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Date : 20170912


Dossier : T-608-17

Référence : 2017 CF 826

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2017

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

SEEDLINGS LIFE SCIENCE

VENTURES, LLC

demanderesse

et

PFIZER CANADA INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Seedlings Life Science Ventures LLC (Seedlings) est une petite entreprise de recherche et de développement de produits dans le domaine de la santé. Seedlings estime que Pfizer Canada Inc. (Pfizer), une grande société pharmaceutique, enfreint l’un de ses brevets et elle a par conséquent intenté une action en contrefaçon de brevet.

[2]  Seedlings est convaincue d’avoir des arguments solides, mais elle redoute les coûts et les risques inhérents à une action aussi complexe en contrefaçon de brevet, et particulièrement les répercussions négatives dont pourraient souffrir d’autres projets d’affaires essentiels si elle doit contracter des obligations financières et mobiliser des ressources pour cette action. Avant de déposer sa déclaration, Seedlings a fait des démarches et conclu un accord de financement de litige (AFL) avec la société Bentham IMF Capital Limited (Bentham), la filiale canadienne d’IMF Bentham Ltd., un cabinet professionnel australien spécialisé dans le financement des litiges et possédant plusieurs filiales qui veillent sur ses activités à l’étranger.

[3]  L’AFL, auquel les avocats canadiens et américains de Seedlings sont également parties, stipule que Bentham financera les honoraires et débours d’avocat afférents à la présente action et que Seedlings, Bentham et les avocats canadiens et américains de Seedlings se partageront le produit d’une éventuelle victoire par jugement ou par règlement. Selon l’AFL, Seedlings garde le contrôle du litige et dicte la ligne de conduite des avocats, mais Bentham peut y mettre fin en tout temps si elle change d’avis quant au bien-fondé de l’action ou à sa valeur commerciale. L’AFL confère également à Bentham le droit d’être consultée relativement à un éventuel règlement. Pour toutes ces raisons et pour d’autres encore, l’AFL prévoit que Bentham doit avoir accès à tous les documents produits dans le cadre de l’action, sous réserve des mêmes obligations que Seedlings en matière de confidentialité et d’engagements implicites. Enfin, l’AFL est conditionnel à l’approbation d’un tribunal. Plus particulièrement, l’AFL stipule que dans l’éventualité où la Cour n’approuverait pas ses modalités, Bentham pourra, à son entière discrétion, le déclarer nul et sans effet.

[4]  Par conséquent, Seedlings et Betham ont soumis une requête à la Cour pour obtenir l’« approbation » de l’AFL.

[5]  Cependant, que signifie « approbation » dans ce contexte? En quoi est-il nécessaire ou utile d’obtenir l’approbation de la Cour? Notre Cour a-t-elle la compétence requise pour examiner la requête en approbation?

[6]  Il n’existe aucun précédent de notre Cour sur cette question. L’avis de requête et les observations écrites des parties requérantes semblent fondés sur la pratique et la procédure de la Cour supérieure de justice de l’Ontario relativement à l’approbation d’accords de financement dans le contexte des recours collectifs, un modèle qui a tout récemment été adapté dans le cadre d’un litige commercial privé (Schenk v Valeant Pharmaceutical International Inc., 2015 ONSC 3215). La Cour supérieure de l’Ontario est un tribunal de compétence générale de première instance, et elle n’a pas mis en doute son pouvoir d’examiner et d’approuver les modalités des accords de financement incidentes aux procédures. Cependant, la compétence de la Cour fédérale est établie par la loi; elle ne saurait être présumée. La Cour fédérale a compétence pour examiner et faire appliquer des lois provinciales si elles ont une incidence accessoire sur les questions fondamentales dont elle est valablement saisie. Elle a par surcroît compétence absolue sur la conduite de sa propre procédure. En revanche, la Cour fédérale ne peut accorder de réparations ou rendre une décision définitive sur les droits si la loi ne lui confère pas expressément compétence sur le litige ou la question en cause, ou si les conditions énoncées dans l’arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. C Miida Electronics Inc., [1986] 1 RCS 752, ne sont pas réunies.

[7]  Pour établir la compétence de la Cour, il s’impose donc de circonscrire les questions que les parties requérantes lui soumettent, l’objectif de leur demande et de quelle manière cet objectif s’inscrit dans la portée du litige dont elle est saisie. Il est ressorti de cette analyse, tel qu’elle est exposée ci-après, que la réparation recherchée par Seedlings et Betham n’est ni nécessaire ni accessoire au présent litige, que la Cour n’a pas compétence, compte tenu des circonstances, pour vérifier la validité ou la régularité de l’AFL et rendre une décision à cet égard, et qu’elle devrait s’abstenir d’accorder quelque réparation demandée en l’espèce.

