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Date : 20170911


Dossier : T-208-17

Référence : 2017 CF 821

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

RABBIYA NASIR ABIDI

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 23 janvier 2017 par laquelle un juge de la citoyenneté a tranché que la défenderesse s’était conformée aux exigences en matière de résidence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi). Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada (le ministre), dépose la présente demande de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 21.1(3) de la Loi.

[2]  La défenderesse est une citoyenne du Mexique. Elle a acquis la résidence permanente au Canada le 22 décembre 2004 et demandé la citoyenneté canadienne le 16 mars 2012. La période pertinente pour trancher si la défenderesse s’est conformée aux exigences en matière de résidence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi s’étend par conséquent du 16 mars 2008 au 16 mars 2012.

[3]  Dans sa demande de citoyenneté, la défenderesse a déclaré 1 319 jours de présence effective au Canada au cours de la période pertinente, ainsi que 5 absences totalisant 41 jours. Elle a rempli le questionnaire sur la résidence et l’a déposé le 10 mars 2013 avec des documents à l’appui. Dans un premier temps, soit le 3 septembre 2015, un agent de la citoyenneté a confirmé que la défenderesse avait satisfait aux exigences prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi dans la version abrégée du gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier. Ultérieurement, soit le 22 novembre 2016, un autre agent de la citoyenneté (l’agent) a indiqué dans une version longue du gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier 2016 que la défenderesse s’était absentée pendant 481 jours au cours de la période pertinente et qu’elle avait été physiquement présente au Canada pendant 979 jours. Il ressort de ces calculs un déficit de 116 jours non déclarés. L’agent a recommandé que les questions subsistant au sujet de la période de résidence soient résolues dans le cadre d’une audience devant un juge de la citoyenneté (le juge).

[4]  Le 23 janvier 2017, le juge a conclu que la défenderesse avait fourni suffisamment d’éléments de preuve confirmant qu’elle avait été présente au Canada au moins 1 193 jours et qu’elle s’était par conséquent conformée aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

Décision faisant l’objet du contrôle

[5]  Le juge a conclu que la demande de citoyenneté devait être approuvée étant donné que la défenderesse avait fourni suffisamment d’éléments de preuve qui, selon la prépondérance des probabilités, confirmaient qu’elle s’était conformée aux exigences relatives à la présence effective au Canada de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, et même qu’elle les avait dépassées.

[6]  Le juge a pris acte des doutes soulevés par l’agent quant à la crédibilité de la défenderesse, et découlaient notamment d’une enquête concernant une allégation de déclaration trompeuse portée contre la défenderesse parce qu’elle avait omis de déclarer un enfant dans sa demande d’immigration; de l’impossibilité de confirmer certaines dates d’entrée au Canada après des absences déclarées; du fait que le revenu de la défenderesse était nettement inférieur à celui gagné normalement par un médecin exerçant au Canada, ainsi que de l’absence d’indicateur actif de présence à l’appui de la demande. Le juge a conclu que la défenderesse avait fourni suffisamment d’éléments de preuve pour dissiper tous ces doutes.

[7]  Il a fait observer qu’il incombait à la défenderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle s’était conformée aux exigences de la Loi, et particulièrement à celles intéressant la période de résidence (Saqer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1392, aux paragraphes 20 et 21), et de déclarer ses absences physiques ainsi que leur durée (Pornejad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 455, au paragraphe 9). Le juge a cru bon de rappeler qu’un passeport ne constitue pas une attestation irréfutable de présence effective au Canada (Haddad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 976, au paragraphe 26).

[8]  Il a expliqué par ailleurs qu’il avait mené une analyse en trois volets. Dans le premier volet, il a calculé le nombre de jours d’absence déclarés et vérifié si, selon la prépondérance des probabilités, les dates de départ et de retour associées pouvaient être confirmées. Le deuxième volet consistait à déterminer s’il existait des preuves de voyages non déclarés. Le troisième volet visait à déterminer, selon la prépondérance des probabilités, la durée de tout voyage non déclaré.

[9]  La défenderesse a déclaré les mêmes absences dans son formulaire de demande que dans le questionnaire sur la résidence. Le juge a par conséquent établi qu’elle avait déclaré cinq voyages.

