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Date : 20171019


Dossier : T‑1427‑15

Référence : 2017 CF 932

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2017

En présence de madame la juge Mactavish

INSTANCE PAR REPRÉSENTATION

ENTRE :

WILLIAM ENGE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE L’ALLIANCE MÉTIS NORTH SLAVE

demandeur

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD, LE GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST, LE CONSEIL DES MÉTIS DE FORT SMITH, LE CONSEIL DES MÉTIS DE HAY RIVER, LE CONSEIL DES MÉTIS DE FORT RESOLUTION ET LA NATION MÉTIS DU TERRITOIRE DU NORD-OUEST

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

TABLE DES MATIÈRES

      

Par.

I.                    Introduction

1

II.                 Les parties métisses

17

III.               L’historique des négociations en vue de la conclusion de l’accord de principe de la Nation

24

IV.              Les discussions avec l’Alliance

33

A.                 L’affaire Mandeville

44

B.                 Les prétentions de l’Alliance

50

C.                 La fin des discussions

65

V.                 La décision à l’examen

69

VI.              M. Enge a-t-il qualité pour présenter la demande en l’espèce au nom des membres de l’Alliance?

78

A.                 M. Enge était-il autorisé à agir au nom des membres de l’Alliance?

82

B.                 L’historique et l’objet de l’article 114 des Règles des Cours fédérales

93

C.                 La suffisance de l’autorité accordée à M. Enge

100

D.                 M. Enge a-t-il établi qu’il peut représenter les intérêts des membres de l’Alliance de façon équitable et adéquate?

119

VII.            Les questions en litige

125

VIII.         La source et la fonction de l’obligation de consulter

130

IX.              L’argument de prématurité du G.T.N.-O.

148

X.                 L’obligation de consulter les membres de l’Alliance a-t-elle pris naissance en l’espèce?

157

A.                 La norme de révision

164

B.                 L’obligation de consulter dans le contexte des Métis

167

C.                 Comparaison entre l’Alliance et la Nation

175

D.                 Conclusion quant à savoir si l’obligation de la Couronne de consulter l’Alliance a pris naissance en l’espèce

189

XI.              La Couronne a-t-elle bien évalué l’étendue de son obligation de consulter l’Alliance?

203

A.                 Le droit applicable à la nécessité d’une évaluation préliminaire de la solidité d’une revendication

206

B.                 La norme de révision applicable

211

C.                 L’évaluation par le Canada de l’étendue de son obligation de consulter l’Alliance

213

XII.            Recours

248

XIII.         Dépens

256

I.                   Introduction

[1]               William Enge est un Métis membre de la communauté métisse de la région du Grand lac des Esclaves des Territoires du Nord-Ouest. Il est également président de l’Alliance Métis North Slave (l’Alliance).

[2]               M. Enge présente la demande de contrôle judiciaire en l’espèce en son propre nom et à titre de représentant des membres de l’Alliance. M. Enge affirme que les membres de l’Alliance et lui possèdent des droits ancestraux de récolte qui ont été reconnus et confirmés par les tribunaux aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), c.11.

[3]               Par la demande en l’espèce, M. Enge s’oppose au caractère suffisant de la consultation menée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord auprès des membres de l’Alliance au sujet de l’accord de principe sur les terres et les ressources de la Nation Métis du Territoire du Nord-Ouest (l’accord de principe de la Nation) approuvé le 31 juillet 2015.

[4]               M. Enge soutient que les membres de l’Alliance sont un peuple métis dont les droits ancestraux de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, dans les Territoires du Nord-Ouest, seront lésés par un accord définitif négocié aux termes de l’accord de principe de la Nation. Il soutient également que le Canada a l’intention d’éteindre les droits ancestraux de récolte dont les membres de l’Alliance sont titulaires dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, malgré le fait que l’Alliance et ses membres ont été en grande partie exclus des négociations en vue de la conclusion de l’accord de principe de la Nation.

[5]               Selon M. Enge, la décision du Canada d’exclure l’Alliance des consultations reposait sur plusieurs erreurs de droit et était, de plus, déraisonnable. En raison de ces erreurs, les parties n’ont pu tenir des discussions justes et véritables sur la façon dont le Canada devrait tenir compte, avant de signer l’accord de principe de la Nation, des droits ancestraux dont sont titulaires les membres de l’Alliance.

[6]               En conséquence, M. Enge soutient qu’il y a lieu de surseoir aux négociations visant la conclusion d’un accord définitif sur les terres et les ressources de la Nation Métis du Territoire du Nord-Ouest (l’accord définitif) jusqu’à ce qu’une consultation sérieuse puisse avoir lieu. Dans le cadre de cette consultation, il y a lieu d’examiner la possibilité de prendre des mesures d’adaptation nécessaires pour répondre aux préoccupations de l’Alliance concernant l’extinction des droits ancestraux de récolte de ses membres en tant que Métis vivant au nord du Grand lac des Esclaves.

[7]               Le ministre des Affaires indiennes et du Nord (Canada) défendeur prétend que la présente affaire ne concerne pas fondamentalement le caractère suffisant de la consultation menée par la Couronne, mais qu’il s’agit plutôt d’une opposition à l’habilité de la Nation Métis du Territoire du Nord-Ouest (la Nation) à agir à titre de représentant adéquat du peuple métis dont les ancêtres autochtones étaient originaires de la région South Slave des Territoires du Nord-Ouest. Le Canada prétend également que l’obligation de consulter ne s’applique pas en l’espèce, les membres de la Nation faisant partie du groupe avec lequel le Canada est en cours de négociation. De façon subsidiaire, le Canada prétend que, si l’obligation de consulter s’applique en l’espèce, il s’en est acquitté adéquatement.

[8]               Le Canada prétend également que M. Enge n’avait pas qualité pour présenter la demande en l’espèce à titre de représentant de l’Alliance. Selon le Canada, M. Enge ne s’est pas vu accorder par les membres de l’Alliance l’autorité de déposer la présente demande, et n’a pris aucune mesure efficace pour connaître leurs opinions dominantes en ce qui concerne l’accord de principe de la Nation. En conséquence, le Canada prétend que M. Enge n’a pas satisfait aux exigences de l’article 114 (la disposition des Règles des Cours fédérales portant sur les actions par représentation).

[9]               Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (G.T.N.‑O.), le Conseil des Métis de Fort Smith, le Conseil des Métis de Hay River et la Nation ont été désignés comme intimés dans le cadre de la présente demande.

[10]           Le G.T.N.-O. reconnaît que l’Alliance avait le droit d’être consultée au sujet de l’accord de principe de la Nation. Il prétend toutefois que, de concert avec le Canada, il a consulté l’Alliance quant aux effets préjudiciables que l’accord de principe de la Nation pourrait avoir sur les droits ancestraux allégués des membres de l’Alliance. Le G.T.N.-O. affirme également qu’une consultation plus approfondie sera menée et, s’il y a lieu, des mesures d’adaptation seront prises à l’approche de la conclusion d’un accord définitif par les parties. Étant donné que la consultation de l’Alliance concernant l’accord définitif est en cours, le G.T.N.-O. prétend que la présente demande est prématurée.

[11]           La Nation est une société enregistrée aux termes de la Loi sur les sociétés, L.R.T.N.-O. ch. S-11 des Territoires du Nord-Ouest. Il s’agit d’un organe représentatif dont le mandat est de servir et de protéger les intérêts des Métis indigènes de la région South Slave qui sont membres des trois conseils défendeurs : le Conseil Métis de Forth Smith, le Conseil Métis de Hay River et le Conseil Métis de Fort Resolution. La Nation et les trois conseils défendeurs seront appelés collectivement « la Nation » dans les présents motifs.

[12]           La Nation indique qu’elle n’est pas partie aux consultations entre le Canada, le G.T.N.-O. et l’Alliance et qu’elle n’a pas l’obligation de consulter l’Alliance. La Nation fait également valoir que la façon dont le Canada ou le G.T.N.-O. a abordé le processus de consultation auprès de l’Alliance est indépendante de sa volonté. 

[13]           La Nation prétend toutefois que, bien que la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Enge vise le caractère adéquat de la consultation, il s’agit, en réalité, d’une opposition au fondement légal ou à l’habilité de la Nation pour conclure l’accord de principe au nom des Métis des Territoires du Nord-Ouest. La Nation nie également que M. Enge avait qualité pour présenter la demande en l’espèce comme instance par représentation qu’il n’a pas satisfait aux exigences de l’article 114 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. En conséquence, la Nation prétend qu’il y a lieu de rejeter la demande en l’espèce pour ce seul motif.

[14]           Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que M. Enge a qualité pour présenter l’application en l’espèce au nom des membres de l’Alliance et que sa demande de contrôle judiciaire n’est pas prématurée. J’ai également conclu que l’Alliance avait le droit d’être consultée quant aux effets préjudiciables que l’accord de principe de la Nation pourrait avoir sur les droits ancestraux de ses membres. Je suis également convaincue que le Canada a commis une erreur en ne partageant pas avec l’Alliance son évaluation préliminaire de la solidité de la revendication des membres de l’Alliance. 

[15]           Le Canada s’étant mépris sur la sévérité des effets qu’un accord définitif sur les terres et les ressources négocié conformément à l’accord de principe de la Nation pourrait avoir sur les droits ancestraux des membres de l’Alliance. Ayant mal compris l’étendue des effets qu’un tel accord pourrait avoir sur les droits ancestraux de récolte des membres de l’Alliance, le Canada a entamé sa consultation avec l’Alliance en se trompant fondamentalement sur la nature et de l’étendue de son obligation de consulter. De plus, sans comprendre complètement la gravité des effets éventuels qu’un accord sur les terres et les ressources aurait sur les droits visés à l’article 35 des membres de l’Alliance, le Canada ne pouvait évaluer adéquatement quelles mesures d’adaptation seraient indiquées, le cas échéant. 

[16]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire de M. Enge sera accueillie.

II.                Les parties métisses

[17]           M. Enge est président de l’Alliance depuis 2004. L’Alliance est une société enregistrée aux termes de la Loi sur les sociétés. Elle représente les membres de la communauté ethnique contemporaine des Métis des Territoires du Nord-Ouest qui revendiquent leurs droits ancestraux en tant que Métis vivant au nord du Grand lac des Esclaves. Le principal objectif de l’Alliance consiste à protéger les droits ancestraux de ses membres dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves.

[18]           L’Alliance prétend compter 283 membres issus d’une collectivité de 500 personnes environ. Je crois comprendre que les parties conviennent qu’un grand nombre de ces personnes ont des liens ancestraux avec le secteur situé au sud du Grand lac des Esclaves. Seuls les « Métis indigènes » peuvent devenir membres de l’Alliance. Depuis 2011, les règlements administratifs de l’organisme interdisent formellement aux personnes inscrites comme « Indiens » aux termes de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 de devenir membres de l’Alliance.

[19]           Aux termes des règlements administratifs de l’Alliance, est un [traduction] « Métis indigène » [traduction] « toute personne qui est un descendant des Métis des Territoires du Nord-Ouest, qui comprend la région North Slave, et qui est reconnue par la communauté des Métis indigènes de cette région comme un descendant des Métis qui habitaient, ou qui utilisaient et occupaient, les Territoires du Nord-Ouest, qui comprennent la région North Slave, avant que la Couronne du Canada n’assume le contrôle effectif de leur territoire traditionnel, qui comprend la région North Slave ».

[20]           Les parties conviennent qu’il n’existe qu’une seule communauté métisse dans les Territoires du Nord-Ouest dont le territoire traditionnel englobe l’ensemble des Territoires du Nord-Ouest et la partie septentrionale des provinces limitrophes des Territoires du Nord-Ouest.  Comme il a été mentionné précédemment, toutefois, l’Alliance n’est pas le seul organisme qui prétend représenter les intérêts de la communauté métisse. La Nation prétend également avoir un but semblable, bien qu’elle se concentre principalement sur la région située au sud du Grand lac des Esclaves, alors que les membres de l’Alliance prétendent posséder des droits ancestraux dans la région située au nord du Grand lac des Esclaves.

[21]           Selon les statuts de la Nation, ses objectifs consistent notamment à promouvoir l’unité des Métis dans la région South Slave des Territoires du Nord-Ouest, ainsi qu’à élaborer et à mettre en œuvre des revendications territoriales pour les Métis, le droit inhérent à l’autogouvernance et l’évolution constitutionnelle. La Nation a également pour mandat de servir et de protéger les intérêts des Métis indigènes qui sont membres du Conseil des Métis de Fort Smith, du Conseil des Métis de Hay River et du Conseil des Métis de Fort Resolution. Ce mandat vise notamment la déclaration, la protection et la reconnaissance des droits ancestraux des Métis sur l’ensemble du territoire traditionnel de la Nation.

[22]           La Nation insiste pour dire qu’elle représente les intérêts de tous les Métis des Territoires du Nord-Ouest sans égard à leur lieu de résidence actuel. Aux termes des règlements administratifs de la Nation, est un [traduction] « Métis indigène » la personne qui : [traduction]

a)         habitait une communauté désignée (à savoir Forth Smith, Forth Resolution ou Hay River); et

b)         utilisait ou occupait les terres de la région South Slave au plus tard le 31 décembre 1921;

c)         est un descendant d’une personne visée aux alinéas a) et b);

d)         est un descendant d’une personne inscrite comme Indien aux termes de la Loi sur les Indiens qui :

(i)         d’une part, habitait une communauté désignée;

(ii)        d’autre part, utilisait ou occupait les terres de la région South Slave au plus tard le 31 décembre 1921;

e)         elle n’est pas inscrite comme Indien aux termes de la Loi sur les Indiens;

f)          elle n’est pas inscrite à titre de bénéficiaire d’une autre revendication territoriale au Canada.

[23]           Bien que la Nation prétende que 2 169 Métis indigènes partout au Canada peuvent être membres de l’organisme, elle a refusé de communiquer le nombre réel de ses membres. La Nation affirme qu’elle s’emploie actuellement à élaborer un questionnaire pour découvrir d’autres Métis indigènes qui sont admissibles à devenir membres de l’un de ses trois conseils membres. La Nation vérifie les renseignements fournis par les candidats à l’adhésion, y compris les renseignements relatifs à leur généalogie, tels que les extraits de naissance, les certificats de décès, les baptistaires et les documents historiques. 

III.             L’historique des négociations en vue de la conclusion de l’accord de principe de la Nation

[24]           En 1978, le Canada a accepté des revendications territoriales de la part de la Fraternité des Indiens des Territoires du Nord-Ouest et de l’Association des Métis des Territoires du Nord‑Ouest et a convenu d’entamer la négociation avec les deux groupes d’une seule revendication territoriale relative à un secteur englobant toute la vallée du Mackenzie. Cette négociation est désormais connue comme la « négociation relative aux terres et aux ressources des Dénés et des Métis ».

[25]           En raison des nombreux liens familiaux et communautaires qui existent entre les Dénés et les Métis des Territoires du Nord-Ouest, le Canada a décidé que la meilleure approche consistait à négocier une seule revendication territoriale pour l’ensemble des peuples autochtones originaires des Territoires du Nord-Ouest plutôt qu’à adopter une approche fractionnelle, en tentant d’établir une distinction entre les Dénés et les Métis aux fins des négociations.

[26]           Des négociations en vue d’un accord unique pour les Dénés et les Métis se sont déroulées tout au long des années 1980 et ont abouti à l’Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis datée du 4 avril 1990 entre le Canada, la nation des Dénés et l’Association des Métis des Territoires du Nord-Ouest. Toutefois, ni la nation des Dénés ni l’Association des Métis des Territoires du Nord-Ouest n’a ratifié cet accord, et les négociations ont alors pris fin pour une certaine période.

[27]           À la suite de l’échec de l’Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et des Métis, le Canada a entamé des négociations régionales portant sur des revendications territoriales à la demande des Métis, des Gwich’in et des Dénés du Sahtu. Ces négociations reposaient sur l’ébauche d’un accord avec les Dénés et les Métis et sur le choix de régions qui avait fait aux fins de la sélection de terres : nommément les régions de Gwich’in, du Sahtu, de North Slave, de South Slave et de Dehcho des Territoires du Nord-Ouest. 

[28]           Des accords sur les revendications territoriales ont été conclus avec les Gwich’in et les Dénés du Sahtu en 1992, et avec les Métis en 1993. Un accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale a été conclu par la suite avec la Première Nation tlicho en 2005. Cet accord portait en grande partie sur la région appelée North Slave.

[29]           Dans la région South Slave, les Premières Nations (représentées par la Société tribale du Traité no 8 avec les Dénés de l’Akaitcho) ont revendiqué des droits fonciers issus de traités aux termes de la Politique sur les revendications particulières du Canada. Les revendications particulières (y compris les droits fonciers issus de traités) visent toutefois des obligations issues de traités inexécutées, et ne sont ouvertes qu’aux Premières Nations qui avaient signé des traités. Étant donné que les Métis de la région South Slave ne sont signataires d’aucun traité avec le Canada, ils ont été exclus du processus de négociation des revendications particulières.

[30]           Pour remédier à cette situation, les négociations ont repris entre les Métis (représentés par le Conseil tribal des Métis de South Slave, une entité ayant précédé la Nation), le Canada et le G.T.N.-O. Ces négociations ont mené à la signature de l’Entente-cadre avec les Métis de South Slave en 1996. Selon le témoignage de Christie Morgan, une négociatrice principale du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (maintenant appelé Affaires autochtones et du Nord Canada), le Canada négocie un accord avec la Nation qui repose, en grande partie, sur la politique sur les revendications territoriales globales du Canada. Cette politique a guidé les négociations des revendications territoriales régionales dans les Territoires du Nord-Ouest. 

