situation de conflit d’intérêts pourrait constituer un motif valable de congédiement dans le contexte du conflit d’intérêts qui nous occupe.

(2)               La façon dont le défendeur a été renvoyé n’est pas pertinente et n’était pas non plus entachée de mauvaise foi

[162]       Le long passage reproduit par l’arbitre au paragraphe 143 (McKinley c BC Tel, 2001 CSC 38 [McKinley], dans lequel on cite Wallace c United Grain Growers Ltd, [1997] 3 RCS 701 [Wallace]), fait partie de la doctrine relative aux congédiements de mauvaise foi de la common law. Selon cette doctrine, les employés que les employeurs soumettent à un traitement brutal et implacable en les congédiant devraient être recevoir une indemnisation majorée tenant lieu de préavis.

[163]       L’arbitre a dénoncé la façon dont M. Riverin a été renvoyé, notamment : l’absence d’une résolution formelle du Conseil de bande autorisant le congédiement, l’arbitre semblant avoir conclu que la mention de la décision dans le procès-verbal de la réunion du Conseil était insuffisante; l’absence de preuve quant à l’existence d’une recommandation de congédiement, la recommandation faite par le directeur général en mars 2013 ne répondant pas à cet objectif puisqu’on n’y a jamais donné suite; l’absence de détails au sujet de la conduite répréhensible de M. Riverin alléguée dans le procès-verbal de la réunion du Conseil tenue le 21 octobre 2014.

[164]       Comme l’arbitre, j’estime que la décision de mettre fin à l’emploi de M. Riverin ne semble pas être étayée par une documentation interne comme celle qu’avait fournie le directeur général en mars 2013. Le directeur général a témoigné qu’il a discuté des raisons du congédiement avec l’avocat du Conseil pendant une heure lors de la réunion, mais le procès-verbal de la réunion du Conseil ne comporte que la note susmentionnée dans le résumé des faits rapportant la décision unanime de congédier le défendeur. Le Conseil a de toute évidence laissé au directeur général le soin de travailler avec l’avocat du Conseil à la formulation des allégations sur lesquelles reposerait le congédiement de M. Riverin. Celles‑ci ont été communiquées au défendeur dans la lettre de l’avocat datée du 29 octobre 2014.

[165]       On ne m’a pas présenté de jurisprudence qui appuierait la proposition que la nature inattendue du congédiement d’un employé constitue un facteur qui justifie une conclusion de mauvaise foi et une condamnation de l’employeur à verser une indemnité majorée ni que la façon dont est fait le licenciement est un facteur dont il faut tenir compte en vertu de l’article 240 du Code.

[166]       De plus, aucun des facteurs cités par l’arbitre n’est comparable aux motifs justifiant une augmentation de l’indemnité au vu des principes énoncés dans l’arrêt Wallace. On accorde normalement des majorations eu égard au délai de préavis lorsque l’employé est traité de façon brutale après que la décision de mettre fin a son emploi a été prise, pas à l’égard de la façon dont l’employeur a pris la décision. De tels faits font appel au devoir d’agir équitablement, question qui n’est pas en litige en l’espèce. En fait, rien n’indique que l’employeur n’a pas suivi ses politiques en matière d’emploi, a manqué à des principes d’équité ou n’a pas suivi une procédure obligatoire lors du congédiement du défendeur.

[167]       Le dernier point susmentionné aurait pu revêtir une importance considérable. Lorsqu’il y a un renvoi fondé sur un conflit d’intérêts, l’employé se trouve dans une situation où il doit choisir entre les intérêts de son employeur et ses intérêts personnels qui entrent en conflit avec ceux de son employeur. Par conséquent, si un renvoi est fondé sur un tel motif, je pense qu’on devrait donner à l’employé la possibilité d’éliminer le conflit, voire proposer des mesures d’accommodement à l’employé, selon les circonstances. Toutefois, de telles mesures ne s’appliqueraient probablement pas à un employé d’un niveau de directeur.

[168]       Je ne dispose pas de jurisprudence sur la question, mais j’imagine que la situation serait encore plus compliquée dans le cas d’un renvoi d’un employé à la fois pour des questions de conflit d’intérêts inconciliable et d’ordre disciplinaire, comme le refus en l’espèce de ramener les clés à la pourvoirie. Dans de telles circonstances, je penserais logiquement que le préavis de congédiement devrait d’abord porter sur les questions non disciplinaires en offrant la possibilité à l’employé d’éliminer le conflit en mettant fin à ses intérêts dans Uapats, puis mentionner, toujours dans la même lettre, les autres raisons du licenciement de nature disciplinaire, comme les menaces d’intenter des procédures judiciaires contre le Conseil fondées sur des allégations de harcèlement psychologique.

[169]       En l’espèce, je conclus que la preuve démontre que le défendeur n’était pas disposé à fournir les renseignements demandés par le directeur général. Étant donné l’obligation de fournir de façon proactive les renseignements, il incombait au défendeur de s’acquitter de cette obligation avant son congédiement. Son refus de le faire justifiait le Conseil de procéder unilatéralement à son renvoi. De plus, comme nous l’avons vu, la question n’a pas été soulevée devant l’arbitre. Dans les circonstances, il serait trop préjudiciable pour le Conseil que j’examine cette question à ce stade‑ci.

(3)               L’insuffisance des motifs à l’appui de la décision de procéder à un congédiement pour un motif valable ne justifie pas l’infirmation de la décision ou une conclusion de mauvaise foi

[170]       Je suis d’accord avec les affirmations du Conseil selon lesquelles l’arbitre semble procéder à une sorte de contrôle judiciaire de la décision du Conseil de congédier le défendeur. À mon avis, l’arbitre a considéré les critiques concernant la façon dont le renvoi a été fait comme une preuve de mauvaise foi de la part de l’employeur, comme dans la jurisprudence qu’il a citée, à savoir la décision McKinley.