[8]  Essentiellement, les parties cherchent à obtenir une approbation judiciaire des modalités de financement du litige afin de protéger la partie créancière si jamais il était décrété qu’il y a eu délit de champartie.

[9]  Les lois sur la champartie et le soutien délictueux remontent à la période médiévale et, dans les régimes de common law, visaient à protéger l’administration de la justice contre les abus. À l’époque, ces abus consistaient en l’achat, par des personnes d’influence ou de haut rang, d’actions en justice douteuses ou frauduleuses, dans l’espoir que la décision du tribunal leur soit plus favorable qu’elle ne l’aurait été pour le cédant. La Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt de principe McIntyre Estate v Ontario (Attorney General), [2002] OJ No 3417, retrace l’histoire des lois et des doctrines de common law en matière de champartie et de soutien délictueux depuis la première loi promulguée en Angleterre en 1305 jusqu’à l’adoption de la loi intitulée An Act Respecting Champerty, RSO 1897, c 327 (Champerty Act) et l’abolition subséquente des crimes et des délits de champartie et de soutien délictueux en common law au Canada en 1954, puis au Royaume-Uni en 1967. Toutefois, la Cour d’appel observe que ces concepts continuent d’être invoqués, autant en Angleterre qu’au Canada, pour déclarer qu’un contrat est inexécutable au motif qu’il recèle un pacte de champartie ou de soutien délictueux contraire à l’intérêt public. À preuve, le Champerty Act est toujours en vigueur en Ontario et prévoit que [traduction« [t]out pacte de champartie est interdit et invalide ».

[10]  En substance, il y a soutien délictueux dès lors qu’un tiers hors de cause (le défenseur abusif) fournit, pour un motif illégitime et sans justification ou excuse, une aide financière à un plaideur en vue de la poursuite d’un litige. La champartie est la forme aggravée du soutien délictueux, dans laquelle le défenseur abusif touche une part du produit de l’action en justice.

[11]  Si une personne accepte de financer le litige d’un autre plaideur en contrepartie d’une part du produit, elle court le risque de perdre son investissement, même en cas de victoire s’il est décrété ultérieurement que l’accord de financement est invalide et inexécutable parce qu’il y a eu champartie. Cette préoccupation semble avoir motivé le demandeur dans le dossier McIntyre Estate (précité) à s’adresser à la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour obtenir un jugement déclaratoire confirmant que l’entente d’honoraires conditionnels qu’il avait conclue avec ses avocats en vue du financement d’une poursuite pour homicide délictuel ne contrevenait pas au Champerty Act.

[12]  Il est intéressant de souligner que la requête en jugement déclaratoire concernant l’entente d’honoraires conditionnels a été soumise séparément de la poursuite pour homicide délictuel et qu’elle désignait uniquement le Procureur général de l’Ontario comme défendeur. Le défendeur dans la poursuite pour homicide délictuel n’était pas désigné parmi les défendeurs dans la requête en jugement déclaratoire, et il n’a pas pris part à l’instance. De fait, la requête du défendeur pour obtenir l’autorisation d’intervenir dans l’appel de la requête en jugement déclaratoire a été rejetée au motif que la décision quant à la validité et au caractère exécutable de l’entente d’honoraires conditionnels entre ses parties était accessoire au litige principal, mais indépendante de celui-ci (McIntyre Estate v Ontario (Attorney General), [2001] OJ No 3206, au paragraphe 21). De toute évidence, ces litiges de droit contractuel et civil ne relèvent pas de la Cour fédérale, même si le litige principal pouvait valablement être introduit devant elle. Seedlings et Bentham en conviennent toutes les deux, et leurs avocats ont expressément reconnu lors de l’audience que l’« approbation » recherchée n’aurait aucune incidence sur les droits des parties à l’AFL.

