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Date : 20171011


Dossier : IMM-4924-16

Référence : 2017 CF 899

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2017

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MARCELLA OLAH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Marcella Olah (Mme Olah ou la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’immigration principal (l’agent) qui a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) prévue à l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  Mme Olah est arrivée au Canada avec son époux en mai 2011. Elle a présenté une demande d’asile, mais cette demande a été retirée le 19 octobre 2011 lorsqu’ils sont retournés en Hongrie. Elle soutient qu’elle devait retourner en Hongrie en raison de problèmes de santé d’un proche parent. Elle est ensuite revenue au Canada à la fin de 2015. Le 6 janvier 2016, Mme Olah a présenté une demande d’ERAR et un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion en attendant la décision relative à la demande d’ERAR. Le 2 septembre 2016, l’agent a conclu que Mme Olah n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Le 6 décembre 2016, le juge Russell a accordé à Mme Olah un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion.

[3]  Le profil de Mme Olah indique qu’il s’agit d’une femme d’origine rome sans emploi, âgée de plus de 50 ans et victime de violence familiale. Dans sa demande d’ERAR, Mme Olah a déclaré qu’elle n’avait pas demandé la protection de la police parce que, en tant que femme d’origine rome, elle craignait que cette protection ne lui soit pas offerte. Comme l’agent a estimé que la Hongrie était une démocratie qui fonctionne, il a décidé d’examiner les éléments de preuve objectifs pour déterminer si Mme Olah pouvait bénéficier de la protection de l’État en Hongrie.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie. L’agent a très peu, voire aucunement analysé le caractère adéquat de la protection de l’État. Il a tiré des conclusions sans expliquer sa façon de concilier les divers rapports contradictoires, et il a omis d’effectuer un examen critique de ces rapports en ce qui a trait au profil de Mme Olah. Il a de plus omis d’évaluer si les effets cumulatifs de la discrimination dont elle a été victime équivalaient à de la persécution. Par conséquent, en l’espèce, la décision était déraisonnable.

II.  Norme de contrôle

[5]  La décision de l’agent quant à l’existence d’une protection de l’État adéquate est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable puisqu’elle comporte des questions mixtes de fait et de droit : Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38, 282 DLR (4th) 413; GM c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 710, au paragraphe 27, 434 FTR 298.

[6]  Une décision est raisonnable si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible et si la décision rendue appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir].

III.  Discussion

[7]  Dans sa décision, l’agent a d’abord examiné la situation générale des Roms en Hongrie avant de passer à l’examen de la protection de l’État et à celui de la discrimination. Bien que non identifiée en tant que question distincte, l’agent a également mentionné à plusieurs reprises l’absence de mesures du gouvernement central prises par les autorités locales, question qui sera également abordée dans les présents motifs.

A.  Les Roms en Hongrie

[8]  L’agent a d’abord examiné de manière générale la situation des Roms en Hongrie. Il a souligné l’incapacité des divers ordres de gouvernement en Hongrie à prendre des mesures visant à lutter contre le racisme et à régler les problèmes des Roms en matière de logement, d’éducation et de chômage. À son avis, la violence à l’endroit des Roms provient des groupes d’extrême droite, y compris le parti Jobbik, un parti politique d’extrême droite ayant un programme ambitieux anti‑Roms et antisémite.

[9]  L’agent a évoqué le fait que le Country Report on Human Rights Practices in Hungary for 2015, publié par le Département d’État des États-Unis (DOS 2015), confirme que le parti Jobbik continue à prononcer des discours méprisants sur la [traduction] « criminalité tsigane » et incite à la haine contre la communauté rome. Il a ensuite ajouté le mot [traduction« toutefois » et a mentionné un article de 2014 du Athena Institute qui était énoncé dans la Réponse à la demande d’information HUN105587.E (RIR 2016). Il a souligné le fait que l’article indiquait que les groupes extrémistes avaient [traduction] « une importance négligeable » et que le nombre de membres était loin de celui qui avait été atteint à son apogée [traduction] « il y a quelques années ».