[31]           Mme Morgan a également témoigné que les négociations de l’accord définitif visent à permettre aux Métis indigènes de la région South Slave des Territoires du Nord-Ouest qui sont admissibles à l’inscription aux termes de l’accord avec les Dénés et les Métis qui a échoué, mais qui n’étaient pas admissibles à la reconnaissance de titres issus de traités, de participer à un accord moderne sur les terres et les ressources avec le Canada. 

[32]           À partir de 1996, la Nation, le Canada et le G.T.N.-O. ont négocié activement les dispositions de l’accord de principe de la Nation, lequel, comme il a été mentionné précédemment, a été signé le 31 juillet 2015. L’accord de principe de la Nation servira de fondement à la négociation d’un accord définitif sur les terres et les ressources avec la Nation. 

IV.              Les discussions avec l’Alliance

[33]           Le Canada et le G.T.N.-O., en plus de leurs négociations avec la Nation, ont jugé qu’il convenait également de consulter ceux que Mme Morgan a appelés [traduction] « les groupes autochtones voisins » dont les droits pourraient être touchés par un accord définitif sur les terres et les ressources. Cette consultation aurait pour but de vérifier [traduction] « s’il était possible de répondre à ces préoccupations dans le cadre de l’accord de principe de la Nation ou d’un accord définitif et la façon de le faire ».

[34]           Afin de cerner les groupes pertinents aux fins de la consultation, le Canada a commencé par les groupes autochtones dont les droits ancestraux ou issus de traités revendiqués ou prouvés pouvaient porter sur la zone visée par l’accord (la zone de l’accord) proposée décrite dans l’accord de principe de la Nation. La zone de l’accord vise un vaste secteur situé dans l’Est des Territoires du Nord-Ouest, principalement au sud et à l’est du Grand lac des Esclaves. Une copie de la carte incluse dans l’accord de principe de la Nation, sur laquelle figure la zone de l’accord, est annexée aux présents motifs. Le Canada et le G.T.N.-O. étaient au courant que l’Alliance revendiquait des droits ancestraux de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. En conséquence, l’Alliance a été reconnue à titre de groupe autochtone qu’il convenait que le Canada et le G.T.N.-O. consultent. 

[35]           Bien que M. Enge prétende que le Canada et le G.T.N.-O. n’ont pas consulté l’Alliance avant de conclure l’accord de principe de la Nation, les parties avaient en fait tenu des discussions. Même si le caractère adéquat de la consultation tenue est en litige, les parties ont effectivement correspondu au sujet des dispositions de l’accord de principe de la Nation. L’Alliance a de plus reçu des fonds pour l’aider à présenter les revendications de ses membres portant sur des droits ancestraux de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, et a eu l’occasion de fournir aux deux gouvernements une documentation étayant ces revendications. 

[36]           L’Alliance a fourni aux deux gouvernements notamment cinq rapports (dont au moins un rapport qui avait été rédigé à la demande du Canada) décrivant l’histoire, l’ethnogenèse, les connaissances traditionnelles et les modes d’utilisation des terres des membres de l’Alliance. Il y a également eu deux réunions tenues en personne lors desquelles M. Enge et d’autres représentants de l’Alliance ont pu discuter des dispositions de l’accord de principe de la Nation et de mesures d’adaptation possibles avec des représentants du Canada et du G.T.N.-O..

[37]           Alors que le Canada avait auparavant refusé de consulter l’Alliance, les deux paliers du gouvernement ont écrit conjointement à l’Alliance le 10 octobre 2012, en l’informant qu’elle serait consultée au sujet de l’accord de principe de la Nation et en demandant qu’on leur communique le nom de la principale personne-ressource aux fins du processus de consultation. L’Alliance a nommé par la suite M. Enge à titre de personne-ressource aux fins du processus de consultation.

[38]           Dans la lettre du 10 octobre 2012, l’Alliance a également été invitée à [traduction] « décrire les effets préjudiciables que l’accord de principe de la Nation proposé pourrait avoir sur [les] droits ancestraux ou issus de traités éventuels ou prouvés [de vos membres] ». L’Alliance a répondu en fournissant une importante quantité de renseignements au Canada et au G.T.N.-O., y compris une documentation sur les droits de récolte de l’Alliance fondés sur l’article 35 et ses préoccupations quant aux dispositions de l’accord de principe de la Nation.

[39]           Le 12 février 2013, le Canada a informé M. Enge par écrit qu’il avait examiné les renseignements fournis par l’Alliance pour étayer sa revendication de droits visés à l’article 35 et de droits fonciers et qu’il avait [traduction] « conclu que l’Alliance n’avait pas fourni d’éléments suffisants pour prouver  l’existence d’une communauté Métis actuelle fondée sur des origines ancestrales dans la région North Slave et ayant des liens à la communauté Métis de cette région ». En conséquence, le Canada a affirmé que [traduction] « l’Alliance n’a[vait] pas démontré l’existence d’une revendication crédible aux droits des Métis visés à l’article 35 qui justifierait que l’Alliance soit reconnue à titre de communauté distincte titulaire de droits des Métis 35 visés à l’article 35 ».

[40]           Le Canada et le G.T.N.-O., malgré leur prétention selon laquelle l’Alliance n’avait pas démontré que ses membres avaient une revendication crédible aux droits des Métis visés à l’article 35, ont écrit conjointement à l’Alliance, le 11 juin 2013, en vue de tenter d’entamer des consultations concernant l’accord de principe de la Nation. Ils ont fourni à l’Association une copie de l’ébauche de l’accord de principe de la Nation et ont fixé au 26 juillet 2013 la date limite pour l’examen du document par l’Alliance. Les deux gouvernements ont également offert des fonds à l’Alliance, jusqu’à concurrence de 11 500 $, pour appuyer le processus de consultation.

[41]           La lettre du 11 juin 2013 indiquait que le Canada et le G.T.N.-O. étaient au courant que l’Alliance revendiquait des droits ancestraux de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. Ils ont poursuivi en indiquant que [traduction] « [l’]ébauche de l’accord de principe de la Nation prévoit l’accord de droits de récolte non exclusifs […] aux membres des Métis […] pour l’ensemble la zone de l’accord proposée », laquelle, rappelons-le, se situe au sud et à l’est du Grand lac des Esclaves. La lettre indiquait également qu’[traduction] « [u]ne petite zone de chevauchement peut exister entre l’angle nord-ouest de la zone de l’accord proposée et le secteur à l’égard duquel l’Alliance revendique des droits ancestraux de récolte » [soulignement ajouté].

[42]           En renvoyant à la clause de non-dérogation contenue dans l’ébauche de l’accord de principe de la Nation, la lettre indiquait ensuite qu’[traduction] « [a]u cours des négociations, le Canada et le G.T.N.-O. ont pris de soin de négocier un accord qui n’aurait aucune incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités revendiqués par des groupes qui ne sont pas partie à l’accord définitif avec la Nation ». Cela dit, le Canada et le G.T.N.-O. ont demandé à l’Alliance de leur faire part de toute préoccupation qu’elle pouvait avoir dans l’éventualité où une partie quelconque de l’ébauche de l’accord de principe de la Nation ait des effets préjudiciables sur les droits ancestraux, revendiqués par les membres de l’Alliance, d’exercer la récolte dans des zones qui chevauchaient la zone de l’accord.

[43]           Sous le couvert d’une lettre du 25 juin 2013, M. Enge a fourni au Canada et au G.T.N.-O. une copie du jugement de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest dans l’affaire Enge c. Mandeville, 2013 NWTSC 33, [2013] N.W.T.J. No. 38 [Mandeville], en demandant si ce jugement changeait l’évaluation que le Canada avait faite de la solidité de la revendication de droits visés à l’article 35 par l’Alliance. 

A.                 L’affaire Mandeville

[44]           L’affaire Mandeville vise une autre procédure entamée par M. Enge, celle-là devant la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest. Dans cette affaire, M. Enge a demandé le contrôle judiciaire d’une décision du ministre de l’Environnement et des Ressources naturelles des Territoires du Nord-Ouest par laquelle le ministre refusait d’accorder aux membres de l’Alliance une partie du quota annuel de récolte du caribou de Bathurst.

[45]           Selon des éléments de preuve semblables à ceux qui ont été introduits devant notre Cour, la Cour dans l’affaire Mandeville a conclu que certains éléments de preuve établissaient, à première vue, l’existence dans la région du Grand lac des Esclaves d’une communauté contemporaine de Métis titulaire de droits à laquelle appartiennent M. Enge et les autres membres de l’Alliance : au paragraphe 207. De plus, la Cour a conclu que M. Enge avait présenté des éléments de preuve qui établissaient, à première vue, sa qualité de Métis du fait de son auto-identification de longue date comme Métis, de son lien ancestral avec un personnage métis historique et de son acceptation par d’autres membres de la communauté métisse : au paragraphe 213.

[46]           La Cour a également conclu que M. Enge avait établi une bonne revendication à première vue de son droit et de celui des autres membres de l’Alliance de chasser le caribou, en fonction des droits qu’ils revendiquaient à titre de Métis ayant traditionnellement chassé dans la région du Grand lac des Esclaves : affaire Mandeville, au paragraphe 230. De plus, la Cour a conclu que la décision du ministre de refuser de permettre à M. Enge et aux autres membres de l’Alliance de participer à la récolte ancestrale limitée du caribou avait des effets préjudiciables non négligeables sur leurs droits ancestraux : au paragraphe 236.

[47]           En outre, la Cour a conclu que le processus de consultation mené par le G.T.N.-O. en ce qui concerne la récolte du caribou en litige dans l’affaire Mandeville n’était pas raisonnable : au paragraphe 271. En conséquence, la Cour a conclu que le G.T.N.-O. avait commis une erreur en ne procédant pas à l’évaluation préliminaire de la solidité des revendications de M. Enge et des autres membres de l’Alliance, et des effets préjudiciables éventuels du refus de leur accorder une partie de la récolte ancestrale limitée du troupeau de caribous de Bathurst. Selon la Cour, le G.T.N.-O. avait commis une autre erreur dans l’exécution de son obligation de consulter, en raison de son défaut de mener un processus de consultation raisonnable : au paragraphe 282.

[48]           Le Canada, après son examen de l’affaire Mandeville, a informé M. Enge qu’il avait modifié son évaluation préliminaire de la solidité de la revendication par l’Alliance de droits visés à l’article 35. Dans une lettre du 16 août 2013 adressée à M. Enge, le Canada a reconnu que l’Alliance [traduction] « a[vait] une revendication bien fondée à première vue du droit ancestral de chasser le caribou sur [les] terres ancestrales [de ses membres], et [a] droit à un degré de consultation approprié lorsque les mesures prises par la Couronne pourraient avoir des effets préjudiciables ce droit revendiqué ».

[49]           La lettre du Canada indiquait toutefois que son évaluation modifiée [traduction] « ne représen[ait] pas une décision du Canada que l’Alliance Métis North Slave possède des droits visés à l’article 35. Il ressort clairement de la jurisprudence portant sur l’obligation de consulter qu’une évaluation de la solidité de la revendication aux fins de la consultation ne correspond pas à un processus de décision sur les droits ».

B.                 Les prétentions de l’Alliance

[50]           Dans une lettre du 15 août 2013, M. Enge a exposé les prétentions initiales de l’Alliance en ce qui concerne l’accord de principe de la Nation, en mentionnant les parties de l’accord qui soulevaient des préoccupations pour l’Alliance. M. Enge a également indiqué que l’Alliance s’inquiétait de ce que la définition de « Métis » figurant dans l’accord de principe de la Nation était de portée très large. Aux termes de l’accord de principe de la Nation, est un « Métis » tout [traduction] « Autochtone appartenant à la lignée des Cris, des Slaves ou des Chippewas (appelés collectivement “Dénés”) qui habitaient, utilisaient et occupaient toute partie de la zone de l’accord au plus tard le 31 décembre 1921, ou [tout] descendant d’un tel Autochtone ». M. Enge a également demandé si le Canada avait pour intention [traduction] « que la personne qui ne répond pas aux trois critères ne soit pas considérée comme Métis aux fins de l’accord définitif ».

[51]           La lettre du 15 août 2013 de M. Enge soulevait la question précise de la façon dont les droits de récolte sont traités dans l’ébauche de l’accord de principe de la Nation. Il a demandé si le Canada avait l’intention [traduction] « d’éteindre les droits ancestraux, issus de la common law, de récolte des animaux sauvages, du poisson, des plantes et des arbres dans l’ensemble des Territoires du Nord-Ouest dont sont titulaires les Métis admissibles à l’inscription aux termes de l’accord définitif et d’accorder, aux termes de l’accord définitif, de nouveaux droits de récolte des animaux sauvages, du poisson, des plantes et des arbres qui ne peuvent être exercés que dans la zone de l’accord […] aux Métis admissibles à l’inscription aux termes de l’accord définitif? » De façon subsidiaire, M. Enge a demandé si le Canada avait pour intention [traduction] « que la certitude accordée aux termes du paragraphe 2.3.1 ne s’applique plus qu’aux droits ancestraux, issus de la common law, des membres actuels de la Nation et de ses conseils métis associés? ».

[52]           Les préoccupations de l’Alliance ont fait l’objet de discussions lors des deux rencontres en personne entre l’Association, le Canada et le G.T.N.-O. Étaient présents à ces rencontres M. Enge et l’avocat de l’Alliance, ainsi que des représentants du Canada et du G.T.N.-O. La première de ces rencontres a eu lieu le 29 août 2013 et la seconde, le 24 octobre 2013. Ces rencontres avaient pour but de permettre au Canada et au G.T.N.-O. de discuter de l’ébauche de  l’accord de principe de la Nation avec l’Alliance. 

[53]           À la rencontre du 29 août, les représentants de l’Alliance ont demandé un financement additionnel pour leur permettre de participer pleinement au processus de consultation. Le Canada a rejeté cette demande, mais a consenti à examiner les futures demandes de financement additionnel au fur et à mesure que les parties s’efforceraient de parvenir à un accord définitif.

[54]           La principale préoccupation exprimée par les représentants de l’Alliance à la première rencontre consistait à interdire au Canada et au G.T.N.-O. d’éteindre unilatéralement les droits ancestraux de récolte des membres de l’Alliance qui avaient été reconnus par le tribunal dans l’affaire Mandeville. À cette fin, l’Alliance a proposé une modification aux dispositions portant sur les personnes qui devaient être liées par l’accord définitif.

[55]           L’ébauche de l’accord de principe de la Nation disposait que l’accord accorderait une certitude quant à l’utilisation et à la propriété des terres situées dans les Territoires du Nord-Ouest par les personnes qui étaient [traduction] « admissibles à devenir membres aux termes de l’accord définitif ». Selon la disposition relative à l’[traduction] « admissibilité », au chapitre 3.1.1 de l’accord de principe de la Nation, [traduction] « [u]ne personne est “admissible à devenir membre” aux termes de l’accord définitif si a) elle est un Métis; ou b) elle a été adoptée durant son enfance, aux termes d’une loi ou selon une coutume de la Nation, par un Métis ou un descendant d’un Métis ». Le mot « Métis », tel qu’il est défini au chapitre premier de l’accord de principe de la Nation, s’entend de tout [traduction] « Autochtone appartenant à la lignée des Cris, des Slaves ou des Chippewas qui habitaient, utilisaient et occupaient toute partie de la zone de l’accord au plus tard le 31 décembre 1921, ou [de tout] descendant de tels peuples ».

[56]           Le chapitre 2.4.1 de l’accord de principe de la Nation indique que [traduction] « [l]’accord définitif disposera que la Nation déclare et garantit au gouvernement, en ce qui concerne les sujets traités dans l’accord définitif, qu’elle a l’autorité de conclure l’accord définitif au nom des personnes qui sont admissibles à devenir membres  aux termes de l’accord définitif conformément au chapitre sur l’admissibilité et l’inscription » [italiques ajoutées].

[57]           L’Alliance ne reconnaît pas que la Nation a le mandat ou l’autorité de conclure un accord définitif au nom de toutes les personnes qui sont [traduction] « admissibles à devenir membres » aux termes de l’accord. Selon l’Alliance, cette garantie consisterait en un faux énoncé des faits, étant donné que l’Alliance n’est pas une société membre de la Nation et qu’elle n’a pas participé aux négociations relatives à l’accord de principe de la Nation entre le Canada, le G.T.N.-O. et la Nation. L’Alliance a donc demandé la modification de l’accord de principe de la Nation pour que le passage « admissibles à devenir membres », à la disposition relative à la« certitude » (chapitre 2.3.1), soit remplacé par « qui sont membres » pour que la disposition modifiée se lise « [l]’accord définitif accordera une certitude quant à l’utilisation et à la propriété des terres et des ressources dans les limites des Territoires du Nord-Ouest et du Parc national Wood Buffalo par les Métis  qui sont membres de la Nation et des Conseils Métis » [soulignement ajouté].

[58]           Est également pertinente la clause de « non-dérogation » (chapitre 2.5.1) de l’accord de principe de la Nation, selon laquelle [traduction] « [l]es dispositions de l’accord définitif ne sont pas interprétées de manière à [...] avoir une incidence [...] sur tout droit ancestral d’un peuple autochtone, à l’exception des personnes qui sont admissibles à devenir membres aux termes de l’accord définitif » [soulignement ajouté].

[59]           L’Alliance, en demandant que le passage « admissibles à devenir membres » soit supprimé de la disposition relative à la « certitude » et de la clause de « non-dérogation » de l’accord de principe de la Nation, s’inquiétait de ce que le défaut de modifier le texte n’ait pour effet que les dispositions éteignent au moins certains droits que possèdent les membres de l’Alliance à titre de Métis habitant au nord du Grand lac des Esclaves, du seul fait que l’appartenance de ces membres à la lignée des Dénés les rendrait « admissibles à devenir membres » aux termes de l’accord définitif. Cette extinction de droits se produirait, de plus, sans que les représentants élus des membres de l’Alliance n’aient participé aux négociations.