[13]  L’approbation judiciaire a aussi été sollicitée à l’égard du barème des honoraires et des accords de financement y associés dans le contexte des recours collectifs, notamment dans les affaires Dugal v Manulife Financial Corp., 2011 ONSC 1785, Fehr v Sun Life Assurance Co. of Canada, 2012 ONSC 2715, The Trustees of Labourers’ Pension Fund of Central and Eastern Canada v Sino-Forest Corporation, 2012 ONSC 2937, et Bayens v Kinross Gold Corporation, 2013 ONSC 4974. Cependant, dans ces affaires, la Cour supérieure a statué que l’approbation judiciaire était exigée et qu’elle était régie par les dispositions de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, LO 1992, c 6, qui exige l’approbation judiciaire des ententes relatives aux honoraires et le contrôle judiciaire des honoraires et des débours des avocats du groupe. L’obtention préalable de l’approbation judiciaire d’un accord de financement avec une tierce partie stipulant qu’une part des sommes recouvrées ou de l’indemnité obtenue par le groupe sera transférée à un tiers ayant fourni une aide financière s’inscrit dans le prolongement de cette pratique.

[14]  Dans le contexte d’un recours collectif, la vérification des accords de financement avec une tierce partie est nécessaire non seulement pour s’assurer qu’il n’y a pas champartie et donc qu’il n’est pas contraire à l’intérêt public, mais également pour protéger les membres du groupe contre les accords déraisonnables et les tribunaux contre les abus propres aux recours collectifs. Les lois régissant les recours collectifs ont pour objet de favoriser l’accès à la justice en éliminant les obstacles financiers pour les victimes d’actes répréhensibles de grande envergure, d’assurer l’économie des ressources judiciaires en permettant aux tribunaux de statuer sur un grand nombre de réclamations de manière équitable et efficiente, et de forcer les malfaiteurs à rendre des comptes. En raison des profits considérables que peuvent engranger les bailleurs de fonds tiers à l’issue d’un recours collectif, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a reconnu, dans la décision Fehr, qu’il était légitime de redouter que l’absence de réglementation en matière de financement par des tiers compromette les objectifs des politiques publiques sur les recours collectifs. La Cour supérieure a conclu que tout accord de financement intervenu avec des tiers devait être sans délai porté à la connaissance de la cour et qu’il ne pouvait prendre effet sans son approbation (Fehr, aux paragraphes 89 et 90).

[15]  Il est facile de comprendre pourquoi, dans le contexte d’un recours collectif, il est impératif d’exiger l’approbation judiciaire des AFL pour protéger les intérêts des membres du groupe visé et les tribunaux contre les abus de procédure par des créanciers sans scrupules. La Cour fédérale est souveraine pour ce qui concerne les règles encadrant les recours collectifs portant sur des questions qui sont de son ressort, y compris les dispositions qui lui confèrent un rôle de surveillance à l’égard des ententes relatives aux honoraires et débours des avocats (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, article 334.1 et suivants). Cela étant, il paraît incontestable que la compétence de la Cour fédérale pour examiner, voire approuver, un AFL dans le contexte d’un recours collectif découle de sa prérogative absolue d’établir ses propres règles relativement aux matières qui sont de son ressort. (Voir également Manuge c Canada, 2013 CF 341).

[16]  Seulement, l’instance principale en l’espèce n’est pas un recours collectif. Les Règles des Cours fédérales n’exigent pas la communication ou l’approbation du barème des honoraires des avocats ou des accords de financement pour les litiges qui ne font pas l’objet d’un recours collectif. L’AFL dont il est question ici ne risque pas de porter préjudice à un groupe de demandeurs. De même, le pouvoir absolu de la Cour d’établir ses propres règles et de se prémunir contre les abus de procédures n’est pas menacé en l’espèce puisque les litiges privés ne sont pas concernés par les impératifs juridiques, procéduraux et de principe qui ont donné naissance à la pratique ou à l’exigence de soumettre les AFL à l’approbation judiciaire en Ontario et dans d’autres provinces. Aucun fondement juridique ou logique ne justifierait d’exiger l’obtention d’une approbation préalable hors du contexte des recours collectifs.

[17]  Seedlings et Bentham font valoir que les concepts de champartie et de soutien délictueux visent notamment à protéger les tribunaux contre les abus de procédure, et que le pouvoir absolu de la Cour fédérale de déterminer ses propres règles lui confère la compétence voulue pour examiner, déceler et interdire les accords susceptibles de constituer une champartie et de donner lieu à un abus de procédure.

[18]  Bien que la doctrine de la champartie et du soutien délictuel reste pertinente dans les ressorts canadiens de common law, ne serait-ce que comme moyen de protéger les tribunaux et les plaideurs vulnérables contre les abus, il n’a jamais été question, ni avant ni maintenant, de réaliser son objectif en accordant aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de rendre l’introduction ou la poursuite d’une action conditionnelle à l’examen, à l’approbation ou au refus d’un accord de financement conclu par un plaignant. Cette doctrine est appliquée et son objectif est rempli dès lors qu’un accord vicié par un acte de champartie et de soutien délictueux est déclaré inexécutable.