[10]  La partie de la décision de l’agent portant sur la situation des Roms en Hongrie s’arrête là. L’agent n’a pas mentionné que le document DOS 2015 indiquait que le parti Jobbik avait augmenté le nombre de sièges qu’il occupait à l’Assemblée nationale après les élections nationales de 2014 et que l’un de ses chefs avait été élu en tant qu’un des cinq présidents adjoints du Parlement. Ces faits, omis par l’agent dans sa décision, vont à l’encontre de sa conclusion selon laquelle le parti Jobbik [traduction] « a une importance négligeable ». Au contraire, l’appui des électeurs au parti Jobbik, qui adopte la philosophie anti-Rom et antisémite, indique qu’il gagne en popularité et qu’il exerce une influence accrue au sein du gouvernement.

[11]  Même s’il est décevant de voir que l’agent a mentionné de façon sélective des extraits des rapports dans la partie de sa décision portant sur le contexte, à lui seul, ce facteur ne rend pas sa décision déraisonnable. Il jette néanmoins un doute sur la décision.

B.  La discrimination

[12]  Après avoir examiné l’obligation de la Hongrie de respecter les normes afin de rester membre de l’Union européenne, l’agent a fait remarquer que la Hongrie était l’un des premiers signataires de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe (Convention-cadre). L’agent a indiqué que le Parlement hongrois a ratifié la Convention-cadre en 1999.

[13]  Le document DOS 2015 précise que [traduction] « les ONG (organisations non gouvernementales) de défense des droits de la personne continuent toujours de rapporter que les Roms sont encore victimes d’exclusion sociale et de discrimination dans presque toutes les sphères de leur vie, notamment l’emploi, l’éducation, le logement, les prisons et l’accès aux lieux publics, comme les restaurants et les bars ». Cet extrait a été cité par l’agent dans la partie de sa décision portant sur le contexte. Passant du traitement général des Roms aux expériences particulières vécues par les femmes d’origine rome, le document DOS 2015 mentionne l’existence d’une discrimination économique à l’égard des femmes en milieu du travail, surtout à l’égard de celles qui sont âgées de plus de 50 ans et qui cherchent un emploi, ce qui décrit la situation de Mme Olah.

[14]  Plus loin, lorsqu’il aborde la question de la discrimination dont sont victimes les Roms, l’agent affirme que [traduction] « même si les critiques formulées à l’égard des mesures hongroises visant à lutter contre le racisme sont justifiées, notamment contre la population rome, selon la prépondérance des probabilités, la Hongrie a pris des mesures pour appliquer des normes obligatoires en tant que membre de l’Union européenne ». Cet énoncé exact ainsi que plusieurs autres figurant dans la décision de l’agent est un énoncé passe-partout présent dans un certain nombre de décisions concernant les Roms en Hongrie. Plus récemment, le juge Boswell a critiqué ce raisonnement et ces conclusions comme étant « au mieux, erronés, et, en effet, comme le soutient le demandeur, ils représentent tout au plus une analyse standard qui semble avoir été reproduite textuellement d’une autre décision [...] » : Kohazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 705, au paragraphe 17, 482 FTR 119.

[15]  Plusieurs exemples d’énoncés standard, y compris les conclusions rédigées à la première personne, sans en mentionner la source, figurent également dans la décision faisant l’objet du contrôle, de sorte que la Cour doute fort qu’une analyse des faits particuliers et des éléments de preuve à jour déposés par l’avocat de Mme Olah ait été lue ou prise en considération par l’agent avant qu’il ne rejette la demande. S’il l’a fait, rien n’indique dans la décision la façon dont il a évalué, soupesé ou rejeté les éléments de preuve. Par conséquent, ni Mme Olah ni la Cour ne peuvent comprendre pourquoi l’agent est parvenu à la conclusion selon laquelle la Hongrie prend des mesures visant à appliquer les normes prescrites par l’Union européenne.

