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Date : 20171018


Dossier : IMM-854-17

Référence : 2017 CF 925

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2017

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

HOUR SENG TRIEU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur, Hour Seng Trieu, demande un contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi] de la décision du 27 janvier 2017 de la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a rejeté son appel de la décision d’un agent d’immigration [l’agent] au Haut-commissariat du Canada à Singapour. L’agent avait refusé de délivrer un visa de résidence permanente à l’épouse de M. Trieu, My Nga Ngo. La SAI a mené une évaluation de novo et a conclu que Mme Ngo n’était pas une « épouse » au sens de l’article 12 de la Loi, et du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [les Règlements], car M. Trieu n’avait pas établi que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi ou qu’il est authentique.

[2]               M. Trieu soutient que la SAI a commis une erreur de droit en interprétant mal ou en appliquant mal le paragraphe 4(1) du Règlement et que la SAI a rendu une décision déraisonnable.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                    Les faits

[4]               M. Trieu est un citoyen canadien de 59 ans d’origine chinoise. Son épouse, Mme Ngo, qu’il a tenté de parrainer au Canada, est une résidente du Vietnam âgée de 34 ans d’origine chinoise.

[5]               La présentation de M. Trieu à Mme Ngo a été facilitée par la mère de M. Trieu, une amie de la tante de Mme Ngo. Le couple a commencé une relation en ligne en mars 2011, communiquant principalement par conversation vidéo. Sans l’avoir rencontrée en personne, M. Trieu l’a demandée en mariage en octobre 2011, il s’est rendu au Vietnam en décembre 2011 et a épousé Mme Ngo au Vietnam plus tard ce mois-là, ou au début de janvier 2012 (la preuve est conflictuelle en ce qui concerne la date du mariage).

[6]               M. Trieu s’est rendu au Vietnam en quatre occasions pour rendre visite à Mme Ngo; à la fin de 2011 jusqu’au moment de la célébration du mariage en décembre 2011 ou en janvier 2012, ultérieurement en 2012, en 2014 et en 2015. Il avait également prévu une visite en 2016, qui a été annulée pour des raisons médicales.

[7]               M. Trieu a présenté une demande en vue de parrainer son épouse au Canada en mars 2012. Le couple a été interviewé à Hô Chi Minh-Ville, au Vietnam en juin 2014. L’agent a refusé la demande de visa de résidence permanente en concluant que les exigences visées au paragraphe 4(1) n’étaient pas satisfaites et en soulignant, entre autres choses, les différences d’âge, les incohérences dans leur preuve en ce qui concerne l’argent versé par M. Trieu à son épouse et l’insuffisance de leur connaissance l’un de l’autre.

[8]               M. Trieu a été marié à deux reprises auparavant. Il a marié sa première épouse en 1988 et l’a parrainée par la suite au Canada. M. Trieu et sa première épouse ont deux enfants. Leur mariage a pris fin en 2003. M. Trieu a épousé sa deuxième épouse en Chine en février 2008. La demande de parrainage de sa deuxième épouse a été refusée. M. Trieu a retiré son appel du refus de la demande de parrainage après avoir conclu que le mariage ne fonctionnerait pas. Le mariage a pris fin en 2009.

II.                 La décision faisant l’objet du contrôle

[9]               La SAI a conclu que M. Trieu n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage actuel ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi, ou qu’il était authentique. Par conséquent, l’épouse de M. Trieu n’était pas une « épouse » au sens de l’article 12 et ne pouvait pas être parrainée dans la catégorie du regroupement familial.

[10]           La SAI a examiné les similitudes entre le mariage actuel de M. Trieu avec Mme Ngo et ses mariages antérieurs – plus particulièrement son deuxième. La SAI a souligné que M. Trieu a reconnu qu’il ne connaissait pas bien sa deuxième épouse. La SAI a formulé les commentaires suivants :

[traduction] l’histoire dicte que, à tout le moins à une reprise, avant son mariage actuel, l’un des problèmes était imputable au manque de connaissance de sa deuxième épouse. Cela n’augure rien de bon [...] et qu’il doit y avoir un motif secret pour le mariage et la demande de parrainage relativement rapides, c’est-à-dire pour que la demanderesse [Mme Ngo] obtienne le statut et le privilège et, pour cette raison, l’hypothèse selon laquelle le mariage n’est pas authentique.

