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Date : 20171017


Dossier : IMM-4024-17

Référence : 2017 CF 918

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

SERGIO RIGOBERTO SORIA TORRES

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au nom du demandeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre), à l’encontre d’une décision d’un commissaire (le commissaire) de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) en date du 19 septembre 2017, dans laquelle le commissaire a ordonné la mise en liberté du défendeur, Sergio Rigoberto Soria Torres, du centre de détention de l’immigration. Le commissaire a ordonné la remise en liberté du défendeur à certaines conditions, notamment que son cousin, qui réside aux États-Unis, envoie, par courrier, un cautionnement en espèces de 1 600 $ CA et que le défendeur se présente en personne deux fois par semaine à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision du commissaire de remettre en liberté le défendeur du centre de détention doit être annulée, puisqu’aucune raison claire et convaincante d’écarter sa propre décision antérieure n’a été fournie, décision par laquelle il a rejeté un cautionnement en espèces semblable comme étant inadéquat. En outre, le commissaire n’a pas examiné raisonnablement la question de savoir si des éléments auraient pu aider à déterminer la durée probable de la détention du défendeur, comme l’exige l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR). De plus, le commissaire n’a pas expliqué en quoi le fait que le défendeur ait interjeté appel de la décision défavorable rendue à l’égard de sa demande d’asile devant la Section d’appel des réfugiés de la CISR constituait un facteur atténuant qui réduisait son risque de fuite. Par conséquent, la demande est accueillie.

II.  Exposé des faits

[3]  Le défendeur est un citoyen du Mexique. En 1995, à l’âge de 18 ans, il est entré aux États-Unis en évitant le contrôle et est demeuré en Californie en tant qu’étranger sans-papiers jusqu’à son arrestation par des agents de la Drug Enforcement Administration des États-Unis, le 3 juin 2010. Le défendeur a déclaré avoir accepté l’offre d’un ami d’arroser et de récolter des plants de marijuana dans une culture extérieure à grande échelle pour la somme de 10 000 $ par mois. Selon les renseignements obtenus de l’ASFC, cette culture comptait plus de 4 600 plants. Conformément à un accord de plaidoyer, le défendeur a été déclaré coupable de l’infraction d’utilisation d’une installation de télécommunications dans la perpétration d’une infraction en matière de trafic de stupéfiants. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 48 mois dans une prison fédérale américaine, soustraction faite du temps déjà purgé, et a purgé 42 mois avant d’être expulsé vers le Mexique, en décembre 2014.

[4]  Le 28 avril 2017, le défendeur est arrivé à l’Aéroport international de Vancouver en provenance du Mexique et a immédiatement demandé l’asile au Canada. Au cours de plusieurs interrogatoires subséquents, le défendeur a répondu à toutes les questions de façon directe et a donné des renseignements concernant son statut de sans-papiers aux États-Unis, sa déclaration de culpabilité là-bas et son expulsion subséquente vers le Mexique.

[5]  Le défendeur a été détenu dès son entrée au Canada. Son premier contrôle des motifs de détention a eu lieu le 2 mai 2017, date à laquelle un commissaire de la Section de l’immigration a rendu une ordonnance de mise en liberté assortie de conditions. Le ministre a demandé le sursis d’exécution de l’ordonnance de mise en liberté en attendant que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de mise en liberté dans le dossier de la Cour no IMM-1988-17 soit rendue. La juge Catherine Kane a accordé un sursis provisoire le 2 mai 2017, qui a été maintenu le 5 mai 2017, en attendant qu’une décision définitive soit rendue sur la demande de contrôle judiciaire.

[6]  La juge Kane a conclu que le ministre avait établi qu’il subirait un préjudice irréparable entre aujourd’hui et le moment où une décision définitive serait rendue sur la demande de contrôle judiciaire, en ce que l’intégrité du système d’immigration serait mise en péril en raison des antécédents d’immigration du défendeur aux États-Unis, de son absence de liens, de proches ou de contacts au Canada et du fait qu’il pourrait n’avoir accès qu’à de modestes ressources qui pourrait l’amener à quitter la région.

