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Date : 20170922


Dossier : T-1313-17

Référence : 2017 CF 852

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

SÉNAT DU CANADA

demandeur

et

DARSHAN SINGH

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  M. Darshan Singh (le défendeur ou le fonctionnaire s’estimant lésé) est un ancien employé du Sénat du Canada (le demandeur ou le Sénat) dont la relation d’emploi était régie par les dispositions de la Loi sur les relations de travail au Parlement, LRC (1985), c 33 (2e suppl.) (LRTP). Le Sénat a licencié le défendeur le 2 décembre 2015 et ce dernier a présenté un grief aux termes des dispositions de la LRTP pour contester son licenciement.

[2]  Il s’agit en l’espèce d’une requête en sursis du demandeur à l’égard d’une ordonnance interlocutoire rendue par un arbitre de grief de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) obligeant le demandeur à produire et à rendre certains documents accessibles au représentant du fonctionnaire s’estimant lésé, dans l’attente du résultat de la présente demande de contrôle judiciaire s’attaquant à la légalité ou au caractère raisonnable de cette ordonnance interlocutoire.

[3]  Le grief n’a toujours pas été tranché sur le fond et l’arbitre de grief ne s’est toujours pas prononcé sur l’admissibilité des documents en question. Dans sa décision, il formule la mise en garde suivante : [traduction] « Même si le Sénat est contraint de produire les documents susmentionnés, cela ne veut pas dire que le Sénat ne peut pas continuer de faire valoir le privilège parlementaire sur ces parties ou sur l’ensemble des documents susmentionnés ou de soutenir qu’on ne peut pas se fier à ces documents ou à une partie de ceux-ci au cours de l’instance. Le Sénat peut, en tout temps, soulever une objection quelconque quant à l’admissibilité des éléments de preuve documentaire, y compris les documents susmentionnés, que le fonctionnaire s’estimant lésé a cherché à produire pendant l’instance. »

[4]  Vraisemblablement, les documents attaqués ont été préparés aux fins d’une audience à huis clos du Sénat et comprennent le procès-verbal, des registres des présences et d’autres documents de réunions à huis clos du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration du Sénat et de ses sous-comités. Je n’éprouve aucune difficulté à conclure aujourd’hui que les questions soulevées par le demandeur dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente sont sérieuses. Aucun motif n’est présenté par l’arbitre de grief pour justifier l’ordonnance interlocutoire. L’avocat du demandeur a également présenté une cause solide devant la Cour selon laquelle l’ordonnance de l’arbitre de grief demandant de produire les documents recueillis au cours des procédures à huis clos du Sénat, ou préparés aux fins de celles-ci, fait effectivement abstraction de la prérogative du Sénat qui permet de tenir des réunions à huis clos et d’invoquer le privilège parlementaire à l’égard des documents préparés pour ces réunions (voir plus particulièrement Canada (Chambre des communes) c Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 RCS 667 [Vaid]; Lavigne c Ontario (Procureur général de l’Ontario), 91 OR (3d) 728, [2008] OJ no 2951; R v Duffy, 2015 ONCJ 694, [2015] OJ no 6481; Routcliffe c Sénat du Canada, 2009 CRTFP 5, 182 LAC (4th) 245).

[5]  Cela m’amène à me pencher sur les questions du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients dans le contexte du caractère prématuré de la présente requête en sursis. L’obstacle fondamental qui m’empêche de rendre une ordonnance de sursis aujourd’hui réside dans le fait que, à l’heure actuelle, la décision interlocutoire n’est pas exécutable en soi.

