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Date : 20170908


Dossier : T­645­17

Référence : 2017 CF 818

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

STEPHEN POLNAC

demandeur

et

REGINA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le procureur général du Canada a présenté une demande par écrit au nom de la défenderesse « Regina » (la Couronne) afin d’obtenir une ordonnance en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98­106, visant la radiation de l’avis d’habeas corpus (la demande) du demandeur, sans autorisation de modification, et le rejet de l’instance par voie sommaire, avec dépens. Pour appuyer les mesures demandées, on invoque que la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre la demande et que, par conséquent, cette dernière ne révèle aucune cause d’action valable.

I.  Résumé des faits

[2]  Pour appuyer la requête, la Couronne invoque l’affidavit de Mme Laura Oremek, une parajuriste du Service des poursuites pénales du Canada. Les faits suivants ne sont pas en litige.

[3]  Le 1er septembre 2016 ou vers cette date, le demandeur a été arrêté à Vancouver, en Colombie-Britannique, par des membres du personnel de l’Agence des services frontaliers du Canada parce qu’il était interdit de territoire au Canada. Le demandeur a par la suite été détenu au centre correctionnel régional Fraser.

[4]  Le 6 septembre 2016, le demandeur a fait l’objet d’une arrestation au centre correctionnel régional Fraser et il a été accusé de deux infractions à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à savoir : a) être retourné au Canada sans autorisation du ministre, contrairement au paragraphe 52(1) de la LIPR (chef d’accusation 1); b) ne pas avoir comparu à un interrogatoire visant à déterminer si le demandeur était autorisé à entrer au Canada, contrairement au paragraphe 18(1) de la LIPR (chef d’accusation 2).

[5]  Le 20 septembre 2016, le juge Gove de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique a inscrit une réponse aux accusations portées contre le demandeur et il a refusé sa mise en liberté sous caution.

[6]  Les 31 octobre et 7 novembre 2016, une enquête préliminaire a eu lieu.

[7]  Dans une lettre du 2 août 2017, l’avocat de la défenderesse a indiqué à la Cour que la Couronne avait décidé de suspendre l’instance relative au chef d’accusation 2; cependant, la poursuite criminelle concernant le chef d’accusation 1 était maintenue et un procès était prévu en septembre 2017.

II.  Demande concernant un bref d’habeas corpus

[8]  Le 1er mai 2017, le demandeur, qui se représente lui­même, a introduit l’instance sous­jacente au moyen d’un avis de demande. Le demandeur cherche à obtenir un bref d’habeas corpus, conformément à l’article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.­U.), 1982, c 11, [traduction] « afin que soient examinées plusieurs violations aux principes de justice fondamentale compte tenu de certains abus de procédure et de certaines violations des droits découlant directement de l’affaire dans le dossier no 23371­1 de la Cour provinciale […] ».

[9]  Le demandeur allègue, aux paragraphes 1 à 3 de la demande, que la procureure fédérale a omis de s’assurer de sa comparution devant un juge dans les 24 heures, comme le prescrit l’article 503 du Code criminel, LRC (1985), c C­46, qu’elle n’a pas effectué une communication intégrale, violant ainsi son droit de présenter une réponse et une défense complètes, et qu’elle a violé son droit à une audition équitable et significative en introduisant une instance devant un tribunal qui n’a pas compétence pour ordonner sa libération. Les paragraphes 4 à 10 énoncent une série d’erreurs de droit et de violations des droits du demandeur que la Cour provinciale aurait commises.

[10]  Comme mesures de réparation, le demandeur demande que la Cour ordonne le transfert de son dossier de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique à la Cour fédérale et la fin de sa « détention pour des motifs d’immigration » et qu’elle le dispense de l’obligation relative à la garde et à la production des transcriptions des débats judiciaires de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique.

III.  Requête en radiation

[11]  Le 20 juin 2017, la Couronne a demandé la radiation de la demande, en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, au motif qu’elle ne divulgue aucune cause d’action valable, puisque les mesures demandées ne relèvent pas de la compétence de la Cour fédérale.