[7]  Aucune décision n’a été rendue en ce qui concerne la demande d’autorisation, puisque le défendeur est demeuré en détention aux termes d’une décision subséquente rendue par un commissaire de la Section de l’immigration, le 9 mai 2017, au motif qu’il était peu probable que le défendeur comparaisse à son enquête.

[8]  Le défendeur a fait l’objet d’un rapport conformément à l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), déclarant qu’il était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR en raison de sa déclaration de culpabilité aux États-Unis. Ce rapport a ensuite été transmis à la Section de l’immigration pour qu’une décision soit rendue. Le 15 mai 2017, un commissaire de la Section de l’immigration a conclu que le ministre n’avait pas établi que le défendeur était interdit de territoire pour le motif invoqué dans le rapport prévu à l’article 44, et qu’il n’était donc pas interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. Le défendeur pouvait donc présenter une demande d’asile devant la Section de la protection des réfugiés de la CISR. Le ministre a interjeté appel de cette décision de la Section de l’immigration devant la Section d’appel de l’immigration, qui a fixé une date limite pour la présentation d’observations écrites; le ministre devait présenter sa réponse définitive au plus tard le 1er novembre 2017.

[9]  Le 30 mai 2017, un commissaire de la Section de l’immigration a ordonné que le défendeur demeure détenu au motif qu’il était peu probable qu’il se présente à son renvoi.

[10]  Le contrôle des motifs de détention suivant a eu lieu le 27 juin 2017 et a été tranché par le même commissaire qui a rendu la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Le commissaire a entendu le témoignage du défendeur ainsi que celui de son cousin qui habite aux États-Unis et qui a offert de verser un cautionnement en espèces de 1 400 $ US ou de 1 800 $ CA pour obtenir la libération du défendeur. Le défendeur a de nouveau fait l’objet d’une ordonnance de détention au motif qu’il présentait toujours un risque de fuite. Le commissaire a dit craindre que, même si le cautionnement en espèces offert représentait une somme d’argent raisonnable du point de vue du cousin du défendeur, il ne s’agissait pas d’un montant suffisant pour que le défendeur [traduction] : « y pense par deux fois avant de ne pas respecter les conditions et de ne pas se présenter à [son] renvoi ».

[11]  Des contrôles des motifs de détention après trente jours ont été effectués le 25 juillet et le 22 août 2017. Le défendeur a fait l’objet d’une ordonnance de détention pour les mêmes motifs que ceux invoqués précédemment.

[12]  Dans une décision communiquée au défendeur aux alentours du 18 août 2017, la Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande d’asile. Le défendeur a par la suite interjeté appel de la décision devant la Section d’appel des réfugiés, et l’appel n’a pas encore fait l’objet d’une décision. La mesure d’interdiction de séjour prise à l’égard du défendeur n’est pas exécutoire tant que la Section d’appel des réfugiés n’aura pas rejeté son appel.

[13]  Le défendeur a comparu de nouveau devant la Section de l’immigration au cours du contrôle des motifs de détention suivant, le 19 septembre 2017, qui a donné lieu à la décision qui fait l’objet de la présente demande. Le défendeur n’était pas représenté par un avocat à l’audience. À l’audience, lorsque le commissaire a demandé à l’avocat du ministre s’il était au courant de l’échéance fixée par la Section d’appel des réfugiés, ce dernier a répondu qu’il ne savait pas combien de temps il faudrait à la Section d’appel des réfugiés pour rendre une décision.

[14]  Le commissaire a indiqué que l’on savait, au dernier contrôle des motifs de détention, que la demande d’asile du défendeur avait été rejetée, mais que l’on ignorait à ce moment-là s’il présenterait une demande à la Section d’appel des réfugiés. Le commissaire a constaté que le défendeur avait depuis interjeté appel de la décision défavorable et que les observations devaient être présentées la semaine suivante. Il a ajouté que lui non plus n’était pas familier avec les délais de la Section d’appel des réfugiés.

[15]  Le commissaire a indiqué que le ministre interjetait également appel de la décision favorable rendue par la Section de l’immigration concernant l’allégation fondée sur l’alinéa 36(1)b) de la LIPR et que l’appel devant la Section d’appel de l’immigration était en cours. Le commissaire a ajouté qu’on ne savait pas à quel moment la Section d’appel de l’immigration rendrait une décision.

