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Date : 20170726


Dossiers : T-1409-04

T-1890-11

T-2300-05

Référence : 2017 CF 726

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Barnes

Dossier : T-1409-04

ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC. ET AKTIEBOLAGET HÄSSLE

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

APOTEX INC.

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

Dossier : T-1890-11

ET ENTRE :

ASTRAZENECA AB ET AKTIEBOLAGET HÄSSLE

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

APOTEX INC.

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

Dossier : T-2300-05

ET ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

ASTRAZENECA CANADA INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

Table des matières

I. Durant la période de contrefaçon du brevet 693, Apotex disposait-elle d’un produit de substitution non contrefaisant? 6

A. Les PSNC proposés sont-ils bioéquivalents au Losec? 26

II. Apotex aurait-elle pu mener des essais cliniques chez les humains pour démontrer la bioéquivalence des PSNC proposés? 43

A. Les PSNC proposés sont-ils suffisamment stables? 46

B. Les PSNC proposés auraient-ils obtenu une approbation réglementaire? 68

C. Apotex aurait-elle pu obtenir et utiliser un PSNC auprès d’un tiers? 71

D. Conclusion sur la disponibilité d’un PSNC 88

III. Comment la Cour peut-elle concilier le jugement fondé sur l’article 8 en faveur d’Apotex dans le dossier T-2300-05 avec le jugement de contrefaçon en faveur d’AstraZeneca dans les dossiers T-1409-04 et T-1890-11? 89

IV. Concernant les bénéfices qu’Apotex a tirés de la contrefaçon du brevet 693, quelle est l’indemnité appropriée relativement aux bénéfices réalisés sur les bénéfices? 102

A. Incidences fiscales des bénéfices réalisés sur les bénéfices 105

V. Concernant la contrefaçon du brevet 693, quelle est l’indemnité appropriée compte tenu de l’indemnité établie pour la contrefaçon du brevet américain 505 de la Cour de district des États-Unis et versée en règlement par Apotex? 106

VI. Décision 118

 


[1] Dans les présentes instances scindées, AstraZeneca Canada Inc., Aktiebolaget Hässle et AstraZeneca AB (collectivement, AstraZeneca) sollicitent la restitution des bénéfices réalisés par Apotex Inc. (Apotex) par suite de la contrefaçon des lettres patentes canadiennes no 1 292 693 (brevet 693) d’AstraZeneca. À l’étape relative de l’examen de la responsabilité dans les actions en contrefaçon (dossiers T-1409-04 et T-1890-11), la Cour s’est prononcée en faveur d’AstraZeneca (AstraZeneca c Apotex, 2015 CF 322, 134 CPR (4th) 1, conf. en partie par 2017 CAF 9, [2017] ACF No 22 (QL)). Le produit commercial visé par le brevet 693 est une formulation d’oméprazole que la société AstraZeneca a mise en marché sous le nom Losec au Canada. La période de contrefaçon par Apotex s’est étendue du 5 septembre 2003 au 3 décembre 2008.

[2] Dans le dossier T-2300-05, Apotex demande les dommages-intérêts auxquels elle estime avoir droit au titre de l’article 8 pour avoir été empêchée de vendre sa formulation générique d’oméprazole (apo-oméprazole) au Canada du 3 janvier 2002 au 30 décembre 2003 en raison de la requête déposée par AstraZeneca sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) concernant son brevet 762 (laquelle a été rejetée).

[3] Ces dossiers ont été regroupés par une ordonnance de gestion de l’instance du 11 décembre 2013 et ils ont été instruits ensemble à Toronto.

[4] À leur grand mérite, les parties ont réglé la majorité des questions de quantification et consigné leur entente par écrit (pièce AZ 24). Elles ont aussi convenu que leurs experts-comptables respectifs rajusteraient leurs calculs conformément à l’accord de rationalisation et à toute autre matière découlant du jugement de la Cour. Les points de désaccord non résolus par les experts-comptables seront déférés à la Cour pour règlement définitif.

[5] Les parties ont laissé à la Cour le soin de trancher les questions suivantes :

  • a) Durant la période de contrefaçon du brevet 693, Apotex disposait-elle d’un produit de substitution non contrefaisant (PSNC)?

  • b) Comment la Cour peut-elle concilier le jugement fondé sur l’article 8 en faveur d’Apotex dans le dossier T-2300-05 avec le jugement de contrefaçon en faveur d’AstraZeneca dans les dossiers T-1409-04 et T-1890-11?

  • c) S’agissant des bénéfices d’Apotex par suite de la contrefaçon du brevet 693, une indemnité doit-elle être accordée pour les « bénéfices tirés des bénéfices »?

  • d) S’agissant de la contrefaçon du brevet 693, quelle est l’indemnisation juste compte tenu de l’indemnité accordée par la Cour de district des États-Unis pour contrefaçon du brevet américain no 4 786 505 (brevet 505) octroyée par la cour de district des États-Unis, laquelle indemnité a été versée par Apotex?

[6] La question des dépens sera laissée en suspens jusqu’au dépôt de leurs observations par les parties.

I. Durant la période de contrefaçon du brevet 693, Apotex disposait-elle d’un produit de substitution non contrefaisant?

[7] Il est bien établi en droit canadien qu’un contrefacteur de brevet peut invoquer le moyen de défense fondé sur l’existence d’un PSNC pour recouvrer ses bénéfices ou réduire la réclamation en dommages-intérêts de l’innovateur.

[8] Il appartient à Apotex de faire la démonstration de la disponibilité d’un PSNC et des coûts afférents. Le juge Barry Strayer a exposé ce point dans l’arrêt Reading & Bates Construction Co. v Baker Energy Resources Corp, (1992), 44 CPR (3d) 93, aux pages 106 et 107, 56 FTR 22 (CFPI), conf. par (1994) 58 CPR (3d) 359, 175 NR 225 (CAF) :

[traduction]

Je souscris également aux conclusions de droit du savant juge selon lesquelles il appartient à la défenderesse de prouver l’existence d’une méthode de substitution non contrefaite ainsi que les coûts liés à l’emploi de cette méthode. La défenderesse a cité plusieurs causes établissant le contraire, mais celles-ci ont été tranchées par les cours de district des États-Unis, il y a plus d’un siècle pour l’une d’elles et au moins 50 ans en arrière pour les autres. Cela dit, je crois qu’il existe une jurisprudence canadienne qui attribue à la partie défenderesse le fardeau de prouver qu’une méthode de substitution est disponible et les coûts afférents. Ainsi, notre Cour a conclu qu’aux fins de la comptabilisation des bénéfices, la partie défenderesse doit faire la preuve des coûts engagés afin d’établir les bénéfices nets réalisés sur ses ventes [références omises]. Suivant ce principe de base, il incombe également à la partie défenderesse de prouver les bénéfices nets réels découlant de l’emploi de la méthode contrefaite en calculant ses coûts, selon la prépondérance des probabilités, si la méthode de substitution non contrefaite la plus vraisemblable avait été utilisée. Le savant juge était donc fondé en droit à imposer ce fardeau à la défenderesse en l’espèce.

Voir également Apotex Inc. c Merck & Co., 2015 CAF 171, au paragraphe 74, 387 DLR (4th) 552 [Lovastatin CAF], et Pfizer Canada Inc. c Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, aux paragraphes 53 à 66, 400 DLR (4th) 723, dans lequel la Cour statue au paragraphe 56 que « [d]e simples possibilités qui ne sont pas des probabilités ne suffisent pas ».

[9] Il a fallu un certain temps avant que le moyen de défense fondé sur un PSNC soit admis au Canada, en raison peut-être des propos nuancés de la Cour suprême dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 RCS 902. Il a fallu attendre un arrêt récent par lequel la Cour d’appel fédérale a souscrit sans réserve à ce moyen de défense, du moins sur le plan conceptuel (voir Lovastatin CAF et Apotex Inc. c ADIR, 2017 CAF 23, (2017) ACF no 110 (QL) [Périndopril CAF]). Toutefois, comme tout bon principe juridique, la véritable difficulté réside dans l’application à la preuve. L’espèce n’est pas différente.

[10] L’arrêt Lovastatin CAF, précité, renferme une étude utile de la doctrine sous-tendant le moyen de défense fondé sur un PSNC et de son application. Ce moyen de défense requiert essentiellement d’établir un lien de causalité entre la contrefaçon et l’indemnisation demandée. La défense fondée sur un PSNC est censée s’appliquer de « manière décisive et logique » à ce qui aurait pu se produire « n’eût été » la contrefaçon. Les passages suivants sont particulièrement instructifs à cet égard :

[48] La difficulté que soulève le raisonnement de la juge est que, si l’on calcule les dommages-intérêts pour la perte de bénéfice sans jamais tenir compte de l’existence de produits de substitution non contrefaits, il peut arriver que le titulaire du brevet se retrouve dans une situation plus intéressante que s’il n’y avait pas eu contrefaçon du brevet. La raison en est la suivante. Lorsqu’un défendeur peut fabriquer et vendre un produit de substitution non contrefait, le brevet ne confère pas de monopole complet au titulaire du brevet : il lui confère plutôt une partie du marché. Dans ces circonstances, si, au lieu d’utiliser un produit de substitution non contrefait, le défendeur viole le brevet, il s’agit de savoir si, « n’eût été » la contrefaçon, le défendeur ne serait pas entré en concurrence avec le titulaire du brevet. La concurrence licite du défendeur dans cette situation hypothétique pourrait avoir privé le titulaire du brevet de certaines ventes.

[49] Autrement dit, dans les cas où, dans cette situation hypothétique, le contrefacteur aurait pu fabriquer et vendre un produit de substitution non contrefait et l’aurait fait, ces ventes auraient pu en fait réduire celles du titulaire du brevet. L’octroi systématique de dommages-intérêts intégraux au titre de la perte de bénéfices aura donc parfois pour effet de surindemniser le titulaire de brevet.

[50] L’indemnisation parfaite suppose de tenir compte i) du produit de substitution non contrefait éventuel que le défendeur ou d’autres concurrents auraient pu vendre, et auraient vendu, « n’eût été » la contrefaçon du brevet, ii) de la mesure dans laquelle une concurrence licite aurait réduit les ventes du titulaire du brevet.

[…]

[73] Toute cour invitée à examiner les effets d’une concurrence légitime par un défendeur commercialisant un produit de substitution non contrefait est tenue de se poser au moins les questions de fait suivantes :

i) Le produit non contrefaisant proposé offre-t-il un véritable produit de substitution et donc un véritable choix?

ii) Le produit non contrefaisant proposé constitue-t-il un véritable choix, en ce sens qu’il est économiquement viable?

iii) Au moment de la contrefaçon, le contrefacteur avait-il une réserve suffisante du produit de substitution non contrefait pour remplacer les ventes de produits non contrefaits? Autrement dit, le contrefacteur aurait-il pu vendre le produit de substitution non contrefait?

iv) Le contrefacteur aurait-il effectivement vendu le produit de substitution non contrefait?

[74] Selon les principes généraux, c’est au défendeur qu’incombe la responsabilité de prouver, selon la prépondérance des probabilités, la pertinence factuelle de l’existence d’un produit non contrefaisant. En fait, Apotex a reconnu, dans son argumentation orale, qu’il lui fallait convaincre le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait utilisé le produit de substitution non contrefait. Voilà qui est conforme à la jurisprudence, par exemple dans l’arrêt Rainbow Industrial Caterers Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 3 R.C.S. 3.

[Souligné dans l’original.]

[…]

[89] Cela règle l’appel à cet égard, mais je conclus également qu’Apotex n’a pas fait la preuve qu’elle aurait effectivement remplacé ses ventes de produits contrefaits, pour les raisons suivantes.

[90] Premièrement, comme Apotex l’a concédé dans son argumentation orale :

Le monde réel est à la base de la construction de la situation hypothétique.

Le comportement dans le monde réel est « très important » au regard de ce qui se serait passé dans la situation hypothétique.

Les conclusions de fait découlant du jugement sur la responsabilité sont pertinentes pour la construction de la situation hypothétique.

Lorsque la contrefaçon est « flagrante » dans le monde réel, il devient très difficile de prouver que le défendeur aurait eu recours au produit de substitution non contrefait dans la situation hypothétique.

[91] À l’étape de l’établissement de la responsabilité, la juge a conclu, au paragraphe 309 de ses motifs (2010 CF 1265), que, si Blue Treasure avait utilisé le procédé de fermentation de la lovastatine non contrefait, elle aurait perdu beaucoup d’argent pour chaque kilogramme de produit expédié à AFI. Cela dit, Apotex savait que, dès que Blue Treasure s’est mise à utiliser le procédé censément non contrefait, elle est devenue rentable. On peut donc en déduire qu’Apotex savait que Blue Treasure se servait en fait du procédé contrefait et qu’elle n’en a pas moins utilisé le produit en vrac pour fabriquer et vendre ses comprimés de lovastatine.

[92] Il convient de signaler en outre que du 1er janvier 1997 au 1er janvier 2001, Apotex croyait que le brevet de Merck n’était pas valide.

[93] Apotex n’a pas réussi à prouver qu’elle aurait vendu de la lovastatine non contrefaite lorsqu’on considère les éléments suivants : l’ampleur de la contrefaçon; la probabilité qu’Apotex savait que Blue Treasure l’approvisionnait en lovastatine contrefaite; sa conviction que le brevet de Merck n’était pas valide; son omission d’appeler un témoin d’AFI à la barre pour confirmer que, si elle avait su que le produit était contrefait, elle aurait relancé les activités à l’usine d’AFI de Winnipeg; enfin, le fait que la juge a conclu que les déclarations du seul témoin des faits produit par Apotex étaient, quoiqu’à d’autres égards, sans fondement et intéressées.

[11] Le moyen de défense fondé sur un PSNC a été accueilli récemment dans l’arrêt Périndopril CAF, précité. Dans cette affaire, Apotex a plaidé ce moyen de défense en faisant valoir que le produit breveté était disponible auprès de sources étrangères et vendu sur les marchés exempts de contrefaçon. La Cour a expressément rejeté l’idée qu’il soit impossible qu’un PSNC ait la forme exacte du produit breveté. Elle estimait qu’une telle approche étendrait indûment la portée territoriale du brevet canadien aux territoires exempts de contrefaçon. La Cour s’est également montrée indifférente au fait qu’au début de la période de contrefaçon, aucun des tiers fournisseurs étrangers connus de périndopril n’avait ce composé en stock. La question posée était celle de savoir si, dans une situation hypothétique, Apotex aurait pu obtenir et aurait obtenu un produit non contrefaisant en quantité suffisante, et si elle aurait pu utiliser et aurait utilisé ce produit (au paragraphe 41). Voici l’analyse de la Cour sur ce point :

[42] Comme la Cour l’a expliqué subséquemment dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, 483 N.R. 275 [Effexor], au paragraphe 50, les expressions « aurait pu » et « aurait » sont importantes. Pour prouver qu’il « aurait pu », le défendeur doit démontrer qu’il lui était possible de se procurer un produit non contrefaisant. Pour établir qu’il « aurait eu », il doit démontrer « que les événements auraient eu lieu de telle sorte qu’il [...] se retrouve [...] dans cette position » (Effexor, au paragraphe 50). L’importance de l’expression « aurait » tient à ce qu’en obligeant le défendeur à démontrer qu’il aurait utilisé une solution non contrefaisante, ce dernier prouve que la valeur de l’invention brevetée n’est pas telle qu’il aurait été improbable ou fantaisiste de recourir à d’autres solutions. En d’autres termes, outre la disponibilité d’une solution non contrefaisante, le défendeur doit démontrer qu’il n’y a aucun obstacle à son utilisation.

[12] AstraZeneca soutient que rien dans la jurisprudence ne soutient l’existence d’un PSNC non perçu comme étant non contrefaisant par le contrefacteur au moment de la contrefaçon. Elle ajoute qu’un PSNC doit être « envisageable » aux yeux du contrefacteur au moment pertinent. En deçà de cela, toute allégation doit être considérée comme hypothétique.

[13] À l’appui de son argument fondé sur le critère de « connaissance », AstraZeneca invoque la décision de première instance dans Wellcome Foundation Limited c Apotex Inc. (1998), 82 CPR (3d) 466, aux paragraphes 32 et 33, 151 FTR 250 (CFPI) [Wellcome CF], conf. par (2001) 2 RCF 618, 11 CPR (4th) 218 (CA). AstraZeneca cite l’arrêt Lovastatin CAF, précité, aux paragraphes 93 à 95, concernant le caractère envisageable.

[14] Mon interprétation de cette jurisprudence n’est pas aussi large que celle que propose AstraZeneca. Dans la décision Wellcome CF, précitée, outre la question de savoir si Apotex savait que son produit de substitution était non contrefaisant, le juge MacKay s’est aussi demandé si elle « aurait pu savoir » (au paragraphe 33). Bien entendu, il s’impose de déterminer si un contrefacteur sait si le PSNC proposé emporte contrefaçon pour établir s’il « aurait pu » l’employer à la place du produit contrefaisant. Toutefois, c’est loin de faire de la connaissance antérieure de la non-contrefaçon une condition préalable absolue de l’existence d’un PSNC.

[15] De plus, j’accorde peu d’importance à la référence arbitraire au caractère « envisageable » dans l’arrêt Lovastatin CAF, précité. Selon ma compréhension du contexte dans lequel ce mot est employé, il signifie qu’un PSNC valable aurait été disponible au contrefacteur selon ce qui était connu dans le domaine à l’époque. Si le caractère envisageable signifie que le contrefacteur devait avoir à l’esprit le PSNC revendiqué au moment de la contrefaçon, il s’ensuit que ceux qui ne savaient pas que leur produit emportait contrefaçon seraient lésés, alors que ceux qui en étaient conscients pourraient choisir d’assumer le risque en gardant en réserve une solution de contournement.

[16] Dans son plaidoyer final sur le PSNC, au paragraphe 56, AstraZeneca renvoie à deux jugements américains faisant autorité (Grain Processing Corp v American Maize-Products Co, 185 F 3d 1341 (Fed Cir 1999) [Grain Processing], et Micro-Chemical Inc v Lextion Inc, 318 F 3d 1119 (Fed Cir 2003) [Micro-Chemicals]) en soutien à son allégation comme quoi un PSNC à l’égard duquel le contrefacteur [traduction] « doit inventer en contournant la technologie brevetée » ne peut être considéré comme étant « disponible » à ce dernier. Je ne souscris pas à cette interprétation et, dans sa plaidoirie, l’avocat s’est rétracté quelque peu. Les jurisprudences Micro-Chemical et Grain Processing, précitées, n’appuient aucunement la thèse de la subordination de la disponibilité d’un PSNC à l’effort inventif requis pour le produire. Le temps et l’effort requis pour parvenir à une solution non contrefaisante sont certes pertinents pour déterminer si le contrefacteur y aurait donné suite, mais ils ne constituent pas des empêchements absolus à ce moyen de défense. C’est tout ce que voulait dire le juge Rader au nom de la Cour, tel que le confirme son observation suivante à la page 1123 de la décision Micro-Chemical : les coûts élevés et la complexité de l’exercice [traduction] « de concevoir ou d’inventer un produit de substitution en contournant la technologie brevetée militent contre une conclusion de disponibilité ». La Cour fait la même observation dans la décision Grain Processing.

[17] La jurisprudence américaine sur laquelle se fondent les parties n’appuient pas non plus, selon mon interprétation, l’argument de l’exclusion d’un PSNC qui n’est pas disponible [traduction] « sur le marché » au moment de la contrefaçon. Dans la décision Grain Processing, précitée, la Cour se questionnait seulement sur la disponibilité hypothétique d’un PSNC [traduction] « y compris, entre autres, les produits sur le marché » (à la page 1349). Si le produit de substitution n’est pas disponible sur le marché durant la période visée, la Cour a observé qu’il est possible, mais non obligatoire de conclure à sa non-disponibilité. La Cour ajoute à la page 1353 que [traduction] « la cour de première instance doit apprécier avec une grande prudence les éléments de preuve portant sur la disponibilité de produits de substitution qui, de fait, n’étaient pas en réalité vendus durant la période de contrefaçon ». Toutefois, la cour de première instance avait conclu que le produit de substitution revendiqué aurait pu être fabriqué selon un procédé connu dans le domaine. Cette conclusion a été confirmée en appel. Je ne vois rien dans la décision Micro-Chemical qui contredit la thèse énoncée ci-dessus.

[18] De toute évidence, il faut distinguer les affaires comme Périndopril CAF de l’espèce. Dans l’affaire Périndopril CAF, l’existence du PSNC était connue au moment de la contrefaçon. Les PSNC que propose Apotex en l’espèce étaient inconnus et n’avaient jamais été fabriqués, par quiconque, avant ou pendant la période de contrefaçon, et encore moins approuvés pour utilisation au Canada, aux États-Unis ou ailleurs. Malgré cette distinction, je retiens la thèse d’Apotex selon laquelle, dans un monde hypothétique, exception faite du domaine pharmaceutique, l’impossibilité pour le contrefacteur de produire un PSNC valable dans le monde réel ne constitue pas un empêchement au recours au moyen de défense fondé sur un PSNC. Dans ce contexte, la question à laquelle il faut répondre est la suivante : le contrefacteur aurait-il pu fabriquer le produit durant la période visée et l’aurait-il vendu sur des bases financières raisonnables en remplacement du produit contrefaisant?

[19] Je crois que c’est l’avis qu’exprime la juge Eleanor R. Dawson au nom de la Cour dans l’arrêt Périndopril CAF, lorsqu’elle affirme au paragraphe 62 que « le fait qu’un événement ne soit pas survenu dans le monde réel ne signifie pas nécessairement qu’il ne serait pas survenu et n’aurait pas pu survenir dans le monde hypothétique ». S’ajoute à cela la reconnaissance dans l’arrêt Périndopril CAF que la disponibilité d’un PSNC ne doit pas être exclue simplement parce qu’il n’était pas immédiatement disponible au contrefacteur, c’est-à-dire la veille de la première contrefaçon. Il n’empêche, la Cour devrait encore « se demander si un fournisseur aurait fourni et pu fournir ultérieurement des comprimés non contrefaisants en remplacement des comprimés contrefaisants » (au paragraphe 67). Cette observation vient corroborer la thèse d’Apotex comme quoi il n’est pas nécessaire qu’un PSNC viable existe au moment précis de la contrefaçon.

[20] Il ne s’ensuit pas pour autant que le contrefacteur qui invoque ce moyen de défense a moins de problèmes de preuve parce qu’il a mis au point un PSNC après la contrefaçon. De fait, comme il sera exposé ci-après, la preuve pose de graves problèmes en l’espèce.

[21] L’une des difficultés posées par un PSNC fabriqué a posteriori a été récemment soulevée dans la décision Airbus Helicopters, S.A.S. c Bell Helicopter Texteron Canada Limitée, 2017 CF 170, au paragraphe 295, 144 CPR (4th) 281 [Airbus]. Dans cette affaire, le juge Luc Martineau explique que la Cour doit éviter tout parti pris a posteriori lorsqu’elle apprécie la soi-disant facilité à concevoir, à mettre à l’essai, à mettre à l’échelle et à faire approuver aux fins d’utilisation un PSNC après le fait. Dans une situation où l’utilisation d’un produit entraîne un risque considérable de contrefaçon, il y a lieu de se demander pourquoi une version prétendument simple, non contrefaisante et à coût égal n’a jamais été tentée. Il faut aussi accorder plus de poids aux difficultés que soulève la preuve eu égard au critère « aurait pu et aurait eu » lorsque les PSNC hypothétiques proposés n’ont jamais été soumis à l’évaluation et à l’approbation de l’autorité réglementaire compétente.

[22] Je ne crois pas cependant que la décision du juge Martineau dans Airbus, précitée, étaye l’argument selon lequel les PSNC ex post facto a, comme ceux dont il est question en l’espèce, doivent être exclus de l’examen du point de vue du droit. Le juge Martineau a tout simplement formulé quelques réserves concernant le danger de faire valoir un PSNC qui était inconnu pendant la période de contrefaçon ou qui avait été écarté auparavant. Il s’inquiétait à juste titre de la crédibilité de ce genre de preuve à rebours et du risque de parti pris a posteriori (au paragraphe 295).

[23] J’ai les mêmes réserves que le juge Martineau relativement aux éléments de preuve produits par Apotex en l’espèce eu égard au PSNC, et notamment aux formulations de PSNC récemment conçues en interne.

[24] C’est une chose de faire valoir un PSNC connu et qui pouvait être utilisé durant la période de contrefaçon, mais il en va tout autrement d’un PSNC proposé qui a été fabriqué longtemps après que celle-ci a eu lieu. Après la création et l’approbation réglementaire d’un PSNC, il est vain de se demander s’il « aurait pu » être disponible et utilisable (en supposant qu’il était disponible en quantité commerciale suffisante). En l’espèce, les PSNC conçus par Apotex ont été produits en lots non commerciaux et n’ayant pas fait l’objet d’analyses de stabilité, de bioéquivalence ou cliniques, ni des approbations réglementaires requises pour leur usage commercial. En réalité, Apotex n’a jamais eu l’intention de mettre au point ces formulations à des fins commerciales. Il reste donc de nombreuses questions irrésolues relativement à l’emploi efficace desdites formulations, si emploi efficace il y a eu durant la période de contrefaçon.

[25] Apotex cherche à minimiser la faiblesse manifeste des éléments de preuve qu’elle a produits relativement aux essais en faisant valoir qu’AstraZeneca et ses experts ont mal compris le fardeau de preuve incombant à Apotex à propos des PSNC. Apotex formule la question ainsi au paragraphe 113 de ses observations finales :

[traduction]

La Cour doit trancher la question de savoir si au moins une formulation de PSNC aurait satisfait aux exigences réglementaires si jamais Apotex l’avait fabriquée à l’échelle commerciale et avait déposé les documents réglementaires requis. Il ne lui est pas demandé de déterminer si les données recueillies auraient répondu ou non aux normes réglementaires.