[60]           Selon la prétention du Canada, si une personne était titulaire de droits ancestraux dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves à titre de membre d’un autre peuple autochtone (sans égard à ses autres liens ancestraux avec la région South Slave des Territoires du Nord-Ouest), l’habilité de cette personne à exercer ses droits ancestraux ne devrait pas être touchée par un accord définitif en raison de la clause de « non-dérogation » de l’accord. La personne qui n’a de liens ancestraux qu’avec la région South Slave, et qui remplit les critères d’admissibilité prévus dans l’accord définitif, serait toutefois liée par la décision collective de ratifier l’accord.  Ce serait le cas que la personne ait choisi ou non de s’aligner sur un autre organisme tel que l’Alliance.

[61]           L’avocat de M. Enge a affirmé que les modifications proposées au texte de l’accord de principe de la Nation répondraient à deux principaux intérêts de l’Alliance. En premier lieu, elles veilleraient à ce que les droits ancestraux des membres de l’Alliance, y compris leur droit d’exercer la récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, ne puissent être éteints que si ces membres de l’Alliance avaient demandé d’être inscrits, et avaient été acceptés aux fins de leur inscription, aux termes de l’accord définitif. Ainsi, aucun droit ne serait éteint par application du droit, puisqu’un choix manifeste devrait être exercé par les personnes ayant choisi d’être visées par l’accord.

[62]           M. Enge a ajouté que cette mesure d’adaptation permettrait également aux Métis de South Slave de procéder à conclure leur accord définitif.

[63]           Le Canada et le G.T.N.-O. ont rejeté, à la rencontre du 24 octobre 2013, la modification proposée par l’Alliance au texte de l’accord de principe de la Nation au motif qu’elle n’était pas conforme à l’approche du Canada à la négociation d’accords de cette nature, selon laquelle les accords visaient à traiter des droits de toutes les personnes admissibles à l’inscription aux termes de l’accord en cause.

[64]           L’Alliance a ensuite proposé de participer à titre de partie aux négociations postérieures à l’accord de principe de la Nation en vue de la conclusion d’un accord définitif, de sorte à garantir que les membres de l’Alliance participent sérieusement aux négociations qui visaient l’extinction de leurs droits ancestraux de chasse dans la région North Slave. Le Canada et le G.T.N.-O. ont également rejeté cette proposition.

C.                 La fin des discussions

[65]           Après un autre échange de correspondance, le Canada et le G.T.N.-O. ont informé l’Alliance, dans une lettre du 7 avril 2014, qu’il n’y aurait plus de consultation au sujet de l’accord de principe de la Nation. Cette lettre indiquait que le Canada et le G.T.N.-O. étaient en cours de négociation avec la Nation [traduction] « en raison de l’ascendance autochtone de ses membres, et non au motif que la Nation représente une communauté titulaire de droits au sens de l’arrêt Powley » (par renvoi aux critères pour déterminer la qualité de Métis établis par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Powley, 2003 CSS 43, [2003] 2 R.C.S. 207.

[66]           Le Canada et le G.T.N.-O. ont soutenu que [traduction] « si l’Alliance [était] une collectivité titulaire de droits au sens retenu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Powley, il s’agirait d’un groupe autochtone distinct de la Nation », et les droits de ses membres seraient ainsi protégés par application de la clause de non-dérogation contenue dans l’accord. Le Canada et le G.T.N.-O. ont également suggéré que l’Alliance discute de la situation avec la Nation pour voir si les deux organismes pouvaient parvenir à une sorte d’entente.

[67]           Au cours du processus ayant mené à la signature de l’accord de principe de la Nation, M. Enge était en communication avec le président de la Nation au sujet de l’accord de principe. Une rencontre entre représentants des deux organismes a eu lieu le 5 décembre 2014. Toutefois, les deux parties n’ont pas pu parvenir à une entente concernant les questions qui les divisaient.

[68]           Par lettre du 18 août 2015, le Canada et le G.T.N.-O. ont officiellement avisé l’Alliance de la conclusion de l’accord de principe de la Nation le 31 juillet 2015. Cette étape faisait suite à la ratification de l’accord à une réunion de la Nation à laquelle étaient présents 43 membres anonymes de l’organisme.

V.                 La décision à l’examen

[69]           La décision en litige dans la présente instance est la décision du Canada de conclure l’accord de principe de la Nation avec la Nation et le G.T.N.-O.

[70]           L’accord de principe de la Nation confirme le droit des [traduction] « membres métis » de récolter toutes les espèces d’animaux sauvages tout au long de l’année dans la [traduction] « zone de l’accord », qui, comme il a été mentionné précédemment, est définie comme étant la partie des Territoires du Nord-Ouest située au sud et à l’est du Grand lac des Esclaves. Dans l’éventualité de l’inclusion des dispositions de l’accord de principe de la Nation dans un accord définitif entre le Canada, la Nation et le G.T.N.-O., M. Enge affirme que cet accord aurait pour effet d’éteindre le droit visé à l’article 35 des membres de l’Alliance, reconnu par un tribunal à leur égard, de chasser le caribou dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. En effet, le Canada a confirmé que son intention est qu’un accord définitif sur les terres et les ressources avec les Métis des Territoires du Nord-Ouest éteigne les droits de récolte, visés à l’article 35, à l’extérieur de la zone de l’accord dans le cas des Métis dont les ancêtres habitaient la région South Slave.

[71]           Comme il a été mentionné précédemment, le mot « Métis », tel qu’il est défini dans l’accord de principe de la Nation, s’entend de tout [traduction] « Autochtone appartenant à la lignée des Cris, des Slaves ou des Chippewas qui habitaient, utilisaient et occupaient toute partie de la zone de l’accord au plus tard le 31 décembre 1921, ou [de tout] descendant de tels peuples ».

[72]           Les demandeurs affirment que le Canada et le G.T.N.-O. négocient avec la Nation un accord qui ne tient pas compte de la distinction constitutionnelle entre « Métis » et « Indiens ». L’admissibilité aux termes de l’accord de principe de la Nation dépend de l’appartenance à la lignée des Dénés des membres de la Nation et de leurs liens ancestraux avec le secteur situé au sud du Grand lac des Esclaves. M. Enge indique que l’appartenance à une lignée autochtone n’est que l’un des indices tendant à établir l’identité métisse, et que le mot « Métis », au sens de ce mot à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, [traduction] « ne vise pas toutes les personnes d’ascendance mixte indienne et européenne ». Il vise plutôt « les peuples distincts qui, en plus de leur ascendance mixte, possèdent leurs propres coutumes, façons de vivre et identité collective reconnaissables et distinctes de celles de leurs ancêtres indiens ou inuits d’une part et de leurs ancêtres européens d’autre part » : les deux citations étant tirées de l’arrêt Powley, précité, au paragraphe 10.

[73]           Mme Morgan, qui, rappelons-le, était la négociatrice principale du Canada dans le cadre des négociations concernant l’accord sur les terres et les ressources avec les Territoires du Nord-Ouest, a reconnu que la définition de « Métis » dans l’accord de principe de la Nation n’intègre pas les éléments du critère dégagé de l’arrêt Powley.

[74]           En revanche, M. Enge prétend que les membres de l’Alliance sont des « Métis » sur le plan ethnique, comme le permet le paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982, puisqu’ils répondent aux facteurs établis par la Cour suprême dans l’arrêt Powley. Ils constituent, de plus, une collectivité métisse distincte qui est titulaire de droits visés à l’article 35 et dont les activités de récolte traditionnelles étaient exercées au nord du Grand lac des Esclaves – une région située en grande partie en dehors de la zone visée par les négociations avec la Nation.

[75]           Conformément à la clause de non-dérogation contenue dans l’accord de principe de la Nation, les dispositions de tout accord définitif entre le Canada, la Nation et le G.T.N.-O. ne sont pas interprétées de manière à avoir une incidence sur tout droit ancestral ou issu d’un traité d’un peuple autochtone, à l’exception des personnes « admissibles à l’inscription aux termes de l’accord définitif ».

[76]           M. Enge reconnaît que les membres de l’Alliance qui partagent des liens ancestraux avec les Dénés de la région South Slave seraient « admissibles à devenir membres » aux termes de l’accord définitif, et que la clause de non-dérogation ne protégerait que les droits des groupes autochtones distincts de ceux qui ont des liens ancestraux avec les Dénés de la région South Slave. M. Enge soutient toutefois que ces personnes devraient avoir la possibilité de revendiquer, par l’entremise de l’Alliance, des droits à titre de Métis du type reconnu dans l’arrêt Powley, plutôt que de participer au processus de négociation avec la Nation du fait de leur appartenance à la lignée des Dénés.

[77]           Avant que la demande de contrôle judiciaire de M. Enge ne soit examinée sur le fond, il y a toutefois lieu de traiter une question préliminaire. Plus précisément, comme il a été mentionné précédemment, le Canada et la Nation soutiennent que M. Enge n’a pas satisfait aux exigences de l’article 114 des Règles des Cours fédérales, étant donné qu’il n’est pas dûment autorisé à agir au nom des membres de l’Alliance et qu’il n’a pas démontré pouvoir représenter leurs intérêts de façon équitable et adéquate. Étant donné que la question de la qualité de M. Enge pour présenter la demande en l’espèce pourrait permettre de disposer de la demande, elle sera examinée en premier lieu.

VI.              M. Enge a-t-il qualité pour présenter la demande en l’espèce au nom des membres de l’Alliance?

[78]           M. Enge présente la demande de contrôle judiciaire en l’espèce en son propre nom et au nom des membres de l’Alliance. Il reconnaît que la demande doit ainsi être tranchée selon les dispositions du paragraphe 114(1) des Règles des Cours fédérales, qui dispose ainsi :

114 (1) Malgré la règle 302, une instance – autre qu’une instance visée aux articles 27 ou 28 de la Loi – peut être introduite par ou contre une personne agissant à titre de représentant d’une ou plusieurs autres personnes, si les conditions suivantes sont réunies :

114 (1) Despite rule 302, a proceeding, other than a proceeding referred to in section 27 or 28 of the Act, may be brought by or against a person acting as a representative on behalf of one or more other persons on the condition that

a) les points de droit et de fait soulevés, selon le cas :

(a) the issues asserted by or against the representative and the represented persons

(i) sont communs au représentant et aux personnes représentées, sans viser de façon particulière seulement certaines de celles-ci,

(i) are common issues of law and fact and there are no issues affecting only some of those persons, or

(ii) visent l’intérêt collectif de ces personnes;

(ii) relate to a collective interest shared by those persons;

b) le représentant est autorisé à agir au nom des personnes représentées;

(b) the representative is authorized to act on behalf of the represented persons;

c) il peut représenter leurs intérêts de façon équitable et adéquate;

(c) the representative can fairly and adequately represent the interests of the represented persons; and

d) l’instance par représentation constitue la façon juste de procéder, la plus efficace et la moins onéreuse.

(d) the use of a representative proceeding is the just, most efficient and least costly manner of proceeding

[79]           Le Canada et la Nation soutiennent que M. Enge n’a pas satisfait aux exigences des alinéas 114(1)b) et c) des Règles. Ils font valoir plus précisément qu’il n’est pas dûment autorisé à agir au nom des membres de l’Alliance et qu’il n’a pas démontré pouvoir représenter leurs intérêts de façon équitable et adéquate. Le G.T.N.-O. ne conteste pas la qualité de M. Enge pour présenter la demande en l’espèce au nom des membres de l’Alliance, peut-être parce qu’il a fait cette concession dans l’affaire Mandeville.

[80]           Le Canada et le G.T.N.-O., tout en acceptant le fait que M. Enge fait partie d’un groupe titulaire de droits, soutiennent qu’il n’a pas qualité pour présenter la demande en l’espèce de ce fait. 

[81]           En citant la Cour suprême du Canada dans les arrêts Behn c. Moulton Contracting Ltd., 2013 CSC 26, au paragraphe 30, [2013] R.C.S. 227, et Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, au paragraphe 35, [2010] 3 R.C.S. 103, ces défendeurs font valoir que les droits ancestraux sont des droits collectifs et qu’il n’incombe pas à la Couronne de consulter individuellement les membres d’un groupe autochtone. En conséquence, le Canada et la Nation soutiennent que, si M. Enge n’était pas dûment autorisé à présenter la demande de contrôle judiciaire en l’espèce au nom des membres de l’Alliance, il y a donc lieu de rejeter sommairement l’application.

A.                 M. Enge était-il autorisé à agir au nom des membres de l’Alliance?

[82]           Le paragraphe 184(1) des Règles des Cours fédérales dispose que les allégations de fait contenues dans un acte de procédure que les parties adverses n’ont pas admises sont réputées avoir été niées.  L’alinéa 184(2)a) des Règles dispose également qu’une partie n’est pas tenue de prouver son droit d’agir à titre de représentant, à moins qu’une partie adverse n’ait nié ce droit. C’est le cas en l’espèce.

[83]           Le Canada, pour étayer sa prétention selon laquelle M. Enge n’a pas été dûment autorisé à agir au nom des membres de l’Alliance en l’espèce, indique que les membres de l’Alliance n’ont accordé à M. Enge aucune autorité particulière avant qu’il ne dépose sa demande de contrôle judiciaire le 26 août 2015. Le conseil d’administration de l’Alliance n’a adopté aucune résolution pour autoriser la demande en l’espèce et, vu l’absence de procès-verbaux des réunions du conseil, il n’est pas certain si la décision de présenter cette demande a été débattue ou approuvée par le conseil de l’Alliance.

[84]           Selon le Canada, la seule autorisation accordée à M. Enge de présenter la demande de contrôle judiciaire en l’espèce consiste en la résolution adoptée ex post facto à l’assemblée générale annuelle de l’Alliance du 9 avril 2016. Cette résolution a porté ratification du dépôt de la demande en l’espèce quelque sept mois auparavant. Le Canada, bien qu’il reconnaisse que cette approbation postérieure puisse être suffisante pour que les exigences de l’alinéa 114(1)b) des Règles soient remplies, prétend qu’elle est insuffisante en l’espèce en raison des défauts de l’avis donné aux membres de l’Alliance de l’assemblée générale annuelle de l’organisme.

[85]           Une annonce informant le public de la tenue de l’assemblée générale annuelle des membres de l’Alliance a paru dans le journal local « The Yellowknifer » de Yellowknife. Le Canada reconnaît que cet avis remplissait les exigences du paragraphe 8.2 des règlements administratifs de l’Alliance, selon lequel avis d’une assemblée générale annuelle doit être donné sous la forme d’une « annonce publique » au moins 30 jours avant la date de l’assemblée. Le Canada affirme toutefois qu’il y a une bonne raison de croire que de nombreux membres de l’Alliance n’étaient pas au courant de la tenue de l’assemblée.

[86]           Pour étayer cette prétention, le Canada fait remarquer que de nombreux membres de l’Alliance n’habitent pas Yellowknife et n’auraient donc pas vu l’annonce. De plus, l’Alliance ne tient des assemblées générales annuelles que de façon sporadique, la dernière assemblée générale annuelle ayant eu lieu en 2013. En conséquence, les membres de l’Alliance n’auraient eu aucune raison de s’attendre à la tenue d’une assemblée générale annuelle au mois d’avril 2016. Le Canada indique également que l’Alliance aurait pu donner avis à ses membres de sa prochaine assemblée générale annuelle de plusieurs façons, notamment en affichant un avis dans le site Web de l’Association, en envoyant un avis à ses membres par courrier régulier ou par courrier électronique, ou en faisant paraître un avis dans le bulletin de nouvelles de l’Alliance. Pour une raison ou pour une autre, elle a décidé de ne se prévaloir d’aucun de ces moyens de communication.

[87]           M. Enge, lorsqu’on lui a demandé, durant le contre-interrogatoire, pourquoi aucun de ces moyens n’avait été employé pour aviser les membres de l’Association de la tenue de l’assemblée générale annuelle, a affirmé qu’un simple avis publié dans le journal [traduction] « était suffisant pour le registraire des sociétés et donc suffisant pour l’Alliance ». M. Enge a également fait valoir qu’il incombait aux membres de l’Alliance d’en dehors de Yellowknife de se tenir au courant des activités de l’organisme.

[88]           Le Canada indique que la prétention de M. Enge selon laquelle il avait eu le [traduction] « mandat clair » de présenter la demande en l’espèce découlait non pas de l’opinion collective exprimée par les membres de l’Alliance qui avaient été informés des dispositions de l’accord de principe de la Nation, mais plutôt des objets de l’organisme, énoncés dans les statuts de l’Alliance, et de la désignation de l’Alliance à titre de représentant des intérêts des membres dans la formule de demande d’adhésion à l’Alliance. Le Canada affirme qu’un tel mandat est [traduction] « trop général » pour appuyer la proposition selon laquelle les membres de l’Alliance avaient particulièrement autorisé M. Enge à engager en leur nom des procédures judiciaires dont le résultat les lierait. 

[89]           La Nation indique que les prétentions de l’Alliance à l’égard de l’accord de principe de la Nation ont été formulées par M. Enge, son frère, son cousin et son avocat, et que les membres de l’Alliance n’ont pas été consultés quant à leur point de vue sur l’accord de principe de la Nation avant l’introduction de la présente demande de contrôle judiciaire. M. Enge n’a pratiquement rien fait, de plus, pour informer les membres de l’Alliance des questions qu’il avait soulevées au cours de la consultation sur l’accord de principe de la Nation, et n’a pris que des mesures limitées pour solliciter le point de vue des membres de l’Alliance et leur autorité d’introduire la présente instance.

