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Date : 20171013


Dossiers : IMM-5374-16

IMM-5376-16

Référence : 2017 CF 911

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

ZINNIA GUADALUPE HERNANDEZ OSUNA

et FRANCISCO FRANCO GARCIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire présentées en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration datée du 7 décembre 2016. Dans ces décisions, le commissaire a conclu que l’appel sur l’obligation de résidence des demandeurs avait été abandonné (décision sur l’abandon) après avoir rejeté la demande d’ajournement de l’appel (décision sur l’ajournement).

[2]  À mon avis, la question déterminante est celle du manquement au principe d’équité procédurale lié à la décision du commissaire sur l’ajournement. Pour résumer, la demanderesse et sa famille sont venues au Canada en provenance du Mexique en 2005 et ont obtenu le statut de résidents permanents en 2006. Ils ne sont pas revenus au Canada depuis leur départ en 2006. Étant donné qu’il manquait aux demandeurs 365 jours de résidence au Canada, leur demande de maintien du statut a été rejetée. Ils ont interjeté appel à la Section d’appel de l’immigration.

[3]  Les demandeurs ont demandé un ajournement pour obtenir des documents. La Section d’appel de l’immigration a accueilli leur demande d’ajournement et l’audience a été remise de façon péremptoire.

[4]  Malheureusement, à la date fixée pour l’audience de leur appel, leur ancien avocat était malade en raison d’apnée du sommeil. La nouvelle avocate a déposé l’affidavit de l’ancien avocat, auquel on ne s’est pas opposé et qui contenait les affirmations suivantes :

[traduction]

[5]  Je souffre du syndrome de l’apnée du sommeil et, au cours des deux semaines avant l’audience, je n’ai été capable de dormir que de trois à cinq heures par jour. Au cours des deux semaines précédant le 29 novembre 2016, chaque fois que j’arrivais à m’endormir, j’étais aux prises avec une attaque d’asphyxie et je me réveillais en manquant d’air et, lorsque j’arrivais finalement à maîtriser ma respiration, après avoir vomi, j’étais entièrement réveillé et incapable de me rendormir. Cette dernière situation a fait en sorte que je ne dors que de trois à cinq heures par jour et que je passe mon temps à travailler dans des dossiers pendant la nuit. Je crois avec le recul que mon apnée du sommeil s’est aggravée du fait que j’ai pris vingt-cinq livres et que mon état m’a conduit à perdre la notion du temps.

[6]  En vingt années d’exercice, je n’ai jamais manqué la date d’une audience devant la Cour.

[...]

[9]  Dès que je me suis rendu compte de ce qui précède, j’ai immédiatement téléphoné à la Section d’appel de l’immigration et demandé un ajournement et des directives étant donné que je n’avais jamais manqué la date d’une audience en vingt années d’exercice et que je ne m’étais jamais trouvé dans cette situation auparavant. Lorsque j’ai téléphoné à la greffière, l’audience de l’appel n’avait pas encore commencé et la greffière m’a informé, après que je l’eus mise au courant de ma situation, qu’elle parlerait au commissaire chargé d’entendre l’appel et me rappellerait.

[10]  J’ai attendu l’appel de la greffière, puis j’ai reçu un appel de sa part m’informant que le commissaire comprenait ma situation, mais qu’il voulait que je mette ma demande par écrit et que je la lui envoie. À ce moment, j’ai ressenti un grand soulagement en pensant que la Commission comprenait ma situation étant donné qu’il n’aurait pas été sécuritaire non plus pour moi de conduire de Richmond Hill jusqu’au centre-ville de Toronto dans mon état.

[5]  Il semble que le message de l’ancien avocat ait été transmis à la Section d’appel de l’immigration parce que le commissaire, en rejetant la demande d’ajournement, n’a [traduction] « soulevé aucune objection relativement à la maladie de l’avocat ». Le commissaire a toutefois rejeté la demande d’ajournement du fait qu’[traduction] « aucune raison n’a été donnée pour justifier le défaut des appelants de téléphoner pour comparaître par voie de téléconférence ».