[6]  Je suis disposé à accepter le fait que, si le demandeur fournit à l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé les documents attaqués dans le cadre de l’interrogatoire préalable, le préjudice aura déjà été fait, que ces documents soient produits subséquemment ou exclus à l’audience par l’arbitre de grief qui n’a toujours pas tranché leur admissibilité en preuve. Toutefois, le problème est que le préjudice irréparable allégué est conjectural à cette étape-ci. Effectivement, le demandeur – qui est en possession des documents privilégiés et qui exerce le contrôle total sur la production de ceux-ci – n’a aucunement l’intention de se conformer dans un avenir proche à l’ordonnance interlocutoire de l’arbitre de grief. Qui plus est, contrairement aux ordonnances rendues par la Commission qui peuvent être produites devant la Cour fédérale aux fins d’exécution en application de l’article 234 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003 c 22, toute ordonnance subséquente de la Commission en l’espèce obligeant le demandeur à se conformer à la décision interlocutoire de l’arbitre de grief peut uniquement être produite auprès du Parlement.

[7]  Les relations de travail au Sénat sont régies par les dispositions de la LRTP, qui prévoit un mécanisme particulier dans le cas où le Sénat – un employeur aux fins de ces dispositions – n’a pas exécuté la décision d’un arbitre de grief. Cela comprend l’ordonnance interlocutoire rendue en l’espèce. Premièrement, le plaignant – le fonctionnaire s’estimant lésé en l’espèce – doit formuler une plainte devant la Commission (alinéa 13(1)c) de la LRTP). Deuxièmement, la Commission doit décider qu’on n’a pas mis en application la décision de l’arbitre de grief et, selon le cas, ordonner à l’employeur de respecter la décision de l’arbitre de grief dans un délai imparti (paragraphe 13(2) de la LRTP). Troisièmement, lorsqu’une mesure prescrite par une telle ordonnance n’est pas prise dans le délai imparti, la Commission fait déposer une copie de son ordonnance, un rapport circonstancié et tous les documents afférents devant chaque chambre du Parlement dans les quinze jours de séance de celles-ci suivant l’expiration du délai (article 14 de la LRTP).

[8]  Les mécanismes susmentionnés n’ont toujours pas été épuisés par le défendeur, qui a formulé ou est sur le point de formuler une plainte auprès de la Commission. Conformément aux articles 13 et 14 de la LRTP, le Parlement demeure maître de l’exécution de l’ordonnance d’un arbitre de grief et, en définitive, des questions relatives à l’emploi. Cela est entièrement conforme au privilège du Sénat et à l’intention du législateur lorsqu’il a adopté les dispositions de la LRTP (voir Vaid, aux paragraphes 84 à 87, 95 et 96; Canada (Chambres des communes) c Vaid, 2002 CAF 473, aux paragraphes 102 à 110, [2003] 1 CF 602, non infirmée sur ce point en particulier). Aujourd’hui, la question de savoir si le Sénat respectera toute ordonnance rendue par la Commission est entièrement conjecturale. Le Sénat pourrait bien réaffirmer son argument selon lequel les documents attaqués sont privilégiés – ce qui est un motif valide de ne pas respecter l’ordonnance interlocutoire de l’arbitre de grief et, selon le cas, toute ordonnance future de la Commission, avant que la question du privilège soit tranchée définitivement par la Cour. De plus, la prépondérance des inconvénients est favorable au défendeur. Si l’ordonnance attaquée fait l’objet d’un sursis par la Cour, cela aura pour effet de contourner l’unique procédure réglementaire établie par le législateur en application de la LRTP.

[9]  Pour ces motifs, la requête en sursis présentée par le demandeur est rejetée. Des dépens de 1 000 $ sont raisonnables dans les circonstances. Je ne vois pas de raison particulière de les rendre immédiatement exigibles et quelle que soit l’issue de la cause, comme le demande l’avocat du défendeur.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1313-17

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis présentée par le demandeur soit rejetée avec dépens de 1 000 $ en faveur du défendeur.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1313-17

 

INTITULÉ :

SÉNAT DU CANADA c DARSHAN SINGH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

George G. Vuicic

Anne M. Lemay

 

POUR LE DEMANDEUR

Paul Champ

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Champ & Associates

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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