[90]           La Nation fait également valoir que M. Enge semblait accepter qu’un mandat particulier ait été requis pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire. Plus précisément, en réponse à la question de savoir pourquoi il avait cherché à obtenir une résolution l’autorisant à présenter la demande de contrôle judiciaire en l’espèce après qu’il l’eût introduite, M. Enge a expliqué que [traduction] « [l]e conseil d’administration de l’Alliance Métis North Slave a jugé nécessaire d’obtenir le mandat général et la confirmation de ses membres que ce contrôle judiciaire était dans le meilleur intérêt des membres de l’Alliance Métis North Slave ».

[91]           La Nation indique que seuls 22 membres anonymes de l’Alliance, sur un total de 283 membres, ont assisté à l’assemblée générale annuelle de 2016 de l’Alliance. La Nation soutient que le faible taux de participation s’expliquait par l’insuffisance de l’avis de l’assemblée qui a été donné, ce qui signifie que cette autorisation rétroactive n’accorde pas à M. Enge une autorité suffisante de présenter la demande en l’espèce à titre d’instance par représentation. Cela est d’autant plus vrai, la Nation affirme-t-elle, compte tenu du fait qu’il n’était pas précisé dans l’annonce publiée dans le journal « The Yellowknifer » que les membres seraient appelés à voter relativement à une résolution pour autoriser les démarches de M. Enge relatives à l’introduction de la présente demande au nom des membres de l’Alliance. Bien qu’il n’y ait pas de copie de l’annonce au dossier, M. Enge a affirmé, dans le contre-interrogatoire, que l’annonce indiquait seulement que [traduction] « les points suivants seront abordés : états financiers, résolutions, quelque chose du genre ».

[92]           M. Enge fait valoir que, indépendamment de toute résolution autorisant expressément l’introduction de la présente demande de contrôle judiciaire, il avait l’autorité voulue d’introduire cette demande en raison de ses fonctions de président de l’Alliance. Il soutient également qu’il peut personnellement revendiquer des droits ancestraux en vertu de l’article 35 par l’entremise de la présente demande, en son propre nom et au nom d’autrui, du fait qu’il est lui-même un Métis de la région North Slave titulaire de droits ancestraux de récolte visés à l’article 35. Finalement, M. Enge prétend que la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve de l’existence d’un autre organisme (y compris la Nation) autorisé à représenter les Métis qui revendiquent des droits de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves.

B.                 L’historique et l’objet de l’article 114 des Règles des Cours fédérales

[93]           Pour décider si M. Enge a qualité pour introduire la présente demande au nom des membres de l’Alliance, il est utile de commencer par examiner l’historique et l’objet de l’article 114 des Règles des Cours fédérales.

[94]           Les Règles des Cours fédérales comportaient traditionnellement une règle autorisant les instances par représentation qui s’appliquait seulement aux actions, et non aux demandes. La règle a toutefois été abrogée en 2002 lorsque les Règles ont été modifiées pour prévoir l’autorisation des recours collectifs. On pensait à l’époque que les instances qui auraient auparavant été introduites en tant qu’instances par représentation le seraient désormais en tant que recours collectifs : le juge en chef Allan Lutfy et Emily McCarthy, « Rule-Making in a Mixed Jurisdiction: the Federal Court (Canada) » [Établissement des règles dans les tribunaux de compétences mixtes : La Cour fédérale (Canada)] (2010) 49 S.C.L.R. (2d) 313, au paragraphe 33.

[95]           La règle correspondant à l’article 114 a toutefois été rétablie dans les Règles des Cours fédérales quelques années plus tard, à la demande des praticiens membres du Barreau autochtone qui prétendaient que les instances par représentation se prêtent mieux que les recours collectifs à l’introduction de procédures se rapportant à des droits ancestraux ou issus de traités. Non seulement les instances par représentation ne sont-elles pas assorties de conditions de certification coûteuses et complexe, mais il existe de plus une importante distinction entre les deux types d’instance. Les membres de groupe peuvent s’exclure du recours collectif, ce qui ne conviendrait pas aux cas dans lesquels des droits ancestraux collectifs sont revendiqués. En revanche, dans les instances par représentation, chaque membre du groupe sera lié par l’issue de l’instance : Gill c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2005 CF 192, au paragraphe 13, 271 F.T.R. 139; Lutfy et McCarthy, précité, au paragraphe 38.

[96]            L’article 114 des Règles, telle que la règle a été adoptée de nouveau, a établi plusieurs exigences qu’un représentant doit remplir pour la protection des membres individuels de groupes autochtones : Première nation Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish c. Canada (Procureur général), 2012 CF 517, au paragraphe 84, 409 F.T.R. 82. Conformément à l’une de ces exigences, le demandeur à titre de représentant doit être dûment autorisé à agir au nom des personnes représentées.

[97]           Comme la Cour suprême l’a fait observer dans l’arrêt Behn, « [l’]obligation de consultation existe pour la protection des droits collectifs des peuples autochtones » : précité, au paragraphe 30. En raison de la nature collective des droits ancestraux, l’obligation de consultation est due au groupe autochtone qui détient les droits protégés par l’article 35, et non à ses membres à titre individuel : Beckman, précité, au paragraphe 35. En conséquence, le fait que M. Enge peut bénéficier lui-même de droits de récolte protégés par l’article 35 ne lui donne pas le droit à titre individuel d’être consulté concernant l’accord de principe de la Nation, et ne suffit pas non plus pour lui permettre de représenter d’autres membres de l’Alliance dans le cadre de la présente demande.

[98]           Il en est ainsi parce que les personnes qui s’autoproclament représentants ne seront pas autorisées à revendiquer des droits ancestraux collectifs au nom d’une communauté autochtone : Ross River Dena Council c. Canada (Attorney General), 2009 YKSC 38, au paragraphe 26, [2009] Y.J. No. 55, citant l’affaire Queackar‑Komoyue Nation c. British Columbia (A.G.), 2006 BCSC 1517, au paragraphe 35, [2007] 1 C.N.L.R. 286. Un groupe autochtone peut toutefois autoriser une personne ou un organisme à le représenter en vue de revendiquer ses droits protégés par l’article 35. 

[99]           La question à trancher est donc celle de savoir si M. Enge a été dûment autorisé à revendiquer des droits ancestraux collectifs au nom des membres de l’Alliance.

C.                 La suffisance de l’autorité accordée à M. Enge 

[100]       M. Enge prétend que, indépendamment de toute résolution autorisant expressément l’introduction de la présente demande de contrôle judiciaire, il a l’autorité d’introduire cette demande en raison de ses fonctions de président dûment élu de l’Alliance, fonctions qu’il exerce depuis 2004. Comme il sera expliqué ci-dessous, je souscris à cet argument.

[101]       L’Alliance, selon son document constitutif, est un organisme qui a pour objet [traduction] « de faire valoir les intérêts de ses membres par tous les moyens appropriés », et de promouvoir et appuyer la reconnaissance des droits ancestraux de la communauté métisse de la région North Slave des Territoires du Nord-Ouest.

[102]       Les buts de l’Alliance consistent notamment, [traduction] « [à] mener des activités, directement ou indirectement liées, qui intéressent ou préoccupent l’Alliance », et « [à] faire valoir et [à] appuyer les droits constitutionnels, juridiques, politiques, sociaux et économiques des Métis indigènes de la région de North Slave des Territoires du Nord-Ouest ». L’Alliance a également pour but [traduction] « [de] négocier, [de] ratifier et [de] mettre en œuvre des accords pour faire valoir et appuyer le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et à l’autodétermination de la communauté des Métis indigènes de la région North Slave des Territoires du Nord-Ouest au bénéfice de l’Alliance et de ses membres entre la Couronne fédérale, représentée par le gouvernement du Canada, et la Couronne territoriale, représentée par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ».

[103]       Ainsi, la revendication de droits ancestraux de récolte dans la région du Grand lac des Esclaves fait partie de la raison d’être de l’Alliance, et les démarches de M. Enge en présentant la demande de contrôle judiciaire en l’espèce sont tout à fait conformes aux buts de l’organisme.

[104]       De plus, la formule de demande d’adhésion à l’Alliance invite les personnes qui la remplissent à confirmer leur choix volontaire d’être représentées exclusivement par l’Alliance aux fins de la revendication de droits ancestraux qu’elles pourraient avoir dans la région North Slave des Territoires du Nord-Ouest. Cet élément étaie davantage la prétention selon laquelle M. Enge était autorisé à introduire la présente instance au nom des membres de l’Alliance.

[105]       L’Alliance, en tant que société enregistrée, possède tous les droits et tous les pouvoirs accordés à une personne morale : Loi sur les sociétés, au paragraphe 4(2). Les personnes morales, à leur tour, ont la capacité d’une personne physique : Loi sur les sociétés par actions, L.T.N.-O. 1996, ch. 19, au paragraphe 15(1). La Loi sur les sociétés par actions dispose également que « [l]a prise d’un règlement administratif n’est pas nécessaire pour conférer un pouvoir particulier à la société ou à ses administrateurs » : paragraphe 16(1).

[106]       Selon les règlements administratifs de l’Alliance, cependant, le conseil d’administration de l’Alliance est l’organe directeur de l’organisme et il est responsable d’appliquer ses statuts.  Le président de l’Alliance a la responsabilité générale d’assurer la gestion des affaires et des activités courantes de l’organisme.

[107]       M. Enge semble avoir élaboré les prétentions de l’Alliance concernant l’accord de principe de la Nation de concert avec deux membres du conseil d’administration de l’organisme. M. Enge a également affirmé que les autres membres du conseil d’administration ont été tenus au courant des arguments que les deux membres du conseil d’administration et lui avançaient dans le cadre de leurs discussions avec le Canada et le G.T.N.-O.. Cette démarche est conforme au rôle de M. Enge à titre de président et à celui du conseil d’administration à titre d’organe directeur de l’Alliance.

[108]       Comme la Cour d’appel du Manitoba l’a mentionné dans l’affaire Chartrand c. De la Ronde (1996), 113 Man. R. (2d) 12, au paragraphe 50, [1996] M.J. No. 433, (citant l’affaire Shaw & Sons (Salford) Ltd. c. Shaw, [1935] 2 K.B. 113 (C.A.), à la page 134), [traduction] « [u]ne société est une entité distincte de ses actionnaires et de ses dirigeants. Certains de ses pouvoirs peuvent, conformément à ses statuts, être exercés par les administrateurs; d’autres pouvoirs peuvent être exercés uniquement par les actionnaires à l’assemblée annuelle ». Le Canada et la Nation n’ont renvoyé à aucune disposition des statuts ou des règlements administratifs de l’Alliance selon laquelle les membres de l’Alliance doivent approuver tout litige intenté en leur nom. Je ne suis donc pas convaincue que M. Enge devait obtenir une approbation particulière des membres de l’Alliance avant d’introduire la présente demande de contrôle judiciaire.

[109]       De plus, la Cour a ajouté dans l’affaire Shaw que [traduction] « [l]a seule façon dont le groupe des actionnaires peut exercer un contrôle sur l’exercice des pouvoirs que les statuts accordent aux administrateurs est de modifier les statuts ou, si les statuts le permettent, de refuser de réélire les administrateurs dont ils n’aiment pas les actions ».

[110]       M. Enge a été élu président de l’Alliance pour la première fois en 2004. Selon l’article 5 des règlements administratifs de l’Alliance, des élections se tiennent tous les quatre ans. En conséquence, il semble que M. Enge aurait probablement été réélu président de l’Alliance en 2016 – après l’introduction de la présente demande, et après avoir revendiqué avec succès des droits ancestraux de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves au nom des membres de l’Alliance dans l’affaire Mandeville.

[111]       La réélection de M. Enge à la présidence de l’Alliance laisse entendre que les membres de l’organisme étaient satisfaits de ses démarches en vue de l’introduction de ces deux affaires. 

[112]       En effet, il semble que le principal motif de l’introduction de la présente demande ait été de veiller à ce que le Canada ou le G.T.N.-O., ou les deux, ne puissent pas éteindre les droits ancestraux de récolte des membres de l’Alliance dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves qui ont été reconnus par le tribunal dans l’affaire Mandeville.

[113]       De plus, sans perdre de vue le fait qu’il incombe à M. Enge d’établir qu’il a l’autorité voulue pour présenter la demande de contrôle judiciaire en l’espèce au nom des membres de l’Alliance, je constate qui ni le Canada ni la Nation n’a nommé un seul membre de l’Alliance qui n’appuie pas M. Enge dans sa démarche de présenter la demande en l’espèce en son nom.  

[114]       Finalement, même si une autorisation particulière des membres de l’Alliance était requise pour que M. Enge puisse introduire la présente demande, cette autorisation a été obtenue (quoiqu’après le fait) sous la forme de la résolution, adoptée à l’assemblée générale annuelle de l’organisme du 9 avril 2016, portant ratification du dépôt de la présente demande.

[115]       La résolution déclare :

[Traduction]

Les membres confirment que le président de l’Alliance Métis North Slave, agissant avec le consentement du conseil d’administration de l’Alliance, est autorisé à entreprendre toutes les démarches politiques et en justice nécessaires en vue de protéger les droits ancestraux des membres de l’Alliance à titre de Métis de la région du Grand lac des Esclaves des Territoires du Nord-Ouest des conséquences de l’accord final, au sens de l’accord de principe de la Nation, y compris, sans s’y limiter, la conduite de la demande de contrôle judiciaire, dans le dossier de la Cour fédérale T-1427-15.

[116]       Bien qu’un meilleur avis de l’assemblée générale annuelle de l’Alliance puisse avoir été donné, il demeure que l’avis qui a été donné satisfaisait aux dispositions tant de la Loi sur les sociétés des Territoires du Nord-Ouest que des règlements administratifs de l’Alliance.

[117]       Pour tous ces motifs, je conclus que M. Enge avait l’autorité requise pour présenter la demande en l’espèce au nom des membres de l’Alliance de sorte que les exigences de l’alinéa 114(1)b) des Règles des Cours fédérales aient été remplies.

[118]       La prochaine question à trancher est celle de savoir si M. Enge peut représenter les intérêts des membres de l’Alliance de façon équitable et adéquate.

D.                 M. Enge a-t-il établi qu’il peut représenter les intérêts des membres de l’Alliance de façon équitable et adéquate?

[119]       Les demandeurs le Canada et la Nation prétendent également que M. Enge n’a pas établi qu’il peut représenter les intérêts des membres de l’Alliance de façon équitable et adéquate, puisqu’il n’a pas pris de mesures raisonnables pour se renseigner sur leurs points de vue. Par conséquent, ils prétendent qu’il ne connaissait pas l’opinion de la plupart des membres de l’Alliance en ce qui concerne l’accord de principe de la Nation.

[120]       Dans l’arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, au paragraphe 41, [2001] 2 R.C.S. 534, la Cour suprême du Canada a discuté du genre de considérations dont un tribunal devrait tenir compte en vérifiant si une partie à un litige peut représenter adéquatement un groupe. La Cour suprême a affirmé qu’il peut être tenu compte notamment de « [l]a sa motivation [du représentant], de la compétence de son avocat et de sa capacité d’assumer les frais qu’il peut avoir à engager personnellement (par opposition à son avocat ou aux membres du groupe en général) ». La Cour a ajouté qu’« [i]l n’est pas nécessaire que le représentant proposé soit un modèle type du groupe, ni qu’il soit le meilleur représentant possible ». Le tribunal devrait toutefois être convaincu que le représentant proposé « défendra avec vigueur et compétence les intérêts du groupe », citant W. K. Branch, Class Actions in Canada (1998), aux paragraphes 4.210 à 4.490; Friedenthal, Kane et Miller, Civil Procedure (2e éd. 1993), aux pages 729 à 32. 

[121]       Bien que la Cour ait fait ces observations dans le contexte des recours collectifs, elles sont pertinentes également dans le cas des instances par représentation.

[122]       Dans la mesure où la prétention du Canada et de la Nation se rapporte à l’étendue des consultations que M. Enge a menées auprès des membres de l’Alliance avant de présenter la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, j’ai déjà conclu qu’il avait l’autorité voulue pour la présenter au nom des membres de l’Alliance, et que sa démarche dans ce sens et les prétentions exprimées dans le cadre de la demande sont conformes aux statuts de l’Alliance. Il a de plus démontré par le rôle de premier plan qu’il a joué dans l’affaire Mandeville qu’il possède les connaissances nécessaires des faits et des questions en litige pertinents à la présente demande, en plus d’avoir l’habileté de revendiquer avec succès, au nom des membres de l’Alliance, les droits ancestraux de récolte visés à l’article 35. M. Enge est, de plus, représenté par un avocat chevronné qui a eu gain de cause dans l’affaire Mandeville au nom de M. Enge et des membres de l’Alliance.

[123]       En conséquence, je conclus que M. Enge a rempli les exigences de l’alinéa 114(1)c) des Règles, et qu’il peut représenter de façon équitable et adéquate les intérêts des membres de l’Alliance dans le cadre de la présente demande. 

[124]       Cela nous mène à l’examen de la demande de contrôle judiciaire sur le fond.

VII.           Les questions en litige

[125]       M. Enge prétend que le Canada a manqué à son obligation de consulter adéquatement les membres de l’Alliance avant de conclure l’accord de principe de la Nation. En conséquence, il demande notamment que la négociation de l’accord définitif soit suspendue jusqu’à ce qu’une consultation sérieuse soit tenue et que des mesures d’adaptation soient prises entre le Canada et l’Alliance en ce qui concerne les préoccupations qu’il a soulevées.