[10]  Il a constaté qu’il lui était possible de confirmer les cinq dates de départ selon la prépondérance des probabilités :

  i.  Le 16 mars 2008 – Le juge a constaté que la défenderesse était absente du Canada au début de la période pertinente. Il a donc fixé le départ associé à la première absence au 16 mars 2008.

  ii.  Le 7 avril 2009 – Un timbre apposé au passeport de la défenderesse indique une entrée au Pakistan le 8 avril 2009. Considérant que le vol Canada-Pakistan se fait généralement de nuit, le juge a fixé la date de départ associée à la deuxième absence au 7 avril 2009.

  iii.  Le 4 octobre 2009 – Un timbre apposé au passeport de la défenderesse indique une entrée aux États-Unis le 4 octobre 2009. Le juge a établi qu’il s’agissait de la date de départ associée à la troisième absence.

  iv.  Le 26 février 2010 – Un timbre apposé au passeport de la défenderesse indique une nouvelle entrée au Pakistan le 27 février 2010. Le juge a donc fixé la date de départ associée à la quatrième absence au 26 février 2010.

  v.  Le 6 décembre 2011 – Un timbre d’entrée apposé au passeport de la défenderesse indique une entrée aux Émirats arabes unis le 7 décembre 2011. Considérant que le vol Canada-Émirats arabes unis se fait généralement de nuit, le juge a fixé la date de départ associée à la cinquième absence au 6 décembre 2011.

[11]  Pour ce qui est des dates de retour, le juge a conclu qu’il pouvait confirmer, selon la prépondérance des probabilités, les dates de retour associées à trois des cinq absences déclarées. Selon un rapport du Système intégré d’exécution des douanes (SIED) daté du 10 septembre 2014, la défenderesse est entrée au Canada à trois reprises au cours de la période pertinente et les dates correspondent aux dates de retour déclarées.

[12]  La défenderesse a également déclaré un retour au Canada le 10 mai 2008. À l’audience devant le juge, elle a expliqué qu’elle était revenue au Canada afin d’obtenir son permis d’exercice de la médecine en Ontario. Pendant cette période, elle vivait la plupart du temps chez un membre de sa famille pour se préparer aux examens du conseil médical. Elle a reçu son permis d’exercer de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario le 4 septembre 2008. Le juge de la citoyenneté a confirmé que la date de délivrance du permis correspondait à celle que la défenderesse lui avait indiquée à l’audience. Il a par ailleurs observé que son témoignage était sincère, cohérent et crédible. La défenderesse a reconnu l’absence d’indicateur actif de sa présence au Canada entre le 10 mai et la fin d’août 2008. Par voie de lettre, le directeur du Castlemore Health Centre de Brampton, en Ontario, a confirmé qu’elle a commencé à y exercer la médecine en septembre 2008. De plus, une facture produite indique qu’elle a commencé à payer des primes d’assurance professionnelle en septembre 2008. À l’audience, elle a expliqué qu’elle avait commencé à exercer la médecine à son cabinet le 15 septembre 2008. Le juge a par conséquent fixé au 14 septembre 2008 plutôt qu’au 10 mai 2008 la date de retour associée à cette absence.

[13]  La défenderesse a également déclaré qu’elle était rentrée des États-Unis le 11 octobre 2009. Le juge a de plus pris en compte les remboursements versés par le ministère de la Santé de l’Ontario pour l’année 2009, soit 14 088 $ en octobre, 18 004 $ en novembre et 21 926 $ en décembre. En janvier 2010, elle a reçu 27 000 $. Le juge s’est dit convaincu que la défenderesse avait exercé la médecine à son cabinet au cours de cette période. Elle a aussi déclaré un voyage aux États-Unis au cours duquel elle a assisté au mariage d’un membre de sa famille. Étant donné que la défenderesse a témoigné de manière sincère, cohérente et crédible à l’audience, et compte tenu des éléments de preuve attestant qu’elle avait exercé la médecine dans son cabinet en octobre 2009, le juge a retenu la date déclarée du 11 octobre 2009 comme date de retour.

[14]  L’agent n’avait trouvé aucune preuve de voyage non déclaré, et le juge est parvenu à la même conclusion. Il a par conséquent conclu que, selon la prépondérance des probabilités, aucune absence non déclarée ne pouvait être associée à la demande de la défenderesse. Il a estimé qu’il était inutile de procéder au troisième volet de l’analyse.

[15]  Le juge a calculé que, selon la prépondérance des probabilités, la défenderesse avait été absente durant un total de 267 jours au cours des 5 périodes suivantes :

  • du 16 mars 2008 (début de la période pertinente) au 14 septembre 2008 : 182 jours;

  • du 7 avril au 3 mai 2009 : 26 jours;

  • du 4 octobre au 11 octobre 2009 : 7 jours;

  • du 27 février au 21 mars 2010 : 22 jours;

  • du 6 décembre 2011 au 5 janvier 2012 : 30 jours.