[16]  En termes simples, peu importe la Convention-cadre, le fait que la Hongrie [traduction] « prenne des mesures en vue d’appliquer » certaines normes n’équivaut pas à fournir à ses citoyens une protection de l’État adéquate contre la discrimination. L’une est un tigre de papier et l’autre est la réalisation de l’obligation de l’État.

[17]  Enfin, après avoir reconnu l’existence de la discrimination contre les Roms dans presque toutes les sphères de la vie quotidienne, l’agent aurait dû se demander si une telle discrimination cumulative équivalait à de la persécution dans le cas de Mme Olah, ce qu’il n’a pas fait. Non seulement Mme Olah est Rom, elle est également une femme sans emploi, âgée de plus de 50 ans. Tel qu’il est indiqué dans le document DOS 2015, les organisations non gouvernementales qualifient cette situation de forme particulière de discrimination économique contre les femmes. L’omission de tenir compte des allégations de violence familiale formulées par Mme Olah et de se demander si ces motifs cumulés de discrimination équivalaient à de la persécution a empêché l’agent d’examiner pleinement la question de savoir si Mme Olah pouvait bénéficier de la protection de l’État.

C.  La protection de l’État

1)  Risque personnel de Mme Olah

[18]  L’agent n’a, à aucun moment, évalué les allégations de violence familiale formulées par Mme Olah. Puisqu’il n’a jamais remis en question sa crédibilité, l’agent a vraisemblablement cru à ses allégations. L’agent n’a examiné que la question de savoir si l’omission de Mme Olah de signaler la violence familiale à la police était justifiée parce que selon lui, elle n’avait pas confiance dans la volonté de la police de protéger les personnes d’origine rome.

[19]  L’appréciation de la protection de l’État est en grande partie une appréciation factuelle qui se fait cas par cas : Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 530, au paragraphe 93 (Molnar). En n’évaluant pas le risque que Mme Olah soit exposée à la violence conjugale à laquelle se livre son époux, étayée par ses 12 frères, l’agent a omis de tenir compte d’un fait important lié à sa capacité d’obtenir la protection de l’État. De même, le fait que l’agent ne s’est pas demandé si les actes cumulatifs de discrimination dont Mme Olah serait victime vu son profil pourraient équivaloir à de la persécution constitue une erreur susceptible de révision.

2)  La présomption de protection de l’État

[20]  L’agent a indiqué que, de façon générale, la présomption de protection de l’État ne peut être réfutée dans une démocratie qui fonctionne en affirmant simplement qu’il y a une réticence subjective à solliciter la protection de l’État. Il a reconnu que les éléments de preuve objectifs confirment [traduction] « les problèmes actuels liés au racisme structurel en Hongrie ». Il a toutefois conclu que de tels éléments de preuve étaient [traduction] « contrebalancés » par les renseignements provenant du Centre européen des droits des Roms (ERCC), de la Fondation Une chance pour les enfants (CFCF) et du Comité Helsinki hongrois (HHC) selon lesquels la Hongrie a l’une des lois antidiscriminatoires e l’un des régimes de protection des minorités les plus avancés de la région de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est. L’agent n’a pas indiqué qu’il comprenait que l’adoption de lois antidiscriminatoires n’équivaut pas à la mise en application de ces lois. Il ne semble pas avoir examiné si les mécanismes élaborés sur papier visant à lutter contre les problèmes liés au racisme en Hongrie constituaient en fait un véritable contrepoids à ces problèmes.