[12]  Le paragraphe 221(1) des Règles, contenu à la partie 4 de celles­ci, prescrit qu’une déclaration peut être radiée pour divers motifs. Il n’existe aucune règle correspondante dans la partie 5 des Règles, laquelle régit les instances introduites au moyen d’une demande pour obtenir la radiation d’un avis de demande. Le juge Barry Strayer de la Cour d’appel fédérale a examiné cette caractéristique dans l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF), [David Bull], aux pages 596 et 597 :

[...] le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d’instance qu’elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même. [...]

[13]  À la page 600, le juge Strayer a néanmoins conclu que notre Cour avait compétence pour radier un avis de demande dans des cas exceptionnels :

[...] Nous n’affirmons pas que la Cour n’a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d’autres règles en vertu de la Règle 5 [maintenant la règle 4], pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête.

IV.  Discussion

[14]  À mon avis, l’espèce correspond parfaitement à l’exception énoncée dans l’arrêt David Bull, étant donné qu’il est évident et manifeste que la Cour fédérale n’a pas compétence pour instruire la demande du demandeur, encore moins pour accorder les mesures demandées.

[15]  La compétence de la Cour fédérale est définie par la loi. Le critère en trois volets relatif à la compétence de la Cour fédérale a été établi dans l’arrêt ITO­Int’l Terminal Operators c Miida Electronics, 1986 CanLII 91 (CSC), [1986] 1 RCS 752, à la page 766 [ITO]. 1) Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral; 2) Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence; 3) La loi doit être « une loi du Canada » [...].

[16]  La présente demande ne satisfait pas à la première exigence du critère de l’arrêt ITO. La demande de bref d’habeas corpus n’a manifestement aucune chance d’être accueillie, puisque les paragraphes 18(1) et 18(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne confèrent pas à la Cour fédérale la compétence d’accorder une telle mesure, sauf aux membres des Forces canadiennes en poste à l’étranger, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La Cour fédérale n’a pas été investie d’une compétence générale ou intrinsèque en ce qui concerne la poursuite des affaires criminelles, comme celles énumérées à l’alinéa 124(1)a) de la LIPR, pas plus qu’elle n’a été investie d’une compétence de supervision à l’égard d’une cour provinciale, aux termes de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, c 3.

[17]  En l’espèce, la détention du demandeur découle d’accusations criminelles après que la Cour provinciale de la Colombie­Britannique a refusé sa mise en liberté sous caution. Dans la mesure où le demandeur souhaite contester le refus de sa mise en liberté sous caution, il doit s’adresser à une autre instance.

[18]  Entre parenthèses, il convient de mentionner que le 12 juillet 2017, le demandeur a été libéré sous caution contre un engagement; cependant, il a été placé immédiatement en détention pour des motifs d’immigration par l’Agence des services frontaliers du Canada. La poursuite de la détention du demandeur a été ordonnée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié à la suite des contrôles de la détention après 48 heures et 7 jours, lesquels ont eu lieu aux alentours du 13 juillet et du 21 juillet 2017, respectivement. Advenant que le demandeur conteste la décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le recours approprié consiste à présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, aux termes de l’article 72 de la LIPR. La Cour n’a autrement aucune compétence légale ou inhérente pour entendre l’affaire.

V.  Conclusion

[19]  Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’il est évident et manifeste que la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre la demande du demandeur et que cette dernière n’a aucune chance d’être accueillie. Par conséquent, la demande de bref d’habeas corpus doit être radiée et la demande, rejetée.

[20]  En ce qui concerne les dépens relatifs à la requête, je ne vois aucune raison de s’écarter de la règle générale selon laquelle les dépens doivent suivre l’issue de la cause, puisque le demandeur a refusé de reconnaître que sa demande était non fondée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T­645­17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’avis d’habeas corpus est radié.

  2. La demande est rejetée.

  3. Les dépens de la requête, par les présentes établis à 500 $, taxes et débours compris, doivent être versés par le demandeur au receveur général du Canada.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T­645­17

 

INTITULÉ :

STEPHEN POLNAC c REGINA

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE­BRITANNIQUE), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 septembre 2017

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Stephen Polnac

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Paul Singh

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sous­procureur général du Canada

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour d’août 2019

Lionbridge

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