La SAI a ajouté que M. Trieu n’avait pas [traduction] « appris des erreurs de ses mariages précédents ». La SAI a qualifié cette situation comme une tendance systématique et a conclu que cette tendance, lorsqu’elle est évaluée avec tous les faits, peut mener à la conclusion que le mariage n’est pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut.

[11]           La SAI a souligné la rapidité avec laquelle le mariage est survenu – de leur présentation en mars à la demande en mariage en octobre, à un mariage à la fin décembre ou en janvier. Même si M. Trieu et son épouse ont déclaré avoir des intérêts communs, la SAI a conclu qu’ils n’étaient pas en mesure d’énoncer desquels il s’agissait. La SAI a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible à propos de la façon dont leur relation avait progressé jusqu’à une demande en mariage dans un laps de temps aussi court, étant donné qu’il s’agissait d’une relation à distance sans contact physique.

[12]           La SAI a examiné la communication entre M. Trieu et son épouse. La SAI a conclu que les conversations vidéo et la communication écrite relevaient [traduction] « de la communication générale qui n’était pas dans le domaine du mariage » et indiquait une relation qui n’est pas authentique et qui visait des fins liées au droit de l’immigration.

[13]           La SAI a reconnu que M. Trieu a rendu visite à son épouse au Vietnam en 2011-2012, qui a mené au mariage, ainsi qu’en 2012, en 2014 et en 2015. La SAI a fait remarquer, toutefois, qu’il n’y a eu aucune visite pendant une période de 16 mois entre la fin 2012 et mai 2014 et que M. Trieu et son épouse ont présenté différentes raisons pour expliquer cet écart.

[14]           La SAI a également reconnu le témoignage de la mère, de la sœur et de la fille de M. Trieu, qui appuyait le mariage. Cependant, la SAI a conclu que ce témoignage ne suffisait pas à remédier à ses préoccupations, y compris en ce qui concerne la rapidité de la célébration du mariage.

[15]           La SAI a conclu qu’il y avait très peu de similitudes dans le couple; en dehors de leur origine ethnique chinoise et tous les aspects positifs de leur relation étaient éclipsés par d’autres préoccupations.

[16]           La SAI a ajouté que le fait que M. Trieu et son épouse soient restés mariés pendant cinq ans ne prouvait pas en soi que leur mariage ait été authentique, faisant observer que, s’il en était autrement [traduction] « les gens resteraient mariés […] sans que le mariage soit authentique, visant principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au Canada ».

[17]           La SAI a examiné le témoignage de Mme Ngo concernant ses projets dans l’éventualité où la SAI rejetterait l’appel. La SAI a conclu qu’on avait peu réfléchi à savoir si le couple vivrait ensemble au Vietnam, faisant observer que [traduction] « une attitude attentiste n’augure rien de bon à cet égard et, par conséquent, affaiblit la preuve ».

III.               Les questions en litige

[18]           M. Trieu fait valoir que la SAI a commis une erreur de droit en confondant et en assimilant les deux volets du critère pour décider si une personne est un « époux » en application du paragraphe 4(1) du Règlement. Il a également soutenu que la décision n’était pas raisonnable: la SAI a commis une erreur en déterminant que le mariage visait l’acquisition d’un statut pour sa femme d’après sa [traduction] « tendance » ou ses antécédents matrimoniaux et en mettant l’accent presque exclusivement sur son deuxième mariage plutôt que de se pencher sur les intentions du couple au moment de leur mariage; la SAI a ignoré la preuve concernant l’authenticité du mariage, qui était également pertinent à l’objet principal du mariage; et, la SAI a commis une erreur en évaluant la preuve depuis une perspective occidentale.

IV.              La norme de contrôle

[19]           La norme de contrôle approprié pour la décision de la SAI, qui est fondée sur une question de faits et de droit, est celle de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable est axée sur « la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » et se penche sur son « appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Il faut faire preuve de déférence envers le décideur.

[20]           Dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux paragraphes 14 et 15, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada a fourni des précisions sur les exigences de Dunsmuir, faisant remarquer que les motifs du décideur devaient être « être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». En outre, lorsque cela est nécessaire, les tribunaux doivent examiner le dossier « pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ».

[21]           La norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si la SAI a confondu et assimilé les deux volets du paragraphe 4(1) du Règlement; en d’autres termes, si la SAI a appliqué le bon critère.