[21]  L’agent était saisi de tels éléments de preuve indiquant qu’un véritable contrepoids pouvait être inexistant, mais il ne les a pas mentionnés. L’agent s’est appuyé sur plusieurs parties du document DOS 2015, mais il a omis de mentionner d’autres parties du document qui critiquaient sévèrement le gouvernement central hongrois. Le document DOS 2015 rapporte que les ONG ont signalé des lacunes et des omissions de la part de la police et de la poursuite dans les enquêtes sur les crimes haineux commis contre les membres de groupes minoritaires (y compris les Roms). Le résumé, à la page 1 du rapport, indique ce qui suit :

[traduction] Les organisations internationales et les organisations non gouvernementales (ONG) des droits de la personne continuaient de critiquer l’érosion systématique de la primauté du droit, l’affaiblissement du système de freins et de contrepoids, des institutions démocratiques et de la transparence et l’intimidation des voix indépendantes au sein de la société.

[22]  L’érosion systématique de la primauté du droit dans ce contexte suppose qu’il se peut que les lois antidiscriminatoires ne soient pas suivies; en fait, si la primauté du droit est entièrement érodée, il n’existe aucune institution démocratique de laquelle la présomption de la protection de l’État peut survenir. Le texte précis du document DOS 2015 mérite mieux qu’une conclusion non expliquée par l’agent; il mérite un examen et une analyse complets de façon à pouvoir comprendre sa conclusion.

[23]  La conclusion de [traduction] « contrepoids » non étayée par l’agent prête d’autant plus à confusion qu’il avait déjà reconnu l’existence d’une [traduction] « omission générale » de maintenir des mécanismes de contrôle solides et efficaces visant à contrer les violations des droits des Roms et que [traduction] « le système n’est pas parfait ». Je suis d’avis que l’omission générale d’exercer un contrôle sur les violations des droits élude la question de savoir si le gouvernement central fait des efforts, sérieux ou non, pour protéger ses citoyens roms. Il est encore plus difficile d’envisager l’atteinte de l’efficacité réelle du caractère adéquat de la protection de l’État dans un gouvernement où la primauté du droit est érodée et dans lequel les mécanismes eux-mêmes, censés être en place, ne sont pas en mesure de prévenir la haine et la discrimination contre un groupe ethnique, comme les Roms.

3)  Les omissions locales de maintenir l’ordre d’une façon efficace

[24]  L’agent a conclu, encore une fois sans explication, qu’une interprétation juste des éléments de preuve documentaire démontrait que le gouvernement central était motivé et disposé à protéger les Roms, mais que des mesures n’étaient pas toujours mises en place efficacement à l’échelle locale ou municipale. Il a ensuite indiqué que les omissions locales de maintenir l’ordre d’une façon efficace n’équivalent pas à l’absence de protection de l’État, à moins qu’il existe une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’assurer une protection.

[25]  L’agent se fonde sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca (1992), 99 DLR (4th) 334, pour appuyer sa prétention selon laquelle les omissions locales n’équivalent pas à l’absence de protection de l’État. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Kadenko (1996), 124 FTR 160 (Kadenko), la Cour d’appel a déclaré que, si le refus d’assurer une protection est un refus plus ou moins généralisé du corps policier, la réponse à la question de savoir si l’État est en mesure de protéger ses citoyens pourrait être différente puisqu’il s’agirait de plus qu’une simple omission locale.

[26]  Malheureusement, l’agent a omis d’évaluer s’il existait une tendance générale de l’État à refuser ou à omettre d’aider les Roms, comme cela est envisagé dans l’arrêt Kadenko. Cette omission est particulièrement préoccupante compte tenu du commentaire initial de l’agent relatif à l’« omission générale » de maintenir des mécanismes de contrôle solides et efficaces visant à contrer les violations des droits des Roms, de même que du document DOS 2015 où l’on rapporte une érosion systématique de la primauté du droit en Hongrie. Les deux portent sur plus que de « simples » omissions locales.