Si Apotex avait donné suite aux attentes d’Astra, elle aurait fabriqué des millions de capsules qui auraient été soumises à des analyses pendant un an. De plus, des centaines de sujets humains auraient subi en vain des essais cliniques.

[26] La thèse avancée ci-dessus est bancale du fait que, sans les données réglementaires requises concernant ses PSNC proposés, Apotex ne peut pas faire la démonstration claire que l’un ou l’autre aurait été approuvé. Les données incomplètes ou non concluantes sont peu convaincantes. Le fait qu’Apotex a entrepris ses essais de stabilité trop tard pour les achever avant le procès et qu’elle n’a mené aucune recherche clinique sur la bioéquivalence fragilise davantage son argument quant à la viabilité des PSNC. Cette observation vaut tout autant pour les raccourcis dans les expériences et les protocoles d’essais sous-optimaux sur lesquels Apotex fonde ses données sur la stabilité. Si ces démarches peuvent être valables pour la sélection en interne des meilleures formulations à l’étape de la mise au point d’un produit, elles perdent en intérêt quand il s’agit de déterminer si une formulation particulière aurait été suffisamment viable pour obtenir une approbation réglementaire, selon la prépondérance des probabilités.

[27] Il importe aussi de souligner que le moyen de défense fondé sur le PSNC s’est avéré inefficace pour Apotex à l’étape de la détermination des dommages-intérêts de l’instance aux États-Unis. Devant les tribunaux américains, Apotex a fait valoir qu’elle aurait pu modifier la formulation contrefaisante, adopter une formulation non contrefaisante existante ou utiliser une formulation sous forme de micro-comprimés. La Cour de district du sud de New York (la Cour de district) rejette entièrement ces arguments dans la décision AstraZeneca AB c Apotex Corp, 985 F Supp 2d 452 (2013). La Cour parle en ces termes des modifications apportées par Apotex à la formulation proposée, à la page 499 :

[traduction]

Quant aux modifications mineures qu’Apotex proposait d’apporter aux ingrédients de ses pastilles, ce serait pure conjecture que de chercher à savoir si ses diverses propositions auraient créé un produit bioéquivalent, stable et non contrefaisant. Apotex n’a jamais demandé à l’un de ses nombreux spécialistes d’essayer de créer la formulation modifiée, et encore moins de la produire et de la tester (voir SynQor, Inc. c Artesyn Techs. Inc., 709 F.3d 1365, 1382 (Fed. Cir. 2013)). Lorsque le produit de substitution proposé n’est pas offert sur le marché, « il revient au contrefacteur accusé de réfuter la conclusion qu’il n’était pas “disponible” » [renvoi omis].

Apotex n’a pas sélectionné arbitrairement les ingrédients entrant dans la composition de pastilles après six années de recherches et d’essais. Ces ingrédients étaient le secret de l’efficacité du produit. Ce résultat n’a pas été atteint en un tournemain considérant toute la complexité de trouver une manière de délivrer la molécule d’oméprazole suffisamment intacte à la partie du corps où elle est la plus efficace.

[28] Dans cette affaire, Apotex a un peu tardivement tenté de surmonter le problème mentionné par la Cour de district en mettant au point une série de formulations de substitution. Toutefois, elle n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi elle a attendu jusqu’à la fin de 2015 pour commencer les essais de stabilité alors qu’elle savait ou aurait dû savoir depuis 2007, année où les tribunaux américains ont tranché les litiges susmentionnés, que l’apo-oméprazole contrefaisait les formulations brevetées d’AstraZeneca. Pour une raison occulte, Apotex a plutôt adopté une position purement théorique concernant les PSNC à l’étape de la détermination des dommages-intérêts devant les tribunaux américains, alors qu’à l’issue de cette affaire, la Cour a observé, à la page 449, qu’Apotex avait [traduction] « essentiellement abandonné l’argument comme quoi elle aurait pu modifier la formulation contrefaisante ». Le rejet par la Cour de district de la défense d’Apotex fondée sur le PSNC qui reposait sur un dossier de preuve différent et vraisemblablement plus faible que celui dont je suis saisi. Je n’ai toutefois pas le choix de me demander pourquoi Apotex n’a pas travaillé à ses formulations de substitution bien avant la fin de 2015. Son excuse comme quoi elle ne savait pas que sa formulation était contrefaisante a été battue en brèche par la conclusion de contrefaçon de la Cour de district en 2007 (voir AstraZeneca AB v Mylan Labs Inc et al., 490 F Supp 2d 381 (2007)), laquelle a été confirmée en appel en 2008 dans l’arrêt AstraZeneca AB v Apotex Corp, 536 F 3d 1361 (Fed Cir). Apotex a donc commencé les essais de stabilité longtemps après qu’elle a su ou aurait dû savoir que l’apo-oméprazole était contrefaisante.

[29] Le défaut d’Apotex d’achever les essais sur ses formulations de substitution et sa décision de se fonder sur les extrapolations de ses experts en l’espèce ne sont pas acceptables. L’accueil d’une telle stratégie pourrait récompenser Apotex d’avoir temporisé puisque les résultats définitifs des essais de stabilité auraient été exclus de l’examen et que celui-ci aurait fort bien pu révéler l’inefficacité des formulations de substitution. Or, Apotex ne peut être favorisée parce qu’elle a reporté des essais évidents et ainsi évité des résultats potentiellement non concluants. En réalité, Apotex demande à la Cour de prédire un résultat qu’elle a omis d’établir alors qu’elle aurait pu le faire. Au vu du dossier de preuve dont je dispose, je ne puis tirer les conclusions que recherche Apotex.

[30] AstraZeneca s’appuie dans une large mesure sur le principe voulant que pour apprécier les PSNC hypothétiques, la Cour doive tenir compte de ce qui est survenu dans le monde réel, y compris la conduite et l’état d’esprit du contrefacteur. Sans réfuter cette question de principe, Apotex milite pour que le poids qui lui est accordé soit moindre.

[31] Au départ, j’avais des réserves concernant l’idée que la disponibilité d’un PSNC soit à l’origine, du moins en partie, du caractère délibéré de la contrefaçon. Toutefois, selon ce que je comprends de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lovastatin CAF, cette idée se résume simplement à ceci : lorsqu’un contrefacteur contrefait de manière éhontée un brevet valide ou s’expose clairement au risque de le faire, on peut en déduire qu’un produit de substitution viable n’était pas disponible. Autrement, le choix rationnel serait indéniablement d’utiliser le PSNC et non le produit contrefaisant.

[32] Il me semble que ce qu’Apotex savait à l’époque et ce qu’elle a fait avec ce savoir dans le monde réel sont d’importantes considérations pour évaluer la disponibilité, dans un monde hypothétique, de PSNC ex post facto. L’allégation qui est maintenant présentée à la Cour selon laquelle il aurait été simple, rentable et rapide de mettre au point et d’exploiter commercialement les PSNC est loin de résister à l’épreuve des faits historiques.

[33] Il a fallu de nombreuses années à Apotex pour mettre au point et faire approuver l’apo-oméprazole, un produit qui, selon ce que croyait M. Bernard Sherman à l’époque, apparemment, n’emportait pas contrefaçon du brevet 693 ni du brevet américain 505. Ce fait réfute l’argument qu’il aurait été plus facile de mettre au point n’importe quel PSNC à partir de zéro, sans le bénéfice de l’apo-oméprazole. De fait, comme je l’ai constaté au stade de l’établissement de la responsabilité, les formulations à partir de la molécule d’oméprazole sont complexes.

[34] Le témoignage de M. Sherman comme quoi il n’aurait pas été difficile de produire un PSNC est également démenti par l’expérience de la production de formulations du PSNC actuellement revendiquées. Initialement, M. Sherman croyait que la solution consistait à éliminer le composé réactionnel alcalin de la formulation contrefaisante. C’est d’ailleurs ce qu’il a déclaré devant les tribunaux américains. Cette approche a cependant échoué dans la présente instance, elle a échoué (pièce APO 130, rapport 1 de M. Chow, paragraphes 84 et 85).

[35] Il convient de souligner de plus qu’aucune des 14 premières formulations de PSNC d’Apotex n’est en cause dans le présent litige, ce qui permet de déduire qu’elles ont toutes échoué. Parmi les formulations soumises à des essais ultérieurs, il est clair qu’un certain nombre n’a pas satisfait aux exigences de stabilité ou de bioéquivalence. Parmi les formulations qu’Apotex continue de revendiquer, plusieurs ont été conçues à une étape ultérieure du processus de sélection. Tous ces constats affaiblissent l’argument d’Apotex comme quoi de nombreux PSNC viables auraient été immédiatement évidents à un formulateur qualifié comme M. Sherman.

[36] Selon lui, il n’aurait pas exploré les PSNC potentiels durant la période de contrefaçon parce qu’il n’avait aucune raison de croire que l’apo-oméprazole était contrefaisante. Ce témoignage ne résiste pas à l’examen. En fait, comme il est discuté ci-dessus, il était ou il aurait dû être de plus en plus évident pour M. Sherman que l’apo-oméprazole était probablement contrefaisante. Qu’importe ce qu’Apotex savait ou aurait dû savoir, elle a continué de l’utiliser. En maintenant cette conduite contrefaisante, elle a fait preuve d’une obstination déraisonnable, de dogmatisme ou d’ignorance volontaire des conséquences. Ce constat contredit le témoignage de M. Sherman au procès quand il a affirmé que s’il avait su, Apotex aurait immédiatement recherché d’autres options.

[37] Il est aussi révélateur que, malgré la preuve croissante de contrefaçon, Apotex a décidé de ne pas analyser l’apo-oméprazole afin de déterminer si elle contenait un sous-enrobage contrefaisant. Cette conduite affaiblit le témoignage de M. Sherman selon lequel s’il avait su que l’apo-oméprazole emportait contrefaçon, il lui aurait été facile de mettre au point ou de se procurer un PSNC. Il semble plus vraisemblable qu’Apotex était disposée à utiliser l’apo-oméprazole sans égard aux conséquences, et qu’elle n’a probablement jamais envisagé de recourir à un PSNC. Cette hypothèse vaut particulièrement pour ce qui est des PSNC de tiers. M. Sherman a clairement fait savoir que cette option aurait été envisagée seulement une fois épuisées toutes les solutions internes.

[38] Dans l’appréciation du témoignage de M. Sherman au sujet de ce qu’Apotex aurait fait dans un monde hypothétique, il faut s’arrêter à ce qu’il savait dans le monde réel et à ce qu’Apotex a fait ou n’a pas fait de ce savoir.

[39] Dès 2000, Apotex savait qu’AstraZeneca alléguait une contrefaçon concernant un sous-enrobage formé in situ avec une autre formulation générique d’oméprazole. Dans la décision Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 10 CPR (4th) 38, 102 ACWS (3d) 185 (CF), conf. par 2002 CAF 147, 18 CPR (4th) 558, la juge Danièle Tremblay-Lamer a conclu à une contrefaçon pour ce motif.

[40] En 2000, AstraZeneca a fait la même allégation contre Apotex et d’autres fabricants de produits génériques dans une action en contrefaçon aux États-Unis. Dans le premier cycle de ce litige, qui a pris fin en 2002, la Cour de district a conclu à la contrefaçon par un autre défendeur pour un sous-enrobage formé in situ. À l’issue de second cycle des poursuites en 2007, comme il a été mentionné ci-dessus, la même conclusion a été tirée à l’encontre d’Apotex.

[41] En 2003, la Cour d’appel fédérale a conclu que les revendications du brevet 693 se rapportaient à un sous-enrobage formé in situ et a rejeté les arguments contraires d’Apotex (voir Apotex Inc. c Hassle, 2003 CAF 409, 29 CPR (4th) 23).

[42] En 2004, AstraZeneca a engagé la première des présentes actions en dommages-intérêts contre Apotex au Canada, alléguant que l’apo-oméprazole contrefaisait le brevet 693 au motif d’un sous-enrobage formé in situ.

[43] Malgré les faits décrits ci-dessus, Apotex n’a jamais tenté de mettre au point une formulation de PSNC, ni même de mener des essais pour établir si les capsules d’apo-oméprazole renfermaient un sous-enrobage contrefaisant.

[44] Le 16 mars 2015, j’ai statué dans ces instances que l’apo-oméprazole emportait contrefaçon du brevet 693 du fait de la présence d’un sous-enrobage formé in situ.

[45] Une extrême prudence s’impose étant donné les faits exposés ci-dessus et l’absence d’effort d’Apotex avant la fin de 2015 pour mettre au point des formulations de PSNC ou pour se procurer une formulation auprès d’un tiers.

[46] En aucun temps durant la période de contrefaçon, Apotex n’a eu facilement accès à un PSNC, et elle n’a jamais pensé à un plan de rechange pour mettre au point ou acheter un PSNC. Elle a plutôt décidé d’utiliser l’apo-oméprazole jusqu’à la toute fin. Encore aujourd’hui, les données de stabilité et de bioéquivalence produites par Apotex sont tardives, incomplètes et non concluantes, ce qui donne à penser qu’elle ne disposait pas et qu’elle ne dispose toujours pas d’un PSNC viable de conception interne. Malgré ces réserves, je vais examiner les éléments de preuve produits par Apotex au sujet des PSNC revendiqués afin de déterminer s’ils étaient disponibles et s’ils constituaient de véritables substituts non contrefaisants de l’apo-oméprazole.

[47] À cet égard, je peux facilement trancher deux questions soulevées par AstraZeneca :

  • a) Est-ce qu’Apotex avait la capacité de commercialiser l’une des formulations de PSNC revendiquées (la question « aurait pu »)?

  • b) Est-ce qu’Apotex a omis de démontrer que chacune de ses formulations de PSNC de conception interne était non contrefaisante?

[48] Bien que je reconnaisse qu’Apotex a pu rencontrer des difficultés de fabrication durant la mise à l’échelle commerciale du PSNC, j’estime qu’à l’exception de la formulation MR8620E1 de PSNC, un fabricant prospère et expérimenté comme Apotex aurait pu les surmonter. Les enrobages gastro-résistants sont utilisés depuis longtemps à des fins commerciales et Apotex avait une longue expérience de leur application à ses formulations. M. Davies a mentionné certains écueils à l’étape de la production qu’Apotex n’avait peut-être pas résoudre entièrement durant la production à petite échelle. Je crois toutefois qu’Apotex aurait pu régler et aurait de fait réglé la majorité de ces difficultés sans un investissement démesuré en temps et en argent, et sans compromettre le profil de dissolution des enrobages gastro-résistants utilisés dans les formulations de PSNC.

[49] J’exclus de ce constat la formulation MR8620E1. Cette formulation a été conçue pour éviter la formation d’un sous-enrobage in situ en réduisant la teneur en eau de la dispersion de l’enrobage gastro-résistant de copolymère d’acide méthacrylique. Cette modification diminuait la probabilité d’une réaction de l’interface enrobage gastro-résistante/noyau.

[50] Je ne suis pas convaincu qu’il aurait été possible de produire la formulation MR8620E1 à une échelle commerciale puisque, comme l’a expliqué M. Davies, elle ne répondait pas aux spécifications du fabricant de copolymère d’acide méthacrylique pour ce qui est de la teneur en matière sèche et elle a causé de multiples obstructions de la buse (pièce AZ 137, paragraphes 136 et 137). En l’absence d’élément de preuve convaincant démontrant qu’il aurait été possible de résoudre les difficultés de production commerciale, je ne suis pas convaincu que cette formulation aurait pu être efficace. S’il s’agissait effectivement d’une solution de contournement aussi évidente que le laisse maintenant entendre Apotex, alors pourquoi a-t-elle été tentée aussi tardivement (longtemps après le début de la mise au point des PSNC par Apotex) et pourquoi la production à plus grande échelle de lots à enrobage gastro-résistant n’a-t-elle pas été tentée ou documentée?

[51] D’après les témoignages des représentants d’Apotex, je suis convaincu également que sa capacité interne lui permettait largement de produire en quantité suffisante les autres formulations de PSNC pour couvrir les ventes de ses produits contrefaisants.

[52] Selon AstraZeneca, Apotex a échoué à faire la démonstration que les PSNC revendiqués n’emporteraient pas contrefaçon du brevet 693. AstraZeneca a reconnu que les PSNC revendiqués par Apotex et produits en lots n’étaient pas contrefaisants (pièce APO 69), mais elle ne fait pas cette concession concernant les PSNC produits à une échelle commerciale. Je ne puis souscrire à cet argument que la preuve ne corrobore pas directement.

[53] Si les PSNC produits en lots ne sont pas contrefaisants, on pourrait s’attendre à ce qu’ils ne le soient pas non plus s’ils sont produits à l’échelle commerciale. Cette attente pourrait être réfutée par une preuve convaincante du lien entre l’accroissement de la production et l’apparition d’une caractéristique contrefaisante (par exemple, un sous-enrobage in situ). Toutefois, comme aucun élément de preuve portant précisément sur cette question ne m’a été présenté, je conclus que la production commerciale des formulations des PSNC revendiquées n’emporterait pas contrefaçon du brevet 693.

A. Les PSNC proposés sont-ils bioéquivalents au Losec?

[54] Mario González est un spécialiste de la pharmacocinétique, de la pharmacologie clinique et de la biopharmaceutique (y compris la mise au point, l’application de corrélations in vitro-in vivo et les relations dans la prédiction de la bioéquivalence des formulations). Il a témoigné à titre d’expert au nom d’Apotex sur la question de savoir si, en l’absence de données in vivo, il serait raisonnablement possible de prédire si l’un ou l’autre des PSNC revendiqués seraient bioéquivalents au Losec et, dans l’affirmative, la méthode à employer pour faire une telle prédiction.

[55] Après avoir été informée par M. González que de telles prédictions étaient possibles dans certaines conditions, Apotex lui a transmis ses données pharmacocinétiques, statistiques et cliniques comparant la bioéquivalence de l’apo-oméprazole et du Losec, ainsi que ses données de dissolution in vitro et son protocole d’essai. À partir de cette information, M. González devait donner son opinion sur « la possibilité d’une bioéquivalence entre les [PSNC] et le Losec ».

[56] Dans son premier rapport (pièce APO 41), M. González précise que l’évaluation de la bioéquivalence de deux composés pharmaceutiques à des fins réglementaires se fait dans le cadre d’essais cliniques aléatoires croisés chez les humains, dans lesquels les concentrations de plasma sont analysées et comparées au fil du temps. Pour être acceptables, les essais cliniques doivent être menés chez au moins 12 sujets humains mais, le plus souvent, il faut de 18 à 24 sujets « pour recueillir des données utiles ». La population d’essai doit être suffisamment nombreuse pour que les données ne soient pas indûment invalidées par une variabilité intraindividuelle et interindividuelle. Santé Canada reconnaît la bioéquivalence de deux formulations si les données comparatives respectent des normes statistiques minimales (au paragraphe 32).

[57] Dans son premier rapport, M. González précise ce qui suit au paragraphe 33 :

[traduction]

[...] s’il n’est ni souhaitable ni pratique de mener une étude comparative de la biodisponibilité pour déterminer si deux formulations sont bioéquivalentes, une méthode substitutive peut être envisagée dans certaines conditions, comme la corrélation in vitro-in vivo (CIVIV) ou la relation in vitro-in vivo (RIVIV), afin de prédire raisonnablement la bioéquivalence de deux formulations.

[58] En l’espèce, une CIVIV n’a pu être effectuée. M. González a seulement utilisé la méthode RIVIV, moins exhaustive mais, selon lui, très utile pour la mise au point de formulations » (au paragraphe 38).

[59] M. González a commencé son analyse de la bioéquivalence au moyen de la RIVIV en reportant les données sur la bioéquivalence de l’apo-oméprazole et du Losec sur un graphique. Il a constaté leur bioéquivalence lorsque les sujets sont à jeun. Selon M. González, toute formulation de PSNC avec un profil de dissolution in vitro se situant entre celui de l’apo-oméprazole et du Losec [traduction] « serait considérée comme étant bioéquivalente à ces formulations » (au paragraphe 52). Cette prédiction ne pouvait être faite avec le même degré de confiance dans le cas d’un PSNC dont le profil est hors plage. Parmi les 15 formulations de PSNC que M. González a analysées, 8 présentaient un profil de dissolution similaire à celui de l’apo-oméprazole et du Losec. Quant aux autres, ils étaient [traduction] « moins susceptibles d’être bioéquivalents au Losec® et à l’apo-oméprazole d’après les données de dissolution » (au paragraphe 60). M. González a ensuite effectué une comparaison au moyen du paramètre f2 afin d’établir la similarité des huit autres formulations de PSNC, et il a constaté qu’elles étaient similaires au Losec ou à l’apo-oméprazole. Sa conclusion était que les huit formulations [traduction] « devraient normalement être bioéquivalentes au Losec® et à l’apo-oméprazole » (au paragraphe 65).

[60] AstraZeneca a opposé l’opinion de David Taft à la preuve produite par M. González. M. Taft a été qualifié à titre d’expert en sciences pharmaceutiques, y compris en pharmacocinétique.

[61] Il a été demandé à M. Taft d’indiquer si la RIVIV est une technique reconnue et fiable pour prédire la bioéquivalence de manière générale et, plus particulièrement, la bioéquivalence entre les PSNC d’Apotex et le Losec ou l’apo-oméprazole, selon les données disponibles.

[62] M. Taft a défini la bioéquivalence et son importance en matière réglementaire comme suit dans son rapport en réponse (pièce AZ 160) :

[traduction]

37. La bioéquivalence est définie comme « l’absence de différence marquée de la vitesse et de l’amplitude avec lesquelles le principe ou le fragment actif d’un produit pharmaceutique équivalent ou de substitution devient disponible au site d’action du médicament lorsqu’il est administré à la même dose molaire et dans des conditions similaires dans le cadre d’une étude bien conçue ». [Non en gras dans l’original.]

38. Les organismes publics de réglementation des drogues commercialisées (tels la Federal Drugs Administration des États-Unis et Santé Canada) établissent les normes concernant la méthode utilisée pour déterminer « l’absence de différence marquée entre la vitesse et l’amplitude ». Les paramètres de la concentration maximale (Cmax) et de l’aire sous la courbe de concentration (ASC) sont utilisés pour mesurer la vitesse et le degré d’absorption.

[Souligné dans l’original.] [Renvois omis.]

[63] M. Taft a estimé que la bioéquivalence du Losec et de l’apo-oméprazole n’avait pas été établie à partir des données utilisées par M. González. Sa principale réserve tenait à l’exclusion de données de l’un des sujets témoins (OM75). Si ces données avaient été incluses, les résultats de l’analyse d’Apotex n’auraient pas rempli les exigences en matière de bioéquivalence de Santé Canada ou de la Federal Drugs Administration. Malgré les réserves de M. Taft, l’apo-oméprazole a obtenu l’approbation réglementaire et l’exclusion du sujet OM75 semble avoir été acceptée par les organismes de réglementation. À la lumière de la preuve produite, y compris le témoignage de M. Taft (transcription, page 4087 et pièce AZ 78), je n’entends pas réexaminer cette décision pour en évaluer le fondement scientifique.

[64] M. Taft a soulevé de sérieuses réserves au sujet de l’analyse de M. González, lesquelles étaient fondées sur d’autres raisons. Il a contesté l’utilisation par M. González des données sur la dissolution et l’absorption moyennes provenant de la bioétude de l’apo-oméprazole effectuée par Apotex, lesquelles présentaient une grande variabilité des concentrations de plasma réelles chez chacun des sujets témoins par rapport aux concentrations moyennes. La figure 6 de son rapport, à la page 31, illustre parfaitement cette variabilité. Selon M. Taft, cette variabilité affaiblit le modèle de RIVIV comme fondement de la comparaison du Losec et de l’apo-oméprazole avec les PSNC.

[65] S’ajoute au problème de la variabilité entre les sujets qui ressort des données de la bioétude d’Apotex sur l’apo-oméprazole celui de la variabilité dans les données de dissolution in vitro des PSNC qui ont été utilisées par M. González. Puisque toutes les données de dissolution des PSNC excédaient la marge établie de 10 % pour la méthode CIVIV, M. Taft a estimé qu’elles étaient [traduction] « trop variables pour prédire la bioéquivalence de manière fiable » selon la méthode de RIVIV, moins exhaustive (au paragraphe 116).

[66] M. Taft a aussi critiqué le recours par M. González à la RIVIV comme outil prédictif de la bioéquivalence. À son avis, la RIVIV est utile seulement comme outil pour guider la mise au point de formulations. Selon M. Taft, aucune publication ne conclut qu’elle est fiable pour prédire la bioéquivalence ou qu’elle pourrait être substituée à la CIVIV. De plus, la méthode de RIVIV suivie par M. González ne respectait pas les normes minimales établies pour la CIVIV. M. Taft a tiré la conclusion suivante dans cette partie de son rapport :

[traduction]

126. En somme, la technique « RIVIV » de M. González est incompatible avec les principes sous-jacents de la CIVIV. La CIVIV est effectuée à partir d’une formulation démontrant une relation constante entre la dissolution in vitro et l’absorption in vivo. La technique RIVIV de M. González repose sur un tout autre postulat. En particulier, il est tenu pour acquis selon cette technique que si différentes formulations présentant des profils différents de dissolution in vitro (comme l’apo-oméprazole et le LOSEC) ont des profils d’absorption in vivo similaires, toute formulation d’essai (facteur d’absorption) dont le profil de dissolution in vitro se trouve quelque part entre les profils des deux autres aura le même profil d’absorption in vivo (et, partant, sera bioéquivalent). Plus exactement, et M. González semble le reconnaître, la technique RIVIV n’est pas fondée sur une corrélation entre la dissolution in vitro et l’absorption in vivo, mais plutôt sur l’hypothèse qu’une telle corrélation n’est pas pertinente. Or, si la dissolution n’est pas déterminante de l’absorption, elle ne peut permettre de la prédire.

127. À la lumière de ce qui précède, je ne crois pas que la communauté scientifique a reconnu ou qu’elle est prête à reconnaître la technique RIVIV de M. González pour établir la bioéquivalence entre les [PSNC] et l’apo-oméprazole ou le Losec.