V.                 La SAI n’a pas commis d’erreur de droit; elle n’a pas mal interprété ou mal appliqué le critère énoncé au paragraphe 4(1) du Règlement

[22]           M. Trieu fait valoir que la SAI a assimilé ou confondu les deux volets du critère. Il signale plusieurs extraits de la décision de la SAI où elle a tiré des conclusions selon lesquelles le mariage visait l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi et n’était pas authentique, sans tirer une conclusion distincte à l’égard de chaque volet du critère et sans mentionner la preuve précise sur laquelle elle s’est appuyée pour justifier chaque volet du critère.

[23]           Par exemple, M. Trieu signale le commentaire de la SAI, [traduction] « Cela n’augure rien de bon pour le cas de l’appelant faisant l’objet d’un examen et qu’il doit y avoir un motif secret pour le mariage et la demande de parrainage relativement rapides, c’est-à-dire pour que la demanderesse obtienne un statut et un privilège et, pour cette raison, l’hypothèse selon laquelle le mariage n’est pas authentique ».

[24]           Je suis d’accord que ce commentaire laisse entendre que la conclusion de la SAI quant à l’authenticité du mariage était fondée sur sa conclusion sur son objectif principal plutôt que sur une appréciation distincte de son authenticité à l’heure actuelle. Ce passage et d’autres mentionnés par M. Trieu, s’ils sont lus de manière isolée, pourraient laisser entendre que la SAI n’a pas abordé l’analyse comme un critère à deux volets. Cependant, lorsque la décision est interprétée dans son ensemble, en combinaison avec le dossier, il est manifeste que la SAI a bien compris et appliqué le paragraphe 4(1).

[25]           La SAI a fait remarquer dès le début de sa décision que les critères visés aux alinéas 4(1)a) et b) du Règlement étaient disjonctifs et que, pour que sa demande soit accueillie, un demandeur devait montrer que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi et que le mariage était authentique. Citant Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, [2014] 2 RCF 442 [Gill 2012], la SAI souligne que l’accent temporel des deux volets du critère est distinct. En évaluant si le mariage visait principalement une fin liée à l’immigration, la SAI devrait se concentrer sur le moment du mariage; en évaluant si le mariage est authentique, la SAI devrait se concentrer sur le moment présent.

[26]           La décision, interprétée dans son ensemble, révèle que la SAI a examiné en partie la même preuve en ce qui concerne les deux aspects du paragraphe 4(1) et a tiré certaines conclusions à l’égard des deux volets du critère simultanément. Ce faisant, la SAI n’a commis aucune erreur. Dans Lawrence v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 369 au paragraphe 14, [2017] FCJ No 408 [Lawrence], le juge Southcott a fait remarquer :

[traduction]

[...] la preuve pertinente à un élément du critère peut également être pertinent à l’appréciation de l’autre. Ce point est expressément reconnu au paragraphe 26 de [Singh c. Canada (MCI), 2014 CF 1077, 467 FTR 153], où le juge Brown témoigne de sa compréhension qu’il peut y avoir un recoupement de la preuve lorsqu’il est question de l’objectif principal et de l’authenticité, et ce, malgré les différences sur le plan des références temporelles.

[27]           M. Trieu a également fait valoir que l’assimilation par la SAI des deux volets du critère et de son accent sur son deuxième mariage a fait en sorte qu’elle a ignoré la preuve concernant l’authenticité de son mariage. M. Trieu fait valoir que la preuve de l’authenticité actuelle de son mariage est également pertinente à la décision quant à savoir si le mariage visait des fins d’immigration. M. Trieu signale la jurisprudence qui s’est fondée sur le principe voulant que plus la preuve de l’authenticité du mariage est forte, moins il soit probable que le mariage ait été à des fins d’immigration (Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 834 au paragraphe 12, [2014] ACF no 940 [Sandhu]; Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 FC 902 au paragraphe 15, [2014] ACF no 923).

[28]           Comme le reconnaît le défendeur, les motifs de la SAI sont plus détaillés, voire plus forts à l’égard du premier volet du critère. Cependant, comme il sera expliqué plus loin, la SAI n’a pas ignoré la preuve produite à l’appui de l’authenticité du mariage. Plus important encore, la preuve de l’authenticité du mariage ne peut pas être utilisée pour réfuter les conclusions concernant la fin visée au moment du mariage, car cela compromettrait l’interprétation adéquate de la disposition de la loi.