[27]  Une omission de nature générale signifie que l’omission est très courante; elle est plus répandue qu’une simple omission locale. Son sens semble relever de celui qui était envisagé dans l’arrêt Kadenko : un refus plus ou moins généralisé du corps policier d’assurer une protection. Dans ce cas, on ne s’attendrait pas à ce que Mme Olah demande la protection de la police. Ayant conclu à l’existence d’une omission générale d’exercer un contrôle sur les violations des droits des Roms, l’agent aurait dû examiner la nature et la portée de cette omission générale en examinant si Mme Olah pouvait réellement se prévaloir de la protection de l’État hongrois. Cette omission est déraisonnable au regard des faits de l’espèce.

4)  Les autres recours

[28]  L’agent a ensuite examiné les autres recours en mentionnant la Commission indépendante des plaintes sur la police, l’Autorité pour l’égalité de traitement et le Bureau du commissaire aux droits fondamentaux, auprès desquels Mme Olah pourrait demander de l’aide. L’agent a souligné que ces organismes accepteraient les plaintes, tireraient des conclusions et transmettraient ces dernières aux autorités compétentes pour qu’elles y donnent suite.

[29]  Comme notre Cour l’a mentionné maintes et maintes fois, la réception d’une plainte contre la police pour inaction n’équivaut, en aucune façon, à assurer la protection de l’État. Le juge Zinn l’a ainsi formulé : « Ce sont les actes, et non les bonnes intentions, qui démontrent l’existence réelle d’une protection contre la persécution » (voir Orgona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1438, au paragraphe 11 ainsi que la jurisprudence qui y est citée).

5)  La conclusion de l’agent sur la protection de l’État

[30]  L’agent a conclu son analyse de la protection de l’État en mentionnant ce qui suit :

Je reconnais que la preuve documentaire, constituée à partir de différentes sources, comporte certaines incohérences; toutefois, la preuve objective concernant la situation actuelle dans le pays laisse croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par l’État hongrois aux Roms victimes d’actes criminels, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination ou de persécution est adéquate, que la Hongrie déploie de sérieux efforts pour régler ces problèmes et que la police et les représentants du gouvernement veulent protéger les victimes et sont en mesure de le faire.

[31]  L’agent mentionne les « sérieux efforts » sans évaluer l’efficacité réelle, ce qui en soi porte un coup fatal à son analyse : Paul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 687, aux paragraphes 15 et 17. Outre sa référence précédente aux « autres recours », l’agent ne donne aucune raison à l’appui de cette conclusion. Il ressort de ma lecture de la décision, comme je l’explique ci-après, qu’il est probable que l’agent ait simplement adopté la conclusion d’autres agents dans d’autres décisions. Toutefois, les faits de ces décisions différaient de ceux propres à Mme Olah.

[32]  L’agent a également omis d’expliquer la façon dont il a concilié les divergences dans les éléments de preuve documentaire. Quels éléments de preuve objectifs a-t-il retenus? Lesquels a-t-il rejetés? Il est impossible de comprendre la façon dont l’agent a déterminé que l’État et la police sont en mesure de protéger les victimes romes contre, par exemple, l’abus de pouvoir de la part des policiers ou la discrimination dont il a fait mention.