[126]       Plus précisément, M. Enge soutient que le Canada a commis une erreur de droit pour les motifs suivants :

(1)               ne pas avoir procédé à l’évaluation préliminaire de la solidité de la revendication des membres de l’Alliance;

(2)               ne pas avoir cerné correctement l’étendue et la teneur de son obligation de consulter;

(3)               ne pas avoir évalué de nouveau la solidité des revendications des membres de l’Alliance au cours des consultations;

(4)               avoir invoqué la clause de non-dérogation de l’accord de principe de la Nation comme mesure d’atténuation.

[127]       M. Enge prétend également que le processus de consultation qui a été mené par le Canada était déraisonnable parce que le Canada, à la fois :

(1)               a adopté des prétentions rigides et immuables en invoquant sa politique de négociation régionale des revendications sans tenir compte des principes juridiques applicables;

(2)               a adopté une approche à la consultation selon laquelle « la fin  justifie les moyens »

(3)               a refusé de mener une consultation approfondie et de tenir compte des mesures d’adaptation nécessaires compte tenu de la nature extrême des effets préjudiciables éventuels prévus par l’accord de principe de la Nation.

[128]       Avant de traiter les questions soulevées par M. Enge, je traiterai d’abord la prétention du G.T.N.-O. selon laquelle il y a lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle est prématurée. Je traiterai également la prétention du Canda selon laquelle aucune obligation de consulter n’a pris naissance en l’espèce, puisque les membres de l’Alliance font partie de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest – le groupe, représenté par la Nation, avec lequel le Canada avait jusqu’alors négocié.

[129]       Afin de contextualiser les questions en litige soulevées par la présente demande, il est toutefois utile de commencer par examiner le droit relatif à la source et à la fonction de l’obligation de consultation.

VIII.        La source et la fonction de l’obligation de consulter

[130]       Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Première nation crie Mikisew c. (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.S.C. 388, la gestion des rapports entre le Canada et les peuples autochtones et non autochtones « s’exerce dans l’ombre d’une longue histoire parsemée de griefs et d’incompréhension ». La Cour a fait remarquer que « [l]a multitude de griefs de moindre importance engendrés par l’indifférence de certains représentants du gouvernement à l’égard des préoccupations des peuples autochtones, et le manque de respect inhérent à cette indifférence, ont causé autant de tort au processus de réconciliation que certaines des controverses les plus importantes et les plus vives » : les deux citations étant tirées du paragraphe 1.

[131]       C’est dans ce contexte que la Cour suprême a affirmé que « [l]’objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits ancestraux et issus de traités est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs » : arrêt Mikisew, précité, au paragraphe 1; Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo Services Inc., 2017 CSC 40, au paragraphe 19, [2017] A.C.S. No 40. L’obligation de consulter découle du principe de l’honneur de la Couronne et vise la protection des droits ancestraux et issus de traités tout en favorisant la réconciliation entre les peuples autochtones et la Couronne : arrêt Clyde River, précité, au paragraphe 19, citant l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, au paragraphe 34, [2010] 2 R.C.S. 650.

[132]       Afin d’agir honorablement, la Couronne ne peut « traiter cavalièrement les intérêts autochtones qui font l’objet de revendications sérieuses dans le cadre du processus de négociation et d’établissement d’un traité. Elle doit respecter ces intérêts potentiels mais non encore reconnus » : Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au paragraphe 27, [2004] 3 R.C.S. 511. La Couronne doit plutôt respecter ces intérêts potentiels mais non encore reconnus, et doit consulter tout groupe autochtone concerné avant la prise d’une décision pouvant avoir une incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités du groupe en question. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Clyde River, « le mot [traduction] “‘consultation’, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres ” » : précité, au paragraphe 49, citant T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People » (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, à la page 61.

[133]       L’obligation de consulter revêt un caractère à la fois juridique et constitutionnel : arrêt Rio Tinto, précité, au paragraphe 34; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, au paragraphe 6, [2008] 2 R.C.S. 483. La dimension constitutionnelle de l’obligation de consulter découle du principe de l’honneur de la Couronne : Kapp, précité, au paragraphe 6. Ce principe est consacré au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît et confirme les droits existants ancestraux et issus de traités : arrêt Clyde River, au paragraphe 19, citant Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 74, au paragraphe 24, [2004] 3 R.C.S. 550.

[134]       Elle est, de plus, « un corollaire de celle d’arriver à un règlement équitable des revendications autochtones au terme du processus de négociation de traités » : Rio Tinto, précité, au paragraphe 32, citant l’arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 20.

[135]       La Cour suprême a expliqué que l’obligation de consulter « découle de la nécessité de protéger les intérêts autochtones lorsque des terres ou des ressources font l’objet de revendications ou que la mesure projetée peut empiéter sur un droit ancestral : Rio Tinto, précité, au paragraphe 33. L’obligation de consulter oblige la Couronne à tenir compte des droits ancestraux contestés ou établis avant de prendre une décision susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur ces droits : arrêt Rio Tinto, précité, au paragraphe 35.

[136]       L’obligation de consulter consiste principalement en un droit de nature procédurale : Mikisew, précité, au paragraphe 57. Elle ne dépend toutefois pas de l’obligation d’équité fondée sur la common law. Il s’agit plutôt d’une obligation fondée sur « [un] processus de négociation honorable et de conciliation qui débute au moment de l’affirmation de la souveraineté et se poursuit au‑delà du règlement formel des revendications » : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 32.

[137]       Bien que l’obligation de consulter soit principalement de nature procédurale, elle comporte aussi un volet substantiel. Il ne suffit pas, pour s’acquitter de cette obligation [traduction] « de prévoir un mécanisme permettant aux intéressés d’échanger des renseignements et d’en discuter » : Wii’litswx c. British Columbia (Minister of Forests), 2008 BCSC 1139, au paragraphe 178, [2008] 4 C.N.L.R. 315. Les consultations doivent être sérieuses et être menées de bonne foi « dans l’intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu » : arrêt Clyde River, précité, au paragraphe 23; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, au paragraphe 168, [1997] A.C.S. No 108; voir également Arthur Pape, « The Duty to Consult and Accommodate: A Judicial Innovation Intended to Promote Reconciliation » dans Aboriginal Law since Delgamuukw, éd. Maria Morellato (Aurora (Ontario) : Cartwright Group Ltd., 2009), à la page 317. Les consultations, en plus d’être sérieuses, doivent également permettre la prise de mesures d’adaptation au besoin. Les prétentions du groupe autochtone doivent être « prises en considération avec sérieux et, lorsque c’est possible, [...] intégrées d’une façon qui puisse se démontrer dans le plan d’action proposé » : Halfway River First Nation c. British Columbia, 1999 BCCA 470, au paragraphe 160, [1999] 4 C.N.L.R. 1. 

[138]       Le Canada a l’obligation de consulter ses peuples autochtones lorsqu’il « a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci » : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 35. L’exigence de connaissance à satisfaire pour donner naissance à l’obligation de consulter et d’accommoder est peu élevée : arrêt Rio Tinto, précité, au paragraphe 40. D’ailleurs, la connaissance d’une revendication crédible, mais non encore établie suffit, à faire naître l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’adaptation : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 37.

[139]       Bien qu’il soit essentiel que le peuple autochtone prouve l’existence possible d’une revendication, il n’est pas nécessaire de prouver que la revendication connaîtra une issue favorable : arrêt Rio Tinto, précité, au paragraphe 40.

[140]       Bien que la norme applicable pour faire naître l’obligation de consulter soit relativement peu élevée, dès lors que l’obligation a pris naissance, l’étendue de la consultation requise dépendra de la solidité de la revendication autochtone et de la gravité des effets éventuels sur le droit concerné : Chippewas of the Thames First Nation c. Enbridge Pipelines Inc., 2017 CSC 41, au paragraphe 38 (CTFN), [2017] A.C.S. No 41, citant l’arrêt Nation haïda, précité, aux paragraphes 39 et 43 à 45. Il faut procéder au cas par cas sur le fond et « faire preuve de souplesse, car le caractère approfondi de la consultation nécessaire peut varier au fur et à mesure que se déroule le processus et que sont mis au jour de nouveaux renseignements » : arrêt Clyde River, précité, au paragraphe 20, citant l’arrêt Nation haïda, aux paragraphes 39 et 43 à 45.

[141]       Une revendication peu solide peut ne nécessiter qu’une simple obligation d’informer, alors qu’une revendication plus solide peut faire naître des obligations plus contraignantes pour la Couronne : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 37. La teneur de l’obligation de consulter applicable dans les circonstances en l’espèce fera l’objet d’une discussion approfondie plus loin dans les présents motifs.

[142]       L’obligation de consulter n’a pas pour effet de créer un droit de « véto » en faveur des groupes autochtones : CTFN, précité, au paragraphe 59. Tant que les consultations sont sérieuses, la Couronne n’est pas obligée de parvenir à un accord avec le groupe autochtone concerné. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation exige plutôt que « les préoccupations des Autochtones soient raisonnablement mises en balance avec l’incidence potentielle de la décision sur ces préoccupations et avec les intérêts sociétaux opposés. L’idée de compromis fait partie intégrante du processus de conciliation » : arrêt Taku River, précité, au paragraphe 92.

[143]       Toutefois, [traduction] « lorsque les mesures que la Couronne se propose de prendre risquent d’avoir des effets négatifs importants sur une solide revendication autochtone, l’obligation qui est faite à la Couronne de mener de véritables consultations peut l’obliger à modifier le plan d’action envisagé pour éviter de porter atteinte aux droits des Autochtones ou pour minimiser cette atteinte en attendant une solution finale » : affaire Wii’litswx, précitée, au paragraphe 178. Voir également l’arrêt Nation haïda, précité, aux paragraphes 41 et 42 et 45 à 50. La consultation doit être sérieuse et ne peut consister simplement à donner au groupe autochtone concerné l’occasion  « de se défouler » : Mikisew, précité, au paragraphe 54.

[144]       La Couronne a toute latitude pour définir la structure du processus de consultation et pour s’acquitter de son obligation de consulter : Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, au paragraphe 203, [2016] 4 R.C.F. 418, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, [2016] C.S.C.R. no 386, CSC 37201, Cold Lake First Nations c. Alberta (Minister of Tourism, Parks and Recreation), 2013 ABCA 443, au paragraphe 39, 566 A.R. 259 (C.A. Alta).

[145]       Pour vérifier si l’obligation de consulter a été remplie, la perfection n’est pas requise. Dans la mesure où la Couronne  « a déployé des efforts raisonnables pour informer et consulter les Premières nations qui étaient susceptibles d’être touchées par les mesures qu’il entendait prendre, [la Couronne] a satisfait à son obligation » : Première Nation des Ahousaht c. Canada (Pêches et Océans), 2008 CAF 212, au paragraphe 54, [2008] A.C.F. no 946.

[146]       Dans tous les cas, la question fondamentale consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 45. Le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle-ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 45. En conséquence, toute décision touchant des droits ancestraux ou issus de traités prise sans une consultation adéquate ne respectera pas l’obligation de consulter, et devrait être annulée à l’issue d’un contrôle judiciaire : arrêt Clyde River, précité, au paragraphe 24.

[147]       La source et la fonction de l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’adaptation étant bien comprises, j’examinerai maintenant l’argument de prématurité du G.T.N.-O.

IX.              L’argument de prématurité du G.T.N.-O.

[148]       Le G.T.N.-O. indique que M. Enge et l’Alliance se concentrent dans le cadre de la présente demande sur les démarches du Canada et que les moyens de contrôle dans l’avis de demande des demandeurs ne visent que les démarches du Canada. Le G.T.N.-O. prétend également que le Canada [traduction] « était aux commandes » pendant les discussions avec l’Alliance, et qu’il n’a fait que suivre le Canada en ce sens. 

[149]       Le G.T.N.-O. concède qu’il avait l’obligation de consulter l’Alliance et, au besoin, de prendre des mesures d’adaptation à son égard quant aux droits ancestraux de récolte que ses membres revendiquent dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. Il concède également que la négociation de l’ébauche de l’accord de principe de la Nation a fait naître cette obligation, et que le G.T.N.-O. continuera, de plus, d’avoir l’obligation de consulter l’Alliance jusqu’à la conclusion d’un accord définitif. Le G.T.N.-O. prétend toutefois que, étant donné que d’autres consultations seront menées auprès de l’Alliance avant la conclusion d’un accord définitif, la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée. Je ne suis pas d’accord.

[150]       L’obligation de consulter ne se limite pas aux décisions qui ont une incidence immédiate sur les terres et les ressources : arrêt Clyde River, précité, au paragraphe 25. Comme je l’ai fait observer dans l’affaire Bande des Dénés de Sambaa K’e c. Duncan, 2012 CF 204, 405 F.T.R. 182, « l’obligation de consulter s’applique aux décisions stratégiques prises en haut lieu qui sont susceptibles d’avoir des effets sur les revendications autochtones et les droits ancestraux, et ce, même si les effets en question sur les terres ou les ressources contestées ne sont pas immédiats » : au paragraphe 163, citant l’arrêt Rio Tinto, précité, au paragraphe 44.

[151]       La consultation doit avoir lieu au moment opportun : affaire Halfway River, précitée, au paragraphe 160. Comme je l’ai mentionné dans l’affaire Sambaa K’e, « [p]our être sérieuses, les consultations ne sauraient être remises au tout dernier moment d’une série de décisions ». Il en est ainsi parce que « [d]ès que des décisions préliminaires importantes ont été prises, il se peut fort bien que le terrain soit propice à un acte particulier susceptible de faire avancer les choses » : au paragraphe 164, citant Squamish Indian Band c. British Columbia (Minister of Sustainable Resource Management), 2004 BCSC 1320, au paragraphe 75, 34 B.C.L.R. (4th) 280. De plus, on peut se trouver dans une telle situation même si les décisions préliminaires ne sont pas juridiquement contraignantes : les deux citations étant tirées de l’affaire Sambaa K’e, précitée, au paragraphe 164.

[152]       Il a été jugé que la décision de la Couronne de conclure un accord de principe relatif aux terres et aux ressources avait fait naître l’obligation de consulter : affaire Sambaa K’e, précitée, aux paragraphes 163 à 167; Huron-Wendat Nation of Wendake c. Canada, 2014 CF 1154, aux paragraphes 102 à 105, [2015] 3 C.N.L.R. 53.

[153]       Il ressort d’ailleurs de la jurisprudence que ce n’est pas parce que les décisions préliminaires ne sont pas juridiquement contraignantes qu’il n’existe pas pour autant d’obligation de consulter. Par exemple, dans l’affaire Première Nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354, 303 F.T.R. 106, il a néanmoins été jugé que les négociations conduisant à un plan de coopération non contraignant entraînaient une obligation de consulter qui se situait au haut du continuum de consultation.

[154]       Même s’il reste bien des questions à résoudre quant aux dispositions d’un accord définitif sur les terres et les ressources, comme le G.T.N.-O. l’a lui-même reconnu,  l’accord de principe de la Nation offre un « cadre général d’application » en vue de ces discussions.

[155]       En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas prématurée.  M. Enge et l’Alliance peuvent s’opposer au caractère adéquat de la consultation qui s’est tenue avec l’Alliance jusqu’à présent en ce qui concerne l’accord de principe de la Nation. 

[156]       La question suivante consiste donc à vérifier si l’obligation de consulter l’Alliance a pris naissance en l’espèce.

X.                 L’obligation de consulter les membres de l’Alliance a-t-elle pris naissance en l’espèce?

[157]       Bien que le G.T.N.-O. concède que son obligation de consulter l’Alliance a pris naissance en raison de sa décision de négocier l’accord de principe de la Nation, le Canada n’est pas d’accord pour dire qu’il avait l’obligation de consulter l’Alliance, ou qu’une telle obligation a pris naissance en l’espèce. Le Canada affirme qu’il en est ainsi parce que les membres de l’Alliance font partie du groupe avec lequel il avait négocié jusqu’alors, à savoir la Nation.

[158]       Selon le Canada, les droits métis sur lesquels un accord définitif pourrait avoir une incidence sont les droits dont sont titulaires les Métis qui sont admissibles à devenir membres conformément aux dispositions l’accord de principe de la Nation. On se souviendra que le mot « Métis », tel qu’il est défini dans l’accord de principe de la Nation, s’entend de tout « Autochtone appartenant à la lignée des Cris, des Slaves ou des Chippewas qui habitaient, utilisaient et occupaient toute partie de la zone de l’accord au plus tard le 31 décembre 1921, ou [de tout] descendant d’un tel Autochtone ». Il s’agit essentiellement de la communauté métisse, représentée par la Nation, avec laquelle le Canada affirme avoir négocié pendant de nombreuses années.

[159]       Le Canada, même s’il avait négocié avec la Nation pendant longtemps, affirme qu’il a commencé à consulter l’Alliance en 2012 selon sa reconnaissance que l’Alliance représentait un groupe autochtone distinct qui revendiquait, dans la région North Slave, des droits ancestraux visés à l’article 35. Le Canada affirme toutefois qu’il a appris, au cours de ses consultations avec l’Alliance, que de nombreux membres de l’Alliance étaient en fait admissibles à devenir membres aux termes de l’accord de principe de la Nation, et pourraient ainsi participer à l’accord définitif prévu aux termes de l’accord de principe de la Nation.

[160]       Le Canada indique également que les Métis des Territoires du Nord-Ouest ne se verront pas imposer un accord définitif exécutoire. Un accord définitif ne prendra naissance que s’il est ratifié par une majorité de personnes qui sont admissibles à devenir membres selon ses dispositions.