[19]  La doctrine du soutien délictueux et de la champartie n’a pas pour objet de sanctionner la conduite du titulaire légitime de droits litigieux, mais celle du défenseur abusif. Même quand le soutien délictueux était considéré comme un délit, la sanction visait le défenseur abusif et non la personne qui recevait le soutien (Goodman v The King, [1939] SCR 446). Pour cette raison, l’examen et la décision quant à savoir si un accord donne lieu à un soutien délictueux ou à une champartie sont axés sur les motifs du défenseur abusif, non sur ceux de la personne qui reçoit le soutien.

[20]  S’il y a champartie ou soutien délictueux, l’accord est déclaré inexécutable, une sanction qui touche directement le motif et la conduite inappropriés du défenseur abusif, et qui suffit pour le décourager puisqu’elle le prive des bénéfices.

[21]  Si la champartie vise une vente ou une cession d’un simple droit d’action, et si le défenseur abusif propose d’intenter la poursuite et de toucher l’indemnité au titre des droits cédés, le défendeur à l’action peut plaider que l’entente de cession constitue une champartie et qu’elle n’est donc pas exécutable. Ce moyen de défense remplit les objectifs de la politique d’intérêt public d’interdire la champartie et le soutien délictueux puisque le défenseur abusif ne peut pas intenter une poursuite et être indemnisé à l’égard de droits qui lui ont été cédés de manière irrégulière. Dans la jurisprudence publiée de la Cour fédérale sur la question de la qualité pour intenter une poursuite, l’on trouve des exemples où elle a correctement exercé sa compétence pour statuer sur la validité d’une cession suivant la doctrine de la champartie et du soutien délictueux (Thomas Fuller Construction Co., (1958) Ltd. C Canada, [1991] ACF no 562, [1992] 1 CF 512, infirmée par [1992] 3 CF 795, et Wire Rope Industries Ltd. c Amsted Industries Inc., [1990] ACF no 512, 112 NR 73, 32 CPR (3d) 334). La Cour a également été appelée à trancher la validité d’une cession à une tierce partie des droits des demandeurs dans une action déjà entamée : Tacan c Canada, 2003 CF 915. Dans ce type d’instances, le défendeur a qualité pour soulever la question de savoir si une entente relève de la champartie et la Cour fédérale peut connaître de cette question si ladite entente a un lien avec le fondement de l’action, c’est-à-dire le droit du demandeur de faire valoir des droits contre le défendeur, et la qualité requise pour le faire. La décision sur la validité de la cession devient déterminante de l’issue de l’action intentée par le demandeur contre le défendeur.

[22]  En l’espèce, l’action a été intentée et sa poursuite a été proposée par Seedlings elle-même, soit la titulaire d’origine des droits invoqués. Les modalités de financement d’un litige dont Seedlings est parfaitement en droit de saisir la justice n’intéressent ni la Cour ni la défenderesse (McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 525 aux paragraphes 108 à 115). Il ressort par ailleurs de la décision Standal c British Columbia Forest Products Ltd., (1981) 57 CPR (2d) 243, ainsi que des jugements qui y sont cités que le simple fait pour un demandeur de conclure une entente de champartie pour faire reconnaître un titre, que la simple existence d’une entente de champartie ou de soutien délictueux ne constituent pas des moyens de défense opposables à une action et n’empêchent pas le demandeur d’intenter une action légitime.

[23]  En l’espèce, la défenderesse n’a aucun intérêt légitime à l’égard d’un examen du caractère raisonnable, de la légalité ou de la validité des accords de financement conclus par Seedlings, des barèmes des honoraires de ses avocats ou de la répartition envisagée des risques et des produits potentiels de l’action, car aucun de ces éléments n’a d’incidence sur la validité des droits revendiqués par Seedlings dans la présente action (McIntyre Estate, 2001, précitée).

[24]  Étant donné la manière dont la doctrine du soutien délictueux et de la champartie s’applique, les raisons qui ont poussé Seedlings à conclure l’AFL et à soumettre une demande apparemment fondée ne sont pas en cause ici, et ni la Cour ni la défenderesse ne seraient justifiées de les attaquer. Si jamais il était reconnu que l’AFL est un pacte de champartie, on blâmerait Bentham pour ses motifs inappropriés. Or, les motifs inappropriés de Bentham ne peuvent pas servir de prétexte pour rejeter la demande de Seedlings pour cause d’abus de procédure, car on ferait ainsi porter à la partie soutenue les conséquences de la conduite répréhensible du défenseur abusif.

