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Date : 20171006


Dossier : IMM-1161-17

Référence : 2017 CF 884

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

IMRENE NAGY ET

HELENA MERCEDESZ HORVATH

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent principal (agent) qui a rejeté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de Mme Imrene Nagy (la demanderesse principale) et de sa fille mineure Helena Mercedesz Horvath (la demanderesse mineure).

II.  FAITS

[2]  Les demanderesses sont arrivées au Canada en 2008 de la Hongrie au moment où la demanderesse mineure était âgée de quatre ans. À cette époque, elles ont présenté une demande d’asile, invoquant la crainte de l’ex-époux de la demanderesse principale, un agent de police du nom de Imre Nagy. M. Nagy aurait menacé les demanderesses parce que le père de la demanderesse mineure était un Rom. Elles ont également invoqué une crainte de discrimination fondée sur le statut de la demanderesse mineure, qui est une enfant à moitié Rom, et sur le statut de la demanderesse principale, qui est la mère d’une enfant à moitié Rom.

[3]  Dans une première décision en novembre 2010, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a examiné la demande d’asile des demanderesses en se concentrant sur leur crainte alléguée de M. Nagy et elle a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible en ce qui concerne des aspects importants de sa demande. La SPR a rejeté la demande d’asile des demanderesses pour ce motif.

[4]  À l’occasion du contrôle judiciaire de cette décision, la Cour fédérale a conclu que l’évaluation de la crédibilité par la SPR était raisonnable, mais elle a renvoyé l’affaire à la SPR pour qu’un nouvel examen soit effectué en fonction de la persécution alléguée fondée sur l’ethnicité rom de la demanderesse mineure. Il est important de noter que la Cour fédérale n’a pas infirmé les conclusions de crédibilité négatives de la SPR.

[5]  Dans une deuxième décision en mars 2012, la SPR a rendu une autre décision défavorable, lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve de persécution et de disponibilité d’une protection de l’État. La demande de contrôle judiciaire des demanderesses de cette deuxième décision de la SPR a été rejetée par la Cour fédérale en mars 2013.

[6]  En août 2016, les demanderesses ont présenté une demande d’ERAR qui a fait l’objet de la décision attaquée dans la présente demande.

III.  DÉCISION ATTAQUÉE

[7]  L’agent a fait remarquer que la demande d’ERAR des demanderesses était fondée essentiellement sur les mêmes craintes que celles qui avaient été invoquées devant la SPR. Par conséquent, l’agent s’est concentré sur quatre lettres qui avaient été fournies par les demanderesses, dont ne disposait pas la SPR, et qui concernaient les efforts récents allégués de M. Nagy pour les trouver. Il s’agissait de trois lettres d’amis de la demanderesse principale et d’une quatrième lettre du frère de M. Nagy, le beau-frère de la demanderesse principale (désigné à tort par l’agent comme le frère de la demanderesse principale). L’agent a conclu que ces lettres n’étaient pas fiables et ne leur a accordé aucun poids. L’agent a indiqué les préoccupations suivantes :

  1. les lettres sont brèves et ne donnent pas de détails en ce qui concerne les circonstances entourant le harcèlement allégué de M. Nagy ou la façon dont la demanderesse principale connaît les auteurs des lettres;
  2. les lettres sont de manière suspecte semblables, faisant chacune référence à [traduction] « l’enfant tzigane » ou au [traduction] « bébé » ou à [traduction] « l’enfant » d’un tzigane et chacune implorant les demanderesses de ne jamais revenir [traduction] « même en visite »;
  3. l’invraisemblance selon laquelle, huit ans après le départ des demanderesses de la Hongrie, M. Nagy a commencé à harceler les connaissances des demanderesses au sujet de leurs allées et venues (rien dans la preuve n’indique que M. Nagy cherchait les demanderesses entre-temps);
  4. le fait que toutes les lettres venaient de personnes qui sont proches des demanderesses et qui ne sont pas neutres.