[16]  De l’avis du juge, la défenderesse a fourni suffisamment d’éléments de preuve de sa présence effective au Canada pendant au moins 1 193 jours pour soutenir sa demande de citoyenneté.

[17]  Il a pris acte des doutes de l’agent concernant le revenu de la défenderesse indiqué sur l’avis de cotisation de l’Agence du revenu du Canada, qui selon lui était beaucoup trop faible considérant que la défenderesse prétendait avoir exercé la médecine au Canada durant cette période. Le juge a constaté que la défenderesse avait reçu des remboursements de 21 705 $ pour 2 mois en 2008, de 197 417 $ pour l’année 2009, de 254 676 $ pour l’année 2010, de 257 667 $ pour l’année 2011, et de 158 713 $ pour les 3 premiers trimestres de 2012. Ces renseignements corroborent sa déclaration comme quoi elle a exercé la médecine entre septembre 2008 et la fin de la période pertinente. La défenderesse a également expliqué qu’il est courant pour les médecins de se constituer en société et de facturer des honoraires au nom de cette société. Dans le cas de la défenderesse, la société payait sa part des frais de la clinique et versait un salaire à son mari, qui était associé dans la société, ce qui avait pour conséquence de réduire son revenu personnel. Le juge a conclu que la défenderesse avait expliqué de façon satisfaisante le revenu qu’elle avait déclaré aux fins de l’impôt, et que sa crédibilité ne s’en trouvait pas minée aux fins de sa demande de citoyenneté. Il a conclu également que les documents fournis pour confirmer qu’elle avait exercé la médecine entre le 15 septembre 2008 et la fin de la période pertinente révélaient suffisamment d’indicateurs actifs de sa présence effective au Canada.

[18]  Il a répété que la défenderesse avait témoigné de manière sincère, cohérente et crédible à l’audience et que, selon la prépondérance des probabilités, elle avait fourni une preuve documentaire suffisante pour étayer ses déclarations concernant sa présence au Canada.

[19]  En dernier lieu, le juge a abordé la question de l’enquête dont avait fait l’objet la défenderesse en 2011 concernant une allégation de déclaration trompeuse. Cette enquête a été close le 30 juillet 2014, et l’agent de la citoyenneté a indiqué qu’il ne serait pas donné suite à l’allégation portée contre la défenderesse. Le juge a conclu par conséquent qu’il ne tiendrait compte ni de l’allégation ni de l’enquête qui a suivi dans sa décision.

Questions en litige et norme de contrôle

[20]  À mon avis, la seule question à résoudre dans la présente affaire est celle de savoir si le juge de la citoyenneté pouvait raisonnablement conclure que la défenderesse s’est conformée aux exigences de résidence imposées par la Loi sur la citoyenneté.

[21]  Le ministre fait valoir, et j’abonde dans le même sens, que la norme de la décision raisonnable s’applique lorsque se pose la question de savoir si l’auteur d’une demande de citoyenneté s’est conformé aux exigences de la Loi (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 576, aux paragraphes 26 et 27; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdallah, 2012 CF 985, au paragraphe 8; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, au paragraphe 12).

[22]  Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit être convaincue que la décision est justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). La retenue s’impose à l’égard des conclusions d’un juge de la citoyenneté parce qu’il est le mieux placé pour vérifier si les faits établissent la résidence (Martinez-Caro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640, au paragraphe 46 [Martinez-Caro]). Les conclusions du juge quant à la crédibilité commandent également une grande retenue (Martinez-Caro, au paragraphe 46; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sukkar, 2017 CF 693, au paragraphe 20 [Sukkar]).

Thèses des parties

Thèse du ministre

[23]  Le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en appliquant le critère de la présence effective énoncé dans la décision Pourghasemi (Re) (1993), 62 FTR 122 (1re instance) [Pourghasemi (Re)]; que ses conclusions se rapportant aux exigences de résidence imposées par l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté ne sont pas étayées par la preuve à sa disposition, et que ses motifs sont insuffisants. Le ministre souligne à cet égard les doutes exprimés par l’agent de la citoyenneté dans la version longue du gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier. Selon le ministre, l’agent a formé ces doutes parce qu’il ne disposait pas de suffisamment de preuves pour confirmer les dates d’absence du Canada déclarées par la défenderesse, et il lui était loisible de faire un nouveau calcul des jours de présence effective. Le ministre reproche au juge de la citoyenneté d’avoir fait peu de cas des doutes de l’agent et d’avoir omis d’indiquer quelles parties du témoignage de la défenderesse ont permis de les dissiper et de confirmer sa résidence au Canada. Il estime en outre que le juge n’a pas, du moins en apparence, procédé à l’analyse que lui imposaient les doutes exprimés par l’agent.