[Renvois omis.]

[67] M. Taft a fait état de plusieurs autres préoccupations concernant l’utilisation par M. González de la RIVIV pour prédire si les PSNC étaient bioéquivalents au Losec et à l’apo-oméprazole. Il a notamment mentionné l’omission d’estimer le taux d’erreur, l’absence de validation (exigée par la Federal Drugs Administration pour les techniques de CIVIV), et le manque de données montrant la bioéquivalence avec des aliments.

[68] Dans son rapport en réponse, M. González a abordé globalement les points soulevés par M. Taft (pièce APO 43). En particulier, il s’est arrêté à l’observation concernant les taux de dissolution variables du Losec et de l’apo-oméprazole durant les 40 premières minutes. Quand M. González a fait un rajustement de l’intervalle de cinq minutes pour la dissolution des deux formulations, il a obtenu des profils similaires.

[69] Il a également commenté l’opinion de M. Taft selon laquelle certaines données sur l’absorption in vivo des PSNC étaient nécessaires pour établir la validité de la RIVIV. Sans grande conviction, M. González conteste la thèse de M. Taft comme suit au paragraphe 45 : [traduction] « Si des données in vivo étaient disponibles pour ces formulations, une RIVIV ne serait plus nécessaire ». Dans sa réponse sur le fond, M. González a seulement signalé que puisque les PSNC constituaient des variantes [traduction] « infimes » par rapport à l’apo-oméprazole, il fallait supposer qu’ils présenteraient la même relation linéaire entre la dissolution et l’absorption.

[70] Il a admis la [traduction] « possibilité que les écarts soient plus importants que ceux qui avaient été prévus » entre les données sur la dissolution des formulations de PSNC. Il a attribué ces écarts au fait que les PSNC venaient de lots produits à l’échelle pilote et non [traduction] « de formulations optimisées », ce qui selon lui ne signifiait pas que « les données n’étaient pas utilisables dans le cadre d’une RIVIV (au paragraphe 57).

[71] M. González a aussi répondu aux préoccupations soulevées par M. Taft selon lesquelles la technique RIVIV n’avait pas été revue par les pairs et n’était pas généralement reconnue dans la communauté scientifique :

[traduction]

58. Aux paragraphes 118 à 127 de son rapport, M. Taft indique que la technique RIVIV à laquelle renvoie mon rapport précédent n’a pas été revue par les pairs et qu’elle n’était pas généralement reconnue. Je sais cependant, d’après mon expérience personnelle dans l’industrie pharmaceutique, que les RIVIV y sont couramment utilisées, même s’il en est rarement question dans les articles savants. En fait, cette technique est utilisée depuis le début des années 1980 pour guider les modifications apportées aux formulations durant la mise au point. Une RIVIV aide le formulateur à décider si une formulation modifiée a le potentiel d’être confirmée dans une analyse de biodisponibilité et, par conséquent, si elle sera testée chez des humains.

59. Durant la mise au point de formulations, il arrive rarement qu’une CIVIV soit disponible pour une formulation hâtive, et il n’est pas pratique de mener une analyse de biodisponibilité in vivo pour chaque formulation préparée durant la mise au point. Les données in vivo sont plutôt recueillies pour un nombre restreint de formulations, et la RIVIV permet de définir un essai de dissolution biopertinent afin de trouver d’autres formulations qui pourraient être bioéquivalentes ou présenter un meilleur profil d’absorption médicamenteuse (par exemple, un temps pour atteindre la concentration maximale plus élevée) que la formulation de référence.

[72] Dans sa réponse, M. González a aussi mis en doute l’application par M. Taft du seuil d’erreur de prédiction utilisé pour les CIVIV (10 %) au modèle de RIVIV. Dans sa réponse loin d’être convaincante, il a avancé qu’il est normal que le taux d’erreur de prédiction du modèle de RIVIV soit supérieur à celui d’une CIVIV, et qu’il soit de l’ordre de 10 à 20 %. Il a résumé cet argument comme suit :

[traduction]

73. C’est pourquoi il n’est pas du tout surprenant qu’une estimation des erreurs de prédiction dans une RIVIV diffère de celle qui découle généralement d’une CIVIV, plus rigoureuse et plus exhaustive. Le but d’une RIVIV est d’offrir une assurance du rendement ou de la bioéquivalence probable d’une formulation d’essai par rapport à une formulation de référence, sans qu’il faille recourir à une abondance de données in vivo; de plus, une plus grande variation entre les formulations est tolérée.

[73] Concernant l’absence de données sur la bioéquivalence d’un PSNC administré avec des aliments, M. González a précisé que puisque l’apo-oméprazole est bioéquivalente au Losec dans cette condition et que les formulations de PSNC sont similaires au Losec et à l’apo-oméprazole, il faut s’attendre à la même bioéquivalence.

[74] En contre-interrogatoire, M. González a reconnu que le meilleur moyen d’établir la bioéquivalence est une étude clinique bien conçue (transcription, page 1235). Il a aussi affirmé qu’on [traduction] « n’entreprend pas une bioétude en utilisant une formulation d’essai élémentaire. Il faut s’assurer de disposer d’une excellente formulation avant de lancer une telle étude » (transcription, page 1241).

[75] M. González a aussi subi un interrogatoire serré concernant son affirmation selon laquelle il faut s’attendre à un analogue des PSNC, du Losec et de l’apo-oméprazole en raison de la similarité de leurs formulations. Il a cependant admis qu’il n’était pas un formulateur de médicaments et que ses connaissances étaient limitées dans ce domaine, comme en fait foi l’échange suivant, reproduit à la page 1307 de la transcription :

[traduction]

Q. Laissons de côté la question des forces de compression des ingrédients. À votre avis, est-ce que ces formulations sont similaires parce qu’elles contiennent les mêmes ingrédients?

R. Oui. L’oméprazole, le mannitol, l’hydroxyde de magnésium et la povidone, oui.

Q. Dans le cas de la première formulation expérimentale 15-1214B, elle ne contient pas d’hydroxyde de magnésium. Elle ne contient pas de povidone non plus, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Et la troisième?

R. Celle-ci est différente sur le plan qualitatif.

Q. Donc la troisième aussi est différente? Je vois 15... N’est-ce pas plutôt 12?

R. Il manque la povidone.

Q. Pour ce qui est de la suivante... Il manque un ingrédient?

R. Oui, l’hydroxyde de magnésium. D’accord.

Q. Et pour la suivante, est-ce qu’il manque un ingrédient?

R. Oui.

Q. C’est aussi le cas de la suivante, la formulation 6108-288C. Donc, beaucoup de ces formulations ne contiennent pas les mêmes ingrédients. C’est exact?

R. C’est vrai, mais je n’ai pas utilisé ces formulations pour établir une RIVIV. J’ai utilisé les profils de dissolution de ces formulations pour déterminer leur degré de concordance avec les deux autres profils de dissolution.

Q. Vous venez de dire, Monsieur González, que vous avez supposé que la relation était la même parce que les ingrédients sont identiques.

R. Oui, c’est ce que j’ai dit.

Q. Donc, vous ne pouvez pas faire cette supposition?

R. Pas pour toutes les formulations. À la page suivante, les quatre autres formulations contiennent toutes les mêmes ingrédients, et les mêmes concentrations en plus. Je ne sais donc pas...

[76] On a demandé à M. González d’expliquer les différences entre une CIVIV et une RIVIV. Il a répondu que la CIVIV [traduction] « est un modèle mathématique prédictif », puis il a concédé que la RIVIV « n’avait pas le même poids » (transcription, page 1313). La RIVIV est moins fiable pour prédire la bioéquivalence (transcription, page 1315). Alors que la CIVIV permet d’obtenir de l’information quantitative, la RIVIV montre seulement une relation [traduction] « qualitative » (transcription, pages 1314, 1320 et 1321). Une autorité réglementaire n’accepterait pas une RIVIV à titre de preuve de bioéquivalence, car cette méthode ne produit pas les données quantitatives requises (transcription, page 1321). Les RIVIVR sont plutôt utilisées comme outils de sélection pour guider la mise au point d’une formulation. Elles ne remplacent pas les bioétudes (transcription, pages 1355 et 1356).

[77] M. González a poursuivi son explication de la valeur prédictive d’une RIVIV dans l’échange suivant (transcription, page 1359) :

[traduction]

Q. Vous n’avez pas effectué de bioétude sur aucun des lots expérimentaux?

R. Non.

Q. Êtes-vous d’accord avec Devane et Butler que des données in vivo sur les lots expérimentaux donneraient l’heure juste au sujet de votre modèle de RIVIV?

R. C’est certain qu’à un certain moment, Apotex procéderait à une bioétude pour une ou deux de ces formulations. Par contre, je ne crois pas qu’une bioétude doive être menée pour sélectionner une formulation en vue de la poursuite de l’expérience.

[78] Dans un autre échange, M. González a indiqué qu’il n’était pas d’accord avec Devane et Butler quand ils affirment que la RIVIV offre une [traduction] « valeur limitée ». Il a répondu qu’une RIVIV offre [traduction] « une certaine valeur prédictive puisque la dissolution indique une relation avec l’absorption in vivo » (transcription, page 1361). Même en l’absence de données provenant d’une bioétude sur les formulations des PSNC, de l’avis de M. González, [traduction] « il existe de fortes probabilités qu’elles soient bioéquivalentes » (transcription, page 1370) et « certaines semblent être bioéquivalentes selon la RIVIV ou devraient l’être sur cette base – du fait que leur dissolution correspond à celle du produit que nous testons » (transcription, page 1371). Il a ajouté ce qui suit (transcription, pages 1372 et 1378) :

Nous avons maintenant deux profils de dissolution. J’ai maintenant une série de formulations qui présentent un mécanisme de libération similaire ou, à tout le moins, c’est ce que je suppose. Il est fort probable que ces formulations… Il est fort probable que les formulations qui correspondent aux deux profils de dissolution seront bioéquivalentes. C’est ça.

[…]

C’est exactement ce que j’ai fait. J’ai pris deux lots aux extrémités qui étaient bioéquivalents, et j’espère maintenant que ces deux autres lots concorderont, qu’ils seront pertinents sur le plan clinique.

[Non souligné dans l’original.]

[79] De manière générale, M. Taft s’est révélé un témoin plus convaincant que M. González parce qu’il a livré un témoignage plus digne de confiance sur la question centrale de la validité de l’analyse de la bioéquivalence au moyen de la RIVIV effectuée par M. González. J’ajouterai que de nombreux aspects centraux de l’opinion écrite de M. Taft et de ses réponses lors de l’interrogatoire principal n’ont pas été réfutés en contre-interrogatoire. Par surcroît, M. González n’a pas répondu à toutes les questions soulevées dans la réplique de M. Taft. Le défaut de réfuter pleinement les opinions de M. Taft porte à conclure que son témoignage non contredit était inattaquable.

[80] À titre d’exemple, M. Taft s’interrogeait sur la grande variabilité des données sur l’apo-oméprazole dans la bioétude d’Apotex (ce qu’il a appelé la [traduction] « grande dispersion » des données autour du résultat moyen). Selon M. Taft, la variabilité des données est un facteur important pour déterminer la validité d’une RIVIV. Voici ses remarques sur ce point (transcription, page 4033) :

[traduction]

Q. Si nous revenons au paragraphe 106 de votre rapport, compte tenu de ces caractéristiques, que peut-on conclure à propos de la fiabilité de ces données et de leur utilisation pour générer une RIVIV?

R. Comme je l’ai mentionné au paragraphe 105, Cardot et Davit ont indiqué que lorsque la courbe moyenne ne correspond pas au comportement individuel, une CIVIV n’est pas recommandée. Dans ce contexte, si l’on tient compte de ce qui vient juste d’être dit au sujet des données relatives de l’OMCP10, qui semblent concorder avec ce qu’ont décrit Cardot et Davit, j’estime que l’utilisation d’une RIVIV fondée sur la bioétude OMCP10 pour prédire la bioéquivalence est douteuse.

LE JUGE BARNES : Est-ce qu’il est important de savoir que M. González ne s’est pas fondé une CIVIV, mais bien sûr une RIVIV? Est-ce que cela change quelque chose? Dans l’affirmative, de quelle façon?

LE TÉMOIN : À mon avis – et je crois que c’est l’avis de la communauté scientifique –, la seule bioéquivalence de substitution est une CIVIV de niveau A. C’est ma réponse à votre question. Essentiellement, M. González tente de faire admettre qu’une RIVIV peut être substituée à une CIVIV de niveau A.

[81] M. Taft a aussi mentionné le problème de la variabilité des données entre les différents sujets et le potentiel d’erreur qui s’ensuit lorsqu’une RIVIV est fondée sur une moyenne. Selon M. Taft, la variabilité des données oblige à mettre en doute la fiabilité de la moyenne pour mesurer l’absorption ou la dissolution (transcription, page 4036).

[82] Concernant la question du recours généralisé à une RIVIV pour prédire la bioéquivalence, M. Taft a témoigné comme suit (transcription, page 4044) :

[traduction]

Q. Le point suivant touche à la mesure avec laquelle cette technique est généralement reconnue par la communauté scientifique comme moyen d’établir la bioéquivalence. Quelles sont vos vues à ce sujet?

R. Par exemple, dans le premier cas, si les publications revues par les pairs n’en parlent pas, il est possible de s’en remettre aux autorités réglementaires et aux avis et vues qu’elles ont formulés dans des directives et d’autres documents.

Dans les documents que j’ai examinés pour les fins de la présente affaire, mais également dans le cadre de mes activités professionnelles courantes, je n’ai jamais vu de directives qui appuyaient l’utilisation d’une RIVIV pour établir la bioéquivalence de formulations de substitution.

[83] Il n’est pas sans intérêt de souligner qu’en réponse à mes questions, M. Taft a reconnu une certaine valeur à la technique de RIVIV comme outil de sélection de base (transcription, page 4045) :

[traduction]

LE JUGE BARNES : Avant d’aborder ce point et pour clore le sujet précédent, la RIVIV semble être une « technique reconnue », pour ainsi dire, dans le domaine pharmacocinétique. C’est du moins ce que j’ai compris d’après ce que j’ai entendu. Elle présente une certaine valeur dans certains domaines.

LE TÉMOIN : Oui, Monsieur le Juge, c’est exact.

LE JUGE BARNES : Donc, elle est reconnue comme offrant une certaine valeur scientifique pour faire certaines analyses. Quelle est sa place par rapport aux autres méthodes?

LE TÉMOIN : Le rapport Devane est assez informatif pour ce qui concerne l’utilisation de la RIVIV à l’étape de la mise au point des formulations. Les formulateurs essaient le plus possible de recourir à des données in vitro pour déterminer quels produits ils doivent utiliser ou faire progresser le processus de sélection. C’est un peu ce que je fais dans mes activités courantes. J’examine des paramètres pharmacocinétiques in vitro et je les mets en lien avec des paramètres in vivo.

La vraie question est celle de savoir si la RIVIV permet d’établir la bioéquivalence. À mon avis, c’est une application tout à fait différente. Essentiellement, il faut utiliser les principaux éléments d’une CIVIV de niveau A pour parvenir à cette conclusion. C’est mon avis.

[84] Ce témoignage ne diffère pas vraiment du dernier témoignage de M. González au procès.

[85] M. Taft a ensuite abordé le calcul du taux de prédiction d’erreur interne associé aux techniques de RIVIV de M. González (une forme de validation que ce dernier n’a pas employée). M. Taft a constaté une plage d’erreur prédictive allant de 18,7 à 36,6 %, ce qui est nettement au-delà du seuil de validation de 10 à 15 %. Cela a amené M. Taft à conclure raisonnablement que le modèle de RIVIV de M. González, fondé sur les données moyennes, n’a pas permis de prédire les profils chez les sujets d’essai (transcription, page 4052).

[86] M. Taft a réitéré qu’un modèle de RIVIV ne peut servir à prédire la bioéquivalence à jeun, et encore moins avec des aliments (transcription, pages 4052 et 4053). Sur ce point, je conviens avec M. Taft qu’une prédiction de la bioéquivalence avec des aliments ne peut être extrapolée à partir de données observées à jeun. M. González n’a fourni aucune donnée corroborant son opinion. Il s’est fondé uniquement sur l’hypothèse comme quoi les formulations de PSNC étaient suffisamment similaires au Losec et à l’apo-oméprazole pour que l’ingestion d’aliments n’ait aucun effet sur leur bioéquivalence. Cette opinion a été quelque peu ébranlée en contre-interrogatoire lorsque M. González a reconnu la difficulté de prédire les effets des aliments sur la biodisponibilité des formulations. Il a conclu par cette remarque équivoque : [traduction] « Il est parfois possible de prédire comment les choses se passeront » (transcription, page 1327).

[87] Le témoignage de M. Taft sur ce point s’est avéré nettement plus convaincant. Il a expliqué à quel point il peut être difficile de prédire la bioéquivalence en l’absence d’une bioétude sur des sujets ayant consommé des aliments. La présence d’aliments dans l’estomac peut [traduction] « influer sur l’absorption d’un médicament ou d’une formulation médicamenteuse, particulièrement si l’enrobage est gastro-résistant » (transcription, page 4000, ainsi que pages 4052 et 4053). Ce témoignage n’a pas été contredit en contre-interrogatoire.

[88] L’impossibilité ou l’incapacité d’Apotex de mener des bioétudes sur les PSNC administrés avec des aliments constitue une importante lacune dans sa démonstration de la bioéquivalence. Si Santé Canada avait exigé des données de bioéquivalence pour l’un ou l’autre des PSNC, des bioétudes chez des sujets ayant consommé des aliments et à jeun auraient été nécessaires, tout comme elles l’avaient été pour l’apo-oméprazole (pièce AZ 158, page 1].

[89] M. González a échoué à contester la majorité du témoignage de M. Taft sur la validité des méthodes de M. González. Je retiens les préoccupations soulevées par M. Taft concernant la variabilité des données utilisées par M. González et le potentiel d’erreur connexe. M. González aurait dû effectuer sa propre analyse de validité. Par conséquent, je rejette les critiques d’Apotex à propos de l’approche de M. Taft à ce sujet. Je suis aussi d’accord avec M. Taft que la plage d’erreur dans l’analyse de M. González excédait les niveaux acceptables.

[90] Les problèmes méthodologiques mentionnés ci-dessus suffisent en eux-mêmes pour invalider entièrement la prédiction de la bioéquivalence des PSNC faite par M. González. Toutefois, l’utilisation de la RIVIV comme outil prédictif soulève un problème plus fondamental que M. González a admis en partie. Dans son témoignage au procès, M. González s’est rétracté quelque peu par rapport à ce qu’il avait affirmé de manière catégorique dans son opinion écrite.

[91] Dans son premier rapport, M. González conclut que huit formulations de PSNC d’Apotex [traduction] « devraient normalement être bioéquivalentes au Losec® et à l’apo-oméprazole » (pièce APO 42, paragraphe 65). Cependant, il a admis en contre-interrogatoire que la RIVIV est une méthode qui peut guider ou appuyer la sélection, dont la seule utilité a été d’indiquer que les PSNC sélectionnés « présentaient une forte probabilité de bioéquivalence » (transcription, page 1372). Étant donné les limites inhérentes de la RIVIV telles qu’elles ont été décrites par M. Taft, je rejette l’argument voulant que l’analyse de la RIVIV effectuée par M. González permette de conclure à la bioéquivalence, selon la prépondérance des probabilités. De fait, dans sa forme existante, la valeur de cette technique est limitée pour ce qui concerne la sélection préalable des formulations. Elle ne produit aucun résultat quantitatif, et la tentative d’Apotex d’étendre sa portée est injustifiée. Dans ces circonstances, l’opinion de M. González au sujet de la bioéquivalence demeure conjecturale. De toute évidence, il s’agit de données de substitution qui sont loin de suffire pour établir la bioéquivalence des PSNC et obtenir l’approbation réglementaire. De plus, cette base est peu fiable pour conclure à la bioéquivalence. Par conséquent, je conclus qu’Apotex n’a pas démontré que les formulations de PSNC analysées par M. González sont bioéquivalentes au Losec ou à l’apo-oméprazole, ni qu’elles seraient perçues comme telles par une autorité réglementaire.

II. Apotex aurait-elle pu mener des essais cliniques chez les humains pour démontrer la bioéquivalence des PSNC proposés?

[92] Apotex a fait valoir qu’elle n’avait pas mené d’essais cliniques des PSNC proposés chez les humains pour des motifs d’ordre éthique. Selon ce point de vue, parce que les PSNC avaient été mis au point aux fins de l’action en justice et qu’aucun avantage potentiel pour la santé n’en découlerait, il était clair que les risques pour les sujets humains l’emportaient sur les objectifs étroits d’une telle entreprise. AstraZeneca n’est pas d’accord; à son avis, des essais cliniques auraient pu être menés chez les humains. AstraZeneca a également soutenu qu’Apotex aurait au moins dû demander l’approbation de son comité d’éthique de la recherche pour entreprendre ces études. Comme elle ne s’est même pas donné cette peine, Apotex n’a pas été en mesure de présenter des éléments de preuve définitifs à ce sujet et elle ne doit pas bénéficier d’un doute résiduel quelconque. Peu importe le résultat, AstraZeneca estime que la question serait réglée de manière définitive et que, de ce fait, l’avis d’un comité d’éthique a posteriori serait théorique.

[93] Chaque partie a appelé un éthicien réputé à témoigner pour corroborer sa version. Apotex a fait témoigner M. Michael McDonald de témoigner, et AstraZeneca a produit la preuve de M. Charles Weijer. M. McDonald a déclaré qu’un comité d’éthique de la recherche qualifié n’aurait pas autorisé la conduite d’études cliniques sur des sujets humains dans ces circonstances. M. Weijer est parvenu à la même conclusion.

[94] AstraZeneca plaide l’argument, qui n’est pas dénué d’intérêt, qu’un témoignage d’expert à ce sujet devrait être exclu en l’absence de décision d’un comité d’éthique de la recherche. Je ne suis toutefois pas convaincu par la démarche proposée par AstraZeneca pour régler la question, du moins si la réponse du comité d’éthique de la recherche d’Apotex était négative. Dans ce cas, AstraZeneca pourrait alléguer que la décision était intéressée ou erronée. En résumé, il est peu probable qu’une décision négative factuelle constitue une réponse complète et définitive à la question de la justesse des essais cliniques chez les humains. Il n’en découle pas pour autant que l’approche préconisée par AstraZeneca n’aurait pas été utile pour déterminer si l’ingestion des formulations de PSNC d’Apotex par des sujets humains aurait été contraire à l’éthique et n’aurait jamais été autorisée. Une décision à ce sujet aurait certes constitué un élément de preuve pertinent et probablement probant.

[95] Je ne souscris pas à la thèse de M. McDonald selon laquelle des raisons morales auraient empêché Apotex de demander l’autorisation à son comité d’éthique de la recherche de réaliser une bioétude. M. McDonald a observé que les circonstances de l’espèce étaient inusitées et il a posé la question suivante : [traduction] « Comment doit-on traiter un cas inédit? » (Transcription, page 2517) En l’absence de directives claires et en présence de vues opposées quant aux normes applicables en matière de contrôle éthique, il n’est pas possible de penser qu’Apotex était libre de prendre la décision préventive et potentiellement intéressée de ne pas demander un avis à son comité d’éthique de la recherche. En l’occurrence, Apotex pouvait et aurait dû demander l’avis de son comité d’éthique de la recherche.

[96] Cela dit, Apotex n’aurait probablement pas été autorisée à effectuer des bioétudes de ses PSNC hypothétiques auprès de sujets humains étant donné que l’expérimentation aurait visé uniquement à servir les intérêts d’Apotex dans le litige.

[97] Pour ces motifs, je retiens les vues de M. McDonald au détriment de celles de M. Weijer. En particulier, je retiens le témoignage de M. McDonald sur le rapport risque-avantage et le principe éthique voulant que l’importance d’un objectif de recherche l’emporte sur les risques posés aux sujets humains. En ce qui concerne les PSNC d’Apotex, les risques somme toute assez minimes qui leur étaient associés commandaient néanmoins une certaine analyse et pouvaient soulever des réserves. Dans la mesure où les essais auraient eu pour seul avantage de promouvoir les intérêts commerciaux d’Apotex (à l’opposé de l’intérêt public), il est peu probable qu’elle aurait obtenu l’approbation éthique de les mener.

[98] Je ne suis pas d’accord avec M. Weijer quand il affirme que des normes moins rigoureuses ou une analyse élémentaire des risques et des avantages s’appliqueraient à une bioétude qui porte sur l’administration à des sujets humains d’un médicament non approuvé, qui présente des risques anticipés ainsi que des effets secondaires, et qui est effectuée uniquement à des fins commerciales privées ou aux fins d’une action en justice. Son allégation comme quoi le résultat d’un litige privé peut avoir un intérêt sous-jacent pour le public n’est d’aucune utilité. Les cours de justice tranchent les litiges au vu des éléments de preuve à sa disposition et, dans de nombreux cas, le dossier de preuve est incomplet. Il est inconcevable qu’une cour puisse ordonner à un plaideur d’effectuer des essais chez des humains pour répondre à une question déterminante de l’issue d’une instance. Au mieux, une conclusion défavorable pourrait être tirée si une partie omet de produire des éléments de preuve accessibles.

[99] Le fait qu’Apotex ne pouvait probablement pas, d’un point de vue éthique, mener des analyses de bioéquivalence chez les humains pour démontrer l’efficacité de ses PSNC non approuvés ne l’aide nullement à faire avancer sa cause. Tout au plus, cet obstacle empêche la Cour de tirer une conclusion défavorable. Les analyses de la bioéquivalence chez les humains sont importantes pour démontrer la viabilité d’un PSNC et sont souvent nécessaires pour obtenir une approbation réglementaire. Il n’en demeure pas moins que l’absence d’essais chez les humains affaiblit considérablement la preuve quant à l’éventuelle bioéquivalence de l’un ou l’autre des PSNC d’Apotex au Losec ou à l’apo-oméprazole et à son éventuelle approbation pour la vente au Canada ou aux États-Unis.

