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Date : 20170911


Dossier : IMM-410-17

Référence : 2017 CF 823

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

HUA LI

YUE FANG

QIAOYA FANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 27 décembre 2016, de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés qui a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu respectivement des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

Résumé des faits

[2]  Les demandeurs sont les membres d’une famille de trois personnes, soit Li Hua (la demanderesse principale), son époux, Yue Fang (le demandeur secondaire), et leur enfant mineur. Ils sont tous des citoyens de la Chine. Les demandeurs allèguent être recherchés par le Bureau de la sécurité publique de la Chine pour avoir dénoncé la corruption de représentants du gouvernement chinois concernant l’indemnisation pour l’expropriation d’une maison de village dans la province du Hubei dont la demanderesse principale était propriétaire et qui était occupée par ses parents.

[3]  Les demandeurs soutiennent que, en septembre 2015, la demanderesse principale qui vivait à Beijing, est allée rencontrer les villageois. La demanderesse principale et quatre autres personnes ont été élues pour aider les villageois à s’organiser quant à la question de l’indemnisation. Les villageois ont appris que les représentants de différents niveaux du gouvernement avaient détourné un montant important de l’indemnisation. Une plainte a été déposée auprès de divers ministères gouvernementaux pour demander une indemnisation équitable et une sanction sévère pour les représentants corrompus concernés, mais la plainte a été ignorée. Le 1er octobre 2015, deux cents villageois ont organisé une manifestation de type sit-in à l’hôtel de ville. Lors de cette manifestation, tous les représentants, y compris la demanderesse principale, ont été emmenés au poste de police et détenus pendant quatre jours; ils ont été avertis de ne pas causer d’autres ennuis, ils ont été battus et l’on a crié contre eux. La demanderesse principale est retournée à Beijing après sa libération. Des efforts ont été faits pour rendre le problème public, mais les articles affichés sur Internet ont été supprimés et les comptes Internet ont été désactivés. Les demandeurs soutiennent que les médias et les avocats avaient trop peur de s’attaquer à cette cause.

[4]  Le demandeur secondaire est retourné en Chine après avoir effectué une visite au Canada chez ses parents en novembre 2015. Ils ont décidé de déposer une pétition auprès du State Bureau of Letters and Calls à Beijing (Bureau de l’État), croyant que les représentants à Beijing n’agiraient pas avec la même impunité. Le demandeur secondaire a apporté une pétition au Bureau de l’État le 14 décembre 2015. Il fait valoir que, pendant qu’il faisait la queue, des personnes en civil qui prétendaient être des policiers sont arrivées et ont saisi sa pétition. Le demandeur secondaire et cinq ou six autres pétitionnaires ont été emmenés dans une [traduction] « prison noire » inconnue. Il y a été détenu pendant quatre jours, où il a été réprimandé par les représentants pour avoir terni l’apparence et l’image d’une capitale et pour en avoir perturbé la sécurité et la stabilité; ils ont reçu des coups de poing et des coups de pieds; et ils ont été avertis qu’une autre violation entraînerait l’emprisonnement. La pétition a été jugée illégale puisque la procédure appropriée aurait été de la déposer auprès du gouvernement provincial avant de consulter le gouvernement central. Le demandeur secondaire est retourné au Bureau de l’État le 30 décembre 2015 et a réussi à déposer une deuxième pétition.

[5]  Les demandeurs sont venus au Canada le 25 janvier 2016 pour célébrer le Nouvel An chinois avec les parents du demandeur secondaire. Ils soutiennent que, le 16 février 2016, des agents du Bureau de la sécurité publique ont rendu visite aux parents de la demanderesse principale afin de demander que les demandeurs reviennent en Chine et se rendent. Le Bureau de la sécurité publique a indiqué que les demandeurs avaient organisé une réunion illégale de personnes, qu’ils avaient attaqué le gouvernement dans une pétition et qu’ils avaient répandu des rumeurs visant à nuire à la stabilité sociale. Les parents de la demanderesse principale l’ont également informée que les quatre autres représentants du village avaient été arrêtés par le Bureau de la sécurité publique. Peu après que le Bureau de la sécurité publique eut rendu visite aux parents de la demanderesse principale, un cousin qui s’occupait de la maison des demandeurs à Beijing y a reçu des lettres de l’employeur des demandeurs mettant fin à leur emploi. Les demandeurs ont ensuite présenté une demande d’asile au Canada.