[25]  Dans leurs plaidoiries à l’audience, les avocats de Seedlings et de Bentham ont insisté sur le fait que l’objectif de leur requête en « approbation » de leur ALF n’était pas d’obtenir une décision sur sa validité ou son caractère exécutoire. Plutôt, l’objectif était d’obtenir un jugement déclaratoire par lequel il serait reconnu, en présence de la défenderesse, le litige principal ne constitue pas un abus de procédure, que leurs arrangements financiers ne nuisent pas à l’administration de la justice et que la défenderesse ne peut pas contester le droit de la demanderesse de soumettre le litige conformément aux modalités de l’AFL. Ma conclusion selon laquelle la doctrine du soutien délictueux et de la champartie ne donne pas à notre Cour compétence pour déterminer la légalité de l’AFL ou le droit de la défenderesse d’obtenir le rejet de l’action intentée conformément à celui-ci pour cause d’abus de procédure pourrait être perçue comme un appui à la demande de jugement déclaratoire de la demanderesse. Ce n’est toutefois pas l’essentiel. Le point qu’il faut retenir ici est que, en l’espèce, la demanderesse revendique ses propres droits contre la défenderesse, et que notre Cour n’a absolument aucune compétence pour statuer sur un quelconque accord de financement auquel la demanderesse est partie, ni de sa propre initiative, ni à la demande de la demanderesse, ni sur requête de la défenderesse. Cela n’a rien à voir avec les modalités de l’AFL, mais avec la nature des droits invoqués dans le présent litige.

[26]  Seedlings et Bentham soutiennent que l’approbation de l’AFL par la Cour (y compris par la voie d’un jugement déclaratoire confirmant que l’action n’est pas un abus de procédure) est une question d’accès à la justice puisque, s’il n’est pas approuvé, l’AFL risque d’être déclaré inexécutable et Seedlings pourrait ne pas être en mesure de plaider une cause bien fondée.

[27]  C’est en effet un risque, mais uniquement parce que Seedlings et Bentham ont choisi de rendre leur accord conditionnel à l’approbation de notre Cour. La compétence de la Cour fédérale ne peut jamais être tributaire d’une entente entre des parties.

[28]  Comme il a été observé précédemment, aucune exigence procédurale n’oblige les parties à faire approuver un accord de financement hors du contexte d’un recours collectif, et notre Cour n’a aucun motif substantiel de se déclarer compétente pour examiner ou trancher la question de la validité de l’AFL dans le cadre de l’action telle qu’elle a été introduite. Dans la mesure où Bentham, avant d’aller de l’avant, cherche à se rassurer en se faisant confirmer par un tribunal que l’ALF est exécutoire et moralement acceptable, il s’agit strictement d’une question ressortissant à un contrat entre parties, qui est de compétence provinciale. À l’instar des plaideurs dans l’affaire McIntyre Estate, 2002, les parties à l’AFL avaient tout loisir de soumettre leur requête en jugement déclaratoire indépendamment de l’action principale.

[29]  En dernier lieu, j’ai voulu déterminer s’il serait indiqué ou utile pour la Cour d’approuver l’AFL afin de permettre à Seedlings de communiquer à Bentham des renseignements recueillis en interrogatoire préalable sans contrevenir à la règle de l’engagement implicite, ou de donner effet à l’engagement de Bentham de se conformer à la règle de l’engagement implicite ou à toute ordonnance de confidentialité.

[30]  Pour l’heure, aucune ordonnance de non-divulgation ou de protection n’a été prise. Il serait donc prématuré de déterminer si Bentham devrait être liée par une telle ordonnance ou y être incluse. Au surplus, les avocats de la défenderesse ont reconnu à l’audience qu’il n’est pas inhabituel que de telles ordonnances autorisent la communication de renseignements à des entités ou à des cabinets d’avocats qui ne sont pas parties au litige, mais dont les conseils et instructions pourraient être sollicités, et que ceux-ci soient liés par ces ordonnances.

[31]  S’agissant de la règle de l’engagement implicite, Seedlings et Bentham ont toutes deux fait valoir que même en l’absence de dispense, Seedlings pourrait en toute légalité communiquer à Bentham des renseignements recueillis lors des interrogatoires préalables aux fins de l’AFL. Je partage cet avis.