A. Les PSNC proposés sont-ils suffisamment stables?

[100] Apotex soutient qu’elle a produit des données d’essai suffisantes pour prouver, tel qu’il lui incombe, que les PSNC revendiqués sont des substituts commercialement viables de l’apo-oméprazole. L’une des principales conditions à remplir pour prouver la viabilité est la stabilité d’une formulation (le produit a-t-il une durée de conservation acceptable d’un point de vue réglementaire et commercial?).

[101] La preuve de la stabilité produite par Apotex était fondée sur les données recueillies dans les essais de stabilité internes, qui ont commencé à la fin de 2015 et qui ont été interprétés par M. Kwok Chow. M. Chow est un expert reconnu dans le domaine de la mise au point de produits pharmaceutiques et de systèmes de libération de médicaments. Ce domaine englobe la conception, la mise en œuvre et la gestion du processus de sélection des formulations, y compris les propriétés physiques et chimiques des substances médicamenteuses et des excipients, et notamment leur stabilité.

[102] Apotex a demandé à M. Chow d’examiner les données de ses essais internes portant sur 15 formulations de PSNC et de déterminer si elles étaient suffisamment stables pour être utilisées comme produits pharmaceutiques.

[103] Dans un premier rapport daté du 16 septembre 2016 (pièce APO 130), M. Chow a confirmé que les essais de stabilité internes du type de ceux qu’effectue Apotex doivent habituellement satisfaire aux conditions de recherche recommandées par les organismes de réglementation compétents ou aux lignes directrices du Conseil international d’harmonisation des exigences techniques pour l’enregistrement des médicaments à usage humain (CIH). Ces lignes directrices exposent les exigences minimales en matière de données pour la présentation d’un nouveau médicament dans des conditions d’entreposage à long terme (12 mois), intermédiaires (6 mois) et accélérées (6 mois), ainsi qu’à des températures et à des taux d’humidité variables. Durant la période d’évaluation, les formulations sont testées pour déterminer les teneurs et les concentrations d’impuretés (rapport Chow 1, pièce 1).

[104] Le premier rapport de M. Chow était fondé sur les données de stabilité pour trois groupes de formulations (A, B et C). Les données des formulations du groupe A (quatre formulations) couvraient une période minimale de huit semaines. Les données du groupe B (neuf formulations) couvraient une période de quatre semaines environ. Seules les données initiales sur la teneur avaient été compilées pour le groupe C (deux formulations).

[105] M. Chow a passé en revue les protocoles d’essai d’Apotex et a conclu qu’ils étaient conformes aux lignes directrices du CIH.

[106] Malgré la nature préliminaire des données, M. Chow a affirmé dans son premier rapport qu’il était en mesure de prédire les résultats de stabilité de certaines formulations. Il a estimé que deux formulations du groupe A répondraient probablement aux critères d’acceptation à la fin du programme d’analyse de la stabilité eu égard aux concentrations d’impuretés totales (au paragraphe 86). Il a prédit qu’une concentration en particulier pourrait atteindre la durée de conservation cible de deux ans. Les données sur les autres formulations étaient insuffisantes pour confirmer une durée de conservation de deux ans.

[107] Pour quatre des formulations du groupe B, M. Chow a estimé qu’il était [traduction] « probable qu’elles remplissent les critères d’acceptation à la fin du programme d’analyse de la stabilité et atteignent la durée de conservation cible de deux ans » (alinéa 115(a)). Concernant les quatre autres formulations du groupe B, M. Chow s’est estimé incapable de se prononcer compte tenu du caractère provisoire des données sur les impuretés. La dernière formulation du groupe B ne remplissait pas les critères de dissolution établis.

[108] Selon M. Chow, les deux formulations du groupe C étaient conformes aux spécifications (au paragraphe 124). M. Chow a exprimé l’avis que la formulation MR8620E1 du groupe C présentait probablement une stabilité suffisante étant donné la similarité de sa composition à celle de l’apo-oméprazole, qui est un produit approuvé (au paragraphe 125).

[109] En conclusion de son premier rapport, il affirmait qu’il serait facile de produire toutes les formulations de PSNC en quantités commerciales.

[110] Après avoir examiné les données de stabilité recueillies après la production de son premier rapport, il a revu son avis sur la stabilité dans son rapport du 6 janvier 2017 (pièce APO 131).

[111] Eu égard aux 2 formulations restantes du groupe A, M. Chow n’a pas tenu compte d’une anomalie liée à la teneur pour l’une d’elles (sans en connaître la cause), et il a observé des concentrations d’impuretés plus élevées que prévu après 24 semaines dans des conditions accélérées pour les 2 formulations. Il a cependant réduit à 18 mois la durée de conservation prévue pour les 2 formulations. Il a conclu qu’il existait [traduction] « une forte probabilité que les 2 formulations remplissent les critères d’acceptation pour une durée de conservation minimale de 18 mois » (au paragraphe 30).

[112] Quant aux formulations du groupe B, il a estimé que 2 rempliraient les critères d’acceptation pour une durée de conservation de 2 ans (alinéa 47(a)) et il a établi que 3 présentaient des concentrations d’impuretés élevées, ce qui portait leur durée de conservation attendue à 18 mois (alinéa 47(b)), alors que 3 autres ne remplissaient pas les spécifications dans des conditions accélérées. Il a cependant estimé que l’une d’elles présentait une forte probabilité de conservation de 18 mois, tandis que les 2 autres étaient moins susceptibles de satisfaire aux spécifications (alinéa 47(c)).

[113] M. Chow a analysé les données recueillies sur les formulations du groupe C sur une période de 16 semaines. Il n’a pas tenu compte d’une anomalie liée à la teneur pour l’une d’elles (peut-être attribuable à la préparation déficiente des échantillons). Il a conclu qu’il était probable que les 2 formulations continuent de satisfaire aux exigences en matière de libération de médicament, et qu’il était fort probable que les 2 formulations satisfassent aux critères d’acceptation pour une durée de conservation de 24 mois (au paragraphe 60).

[114] AstraZeneca a demandé à Martin Davies de répliquer aux opinions de M. Chow. M. Davies avait témoigné à l’étape de l’établissement de la responsabilité de la présente instance et avait été qualifié pour témoigner à titre d’expert dans le domaine de la physicochimie, et plus particulièrement sur les aspects de la stabilité de produits pharmaceutiques, de la libération de médicaments et de la chimie des surfaces biomédicales, ainsi que de la mise au point, de la mise à l’essai, de l’analyse et de la caractérisation des formulations pharmaceutiques.

[115] M. Davies a décrété que les prédictions de la stabilité de M. Chow étaient déficientes parce qu’elles reposaient sur des données incomplètes et, à une exception près, parce que les lots des essais à petite échelle ne permettaient pas de prédire la stabilité d’éventuels lots produits à grande échelle à des fins commerciales. Il a relevé un certain nombre de problèmes liés à la production à plus large échelle qui pourraient compromettre la réussite, ainsi que des aspects non conformes aux lignes directrices applicables dans les procédures d’essai de la stabilité. Parmi les problèmes relevés, il a mentionné le défaut de tester plus d’un lot (pour atténuer l’effet de variabilité des lots) et, sur un plan plus général, le défaut de recourir à des lots d’essai à l’échelle pilote (le dixième de l’échelle commerciale). Une seule formulation a satisfait à la norme de l’échelle pilote.

[116] M. Davies a observé que le premier rapport de M. Chow était fondé sur des essais de stabilité incomplets et que, en l’absence d’essais menés à terme, [traduction] « les données sont insuffisantes pour prédire de façon fiable la durée de conservation » (pièce AZ 137, paragraphe 79). Il reproche particulièrement à M. Chow d’avoir extrapolé les résultats aux formulations du groupe C malgré le caractère préliminaire des données recueillies à leur sujet. M. Davis s’est également montré peu convaincu par les suppositions de M. Chow concernant la dégradation linéaire en l’absence de données empiriques et la manière dont il a considéré les irrégularités dans les données.

[117] Dans son second rapport, M. Chow a répondu comme suit aux observations de M. Davies sur l’insuffisance des données de stabilité :

[traduction]

62. Bon nombre de mes divergences de vues avec M. Davies semblent découler de nos perspectives différentes quant aux analyses de stabilité menées par Apotex. Pour ma part, j’ai examiné ces analyses pour déterminer si les formulations en cause seraient suffisamment stables pour servir de produit médicamenteux, alors que M. Davies semble avoir cherché à établir si ces études pourraient en elles-mêmes être soumises à un organisme de réglementation comme Santé Canada pour étayer une présentation de nouveau médicament. Je suis d’accord avec M. Davies que, dans leur forme actuelle, les études d’Apotex sont incomplètes et ne pourraient être soumises à une autorité réglementaire dans le cadre d’une présentation de nouveau médicament. Cependant, il ne s’ensuit pas pour autant que ces études ne permettent pas d’établir si les formulations étaient suffisamment stables pour servir de produit médicamenteux. Globalement, M. Davies s’est concentré sur le processus d’approbation réglementaire, sans tenir compte du processus réel de mise au point des formulations ou de la manière dont les analyses de stabilité sont réalisées et mises en application dans l’industrie pharmaceutique.

63. Qui plus est, si on se fie aux opinions formulées par M. Davies, il semble avoir fait abstraction du fait que le processus de mise au point des formulations comporte toujours une étape de préparation initiale en laboratoire ou à l’échelle pilote. Selon les données d’essai obtenues pour ces formulations, qui comprennent des analyses de stabilité abrégées (et non complètes), les formulateurs font des prédictions éclairées quant à savoir si elles présentent les propriétés souhaitées pour la forme posologique définitive. La production à plus large échelle aura lieu seulement si les résultats de l’essai initial des matières préparées à petite échelle sont positifs. Si une formulation se révèle suffisamment stable en laboratoire ou à l’échelle pilote, le formulateur s’attend à une stabilité analogue si les mêmes étapes de fabrication sont respectées dans le cadre de la production à plus grande échelle.

64. Depuis des années que je travaille dans l’industrie pharmaceutique, je ne peux me souvenir d’un seul cas où le volume de données recueillies sur les formulations d’Apotex aurait été considéré insuffisant pour déterminer lesquelles devraient faire l’objet d’une production à plus grande échelle.

[Renvois omis.]

[118] M. Chow est donc d’accord avec M. Davies que les normes et les méthodes d’Apotex ne répondraient pas aux exigences réglementaires. Selon M. Chow, la mise au point d’un produit n’exige pas de mettre à l’essai de nombreux lots. Il a fait les mêmes observations au sujet de petits lots d’essai en laboratoire. Il s’agit selon lui de considérations réglementaires qui n’ont rien à voir avec la stabilité d’une formulation ou les attentes à cet égard (au paragraphe 67).

[119] M. Chow réplique comme suit aux reproches de M. Davies quant au caractère incomplet et insuffisant des données préliminaires d’Apotex pour corroborer une prédiction de stabilité (au paragraphe 73) :

[traduction]

Au paragraphe 60 de son rapport d’expert, M. Davies observe qu’au moment de la rédaction de mon rapport d’expert du 6 septembre 2016, les analyses de stabilité des formulations des groupes A, B et C étaient incomplètes. Comme je l’ai déjà mentionné, il semble que ses réserves ont trait plutôt aux analyses à soumettre aux organismes de réglementation dans le délai fixé qu’aux données disponibles pour déterminer si une formulation serait suffisamment stable pour toute la durée du programme d’analyse de la stabilité. Toutefois, j’ai déjà souligné (au paragraphe 63) qu’il est de pratique courante d’utiliser les données préliminaires des analyses de stabilité pour déterminer quels lots feront l’objet d’une production à plus grande échelle.

[…]

74. Dans son rapport d’expert, M. Davies met en doute mon extrapolation des données de stabilité, signalant que les lignes directrices du CIH concernant le thème Q1A imposent des conditions précises à ce sujet. Encore une fois, M. Davies semble confondre les lignes directrices réglementaires relatives à la présentation de données de stabilité à l’appui d’une demande d’autorisation pour la mise en marché d’un médicament et la capacité de prédire la stabilité d’une formulation pour toute la durée d’un programme d’analyse de la stabilité. Concernant la présentation de documents à Santé Canada à des fins réglementaires, M. Davies a raison de dire que des analyses complètes sont exigées et qu’il faut se fier aux données extrapolées seulement dans certaines circonstances. Mon expérience dans l’industrie pharmaceutique m’a cependant appris qu’à l’étape de la mise au point d’une formulation, des analyses de stabilité partielles ou abrégées sont monnaie courante pour prédire si une formulation donnée sera suffisamment stable pour les essais à long terme. Pendant la mise au point d’un médicament, il est rare qu’un formulateur ait le luxe d’attendre la fin de l’analyse de stabilité accélérée de six mois, d’où la nécessité de faire des prédictions en se basant sur des données limitées pour déterminer quelles formulations seront retenues pour la suite du processus.

[Renvois omis.]

[120] Dans son rapport du 23 mars 2017, M. Davies remet en cause les opinions mises à jour de M. Chow au sujet de la stabilité (pièce AZ 138). M. Davies y maintient que les données étaient incomplètes et que les méthodes d’essai étaient douteuses. Il soutient en outre que certaines prédictions de stabilité initiales de M. Chow s’étaient révélées boiteuses après les essais subséquents.

[121] M. Davies a relevé une autre anomalie dans les essais, à savoir les modifications successives des méthodes de détermination de la teneur appliquées par Apotex qui, avec le temps, ont fait augmenter les teneurs. Selon lui, les modifications dans la durée d’agitation des échantillons pouvaient dénoter l’un ou l’autre des problèmes suivants, ou une combinaison des deux : soit l’oméprazole dans les échantillons n’avait pas été pleinement extraite dans les premiers essais, soit les altérations physiques des formulations au fil du temps compliquaient l’extraction.

[122] M. Davies a aussi relevé que, après des essais supplémentaires, les prédictions de stabilité initiales de M. Chow pour deux formulations de PSNC du groupe B se sont révélées problématiques. Il a aussi signalé la diminution des teneurs et les concentrations d’impuretés préoccupantes pour plusieurs autres formulations. À son avis, les prédictions relatives à la durée de conservation de 18 mois de M. Chow sont hypothétiques pour plusieurs formulations.

[123] M. Chow a reconnu l’obligation théorique de valider les méthodes de détermination de la teneur, en soulignant toutefois qu’elle ne s’appliquait pas habituellement à l’étape de la mise au point des formulations (transcription, page 3107). La validation complète, a-t-il précisé, est exigée ultérieurement dans le processus (transcription, page 3108) :

Par exemple, pour obtenir l’autorisation réglementaire de vendre un produit, la méthode doit être validée (fabrication, essai, vente).

[traduction]

Q. Il serait étonnant qu’une validation soit effectuée seulement pour satisfaire aux exigences réglementaires, non?

R. Bien sûr que non. Il faut tester les produits selon des méthodes normalisées, et il faut s’assurer que ces méthodes sont efficaces.

M. Chow a aussi reconnu que les méthodes de détermination de la teneur doivent être constantes dans la mesure du possible, même si elles peuvent être revues de temps à autre à l’étape de la mise au point (transcription, page 3109).

[124] Lorsqu’il a été interrogé sur les faibles teneurs obtenues initialement par Apotex, M. Chow a indiqué qu’il avait [traduction] « une idée quant aux causes possibles » (transcription, page 3113) et qu’il était en mesure de concevoir une expérience pour cerner la cause exacte (transcription, page 3114). Apotex ne lui a toutefois pas demandé de déterminer la cause.

[125] M. Chow a aussi reconnu ce qui suit :

  • a) Il n’a jamais calculé le taux d’erreur expérimentale dans les essais d’Apotex, même s’il avait une « idée » de la cause (transcription, page 3115).

  • b) Il a été incapable de mesurer les variations entre les différents lots de PSNC, car un seul lot avait été produit pour chacun (transcription, page 3116). Les essais sur des lots uniques ne respectaient pas la norme réglementaire (transcription, pages 3117 et 3118).

  • c) Les variations entre les différents lots ont une incidence sur la durée de conservation (transcription, pages 3118 et 3119) et sur le degré de confiance [traduction] « à l’égard des lots de production » (transcription, page 3119). [traduction] « Pour estimer la durée exacte de conservation, il faut de multiples lots » (transcription, page 3122).

  • d) Il a aussi interrogé sur son degré de confiance en l’absence de données empiriques (transcription, page 3123) :

[traduction]

Q. Quand vous parlez de « confiance », est-ce que c’est dans une optique qualitative?

R. Oui, il faut analyser la tendance. C’est un examen à vue d’œil qui permet de dégager les tendances, si je peux m’exprimer ainsi.

Q. La réponse à ma question est donc « oui »?

R. C’est exact.

Q. Vous n’avez pas quantifié le degré de confiance de vos prédictions?

R. Qu’entendez-vous par « quantifier »?

Q. Par « quantifier », je veux dire évaluer le degré, ou le taux de confiance, si vous préférez, sur le plan statistique.

R. Si vous voulez parler de l’intervalle de confiance statistique de 95 %, je n’ai pas fait cette analyse.

Q. Vous n’avez pas du tout calculé l’intervalle de confiance?

R. Non.

  • e) M. Chow a fait appel à son « jugement » pour ce qui concerne la linéarité de la cinétique de dégradation pour les formulations de PSNC (transcription, pages 3185 et 3186).

  • f) Il a admis qu’il avait été [traduction] « un peu optimiste » dans certaines de ses prédictions de stabilité initiales (transcription, page 3192). Lorsque son évaluation comparative initiale de deux formulations similaires a été mise en doute, il a répondu comme suit (transcription, page 3193) :

[traduction]

Q. Donc, vos prédictions fondées sur la cinétique de dégradation linéaire pour ces trois formulations étaient incorrectes?

R. Pour ces trois formulations, oui, j’ai été trop optimiste. Les échecs se répètent d’essai en essai. Celles qui se sont révélées efficaces le sont encore. Je n’ai pas tenu compte d’une seule impureté, je l’admets.

Q. Vous avez estimé que la stabilité du lot expérimental 151218A serait similaire à celle du lot expérimental 151215A?

R. J’ai précisé dans mon rapport qu’il présenterait un profil de stabilité similaire, mais également... Dans mon rapport en réponse, après avoir recueilli des données pendant 16 semaines dans des conditions accélérées, j’ai indiqué que les résultats du lot 218 étaient meilleurs que ceux du lot 215.

Q. Dans votre premier rapport, vous avez prédit la stabilité du lot 151218A à partir des données sur le lot 151215A?

R. Permettez-moi de consulter mon rapport avant de…

Q. C’est la deuxième phrase du paragraphe 125 de votre premier rapport.

R. J’ai indiqué que la stabilité serait similaire.

Q. Nous savons maintenant que le lot 151215A ne remplit pas toutes les exigences de stabilité, n’est-ce pas?

R. Il n’a pas rempli les exigences de stabilité en raison d’une impureté qui était inconnue. Elle pourrait être caractérisée à une date ultérieure.

Q. Vous n’utilisez plus ce lot pour vos prédictions concernant le lot 151218A?

R. J’utilise le lot 215A comme référence pour faire des prédictions pour le lot 218A, en raison de leur composition similaire.

Q. Mais il a été confirmé que leur stabilité n’était pas similaire?

R. Il est difficile de dire ce qui est « similaire ». Il se peut qu’il y en ait un qui est un peu plus efficace que l’autre. Est-ce que ça veut dire qu’ils sont « similaires »? Je dirais qu’ils sont toujours très similaires. Ils ont tous obtenu de bons résultats dans toutes les analyses, dans tous les essais effectués, mais la concentration d’impuretés du lot 218A était légèrement inférieure.

Q. Pourtant, le lot 151215A ne remplit pas l’une des exigences des spécifications.

R. C’est exact. Toutefois, si on considère l’ensemble du profil, les deux lots obtiennent de très bons résultats, sauf pour cette seule impureté inconnue, et la concentration d’impuretés inconnues est toujours très faible. Je reconnais qu’ils ne remplissent pas les critères d’acceptation,

mais cela ne signifie pas pour autant que le produit n’est pas utile comme produit pharmaceutique. On m’a demandé mon opinion sur son utilité et son efficacité comme produit pharmaceutique. Je reconnais que j’ai été un peu optimiste à propos de sa durée de conservation.

J’ai estimé qu’il remplirait les critères d’acceptation, que sa durée de conservation serait probablement de 24 mois et que l’impureté inconnue ne compromettrait pas forcément son potentiel en tant que produit pharmaceutique.

  • g) Au bout du compte, toutes les formulations du groupe A n’ont pas rempli au moins un critère des spécifications d’Apotex (transcription, pages 3195 et 3196).

  • h) Il a reconnu qu’une augmentation de 20 minutes de la durée de la sonification des échantillons d’essai représente une modification importante de la méthode de détermination de la teneur, de même qu’une augmentation de 5 % ou plus des résultats de cette méthode (transcription, page 3259). Faute de données, il était impossible de quantifier l’importance de ces modifications (transcription, page 3269). Les altérations physiques de l’échantillon constituent l’une des explications possibles de l’augmentation de la période d’extraction (transcription, page 3278).

  • i) Conformément aux règles de bonne pratique de fabrication (BPF), la méthode de détermination de la teneur ne doit pas être modifiée (transcription, page 3281).

  • j) [traduction] « Il se peut » que les différentes méthodes d’extraction appliquées aux formulations d’apo-oméprazole et de PSNC expliquent la différence de comportement (transcription, page 3282).

  • k) Apotex a procédé à de nouveaux essais sélectifs sur ses échantillons de PSNC par suite des résultats liés à la teneur [traduction] « sensiblement inférieurs » (transcription, page 3283). Ce n’est peut-être pas l’idéal, mais cette méthode n’est pas inhabituelle pour des échantillons suspects (transcription, page 3285).

[126] M. Davies a subi un long contre-interrogatoire à propos de ses deux rapports. Lorsqu’on lui a demandé s’il était approprié de faire fi d’une anomalie dans les données de stabilité accélérée et de donner afin de présenter des données acceptables pour les conditions intermédiaires et à long terme, il a répondu ce qui suit (transcription, page 3538) :

[traduction]

Q. Si vous regardez les lignes directrices que je vous ai remises... Essayons d’accélérer les choses. Vous l’acceptez aussi... Est-ce que des prédictions à partir des conditions intermédiaires sont possibles lorsqu’il existe d’importantes modifications dans les conditions accélérées?

R. Je reconnais que, si c’est justifié... Pour fournir des données d’analyse, il peut être justifié de faire abstraction de données sur les conditions accélérées et de se fonder seulement sur les données des conditions intermédiaires et à long terme.

[Non souligné dans l’original.] (Voir aussi la transcription, page 3549.)

[127] M. Davies a remis en cause le fait que M. Chow n’a produit aucun élément de preuve justifiant une telle approche pour les formulations de PSNC qui se présentaient de cette façon. M. Davies a reconnu que les extrapolations de M. Chow pouvaient être utiles aux premières étapes du processus de mise au point de médicaments et de la sélection des meilleurs candidats (transcription, page 3546).

[128] M. Davies a aussi mis en doute l’hypothèse de M. Chow que toutes les formulations de PSNC présentaient une cinétique de dégradation linéaire. M. Davies a observé qu’au moins deux formulations avaient un profil de dégradation non linéaire (transcription, page 3568) et qu’il était impossible de tirer une conclusion à propos des autres parce que les données étaient incomplètes (transcription, pages 3573 et 3574). Il a aussi mentionné une antériorité révélant que les formulations d’oméprazole [traduction] « sont sujettes à une dégradation accélérée » (transcription, page 3577).

[129] M. Davies s’est dit fort préoccupé de constater les modifications successives qu’Apotex a apportées à ses protocoles d’essai sur les échantillons de PSNC [1] . En raison, semble-t-il, des difficultés liées à la dissolution intégrale de ces échantillons, Apotex a augmenté sensiblement les durées d’agitation et de sonification comparativement à celles employées pour des teneurs antérieures.

[130] M. Davies a estimé, compte tenu de ces modifications et de l’absence de validation de la méthode d’extraction pour les formulations de PSNC, que les données n’étaient pas fiables. Il explique d’où vient le problème à son avis dans l’échange suivant (transcription, pages 3621 à 3623) :

[traduction]

Q. En ce qui concerne l’augmentation… Je vais commencer par le début. La détermination de la teneur est effectuée pour établir la quantité exacte d’oméprazole dans les pastilles, n’est-ce pas?

R. Oui, c’est l’objectif de la détermination de la teneur. C’est pour cette raison que cette analyse est effectuée, en principe.

Q. Était-ce l’objectif d’Apotex pour cette étude?

R. Bien sûr. Dans ce contexte, si la méthode d’extraction est modifiée parce que les résultats ne sont pas satisfaisants, ou si la méthode de détermination de la teneur est modifiée parce que les résultats sont trop faibles, plusieurs hypothèses sont possibles. La première est que l’échantillon s’altère et que l’extraction devient plus difficile. La deuxième est que l’extraction elle-même est compliquée. C’est l’hypothèse qui a le moins de conséquences.

Q. L’échantillon s’altère ou il y a un problème avec l’extraction. Je comprends. Laissons cela de côté pour l’instant. Si vous le voulez bien, nous allons passer chaque aspect en revue. L’objectif de la détermination de la teneur est de... L’objectif est de déterminer la quantité exacte d’oméprazole dans une pastille?

R. Ce n’est pas faux.

Q. Vous voulez dire que vous êtes d’accord?

R. C’est l’objectif dans le cas qui nous occupe. L’essai vise à mesurer la quantité d’oméprazole présente dans le produit de substitution, ou le lot de formulations de substitution.

Q. Vous dites que si vous ne parvenez pas à extraire entièrement l’oméprazole pour la détermination de la teneur, il est impossible de mesurer de façon fiable et exacte la quantité d’oméprazole?