[24]  À son avis, le juge a commis une erreur en retenant des déclarations de la défenderesse quant à sa présence au Canada qui ne sont corroborées par aucune preuve documentaire. Cette démarche déroge au critère énoncé dans la décision Re Pourghasemi. Le ministre reproche aussi au juge de s’être fié uniquement aux dires de la défenderesse concernant sa présence au Canada durant les périodes alléguées, sans autre vérification (El Falah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 736, au paragraphe 21 [El Falah]). Le ministre ajoute que le juge a aussi commis l’erreur de déterminer des dates de départ et de retour sans preuve à l’appui, ce qui est contraire au premier volet de l’analyse. Il s’ensuit que la décision du juge est déraisonnable puisque la défenderesse n’a pas rempli son obligation de fournir suffisamment d’éléments de preuve objectifs de sa conformité aux exigences de résidence (Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 145, aux paragraphes 8, 9 et 11).

[25]  Le juge a également conclu à tort que la défenderesse était au Canada en septembre 2008. Il a commis une autre erreur en établissant, à partir du timbre indiquant une entrée au Pakistan le 8 avril 2009, que la défenderesse avait quitté le Canada le 7 avril 2009. Cette conclusion est foncièrement viciée puisque le juge a ignoré le fait que le passeport a été délivré à la défenderesse au Pakistan le 13 février 2009, alors qu’elle prétend avoir été présente au Canada à cette date. Pour ce qui est du retour au Canada en octobre 2009, le juge a commis une erreur en faisant abstraction de l’absence d’indicateur actif de présence et du fait que la défenderesse exerçait sa profession au sein d’une société et que le versement d’honoraires à cette société ne donne pas une preuve de sa présence effective au Canada. La défenderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir qu’elle a exercé à son cabinet à partir du 11 octobre 2009. Compte tenu de ces lacunes dans les éléments de preuve, le juge a conclu à tort qu’il pouvait procéder au premier volet de son analyse et ses motifs n’expliquent pas la démarche suivie pour pallier ces lacunes. Le caractère déraisonnable de la décision tient également à l’insuffisance de justifications fondées sur la preuve dans les motifs du juge. Plus particulièrement, il ne parle pas des timbres manquants dans le passeport de la défenderesse et de sa délivrance au Pakistan à un moment où elle prétend avoir été présente au Canada; de son revenu personnel peu élevé et du défaut de produire l’avis de cotisation pour l’année 2009; du fait que la plupart de ses opérations bancaires étaient automatisées; de la constitution en société; de l’impossibilité de vérifier son retour au Canada en septembre 2009. Le juge n’a pas non plus cherché à savoir pourquoi la première inscription du Régime d’assurance-maladie de l’Ontario la concernant a été faite en décembre 2009, alors qu’elle a accouché en mars 2008, ni fait de vérification concernant les périodes de résidence déclarées qui ne sont pas corroborées par des éléments de preuve documentaire.

[26]  Notre Cour a par la suite autorisé le ministre à soumettre d’autres observations écrites. À ce moment, la défenderesse avait seulement produit l’affidavit souscrit le 14 juillet 2017. Le ministre s’est opposé à la production de la pièce A dudit affidavit, soit la copie d’un rapport intitulé « Preventive Care Target Population/Service Report » (le registre des consultations) transmis à son groupe médical, le Castlemore Family Health Group. Ce rapport la désigne à titre de médecin et donne une liste des services fournis (vaccination des enfants), y compris durant les périodes en litige. Le ministre prétend que le juge de la citoyenneté n’avait pas été saisi de ce registre et qu’il ne peut donc être pris en compte pour établir le caractère raisonnable de sa décision. De plus, le registre viole de façon flagrante l’obligation de protéger les renseignements confidentiels puisqu’il contient des noms, des dates de naissance, des numéros d’assurance-maladie et d’autres renseignements concernant des patients de la clinique. Cette violation, qui suffirait pour que le registre des consultations soit radié, s’ajoute à l’absence de valeur probante étant donné que le décideur ne l’avait pas à sa disposition.