VI.              La décision est raisonnable

[29]           M. Trieu fait valoir que la SAI s’est longuement attardée sur ses mariages précédents pour conclure que son mariage actuel visait l’acquisition d’un statut ou d’un privilège et n’a pas évalué l’autre preuve concernant les intentions du couple au moment de son mariage. Il souligne que la jurisprudence a établi que la preuve la plus probante de ces intentions est le témoignage des parties (Gill 2012, au paragraphe 33). M. Trieu signale son propre témoignage, qui expliquait en quoi son mariage actuel se distinguait de son deuxième mariage. Il signale également les communications, les visites, les échanges de cartes de souhaits et les photos du couple.

[30]           Je suis d’accord que la SAI a insisté sur le fait que M. Trieu avait été marié à deux reprises auparavant, sur les similitudes entre son deuxième mariage et le mariage actuel ainsi que sur les leçons qu’il aurait dû retenir. La SAI a exagéré les antécédents matrimoniaux de M. Trieu à titre de tendance, puisque ce n’est que son deuxième mariage qui a été de courte durée et qui a connu un dénouement malheureux. Même si le premier mariage de M. Trieu [traduction] « concernait le processus d’immigration », il a également duré 13 ans et ses deux enfants en sont issus. Rien ne suggère que son premier mariage n’était pas authentique. La qualification de la SAI selon laquelle son deuxième mariage était une erreur et ses commentaires selon lesquels il aurait dû en tirer des leçons étaient inutiles, compte tenu du fait que M. Trieu avait reconnu qu’il ne connaissait pas très bien sa deuxième épouse. Cependant, la SAI n’a commis aucune erreur en se penchant sur la motivation qui sous-tendait le mariage actuel compte tenu du fait que les antécédents matrimoniaux constituent une considération importante (Khera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 632 au paragraphe 10, [2007] ACF no 886). Qui plus est, la SAI ne s’est pas fondée exclusivement sur les antécédents matrimoniaux de M. Trieu en concluant que le mariage visait des fins d’immigration.

[31]           Contrairement aux arguments de M. Trieu, la SAI n’a pas ignoré l’autre preuve concernant les circonstances du mariage. La transcription de l’audience révèle que cette question a été longuement approfondie. La SAI s’est penchée sur le témoignage de M. Trieu et de son épouse en ce qui concerne leurs intentions au moment du mariage et l’authenticité de leur mariage. Par exemple, la SAI a mentionné les explications du couple pour expliquer la rapidité de leur mariage. La SAI a expressément souligné qu’elle avait examiné les communications et le témoignage, et qu’elle avait conclu que [traduction] « D’après la preuve, la communication entre l’appelant et la demanderesse, en tenant compte de la culture vietnamienne, ne semble pas indiquer un mariage; elle indique une communication générale qui n’est pas dans le domaine du mariage ». Ces conclusions abordent manifestement la question des intentions du couple au moment du mariage.

[32]           M. Trieu fait également valoir que la SAI a ignoré une preuve solide quant à l’authenticité de son mariage et, par conséquent, la conclusion de la SAI à l’égard de l’objectif du mariage et de son authenticité est déraisonnable. M. Trieu signale les documents communiqués à la SAI, dont : la preuve des voyages au Vietnam pour rendre visite à son épouse en 2011, en 2012 et en 2014; des pages de texte et des impressions de pages Web montrant une communication continue; des douzaines de photos avant, pendant et après le mariage; des lettres d’appui d’amis et de membres de leur famille; des reçus pour les sommes d’argent envoyées par M. Trieu à son épouse; et des cartes de souhaits échangées.

[33]           M. Trieu soutient également que la SAI a commis une erreur en ignorant la jurisprudence qui concluait que plus la preuve de l’authenticité actuelle du mariage est forte, plus il est probable que le mariage ne visait pas principalement des fins d’immigration (Sandhu au paragraphe 12; Lawrence au paragraphe 14). M. Trieu réitère que la SAI s’est attardée presque exclusivement sur son mariage précédent au moment d’évaluer l’objectif principal de son mariage actuel et, ce faisant, elle a exclu l’examen de la preuve de l’authenticité du mariage qui, selon lui, est tout aussi pertinente à l’appréciation de son objectif principal.