R. Je suis d’accord avec ça.

Q. Durant la détermination de la teneur, l’agitation a pour but d’obtenir la dissolution suffisante de l’oméprazole dans le milieu choisi?

R. C’est ça, obtenir une dissolution correcte dans le solvant aux fins de l’extraction.

Q. D’accord. Si vous n’obtenez pas de dissolution satisfaisante, vous n’avez pas extrait l’intégralité de l’oméprazole, et donc vous n’obtiendrez pas un résultat exact?

R. C’est exact. C’est impossible de le savoir. C’est vrai si... C’est impossible de le savoir.

Q. L’objectif de la détermination de la teneur est de dissoudre l’oméprazole pour que le résultat soit le plus près possible de la réalité?

R. C’est exact, mais habituellement, à travers... Si les échantillons sont comparés dans le temps, il faut utiliser la même méthode validée de détermination de la teneur. Normalement, la méthode ne doit pas changer d’une fois à l’autre. C’est pourquoi il faut se demander ce qui arrive si une teneur de 90/60 est utilisée pour les résultats initiaux? Quelle serait la valeur dans ce cas? Il est impossible de le savoir. C’est pourquoi on ne peut pas supposer, pour répondre à votre question, que la valeur de l’oméprazole a été mesurée correctement dans les premiers résultats. Il est impossible de le savoir.

[131] D’après M. Davies, l’augmentation de la durée d’agitation et de sonification peut donner à penser que les quantités d’oméprazole ont été sous-estimées dans la détermination des teneurs des premiers échantillons par Apotex. Étant donné cette incertitude, il était impossible d’effectuer une comparaison valide avec les résultats subséquents, obtenus par suite d’une dissolution optimale (transcription, page 3624).

[132] Lorsqu’il a été suggéré à M. Davies que l’altération des échantillons au fil du temps pouvait aussi expliquer la longue période de préparation des échantillons, voici ce qu’il a répondu (transcription, page 3631) :

[traduction]

Q. L’autre possibilité que vous avez soulevée est l’anomalie de la détermination de la teneur, n’est-ce pas?

R. C’est une possibilité.

Q. Si l’échantillon s’altère après un certain temps, cela ne signifie pas que la teneur en oméprazole diminue durant le processus, qu’elle n’est pas captée. Cela veut dire que l’échantillon s’altère avec le temps et qu’il faut modifier la durée d’agitation pour en extraire l’oméprazole?

R. Ces deux explications ne sont pas mutuellement exclusives. Tous les formulateurs seraient inquiets devant l’altération d’un échantillon au fil du temps. Ils voudraient certainement en connaître la raison.

(Voir aussi les pages 3632 et 3636 de la transcription.)

[133] La sous-estimation des teneurs d’oméprazole dans les essais initiaux pose le problème sous-jacent d’un risque d’erreur dans la détermination de la quantité perdue lors des mesures subséquentes. Selon M. Davies, il est impossible de le savoir à partir des données disponibles (transcription, page 3642). Une explication plus précise a été donnée lors de l’interrogatoire principal (transcription, pages 3398 et 3400) :

[traduction]

Q. Je vous renvoie maintenant à d’autres observations que vous avez formulées, à partir du paragraphe 37 :

« Les analyses d’Apotex portent à remettre sérieusement en question la fiabilité et l’exactitude de ses méthodes pour déterminer la teneur en oméprazole des formulations de substitution. » [Tel que l’extrait a été lu.]

Pouvez-vous m’expliquer pourquoi?

R. Ces résultats indiquent que le prolongement de l’agitation augmente les teneurs obtenues. Nous ne savons pas pourquoi. La durée de l’agitation lors de l’essai initial était peut-être insuffisante pour extraire entièrement l’oméprazole des formulations de substitution. Il faut donc remettre en question tous les résultats initiaux.

Dans le cadre d’un programme d’analyse de la stabilité, les résultats sont comparés en tenant pour acquis que la méthode d’analyse est la même pour tous les résultats. Toutefois, si la méthode d’analyse a été modifiée afin d’augmenter la quantité de médicament présente, alors cela signifie que... Il devient alors très difficile de comparer des résultats produits par différentes méthodes de détermination de la teneur.

Q. Dans vos dernières observations au paragraphe 39, vous affirmez ce qui suit :

« Les modifications apportées par Apotex à la méthode de détermination de la teneur en oméprazole durant le programme d’analyse de la stabilité pourraient avoir occulté 5 % ou plus des réductions des valeurs par rapport aux valeurs initiales. » [Tel que l’extrait a été lu.]

Pouvez-vous expliquer comment les modifications ont pu occulter les réductions?

R. Oui. Ce que je veux faire comprendre par cette observation est la méthode d’analyse différente qui a été appliquée aux résultats initiaux puisque la durée de l’agitation a été augmentée pour les essais ultérieurs étant donné qu’un taux supérieur à 5 % est significatif.

Si Apotex avait testé la première série de données à partir de l’information mise à notre disposition, ces résultats auraient probablement été supérieurs. Donc, sans avoir effectué de nouveaux essais... C’est impossible parce qu’elle ne peut pas revenir en arrière. Le simple fait que les résultats ultérieurs sont soumis à une nouvelle analyse pourrait occulter une réduction de 5 % ou plus de la teneur en oméprazole. C’est ce que je veux souligner.

LE JUGE BARNES : Juste pour préciser, si la teneur obtenue initialement est arbitrairement faible et qu’une mesure réelle est obtenue par la suite, comment cet écart peut-il occulter la dégradation ou un « résultat de stabilité médiocre », si je peux m’exprimer en ces termes?

LE TÉMOIN : Je ne crois pas qu’il soit possible de connaître le résultat réel par la suite, Monsieur le Juge, puisqu’il aura été obtenu par une méthode de détermination de la teneur différente par rapport à celle qui a donné les résultats initiaux, peu importe qu’elle ait été appliquée en septembre, en octobre ou en novembre.

Par exemple, si les résultats stipulés ont augmenté de 10 % en septembre, sans rien faire avec les résultats initiaux... Disons que les résultats sont passés de 90 à 100 % en septembre... Le résultat initial était de 90 %, mais il a été augmenté de 10 %. La valeur de début pourrait être, disons, 95 %.

Il serait possible d’augmenter... Si la durée d’agitation est la même pour les résultats initiaux, d’après les données mises à notre disposition, le taux d’extraction semble supérieur. Le résultat de 95 % pourrait donc passer à 105 %. Donc, au lieu de 95 et de 100 %, c’est-à-dire 95 % pour le résultat initial et 100 % pour l’échantillon réanalysé en octobre ou en septembre, le résultat initial est maintenant de 105 %, comparativement à 100 %. L’écart pourrait donc être de l’ordre de 5 % ou plus, mais vous ne le saurez jamais, Monsieur le juge.

Parce que si on modifie... Si on essaie de comparer des résultats d’un bout à l’autre processus après avoir modifié la méthode d’analyse parce que l’oméprazole n’était pas extraite au complet... Qu’est-il advenu des résultats initiaux, qui sont la base de référence? Quel est le point de départ? C’est ce qui complique les choses.

[134] La différence fondamentale entre les témoignages de MM. Chow et Davies a trait à la valeur scientifique qui doit être accordée aux données sur la stabilité découlant des essais d’Apotex en interne. Sur ce point, je préfère le témoignage de M. Davies à celui de M. Chow.

[135] M. Chow a été contraint à faire des prédictions parce que les données étaient incomplètes. Ses prédictions initiales reposaient sur des données très préliminaires, dont certaines se sont avérées fautives, ce qui n’a rien d’étonnant. Il s’est fié à des données préliminaires et non concluantes, ce qui est révélateur de sa crédibilité (pour ce qui est des premières étapes d’un scénario de mise au point d’un médicament, il va de soi).

[136] Tout comme M. González a recouru à la RIVIV pour prédire la bioéquivalence, M. Chow a abordé le problème de la stabilité des PSNC comme s’il s’agissait d’un exercice de sélection de formulations. Même s’il a reconnu que certaines des difficultés soulevées par M. Davies pourraient compromettre l’obtention d’une approbation réglementaire, M. Chow a estimé que les objectifs plus limités justifiaient les méthodes employées et que les données examinées étaient suffisantes pour faire des prédictions fiables à propos de la stabilité des PSNC. Mes réserves à l’égard des opinions de M. González s’appliquent également aux prédictions de M. Chow. Les données préliminaires et non concluantes sont ce qu’elles sont. Elles ne peuvent pas corroborer une présomption de viabilité commerciale et de conformité réglementaire du simple fait qu’un formulateur les considère comme utiles à des fins de sélection interne.

[137] M. Davies a abordé les données d’essai dans une optique beaucoup plus rigoureuse, qui était globalement conforme aux normes à respecter pour commercialiser les PSNC revendiqués. C’était la démarche indiquée pour s’acquitter du fardeau ultime de la preuve.

[138] Essentiellement, Apotex a tenté de justifier ses raccourcis dans les essais de stabilité et les données d’essai incomplètes en faisant valoir que sa charge de preuve était moins exigeante que les prescriptions réglementaires applicables. Autrement dit, elle demande à la Cour de conclure que certaines de ses formulations de PSNC auraient été suffisamment stables pour obtenir une approbation réglementaire et un succès commercial.

[139] Compte tenu de la preuve produite, je ne suis pas prêt à tirer cette conclusion.

[140] Bien que l’analyse de stabilité de M. Chow ait reposé en partie sur des données empiriques, les résultats étaient incomplets.

[141] Je rejette les explications de M. Chow quand il tente de minimiser les irrégularités des méthodes d’essai de stabilité d’Apotex et l’importance de celles que M. Davies a relevées dans les données. Les questions soulevées par M. Davies à propos de la variabilité entre les lots, leur taille et l’absence de validation étaient justifiées et forcent à mettre en doute la fiabilité des données d’essai recueillies.

[142] Les nombreux changements apportés par Apotex à ses échantillons de formulations de PSNC et ses nouveaux essais sélectifs compromettent également la valeur des données initiales sur les teneurs. Je suis d’accord avec M. Davies qu’il est impossible d’apprécier pleinement l’importance de ces modifications, mais qu’il revenait à Apotex d’achever ses essais de stabilité afin d’éliminer toute incertitude évitable. À mon sens, il est inévitable que le caractère suspect des données de référence sur les teneurs se transpose aux extrapolations qui en découlent. Apotex a tenté de valider ces données en invoquant une impureté observée et des données sur le bilan de masse, mais ce n’était ni suffisant ni convaincant.

[143] M. Davies a raison de dire que les modifications de la méthodologie et les nouveaux essais sélectifs d’Apotex ont introduit un degré d’erreur inacceptable dans le processus. Les valeurs initiales des teneurs étaient pour ainsi dire inutiles pour les fins de la comparaison – à tout le moins, elles étaient loin d’offrir le degré de certitude recherché aux fins de mon analyse. Je souscris à la thèse de M. Chow (corroborée par M. Davies) que les raccourcis comme ceux employés par Apotex peuvent être acceptables aux premières étapes de la sélection d’un produit. Cependant, ils sont tout à fait inacceptables pour démontrer la viabilité d’un PSNC aux fins de la présente espèce.

B. Les PSNC proposés auraient-ils obtenu une approbation réglementaire?

[144] Apotex soutient qu’à des fins réglementaires, elle aurait pu greffer ses PSNC à l’approbation qu’elle avait obtenue pour l’apo-oméprazole. Selon cette hypothèse, une fois obtenue l’approbation réglementaire pour l’apo-oméprazole, elle aurait pu suivre une procédure simple et courante pour faire approuver chaque PSNC. Suivant ce raisonnement, Santé Canada aurait approuvé, sans exiger d’essai de bioéquivalence exhaustif, n’importe lequel des sept PSNC maintenant revendiqués comme étant des variantes mineures de l’apo-oméprazole. De toute évidence, cette proposition est entièrement incompatible avec les agissements d’Apotex après qu’elle a appris que l’apo-oméprazole était vraisemblablement un produit contrefaisant et avec ce que les autorités réglementaires auraient accepté. Apotex semble en fait insinuer que les autorités réglementaires n’auraient pas respecté les lignes directrices applicables ou fait preuve de toute la diligence requise avant d’approuver les PSNC proposés.

[145] Chacune des parties a fait témoigner un expert en matière de réglementation canadienne. Apotex a fait appel à Sue Wehner, et AstraZeneca à Anne Tomalin. Les différences fondamentales entre les deux témoignages de ces expertes étaient les suivantes : 1) Santé Canada aurait probablement accepté de déroger à ses propres directives; 2) des essais de bioéquivalence auraient été exigés pour les sept autres PSNC hypothétiques d’Apotex.

[146] Lorsqu’elles ont différé d’opinion, j’ai préféré le témoignage de Mme Tomalin à celui de Mme Wehner. Je ne retiens pas le point de vue selon lequel tous les PSNC faisaient intervenir seulement des modifications mineures de la formulation d’apo-oméprazole et, exception faite de la formulation MR8620E1, Santé Canada aurait accepté un formulaire de changement à déclaration obligatoire visant les PSNC proposés.

[147] L’analyse de Mme Wehner reposait largement sur sa caractérisation de l’apo-oméprazole comme étant un médicament à libération immédiate plutôt qu’à libération modifiée, ainsi que sur les données de bioéquivalence boiteuses de M. González. Mme Tomalin décrit comme suit l’approche de Mme Wehner (transcription, page 3841) :

[traduction]

Selon ce que je comprends de l’approche de Mme Wehner, elle a commencé par sa compréhension de l’oméprazole et qu’il ne s’agissait pas à son avis d’un produit complexe. Elle a estimé que les données fournies à l’appui des changements confirmaient que ceux-ci n’étaient pas importants et, à partir de là, elle a conclu qu’il fallait simplement soumettre un formulaire de changement à déclaration obligatoire.

[148] Par contraste, Mme Tomalin a fondé son analyse sur les politiques et les lignes directrices de Santé Canada qui étaient en vigueur à l’époque visée. Même si elles n’avaient pas force de loi en principe, la véritable question est celle de savoir si Santé Canada les utilisait alors pour interpréter les lois et les exigences réglementaires pertinentes. Je retiens le témoignage de Mme Tomalin selon lequel Santé Canada les appliquait à la lettre durant la période visée.

[149] Je retiens également son témoignage comme quoi l’apo-oméprazole est un produit à libération modifiée au sens où l’entend Santé Canada et tel que le confirment amplement ses documents d’orientation. Ainsi, le document Études de biodisponibilité et de bioéquivalence, publié en 1996, indique clairement que les produits à libération modifiée englobent les formulations conçues pour retarder l’absorption, comme les formes à enrobage gastro-résistant (pièce E-2 du rapport Wehner 1, pièce APO 50, page 2). Cette approche a été confirmée ultérieurement dans le document Changements survenus après l’avis de conformité, qui définit les formes posologiques orales solides à libération modifiée comme incluant « des produits pharmaceutiques à libération prolongée et étendues » (pièce E-5 du rapport Wehner 1, page 229).

[150] Je rejette le témoignage de Mme Wehner selon lequel Santé Canada considérerait comme insignifiant le changement qualitatif d’un excipient ou d’un enrobage gastro-résistant. M. Len Arsenault a livré un témoignage plus convaincant, fondé sur son expérience professionnelle à Santé Canada, où il était gestionnaire de la division des produits pharmaceutiques oraux du Bureau des sciences pharmaceutiques. M. Arsenault est actuellement vice-président des affaires scientifiques chez Sandoz. Il a été invité par Apotex à parler de l’historique du produit à base d’oméprazole de Sandoz. Il a déclaré que Santé Canada considérait une formulation à enrobage gastro-résistant comme un produit à libération modifiée, dont l’altération nécessiterait normalement la présentation de données sur la bioéquivalence (transcription, page 1735). Il a aussi affirmé, à l’instar de Mme Tomalin, que la substitution d’un polymère par un autre dans l’enrobage gastro-résistant, ou qu’un changement qualitatif d’un excipient nécessiterait une preuve de bioéquivalence (transcription, pages 1742, 1744 et 1745).

[151] Je rejette également le témoignage de Mme Wehner selon lequel le remplacement d’un solvant hydrique par un solvant organique dans le processus d’enrobage ne serait pas considéré comme important. La conclusion de Mme Wehner est incompatible avec une lettre produite en 1997 par Santé Canada et précisant que [traduction] « lorsque l’enrobage influe sur la libération du médicament dans le cas de formulations à libération retardée ou modifiée », il faut présenter un supplément lorsque l’enrobage du comprimé est modifié (annexe D-5 au rapport Tomalin 1, pièce AZ 155, page 3). Je privilégie le témoignage de Mme Tomalin selon lequel ces exigences s’appliqueraient, car l’enrobage gastro-résistant de l’apo-oméprazole influe sur la libération du médicament : il retarde la libération de l’oméprazole jusqu’à son arrivée dans l’intestin grêle. J’estime que cette exigence s’appliquerait également aux comprimés et aux pastilles.

[152] Enfin, je rejette la conclusion de Mme Wehner comme quoi le remplacement d’une granulation par voie humide par une granulation à voie sèche ne serait probablement pas considéré comme important. Cette conclusion découlait essentiellement de l’opinion de Mme Wehner que l’apo-oméprazole était considérée comme un médicament à libération immédiate et à dissolution rapide, opinion que je rejette. Je privilégie le témoignage de Mme Tomalin selon lequel Santé Canada aurait demandé que ce changement soit corroboré par des données de bioéquivalence et un supplément en raison de son incidence sur la bioéquivalence. Cette exigence a par la suite été exposée dans une ligne directrice publiée en 2007, ce qu’a reconnu Mme Wehner (transcription, page 1561).

C. Apotex aurait-elle pu obtenir et utiliser un PSNC auprès d’un tiers?

[153] Lors de son témoignage, M. Sherman a déclaré qu’il aurait pu obtenir un PSNC auprès d’un tiers s’il n’avait pas réussi à mettre au point une formulation en interne. Tout ce que je peux déduire de ce témoignage est que le recours à un tiers aurait été envisagé seulement si Apotex avait échoué à produire et à commercialiser sa propre formulation. Ainsi, ce scénario aurait été envisagé bien après le début de la période de contrefaçon et aurait nécessité une approbation réglementaire au Canada.

[154] J’admets qu’en théorie, Apotex aurait pu obtenir des PSNC de deux sources tierces au moins : Kremers Urban Development Company (Kudco) et Estevé.

[155] Cinta Lacasa Pujadó a témoigné à propos de la formulation d’oméprazole d’Estevé. Elle occupe un poste dans la haute direction d’Estevé, où elle est responsable des affaires réglementaires, de la propriété intellectuelle, de la pharmacocinétique et de la mise au point de produits.

[156] Estevé est une entreprise pharmaceutique espagnole qui fabrique des produits novateurs et génériques, et qui entretient des relations commerciales avec Apotex et AstraZeneca.

[157] Mme Lacasa a fait savoir qu’Estevé avait commencé à élaborer une formulation d’oméprazole à la fin des années 1980. En 1994 ou 1995, elle disposait d’une formulation d’oméprazole brevetée et commercialisable. À cette époque, le modèle d’affaires d’Estevé se résumait à la vente de ses médicaments novateurs. Elle n’était pas en mesure de vendre des formulations génériques et approvisionnait uniquement les tiers intéressés par sa formulation d’oméprazole. Aux États-Unis, Estevé avait conclu un contrat de vente de sa formulation d’oméprazole en pastilles à la société Mylan. Mylan encapsulait les pastilles pour les vendre aux États-Unis. Mylan devait également se charger d’obtenir l’approbation réglementaire aux États-Unis, mais elle avait besoin pour ce faire du soutien technique d’Estevé. Elle a obtenu cette approbation au milieu de 2003 seulement.

[158] Après que Mylan eut lancé le produit aux États-Unis en août 2003, elle et Estevé ont été poursuivies pour contrefaçon. Elles ont obtenu gain de cause après avoir plaidé que les pastilles d’Estevé ne contrefaisaient pas le brevet américain d’AstraZeneca. Après avoir obtenu une approbation réglementaire au Canada, Mylan a commencé à y vendre la formulation d’oméprazole en 2009. Estevé a prêté assistance à Mylan pour le dépôt de ses documents réglementaires au Canada en 2007 et par la suite.

[159] Interrogée à savoir si Estevé aurait accepté de fournir sa formulation d’oméprazole à Apotex, Mme Lacasa a répondu qu’elle aurait été fort intéressée, en effet, et qu’elle aurait apporté le soutien technique nécessaire pour le dépôt de sa présentation réglementaire au Canada (transcription, page 2940).

[160] Mme Lacasa a ajouté qu’Estevé aurait eu besoin de l’approbation de Mylan pour vendre son produit d’oméprazole à Apotex puisque l’entente-cadre avec Estevé lui conférait des droits de distribution exclusifs aux États-Unis, au Canada et au Mexique.

[161] Avant que Mylan entre sur le marché, ni Apotex ni aucune autre partie n’avaient approché Estevé relativement à l’approvisionnement du marché canadien. Toutefois, un tiers avait approché Estevé en 2003 ou 2004 en vue de la fourniture de son produit d’oméprazole au Mexique, et Mylan avait renoncé à son droit à l’exclusivité dans ce pays.

[162] Selon Mme Lacasa, la capacité de production d’Estevé était amplement suffisante pour répondre aux besoins d’approvisionnement d’Apotex. Ses conditions habituelles de vente par un tiers de son produit d’oméprazole se situaient entre 25 et 35 % des ventes nettes, suivant les modalités propres à chaque contrat (transcription, page 2953).

[163] Malgré l’objection soulevée par l’avocat d’AstraZeneca, j’ai autorisé Mme Lacasa à se prononcer sur la probabilité que Mylan renonce à ses droits au Canada. Elle a répondu que Mylan avait renoncé à ses droits au Mexique et qu’à cette époque, elle n’avait pas de présence commerciale au Canada. Elle a conclu que Mylan aurait eu d’autres occasions d’affaires, dépendant du genre de contrat que nous aurions signé (transcription, page 2956). Elle a ensuite ajouté que toutes les parties devaient avoir un avantage quelconque (transcription, page 2994).

[164] En contre-interrogatoire, Mme Lacasa a confirmé qu’Estevé avait travaillé de 1995 jusqu’à la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) aux États-Unis en 2000 pour mettre au point une formulation d’oméprazole non contrefaisante pour approvisionner Mylan. C’est seulement en 2003 que le produit a été lancé aux États-Unis. Durant les cinq années consacrées à la mise au point, il a fallu mettre à l’essai diverses formulations et « beaucoup de travail » (transcription, page 2973). Mme Lacasa a aussi reconnu que l’oméprazole est un produit très complexe et que plusieurs analyses de la bioéquivalence avaient échoué (transcription, page 2975).

[165] Il est important de souligner que Mme Lacasa, quand on lui a demandé si Mylan aurait accepté qu’Estevé fournisse sa formulation d’oméprazole à Apotex en vue de sa vente aux États-Unis, elle a répondu que les deux sociétés étaient des concurrentes sur ce marché. Elle a conclu ainsi : [traduction] « Il faudrait le demander à Mylan. En fait, je ne le sais pas. » (Transcription, page 2990).

[166] D’après le témoignage de Mme Lacasa, je suis convaincu qu’Estevé disposait de la capacité de fabrication nécessaire pour fournir à Apotex une quantité suffisante de la formulation non contrefaisante et remplacer ses ventes d’apo-oméprazole d’Apotex.

[167] Cela dit, je ne dispose pas d’une preuve suffisante pour établir qu’Apotex aurait pu conclure un contrat d’approvisionnement avec Estevé.

[168] À l’évidence, Mylan n’aurait jamais permis à Apotex de vendre le produit d’Estevé aux États-Unis. Mylan avait énormément investi dans la mise au point et l’approbation de la formulation d’oméprazole d’Estevé en vue de la vente sur le marché américain. Selon Mme Lacasa, Mylan s’était appropriée une importante part du marché des produits génériques avec cette formulation. Dans de telles circonstances, il est très peu probable qu’elle aurait renoncé à ses droits exclusifs pour faciliter la vente du produit générique concurrent.

[169] Même si elle avait un droit d’exclusivité en Amérique du Nord, Mylan a permis à Estevé de vendre la formulation à un tiers au Mexique. Mylan n’y avait pas de présence commerciale et on peut supposer qu’elle n’avait pas d’intérêt commercial à l’égard de ce marché. Je ne crois pas cependant que cette expérience puisse être transposée au marché canadien dans un monde hypothétique. Dans le monde réel, Mylan s’était déjà implantée sur le marché canadien avec la formulation d’Estevé en 2009, et celle-ci avait participé à ce processus à compter de 2007. On peut supposer que Mylan avait commencé à penser au marché canadien avant 2007. Il semble très peu probable qu’elle aurait renoncé à ses droits au Canada en faveur d’un concurrent important. Comme l’a souligné Mme Lacasa, les entreprises n’ont pas pour habitude de faciliter les choses pour leurs concurrents. À l’inverse, elles exploitent leurs avantages commerciaux.

[170] Apotex aurait dû faire appel à un représentant de Mylan pour préciser dans quelles conditions la société aurait pu envisager de renoncer à son droit de distribution exclusif. Comme elle ne l’a pas fait, je n’ai aucun moyen de savoir si Apotex aurait pu obtenir et aurait obtenu un PSNC d’Estevé.

[171] Qui plus est, le témoignage de M. Sherman me fait douter de la possibilité pour Apotex de conclure un quelconque contrat de licence avec Mylan ou Estevé, même si l’occasion s’était présentée.

[172] Apotex a aussi produit des éléments de preuve concernant l’hypothétique possibilité de se procurer une formulation d’oméprazole non contrefaisante auprès de Kudco. Kudco, la filiale américaine de l’entreprise pharmaceutique allemande Schwartz Pharma, détenait une licence de vente aux États-Unis d’une formulation d’oméprazole non contrefaisante de la société française Pharma Pass. Kudco a déposé une PADN au milieu de 1998 pour obtenir l’approbation réglementaire des États-Unis de vendre son produit sous forme de capsules. En 2001, elle a obtenu une approbation conditionnelle au règlement d’une action en contrefaçon en suspens contre AstraZeneca. L’approbation réglementaire définitive a été accordée en 2002, lorsque le produit de Kudco a été déclaré non contrefaisant. Jusqu’en août 2003, Kudco était le seul fabricant de produits génériques dans le marché américain.