[8]  L’agent a également a conclu que les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle une protection de l’État adéquate leur était offerte pour contrer toute menace de M. Nagy. Au soutien de cette conclusion, l’agent a cité longuement plusieurs sources documentaires abordant des questions comme la démocratie parlementaire de la Hongrie, les lois visant à empêcher la violence contre les femmes, les mécanismes de plainte contre la police.

[9]  L’agent a également tenu compte du risque des demanderesses d’être ciblées en raison de l’ethnicité rom de la demanderesse mineure. L’agent a fait remarquer qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve d’incidents de discrimination importants avant qu’elles quittent la Hongrie et que les demanderesses ont fondé leurs préoccupations sur les conditions générales du pays en ce qui concerne les Roms en Hongrie. Il a noté que ces préoccupations avaient été prises en compte et rejetées par la SPR (en 2012) au motif que la protection de l’État était adéquate. L’agent a examiné la preuve documentaire pertinente et il a conclu que, même si elle est partagée, elle ne suffisait pas pour démontrer un changement important dans les conditions des Roms depuis l’analyse de la SPR.

[10]  Il a conclu en faisant remarquer qu’il y avait peu d’éléments de preuve indiquant que la demanderesse mineure, qui n’était qu’à moitié Rom, serait même perçue comme étant Rom.

[11]  La demande d’ERAR a été rejetée.

IV.  QUESTIONS

[12]  Les demanderesses font valoir que l’agent a commis quatre erreurs principales dans la décision attaquée :

  1. Il était déraisonnable de ne pas accorder de poids à la nouvelle preuve fournie par les demanderesses en ce qui concerne les efforts de M. Nagy pour les trouver.
  2. L’analyse par l’agent de la protection de l’État offerte aux demanderesses en Hongrie était déraisonnable.
  3. L’agent a omis de réaliser une analyse prospective lorsqu’il a évalué les risques auxquels font face les demanderesses en Hongrie.
  4. Il était déraisonnable pour l’agent de considérer que la demanderesse mineure puisse ne pas être perçue comme une Rom.

V.  DISCUSSION

A.  Norme de contrôle

[13]  Les parties sont d’accord, ce à quoi je souscris, pour dire que les erreurs alléguées, qui ont été invoquées par les demanderesses, soient examinées en fonction de la norme de la décision raisonnable.

B.  Nouvelle preuve

[14]  Les demanderesses soutiennent que l’agent a commis plusieurs erreurs dans son analyse de la nouvelle preuve portant sur les efforts de M. Nagy pour les trouver. En ce qui concerne la similitude des lettres, les demanderesses ont soutenu qu’elle traduit simplement la similitude des différentes façons dont M. Nagy a abordé les connaissances des demanderesses ainsi que sa détermination à les trouver. Les demanderesses font également remarquer que la traduction anglaise de deux des lettres était accompagnée d’une note de l’interprète indiquant ce qui suit [traduction] : « Si la traduction semble étrange, c’est en raison du texte de la langue de départ. J’ai tenté de conserver la mauvaise grammaire […] je n’ai pas tenu compte des erreurs d’orthographe ».

[15]  À mon avis, il était raisonnable de la part de l’agent de voir de façon négative les faits combinés de l’absence de détails et de la similitude des lettres. En particulier, le fait d’implorer de façon répétitive la demanderesse de ne jamais revenir [traduction] « même pour une visite » semble artificiel. Je ne suis pas convaincu que cette préoccupation est justifiée par les notes de l’interprète.

[16]  En ce qui concerne le moment où les lettres ont été rédigées, les demanderesses font valoir que le harcèlement de M. Nagy était continu et qu’il ne devrait pas être surprenant de voir qu’elles remontent toutes à l’époque où les demanderesses ont demandé des éléments de preuve pour appuyer leur demande d’ERAR. Le problème est que rien dans la preuve dont disposait l’agent n’indiquait que les efforts de M. Nagy pour trouver les demanderesses étaient continus; la preuve à cet égard a été présentée plus tard devant la Cour, mais elle ne peut être prise en compte pour décider si l’analyse de l’agent était raisonnable. Par conséquent, il était tout à fait raisonnable pour l’agent d’examiner la question de savoir s’il était vraisemblable que M. Nagy commence ses efforts pour trouver les demanderesses huit ans après qu’elles ont quitté la Hongrie et tout juste alors qu’elles préparaient leur demande d’ERAR.