[27]  Il convient de souligner que le ministre est revenu sur ses allégations précédentes et a convenu que le passeport pakistanais avait vraisemblablement été délivré à la défenderesse à Toronto. Il a donc abandonné son argument comme quoi le juge de la citoyenneté avait commis une erreur en ne considérant pas que c’était une preuve que la défenderesse était au Pakistan à une date où elle prétendait se trouver au Canada. Le ministre a toutefois précisé que cet élément n’était pas vraiment déterminant.

Thèse de la défenderesse

[28]  La défenderesse relève que le ministre a laissé tomber son argument concernant le lieu de délivrance de son passeport pakistanais, mais elle déplore néanmoins son insistance déplacée sur ce point au stade de l’autorisation. Le ministre a aussi accordé beaucoup d’importance à la version longue du gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier et a reproché au juge de la citoyenneté d’avoir soi-disant ignoré ses conclusions. Toutefois, le ministre a passé sous silence la précédente version abrégée du gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier, qui elle cautionnait les conclusions du juge.

[29]  La défenderesse dénie que sa crédibilité puisse être mise en doute par l’absence de timbres attestant de son entrée au Canada le 10 mai 2008, le 14 septembre 2008 et le 11 octobre 2009. Notre Cour a déjà reconnu que l’Agence des services frontaliers du Canada ne tient pas des dossiers rigoureux de toutes les entrées au pays et que les demandeurs de citoyenneté n’y sont pour rien (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Goo, 2015 CF 1363, au paragraphe 25; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Purvis, 2015 CF 368, aux paragraphes 37 à 39). Par surcroît, comme il est notoire que partout dans le monde, y compris au Canada, les passeports des passagers ne sont pas estampillés systématiquement à l’entrée, la présence ou l’absence de timbres ne saurait être considérée comme une preuve irréfutable des déplacements outre-frontière d’une personne (Ballout c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 978, au paragraphe 25; Guide des politiques de citoyenneté CP-5, à la page 18). De toute façon, le juge de la citoyenneté explique fort bien dans ses motifs qu’il a dûment vérifié les dates de retour et de départ, tel qu’en attestent notamment les timbres apposés au passeport, et qu’il a pu confirmer, selon la prépondérance des probabilités, les dates de retour associées à trois des cinq absences déclarées.

[30]  De plus, la défenderesse a produit le registre des consultations créé et transmis par le ministre de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario en réponse aux allégations du demandeur. Ce document confirme sa présence effective en Ontario puisqu’elle a fourni des services à des patients au cours des périodes en litige. La défenderesse fait valoir que le registre est une pièce commerciale créée dans le cours ordinaire des activités du ministère de la Santé, et qu’il est par conséquent admissible en preuve aux termes de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), c C-5. D’autres arguments militent pour l’admission du registre : sa valeur probante incontestable l’emporte sur tout préjudice réel ou perçu occasionné au ministre; il permet de trancher la principale question en litige et son admission rétablirait l’équité procédurale, fortement ébranlée par les allégations du ministre au stade de l’autorisation; le demandeur aurait dû concéder que le registre donne une preuve irréfutable de la présence de la défenderesse au Canada au cours des périodes en litige; enfin, les principes de l’équité procédurale commandent que la Cour soit saisie du registre étant donné l’importance de la décision pour la défenderesse et le risque d’injustice s’il n’est pas admis. Enfin, si le registre n’est pas admis en preuve, l’administration de la justice en souffrirait puisque le ministre tenterait de persuader notre Cour que la défenderesse était absente du Canada même s’il sait pertinemment que c’est faux.

[31]  La défenderesse rappelle que le juge de la citoyenneté a estimé qu’elle avait livré un témoignage sincère, cohérent et crédible, et que la preuve documentaire était amplement suffisante pour étayer ses déclarations concernant sa présence au Canada. Il était loisible au juge d’accorder au moins autant d’importance à son témoignage digne de foi qu’à la preuve documentaire, et de l’accepter comme preuve suffisante au lieu d’une preuve documentaire justificative (Sukkar, au paragraphe 20). Il était également loisible au juge de se fier au témoignage de la défenderesse pour combler les lacunes du dossier. Le ministre propose une interprétation contraire en citant la décision El Falah, mais notre Cour l’a déjà rejetée dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Gouza, 2015 CF 1322, aux paragraphes 14 à 17 [Gouza]. Il convient ici de rappeler la retenue qui s’impose à l’égard des conclusions du juge quant à la crédibilité (Martinez-Caro, au paragraphe 46). La question de la suffisance des motifs ne constitue pas non plus un moyen indépendant de contrôle judiciaire (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Newfoundland Nurses]. Essentiellement, le ministre est insatisfait de la décision pourtant bien motivée du juge de la citoyenneté et demande à notre Cour de réexaminer les éléments de preuve. Ce n’est pas son rôle (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Golafshani, 2015 CF 1136, au paragraphe 23).