[173] Son directeur financier durant la période visée était Jon Thiel. M. Thiel a été appelé à témoigner pour le compte d’Apotex.

[174] Il a affirmé que de 2001 à 2003, Kudco n’avait pas de présence commerciale au Canada et ne vendait pas son produit d’oméprazole sur le marché canadien. On lui a néanmoins demandé si, à cette époque, Kudco aurait souhaité nouer une relation d’affaires avec Apotex en vue de la vente de produits au Canada. Voici sa réponse (transcription, page 1615) :

[traduction]

R. Notre société était très dynamique dans sa recherche de revenus supplémentaires. Comme je l’ai dit, nous n’étions pas présents sur le marché canadien, qui aurait été très intéressant pour nous moyennant les bonnes conditions financières et une capacité suffisante.

Nous aurions pu facilement entrer au Canada. En tenant pour acquis qu’Apotex aurait pris soin des formalités réglementaires au Canada, il aurait été facile pour nous de percer le marché et de générer des bénéfices supplémentaires.

Q. Est-ce que Kremers aurait été obligée de demander l’autorisation de Schwarz ou d’une autre entité pour conclure ce genre de contrat?

R. Qu’entendez-vous par « Schwarz »?

R. Schwarz Pharma.

R. Aux États-Unis? En Allemagne? Nous avons des ramifications un peu partout.

R. Disons en Allemagne.

R. Pour quelque chose de ce genre, non.

Q. La décision aurait-elle été prise à l’échelon local au sein de votre groupe chez Kremers KUDCo?

R. Oui. La petite équipe qui s’occupait de l’image de marque et des produits génériques aux États-Unis aurait pris cette décision.

Q. Faisiez-vous partie de cette équipe?

R. Oui, j’en faisais partie.

Q. Le produit d’oméprazole aurait-il différé de celui qui était vendu aux États-Unis?

R. Non, il n’aurait pas été différent.

Q. Est-ce que Kremers, ou KUDCo, disposait de la capacité voulue pour approvisionner Apotex en capsules d’oméprazole?

R. Après un certain temps, oui. Après le lancement, nous augmentions notre capacité de jour en jour. Nous avons fait d’importants investissements dans notre installation de Seymour, dans la machinerie, le matériel et les ressources humaines. Nous avons ajouté des quarts de travail.

J’imagine que dès que nous avons obtenu l’approbation de la Federal Drugs Administration pour lancer notre produit, nous avons réalisé qu’il serait payant d’augmenter notre capacité... Je ne me souviens plus. Ça fait des lustres. En gros, je sais que nous avons accru la capacité chaque jour.

Q. Vous avez mentionné que vous avez pris des mesures. En quelle année avez-vous pris ces mesures?

R. Dès que nous avons obtenu l’approbation, je dirais donc... J’ai oublié les chiffres exacts concernant notre capacité à l’époque du lancement. Ce que je sais, c’est qu’en novembre 2002, quand nous avons appris que nous étions le seul fabricant sur le marché, nous avons commencé à accroître la capacité par rapport à ce qu’elle était jusque-là.

[175] AstraZeneca s’est opposée à cette série de questions au motif qu’elles donnaient lieu au témoignage inadmissible d’un profane. J’ai retenu le témoignage de manière provisoire.

[176] Je prends note de l’observation d’AstraZeneca qu’il existe un risque évident à demander directement à un témoin ce qu’il aurait, ou plus précisément, ce que son employeur aurait fait dans un contexte hypothétique. Il convient de poser des questions au sujet de conditions factuelles existantes qui auraient été pertinentes pour la décision. La réponse à une question élémentaire du type « Qu’auriez-vous fait? » n’a guère d’importance. Pourtant, en l’espèce, les réponses de M. Thiel sont pertinentes et admissibles sur le plan factuel.

[177] On lui a demandé dans quelles conditions Kudco aurait accepté de faire affaire avec Apotex. Cette question est pertinente en raison de son fondement factuel, savoir les conditions commerciales usuelles de contrats similaires. M. Thiel était aussi un témoin compétent sur cette question en raison de sa qualité de gestionnaire qui, à l’époque, prenait part à ce genre de négociations. Ses réponses sont éclairantes quant aux conditions que Kudco aurait probablement recherchées et acceptées, au moins en ce qui concerne les ventes sur le marché canadien (transcription, page 1617) :

[traduction]

Q. M. Thiel, supposons qu’Apotex et Kremers ou KUDCo auraient décidé de conclure un contrat d’approvisionnement. Quel prix Kremers aurait-il demandé à Apotex pour l’achat de ses capsules?

R. Habituellement, nous aurions facturé le coût des marchandises à nos clients.

Q. Un autre paiement aurait-il été exigé en sus du coût des marchandises?

R. Oui. Nous aurions demandé une partie des bénéfices bruts, de l’ordre de 25 % à... Très franchement, nous aurions été le plus haut possible. Si nous avions pu obtenir la moitié, nous l’aurions fait.

Q. Donc, un montant de cet ordre... À votre avis, quel aurait été le taux convenu?

R. C’est difficile à dire, évidemment, puisque nous parlons d’un scénario hypothétique. Nous aurions certainement demandé 50 %, et ils auraient répondu : « Que pensez-vous de 5 ou 10 %? » Je suppose que nous nous serions entendus pour 30 ou 40 %.

Q. Pouvez-vous me dire si c’est similaire à d’autres contrats que vous avez conclus avec d’autres entreprises?

R. Je ne me rappelle pas précisément, mais je dirais que oui. Là encore, d’après mon expérience du secteur pharmaceutique et à titre de directeur financier chez Schwarz et County Line, le taux... Actuellement, les contrats stipulent des taux de 25 à 50 %.

Q. Si les parties s’étaient entendues sur les conditions financières, croyez-vous qu’un tel contrat aurait été possible avec Apotex?

R. Oui.

Q. Nous parlions de ventes au Canada. Est-ce que Kremers aurait accepté de conclure un contrat de vente d’un produit d’Apotex aux États-Unis après avoir fait concurrence pour des produits génériques sur le marché américain?

R. Vous voulez savoir si nous aurions envisagé de le faire? C’est votre question?

Q. Oui.

R. Oui, je crois que nous l’aurions fait. Comme je l’ai dit, nous étions très opportunistes. Notre entreprise pharmaceutique était relativement petite par rapport aux gros joueurs américains et nous étions très entreprenants, pour ainsi dire... Nous étions à l’affût de toutes les occasions possibles de faire des bénéfices.

Si les conditions étaient favorables pour nous devant une concurrence féroce... Nous savions que qui dit bénéfices, dit volumes. Pour un fabricant, il est toujours rentable d’augmenter le volume de production de ses installations de fabrication.

À un certain moment, on fait des bénéfices sans avoir à dépenser. Donc, la réponse est oui, nous l’aurions certes considéré. Là encore, avec des conditions favorables sur le plan concurrentiel et considérant tous les facteurs liés à l’exploitation... Nous aurions accepté de vendre à un concurrent, oui.

Q. Donc, même à un concurrent sur votre territoire?

R. Tout à fait.

[178] En contre-interrogatoire, M. Thiel a confirmé que de 2001 à 2008, Apotex n’avait pas présenté de demande à Kudco pour obtenir sa formulation. Durant cette période, Kudco n’a pas vendu sa formulation à un autre fabricant de produits génériques et n’a pas approché une autre entreprise pour faire affaire avec elle.

[179] M. Thiel ne se rappelait pas si Kudco avait juridiquement le droit de vendre sa formulation d’oméprazole à Apotex aux termes de son accord de cession avec Pharma Pass, lequel n’a pas été produit en preuve.

[180] M. Thiel a aussi reconnu qu’il touchait un taux horaire de 500 $ US pour sa préparation et son témoignage au procès.

[181] M. Tom Lewis a également témoigné au sujet de la disponibilité hypothétique de la formulation d’oméprazole de Kudco. Il a commencé à travailler pour Kudco en 1999 comme contrôleur d’usine. Dans ce rôle, il était responsable des activités financières de l’entreprise ainsi que de l’analyse stratégique et de la capacité. Il relevait de M. Thiel.

[182] M. Lewis a déclaré que le contrat de licence avec Pharma Pass ne prévoyait aucune restriction du droit de Kudco de vendre sa formulation d’oméprazole à un tiers, sauf en Europe.

[183] Selon lui, le contrat de licence ne pouvait pas être produit en preuve pour des raisons de confidentialité de l’entreprise. Il a néanmoins affirmé qu’il en connaissait très bien les clauses.

[184] M. Lewis a décrit de façon très détaillée la capacité de Kudco en matière de fabrication de sa formulation d’oméprazole, y compris les efforts déployés pour l’accroître afin de répondre à la demande. Cette partie de son témoignage est résumée ci-dessous (transcription, page 1670) :

[traduction]

Q. J’aimerais vous poser cette question à nouveau. Si, de 2001 à 2003, Apotex avait voulu négocier un contrat d’approvisionnement avec Kremers en vue de la vente de ses produits d’oméprazole au Canada, aurait-elle été en mesure de le faire?

R. Oui.

Q. Et qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer?

R. À cette époque, plusieurs autres tiers avaient approché Kremers pour qu’elle augmente la capacité de ses installations et fabrique leurs produits. Nous avons accepté la majorité de ces demandes et commencé à fabriquer leurs produits.

Q. J’aimerais vous poser une question précise. Si Apotex vous avait demandé un million de capsules de 20 milligrammes en 2003, 26 millions en 2004, 63 millions en 2005, 115 millions en 2006, 150 millions en 2007 et 133 millions en 2008... Quelle aurait été la limite de production annuelle de Kremers, si limite il y avait?

R. Nous aurions pu facilement le faire.

Q. Est-ce que Kremers aurait envisagé de signer un contrat d’approvisionnement avec Apotex?

R. Oui, sans problème.

Q. Et qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer?

R. Comme je l’ai mentionné auparavant, de nombreuses entreprises tierces nous approchaient pour faire affaire avec nous, pour que nous fabriquions leurs produits. Nous acceptions de le faire parce que nous disposions d’une capacité excédentaire pour répondre à leur demande.

[185] En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Lewis quelles étaient les redevances que Kudco touchait habituellement aux termes de ses contrats d’approvisionnement avec des tiers. À l’instar de M. Thiel, il a répondu que le taux négocié pouvait aller jusqu’à 50 %, mais qu’il se situait probablement entre 20 et 50 %, et plus souvent entre 30 et 50 % (transcription, page 1692). Il a aussi confirmé que par le passé, Kudco ne vendait pas ses produits à d’autres fabricants de produits génériques concurrents sur le marché américain (transcription, page 1696).

[186] M. Sherman a aussi témoigné à propos de ce qu’Apotex aurait pu faire pour obtenir une formulation de PSNC auprès d’Estevé-Mylan ou de Kudco, et à quelles conditions. Lorsqu’on lui a demandé s’il accepterait de verser des redevances pouvant aller jusqu’à 50 %, il a répondu qu’il s’agissait d’un taux [traduction] « exorbitant » (transcription, page 1959). Durant l’interrogatoire principal, il a décrit comment pourrait se dérouler une négociation hypothétique (transcription, page 1960) :

[traduction]

Q. Supposons qu’ils aient insisté sur un prix et sur une participation aux bénéfices en sus. Quelle aurait été votre réaction?

R. J’aurais accepté un prix et une participation aux bénéfices plutôt qu’une majoration. Normalement, c’est le coût net plus un faible pourcentage des bénéfices.

Q. Et s’ils avaient insisté sur un taux de 40 ou 50 %?

R. S’ils avaient insisté et si je n’avais pas eu le choix, je suppose que j’aurais accepté, mais c’est peu probable parce qu’ils n’auraient pas su que je n’avais pas d’autre choix. Premièrement, les choses ne se seraient probablement pas passées de cette façon et, deuxièmement, ils n’auraient pas su que je n’avais pas d’autre choix. C’est très improbable.

Mais si je n’avais pas eu d’autre option et s’ils avaient été au courant, alors j’aurais accepté. Mais c’est un scénario très improbable. Fort probablement, ils auraient accepté quelque chose comme le prix coûtant plus 20 %, ou une redevance de 10 %, ou un compromis quelconque. C’est ce qui serait probablement arrivé.

[187] En contre-interrogatoire, M. Sherman a admis qu’aucune tentative n’avait été faite pour obtenir d’un tiers une formulation d’oméprazole non contrefaisante ou pour envisager une entente avec des conditions du genre de celles qui sont exposées ci-dessus (transcription, page 2192) :

[traduction]

Q. Durant la période de validité du brevet 693, Apotex n’a jamais demandé à Mylan, KUDCo ou Lek de l’approvisionner en produits d’oméprazole?

R. Non. Bien sûr que non. Il n’y avait aucune raison de le faire. S’il y avait eu une raison, je l’aurais fait.

Q. Durant la période de validité du brevet 693, Apotex ne savait pas combien coûterait l’approvisionnement en produits d’oméprazole en utilisant les procédés de KUDCo, Lek ou Mylan?

R. Il aurait fallu que j’en discute avec eux et que je négocie pour le savoir.

Q. La réponse est que vous ne le saviez pas?

R. Bien sûr que non. Mais j’aurais pu le deviner.

Q. Est-il exact qu’Apotex n’a jamais cherché à obtenir ni obtenu de licence pour fabriquer, utiliser ou vendre de formulations d’oméprazole en utilisant le procédé de KUDCo, Mylan ou Lek durant la période de validité du brevet 693?

R. Désolé. Vous me demandez si nous aurions pu fabriquer le produit selon leur procédé, dont je ne connaissais pas les détails?

Q. Vous n’avez jamais cherché à obtenir ou obtenu de licence de quiconque pour fabriquer, utiliser ou vendre de formulations d’oméprazole en utilisant les procédés de KUDCo, Mylan?

R. Bien sûr que non. Je n’aurais pas eu besoin de licence. Si j’avais voulu fabriquer un produit sans composé à réaction alcaline, je n’aurais pas eu besoin de licence. J’aurais pu le faire beaucoup mieux et concevoir une formulation en quelques minutes qui aurait été meilleure que celle utilisée par l’une de ces trois entreprises, d’après le contenu de leur brevet.

[188] Voici l’explication de M. Sherman à ce propos (transcription, page 2115) :

[traduction]

Q. Si vous me le permettez, j’aimerais creuser la question. Vous avez fait l’objet d’une poursuite aux États-Unis?

R. Oui.

Q. La poursuite a été engagée aux États-Unis vers 2000, n’est-ce pas?

R. Oui, 2000 ou 2001. Je ne suis pas certain.

Q. Vous n’avez jamais rien fait pour atténuer la formation d’un sous-enrobage dans vos produits ou pour en connaître la cause?

R. Vous revenez sur la même question de sémantique. Ce sera la même chose pour chaque question si vous ne me laissez pas donner ma version des faits.

Q. Vous n’avez jamais rien fait pour mettre au point un produit de substitution non contrefaisant après la poursuite aux États-Unis? Jusqu’en 2001, je me trompe?

R. Nous avions déjà un produit non contrefaisant, et je ne pouvais pas prédire sur quelle base une cour aurait conclu autrement.

Q. Vous n’avez jamais pris de mesure, après votre échec dans le litige aux États-Unis en 2007, pour obtenir un produit de rechange non contrefaisant? C’est exact?

R. Là encore, vous sous-entendez que le produit était contrefaisant. Il a été jugé contrefaisant aux États-Unis. Cela ne veut pas dire qu’il l’était ni qu’il aurait été considéré de la sorte au Canada.

[189] Il ressort de ce témoignage qu’il existait une certaine possibilité pour Apotex d’obtenir une licence pour le PSNC de Kudco sur une certaine base à un certain moment. MM. Thiel et Lewis ont indiqué que Kudco était opportuniste et aurait probablement demandé une redevance de 50 % sur les bénéfices bruts des ventes d’Apotex au Canada, et que les deux se seraient fort probablement entendues sur un taux de 30 à 40 %. De plus, Kudco n’avait pas d’accès direct au marché canadien et disposait d’une capacité de fabrication excédentaire.

[190] Toutefois, Apotex faisait face à un problème de taille : pour conclure un contrat, elle devait attendre que Kudco établisse que sa formulation d’oméprazole n’était pas contrefaisante. Cette conclusion a été tirée par la cour de district à la fin de 2002, puis confirmée en appel un an plus tard. Réalistement, c’est seulement au cours de cette période qu’Apotex aurait pu demander une approbation réglementaire du produit de Kudco auprès de Santé Canada. Il convient aussi de souligner que le produit de Kudco avait été approuvé aux États-Unis sous le nom de Prilosec (le produit d’oméprazole d’AstraZeneca vendu aux États-Unis) et non de Losec (le produit canadien) à titre de produit de référence. Il s’agit d’un point important car, quand Apotex a demandé une approbation pour l’apo-oméprazole, l’un des principaux obstacles qu’elle devait surmonter au Canada était son utilisation de Prilosec comme produit de référence. Par surcroît, compte tenu du témoignage de M. Sherman comme quoi Apotex aurait seulement envisagé une source tierce si elle avait échoué en interne, je ne crois pas qu’une telle stratégie relative à un PSNC aurait pu être sérieusement envisagée avant que la période de contrefaçon soit bien entamée.

[191] Cette théorie pose un autre problème encore plus important compte tenu de la faiblesse de la preuve présentée par Apotex à propos des conditions commerciales attendues d’un contrat de licence avec Kudco. Je ne crois pas qu’il aurait été aussi simple de conclure un tel contrat que le laisse supposer M. Sherman. Il a parlé d’un contrat stipulant des redevances raisonnables de 10 à 20 %. Dans la poursuite devant la cour de district des États-Unis, Apotex a fait valoir que le droit de licence ne devait pas dépasser 7 % (AstraZeneca AB v Apotex Corp, 985 F Supp 2d 452 (2013)). Kudco, quant à elle, a indiqué qu’elle négociait habituellement un taux de rendement de 30 à 40 %.

[192] Ce genre de témoignage n’est pas très utile. Il aurait été plus utile d’obtenir un témoignage fondé sur un modèle économique que ce genre de scénario anecdotique et hypothétique. Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’Apotex, selon toute vraisemblance, serait parvenue à conclure un contrat de licence quelconque avec Kudco durant la période de contrefaçon. Si je fais erreur en ce qui concerne la norme de preuve applicable et que le critère établi dans l’arrêt Athey c Leonati, [1996] 3 RCS 458, 140 DLR (4th) 235 s’applique, je placerais la possibilité d’un contrat avec Kudco pour l’approvisionnement du marché canadien au début de la période de contrefaçon à un taux de 15 % et avec une redevance de 35 % sur les ventes nettes d’Apotex.

[193] Je ne retiens pas non plus les déclarations des témoins de Kudco pour ce qui concerne la probabilité que Kudco ait envisagé d’octroyer une licence de vente à Apotex pour le marché américain. À mon avis, il est très improbable que Kudco, un chef de file dans le marché des produits génériques d’oméprazole, aurait sérieusement envisagé de conclure un contrat qui aurait fractionné davantage le marché américain, et certainement pas selon les conditions visées par Apotex. Les témoignages de MM. Thiel et Lewis à propos des conditions contractuelles dans lesquelles Apotex aurait pu accéder au marché étaient tout simplement trop vagues pour appuyer pareille conclusion. Il s’agit d’une faiblesse fondamentale dans l’argumentaire visant à faire valoir une thèse concernant un PSNC qui repose sur des hypothèses pour lesquelles il existe peu ou pas de précédents historiques.

[194] Le témoignage de M. Thiel m’inspire une autre réserve. Il a reconnu en contre-interrogatoire qu’il touchait un taux horaire de 500 $ US d’Apotex pour sa préparation et son témoignage au procès. Il est pour le moins suspect de verser à un témoin des faits une somme qui dépasse l’indemnisation des revenus perdus pour qu’il se prononce sur des événements hypothétiques. Cette pratique est d’autant plus douteuse que l’enquête était de nature rétrospective et que le témoin a été incité à fournir une réponse qui convient au payeur, ou à lui donner une tournure qui l’avantage. Je rejette le témoignage optimiste de M. Thiel quant aux perspectives hypothétiques d’une relation d’affaires avec Apotex.

D. Conclusion sur la disponibilité d’un PSNC

[195] Le témoignage de M. Sherman selon lequel la mise au point d’un PSNC de l’apo-oméprazole commercialement viable aurait été un processus simple et direct est démenti par l’histoire. Ce ne fut pas l’expérience d’Apotex en ce qui concerne l’apo-oméprazole, ni celle d’Estevé concernant sa formulation non contrefaisante. Ce n’est pas non plus l’expérience ce qui est arrivé avec les nombreuses formulations de PSNC qu’Apotex a mises à l’essai et qui, de son propre aveu, se sont avérées des échecs. En fin de compte, Apotex revendique sept formulations de substitution mais, comme il a été souligné ci-dessus, aucune ne s’est révélée acceptable ou commercialement viable. Pour les raisons susmentionnées, je ne crois pas non plus qu’Apotex aurait pu obtenir un PSNC d’un tiers.

[196] Par conséquent, Apotex n’a pas fait la démonstration, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait pu se procurer un PSNC de l’oméprazole à un moment quelconque durant la période de contrefaçon sur un marché ou autre.

III. Comment la Cour peut-elle concilier le jugement fondé sur l’article 8 en faveur d’Apotex dans le dossier T-2300-05 avec le jugement de contrefaçon en faveur d’AstraZeneca dans les dossiers T-1409-04 et T-1890-11?

[197] Les parties se sont entendues sur les dommages-intérêts réclamés par Apotex en application de l’article 8. Les seules autres questions qu’il me reste à trancher sont celles de savoir si Apotex peut recouvrer ce montant eu égard à : a) la contrefaçon équivalente du brevet 693, et b) à sa défense fondée sur le PSNC contre la requête en recouvrement d’AstraZeneca pour cette contrefaçon. Comme je l’ai évoqué ci-dessus, j’ai conclu qu’Apotex n’a pas et n’aurait pas pu se procurer un PSNC durant la période de contrefaçon. La seule question qui reste est celle de la corrélation entre le jugement fondé sur l’article 8 en faveur d’Apotex dans le dossier T-2300-05 et mon jugement en faveur d’AstraZeneca dans les dossiers T-1409-04 et T-1890-11.

[198] Apotex fait valoir que son droit à des dommages-intérêts est fixe et définitif, et qu’il ne peut être réexaminé. Elle invoque une série de jugements prononcés en sa faveur par notre Cour et la Cour d’appel fédérale et qui, selon les principes de la chose jugée et de l’abus de procédure, interdisent de débattre de nouveau du droit que lui confère l’article 8.

[199] AstraZeneca diverge d’opinion quant à l’importance des litiges précédents et soutient qu’elle n’est pas interdite de plaider qu’Apotex n’a droit à aucune indemnité. Selon AstraZeneca, Apotex n’a pas perdu de l’argent, mais seulement une occasion de contrefaire le brevet 693.

[200] Comme point de départ de cette analyse, il convient de poser certains principes sous-jacents à une requête en dommages-intérêts fondée sur l’article 8. Voici ce que prescrit l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement) :

8 (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

8 (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

 

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

 

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

 

(i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle-ci est plus appropriée,

 

(i) the certified date was, by the operation of An Act to amend the Patent Act and the Food and Drugs Act (The Jean Chrétien Pledge to Africa), chapter 23 of the Statutes of Canada, 2004, earlier than it would otherwise have been and therefore a date later than the certified date is more appropriate, or

 

(ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

 

(ii) a date other than the certified date is more appropriate; and

 

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

 

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

 

(2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

 

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

 

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action en contrefaçon du brevet visé par la demande.

 

(3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

 

(4) Lorsque le tribunal enjoint à la première personne de verser à la seconde personne une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte.

 

(4) If a court orders a first person to compensate a second person under subsection (1), the court may, in respect of any loss referred to in that subsection, make any order for relief by way of damages that the circumstances require.

 

(5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

 

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

 

(6) Le ministre ne peut être tenu pour responsable des dommages-intérêts au titre du présent article.

 

(6) The Minister is not liable for damages under this section.

 

[201] La disposition ci-dessus a été appliquée dans des circonstances similaires dans l’arrêt Apotex Inc. c Merck & Co. Inc., 2011 CAF 364, 430 NR 74 [Lovastatin 2011]. Dans cette affaire, Merck plaidait l’impossibilité pour Apotex de fonder un recours sur une cause immorale ou illégale (ex turpi causa actio non oritur) en application de l’article 8. L’argument de Merck était qu’Apotex ne pouvait demander réparation pour une perte consécutive à un acte de contrefaçon. En accueillant l’appel, le juge John Evans s’est prononcé en ces termes :

[36] Je n’accepte pas l’argument de Merck suivant lequel la Cour devrait intégrer dans cette disposition l’idée qu’elle ne s’applique pas [traduction] « si la demande présentée par la seconde personne est fondée sur la perte qu’elle a subie du fait qu’elle a été empêchée de contrefaire plus tôt le brevet de la première personne ». La présomption contre l’addition de termes dans un texte législatif peut être réfutée lorsque le contexte et l’objectif de la Loi le commandent. À mon avis, il n’est toutefois pas nécessaire d’intégrer une exception ex turpi causa dans le paragraphe 8(1) pour empêcher les contrefacteurs de brevet de se faire indemniser injustement par la première personne.

[37] Il en est ainsi parce que le paragraphe 8(5) confère un large pouvoir discrétionnaire au tribunal lorsqu’il s’agit d’évaluer le montant de l’indemnité que la seconde personne doit verser. Le paragraphe 8(5) prévoit que, pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal « tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin », y compris, le cas échéant, de la conduite de l’une ou l’autre personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande d’interdiction présentée par la première personne. À mon avis, cette disposition habilite la Cour à déterminer, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, si l’indemnité demandée par la seconde personne devrait être réduite ou éliminée, et dans quelle mesure elle devrait l’être.