[171]       À mon avis, le défaut de justifier de façon exhaustive la décision de mettre fin à l’emploi de M. Riverin ne constitue pas un facteur dont il faut tenir compte dans le cadre de l’examen d’un congédiement injuste, ni une preuve de mauvaise foi ou de traitement brutal de l’employé dans les circonstances de l’espèce. La preuve démontre que les membres du Conseil ont été informés des raisons du renvoi de M. Riverin au cours de l’heure qu’ils ont passée avec l’avocat et qu’ils ont unanimement décidé qu’il fallait mettre fin à son emploi. On ne critique pas la lettre de licenciement en soi pour ne pas avoir fourni les motifs précis du renvoi. De plus, aucune conduite de l’employeur postérieure au congédiement n’est pertinente en l’espèce. Je conclus qu’il était déraisonnable de la part de l’arbitre de considérer la façon dont la décision avait été prise comme une preuve de la mauvaise foi du Conseil.

[172]       Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus qu’il était déraisonnable de juger que le grand chef Simon et son Conseil avaient agi de mauvaise foi. Étant donné la conduite du défendeur depuis 2012, la méthode utilisée pour le licenciement, soit, de l’aveu général, le recours à un processus décisionnel péremptoire et bref, ne justifie pas une allégation de mauvaise foi. Il n’y a non plus aucune raison de conclure que l’emploi du défendeur était en danger à un quelconque moment avant le réexamen de la situation de conflit d’intérêts au printemps 2013 ni que la réduction de ses fonctions violait les politiques du Conseil en matière d’emploi.

[173]       Enfin, je trouve déraisonnables les conclusions hypothétiques non étayées selon lesquelles le grand chef Simon a intentionnellement utilisé le prétexte de nouvelles orientations et des difficultés financières du Conseil pour menacer de mettre fin à l’emploi du défendeur ou, ultimement, pour le congédier comme représailles pour avoir tenté sans succès de le remplacer comme grand chef.

IX.              Conclusion

[174]       En résumé, deux motifs sérieux me poussent à conclure que la décision de l’arbitre était déraisonnable. Premièrement, ce dernier n’a pas reconnu les principes juridiques applicables qui régissent les conflits d’intérêts et n’a pas ainsi effectué une analyse adéquate des faits pertinents se rapportant à ces principes. Deuxièmement, et de façon un peu similaire, il a déraisonnablement conclu que le Conseil avait agi de mauvaise foi et a ainsi rejeté sommairement, sans véritable analyse, les allégations d’insubordination, notamment celle portant que la plainte de harcèlement du défendeur était entachée de malveillance.

[175]       Je conclus que la décision de l’arbitre selon laquelle M. Riverin n’était pas en situation de conflit d’intérêts doit être annulée. De plus, la preuve dont dispose la Cour est suffisante pour qu’elle se prononce sur le conflit d’intérêts du défendeur, particulièrement lorsque le passage du temps exige la finalité dans cette affaire. Je conclus que le défendeur avait un conflit d’intérêts inconciliable avec son employeur, comme nous l’avons vu précédemment, et que cette situation justifiait son congédiement. Je conclus par ailleurs, sans égard à la question de l’insubordination, que son refus injustifié de coopérer avec le Conseil en refusant de lui fournir des renseignements sur son conflit d’intérêts limitait les options du Conseil quant à la façon de mettre fin à son emploi, question qui de toute manière n’a pas été soulevée en l’espèce.

[176]       Par conséquent, mon ordonnance est similaire à celle rendue par le juge McGuigan dans l’arrêt Boisvert. J’accueille la demande, j’annule la décision de l’arbitre et je renvoie l’affaire à ce dernier étant donné que la situation dans laquelle s’était mis le défendeur, où il y avait incompatibilité entre ses intérêts et les intérêts de son employeur, constituait un motif valable de congédiement sans préavis.

[177]       Si je n’étais pas parvenu à cette conclusion, j’aurais quand même annulé la décision et je l’aurais renvoyée à un autre arbitre en lui enjoignant de déterminer si la conduite du défendeur, notamment sa plainte de harcèlement, son refus de fournir des renseignements au sujet de son conflit d’intérêts et son refus de laisser les clés à la pourvoirie, constituait de l’insubordination.

[178]       Subsidiairement encore, j’aurais également annulé la décision de l’arbitre quant à la réparation. Je conclus qu’il est déraisonnable d’ordonner la réintégration du défendeur dans son poste de cadre supérieur au Conseil au motif que ce dernier a agi de mauvaise foi, de sorte qu’il faudrait qu’un arbitre différent ordonne une réparation appropriée.

[179]       Le demandeur devrait avoir droit à ses dépens en l’espèce. Ceux‑ci doivent être calculés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Si les parties ne s’entendent pas sur les dépens, l’affaire doit être déférée à un officier taxateur pour décision.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      la demande est accueillie;

2.      la décision de l’arbitre est annulée;

3.      l’affaire est renvoyée à l’arbitre étant donné que la situation dans laquelle s’était mis le défendeur, où il y avait incompatibilité entre ses intérêts et les intérêts de l’employeur, constituait un motif valable de congédiement sans préavis;

4.      les dépens du demandeur devraient être calculés conformément à la colonne III du tarif B et, si les parties ne s’entendent pas sur les dépens, ceux‑ci devront être taxés.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1122-16

 

INTITULÉ :

LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT c YAN RIVERIN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MAI 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AnNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 octobre

 

COMPARUTIONS:

Me Kenneth Gauthier

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me François Boulianne

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Kenneth Gauthier

Baie-Comeau (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me François Boulianne

Wendake (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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