Discussion

Affidavit de la défenderesse

[32]  La jurisprudence est sans équivoque : lorsqu’il s’agit de vérifier l’admissibilité d’un affidavit produit à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire, le principe général veut que la Cour qui en est saisie s’assure que le décideur l’avait en main. Donc, à quelques rares exceptions près, les éléments de preuve qui ont trait au fond de l’affaire et qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur sont réputés inadmissibles. Quoique les catégories ne soient pas limitatives, il est bien admis que les exceptions englobent les affidavits qui contiennent de l’information générale susceptible d’aider la Cour à comprendre les questions en litige dans le contrôle judiciaire, qui portent à son attention des vices de procédure que ne révèle pas le dossier de la preuve du tribunal administratif et qui lui permettent de remplir son rôle de gardienne de l’équité procédurale, ou qui mettent en lumière l’absence totale de preuve étayant une conclusion du tribunal administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 20 [Association des universités et collèges]; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paragraphes 23 à 25; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au paragraphe 42 [Delios]).

[33]  Le paragraphe 12 ainsi que la pièce A (le registre des consultations) de l’affidavit de la défenderesse ne font pas partie de ces exceptions.

[34]  S’agissant de l’argument comme quoi le registre des consultations est admissible en application de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, qui établit une exception à la règle du ouï-dire pour les pièces commerciales créées dans le cours ordinaire des activités, la défenderesse ne cite aucune jurisprudence à l’appui. À mon avis, les jurisprudences Delios, Association des universités et collèges et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ishaq, 2015 CAF 151 créent une règle d’exclusion qui s’applique aux nouveaux éléments de preuve dans le cadre de contrôles judiciaires, et aucune des exceptions reconnues ne justifie l’introduction d’un dossier au motif qu’il a été créé dans le cours ordinaire des activités. La question en litige ne porte ni sur la fiabilité ni sur la valeur probante du registre des consultations, mais plutôt sur le fait que le décideur ne l’avait pas à sa disposition. Si toutes les pièces commerciales étaient admises au motif qu’elles sont visées par une exception à la règle du ouï-dire, les parties se verraient autorisées à introduire de nouveaux éléments de preuve ayant trait au fond de la décision d’un juge de la citoyenneté qui forceraient la Cour à réexaminer l’affaire sur le fond. Ce n’est pas ce qui est demandé à notre Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[35]  Au reste, même si j’admets qu’il était inconvenant de déposer un registre des consultations non caviardé qui contenait des renseignements personnels de patients, cette violation apparente des règles de confidentialité n’emporte pas sa radiation d’office, malgré ce que soutient le ministre. Dans le contexte d’un contrôle judiciaire, la question de la confidentialité doit être abordée comme telle.

[36]  En l’occurrence, seulement le paragraphe 12 et la pièce A de l’affidavit de la défenderesse ne sont pas admissibles. Pour protéger les renseignements personnels des patients qui figurent dans la pièce A, le greffe devra retirer la pièce de la copie de l’affidavit qui a été déposée et la retourner à la défenderesse.

Caractère raisonnable de la décision

[37]  Pour ce qui a trait à l’argument du ministre quant au caractère déraisonnable de la décision du juge de la citoyenneté, je ne puis y faire droit.

[38]  Les motifs sont réputés suffisants s’ils permettent à la juridiction de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de vérifier si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 16 et 18). En outre, l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule d’annuler une décision : « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 14).

[39]  Le juge a évalué la demande de citoyenneté de la défenderesse conformément à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté et au critère quantitatif de la présence effective établi dans la décision Pourghasemi (Re), au titre duquel elle devait prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours de la période pertinente. Le juge a rédigé des motifs clairs, dans lesquels il explique pourquoi il a conclu que la défenderesse avait satisfait à l’exigence de résidence selon ce critère. Il a établi des liens entre ses motifs et le dossier de la preuve, et il a fait en sorte de combler les lacunes dans le dossier de résidence de la défenderesse. Sa conclusion est claire : la défenderesse a fourni suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi.