[32]  La règle de l’engagement implicite interdit à une partie d’utiliser les documents ou les renseignements recueillis dans le cadre d’un interrogatoire préalable pour une fin non liée au litige ayant donné lieu à leur production (Canada c ICHI Canada Ltd., [1992] 1 CF 571). La règle n’a pas pour effet d’interdire la communication à des tiers. Il est permis de communiquer des renseignements à des tiers – y compris à des experts, à des témoins potentiels, à des consultants ou à quiconque pourrait donner des conseils pertinents pour la conduite du litige ou d’un litige qui découle ou qui est formé au soutien de l’instance principale – s’ils ne sont pas utilisés à des fins étrangères, accessoires ou ultérieures (Sovani c Gray, 2007 CACF 439; Abou-Elmaati v Canada (Attorney General), 2014 ONSC 6301; Lithwick (In trust) v Hakim Optical Laboratory Ltd., 2007 CarswellOnt 7907).

[33]  À première vue, comme l’AFL vise uniquement à soutenir financièrement le litige, il ne semble pas que l’utilisation des renseignements issus de l’interrogatoire préalable pour se conformer à celui-ci serve une fin inappropriée, étrangère, accessoire ou ultérieure au litige. Si Seedlings communique à Bentham, aux fins du litige, des renseignements issus des interrogatoires préalables, elle devra s’assurer que Bentham sait qu’ils sont visés par la règle de l’engagement implicite et qu’elle est tenue aux mêmes obligations et restrictions que Seedlings relativement à leur utilisation. Les destinataires de renseignements issus des interrogatoires préalables prennent un engagement envers la Cour, et celle-ci peut en exiger l’observation sans autres formalités (Casavant v Alberta Co-op Taxi Line Ltd., [1996] 188 AR 381, 41 Alta LR (3d) 425; Winkler v Lehndorff Management Ltd., [1998] OJ No 4462).

[34]  Par conséquent, il n’est pas nécessaire que Seedlings soit dispensée par la Cour relativement à la règle de l’engagement implicite de confidentialité pour communiquer des renseignements à Bentham aux fins exclusives de l’action, et la Cour n’a pas besoin de reconnaître ou d’approuver officiellement l’AFL pour donner effet au consentement de Bentham d’observer la règle de l’engagement implicite.

[35]  Bien que Seedlings et Bentham n’obtiennent pas gain de cause, je n’accorderai pas ses dépens à Pfizer. Celle-ci est la partie défenderesse dans l’action principale et elle a aussi été désignée à ce titre dans la présente requête, mais elle n’a pas, et n’a jamais eu, d’intérêt légitime à l’égard d’un examen de la validité ou de la régularité de l’AFL. Comme elle n’avait aucun intérêt direct dans l’issue de l’action, Pfizer aurait pu éviter de gaspiller temps et argent en ne s’opposant pas à la présente requête. Par ailleurs, il aurait été judicieux de la part de Pfizer de répondre à la requête par des observations pertinentes quant à la compétence de la Cour. Sa réponse n’a été ni proportionnelle ni appropriée à la requête. Pfizer s’est fermement opposée aux aspects procéduraux et substantiels de la requête, elle a contre-interrogé les déposants de Seedlings, présenté une requête pour exiger la production de l’AFL non expurgé, elle s’est opposée à la participation de Bentham ou de ses avocats, ainsi qu’au dépôt d’éléments de preuve au dossier de la requête même si la Cour en avait tenu compte dans le cadre d’une requête connexe. La conduite contre-productive de Pfizer a contribué à brouiller les cartes et à rallonger les procédures, au détriment de la capacité de la Cour d’y voir clair dans les questions qui lui ont été soumises. Une telle conduite ne saurait être récompensée par l’adjudication des dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. La requête est rejetée sans dépens.

« Mireille Tabib »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-608-17

 

INTITULÉ :

SEEDLINGS LIFE SCIENCE VENTURES, LLC c PFIZER CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juillet 2017

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE :

Le 12 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Christine Pallotta

 

Pour la demanderesse

 

Peter Wilcox

Stephanie Anderson

Michael Shwartz

 

Pour la défenderesse

 

David Lederman

Benjamin Zarnett

 

Pour BENTHAM IMF CAPITAL LIMITED

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

BELMORE NEIDRAUER LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour BENTHAM IMF CAPITAL LIMITED

 

 

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