[161]       Selon le Canada, la présente affaire ne se rapporte pas fondamentalement au caractère adéquat de la consultation tenue par la Couronne; il s’agit plutôt de s’opposer au rôle de la Nation à titre de représentant adéquat des Métis dont les ancêtres autochtones étaient originaires de la région South Slave des Territoires du Nord-Ouest.  

[162]       Le Canada reconnaît qu’il avait l’obligation de consulter la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest avant de conclure l’accord de principe de la Nation. Le Canada reconnaît également que les Métis de la région du Grand lac des Esclaves ont à première vue une revendication bien fondée à l’égard du droit de récolter le caribou sur leur territoire traditionnel revendiqué, qui englobe le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. La contestation du Canada porte sur la question de savoir s’il avait l’obligation de consulter les membres de l’Alliance, indépendamment de son obligation de consulter la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest représentée par la Nation.

[163]       La question à trancher est donc celle de savoir si le Canada avait l’obligation de consulter les membres de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest qui sont représentés par l’Alliance, en plus de son obligation de consulter les membres de la Nation. Avant de traiter cette question, cependant, j’examinerai d’abord la norme de révision applicable au choix de partie à la négociation fait par le Canada.

A.                 La norme de révision

[164]       La Cour suprême du Canada a discuté des normes de révision applicables aux décisions de la Couronne relatives à l’obligation de consulter dans l’arrêt Nation haïda, précité, aux paragraphes 61 à 63. La Cour suprême a conclu que, quant aux questions de droit, le décideur doit, en règle générale, rendre une décision correcte, alors que le tribunal de révision peut devoir faire preuve de déférence à l’égard du décideur en ce qui a trait aux questions de fait ou aux moyens mélangés de fait et de droit : précité, au paragraphe 61.

[165]       L’arrêt Nation haïda  a été rendu avant que la Cour suprême ne rende l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. Toutefois, dans l’affaire Ahousaht, précitée, au paragraphe 34, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’arrêt Dunsmuir ne change rien à la norme de révision applicable au contrôle des décisions relatives à l’obligation de consulter.  

[166]       La question de savoir si l’obligation de la part de la Couronne de consulter un groupe autochtone donné a pris naissance est une question de droit, dans la mesure où elle définit une obligation légale. Ainsi, elle est contrôlée selon la norme de la décision correcte. Cela dit, elle consiste également à évaluer les faits, tels que la composition de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest et la nature des deux organismes qui prétendent représenter la communauté. En conséquence, il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard de l’évaluation par le Canada des faits qui sous-tendent son choix de partie à la négociation en l’espèce : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 61.

B.                 L’obligation de consulter dans le contexte des Métis

[167]       Dans une grande mesure, le différend entre les parties quant à savoir si l’Alliance a droit à la consultation découle du fait que des Métis, et non des « Indiens », au sens de ce mot dans la Loi sur les Indiens, sont le peuple autochtone dont les droits sont en cause dans la présente instance.

[168]       Les structures de gouvernance et la qualité juridique des groupes d’« Indiens » sont largement prévues aux termes de la Loi sur les Indiens du Canada. Pour cette raison, on pourra généralement distinguer l’entité représentant tel groupe autochtone, et l’entité qu’il y a donc lieu de consulter quant aux démarches de la Couronne pouvant avoir une incidence sur les droits ancestraux dont sont titulaires les membres du groupe en question. Aucune loi comparable en vigueur au niveau fédéral ou territorial ne crée de qualités juridiques et de structures de gouvernance pour les collectivités métisses, bien que certaines provinces aient adopté des lois dans ce domaine. Ainsi, il peut s’avérer difficile de savoir quelle entité la Couronne doit consulter avant d’entreprendre des démarches pouvant avoir une incidence sur les droits ancestraux des Métis.  

[169]       Comme il a été mentionné précédemment dans les présents motifs, le Canada négocie avec la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest depuis les années 1980. Après l’échec de la négociation avec les Dénés et les Métis concernant les terres et les ressources, le Canada a entamé des négociations relatives aux revendications territoriales régionales dans chacune des cinq régions des Territoires du Nord-Ouest, y compris les régions North Slave et South Slave. Il semble qu’il était initialement entendu que les Métis de la région North Slave défendraient leurs intérêts indépendamment des Métis de la région South Slave, de concert avec le Conseil tribal des Dogribs du Traité no 11.

[170]       En 1996, le Canada a négocié un accord-cadre appelé « Entente-cadre des Métis de South Slave » avec le G.T.N.-O., les Métis de l’association locale no 50 de la Nation métisse de Fort Smith, l’association locale no 51 de la Nation métisse de Hay River et l’association locale de la Nation métisse de Fort Resolution, représentés par le Conseil tribal des Métis de South Slave (CTMSS). Le CTMSS était un organisme-cadre qui représentait les Métis de la région South Slave des Territoires du Nord-Ouest et le prédécesseur de la Nation. Selon le Canada, cet accord-cadre continue de régir ses négociations avec la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest. 

[171]       Parallèlement, l’Alliance demandait d’être reconnue à titre de partie devant être consultée à l’égard des revendications des Métis relatives au secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. Cette demande semble avoir été rejetée au motif qu’au moins certains membres de l’Alliance étaient admissibles à devenir membres de la Nation.

[172]       Bien que le Canada semble disposer de renseignements limités sur la Nation (peut-être parce qu’il ne s’est jamais renseigné auprès de la Nation au sujet du groupe autochtone qu’elle prétendait représenter), il affirme que, après l’échec des négociations avec les Dénés et les Métis, la poursuite de la négociation des dispositions d’un accord sur les terres et les ressources avec la Nation à titre de représentant du peuple métis des Territoires du Nord-Ouest représentait une [traduction« décision facile ».

[173]       Le Canada a de plus prétendu que toute préoccupation quant à la composition de la Nation peut être soulevée dans le processus de ratification. Le Canada affirme plus précisément que la réussite du processus de ratification d’un accord définitif ratifié signifierait que la Nation s’est vu accorder l’autorité requise pour conclure l’accord. C’est ce que les demandeurs qualifient d’approche selon laquelle « la fin justifie les moyens ».

[174]       Bien que la réussite du processus de ratification d’un accord définitif ait signifié que la majorité des membres de la Nation approuvent l’accord, elle ne résoudrait pas la question de savoir qui devait être consulté au sujet des dispositions de cet accord. Elle ne permettrait pas non plus de remédier à toute lacune du processus de consultation en vue de la tenue du vote de ratification.

C.                 Comparaison entre l’Alliance et la Nation

[175]       L’Alliance et la Nation ont toutes deux été établies dans le milieu des années 1990 et sont toutes deux des sociétés enregistrées aux termes de la Loi sur les sociétés des Territoires du Nord-Ouest. Les deux organismes, même si leurs critères d’adhésion diffèrent, prétendent représenter les Métis des Territoires du Nord-Ouest qui sont titulaires de droits de récolte visés à l’article 35 dans la région entourant le Grand lac des Esclaves.

[176]       Bien que la Nation et l’Alliance revendiquent toutes deux des droits de récolte visés à l’article 35 dans le Grand lac des Esclaves et les environs, l’Alliance représente manifestement un autre segment de la communauté métisse que la Nation. La Nation semble se concentrer sur la protection des droits de ses membres dans le secteur situé au sud du Grand lac des Esclaves, alors que l’Alliance se concentre sur la protection des droits de ses membres dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves.

[177]       Bien que les organismes reconnaissent tous deux l’existence d’une seule communauté métisse dans les Territoires du Nord-Ouest dont le territoire traditionnel englobe la totalité des Territoires, ils n’ont pas les mêmes objectifs, priorités et conditions d’adhésion. 

[178]       L’un des objets de la Nation consiste à promouvoir l’unité des Métis dans le secteur situé au sud du Grand lac des Esclaves des Territoires du Nord-Ouest. La Nation a également pour but de protéger, de promouvoir et d’améliorer les droits ancestraux des Métis de la région South Slave. Selon l’affidavit de Gary Bailey, président de la Nation, la Nation a pour mandat, de façon générale, [traduction] « de servir et de protéger les intérêts des Métis indigènes qui sont membres du Conseil des Métis de Fort Smith, du Conseil des Métis de Hay River et du Conseil des Métis de Fort Resolution ». M. Enge soutient également que ce mandat vise notamment [traduction] « l’affirmation, la protection et la reconnaissance des droits ancestraux des Métis dans l’ensemble du territoire traditionnel de la Nation », lequel, selon la Nation, englobe la totalité des Territoires du Nord-Ouest.

[179]        En revanche, les fins visées par l’Alliance consistent notamment à promouvoir l’unité des Métis dans la région North Slave des Territoires du Nord-Ouest, et à promouvoir et appuyer la reconnaissance des droits ancestraux et des titres et droits issus de traités de la communauté des Métis indigènes de la région North Slave.

[180]       Les deux organismes semblent également avoir des priorités différentes et représenter différents segments de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest. Bien que l’Alliance se concentre sur la protection des droits ancestraux de récolte de la communauté des Métis indigènes de la région North Slave des Territoires du Nord-Ouest, le Canada reconnaît que l’accord de principe de la Nation prévoit l’extinction des droits ancestraux de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves.

[181]       La Nation n’est pas d’accord pour dire que l’accord de principe de la Nation prévoit l’extinction des droits ancestraux de récolte des animaux sauvages dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, et affirme que l’extinction des droits ancestraux de ses membres en dehors de la région visée par l’accord n’est pas une question « en cours de négociation ». Bien que les dispositions de l’accord définitif doivent toujours être négociées, il semble toutefois que l’extinction des droits ancestraux de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves est exactement le résultat prévu aux termes de l’accord de principe de la Nation. Le Canada a d’ailleurs exprimé clairement qu’il s’agissait là de son intention tout au long du processus de consultation.

[182]       En effet, à la réunion du 24 octobre 2013, le Canada a informé M. Enge et l’Alliance de son intention qu’un accord définitif sur les terres et les ressources ait pour effet d’éteindre les droits ancestraux de récolte au nord du Grand lac des Esclaves des personnes admissibles à l’inscription aux termes de l’accord définitif. Le Canada a également concédé à l’audience de la présente demande que la compréhension que M. Enge avait de l’incidence des dispositions d’admissibilité de l’accord de principe de la Nation sur les droits des membres de l’Alliance dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves était « probablement correcte ».

[183]       La Nation et l’Alliance semblent également avoir des points de vue différents quant aux personnes qui devraient être considérées comme Métis aux fins d’un accord définitif avec la Couronne. Le mot « Métis » est défini à la fois dans les règlements administratifs de la Nation et dans l’accord de principe de la Nation uniquement par renvoi à l’ascendance autochtone. Comme l’ont indiqué M. Enge et l’Alliance, cependant, bien que tous les Métis soient d’ascendance autochtone, toutes les personnes d’ascendance autochtone ne peuvent être qualifiées de « Métis », au sens que la Cour suprême du Canada a prêté à ce mot dans des arrêts tels Powley et Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99. En effet, dans l’arrêt Powley, la Cour suprême a précisément rejeté la notion selon laquelle le mot « Métis » vise toutes les personnes d’ascendance mixte indienne et européenne.

[184]       L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 confirme les droits des Métis, mais ne précise pas ce que signifie être un « Métis ». La Cour suprême a tenté de donner une orientation à cet égard dans l’arrêt Powley, en dégageant des indices tendant à établir l’identité métisse dans le cadre d’une revendication fondée sur l’article 35. En plus des liens ancestraux, ces indices comprennent l’auto-identification et l’acceptation par la communauté : aux paragraphes 31 à 33. Dans l’arrêt Daniels, précité, la Cour suprême a confirmé que les critères de l’arrêt Powley ont été établis spécialement pour l’application de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel, a-t-elle dit, « a pour objet de protéger des droits collectifs historiques » : au paragraphe 49, citant l’arrêt Powley, précité, au paragraphe 13.

[185]       La Cour suprême a insisté sur le fait que l’examen mené selon l’arrêt Powley doit l’être au cas par cas, en mentionnant que le fait de déterminer l’appartenance à la communauté métisse « n’est peut‑être pas aussi simple que vérifier, par exemple, l’appartenance à une bande indienne ». Toutefois, « les Métis n’en demeurent pas moins des titulaires de droits à part entière ». La Cour suprême a également fait observer que « [é]tant donné que les communautés métisses continuent de s’organiser plus formellement et de revendiquer leurs droits constitutionnels, il est essentiel que les conditions d’appartenance aux communautés deviennent plus uniformes, de façon à permettre l’identification des titulaires de droits ». La Cour a affirmé que, dans l’intervalle, « les tribunaux saisis de revendications émanant de Métis devront statuer au cas par cas sur la question de l’identité » : toutes les citations étant tirées du paragraphe 29.

[186]       Bien que le Canada affirme que l’Alliance applique essentiellement les mêmes conditions d’adhésion que la Nation, les conditions d’adhésion à la Nation visent principalement l’ascendance autochtone, alors que les conditions d'adhésion à l’Alliance visent d’autres considérations du type énoncé dans l’arrêt Powley, telle la reconnaissance par la communauté.

[187]       L’Alliance compte actuellement 283 membres, dont les noms ont été communiqués aux deux gouvernements dans le processus de consultation. Bien que les règlements administratifs de l’Alliance interdisent aux personnes qui ont le statut d’Indiens inscrits aux termes de la Loi sur les Indiens de devenir membres, le Canada a indiqué que 33 des personnes dont le nom figure sur la liste de membres de l’Alliance ont le même nom que des personnes inscrites comme  « Indiens » aux termes de la Loi sur les Indiens. Il n’a toutefois pas établi qu’il s’agit en fait des mêmes personnes.

[188]       La Nation prétend que 2 169 Métis au Canada sont admissibles à devenir membres de l’organisme, et elle affirme qu’elle élabore actuellement un questionnaire pour trouver d’autres Métis indigènes qui sont admissibles à devenir membres de l’un des trois conseils membres. La Nation a toutefois refusé de fournir le nombre réel de membres et n’a pas non plus fourni les noms de ses membres. Nous n’avons donc aucune façon de savoir comment le nombre de membres de la Nation se compare à celui de l’Alliance. 

D.                 Conclusion quant à savoir si l’obligation de la Couronne de consulter l’Alliance a pris naissance en l’espèce

[189]       Bien que le droit d’un organisme autochtone d’être consulté ne se limite pas à une question de nombre, je suis disposée à tirer une inférence défavorable du fait que la Nation a refusé de divulguer le nombre actuel de ses membres. Je conclus que ce renseignement n’aurait probablement pas aidé la Nation à démontrer qu’elle est le seul organisme ayant droit à la consultation concernant un accord sur les terres et les ressources entre les Métis des Territoires du Nord-Ouest et la Couronne fédérale et territoriale.

[190]       Rien ne laisse entendre que les deux gouvernements défendeurs aient demandé à la Nation d’établir la solidité des droits ancestraux revendiqués par ses membres. Les défendeurs n’ont pas davantage établi que la Nation a un droit de représentation des intérêts des Métis des Territoires du Nord-Ouest qui soit supérieur à celui de l’Alliance. Les défendeurs n’ont pas établi non plus que la Nation a un droit à la consultation en ce qui concerne les dispositions d’un accord sur les terres et les ressources entre les Métis du Territoire du Nord-Ouest et la Couronne fédérale et territoriale qui soit supérieur à celui de l’Alliance.

[191]       La Cour suprême a, de plus, confirmé que les communautés métisses ont un rôle important à jouer dans l’identification des conditions d’appartenance aux établissements métis afin d’établir une assise territoriale métisse et l’élaboration de structures organisationnelles et de gouvernance : Alberta (Affaires autochtones et développement du Nord) c. Cunningham, 2011 CSC 37, au paragraphe 81, [2011] 2 R.C.S. 670, citant l’arrêt Powley, précité, au paragraphe 29. Il n’appartient donc pas au Canada de décider lequel des organismes est mieux placé pour représenter les intérêts de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest, pas plus qu’il n’appartient au Canada de décider lequel des organismes a le programme le plus attrayant.

[192]       De plus, il est clairement établi en droit que [traduction] : « la Couronne ne peut négliger les droits ancestraux potentiels revendiqués par un groupe pour favoriser la conclusion d’un traité avec un autre groupe » : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 27.

[193]       Il ne convient pas d’établir des principes directeurs à prendre en compte pour décider si un groupe donné qui prétend représenter une collectivité métisse a droit à la consultation dans une affaire donnée. Il s’agit d’une question de fait qui devra plutôt être décidée au cas par cas.

[194]       En l’espèce, il semble que le Canada et le G.T.N.-O. négociaient avec la Nation pour des raisons historiques, en fonction de l’ascendance autochtone de ses membres, et non pas parce que les membres de la Nation représentent nécessairement une communauté métisse titulaire de droits visés à l’article 35 comme celle décrite dans l’arrêt Powley.

[195]       Comme la Cour suprême l’a fait observer dans l’arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 37,  la connaissance d’une revendication crédible, mais non encore établie, suffit à faire naître l’obligation de consulter et d’accommoder. Le Canada était vraisemblablement au courant que les membres de l’Alliance revendiquaient un droit ancestral visé à l’article 35 de chasser le caribou dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. Non seulement avait-il reçu d’abondants éléments de preuve qui étayaient cette revendication, mais il savait également, à partir du mois de juin 2013, que la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest avait conclu dans l’affaire Mandeville que M. Enge avait établi à première vue une revendication bien fondée selon laquelle les membres de l’Alliance et lui avaient le droit de chasser le caribou, compte tenu de leurs droits revendiqués à titre de membres du peuple métis ayant traditionnellement chassé dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves.