Décision de la Section de la protection des réfugiés

[6]  La Section de la protection des réfugiés a jugé que la question déterminante dans cette affaire était celle de la crédibilité. Elle a tiré des conclusions défavorables du témoignage du demandeur secondaire selon lequel il serait retourné au même Bureau de l’État pour déposer une deuxième pétition, après avoir été détenu et agressé quelques jours auparavant au point où il craignait pour sa vie; du fait qu’il lui aurait été possible de déposer une pétition le 30 décembre 2015 à la suite de mesures agressives et préventives prises par les autorités chinoises pendant la première tentative; du témoignage du demandeur secondaire portant sur sa détention dans une [traduction] « prison noire » en raison d’incohérences dans son témoignage; et du témoignage des demandeurs selon lequel ils ont fait un voyage de plaisir au Canada sans avoir aucun élément de preuve corroborant ce voyage alors qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils produisent de tels documents.

[7]  La Section de la protection des réfugiés a décidé que les conclusions défavorables cumulatives concernant les aspects centraux des arguments minaient la crédibilité générale du demandeur secondaire. Ce manque de crédibilité touchait tous les aspects de la demande, dont les éléments de preuve documentaire, auxquels un faible poids a en conséquence été accordé. La Section de la protection des réfugiés a également mentionné la facilité avec laquelle il est possible d’obtenir des documents frauduleux en Chine. En ce qui concerne les documents ayant trait à l’expropriation des terrains, ils n’indiquaient pas en soi que les demandeurs avaient protesté contre le gouvernement chinois ni les événements subséquents. Dans l’ensemble, la Section de la protection des réfugiés n’a pas été convaincue que les demandeurs avaient participé à des protestations ou à d’autres activités, comme les pétitions, qui constituaient une forme d’opposition ou étaient perçues comme telles. En conséquence, la Section de la protection des réfugiés ne croyait pas que les autorités chinoises recherchaient les demandeurs en raison de ces actes et elle a jugé qu’ils n’avaient pas établi la véracité de leurs allégations.

La décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La Section d’appel des réfugiés était saisie de deux questions. Elle devait décider si la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en accordant peu de poids, voire aucun, aux éléments de preuve documentaire indépendants corroborant les allégations des demandeurs et en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité générale. Aucun nouvel élément de preuve n’a été déposé par les demandeurs qui n’ont pas sollicité une audience.

[9]  La Section d’appel des réfugiés a décidé que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur secondaire n’aurait pas cherché à présenter, une deuxième fois, une pétition au Bureau de l’État après avoir été arrêté, détenu et battu. La Section d’appel des réfugiés a estimé que la décision Tshibola Kabongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 313 n’était pas pertinente à la situation des demandeurs, comme ils l’ont fait valoir. La Section d’appel des réfugiés en a jugé ainsi parce que le demandeur secondaire n’avait pas manifesté sa dissidence politique contre un gouvernement autoritaire, il cherchait simplement à obtenir une meilleure indemnisation pour ses beaux-parents. En outre, le demandeur secondaire occupait un poste de gestion dans une entreprise d’État et n’avait pas intérêt à compromettre son gagne-pain ni ses arrangements de voyage avec sa famille au Canada et aux États-Unis en cherchant à déposer une pétition une deuxième fois.

[10]  En ce qui concerne les éléments de preuve documentaire selon lesquels les agents de sécurité du gouvernement avaient forcé les pétitionnaires à retourner dans leur province d’origine, la Section d’appel des réfugiés a déclaré que le demandeur secondaire n’avait pas participé à la pétition et aux manifestations locales parce qu’il était au Canada pendant cette période. Le demandeur secondaire était également un résident de Beijing et il n’a produit aucun élément de preuve démontrant qu’il était connu des représentants de la province du Hubei comme le porteur d’une pétition concernant un village de cette province. La Section d’appel des réfugiés a également conclu que les représentants du Hubei auraient été informés après que la première pétition eut été portée à l’attention du gouvernement central, mais le fait qu’ils auraient été informés de la première pétition forçait la crédulité puisqu’elle n’a jamais été déposée.