[38] Le vaste pouvoir discrétionnaire dont elle dispose en vertu du paragraphe 8(5) permet à la Cour, lorsqu’elle examine des arguments fondés sur l’exception ex turpi causa, de considérer la situation factuelle en son entier, dans toutes ses nuances. En l’espèce, une des nuances dont on peut tenir compte est le fait que ce ne sont pas tous les comprimés vendus par Apotex qui ont été, dans le cadre de l’action en contrefaçon, considérés comme contenant de la lovastatine fabriquée au moyen du procédé argué de contrefaçon. Le tribunal sera sans doute mieux en mesure d’appliquer le principe ex turpi causa dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire plutôt qu’en appliquant des règles délimitant la responsabilité. En vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré, le tribunal est en mesure de déterminer le montant approprié de l’indemnité à accorder (lequel peut être égal à zéro) d’une manière qui tient dûment compte de tous les faits pertinents.

[Non souligné dans l’original.]

[202] Le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par le paragraphe 8(5) doit donc être exercé en tenant dûment compte de toutes les circonstances influant sur la demande d’indemnisation.

[203] La requête en dommages-intérêts présentée par Apotex au titre de l’article 8 fait suite à l’instance sur un avis de conformité entendue initialement par le juge John A. O’Keefe relativement au brevet 762 d’AstraZeneca. Ce brevet visait conjointement un médicament contenant de l’oméprazole et un composé antibactérien. Le juge O’Keefe a rejeté la demande d’AstraZeneca au motif qu’elle n’avait pas démontré que le produit d’Apotex emporterait contrefaçon (AstraZeneca AB c Apotex Inc., 2004 CF 313, 33 CPR (4th) 97). C’est à la suite du jugement du juge O’Keefe qu’Apotex a intenté la présente action en indemnisation pour pertes fondée sur l’article 8, dont je suis saisi sous le dossier T-2300-05. Cette action a d’abord été entendue par le juge Roger Hughes au début de 2012; son jugement est exposé dans Apotex Inc. c AstraZeneca Canada Inc., 2012 CF 559, 410 FTR 168.

[204] Lorsque le juge Hughes a instruit l’affaire, il était au courant de l’action en contrefaçon du brevet 693 intentée par AstraZeneca contre Apotex dans le dossier T-1409-04, laquelle était en instance. L’une des questions présentées conjointement au juge Hughes était la suivante :

5. La présumée contrefaçon du brevet 693 est-elle pertinente en droit et peut-elle notamment être invoquée en défense en réponse à la demande présentée par Apotex en vertu de l’article 8 (notamment en réduisant le montant des dommages-intérêts) (dans l’affirmative, voir le paragraphe 4 de l’ordonnance du 4 octobre 2011)?

[205] Dans son analyse de la question, le juge Hughes cite l’arrêt Lovastatin 2011 de la Cour d’appel fédérale, précité, ainsi que la décision Les Laboratoires Servier v Apotex Inc, [2011] EWHC 730, du Tribunal des brevets, Division de la chancellerie de la Haute Cour de justice du Royaume-Uni [Servier]. Le juge Hughes a habilement résumé l’enjeu de l’affaire Servier comme suit :

[143] La question du principe ex turpi causa a été soumise à la Haute Cour de justice du Royaume‑Uni et plus précisément au Tribunal des brevets de la Division de la chancellerie dans l’affaire Les Laboratoires Servier c. Apotex Inc, [2011] EWHC 730 (Pat), décision rendue par le juge Arnold. Dans cette affaire, Apotex était sous le coup d’une interdiction de vendre du périndopril au Royaume‑Uni aux termes d’une injonction interlocutoire prononcée au procès. Servier, qui avait obtenu l’injonction, avait donné un engagement au sujet des dommages‑intérêts. Apotex avait obtenu gain de cause au procès et réclamait des dommages‑intérêts conformément à l’engagement en question. Servier soutenait que, de toute façon, Apotex n’aurait pas pu fabriquer et vendre des produits étant donné qu’ils auraient été fabriqués au Canada. La Cour fédérale du Canada (la juge Snider) avait jugé que le produit d’Apotex contreferait un brevet valide détenu par Servier au Canada, et qu’il serait par conséquent illicite de la part d’Apotex de fabriquer et d’exporter le produit du Canada (Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2008 CF 825). Le juge Arnold a procédé à une analyse approfondie des règles de droit relatives au principe ex turpi causa et a conclu que l’illégalité avérée devait être suffisamment grave pour qu’il y ait application du principe et que cette illégalité devait être liée à une activité personnelle du demandeur et non à une activité attribuable à autrui.

[206] Bien qu’aucun élément de la décision du procès Servier n’ait été infirmé en appel, le juge Hughes a observé qu’Apotex avait fait une concession dans cette affaire qui « joue un rôle crucial dans la décision de la Cour d’appel d’infirmer le jugement de première instance ». En faisant cette concession, Apotex a accepté que son indemnité pour pertes dans l’instance britannique soit diminuée des dommages-intérêts accordés à Servier dans l’action en contrefaçon au Canada (au titre des coûts de fabrication supplémentaires). Cette concession avait été faite par souci de courtoisie et pour éviter une surindemnisation pour Apotex. Le juge Hughes a précisé que la solution préconisée dans la décision Servier s’accordait avec celle qui pouvait légitimement être proposée dans l’espèce. Il poursuit ainsi au paragraphe 148 :

Advenant le cas où le tribunal qui instruira l’action en contrefaçon pendante conclurait que le brevet est valide et a été contrefait par Apotex lorsqu’elle a fabriqué le médicament à base d’oméprazole faisant l’objet de la présente instance, il peut en même temps élaborer une réparation appropriée en tenant compte de l’indemnité accordée dans la présente instance. Il serait impensable que la présente instance cesse ou que notre Cour refuse d’accorder une indemnité pour la simple raison qu’une autre action ou un autre brevet est en instance. Agir ainsi ne ferait qu’encourager l’introduction de telles actions. La meilleure façon de traiter cette question est d’adopter la solution que je viens d’exposer.

[Non souligné dans l’original.]

[207] Le juge Hughes résume comme suit sa conclusion à ce sujet :

CONCLUSION : Eu égard aux circonstances de l’espèce, le principe ex turpi causa ne s’applique pas; la possibilité que la Cour arrive un jour à une conclusion de contrefaçon ne suffit pas pour que ce principe s’applique. L’existence d’une action en contrefaçon n’a aucune incidence sur la conclusion à tirer en vertu du paragraphe 8(1) en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[208] Le juge formule ensuite son jugement :

1. Apotex a le droit d’être indemnisée pour les pertes qu’elle a subies en raison de l’instance introduite par AstraZeneca dans le dossier T‑2311‑01 pour la période comprise entre le 3 janvier 2002 et le 30 décembre 2003, conformément aux dispositions du paragraphe 8(1) du Règlement;

2. Il n’y a rien qui justifie l’exercice du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 8(5) du Règlement confère à la Cour pour réduire cette indemnité ou pour refuser de l’accorder;

[…]

[209] Dans son appel de la décision du juge Hughes, AstraZeneca soulève notamment la question suivante :

1. Le fait qu’AstraZeneca a poursuivi Apotex pour contrefaçon du brevet en litige et que le procès pour contrefaçon soit toujours en cours est‑il pertinent, s’agissant de la demande fondée sur l’article 8?

[210] La Cour d’appel a confirmé le jugement du juge Hughes sur cette question pour les motifs suivants (AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2013 CAF 77, 444 NR 254) :

[4] La première question a été soulevée lorsqu’AstraZzeneca a demandé au juge Hughes de reporter à plus tard le calcul de l’indemnité en vertu de l’article 8 parce qu’aucune décision n’avait encore été rendue au sujet de l’action en dommages‑intérêts qu’elle avait intentée contre Apotex pour contrefaçon. Nous rappelons que, suivant la jurisprudence, pour calculer l’indemnité prévue à l’article 8, le juge a, en vertu du paragraphe 8(5), le pouvoir discrétionnaire de limiter le montant de l’indemnité en appliquant le principe ex turpi causa, ce qui pourrait comprendre une réclamation en contrefaçon (Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2011 CAF 364, aux paragraphes 36 à 38). Dans le cas qui nous occupe, toutefois, aucun tribunal n’a encore jugé qu’Apotex avait contrefait le brevet ou l’aurait fait, n’eût été le sursis légal obligatoire dans le cas d’une procédure d’interdiction.

[5] Le juge Hughes avait le pouvoir discrétionnaire de refuser la demande d’AstraZeneca en vue de retarder l’instance et c’est ce qu’il a fait. On ne nous a pas convaincus que le dossier révèle l’existence d’un motif justifiant l’intervention de la Cour.

[6] Le motif fondamental de la décision rendue par le juge Hughes sur ce point se trouve au paragraphe 148 de ses motifs :

[...] Advenant le cas où le tribunal qui instruira l’action en contrefaçon pendante conclurait que le brevet est valide et a été contrefait par Apotex lorsqu’elle a fabriqué le médicament à base d’oméprazole faisant l’objet de la présente instance, il peut en même temps élaborer une réparation appropriée en tenant compte de l’indemnité accordée dans la présente instance. [...]

[7] Nous souscrivons à cet énoncé. C’est au juge chargé d’instruire l’action en contrefaçon qu’il reviendra de s’assurer que, globalement et compte tenu des deux instances, l’intéressé est, le cas échéant, indemnisé de ses pertes prouvables, conformément aux principes appropriés, ni plus et ni moins.

[Non souligné dans l’original.]

[211] La décision précitée n’a pas mis fin au litige. Lorsque notre Cour a conclu à l’existence de contrefaçon contre Apotex dans les dossiers T-1409-04 et T-1890-11, AstraZeneca a demandé un réexamen au juge Hughes dans le dossier T-2300-05. AstraZeneca demandait que le jugement initial du juge Hughes soit précisé et qu’il soit indiqué au juge du renvoi de prendre en considération la décision de contrefaçon dans les dossiers T-1409-04 et T-1890-11 afin de réduire l’indemnité ou de la refuse.

[212] Le juge Hughes a rejeté la requête d’AstraZeneca pour les motifs suivants : mon jugement était toujours en appel et la réparation demandée constituait une demande inappropriée selon l’article 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, visant à annuler l’effet de son jugement d’origine.

[213] AstraZeneca a échoué une nouvelle fois en appel (Astrazeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2016 CAF 194, (2016) ACF 759 (QL)). Dans son examen de l’effet de mon jugement de contrefaçon subséquent sur l’action d’Apotex fondée sur l’article 8 du Règlement, la Cour d’appel s’est prononcée en ces termes :

[9] AstraZeneca faisait valoir notamment que le juge Hughes avait commis une erreur en concluant à la non-pertinence de l’action pendante en contrefaçon dans l’action en dommages-intérêts intentée en vertu de l’article 8 du Règlement. Notre Cour a rejeté cet argument d’AstraZeneca et a réitéré expressément la validité du passage cité plus haut au paragraphe 6, qui représente le motif fondamental étayant la décision du juge Hughes. Et notre Cour d’ajouter « [c]’est au juge chargé d’instruire l’action en contrefaçon qu’il reviendra de s’assurer que, globalement et compte tenu des deux instances, l’intéressé est, le cas échéant, indemnisé de ses pertes prouvables, conformément aux principes appropriés, ni plus et ni moins. »

[10] C’est dans ce contexte qu’AstraZeneca a formé une requête en modification du jugement du 11 mai 2012. Cette requête était fondée sur une conclusion, formulée par le juge Barnes de la Cour fédérale dans l’instruction de l’action en contrefaçon de brevet, selon laquelle Apotex avait contrefait certaines revendications du brevet 693 (2015 CF 322 et 2014 CF 671). AstraZeneca assimilait cette conclusion à un fait nouveau survenu après le jugement par lequel le juge Hughes avait tranché l’action fondée sur l’article 8.

[11] Cette requête d’AstraZeneca sollicitait deux modifications du jugement. Premièrement, AstraZeneca voulait y faire ajouter que le juge du renvoi, au moment de calculer les dommages-intérêts à verser à Apotex, pourrait tenir compte du jugement du juge Barnes. Deuxièmement, elle demandait que soit infirmée la conclusion du juge Hughes selon laquelle rien ne justifiait l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 8(5) du Règlement permettant de réduire l’indemnité d’Apotex ou de lui refuser toute indemnisation. La version du jugement que proposait AstraZeneca porterait plutôt que le juge du renvoi pourrait tenir compte du jugement du juge Barnes dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 8(5).

[12] Comme on l’a vu, le juge Hughes a rejeté cette requête en modification. Il a motivé amplement sa décision. Pour les besoins du présent appel, il suffira d’examiner deux raisons.

[13] Le juge Hughes avait principalement rejeté la requête parce qu’il avait expressément prévu dans sa décision originale la possibilité qu’un jugement de contrefaçon d’un autre brevet soit rendu contre Apotex par la suite. En outre, notre Cour avait souscrit à sa conclusion selon laquelle il appartiendrait au juge de l’action en contrefaçon de faire en sorte que l’indemnisation de la partie lésée ne soit ni excessive ni insuffisante. Par conséquent, écrivait le juge Hughes, [traduction] « le seul fait nouveau est ici que le cas hypothétique envisagé d’abord par moi, puis par la Cour d’appel, s’est matérialisé. Cela ne change rien à l’affaire. J’avais déjà pris en considération ce qui est maintenant devenu réalité et je m’étais prononcé à ce sujet. Rien n’a changé. »

[14] Je suis d’accord avec le juge Hughes sur ce point, pour la raison même qu’il expose. La décision du juge Barnes selon laquelle le brevet 693 a été contrefait n’est pas assimilable, pour l’application de l’alinéa 399(2)a) des Règles, à un fait nouveau survenu ou découvert après le jugement qu’a rendu le juge Hughes dans l’action fondée sur l’article 8 du Règlement. Cette conclusion règle le sort du présent appel.

[…]

[24] Une dernière remarque s’impose. Le présent appel et la requête illustrent les difficultés qui découlent de conclusions contradictoires formulées dans des instances parallèles portant respectivement sur la contrefaçon de brevets et sur l’indemnisation sous le régime de l’article 8. Je ne puis ici que répéter la mise au point donnée par la juge Sharlow dans l’appel antérieur, selon laquelle « [c]’est au juge chargé d’instruire l’action en contrefaçon qu’il reviendra de s’assurer que, globalement et compte tenu des deux instances, l’intéressé est, le cas échéant, indemnisé de ses pertes prouvables, conformément aux principes appropriés, ni plus et ni moins ».

[214] Je retiens des observations exposées ci-devant, et notamment de celles de la Cour d’appel fédérale, que ma qualité de juge du renvoi me donne toute latitude, sous le régime de l’article 8, de prendre en compte le jugement de contrefaçon prononcé entre-temps, entre autres faits pertinents, et de formuler une réparation adéquate.

[215] Cette constatation est également compatible avec les paramètres généraux du pouvoir discrétionnaire discutés dans l’arrêt Lovastatin 2011, précité.

[216] Je ne puis admettre qu’AstraZeneca soit frustrée de son droit de soulever cette question contre Apotex en raison de la séquence dans laquelle notre Cour a été saisie de chaque acte dans la présente procédure. Si Apotex avait été obligée de répondre à une conclusion de contrefaçon du brevet 693 avant que le juge Hughes prononce son jugement fondé sur l’article 8, aucune raison de principe n’aurait permis d’écarter ce résultat au motif que les décisions auraient été rendues dans un ordre inversé.

[217] On tente en fait de me convaincre que, pour recouvrer les « pertes » découlant de son empêchement de vendre de l’apo-oméprazole entre le 3 janvier 2002 et le 30 décembre 2003 en raison du brevet 762 d’AstraZeneca, Apotex devait nécessairement contrefaire le brevet 693 d’AstraZeneca. Par conséquent, l’indemnité pour pertes demandée par Apotex sous le régime de l’article 8 serait compensée par les coûts de la contrefaçon équivalente ou, comme l’a dit AstraZeneca, si Apotex était entrée sur le marché pendant la période de responsabilité selon l’article 8, elle aurait été tenue de restituer à AstraZeneca les bénéfices qu’elle a réalisés.

[218] Comme l’a observé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lovastatin 2011, précité, il n’est pas nécessaire d’appliquer la théorie de l’illégalité pour trancher cette question. En fait, l’application stricte de ce principe peut, dans certains cas, entraîner une indemnité insuffisante pour une partie. C’est essentiellement ce qu’a souligné le juge Toulson de la Cour suprême du Royaume-Uni dans l’appel de dernier ressort de la décision rendue en première instance dans l’affaire Servier (Les Laboratoires Servier v Apotex Inc, (2014) UKSC 55 [Servier UKSC]) :

[traduction]

52. L’ordonnance rendue par la Cour d’appel respecte la méthode d’évaluation préconisée par le juge Diplock. Comme le lord juge Etherton l’explique au paragraphe 88 de son jugement, elle place Apotex exactement dans la même position que s’il n’y avait pas eu d’injonction interlocutoire au Royaume-Uni, et elle ne porte pas atteinte au principe de courtoisie judiciaire envers le Canada. Apotex recouvrera tout solde restant sur le produit de ventes perdues après déduction du coût des ventes et du montant des dommages-intérêts pour contrefaçon de brevet qu’elle aurait à verser à Servier dans les instances au Canada. L’issue, comme l’a précisé le lord juge Etherton, ne porterait pas atteinte à la courtoisie envers le Canada ni à l’intérêt public du Royaume-Uni.

53. Par contraste, l’ordonnance sollicitée par Servier pourrait la placer dans une position plus avantageuse que si elle n’avait pas obtenu l’injonction à l’égard de laquelle elle a pris un engagement réciproque au Royaume-Uni. J’utilise le conditionnel parce qu’il reste à connaître le montant des dommages-intérêts qui sera calculé par la cour canadienne pour la contrefaçon par laquelle Apotex a réalisé des ventes au Royaume-Uni. Il sera facile ensuite de faire le même calcul pour les ventes perdues que celui qu’aura fait la cour canadienne pour les ventes réelles d’Apotex. Il pourrait s’ensuivre qu’Apotex ne puisse pas déclarer de perte après la déduction des dommages-intérêts qu’elle devra verser au Canada (si telle est l’issue des instances canadiennes).

[…]

63. Les engagements réciproques représentent un dispositif courant et précieux des litiges, surtout s’ils sont de nature commerciale, mais pas seulement. Leur caractère exécutoire est d’intérêt public notamment dans le cas de différends légitimes. Ces engagements évitent à la cour d’avoir à effectuer une évaluation détaillée, coûteuse en temps et en argent, du bien-fondé d’une affaire au stade interlocutoire puisqu’ils protègent le défendeur contre l’avantage financier que le demandeur pourrait tirer d’une injonction ultérieurement annulée lorsque la requête est rejetée. Je ne trouve aucun motif d’intérêt public de placer Servier dans une position plus favorable que si l’injonction n’avait pas été prise au Royaume-Uni, ou d’obliger Apotex à lui verser, pour cause de violation du brevet, une somme supplémentaire à celle calculée par la cour canadienne en contrepartie équitable de la violation

[219] Il s’ensuit qu’Apotex n’a droit à aucun recouvrement aux termes de l’article 8 du Règlement puisqu’elle n’a subi aucune perte pour avoir été écartée du marché du 3 janvier 2002 au 30 décembre 2003.

IV. Concernant les bénéfices qu’Apotex a tirés de la contrefaçon du brevet 693, quelle est l’indemnité appropriée relativement aux bénéfices réalisés sur les bénéfices?

[220] Les parties ne nient pas qu’une indemnité pour « bénéfices réalisés sur les bénéfices » devrait être établie au titre du droit d’AstraZeneca à des bénéfices. Leur seule divergence de vues a trait au montant et à la méthode de calcul d’un taux. AstraZeneca demande une indemnité équivalant au taux préférentiel majoré de 2 % et composé sur une année. Apotex plaide pour l’intérêt simple au taux bancaire.

[221] C’est à Apotex qu’incombe la charge à cet égard : Reading & Bates Construction Co. c Baker Energy Resources Corp. (1994), 58 CPR (3d) 359, à la page 375, 175 NR 225 (CAF) [Reading & Bates CAF]).

[222] L’octroi d’intérêts sur les bénéfices ne relève pas strictement du pouvoir discrétionnaire. Une telle indemnisation prend en compte les bénéfices supplémentaires réalisés par le contrefacteur sur des fonds acquis illicitement (Teledyne Industries, Inc v Lido Industrial Products Ltd (1982), 68 CPR (2d) 204, à la page 226, [1982] FCJ No 1024 (QL) (CFPI)).

[223] S’il est impossible de déterminer la manière exacte dont le contrefacteur a utilisé ses bénéfices, il est présumé qu’il « en [a] fait le meilleur usage possible » (Reading & Bates CAF, à la page 376, et Adir c Apotex Inc., 2015 CF 721, au paragraphe 146, 482 FTR 276 [Périndopril CF]). Dans une telle situation, la Cour estime le rendement à partir d’autres formules possibles d’investissements ou d’emprunts. L’intérêt composé représente la démarche présumée (Reading & Bates CAF, à la page 374).

[224] Comme c’était le cas dans la décision Périndopril CF, précitée, la preuve en l’espèce ne me permet pas de déterminer avec certitude comment Apotex a utilisé les recettes des ventes d’apo-oméprazole. Ces recettes, de concert avec celles qu’elle avait tirées de ses autres produits, ont été investies dans les activités courantes de son entreprise. En outre, des sommes ont été transférées entre Apotex et Apotex Pharmachem Holdings Inc. sur une base quotidienne.

[225] Ni Paula Frederick ni Howard Rosen n’ont été d’un grand secours pour le calcul du taux de rendement, chacun ayant fixé un taux favorable à la partie qui avait retenu ses services. Des éléments de preuve ont été produits relativement au coût des emprunts contractés par Apotex auprès de tiers, |||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Apotex ne semble pas avoir considéré que le remboursement de ces prêts était prioritaire.

[226] Il ressort clairement des bilans d’Apotex qu’elle a affecté une bonne partie du produit de ses activités dans ses dépenses d’investissement ainsi que dans la recherche et le développement. L’impression générale que laisse ce bilan est qu’Apotex a utilisé ses bénéfices essentiellement pour assurer la prospérité de l’entreprise durant la période de contrefaçon visée.

[227] Apotex invoque ses interactions financières avec des entreprises liées comme preuve de son rendement, mais je ne souscris pas à cette approche. À mon avis, des opérations avec des entreprises qui ont un lien de dépendance ne peuvent pas servir de fondement à une évaluation du taux de rendement adéquat. La raison à cela est que les modalités de ce genre d’ententes peuvent être facilement manipulées à l’avantage de l’une des parties. Par exemple, une partie pourrait facilement sous-utiliser ses bénéfices en les transférant à une partie liée à un taux d’intérêt faible ou nul. De même, une partie pourrait emprunter de l’argent à l’autre partie à un taux exorbitant et gonfler artificiellement ses coûts.

[228] La décision de ma collègue, la juge Jocelyne Gagné, dans la décision Périndopril CF, précitée, est très éclairante quant à l’application optimale de la jurisprudence dans des circonstances similaires. Comme dans la présente affaire, la juge Gagné n’a pas été en mesure d’établir les bénéfices réalisés par Apotex sur ses ventes de périndopril. Elle a constaté que dans la majorité des décisions pertinentes, le taux préférentiel majoré de 1 ou 2 % avait été utilisé à la place du taux de rendement exact des bénéfices. Elle a aussi observé que les activités d’Apotex étaient hautement lucratives. En fin de compte, elle a opté pour le taux préférentiel composé, au détriment d’Apotex. Elle a appliqué des taux un peu plus élevés à l’octroi contre Pharmachem compte tenu de ses coûts d’emprunt plus élevés (taux préférentiel majoré de 0,5 et de 1 %, tous deux composés).

[229] J’estime que le taux repère retenu dans les affaires mettant en cause des bénéfices réalisés sur les bénéfices, comme en l’espèce, est invariablement le taux préférentiel ou un taux légèrement supérieur, composé annuellement. À l’inverse, on trouve peu de jurisprudence récente ayant retenu un taux supérieur au taux préférentiel majoré de 2 %. En l’espèce, j’opte pour un taux préférentiel composé annuellement.

A. Incidences fiscales des bénéfices réalisés sur les bénéfices

[230] Mme Frederick a reconnu dans son rapport qu’une déduction d’impôt sur le revenu serait justifiée dans son évaluation des bénéfices réalisés sur les bénéfices. Elle n’a cependant pas fait de redressement d’impôt puisqu’Apotex n’avait pas produit de déclarations de revenus pour la période en question.

[231] En contre-interrogatoire, il a été suggéré à Mme Frederick qu’elle aurait pu appliquer le taux d’imposition des sociétés pour estimer un redressement adéquat. Elle n’a pas acquiescé à cette suggestion parce que, selon elle, Apotex est exploitée dans un environnement fiscal complexe, dans lequel des crédits généreux sont offerts pour la recherche et le développement, et qui laisse peu de place aux hypothèses (transcription, pages 306 à 308).

[232] J’abonde dans le même sens que Mme Frederick sur ce point. Pour éviter toute confusion, Apotex aurait pu produire ses déclarations de revenus, mais elle a refusé de le faire. Ce n’est pas la première fois qu’Apotex se trouve dans une telle situation. Dans l’arrêt Wellcome Foundation Ltd. c Apotex Inc., [2001] 2 CF 618, 11 CPR (4th) 218 (CA), la Cour a observé, au paragraphe 30, qu’Apotex n’avait « pas produit ses déclarations de revenus comme preuve de l’impôt payé ». La Cour ajoute que les états financiers d’Apotex « contenaient uniquement des projections » et constituaient des substituts inadéquats. La Cour a ajouté que même si elle était consciente de la possibilité qu’elle soit tenue responsable, Apotex n’a « pas tenu des registres financiers qui permettaient de savoir avec certitude quelles dépenses pouvaient être attribuées à ses diverses gammes de produits » (au paragraphe 31). Les mêmes observations peuvent être faites à propos de certains documents qu’Apotex a produits en l’espèce.