[6]  À mon avis, cela soulève une question d’équité procédurale, c’est-à-dire, le droit d’être représenté qui a fait l’objet de discussion dans l’arrêt Hillary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 51, au paragraphe 34; voir également le paragraphe 28. Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une Cour lorsqu’elle effectue un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[7]  À mon humble avis, la décision relative à l’ajournement n’était pas juste compte tenu de toutes les circonstances. Il n’y a aucun doute que l’ancien avocat était atteint d’une maladie, ce que le commissaire a accepté. L’élément de preuve selon lequel l’ancien avocat a téléphoné au personnel du commissaire n’est pas contesté. L’élément de preuve selon lequel l’ancien avocat attendait les directives du commissaire, et s’est vu demander de présenter sa demande d’ajournement par écrit, est conforme au fait que l’ancien avocat a non seulement envoyé une lettre, mais aussi une lettre d’un médecin et une copie d’une ordonnance pour un somnifère, à la Section d’appel de l’immigration. Je devrais ajouter que le médecin affirmait catégoriquement dans sa lettre que l’ancien avocat n’était [traduction] « pas apte » à travailler et conseillait également à l’ancien avocat de s’abstenir de travailler pendant deux semaines.

[8]  Avec égards encore, dans les circonstances, l’ancien avocat avait toutes les raisons de s’attendre à ce qu’un ajournement soit accordé, et s’était conformé à la demande de la Section d’appel de l’immigration. Comme l’avocat du ministre l’a confirmé, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas d’incompétence professionnelle. À mon avis, le cas présent ne découle pas d’une inconduite ou d’un mépris de l’intérêt supérieur des clients. Il s’agit plutôt d’un cas véritable de maladie documentée et acceptée qui se distingue de l’incompétence d’un point de vue qualitatif. Je note que cet incident était sans précédent dans les vingt années au barreau de l’ancien avocat. Ce qui s’est produit ne constitue pas matière à plainte au Barreau du Haut-Canada, aucune plainte n’a été déposée et nul n’a suggéré d’agir autrement.

[9]  L’ajournement a été refusé non pas parce que l’ancien avocat n’était pas présent – ce qui n’était pas possible –, mais parce que les demandeurs n’ont pas personnellement communiqué avec la Cour par voie de téléconférence. Je ne peux toutefois pas conclure que les demandeurs auraient procédé en l’absence de leur avocat.

[10]  Le défendeur s’est initialement opposé au contrôle judiciaire au motif que l’article 71 de la LIPR pourrait fournir aux demandeurs un motif distinct d’opposition à la décision d’ajournement. Le défendeur a toutefois abandonné cet argument à l’audience.

[11]  En conséquence, il y a lieu d’annuler la décision relative à l’ajournement aux fins de réexamen. Il s’ensuit logiquement qu’il y a également lieu d’annuler la décision relative à l’abandon.

[12]  Bien que les demandeurs aient demandé la certification d’une question d’importance générale portant sur l’article 71, je refuse de certifier cette question parce qu’elle n’est plus soumise devant la Cour et n’est donc pas déterminante : voir, de façon générale, Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Canada (Secrétaire d’État) (1994), 176 NR 4, aux paragraphes 4 à 6; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, aux paragraphes 7 à 10; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Zazai), 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ce qui suit : la demande de contrôle judiciaire est accueillie dans les deux dossiers de la Cour, la décision d’ajourner est annulée, la décision sur l’abandon est également annulée, la demande d’ajournement est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour réexamen par un autre décideur, aucune question n’est certifiée, aucuns dépens ne sont adjugés et une copie du présent jugement et des présents motifs sera versée à chacun des dossiers de la Cour portant les numéros IMM-5374-16 et IMM-5376-16.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-5374-16

IMM-5376-16

 

INTITULÉ :

ZINNIA GUADALUPE HERNANDEZ OSUNA et FRANCISCO FRANCO GARCIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Tanya N. Howell

POUR LES DEMANDEURS

 

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tanya N. Howell

Avocats

Markham (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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