[40]  Il a estimé que la défenderesse était [traduction] « sincère, cohérente et crédible », et son appréciation commande la retenue (Martinez-Caro, au paragraphe 46; Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4). La retenue s’impose également par le fait que le juge de la citoyenneté est le mieux placé pour apprécier les faits et la crédibilité (Martinez-Caro, au paragraphe 46). De plus, il était loisible au juge d’accorder autant d’importance à un témoignage digne de foi qu’à la preuve documentaire dans l’examen du dossier faisant état des voyages et des périodes de résidence de la défenderesse (Sukkar, au paragraphe 20). Le juge a conclu que la défenderesse avait été présente au Canada durant les périodes déclarées en se fiant à la fois à son témoignage, qu’il a estimé digne de foi, et à la preuve documentaire qu’elle a fournie. Ce faisant, il a dûment tenu compte du fardeau de la preuve incombant à la défenderesse et il n’a pas comblé arbitrairement les lacunes dans les éléments de preuve.

[41]  En outre, la défenderesse n’était pas tenue de fournir la preuve documentaire de chacune de ses affirmations lors de l’audience relative à sa demande de citoyenneté. Il était tout à fait raisonnable de la part du juge de prêter foi au témoignage de la défenderesse pour combler les lacunes du dossier de résidence (Gouza, aux paragraphes 14 à 17). Il s’est fié à un témoin qu’il a jugé crédible. En l’espèce, le juge est loin d’avoir accordé une foi aveugle à toutes les affirmations relatives à la résidence contre laquelle la décision El Fallah nous met en garde. Dans l’affaire El Fallah, le juge de la citoyenneté n’avait pas trouvé le demandeur de citoyenneté sincère, cohérent et crédible, et le dossier de résidence mis à sa disposition était éminemment confus (El Fallah, au paragraphe 16).

[42]  Le ministre accorde beaucoup de poids à certains détails de la version longue du gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier. Il me paraît important de souligner que ce rapport ne restreint pas le pouvoir discrétionnaire du juge de la citoyenneté et qu’il n’est aucunement tenu de l’examiner à la loupe (Gouza, au paragraphe 18; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdulghafoor, 2015 CF 1020, aux paragraphes 31 à 36). De plus, il doit être présumé que le juge a pris en considération tous les éléments de preuve au dossier (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Suleiman, 2015 CF 891, au paragraphe 23 [Suleiman]). Le juge devait tenir compte du contexte pour apprécier l’étendue et la nature de la preuve requise, ce qu’il a fait (Canada (Citoyenneté et Immigration) c El Bousserghini, 2012 CF 88, au paragraphe 19; Suleiman, au paragraphe 27). En l’espèce, le juge a expressément traité dans ses motifs des doutes du ministre quant à la crédibilité en raison d’une enquête concernant une allégation de déclaration trompeuse. Comme l’enquête a été close et que le ministre n’y a pas donné suite, le juge n’a pas trouvé utile d’y accorder quelque attention. Il est aussi question dans ses motifs des dates de départ et du fait qu’il a constaté qu’elles étaient attestées par les timbres apposés au passeport, ce qui était sa prérogative (Zhao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 207, au paragraphe 21; Saad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 570, au paragraphe 26). Le juge mentionne deux dates de rentrée qu’il n’a pas été en mesure de confirmer, ainsi que son incapacité de vérifier, en l’absence d’indicateur actif de présence, la date de retour du 10 mai 2008, qu’il a donc changée pour le 14 septembre 2008 (la présence de la défenderesse au Canada à cette date est confirmée par la délivrance de son permis d’exercer la médecine, une lettre du directeur du Castlemore Health Centre confirmant qu’elle a commencé à exercer dans son cabinet en septembre 2008, d’autres indicateurs actifs et son témoignage digne de foi). La date de retour du 11 octobre 2009 est confirmée par les remboursements versés par le ministre de la Santé qui, de l’avis du juge, établissent clairement que la défenderesse exerçait la médecine à son cabinet entre octobre et décembre 2009.