[34]           Je ne suis pas d’accord avec le fait que la SAI a ignoré la preuve relative aux fins du mariage ou à son authenticité. Comme je l’ai déjà mentionné, la SAI a examiné quelques-uns des mêmes éléments de preuve qui sont pertinents aux deux volets du critère. Même si, dans certaines circonstances, la preuve de l’authenticité actuelle peut-être pertinente à l’appréciation des fins principales du mariage au moment du mariage, cette preuve n’est pas déterminante pour l’objectif principal. Même si une relation est actuellement authentique, cela ne suffit pas à établir que le mariage ne visait pas des fins d’immigration. Les deux volets du critère doivent être établis.

[35]           L’appréciation par la SAI de la preuve concernant l’authenticité du mariage n’a pas été aussi détaillée que son appréciation de la preuve concernant les fins visées par le mariage. Cependant, la preuve n’a pas été ignorée. La SAI a souligné les visites annuelles de M. Trieu du Vietnam et l’écart de 16 mois en 2013-2014. La SAI a souligné les communications du couple avant son mariage, mais a conclu que celles-ci n’indiquaient pas une relation romantique. La SAI a également souligné la preuve de la relation continue ou actuelle entre M. Trieu et son épouse, y compris leur témoignage, et celui de la famille de M. Trieu, mais n’a pas jugé que celle-ci suffisait à établir que le mariage était authentique.

[36]           De façon plus générale, je ne partage pas le point de vue de M. Trieu voulant qu’en guise de proposition ou principe généraux, la force de la preuve quant à l’authenticité du mariage soit directement liée aux fins du mariage. Il convient de rappeler que le Règlement a été modifié en 2010 afin de préciser que ce critère est disjonctif et que les deux volets doivent être satisfaits. Il faut distinguer la jurisprudence qui porte sur le critère tel qu’il existait avant 2010. La jurisprudence qui a continué de renvoyer à cette proposition est fondée sur des faits particuliers concernant l’authenticité du mariage.

[37]           Dans Lawrence, le juge Southcott a expliqué en quoi la jurisprudence, qui semblait adopter des points de vue différents, à savoir si la preuve de l’authenticité d’un mariage pouvait s’avérer pertinente pour décider si un mariage visait une fin d’immigration, un principe qui a été soulevé dans la jurisprudence antérieure à 2010, pourrait être recoupée avec la jurisprudence qui souligne le fait que le paragraphe 4(1) constitue un critère disjonctif. Aux paragraphes 14 et 15, le juge Southcott a fait remarquer :

[traduction]

[14]      […] Selon mon interprétation, Gill 2014 ne contredit pas l’interprétation du paragraphe 4(1) RIPR voulant qu’il prescrive un critère disjonctif. Au contraire, le point soulevé par le juge O’Reilly au paragraphe 15 de Gill 2014 est que la preuve pertinente à un élément du critère peut également être évidente à l’appréciation de l’autre élément. Ce point est expressément reconnu au paragraphe 26 de Singh, où le juge Brown énonce sa compréhension qu’il peut y avoir un certain recoupement de la preuve lorsqu’il est question de l’objectif principal et de l’authenticité, et ce, malgré les différents sur le plan des références temporelles. De manière similaire, au paragraphe 12 de Sandhu, le juge Martineau déclare qu’une conclusion selon laquelle le mariage est authentique penche de manière importante en faveur d’un mariage ne visant pas l’acquisition d’un statut au Canada, même s’il fait remarquer que la conclusion selon laquelle un mariage est authentique ne suffit pas à déterminer le motif principal. 

[15]      Il est donc manifeste que la preuve qui est antérieure au moment du mariage et qui témoigne de son authenticité (ou de son absence d’authenticité) peut être pertinente à l’appréciation de l’objectif principal. La question qui reste à trancher est de savoir si l’interprétation du paragraphe 4(1) du RIPR par la SAI et son défaut de tenir compte d’une telle preuve équivalent à une erreur susceptible de contrôle en l’espèce. À cet égard, M. Lawrence reconnaît la décision du juge en chef Crampton dans Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1522 [Gill 2012], au paragraphe 32, voulant que le défaut de tenir compte de la preuve postérieure au mariage ne constitue pas nécessairement une erreur :

[32]      Je reconnais qu’il puisse être pertinent d’examiner les éléments de preuve relatifs aux faits survenus après un mariage pour déterminer si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR (Kaur Gill, précité, au paragraphe 8). Cela dit, de tels éléments de preuve ne sont pas nécessairement déterminants, et la SAI n’a pas nécessairement agi de façon déraisonnable en ayant omis de les examiner et de les analyser explicitement.