[16]  Compte tenu de ces « nouvelles circonstances », et surtout parce qu’il était impossible de déterminer quand le processus d’appel des réfugiés prendrait fin, le commissaire a indiqué qu’il verrait d’un œil plus favorable le cautionnement de 1 400 $ US que le cousin du défendeur avait déjà proposé de verser, et qu’il a converti en un cautionnement de 1 600 $ CA. Le commissaire a indiqué qu’il estimait que ce montant entraînerait des difficultés financières pour le cousin du défendeur et qu’il engagerait une responsabilité accrue du défendeur de faire en sorte que le cautionnement ne soit pas confisqué. Le commissaire a aussi conclu, dans son ordonnance, que l’obligation du défendeur de se présenter deux fois par semaine à l’ASFC diminuerait la probabilité qu’il ne se présente pas à son renvoi.

[17]  Le commissaire a expliqué que le défendeur avait intérêt à ce que le processus d’appel de la décision relative au statut de réfugié suive son cours, parce qu’il pouvait donner lieu au renvoi de la question pour nouvel examen et à une éventuelle décision favorable. [traduction] « Mais, plus important encore, on ne sait pas quand le processus d’appel prendra fin; il est donc plus avantageux pour toutes les parties que vous (le défendeur) ne viviez plus en détention et que vous demeuriez régulièrement en contact avec l’Agence des services frontaliers du Canada ».

[18]  Le 27 septembre 2017, la juge Cecily Strickland a prononcé une ordonnance provisoire afin de surseoir à la mise en liberté du défendeur jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de la présente demande de contrôle judiciaire. La juge Strickland a conclu à l’existence d’une question sérieuse, puisque [traduction] « même s’il est possible que le commissaire tienne raisonnablement compte de la période de détention accrue, cette période n’a rien à voir avec la question de savoir si le défendeur respecterait le cautionnement, qui, selon le commissaire et un autre commissaire, s’était déjà avéré insuffisant et dont le montant n’avait pas changé ». Elle a ajouté que le commissaire n’avait pas invoqué de motifs clairs et convaincants à l’appui de cette volte-face concernant le caractère suffisant du cautionnement.

III.  Discussion

[19]  Le droit et les principes juridiques applicables ne sont pas en litige en l’espèce. Il est bien établi que les décisions rendues par la Section de l’immigration à l’égard du contrôle des motifs de détention commandent la retenue et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1125 (CanLII), au paragraphe 15).

[20]  Même si un commissaire n’est pas lié par les décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, des motifs clairs et convaincants doivent être énoncés si le commissaire de la Section de l’immigration va à l’encontre d’une décision antérieure ordonnant la détention (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4 (CanLII), aux paragraphes 9 et 10) [Thanabalasingham].

[21]  L’article 248 du RIPR dresse la liste des facteurs dont la Section de l’immigration doit tenir compte avant de rendre une ordonnance de détention ou de mise en liberté, si elle constate qu’il existe des motifs de détention :

  • a) le motif de la détention;

  • b) la durée de la détention;

  • c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

  • d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

  • e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

[22]  Outre les facteurs obligatoires énoncés à l’article 248 du RIPR, la Section de l’immigration peut examiner d’autres critères pertinents lorsqu’elle doit mettre en balance les intérêts opposés d’une personne détenue, laquelle ne doit pas être indûment privée de sa liberté, et l’intérêt public, qui consiste à appliquer la loi.

[23]  En guise de préface à mon analyse, j’ai indiqué que la décision du commissaire n’est pas présentée dans le même ordre que sa décision antérieure ou que celles rendues par les autres commissaires de la Section de l’immigration qui ont effectué des contrôles des motifs de détention. Habituellement, on présente les motifs ayant mené à la présence d’un risque de fuite, lorsque ce dernier est allégué. Le commissaire se penche ensuite sur les facteurs énoncés à l’article 248 du RIPR.