[196]       Le Canada, dès lors qu’il a conclu que certains membres de l’Alliance étaient admissibles à l’inscription aux termes de l’accord de principe de la Nation et pouvaient devenir membres aux termes de l’accord de principe de la Nation, semble avoir conclu qu’il n’avait aucune obligation de consulter l’Alliance. Il n’a jamais tenu compte des différences qui existent entre les deux organismes quant à leurs objectifs, leurs priorités et leurs critères d’adhésion. Il n’a pas plus tenu compte de la crédibilité des organismes à titre de représentants de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest, ni vérifié si les organismes représentaient différents segments de cette communauté. La conclusion du Canada selon laquelle il n’avait aucune obligation de consulter l’Alliance n’a donc pas la justification, la transparence et l’intelligibilité nécessaires à une décision raisonnable. Elle est à la fois déraisonnable et incorrecte.

[197]       En effet, je conclus que, en l’espèce, l’Alliance est un organisme crédible qui existe depuis de nombreuses années et qui milite pour les droits des Métis de la région North Slave.  L’Alliance représente également un segment identifiable appréciable de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest, groupe dont les préoccupations et les priorités diffèrent de celles de la Nation. Ainsi, elle avait, et a toujours, le droit d’être consultée quant aux démarches de la Couronne qui sont susceptibles de porter atteinte aux droits ancestraux de ses membres. 

[198]       Comme il a été mentionné précédemment, l’obligation de consulter prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle d’une revendication autochtone ou de droits ancestraux ou issus de traités susceptibles de subir des effets préjudiciables en raison d’une mesure prise par la Couronne. L’exigence de connaissance à satisfaire pour donner naissance à l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’adaptation est peu élevée : arrêt Mikisew, précité, au paragraphe 55. La connaissance d’une revendication crédible, mais non encore établie, suffit à faire naître cette obligation : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 37.

[199]       Le Canada était au courant que les membres de l’Alliance revendiquaient des droits ancestraux, visés à l’article 35, d’exercer la récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves et que, à partir du mois de juin 2013, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest avait conclu que M. Enge avait établi à première vue une revendication bien fondée selon laquelle les membres de l’Alliance et lui avaient le droit ancestral de chasser le caribou dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, compte tenu des droits qu’ils revendiquent aux termes de l’article 35 à titre de membres du peuple métis ayant traditionnellement chassé dans cette région : affaire Mandeville, aux paragraphes  230 et 233.

[200]       La négociation de l’accord de principe de la Nation constituait de plus une mesure prise par la Couronne qui était susceptible de porter atteinte aux droits ancestraux des membres de l’Alliance. Bien que la Nation ne soit pas d’accord, le Canada reconnaît lui-même son intention d’éteindre les droits ancestraux de récolte de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves en échange d’un ensemble de droits codifiés pour la région visée par l’accord. Il s’agit manifestement d’une mesure envisagée qui est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 35.

[201]       Dans ces circonstances, je conclus que l’obligation de la part du Canada de consulter l’Alliance a pris naissance en l’espèce.

[202]       Voilà qui nous mène à examiner ce qui s’est véritablement passé en l’espèce, la façon dont le Canada a abordé les discussions avec M. Enge et l’Alliance, et la question de savoir si ces discussions suffisaient à remplir l’obligation du Canada de consulter l’Alliance quant aux dispositions d’un accord proposé sur les terres et les ressources entre le Canada et les Métis des Territoires du Nord-Ouest.

XI.              La Couronne a-t-elle bien évalué l’étendue de son obligation de consulter l’Alliance? 

[203]       Comme il a été mentionné précédemment, la principale prétention du Canada semble être celle selon laquelle il n’a aucune obligation de consulter l’Alliance étant donné que ses membres font partie du groupe avec lequel il a déjà tenu des négociations. Le Canada prétend, de façon subsidiaire, que si une telle obligation existe, elle a été adéquatement remplie au moyen des consultations qui ont déjà été menées auprès de l’Alliance. Étant donné ma conclusion selon laquelle le Canada avait en fait l’obligation de consulter l’Alliance, je vérifierai maintenant si l’interaction entre l’Alliance et les deux paliers du gouvernement suffisait à remplir cette obligation. 

[204]       M. Enge et l’Alliance prétendent notamment que le Canada a commis une erreur de droit en ne procédant pas à l’analyse préliminaire de la force des droits ancestraux de récolte revendiqués par les membres de l’Alliance, en ne délimitant pas correctement la portée et la teneur de son obligation de consulter et en ne procédant pas à une nouvelle analyse de la solidité des revendications des membres de l’Alliance pendant le processus de consultation.

[205]       Avant de faire le bilan de ce qui s’est passé en l’espèce, il est toutefois utile de commencer par examiner le droit relatif à la nécessité d’une évaluation préliminaire de la solidité d’une revendication autochtone. 

A.                 Le droit applicable à la nécessité d’une évaluation préliminaire de la solidité d’une revendication 

[206]       Dès lors que l’obligation de consulter a pris naissance, sa teneur varie d’un cas à l’autre, selon ce que le principe de l’honneur de la Couronne exige dans des circonstances particulières : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 43. Voir aussi l’arrêt Rio Tinto, précité, au paragraphe 36; arrêt Taku River, précité, au paragraphe 32; Tsuu T’ina Nation c. Alberta (Minister of Environment), 2010 ABCA 137, au paragraphe 71, [2010] A.J. No. 479; affaire Ahousaht, précitée, au paragraphe 39. 

[207]       Lorsque, par exemple, les revendications sont peu solides, le droit ancestral est limité ou le risque d’atteinte est faible, la Couronne pourrait avoir pour seule obligation d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 43.  

[208]       Par contre, lorsque la revendication du droit ancestral ou du titre en question repose sur des éléments de preuve à première vue solides, le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et le risque de préjudice non indemnisable est élevé, il peut s’avérer nécessaire de tenir « une consultation approfondie » en vue de trouver une solution provisoire acceptable : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 44.

[209]       L’étendue de l’obligation de consulter dépend donc tant de l’évaluation préliminaire de la solidité des éléments de preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué que la gravité des effets préjudiciables éventuels sur le droit ou le titre : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 39. Autrement dit, c’est l’ampleur des conséquences sur les droits revendiqués qui détermine le degré de consultation nécessaire dans un cas déterminé : arrêt Mikisew, précité, aux paragraphes 34, 55, 62 et 63. Plus les conséquences éventuelles sur les droits ancestraux ou issus de traités revendiqués sont graves, plus les consultations doivent être menées en profondeur.

[210]       Le défaut de la Couronne de procéder à l’évaluation préliminaire de la solidité d’une revendication autochtone, de déterminer l’étendue de la consultation nécessaire et de discuter de l’évaluation préliminaire avec le groupe autochtone en question peut à lui seul constituer un manquement à l’obligation de consulter : West Moberly First Nations c. British Columbia (Ministry of Energy, Mines and Petroleum Resources), 2011 BCCA 247, au paragraphe 113, [2011] 3 C.N.L.R. 343.

B.                 La norme de révision applicable

[211]       Je crois comprendre que les parties conviennent que la norme de révision applicable à l’évaluation par la Couronne de l’étendue de son obligation de consulter, y compris son évaluation de la solidité de la revendication autochtone en cause, et des effets éventuels sur le droit revendiqué, est celle de la décision correcte : affaire West Moberly, précitée, au paragraphe 174. Comme il a été mentionné dans l’arrêt Nation haïda, toutefois, l’appréciation des faits par la Couronne commande une certaine déférence : au paragraphe 61.

[212]       Les principes juridiques applicables étant bien compris, j’examinerai maintenant la suffisance de l’évaluation préliminaire par le Canada de la solidité de la revendication des membres de l’Alliance. 

C.                 L’évaluation par le Canada de l’étendue de son obligation de consulter l’Alliance

[213]       Selon le témoignage de Mme Morgan, la seule évaluation préliminaire de la solidité des droits ancestraux de récolte revendiqués par les membres de l’Alliance que le Canada a réalisée était celle figurant dans un tableau non daté qui a été fourni à l’Alliance dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Le G.T.N.-O. a visiblement préparé sa propre [traduction] « Évaluation préliminaire partielle de la profondeur de l’obligation de consulter », qui n’évalue ni la force des revendications des membres de l’Alliance ni la profondeur de la consultation à laquelle ils avaient droit. De plus, Mme Morgan a bien dit que le Canada a à peine contribué à la rédaction de ce document.  

[214]       Même si Mme Morgan a initialement prétendu dans son contre-interrogatoire que le Canada avait probablement procédé à son évaluation au cours de l’été 2012, avant d’engager des discussions avec l’Alliance, elle a par la suite concédé que le document devait avoir été rédigé quelque temps après le mois de juin 2013, étant donné qu’il contenait des mentions de la décision rendue dans l’affaire Mandeville. Cette décision a été rendue le 20 juin 2013 et fournie au Canada par l’Alliance peu après cette date. 

[215]       Mme Morgan a également affirmé qu’il s’agissait de la seule évaluation de la solidité des revendications des membres de l’Alliance que le Canada avait réalisée. Il semble toutefois que le Canada ait en fait déjà évalué la solidité des revendications de l’Alliance au début de l’année 2013. 

[216]       Au fil des ans, le Canada avait reçu de l’Alliance d’abondants éléments de preuve étayant les droits de récolte visés par l’article 35 que revendiquaient ses membres dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. Dans une lettre du 12 février 2013 adressée à M. Enge, le directeur par intérim des Relations avec les peuples autochtones et les territoires a indiqué que le Canada avait mené un « examen exhaustif » des renseignements qui avaient été fournis pour étayer la revendication par les membres de l’Alliance de droits ancestraux visés à l’article 35, et qu’il avait conclu que l’Alliance n’avait « pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour établir l’existence d’une communauté métisse contemporaine fondée sur l’ascendance dans la région North Slave et ayant des liens avec une communauté métisse historique de cette région ». En conséquence, la lettre précisait que l’Alliance n’avait [traduction] « pas établi de revendication crédible aux droits des Métis protégés par l’article  35 qui justifierait la reconnaissance de l’Alliance à titre de communauté métisse distincte titulaire de tels droits ». La lettre se terminait néanmoins en proposant une rencontre pour discuter de la question.

[217]       Comme les demandeurs l’ont fait observer, le droit enseigne qu’il peut être insuffisant de réaliser une seule évaluation préliminaire de la revendication d’un droit ancestral, et qu’il peut être nécessaire de réévaluer la situation de temps à autre, étant donné que le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 45.

[218]       Malgré la prétention des demandeurs selon laquelle le Canada n’a pas réévalué la solidité des revendications des membres de l’Alliance au cours de la consultation, il semble toutefois que l’évaluation initiale du Canada ait fait l’objet d’une nouvelle évaluation à la lumière de l’affaire Mandeville. C’est cette seconde évaluation dont parlait Mme Morgan.

[219]       Le droit en litige est décrit dans l’évaluation en question comme le [traduction] « droit ancestral de chasser pour se nourrir, conformément aux pratiques traditionnelles ». Le document indique également que la zone traditionnelle de récolte et d’utilisation des membres de l’Alliance était [traduction] « presque identique à la zone d’aménagement du caribou de Bathurst désignée par le G.T.N.-O. », en renvoyant à l’affaire Mandeville, au paragraphe 231. Mme Morgan a reconnu dans son contre-interrogatoire que le Canada se fondait en fait sur l’évaluation de la nature et de l’étendue des droits décrits dans l’affaire Mandeville.

[220]       Cette évaluation préliminaire modifiée précise également que l’accord de principe de la Nation [traduction] « prévoit que des droits de récolte seront accordés aux Métis dans l’ensemble de la zone de l’accord proposée », et que [traduction] « [l]e fait d’accorder des droits de récolte aux Métis sur un territoire qui chevauche le territoire traditionnel revendiqué pourrait être perçu comme pouvant avoir une incidence sur les droits de récolte de l’Alliance Métis North Slave ».

[221]       Cette évaluation modifiée comporte un certain nombre de problèmes.

[222]       Premièrement, cette seconde évaluation n’a jamais été partagée avec M. Enge et l’Alliance, et ne leur a été remise que dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire. Il ressort toutefois clairement de la jurisprudence que la Couronne doit donner au groupe autochtone concerné l’occasion de commenter l’évaluation préliminaire de la solidité d’une revendication et des effets éventuels de la décision proposée sur les droits revendiqués : Adams Lake Indian Band c. British Columbia (Lieutenant Governor in Council), 2011 BCSC 266, au paragraphe 131, [2011] B.C.J. No. 363, inf., mais pas sur cette question, 2012 BCCA 333.

[223]       Comme la Cour l’a fait observer dans l’affaire [traduction] Adams Lake, « [i]l s’agit nécessairement d’une étape clé du processus de consultation parce que l’étendue de l’obligation de consulter  “dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre” » : au paragraphe 131, citant l’arrêt Nation haïda, au paragraphe 39. Comme la Cour suprême l’a fait observer dans l’arrêt Nation haïda, la Couronne est tenue de réaliser une évaluation préliminaire parce qu’« on ne peut “analyser utilement la question de la prise en compte d’un droit ou de la justification de ses limites sans avoir une idée de l’essence de ce droit et de sa portée actuelle” » : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 36, citant l’arrêt R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S., au paragraphe 112.

[224]       En effet, comme la Cour d’appel fédérale l’a observé dans l’affaire Gitxaala, l’évaluation préliminaire « définit [...] les sujets sur lesquels le dialogue doit porter : une revendication solide et large de droits ou titres ancestraux sur un territoire signifie que des sujets larges pour ces territoires doivent être discutés et, peut-être, accommodés » : au paragraphe 290.

[225]       Lorsque la Couronne a terminé son évaluation préliminaire des droits ancestraux revendiqués, elle doit engager un processus de consultation qui est adapté au « continuum de consultation » : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 44.

[226]       Comme il a été mentionné ci-dessus, la première évaluation de la solidité des revendications de M. Enge et des membres de l’Alliance était celle contenue dans la lettre du 12 février 2013 du Canada adressée à M. Enge. Cette lettre précise simplement que l’Alliance n’avait pas établi l’existence d’une revendication crédible aux droits des Métis visés à l’article 35 qui justifierait la reconnaissance de l’Alliance à titre de communauté métisse distincte titulaire de tels droits.

[227]       En ce qui concerne l’évaluation préliminaire décrite par Mme Morgan, même si le Canada avait alors déjà concédé que les membres de l’Alliance avaient à première vue une revendication bien fondée au droit ancestral de chasser le caribou sur leur territoire traditionnel, le document ne fait nullement mention de l’évaluation faite par le Canada de la solidité de la revendication par les membres de l’Alliance de droits ancestraux de récolte visés à l’article 35 dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. 

[228]       On ne trouve pas plus d’indication, dans le document qui, selon le témoignage de Mme Morgan, correspond à l’évaluation préliminaire du Canada, de l’évaluation faite par la Couronne, le cas échéant, concernant l’étendue de son obligation de consulter l’Alliance. Le droit exige cependant que la Couronne délimite correctement les paramètres juridiques de la teneur de l’obligation de consulter pour être en mesure de bien définir en quoi consistent des consultations appropriées : affaire Mandeville, précitée, au paragraphe 145; Klahoose First Nation c. Sunshine Coast Forest District (District Manager), 2008 BCSC 1642, au paragraphe 18, [2009] 1 C.N.L.R. 110; affaire Wii’litswx, précitée, au paragraphe 15. Le fait de procéder sans l’avoir fait constituerait une erreur de droit : Nunatukavut Community Council Inc. c. Canada (Procureur général), 2015 CF 981, au paragraphe 91, [2015] A.C.F. no 969; affaire Mandeville, précitée, aux paragraphes 172 à 180. 

[229]       En effet, comme la Cour d’appel fédérale a observé dans l’affaire Gitxaala, les peuples autochtones concernés ont « droit de connaitre les informations et positions du Canada concernant le contenu et la solidité de leur revendication afin de pouvoir et d’être en mesure de discuter avec le Canada des éléments en jeu dans les consultations, des sujets sur lesquels le Canada pouvait devoir accommoder et à quel point le Canada pouvait accommoder » : au paragraphe 309. Cela ne s’est pas fait en l’espèce.

[230]       Malgré l’invitation de l’Alliance de le faire, le Canada a refusé d’évaluer la solidité du droit revendiqué des membres de l’Alliance à titre de Métis de chasser dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves.

[231]       Comme il a été mentionné précédemment,  le mot « Métis », tel qu’il est défini dans l’accord de principe de la Nation, s’entend de tout [traduction] « Autochtone appartenant à la lignée des Cris, des Slaves ou des Chippewas (appelés collectivement “Dénés”) qui habitaient, utilisaient et occupaient toute partie de la zone de l’accord au plus tard le 31 décembre 1921, ou [de tout] descendant d’un tel Autochtone ». L’accord de principe de la Nation vise donc principalement les personnes d’ascendance indienne, dont au moins certaines pourraient ne pas être considérées comme des « Métis » en application des critères qui ont été établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Powley. En effet, Mme Morgan a reconnu dans son contre-interrogatoire que les négociations avec la Nation concernant un accord sur les terres et les ressources des Territoires du Nord-Ouest ont été menées en fonction de l’appartenance à la lignée des Dénés et non de l’identité métisse.