[38]           Je suis d’accord avec l’appréciation de la jurisprudence du juge Southcott à cet égard. De toute façon, il peut y avoir certains éléments de preuve qui appuient à la fois l’objectif du mariage au moment de celui-ci et son authenticité actuelle. Cependant, chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres.

[39]           En l’espèce, la SAI a examiné certains des mêmes éléments de preuve à l’égard des deux volets et a conclu que le mariage visait des fins d’immigration et qu’il n’était pas authentique. Compte tenu de ma conclusion que la SAI n’a pas ignoré la preuve de l’authenticité et qu’elle a plutôt conclu que celle-ci n’était pas convaincante, il ne m’est pas nécessaire d’examiner de manière détaillée l’argument de M. Trieu selon lequel la SAI aurait dû se pencher sur la preuve solide de l’authenticité du mariage au moment de décider de son objectif.

[40]           M. Trieu fait également valoir que la SAI a commis une erreur en accordant de l’importance à la rapidité du mariage en raison de son défaut d’examiner la preuve, y compris le témoignage de sa sœur, voulant que la période de fréquentation soit traditionnellement de courte durée dans sa culture. Il ajoute que la SAI a commis une erreur en faisant référence à la culture vietnamienne, étant donné que son épouse et lui sont tous d’eux d’origine chinoise.

[41]           À mon avis, la déclaration de la SAI selon laquelle elle avait tenu compte de la [traduction] « culture vietnamienne » dans son appréciation de la nature de la relation et du mariage ne constitue pas une grave erreur de fait, mais plutôt une référence à la culture du pays où le mariage a eu lieu et où vivait l’épouse de M. Trieu. La SAI a indiqué ailleurs dans sa décision que M. Trieu et son épouse sont d’origine ethnique chinoise. La SAI est un tribunal spécialisé et il n’y a aucune raison de douter qu’il ait tenu compte des différences culturelles dans son appréciation de la preuve. La SAI n’était tout simplement pas convaincue, malgré les différences culturelles, que le mariage ne visait pas des fins d’immigration ou qu’il était authentique.

[42]           En conclusion, la décision interprétée conjointement avec le dossier révèle que la SAI a examiné les deux volets du critère énoncé au paragraphe 4(1), qu’elle a examiné une partie de la preuve comme étant pertinente aux deux volets du critère, et qu’elle a tiré des conclusions sur les deux volets du critère conjointement. La SAI s’est penchée sur la question de savoir si, au moment de sa célébration, le mariage visait l’acquisition d’un statut ou d’un privilège et a tiré la conclusion que c’était effectivement son objectif, compte tenu de l’ensemble de la preuve et, plus particulièrement, de la rapidité du mariage, du manque d’éléments de preuve concernant la progression de la relation du clavardage en ligne à la romance, puis au mariage, ainsi que l’absence d’éléments de preuve concernant ce que le couple avait en commun. La SAI a accordé une grande importance au deuxième mariage de M. Trieu, qu’il a exagéré pour en déceler une tendance. Cependant, il était loisible à la SAI d’examiner ses antécédents, qui, comme il est indiqué, ne constituaient pas le seul facteur à l’appui de la conclusion de la SAI selon laquelle le mariage visait l’acquisition d’un statut ou d’un privilège.

[43]           La SAI a également évalué l’authenticité du mariage, en mentionnant certains des mêmes éléments de preuve, y compris la communication dans le couple, l’écart dans leurs visites ainsi que leur incapacité à décrire des intérêts communs. La SAI n’a pas ignoré la preuve présentée, mais n’a pas été convaincue par celle-ci. La SAI a également examiné d’autres éléments de preuve, qui ont été jugés [traduction] « neutres », dont l’importante différence d’âge et les incohérences concernant l’argent versé par M. Trieu à son épouse.

[44]           Dans son ensemble, la décision de la SAI est justifiée, transparente et intelligible, et l’issue est défendable à la lumière des faits et du droit.


JUGEMENT DANS IMM-854-17

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge


ANNEXE A

Les dispositions réglementaires pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Family reunification

Regroupement familial

12 (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

12 (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Bad faith

Mauvaise foi

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(b) is not genuine.

b) n’est pas authentique.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-854-17

 

INTITULÉ:

HOUR SENG TRIEU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 6 septembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS:

Le 18 octobre 2017

 

COMPARUTIONS:

Me Richard Wazana

 

Pour le demandeur

 

Me Catherine Vasilaros

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Wazana Law

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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