[24]  Dans ses motifs, le commissaire n’a pas expressément abordé les motifs qui l’ont mené à conclure à la présence d’un risque de fuite ou à ceux liés à la période de détention en cours. Le défendeur soutient que le commissaire a implicitement conclu à l’existence d’un risque de fuite. Il soutient également que le commissaire a implicitement abordé la période pendant laquelle le défendeur avait été détenu et qu’il mettait surtout l’accent sur l’incertitude entourant le moment où la Section d’appel des réfugiés pourrait rendre une décision quant à son appel. Même si c’est peut-être le cas, ce type de lacunes dans les motifs révèlent la présence d’autres lacunes dans l’analyse effectuée par le commissaire en l’espèce.

A.  La caution et le cautionnement

[25]  À l’audience du 27 juin 2017, le commissaire a conclu à la crédibilité de la caution proposée, le cousin du défendeur, après avoir entendu son témoignage afin d’évaluer l’influence que pourraient avoir le cousin et le dépôt de sa caution sur le défendeur. Le commissaire a conclu que le cautionnement proposé n’était pas suffisant, même s’il jugeait que le cousin était une personne compétente et que sa relation avec le défendeur était [traduction] « non négligeable ». Il conclut maintenant, trois mois plus tard, qu’il faudrait voir d’un œil plus favorable le cousin et le cautionnement proposé à la lumière de [traduction] « circonstances nouvelles ».

[26]  Le commissaire n’a toutefois pas énoncé de motifs clairs et convaincants de s’écarter de sa conclusion antérieure. Dans sa décision datée du 27 juin 2017, le commissaire a conclu que le montant du cautionnement proposé (1 400 $ US, qu’il a établi à 1 800 $ CA), même s’il constituait un montant raisonnable versé par le cousin du défendeur, n’était pas un montant d’argent important. Le commissaire a conclu qu’en cas de confiscation, le cautionnement proposé n’était pas important au point où le défendeur ne parviendrait pas à le rembourser éventuellement et qu’il ne suffisait pas à garantir que le défendeur [traduction] « y penserait deux fois avant de ne pas respecter les conditions et de ne pas se présenter à [son] renvoi ». Le commissaire s’est inquiété du temps que le défendeur avait passé aux États-Unis sans statut et des craintes qu’il avait exprimées au sujet de son retour au Mexique.

[27]  Le commissaire a néanmoins ordonné la mise en liberté du défendeur à l’audience du 19 septembre 2017, en plus d’accepter un cautionnement encore plus petit de la même caution. Le commissaire n’a pas fourni une analyse d’un quelconque changement de circonstances concernant la somme d’argent ou l’admissibilité de la caution. Son changement d’attitude quant à la qualité de la caution et le montant du cautionnement demeure inexpliqué, et ses motifs ne sont pas justifiés, transparents et intelligibles pour permettre à la Cour de comprendre pourquoi il en est arrivé à cette conclusion.

[28]  À l’audition de la présente demande, j’ai demandé si le cousin du défendeur, un citoyen non canadien qui n’est pas un résident permanent ou qui ne réside pas au Canada, avait le droit de verser un cautionnement conformément à l’alinéa 47(2)a) du RIPR. L’avocat du défendeur a fait valoir que cette disposition ne s’applique qu’aux garanties ou aux cautionnements de bonne exécution. Toutefois, dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c B147, 2012 CF 655 (CanLII), au paragraphe 50, le juge Donald Rennie a conclu que l’alinéa 47(2)a) empêcherait une caution qui n’est ni citoyenne canadienne ni résidente permanente effectivement présente au Canada, de fournir un cautionnement. Toutefois, comme le ministre n’a pas soulevé cette question auprès du commissaire, je ne formulai aucun commentaire à ce sujet.

[29]  Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il s’agit souvent de savoir jusqu’à quel point une cour de révision peut examiner le dossier pour y déceler les motifs que le décideur n’a pas énoncés. Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision (voir l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (CanLII), au paragraphe 16).

[30]  Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), aux paragraphes 46 à 51 [Dunsmuir], une décision ne répondra pas aux exigences de la norme de contrôle de la décision raisonnable si elle ne repose pas sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[31]  Les motifs doivent permettre à une cour de révision de comprendre pourquoi un tribunal a rendu la décision et lui permettre de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables. Comme les motifs énoncés par le commissaire ne permettent pas à la Cour de comprendre pourquoi il a tiré des conclusions importantes de faits et de droit dans son évaluation de la compétence et de l’admissibilité de la caution, la décision doit donc être annulée.