[233] Par conséquent, je n’autorise aucun redressement fiscal de l’indemnité octroyée au titre des bénéfices réalisés sur les bénéfices.

V. Concernant la contrefaçon du brevet 693, quelle est l’indemnité appropriée compte tenu de l’indemnité établie pour la contrefaçon du brevet américain 505 de la Cour de district des États-Unis et versée en règlement par Apotex?

[234] Il reste un point de discorde entre les parties, à savoir le traitement adéquat de l’octroi de l’indemnité par la Cour de district à AstraZeneca pour la contrefaçon par Apotex du brevet américain 505. Les parties ont réglé les problèmes de comptabilité relativement à cette question, mais ne s’entendent pas sur l’effet juridique du jugement rendu aux États-Unis concernant l’indemnisation d’AstraZeneca dans la présente instance. Les parties ont soumis quatre options à la Cour, y compris la restitution de tous les bénéfices à l’exportation réalisés par Apotex aux États-Unis, moins le montant de l’indemnité versée en règlement du jugement prononcé aux États-Unis (en plus du montant déjà versé dans l’instance américaine). Voici les quatre scénarios d’indemnisation soumis à l’examen de la Cour :

  • Scénario A – Apotex restitue l’intégralité des bénéfices à l’exportation réalisés aux États-Unis, moins sa portion du jugement américain.

  • Scénario B – Apotex restitue les bénéfices à l’exportation réalisés aux États-Unis après le 20 avril 2007, soit la date d’expiration du brevet américain.

  • Scénario C – Apotex restitue les bénéfices à l’exportation réalisés aux États-Unis après le 20 octobre 2007, soit la date d’expiration de la prorogation à des fins pédiatriques.

  • Scénario D – Apotex ne restitue pas les bénéfices à l’exportation réalisés aux États-Unis.

[235] AstraZeneca demande à être indemnisée selon le scénario A, alors qu’Apotex maintient que le scénario D est l’approche juridiquement correcte. Apotex propose les scénarios B et C seulement dans l’éventualité où le scénario D ne serait pas retenu. Les parties se sont entendues sur les montants à verser (le cas échéant) en fonction du jugement de la Cour sur le droit de recouvrement.

[236] L’objection fondamentale soulevée par Apotex concernant le versement d’une indemnisation supplémentaire sur ses ventes aux États-Unis repose sur les principes de la préclusion pour même cause d’action (y compris le principe de l’obligation d’opter), découlant de la question déjà tranchée et de l’abus de procédure. AstraZeneca soutient qu’elle n’est pas juridiquement interdite de toucher une indemnité complémentaire dans la présente instance si Apotex est créditée intégralement pour le paiement versé en exécution du jugement du tribunal américain (éliminant ainsi tout risque de double indemnisation).

[237] Les décisions judiciaires invoquées par les parties ne tranchent pas la question de savoir comment la Cour doit traiter l’indemnité accordée par la Cour de district, si ce n’est qu’elle doit tenir compte de l’intégralité du paiement versé par Apotex en exécution de son jugement. Les parties s’entendent sur ce point. Apotex avance que parce qu’AstraZeneca réclame une indemnisation aux États-Unis, elle ne peut demander réparation pour manque à gagner dans la présente instance. AstraZeneca soutient que rien sur le plan juridique ne l’empêche d’exiger une pleine indemnisation pour contrefaçon du brevet 693 par Apotex.

[238] La jurisprudence canadienne la plus susceptible de toucher à l’argument fondé sur la doctrine de la chose jugée qui est avancé par Apotex est Apotex Inc. c Sanofi-Aventis, 2011 CF 1486, 101 CPR (4th) 1. Dans cette affaire, Apotex a invoqué une entente de règlement d’une action instruite aux États-Unis comme empêchement au recouvrement dans une action en contrefaçon entre les parties au Canada. Le juge Richard Boivin a rejeté l’argument d’Apotex que l’entente de règlement était censée s’appliquer au Canada. Il a aussi discuté des arguments fondés sur la chose jugée et l’abus de procédure avancés par Apotex dans les termes suivants :

[284] Finalement, la Cour rappelle qu’Apotex a également soulevé la défense de préclusion et la défense d’abus de procédure en ce qui concerne les accords de règlement.

[285] En ce qui concerne la préclusion, Apotex soutient que, selon ce principe, Sanofi est empêchée de faire valoir dans cette action ce qui, selon Apotex, constitue une deuxième demande d’indemnisation portant sur la même fabrication et la même vente de l’Apo-clopidogrel américain.

[286] Apotex soutient aussi que le jugement de nature pécuniaire rendu dans l’action américaine clopidogrel a été obtenu sur la base d’un arrangement contractuel entre les parties dans lequel elles s’accordaient sur ce qui est essentiellement une question factuelle (la mesure des « dommages réels » de Sanofi dans l’éventualité d’un lancement à risque par Apotex aux États-Unis et d’une décision judiciaire ultérieure concluant à la validité et à la contrefaçon du brevet 265). Il s’ensuit, affirme Apotex, que Sanofi réclamerait des dommages-intérêts au Canada au titre des mêmes pilules que celles qui ont été vendues aux États-Unis et pour lesquelles des dommages‑intérêts ont été accordés par le juge Stein, de la Cour de district des États‑Unis – district Sud de l’État de New York.

[287] Apotex affirme aussi que, si Sanofi peut obtenir un état comptable des bénéfices, Sanofi sera en mesure de recouvrer les 50 p. 100 qui avaient été négociés dans les accords de mars et mai 2006. Comme Apotex prétend avoir aligné sa conduite sur cette stipulation, Apotex soutient que Sanofi devrait être empêchée de chercher à s’y soustraire.

[288] La défense de préclusion a pour effet d’empêcher une partie de soumettre la même cause d’action à la justice une deuxième fois (arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44 (CanLII), [2001] 2 RCS 460, aux paragraphes 18 et 54). Dans l’arrêt Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63 (CanLII), [2003] 3 RCS 77, au paragraphe 23, la Cour suprême du Canada écrivait que trois (3) conditions préalables doivent être réunies pour que la défense de préclusion puisse être admise :

[23] […] (1) la question doit être la même que celle qui a été tranchée dans la décision antérieure; (2) la décision judiciaire antérieure doit avoir été une décision finale; (3) les parties dans les deux instances doivent être les mêmes ou leurs ayants droit (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 RCS 44, [2001] 2 R.C.S. 460, paragraphe 25 (le juge Binnie)). La dernière exigence, à laquelle on a donné le nom de « réciprocité », a été largement abandonnée aux États-Unis et, dans ce pays ainsi qu’au Royaume-Uni, elle a suscité un ample débat en doctrine et en jurisprudence, comme elle l’a fait dans une certaine mesure ici (voir G. D. Watson, « Duplicative Litigation: Issue Estoppel, Abuse of Process and the Death of Mutuality » (1990), 69 R. du B. can. 623, page 648-651). […]

[289] Le principe de l’autorité de la chose jugée peut s’énoncer essentiellement ainsi : après qu’est tranchée une question litigieuse, le défendeur ne peut être poursuivi une deuxième fois pour la même cause d’action, et il est dans l’intérêt de la société que les décisions judiciaires présentent un caractère final et concluant (voir l’arrêt Angle c Canada (Ministre du Revenu national), 1974 CanLII 168 (CSC), [1975] 2 RCS 248, à la page 267; CPU Options, Inc c Milton (2006), 2006 CanLII 1670 (ON SC), 79 OR (3d) 365, au paragraphe 15 (Cour supérieure de justice de l’Ontario)).

[290] Sur cette toile de fond, la Cour n’est pas en mesure d’admettre la défense de préclusion avancée par Apotex, parce que le litige aux États-Unis ainsi que les accords ne traitaient pas de la contrefaçon ou de la validité du brevet 777. Il n’est donc pas loisible à la Cour de conclure que la question est la même que celle qui était réglée dans les accords. La Cour partage, par conséquent, l’avis de Sanofi pour qui, lorsque les droits sur lesquels se fonde une cause d’action n’ont pas été déterminés dans l’instance antérieure, le principe de préclusion ne s’applique pas.

[291] Apotex a également soulevé la défense d’abus de procédure. En common law, les juges disposent, pour empêcher les abus de procédure, d’un pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent (arrêt SCFP, précité, au paragraphe 35). Cependant, la Cour n’a pas été convaincue que la présente affaire se résumait à une question d’abus de procédure. Au vu de la preuve, et pour les motifs susmentionnés, la Cour n’est toujours pas convaincue que Sanofi s’adresse aux tribunaux d’une manière abusive, ni que l’intégrité des procédures judiciaires est ici menacée.

[Non souligné dans l’original.]

[239] En appel, la Cour a refusé de trancher la question de savoir si les pertes résultant de la contrefaçon de brevets américains et canadiens étaient identiques et ne pouvaient donc entraîner recouvrement, conformément à la règle contre la double indemnisation (voir Sanofi-Aventis c Apotex Inc., 2013 CAF 186, 114 CPR (4th) 1) :

[115] Je conviens que, vu la règle en equity contre le double recouvrement, Sanofi ne saurait être dédommagée deux fois de la même perte. Dans la mesure où la vente du clopidogrel aux États-Unis en violation du brevet 265 correspond à la perte qu’a subie Sanofi lorsqu’Apotex a exporté le médicament aux États-Unis aux fins de vente, elle ne peut être dédommagée qu’une seule fois de cette perte. Je ferais toutefois remarquer qu’il n’a pas encore été établi que la contrefaçon des brevets 265 et 777 du fait de l’exportation de clopidogrel aux États-Unis représente, en fait et en droit, la même perte. Comme l’affaire doit être renvoyée au juge de première instance pour qu’il réexamine la question des mesures, je n’en dirai pas plus sur le sujet.

[240] L’argument de la chose jugée plaidé par Apotex n’est pas fondé sur une allégation d’inconduite. Elle invoque plutôt un principe d’intérêt public selon lequel AstraZeneca aurait dû être empêchée de chercher essentiellement la même indemnisation à deux endroits. Autrement dit, Apotex estime qu’après avoir opté pour une indemnisation aux États-Unis, AstraZeneca doit maintenant accepter cette indemnité à titre de restitution intégrale de son dû par suite des ventes d’Apotex aux États-Unis en violation du brevet 693.

[241] À l’appui de son argument, Apotex invoque l’arrêt de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans JRT Nurseries Inc v 0843374 BC Ltd, 2016 BCSC 501, [2016] BCJ No 578 (QL) [JRT]. Dans cette affaire, des instances en indemnisation des dommages résultant d’un ensemble commun de faits ont été introduites en Oregon et en Colombie-Britannique. L’affaire a d’abord été entendue en Oregon, où des dommages-intérêts pour responsabilité du fabricant ont été recouvrés. Comme le demandeur n’était pas satisfait de l’issue de l’instance en Oregon, notamment parce qu’il n’avait pas pu recouvrer les intérêts préalables au jugement dans cette administration, il a cherché à obtenir une nouvelle instruction du dossier en Colombie-Britannique, sous le régime de la Sale of Goods Act (loi sur la vente d’objets), RSBC 1996, c 410. L’instance en Colombie-Britannique a été suspendue au motif de la préclusion fondée sur la cause d’action. La Cour a conclu que l’indemnité demandée ne pouvait être récupérée en reformulant la théorie de la responsabilité ou en invoquant les différences judiciaires en matière de recouvrement entre l’Oregon et la Colombie-Britannique. Voici la conclusion de la Cour :

[traduction]

[51] […] Dans cette affaire, les demandeurs ont réclamé l’indemnisation de l’intégralité de leurs pertes lors des instances introduites en Oregon. Par conséquent, cette affaire n’était pas assimilable à Cuttell v Bentz (1985), 65 BCLR 273 (CA), dans laquelle les pertes réclamées dans la première instance ne représentaient pas l’intégralité des pertes essuyées par les demandeurs (à la page 289). En l’espèce, la requête visait l’intégralité des dommages subis par le demandeur par suite de la conduite des défendeurs, y compris Terralink à titre de mandataire de Sun-Gro. Cette requête a été instruite et le jugement a été exécuté. Il n’y avait pas de manque à gagner, au sens véritable de ce terme en raison soit de la reformulation de la requête, soit du refus des intérêts préalables au jugement ou d’un compromis.

[242] Apotex a soutenu que la même approche doit être appliquée en l’espèce. Elle avance qu’AstraZeneca cherche à recouvrer essentiellement les mêmes sommes que celles qu’elle a réclamées aux États-Unis et pour lesquelles elle a obtenu une indemnisation intégrale qui a été accordée et versée aux États-Unis. À l’instar de l’arrêt JRT, précité, elle ne devrait pas avoir le droit de reformuler sa requête dans les présentes instances subséquentes.

[243] Cela dit, je ne suis pas convaincu que l’arrêt JRT, précité, s’applique ici. L’affaire JRT mettait en cause un ensemble de questions et de faits communs qui étaient pleinement justiciables en Oregon ou en Colombie-Britannique. La Cour s’est facilement rendue à l’évidence que le demandeur tentait de reformuler la cause d’action afin de récupérer un supposé manque à gagner dans l’instance en Oregon.

[244] Les circonstances sont différentes dans la présente instance. En l’espèce, les causes d’action dans les deux instances ont été soulevées sous différents brevets et mettaient en cause des actes de contrefaçon distincts, et elles ont été instruites dans des pays appliquant différents principes juridiques de fond. Il est particulièrement significatif que l’action en indemnisation aux États-Unis mettait en cause une licence hypothétique et le calcul d’une redevance raisonnable. Dans ce pays, il est impossible depuis 1946 de réclamer les bénéfices d’un contrefacteur (Allied Signal Inc. v Du Pont Canada Inc. (1995), 61 CPR (3d) 417, page 445, note 11, 184 NR 113 (CAF)). L’indemnité adjugée à AstraZeneca par la Cour de district selon cette démarche était bien en deçà de celle qu’elle pouvait réclamer au Canada au titre des bénéfices réalisés par Apotex sur ses ventes aux États-Unis.

[245] J’ajouterais qu’il n’existe pas de correspondance temporelle exacte entre la contrefaçon visée aux États-Unis et celle qui nous occupe ici. La réclamation d’AstraZeneca aux États-Unis découlait de la contrefaçon du brevet 505 – une réclamation qui devenait forcément caduque à l’expiration de celui-ci, le 20 avril 2007. Après cette date, Apotex ne contrefaisait plus le brevet américain et aucune réclamation viable de redevances ultérieures ne pouvait être instruite par les tribunaux américains. Quoi qu’il en soit, Apotex a continué de contrefaire le brevet 693 en fabriquant de l’apo-oméprazole au Canada et en exportant le produit aux États-Unis, où elle a généré des bénéfices considérables. Cette conduite a donné lieu à une cause d’action distincte pour laquelle une indemnisation est exigible en l’espèce. Il est impossible de faire valoir qu’en engageant une action aux États-Unis en premier, AstraZeneca a d’office renoncé à sa réclamation pour les actes de contrefaçon qui se sont poursuivis au Canada après l’expiration du brevet aux États-Unis.

[246] Il me semble que l’argument avancé par Apotex en l’espèce est très similaire à celui qui avait été plaidé dans la jurisprudence Servier, précitée. La question soulevée dans cette affaire était celle de savoir si Apotex devait être empêchée de réclamer des dommages-intérêts au Royaume-Uni en raison d’une contrefaçon équivalente au Canada d’un brevet canadien. Des dommages-intérêts ont été réclamés par Apotex dans l’instance au Royaume-Uni au titre d’un engagement pris par Servier à l’appui de l’octroi d’une injonction interlocutoire et par suite de la déclaration d’invalidité du brevet européen. Comme ci-dessus, Servier a soutenu qu’Apotex ne pouvait être indemnisée sur la base du principe de l’illégalité, c’est-à-dire que ses ventes légales au Royaume-Uni résultaient de sa contrefaçon d’un brevet canadien. Une décision d’illégalité aurait eu pour effet d’empêcher Apotex de réclamer une indemnisation, suivant l’engagement de Servier, quel que soit le montant autrement exigible dans l’instance au Royaume-Uni.

[247] Au moment où l’affaire a été entendue, Apotex avait concédé que sa réclamation de dommages-intérêts au Royaume-Uni devrait être diminuée du montant qu’elle avait finalement été tenue de payer pour s’acquitter de son obligation au Canada. Si ce montant avait été inférieur aux dommages-intérêts exigibles au Royaume-Uni, Apotex aurait cherché à combler la différence.

[248] En appel, la Cour d’appel et la Cour suprême du Royaume-Uni se sont refusées à appliquer la doctrine de l’illégalité, en partie en raison d’une préoccupation que l’issue aurait indûment avantagé Servier au détriment d’Apotex.

[249] Cette thèse est exposée dans les passages suivants des jugements des juges Sumption et Toulson dans Servier UKSC :

[traduction]

30. À mon avis, la défense d’illégalité ne s’applique pas étant donné qu’Apotex aurait perdu les bénéfices tirés de la vente de produits fabriqués au Canada en violation du brevet canadien de Servier. Certes, un brevet est un titre public conféré par l’État, mais il n’en découle pas pour autant qu’une violation des droits afférents engage l’intérêt public. Le titre conféré crée tout simplement des droits privés d’une nature qui ne diffère pas en principe de celle des droits contractuels ou des droits contre les manquements aux obligations légales ou autres délits. Le seul intérêt pertinent est celui du breveté, lequel dispose de recours suffisants à des dommages-intérêts pour contrefaçon au Canada, qui seront déduits de toute indemnisation imposée au titre de l’engagement pris par Servier au Royaume-Uni. Aucune politique publique ne justifierait d’ajouter la déchéance des droits d’Apotex

(le juge Sumption)

[…]

53. Par contraste, l’ordonnance sollicitée par Servier pourrait la placer dans une position plus avantageuse que si elle n’avait pas obtenu l’injonction à l’égard de laquelle elle a pris un engagement réciproque au Royaume-Uni. J’utilise le conditionnel parce qu’il reste à connaître le montant des dommages-intérêts qui sera calculé par la cour canadienne pour la contrefaçon par laquelle Apotex a réalisé des ventes au Royaume-Uni. Il sera facile ensuite de faire le même calcul pour les ventes perdues que celui qu’aura fait la cour canadienne pour les ventes réelles d’Apotex. Il pourrait s’ensuivre qu’Apotex ne puisse pas déclarer de perte après la déduction des dommages-intérêts qu’elle devra verser au Canada (si telle est l’issue des instances canadiennes).

[…]

63. Les engagements réciproques représentent un dispositif courant et précieux des litiges, surtout s’ils sont de nature commerciale, mais pas seulement. Leur caractère exécutoire est d’intérêt public notamment dans le cas de différends légitimes. Ces engagements évitent à la cour d’avoir à effectuer une évaluation détaillée, coûteuse en temps et en argent, du bien-fondé d’une affaire au stade interlocutoire puisqu’ils protègent le défendeur contre l’avantage financier que le demandeur pourrait tirer d’une injonction ultérieurement annulée lorsque la requête est rejetée. Je ne trouve aucun motif d’intérêt public de placer Servier dans une position plus favorable que si l’injonction n’avait pas été prise au Royaume-Uni, ou d’obliger Apotex à lui verser, pour cause de violation du brevet, une somme supplémentaire à celle calculée par la cour canadienne en contrepartie équitable de la violation

(le juge Toulson)

[250] La chambre civile de la Cour d’appel britannique a également tenu compte de la portée territoriale d’un brevet (Les Laboratoires Servier v Apotex Inc, [2012] EWCA Civ 593). Au paragraphe 83, la Cour a souligné que la portée territoriale d’un brevet est limitée pour fins de responsabilité, mais qu’une cour peut néanmoins être saisie de litiges extrafrontaliers en matière d’indemnisation :

[traduction] Troisièmement, il a été reconnu devant nous que les ventes au Royaume-Uni de produits manufacturés en contrefaçon du brevet canadien n’étaient pas – n’eût été l’injonction – et n’auraient pas été illégales sous le régime d’une loi britannique ou canadienne. Les brevets ont en effet une portée territoriale. Autrement dit, comme l’a dit le lord juge Kitchin durant les plaidoiries, la responsabilité délictuelle ne s’étend pas au-delà de la frontière (Patents Act 1977, article 60). C’est ce qui ressort de l’injonction définitive prononcée à l’issue des procédures canadiennes, par laquelle il a été interdit à Apotex de fabriquer, de vendre, d’offrir à la vente ou autrement de faire commerce de produits contenant du périndopril au Canada [italique ajouté]. La question de savoir s’il faut examiner des éléments découlant de dommages qui auraient pu résulter de la contrefaçon ou de la restitution des bénéfices tirés de la contrefaçon est tout à fait distincte. Comme le juge l’a signalé au paragraphe 103 de son jugement, Servier ne soutient pas qu’Apotex a importé ou vendu illégalement un produit contenant du périndopril erbumine au Royaume-Uni.

[251] Par conséquent, il s’impose de jeter un regard sur les questions extraterritoriales, y compris les jugements prononcés à l’étranger, pour éviter la double indemnisation pour des pertes identiques mais, s’il n’y a pas d’acte illégal, l’examen doit s’arrêter là.

[252] À mon sens, la conduite parallèle d’actions dans plusieurs pays pour assurer une indemnisation intégrale écarte d’emblée les préoccupations à propos de la recherche d’un tribunal favorable, de la multiplicité des instances et du caractère définitif des décisions. En réalité, il n’est pas rare que des actions en contrefaçon de brevets similaires soient menées parallèlement dans différents pays en vue d’obtenir réparation pour des pertes qui peuvent se chevaucher. Étant donné que les lois et les recours juridiques permettant d’obtenir une indemnisation pour contrefaçon de brevet varient d’un endroit à l’autre et que, partant, différentes issues sont possibles, il convient d’éviter de façon générale l’application stricte du principe de la chose jugée sous toutes ses formes et l’abus de procédure par remise en litige. Cela dit, la vigilance demeure nécessaire pour éviter une indemnisation excessive ou inadéquate et respecter les jugements étrangers afin de parvenir à un résultat équitable.

[253] En l’espèce, AstraZeneca ne pourrait pas être pleinement indemnisée si le scénario D est retenu. Un tel traitement de la revendication d’AstraZeneca donnerait une portée extraterritoriale au brevet 505. Je conclus par conséquent que le scénario A convient le mieux pour traiter l’indemnisation accordée par la Cour de district.

VI. Décision

[254] Pour les motifs qui précèdent, la Cour prononce les jugements déclaratoires suivants relativement aux questions soulevées par les parties :

  • a) Apotex n’a jamais eu accès à un PSNC pendant la période de contrefaçon.

  • b) Apotex n’a pas droit à des dommages-intérêts en application de l’article 8.

  • c) AstraZeneca a le droit de recouvrer un montant pour les bénéfices réalisés sur les bénéfices, lequel sera établi selon un taux préférentiel, composé annuellement, et sans déduction pour incidences fiscales.

  • d) AstraZeneca a droit au paiement intégral du montant réclamé au titre des bénéfices générés par Apotex sur les ventes aux États-Unis, selon le scénario A.

[255] La question des dépens et les autres matières nécessitant l’examen de la Cour, aux termes de l’accord de rationalisation, sont laissées en suspens jusqu’à la présentation d’observations par les parties.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T-1409-04, T-1890-11 ET T-2300-05

LA COUR ADJUGE ET DÉCLARE ce qui suit :

  • a) Apotex n’a jamais eu accès à un PSNC pendant la période de contrefaçon.

  • b) Apotex n’a pas droit à des dommages-intérêts en application de l’article 8.

  • c) AstraZeneca a le droit de recouvrer un montant pour les bénéfices réalisés sur les bénéfices, lequel sera établi selon un taux préférentiel, composé annuellement, et sans déduction pour incidences fiscales.

  • d) AstraZeneca a droit au paiement intégral du montant réclamé au titre des bénéfices générés par Apotex sur les ventes aux États-Unis, selon le scénario A.

« R. L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 31e jour d’août 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1409-04

 

INTITULÉ :

ASTRAZENECA CANADA INC. ET AKTIEBOLAGET HASSLE c APOTEX INC.

 

ET DOSSIER :

T-1890-11

 

INTITULÉ :

ASTRAZENECA AB ET AKTIEBOLAGET HASSLE c APOTEX INC.

 

ET DOSSIER :

T-2300-05

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c ASTRAZENECA CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDITION :

Du 14 au 16 février 2016

Du 21 au 23 février 2016

Du 27 février au 3 mars 2016

Du 7 au 10 mars 2016

Du 13 au 16 mars 2016

Du 3 au 7 avril 2016

Du 25 au 28 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juillet 2017

 

COMPARUTIONS :

Nancy Pei

Mark Biernacki

Ursula Wojtyra

J. Sheldon Hamilton

Paul Jorgenson

Abigail Smith

Brandon Heard

 

Pour les demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

ASTRAZENECA CANADA INC., ASTRAZENECA AB

ET AKTIEBOLAGET HASSLE

 

Harry Radomski

Ben Hackett

Daniel Cappe

Jenene Roberts

David Scrimger

Jerry Topolski

Nando De Luca

Andrew Brodkin

Cynthia Tape

Kirby Cohen

Rebecca Olscher

 

Pour la DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

APOTEX INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

1100, rue York, bureau 150

Toronto (Ontario) M5H 3S5

 

Pour les demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

ASTRAZENECA CANADA INC., AKTIEBOLAGET HASSLE ET ASTRAZENECA AB

 

Goodmans S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Bay Adelaide Centre

333, rue Bay, bureau 3400

Toronto (Ontario) M5H 2S7

 

Pour la DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

APOTEX INC.

 

 



[1] Les modifications sont exposées en détail à l’onglet A du rapport du 23 mars 2017 de M. Davies (pièce AZ 138).

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