[11]  En outre, le récit de l’enlèvement du demandeur secondaire pendant qu’il faisait la queue au Bureau de l’État forçait également la crédulité. Même si les éléments de preuve documentaire indiquaient que les pétitionnaires subissaient des représailles, la Section d’appel des réfugiés a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que de telles mesures n’auraient pas été prises à l’intérieur d’un bureau du gouvernement central chargé de la réception des pétitions. Même si la Section d’appel des réfugiés a reconnu que les agents de sécurité de la province du Hubei puissent être déployés à Beijing pour stopper les pétitionnaires, elle a conclu qu’il était également invraisemblable que ces agents n’arrêtent et ne détiennent pas seulement une personne qui transporte une pétition concernant cette localité, mais également d’autres pétitionnaires d’un certain nombre d’autres localités.

[12]  Elle a également décidé que, si les autorités d’une province comme le Hubei étaient à ce point préoccupées par la pétition et savaient que le demandeur secondaire en était le porteur, il est probable, selon la prépondérance des probabilités, qu’on l’aurait empêché une deuxième fois de déposer la pétition.

[13]  La Section d’appel des réfugiés a souscrit à la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le témoignage du demandeur secondaire concernant les [traduction] « prisons noires » portait à confusion et était changeant et incohérent. En général, la Section d’appel des réfugiés a souscrit à la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le témoignage du demandeur secondaire était dépourvu de véracité en ce qui concerne le dépôt de deux pétitions au Bureau de l’État, le fait qu’il a été détenu et battu et qu’il a été emprisonné dans une [traduction] « prison noire ». De plus, la Section d’appel des réfugiés a souscrit aux conclusions défavorables tirées par la Section de la protection des réfugiés concernant la raison pour laquelle les demandeurs sont venus au Canada, en l’absence d’éléments de preuve corroborants autres que les visas américains, une question qui n’a pas été abordée par la Section de la protection des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que des éléments de preuve corroborants soient produits dans les circonstances.

[14]  En ce qui concerne le traitement des éléments de preuve documentaire, la Section d’appel des réfugiés était d’accord avec les demandeurs quant à l’obligation de la Section de la protection des réfugiés de tenir compte de tous les éléments de preuve documentaire que les demandeurs ont produite afin de corroborer leurs allégations. La Section d’appel des réfugiés a ensuite examiné chacun des éléments de preuve documentaire. Elle a conclu qu’il n’y avait aucun motif pour remettre en question l’authenticité de l’avis de détention indiquant que des représentants du gouvernement avaient détenu la demanderesse principale pendant quatre jours pour avoir participé à un rassemblement concernant l’expropriation de terrains du village. Toutefois, cet élément de preuve ne corroborait pas en soi l’allégation des demandeurs selon lequel les autorités chinoises les recherchaient toujours. En ce qui concerne l’avis d’arrestation à l’égard du demandeur secondaire, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il était [traduction] « manifestement frauduleux ». Le document indiquait que le demandeur secondaire avait été arrêté le 16 février 2016. Cependant, les demandeurs étaient à Toronto à cette date et le demandeur secondaire aurait été arrêté et détenu le 14 décembre 2015. L’avis d’arrestation renforçait donc les préoccupations de la Section d’appel des réfugiés quant à la crédibilité des allégations des demandeurs. L’avis d’arrestation frauduleux remettait en question l’authenticité des deux avis de licenciement des demandeurs (avis de licenciement).

[15]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que le Bureau de la sécurité publique aurait probablement délivré une assignation écrite et un mandat d’arrestation. L’absence d’une assignation ou d’un mandat d’arrestation remettait sérieusement en doute le fait que les demandeurs étaient recherchés par le Bureau de la sécurité publique en raison de leurs activités supposées (Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1255).

[16]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils étaient recherchés par les autorités chinoises et qu’ils n’avaient pas produit d’éléments de preuve suffisants permettant de tirer une conclusion favorable quant à leur appel.