[33]  Rien n’indique dans la décision que l’agent a analysé la demande de Mme Olah. Il semble s’agir d’un énoncé général standard concernant la situation ou l’absence d’une situation particulière touchant les Roms en Hongrie qui pourrait s’appliquer à toute situation factuelle qui prévaut chez les Roms. La conclusion de l’agent concernant la protection de l’État reprend textuellement la conclusion tirée par la Section de la protection des réfugiés, énoncée au paragraphe 27 de l’arrêt Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 NR 186, dont le libellé semble être apparu pour la première fois dans la décision de la Section de la protection des réfugiés X (Re), 2011 CanLII 94218, au paragraphe 13 (CA CISR) (Re X). Avant cette affaire, la Section de la protection des réfugiés semble seulement avoir mentionné le fait que la Hongrie fait de « sérieux efforts » pour assurer la protection de l’État. Toutefois, dans la décision Re X, la Commission a ajouté que « la police et les autorités du gouvernement ont la volonté et la capacité de protéger les victimes » (au paragraphe 13). La même citation — parfois modifiée quelque peu quant à la nature de la discrimination subie (par exemple, le terme « LGBTI » est remplacé par le terme « rom ») ou par renvoi simplement à la dernière partie de la citation qui porte sur le caractère adéquat de la protection de l’État — figure également dans les décisions suivantes : GS c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 599; Peter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 619, 481 FTR 10; Kovacs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 337; Dinok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1199; Varga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1030; Majlat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 965; Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 771, 29 Imm LR (4th) 17; Rusznyak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 255, 23 Imm LR (4th) 318; Buri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 45, 446 FTR 57; Hetyei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1208; Ignacz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1164, 443 FTR 1; Beri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 854, 18 Imm LR (4th) 325; Nagy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 299; Gulyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 254, 429 FTR 22 et Molnar, précitée. En outre, elle figure également dans un grand nombre (plus de 100) de décisions des tribunaux au fil des ans.

[34]  Le processus décisionnel en l’occurrence n’était pas raisonnable. Un examen des risques avant renvoi est une analyse prospective, personnelle à un demandeur. Les éléments de preuve objectifs des conditions dans le pays doivent être appréciés en évaluant le risque d’un demandeur. Toutefois, l’adoption, en 2016, de conclusions tirées d’abord par d’autres en 2011 sans examen ou mise à jour de ces conclusions ou sans les appliquer aux faits particuliers présentés à l’agent n’est pas une façon acceptable d’évaluer le risque que présente Mme Olah dans sa demande d’ERAR.

IV.  Conclusion

[35]  L’analyse de la protection de l’État effectuée par l’agent et sa conclusion sont incomplètes et entachées d’irrégularités. Il n’a évalué aucun des risques auxquels est exposée Mme Olah. Il a choisi des parties de documents étayant sa conclusion sans reconnaître la thèse contraire, autrement que pour dire qu’il existait des incohérences qu’il n’a ni évaluées ni conciliées par rapport à sa conclusion. Il a déclaré à tort que Mme Olah pouvait se prévaloir d’autres recours lorsque les ressources à sa disposition ne pouvaient faire qu’accepter une plainte pour inaction de l’État.

[36]  L’agent a tiré des conclusions sans les fonder. Il a également omis d’examiner la quantité importante d’éléments de preuve contradictoires déposés par l’avocat de Mme Olah. Après examen du dossier, je constate l’existence d’un nombre important de faits liés à son profil qui, ensemble, pourraient étayer l’argument de Mme Olah relatif à la persécution. Aucun de ces faits n’a été pris en compte par l’agent.

[37]   La décision doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen. Dans l’ensemble, les motifs donnés ne sont ni transparents ni intelligibles. Par conséquent, il est impossible de dire que l’analyse de la protection de l’État, soit la question déterminante dans la décision, appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, conformément à l’arrêt Dunsmuir.

[38]  Tout au long de la décision, l’agent cite des documents portant sur la situation dans le pays sans les appliquer à la situation de Mme Olah en tant que femme d’origine rome, particulièrement victime de violence familiale et, en général, de discrimination fondée sur le fait qu’elle est une femme d’origine rome sans emploi et âgée de plus de 50 ans. J’espère que ces omissions seront corrigées dans le cadre du nouvel examen de la demande.

[39]  Les faits en l’espèce ne soulèvent aucune question à certifier et aucune n’a été proposée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4924-16

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et la décision est annulée. L’affaire est renvoyée afin d’être réexaminée par un autre agent. Aucune question de certification ne découle des faits.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4924-16

 

 

INTITULÉ :

MARCELLA OLAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 AOÛT 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

John Grice

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Julie Waldman

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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