[43]  S’agissant de l’observation de l’agent de la citoyenneté selon laquelle le revenu de la défenderesse semblait peu élevé compte tenu de sa profession, le juge a abordé directement les questions du revenu et de la constitution en société lors de l’audience, contrairement à ce qu’a affirmé le ministre. Le juge a mentionné les documents confirmant les remboursements versés pour deux mois en 2008, la totalité des années 2009 à 2011, et les trois premiers trimestres de 2012, et il a prêté foi à l’explication de la défenderesse comme quoi elle a constitué une société au sein de laquelle elle exerce la médecine afin de réduire son revenu imposable. Quand le ministre suggère que la défenderesse n’a pas fourni elle-même les services pour lesquels des honoraires ont été facturés, il sous-entend qu’elle a frauduleusement facturé les services. Le juge a néanmoins retenu son témoignage selon lequel elle était rémunérée au cas par cas et qu’elle n’aurait pas pu soumettre ses factures au ministère de la Santé de l’Ontario si elle n’avait pas reçu de patients à son cabinet. De plus, le dossier contient l’historique des demandes de remboursement au Régime d’assurance-maladie de l’Ontario de 2008 à 2012, pour lesquels la défenderesse est nommément désignée; une lettre du 30 janvier 2013 du directeur du Castlemore Health Centre confirmant que la défenderesse était consultante en médecine familiale pour le groupe depuis septembre 2008, et que le ministère de la Santé lui versait une rémunération mensuelle de 16 000 $ environ. Malgré ce qu’affirme le ministre concernant la présence à la fois de son nom et de celui de la clinique et de son adresse sur le registre des versements du Régime d’assurance-maladie de l’Ontario, en plus de l’énoncé [traduction] « Fournisseur : [numéro caviardé] – PAIEMENT AU PRATICIEN/GROUPE », le juge de la citoyenneté a conclu que les éléments de preuve établissaient que la défenderesse exerçait au Canada. En conséquence, j’estime que les allégations du ministre sont infondées et que le juge de la citoyenneté a très justement conclu que la défenderesse exerçait de toute évidence la médecine à son cabinet au cours de la période en litige.

[44]  Le juge a aussi relevé les lacunes du dossier et demandé des explications à la défenderesse, qu’il a tenues pour crédibles après l’avoir entendue lors de l’audience et avoir examiné le dossier de la preuve. Même si les motifs n’exposent pas tous les détails, toutes les justifications, tous les arguments ou toutes les conclusions explicites pour chacun des éléments de preuve, il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de révision (Suleiman, aux paragraphes 17, 23, 38 et 41). Je ne suis pas non plus convaincue que le juge de la citoyenneté n’a pas dûment tenu compte de tous les éléments de preuve et qu’il aurait dû pousser plus loin son analyse. Ses motifs sont suffisants pour permettre à notre Cour de comprendre le fondement de sa conclusion et de constater qu’elle fait partie des issues possibles acceptables. En conséquence, ainsi que pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision du juge de la citoyenneté était raisonnable.

Dépens

[45]  La défenderesse sollicite les dépens, ne serait-ce qu’à titre symbolique, en faisant valoir que n’eurent été le défaut du ministre de divulguer les conclusions contradictoires du premier agent de la citoyenneté ou son insistance pour faire reconnaître, à tort, que sa demande était foncièrement viciée en raison de la prétendue délivrance de son passeport au Pakistan, notre Cour ne lui aurait probablement pas donné son autorisation. De plus, le ministre aurait dû sans délai se désister de la demande quand la défenderesse a déposé son affidavit accompagné du registre des consultations établissant hors de tout doute sa présence au Canada à certaines dates en litige. Son défaut de le faire a occasionné à la défenderesse des frais et des soucis inutiles. En outre, le ministre a fait des observations à la Cour qui étaient nettement exagérées et nullement congruentes avec les circonstances de l’affaire.

[46]  La défenderesse dit sans doute vrai, mais notre Cour a pour règle de ne pas adjuger de dépens dans les instances d’immigration, sauf à de rares exceptions. L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, prescrit ce qui suit : « Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens. » Après avoir passé la jurisprudence en revue, je constate que le critère strict pour déterminer s’il existe des raisons spéciales d’adjuger des dépens n’a pas été rempli (Suleiman, aux paragraphes 47 et 48; Deheza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1262, au paragraphe 39).

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-208-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. La pièce A et le paragraphe 12 de l’affidavit souscrit par Rabbiya Nasir Abibi le 14 juillet 2017 sont radiés. Le greffe de la Cour retournera à la défenderesse toutes les copies de la pièce A sur lesquelles figurent des renseignements confidentiels concernant des patients.

  3. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.

  4. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-208-17

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c RABBIYA NASIR ABIDI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 août 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Aleksandra Lipska

 

Pour le demandeur

 

Nikolay Y. Chsherbinin

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Chsherbinin Litigation Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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