Questions en litige et norme de contrôle

[17]  Les demandeurs indiquent que la Cour est saisie de deux questions, à savoir si la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité et en rejetant les éléments de preuve documentaire des demandeurs. La norme applicable aux conclusions relatives à la crédibilité est la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Owochei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 140, au paragraphe 20; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 354, au paragraphe 9). À l’audience, les demandeurs ont soutenu que le traitement par la Section d’appel des réfugiés de l’avis d’arrestation suscitait une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Le défendeur ne présente aucun argument réfutant cette affirmation et je suis d’accord que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).

[18]  Je suis d’avis que la question déterminante en l’espèce est celle liée au traitement des éléments de preuve documentaire par la Section d’appel des réfugiés.

La thèse des demandeurs

[19]  Les demandeurs soutiennent que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur lorsqu’elle a rejeté leurs pièces justificatives. Elle a conclu que l’avis d’arrestation était [traduction] « manifestement frauduleux » parce qu’il visait à prouver l’arrestation du demandeur secondaire, mais encore parce que la date d’arrestation indiquée était le 16 février 2016 et que le demandeur secondaire était au Canada à cette date. Les demandeurs font valoir que la Section d’appel des réfugiés avait mal interprété l’ensemble du document qui indiquait clairement que l’arrestation était celle de Feng Zou, l’un des représentants du village qui avait offert une aide pour le grand rassemblement et la pétition. La date d’arrestation correspondait également à l’affirmation des demandeurs voulant que d’autres représentants du village aient été arrêtés le 16 février 2016 et elle corrobore cette allégation. L’avis d’arrestation indiquait également le motif de l’arrestation, soit l’organisation d’un grand rassemblement. La Section d’appel des réfugiés aurait dû investiguer pour vérifier qui visait l’avis d’arrestation. En outre, les demandeurs n’ont pas eu l’occasion de répondre à cette préoccupation, que la Section de la protection des réfugiés n’a pas abordée, entraînant ainsi un manquement au principe d’équité procédurale puisqu’il incombait à la Section d’appel des réfugiés de s’assurer que les questions déterminantes de la demande étaient soulevées auprès des demandeurs (Sarker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1168, au paragraphe 19 [Sarker]). Quoi qu’il en soit, une date erronée en soi ne suffit pas pour étayer une conclusion selon laquelle le document était [traduction] « manifestement frauduleux » puisqu’un document officiel peut comporter une date erronée.

[20]  De plus, la Section d’appel des réfugiés n’a accordé aucun poids aux avis de licenciement uniquement en raison de ses préoccupations relatives à l’avis d’arrestation frauduleux. Les demandeurs soutiennent que les avis de licenciement indiquaient les motifs de congédiement et, par conséquent, constituaient une autre preuve des problèmes éprouvés par les demandeurs à l’égard du gouvernement, si la Section d’appel des réfugiés les avait retenus. La Section d’appel des réfugiés n’avait également aucun motif de douter du fait que l’avis de détention constituait une preuve que la demanderesse principale avait organisé le rassemblement et avait été détenue. Les demandeurs font valoir que la conclusion de fraude minait toute la crédibilité qu’ils auraient acquise au moyen des documents qui établissent d’autres éléments de leur thèse et qu’ils ont été injustement privés de l’avantage conféré par un témoignage reconnu comme véridique.

[21]  La Section d’appel des réfugiés a retenu que la demanderesse principale avait été détenue, mais a commis une erreur en souscrivant à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle, même s’il existait une preuve de l’expropriation des terrains, les demandeurs n’avaient pas établi leur implication dans le mouvement de protestation qui les exposait à un risque de persécution. Il n’y avait aucun motif de rejeter l’importance de ce document alors qu’il avait trait au cœur même de la demande.

[22]  Les demandeurs font valoir que le manquement au principe d’équité procédurale découle de l’absence d’une assignation soulevée par la Section d’appel des réfugiés. La Section de la protection des réfugiés n’a pas abordé cette question et les demandeurs n’ont donc pas eu l’occasion d’y répondre. En outre, la décision de la Section d’appel des réfugiés ne tient pas compte de la jurisprudence récente qui enseigne que les procédures d’assignations en Chine varient selon les régions (Zeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1060, aux paragraphes 26 à 28).