[32]  Le commissaire a commis deux autres erreurs importantes, qui rendent sa décision déraisonnable.

B.  Le niveau de risque de fuite découlant de l’appel interjeté par le défendeur à la Section d’appel des réfugiés

[33]  Premièrement, le commissaire a conclu que le fait que le défendeur ait interjeté appel de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés devant la Section d’appel des réfugiés et que les observations devaient être présentées prochainement constituaient de nouvelles circonstances qui justifiaient de revoir les solutions de rechange à la détention. Le commissaire n’a toutefois pas expliqué comment l’appel interjeté par le défendeur à l’encontre d’une décision défavorable pouvait être interprété comme une atténuation de son risque de fuite. Le niveau de risque était au moins le même que celui qui existait au moment où le défendeur attendait que la Section de la protection des réfugiés rende une décision sur sa demande d’asile.

[34]  Le commissaire a souligné qu’il serait impossible de renvoyer le défendeur avant la fin du processus de la Section d’appel des réfugiés. La mesure de renvoi n’était cependant pas en vigueur au moment où la demande d’asile du défendeur était en attente d’une décision de la Section de la protection des réfugiés. Si son appel à la Section d’appel des réfugiés est rejeté, le défendeur sera visé par une mesure de renvoi exécutoire. Puisqu’il a été conclu que le défendeur présentait un risque de fuite au moment des contrôles des motifs de détention les 30 mai, 27 juin et 25 juillet 2017, même s’il ne pouvait pas être renvoyé en raison de sa demande d’asile en attente d’une décision par la Section de la protection des réfugiés, il est difficile de comprendre comment le commissaire a pu conclure que l’appel interjeté par la suite devant la Section d’appel des réfugiés jouait d’une quelconque façon en faveur du défendeur.

C.  Les délais de la Section d’appel des réfugiés

[35]  Deuxièmement, le commissaire a indiqué ne pas connaître les délais de la Section d’appel des réfugiés pour justifier sa décision de mettre en liberté le défendeur. L’absence d’information sur les délais pour l’achèvement du processus de la Section d’appel des réfugiés semble avoir joué un rôle déterminant dans la décision du commissaire.

[36]  Contrairement aux contrôles des motifs de détention antérieurs, l’avocat du ministre n’a pas été en mesure d’indiquer un délai précis pour l’achèvement de l’étape suivante de la demande d’asile. Toutefois, comme l’a indiqué la juge Strickland dans son ordonnance rendue le 27 septembre, l’appel interjeté par le défendeur devant la Section d’appel des réfugiés a été mis en état le 23 septembre 2017. Il est clairement indiqué au paragraphe 159.92(1) du RIPR que « la Section d’appel des réfugiés rend sa décision au plus tard quatre-vingt-dix jours après la mise en état de l’appel ». Il s’ensuit que la Section d’appel des réfugiés était tenue par la loi de rendre une décision au plus tard le 23 décembre 2017, sous réserve de l’exception prévue au paragraphe 159.92(2).

[37]  Je suis d’avis que le commissaire a conclu de façon déraisonnable que les délais de la Section d’appel des réfugiés n’étaient pas connus. Si la loi présume, comme elle le fait, que le citoyen ordinaire n’est pas censé ignorer la loi, il est très plausible de présumer que les commissaires de la Section de l’immigration chargés de l’application de la LIPR et de son règlement devraient être réputés connaître la loi qu’ils sont directement et précisément chargés d’appliquer.

[38]  En fin de compte, le commissaire n’a pas correctement tenu compte du facteur énoncé à l’alinéa 248c) du RIPR. En faisant abstraction d’une disposition importante de sa loi constitutive, le RIPR, le commissaire a commis une erreur de fait et de droit qui ne peut être confirmée, en parvenant à une conclusion déterminante sur la durée probable de la détention.

IV.  Conclusion

[39]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Étant donné que le prochain contrôle des motifs de détention est imminent, il serait inutile de renvoyer la décision au commissaire aux fins d’un nouvel examen. Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4024-17

 

INTITULÉ :

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c SERGIO RIGOBERTO SORIA TORRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 OCTOBRE 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Matt Huculak

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William J. Macintosh

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Macintosh Law

Sechelt (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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