[17]  En ce qui concerne le fait que les lettres viennent de personnes qui sont proches d’elles, les demanderesses invoquent la jurisprudence qui indique qu’il ne convient pas de rejeter la preuve pour ce motif. Toutefois, le défendeur fait remarquer, à juste titre, que cette jurisprudence appuie la proposition selon laquelle il ne convient pas de rejeter la preuve uniquement au motif qu’elle vient d’une source qui n’est pas neutre. En l’espèce, l’agent avait plusieurs raisons de ne pas accorder de poids aux lettres.

[18]  Les demanderesses font aussi remarquer que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a décrit l’auteur de la quatrième lettre comme le frère de la demanderesse principale, plutôt que comme son beau-frère. Il s’agissait en effet d’une erreur, mais elle était mineure selon moi. Le fait essentiel est que l’auteur est une personne qui est proche de la demanderesse principale et qui n’est pas neutre.

C.  Protection de l’État

[19]  Je ne suis pas convaincu que l’analyse de la preuve documentaire par l’agent était déraisonnable. La déclaration de l’agent selon laquelle la preuve était partagée était raisonnable et appuyée par de longues citations dans la décision. Par exemple, l’agent a cité un article de 2014 de l’Athena Institute qui indiquait que [traduction] « les groupes extrémistes qui ont causé d’importants problèmes aux autorités hongroises, qui ont terrorisé les Roms, les Juifs et les communautés LGBT à de nombreuses occasions et qui ont joué un rôle important dans l’entrée du mouvement Jobbik au Parlement en 2010 ont une importance négligeable ».

[20]  Il était aussi raisonnable pour l’agent de reconnaître que la même analyse des conditions du pays avait été faite dans la deuxième décision de la SPR et de faire remarquer que la preuve ne suffisait pas pour démontrer un changement important dans les conditions depuis.

[21]  Les demanderesses font valoir que l’agent s’est attardé sur les efforts pour améliorer les conditions des Roms en Hongrie, plutôt que de se concentrer sur les résultats obtenus par ces efforts. Même si l’agent a fait référence aux efforts, la décision aborde également les résultats obtenus. Je rejette cet argument.

D.  Analyse prospective

[22]  Les demanderesses critiquent l’agent pour avoir formulé l’observation selon laquelle les demanderesses avaient fourni une preuve insuffisante pour démontrer qu’elles avaient vécu des incidents de discrimination importants avant de quitter la Hongrie. Elles font valoir que l’analyse de l’agent aurait dû plutôt être prospective.

[23]  Selon moi, l’analyse de l’agent était prospective. Il n’y a rien de déraisonnable à faire observer qu’une discrimination importante dans le passé n’a pas été établie. Je remarque que cette observation a été immédiatement suivie par la reconnaissance du fait que [traduction] « les demanderesses ont fondé leur demande sur les conditions générales du pays pour les Roms en Hongrie et sur la possibilité qu’elles puissent faire l’objet de discrimination menant à de la persécution à l’avenir à leur retour à Hongrie » (Non souligné dans l’original).

E.  Examen de la question de savoir si la demanderesse mineure sera perçue comme une Rom

[24]  Les demanderesses soutiennent qu’il ne revient pas à l’agent d’établir si la demanderesse mineure sera perçue comme une Rom. Il devrait plutôt tenir compte des conséquences si elle est effectivement perçue comme une Rom.

[25]  J’accepte l’argument du défendeur selon lequel, même si l’analyse de l’agent à cet égard était déraisonnable, la conclusion demeure que la protection de l’État est adéquate. Par conséquent, cette question n’a aucune conséquence.

VI.  CONCLUSION

[26]  Par ces motifs, la présente demande devrait être rejetée. Les parties reconnaissent qu’il n’y a pas matière à certifier une question grave de portée générale.


JUGEMENT dans IMM-1161-17

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1161-17

 

INTITULÉ :

IMRENE NAGY ET HELENA MERCEDESZ HORVATH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Ameena Sultan

 

Pour les demanderesses

 

Me Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sultan Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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