Position du défendeur

[23]  Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas établi que la Section d’appel des réfugiés a évalué de manière déraisonnable leurs éléments de preuve documentaire. En ce qui concerne l’avis d’arrestation que la Section d’appel des réfugiés a jugé être manifestement frauduleux, le défendeur reconnaît que le document visait Feng Zou et non le demandeur secondaire, comme le croyait la Section d’appel des réfugiés. Toutefois, dans les observations écrites de l’ancien avocat des demandeurs devant la Section d’appel des réfugiés, il était indiqué que le document portait sur [traduction] l’« arrestation de l’appelant en raison du dépôt d’une pétition à Beijing ». L’ancien avocat des demandeurs n’a pas non plus expliqué qui était Feng Zou ni comment l’arrestation de février 2016 étayait leur demande. Selon le défendeur, on ne peut reprocher à la Section d’appel des réfugiés d’avoir omis de constater que l’avis d’arrestation avait été délivré à l’égard d’une autre personne dans ces circonstances. En conséquence, la Section d’appel des réfugiés a conclu de manière raisonnable que le document était frauduleux et, par extension, elle a remis en question l’authenticité des avis de licenciement. La Section d’appel des réfugiés n’avait aucune obligation de soulever la question auprès des demandeurs et l’erreur est sans conséquence parce que la Section d’appel des réfugiés avait déjà décidé que l’allégation des demandeurs selon laquelle ils étaient des pétitionnaires n’était pas crédible.

[24]  Le défendeur distingue également la décision Sarker et soutient que les demandeurs avaient déjà soulevé l’omission par la Section de la protection des réfugiés d’apprécier les éléments de preuve documentaire, qui corroboraient de manière indépendante leurs allégations, comme le fondement d’une décision favorable. Les demandeurs savaient que la Section de la protection des réfugiés avait des doutes quant à leur crédibilité et ils connaissaient leur fardeau de preuve. Puisque les demandeurs avaient soulevé la question des éléments de preuve indépendants, il était loisible à la Section d’appel des réfugiés de tenir compte de l’absence de l’assignation; elle n’était pas tenue de soulever cette question auprès des demandeurs et sa conclusion défavorable était raisonnable.

Analyse

[25]  À mon avis, il est évident que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur de fait concernant l’avis d’arrestation, qui indique clairement qu’il avait été délivré à l’égard des membres de la famille de Feng Zou. Il indiquait en outre que Feng Zou avait été arrêté le 16 février 2016 [traduction] « pour avoir organisé un grand rassemblement, pour avoir diffusé des rumeurs visant à perturber la stabilité sociale et pour avoir présenté une pétition contre le gouvernement du peuple ». La déclaration du traducteur de l’avis d’arrestation décrit le document traduit comme [traduction] « l’avis d’arrestation de la République populaire de Chine à l’égard du villageois voisin de Hua Li, Feng Zou ». En outre, le formulaire Fondement de la demande d’asile de la demanderesse principale énonce que, le 16 février 2016, ses parents l’ont informée que des représentants du Bureau de la sécurité publique leur avaient rendu visite le même jour et leur avaient demandé de dire aux demandeurs de revenir en Chine et de se rendre. Le Bureau de la sécurité publique alléguait que les demandeurs avaient incité des personnes à participer à une réunion illégale, qu’ils s’étaient impliqués dans l’organisation des manifestations, qu’ils avaient attaqué le gouvernement au moyen d’une pétition et qu’ils avaient diffusé des rumeurs visant à mettre en péril la stabilité sociale. Les parents de la demanderesse principale l’ont également informée que les quatre autres représentants du village avaient été arrêtés. De plus, le 25 décembre 2015, la pétition indique [traduction] « Nous somme les villageois, Yewei Yang, Hua Li, Feng Zou, Pengju Xiao et Hua Tong […] » et accusons le maire nommé et le promoteur immobilier d’avoir détourné l’indemnisation et d’avoir privé les propriétaires fonciers du village du montant confirmé par l’État. La pétition indique en outre que les représentants, au nom des villageois, ont signalé la situation, mais que le gouvernement n’a pas répondu. Les représentants ont donc organisé une manifestation assise qui a été dispersée par les policiers qui ont détenu les représentants pendant plusieurs jours. La pétition sollicitait l’aide du gouvernement central pour faire respecter la loi, enquêter sur les manœuvres frauduleuses des représentants locaux et engager une réforme politique.