[232]       Cette approche résulte du fait que les négociations en vue d’un accord sur les terres et les ressources avec les Métis des Territoires du Nord-Ouest, non seulement avant que la Cour suprême ne rende l’arrêt Powley, mais avant la promulgation de la Loi constitutionnelle de 1982 avec la protection de son article 35 à l’égard des droits des peuples indigènes du Canada. Le texte de l’accord de principe de la Nation était manifestement fondé sur le texte de l’accord-cadre des Métis de South Slave préalable à l’arrêt Powley, et les gouvernements n’ont pas reconsidéré leur approche aux négociations après que l’arrêt Powley fut rendu. Le Canada a d’ailleurs avoué candidement au cours de la négociation qu’il ne se souciait guère du type de droits ancestraux dont étaient titulaires ceux qui étaient [traduction] « admissibles à devenir membres » aux termes d’un accord définitif, pourvu que le Canada obtienne la certitude qu’il recherchait quant à l’utilisation des terres et des ressources.

[233]       L’Alliance a clairement dit dans ses discussions avec le Canada et le G.T.N.-O. que ses membres revendiquaient des droits visés l’article 35 à titre de Métis. Les représentants du Canada étaient toutefois indifférents à l’égard de la distinction entre les Métis et les personnes appartenant à la lignée des Cris, des Slaves ou des Chippewas. Lorsque des représentants de l’Alliance ont tenté de discuter du sujet à la réunion du 24 octobre 2013, un représentant du Canada a déclaré [traduction] « [...] vous pouvez vous appeler comme vous le voulez, mais ce qui est réglé dans le cadre de la revendication est “quels sont vos droits ancestraux?” Pas vos droits de Métis, ni vos droits d’Indiens, mais vos droits ancestraux ».

[234]       Le problème plus fondamental de l’évaluation préliminaire modifiée du Canada est qu’elle ne tient pas compte des effets préjudiciables potentiels les plus importants qui sont prévus par l’accord de principe de la Nation. Il s’agissait de l’extinction des droits ancestraux de récolte, dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, des membres de l’Alliance qui ayant des ancêtres dénés de la région South Slave, en échange de la reconnaissance en leur faveur de droits de récolte codifiés dans le secteur situé au sud du lac. 

[235]       Mme Morgan a confirmé dans son contre-interrogatoire que le Canada, lors de l’évaluation de la consultation requise avec l’Alliance, s’est concentré sur l’incidence de l’accord sur la zone étroite dans laquelle se chevauchent la zone de l’accord proposée et le territoire situé au nord du Grand lac des Esclaves à l’égard duquel les membres de l’Alliance avaient une revendication bien fondée à des droits ancestraux de récolte selon la conclusion de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest. Mme Morgan a également confirmé qu’il s’agissait là des seuls effets préjudiciables éventuels que le Canada avait reconnus dans son évaluation préliminaire.

[236]       Ce témoignage est conforme au contenu de la lettre du 11 juin 2013 à l’Alliance, selon laquelle le Canada et le G.T.N.-O. étaient au courant que l’Alliance revendiquait des droits autochtones de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves. La lettre précisait toutefois que [traduction] « [l’]ébauche de l’accord de principe de la Nation prévoit que des droits de récolte non exclusifs seront accordés […] aux Métis membres de l’Alliance […] sur l’ensemble de la zone de l’accord proposée », laquelle, rappelons-le, correspond à un secteur situé au sud et à l’est du Grand lac des Esclaves. La lettre précisait également qu’[traduction] « [i]l peut exister une zone étroite de chevauchement entre l’angle nord-ouest de la zone de l’accord proposée et le secteur à l’égard duquel l’Alliance revendique le droit ancestral d’exercer la récolte » [soulignement ajouté].

[237]       Le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord, dans la lettre qu’il adressait à M. Enge le 16 août 2013, a toutefois reconnu expressément le fait que les membres de l’Alliance avaient [traduction] « une revendication à première vue bien fondée au droit ancestral de chasser le caribou sur leur territoire traditionnel » (qui englobe le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, et non seulement une zone étroite en bordure de la région visée par l’accord), et qu’ils avaient droit à [traduction] « un degré de consultation adéquat lorsque les mesures prises par la Couronne sont susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur ce droit revendiqué ».

[238]       Comme il a été mentionné précédemment, le Canada a reconnu à la rencontre du 24 octobre 2013 avec M. Enge et d’autres membres de l’Alliance qu’il avait pour intention qu’un accord définitif avec la Nation ait pour effet d’éteindre les droits de récolte des Métis dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves dans le cas des personnes ayant des liens ancestraux avec les Dénés de la région de South Slave. Un tel accord aurait donc une incidence sur l’ensemble du territoire traditionnel des membres de l’Alliance, et non seulement sur une « zone étroite de chevauchement » le long de l’angle nord-est de la zone de l’accord proposée. 

[239]       Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Nation haïda, lorsque, par exemple, la revendication est peu solide, le droit ancestral est limité ou le risque d’atteinte est faible, la Couronne pourrait avoir pour seule obligation d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. C’est essentiellement ce qui s’est passé ici.

[240]       Par contre, lorsque la revendication repose sur des éléments de preuve à première vue solides, que le droit et l’atteinte potentielle revêtent une grande importance pour les Autochtones et que le risque de préjudice non indemnisable est élevé, il peut s’avérer nécessaire de tenir « une consultation approfondie » en vue de trouver une solution provisoire acceptable : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 44.

[241]       La « consultation approfondie » requise pourrait comporter la possibilité pour le groupe autochtone en question de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs démontrant que ses préoccupations ont été prises en compte et précisant ce qu’a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision : arrêt Nation haïda, précité, au paragraphe 44; arrêt Clyde River, précité, au paragraphe 47.

[242]       La consultation qui procède d’une méconnaissance fondamentale des intérêts autochtones en question ne permet pas à la Couronne de s’acquitter de son obligation de tenir une consultation de bonne foi : Kwakiutl First Nation c. North Island Central Coast Forest District, 2015 BCCA 345, aux paragraphes 66 et 69, [2015] 4 C.N.L.R. 225.

[243]       Le Canada avait déjà reconnu dans sa lettre du 16 août 2013 à M. Enge que les membres de l’Alliance avaient à première vue une revendication bien fondée au droit ancestral de chasser le caribou sur leur territoire traditionnel, et qu’ils avaient donc droit à [traduction] « un degré de consultation adéquat » lorsque les mesures prises par la Couronne sont susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur ce droit revendiqué. Le Canada semble toutefois s’être complètement mépris sur la portée de l’incidence qu’un accord définitif sur les terres et les ressources pourrait avoir sur ce droit. 

[244]       Même si l’accord de principe de la Nation porte que les parties entameraient des négociations pour la sélection de terres des Métis et de terres de la communauté métisse aux fins d’un accord définitif, le droit ancestral qui est en litige en l’espèce ne comporte pas de titre sur les terres en question. Cela dit, le droit de chasser est néanmoins un droit ancestral important – droit qui joue un rôle central dans l’histoire et la culture des Métis des Territoires du Nord-Ouest. De plus, un accord qui a pour effet d’éteindre un droit ancestral important sur le territoire traditionnel d’un groupe correspond manifestement à une mesure de la Couronne qui aurait une profonde incidence sur un droit ancestral revendiqué et un mode de vie traditionnel – un préjudice qui ne peut être facilement compensé. Cela semble indiquer que la consultation requise en l’espèce se trouverait à l’extrémité la plus élevée du continuum. 

[245]       Le Canada, s’étant mépris sur l’incidence que l’accord de principe de la Nation et un accord définitif sur les terres et les ressources pourraient avoir sur les droits ancestraux de récolte des membres de l’Alliance, a toutefois entamé sa consultation avec l’Alliance en se fondant sur une méconnaissance fondamentale de la teneur et de l’étendue de son obligation de consulter.  De plus, sans comprendre complètement la gravité des effets éventuels qu’un accord sur les terres et les ressources aurait sur les droits visés à l’article 35 des membres de l’Alliance, le Canada ne pouvait évaluer adéquatement quelles mesures d’adaptation seraient indiquées, le cas échéant.

[246]       Bien que les demandeurs aient pu fournir des observations orales et écrites à la Couronne fédérale et territoriale, celles-ci n’ont pas été prises en compte dans le processus décisionnel ayant mené à la conclusion de  l’accord de principe de la Nation au mois de juillet de 2015. En effet, aucune tentative de consulter l’Alliance n’a été faite avant que le Canada et le G.T.N.‑O. ne parviennent à une ébauche de l’accord de principe de la Nation. Cette démarche était, à mon avis, trop peu, trop tard. Elle constituait un manquement de la Couronne à son obligation de consulter l’Alliance et ses membres.   

[247]       Étant donné que cette conclusion suffit pour qu’il soit disposé de la demande, il n’est pas nécessaire de traiter des autres questions en litige soulevées par les demandeurs.

XII.           Recours

[248]       Comme la Cour suprême a observé dans l’arrêt Clyde River, « le contrôle judiciaire ne saurait remplacer une consultation adéquate. On ne parvient que rarement, voire jamais, à une véritable réconciliation dans une salle d’audience. » La Cour a de plus constaté qu’« [u]n recours judiciaire peut tendre à corriger des atteintes passées à des droits ancestraux ou issus de traités, mais une consultation adéquate par la Couronne avant que le projet ne soit approuvé est toujours préférable à des remontrances judiciaires formulées après le fait, au terme d’une procédure contradictoire » : citations tirées du paragraphe 24; en italiques dans l’original. C’est certainement le cas ici.

[249]       Cela dit, nous en sommes maintenant au stade du litige, et je dois tenter de concevoir un recours qui réparerait, dans la mesure possible, ce que j’ai jugé constituer un manquement au droit des membres de l’Alliance d’être consultés adéquatement au sujet des éventuelles atteintes aux droits ancestraux de récolte visés à l’article 35 qu’ils possèdent dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves.

[250]       Bien que le G.T.N.-O. et la Nation aient été désignés comme défendeurs dans la présente demande, la décision à l’examen en l’espèce est celle du ministre des Affaires indiennes et du Nord du Canada par laquelle il a refusé de consulter adéquatement les demandeurs au sujet de l’accord de principe de la Nation avant la signature de l’accord. En conséquence, le recours que la Cour accordera visera uniquement le Canada, ce qui est conforme au recours sollicité par les demandeurs dans leur avis de demande.

[251]       J’ai conclu que, en tant que représentante des membres de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest qui revendiquent des droits ancestraux visés à l’article 35 dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, l’Alliance avait droit d’être consultée et, au besoin, que des mesures d’adaptation soient prises à son égard au sujet des effets préjudiciables que l’accord de principe de la Nation et tout accord définitif à négocier avec les Métis des Territoires du Nord-Ouest pourraient avoir sur les droits ancestraux de ses membres. J’ai également conclu que le Canada n’a pas tenu une consultation suffisamment approfondie avec l’Alliance avant de conclure l’accord de principe de la Nation le 31 juillet 2015. Un jugement déclaratoire à cet effet sera donc rendu.

[252]       Ayant conclu que l’Alliance a droit à une consultation au milieu ou au haut du continuum au sujet d’un futur accord sur les terres et les ressources susceptible de porter atteinte aux droits ancestraux de récolte de ses membres, je rendrai un jugement déclaratoire à cet effet.

[253]       Le Canada doit également se demander si certaines adaptations sont indiquées pour répondre aux préoccupations des membres de l’Alliance qui sont admissibles à l’inscription aux termes d’un accord définitif sur les terres et les ressources, comme le prévoient les dispositions de l’accord de principe de la Nation relatives à l’admissibilité. Les mesures d’adaptation que les parties examineront sont notamment les suivantes : 

(i)                  s’il y a lieu de supprimer le passage [traduction] « admissibles à devenir membres » des paragraphes 2.3.1, 2.4.1 et 2.5.1b) d’un accord définitif;

(ii)                s’il y a lieu d’inclure l’Alliance comme partie aux négociations de l’accord définitif sur les terres et les ressources afin d’assurer la participation sérieuse de ses membres aux négociations relatives à la revendication territoriale de la Nation qui visent l’extinction de leurs droits ancestraux de récolte dans la région de North Slave;

[254]       Aucun accord sur les terres et les ressources entre les gouvernements fédéral et territorial et les Métis des Territoires du Nord-Ouest prévu par l’accord de principe de la Nation ne devra être conclu tant qu’une consultation sérieuse avec les membres de l’Alliance se situant au milieu ou au haut du continuum de consultation n’aura pas été menée et que les mesures d’adaptation nécessaires n’auront pas été prises en compte quant aux préoccupations soulevées par l’Alliance.

[255]       Finalement, ce processus devra se dérouler avec l’objectif de concilier les divergences existantes entre les parties d’une manière qui est conforme à l’honneur de la Couronne et aux principes articulés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Haida Nation et Taku River, précités.

XIII.        Dépens

[256]       J’ai été informée qu’il y a une offre de règlement en suspens en l’espèce qui pourrait avoir une incidence sur la question des dépens. En conséquence, les demandeurs auront un délai de dix jours pour présenter des observations d’au plus cinq pages sur la question des dépens. Les défendeurs disposeront ensuite de dix jours pour y répondre en présentant leurs propres observations d’au plus cinq pages. Les demandeurs disposeront ensuite de cinq jours pour répondre à ces observations en présentant leurs propres observations d’au plus trois pages.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1427-15

LA COUR DÉCLARE ET ORDONNE ce qui suit :

1.                  Le ministre des Affaires indiennes et du Nord défendeur a l’obligation constitutionnelle de consulter les membres de l’Alliance et, au besoin, de prendre les mesures d’adaptation qui s’imposent à leur égard en ce concerne les effets préjudiciables que pourraient avoir sur leurs droits ancestraux de récolte l’accord de principe de la Nation et tout accord définitif sur les terres et les ressources à négocier avec les Métis des Territoires du Nord-Ouest;

2.                  Le ministre des Affaires indiennes et du Nord défendeur a manqué à son obligation de consulter les membres de l’Alliance et, au besoin, de prendre les mesures d’adaptation qui s’imposent à leur égard en ne tenant pas de consultation adéquate avec eux et en ne procédant pas à un examen sérieux des mesures d’adaptation proposées par les demandeurs relativement à l’accord de principe de la Nation, avant d’approuver l’accord de principe le 31 juillet 2015; 

3.                  Les membres de l’Alliance ont droit à une consultation se situant au milieu ou au haut du continuum de consultation au sujet d’un futur accord sur les terres et les ressources susceptible de porter atteinte à leurs droits ancestraux de récolte dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves;

4.                  Le Canada doit se demander s’il y a lieu de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux préoccupations des membres de l’Alliance qui sont admissibles à l’inscription aux termes d’un accord définitif sur les terres et les ressources, comme le prévoient les dispositions de l’accord de principe de la Nation relatives à l’admissibilité. Les mesures à prendre en considération sont notamment les suivantes :

(i)                  s’il y a lieu de supprimer le passage [traduction« admissibles à devenir membres » des paragraphes 2.3.1, 2.4.1 et 2.5.1b); 

(ii)                s’il y a lieu d’inclure l’Alliance à titre de partie aux négociations de l’accord définitif sur les terres et les ressources afin d’assurer la participation sérieuse de ses membres aux négociations relatives à la revendication territoriale de la Nation qui visent l’extinction de leurs droits ancestraux de récolte dans la région de North Slave;

5.                  Aucun accord sur les terres et les ressources entre les gouvernements fédéral et territorial et les Métis des Territoires du Nord-Ouest prévu par l’accord de principe de la Nation ne devra être conclu tant qu’une consultation sérieuse se situant au milieu ou au haut du continuum de consultation n’aura pas été menée et que les mesures d’adaptation nécessaires n’auront pas été prises en compte quant aux préoccupations soulevées par l’Alliance.

6.                  La Cour conserve sa compétence pour traiter la question des dépens. Les demandeurs disposeront de dix jours pour produire leurs observations, d’au plus dix pages, sur les dépens. Les défendeurs disposeront ensuite de dix jours pour y répondre en présentant leurs propres observations d’au plus cinq pages. Les demandeurs disposeront ensuite de cinq jours pour répondre à ces observations en présentant leurs propres observations d’au plus trois pages.

« Anne L. Mactavish »

Juge


 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1427‑15

 

INTITULÉ :

WILLIAM ENGE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE L’ALLIANCE MÉTIS NORTH SLAVE c LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD, LE GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST, LE CONSEIL DES MÉTIS DE FORT SMITH, LE CONSEIL DES MÉTIS DE HAY RIVER, LE CONSEIL DES MÉTIS DE FORT RESOLUTION ET LA NATION MÉTIS DU TERRITOIRE DU NORD-OUEST

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Yellowknife (Territoires du Nord‑Ouest)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 6 juin 2017, 7 juin 2017 et 8 juin 2017

 

jugement et MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Christopher Devlin

Kate Gower

 

Pour le demandeur

 

Andrew Fox

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES               ET DU NORD

 

Christopher Buchanan

 

Pour le défendeur

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD‑OUEST

 

Darwin Hanna

 

Pour les défendeurs

LE CONSEIL DES MÉTIS DE FORT SMITH,

LE CONSEIL DES MÉTIS DE HAY RIVER,

LE CONSEIL DES MÉTIS DE FORT RESOLUTION ET LA NATION MÉTIS DU TERRITOIRE DU NORD‑OUEST

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Devlin Gailus Westaway

Avocats

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Yellowknife (Territoires du Nord‑Ouest)

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES                ET DU NORD

 

Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest

Division des affaires juridiques

Ministère de la Justice

Yellowknife (Territoires du Nord‑Ouest)

 

Pour le défendeur

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD‑OUEST

 

Callison & Hanna

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les défendeurs

LE CONSEIL DES MÉTIS DE FORT SMITH,

LE CONSEIL DES MÉTIS DE HAY RIVER,

LE CONSEIL DES MÉTIS DE FORT RESOLUTION ET LA NATION MÉTIS DU TERRITOIRE DU NORD‑OUEST

 

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