[26]  Même s’il est vrai que, dans ses observations écrites devant la Section d’appel des réfugiés, l’ancien avocat des demandeurs avait décrit de manière erronée l’avis d’arrestation comme visant l’appelant (le demandeur secondaire) pour avoir déposé une pétition à Beijing, la Section d’appel des réfugiés ne mentionne aucunement que le document indique clairement qu’il vise l’arrestation de Feng Zou, et non le demandeur secondaire. Si la Section d’appel des réfugiés avait examiné l’avis d’arrestation, ce fait aurait été évident. De même, la déclaration du traducteur indiquait que l’avis d’arrestation visait Feng Zou. Ainsi, la pétition, qui faisait également partie du dossier dont la Section d’appel des réfugiés était saisie, identifiait Feng Zou par son nom comme l’un des cinq organisateurs du village, ainsi que Hua Li, la demanderesse principale. En conséquence, je ne suis pas d’accord avec le défendeur qui soutient qu’il était raisonnable que la Section d’appel des réfugiés décide que l’avis d’arrestation était manifestement frauduleux du fait de l’erreur figurant dans les observations écrites des demandeurs, erreur qu’elle a omis de déceler. Il n’était pas non plus raisonnable de s’attendre à ce que l’ancien avocat, ayant commis l’erreur, explique ensuite qui est Feng Zou ou pourquoi son arrestation était pertinente.

[27]  Puisque la Section d’appel des réfugiés a décidé que l’avis d’arrestation était frauduleux, elle a également décidé qu’il renforçait ses préoccupations quant à la crédibilité des arguments des demandeurs, soulignant particulièrement l’allégation du demandeur secondaire selon laquelle il avait été arrêté et détenu pour avoir voulu déposer sa pétition au Bureau de l’État le 14 décembre 2015 et qu’il avait été détenu dans une [traduction] « prison noire ». Toutefois, tel que cela est indiqué ci-dessus, l’avis d’arrestation ne visait pas le demandeur secondaire. Ainsi, les préoccupations majeures quant à la crédibilité du demandeur secondaire étaient fondées sur la conclusion selon laquelle l’avis d’arrestation était frauduleux et elles étaient également déraisonnables. En outre, la Section d’appel des réfugiés n’avait aucun motif de douter que l’avis de détention constitue une preuve que la demanderesse principale avait organisé le rassemblement et avait été détenue. En conséquence, dans la mesure où cette conclusion quant au caractère frauduleux de l’avis d’arrestation a eu une incidence défavorable sur la crédibilité de la demanderesse principale, elle était également déraisonnable. De même, la Section d’appel des réfugiés a remis en question l’authenticité des avis de licenciement des demandeurs comme corollaire du fait qu’elle avait conclu que l’avis d’arrestation était frauduleux. Cet élément pourrait être important puisque ces avis indiquaient les motifs du licenciement et comportaient une date postérieure à la date de départ de la Chine des demandeurs.

[28]  À mon avis, les erreurs de fait commises par la Section d’appel des réfugiés sont susceptibles de contrôle puisqu’ils ont servi à écarter à tort des éléments de preuve corroborants qui auraient pu étayer la demande des demandeurs et ont donné lieu, à tort, à des doutes sur la crédibilité des demandeurs (Malveda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 447, au paragraphe 24; Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7). Plus particulièrement, l’avis d’arrestation corrobore l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle ses parents l’avaient informée que les quatre autres représentants du village avaient été arrêtés après son départ de la Chine. Étant donné que je ne peux déduire que le résultat aurait été différent si l’erreur n’avait pas été commise, l’affaire doit être renvoyée à un autre tribunal de la Section d’appel des réfugiés pour un nouvel examen. Vu mes conclusions à cet égard, il n’est pas nécessaire que je tranche les autres questions soulevées par les parties.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-410-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différent pour nouvel examen.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-410-17

 

INTITULÉ :

HUA LI, YUE FANG, QIAOYA FANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 août 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Anna Shabotynsky

Phillip J. L. Trotter

POUR LES DEMANDEURS

 

Eleanor J. Elstub

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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