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Date : 20170921


Dossier : T-2299-14

Référence : 2017 CF 848

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2017

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

FRANK KIM

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Frank Kim est un détenu qui purge une peine d’emprisonnement pour une période indéterminée, après avoir été déclaré délinquant dangereux en octobre 2000.

[2]  Il a commencé à purger sa peine à l’Établissement Mountain à sécurité moyenne, en Colombie-Britannique. À la fin de septembre et au début d’octobre 2002, des copies de deux communications, que des avocats avaient envoyées par télécopieur à M. Kim, ont été versées à son dossier de gestion de cas. Deux mois plus tard, à la fin de novembre 2002, une copie d’une plainte écrite que M. Kim avait adressée au Bureau de l’enquêteur correctionnel a été communiquée à des membres du personnel par son agente de libération conditionnelle en établissement (ALCE) et versée à son dossier de gestion de cas. M. Kim a découvert ces faits en mai 2011, après avoir demandé et reçu une copie complète de son dossier de gestion de cas.

[3]  M. Kim estime que ces documents sont protégés et qu’ils ont été communiqués et versés à son dossier de gestion de cas de façon inappropriée. En 2011, il a déposé une plainte auprès du Service correctionnel du Canada (SCC), pour demander qu’il soit mis fin à la [traduction« pratique » du SCC consistant à copier des renseignements protégés, et réclamer une compensation monétaire. Le SCC a immédiatement admis que les documents étaient [traduction] « de nature privilégiée » et n’auraient pas dû être versés au dossier de gestion de cas. Des excuses ont été présentées, mais la compensation monétaire a été refusée. Le SCC a précisé que rien n’indiquait qu’il y ait eu d’autres incidents analogues.

[4]  M. Kim a poussé l’affaire devant trois paliers de griefs. Entre-temps, le SCC a entamé et achevé une évaluation du risque d’atteinte à la vie privée. M. Kim a aussi déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada concernant cette affaire. Les résultats, dans l’ensemble, ont été essentiellement les mêmes.

[5]  En l’espèce, M. Kim demande l’octroi de dommages-intérêts généraux de 30 000 $ et de dommages-intérêts punitifs de 20 000 $ à titre de compensation pour ces incidents. Pour les motifs présentés ci-dessous, j’estime qu’il n’incombe aucune responsabilité à la défenderesse par suite de la communication des documents en cause, et que quoi qu’il en soit, M. Kim n’a pas établi qu’il avait subi un préjudice indemnisable par suite de la conduite des employés du SCC.

II.  Atteinte à la vie privée

[6]  À l’automne 2002, M. Kim interjetait appel de sa déclaration de culpabilité devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique; il se représentait lui-même, sans l’aide d’un avocat. En appel, le procureur général était représenté par Scott Bell, et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait désigné Robert W. Gourlay pour agir en qualité d’amicus curiae.

[7]  M. Kim avait entre 25 et 30 boîtes de documents découlant de son procès, documents qu’il devait conserver dans sa cellule, à ses dires, afin de préparer son appel. Des problèmes sont survenus entre M. Kim et les autorités de l’Établissement Mountain, sur la question de savoir si M. Kim devait être autorisé à entreposer tout ce matériel dans sa cellule. Les autorités pénitentiaires pensaient que M. Kim pouvait et devait se limiter au contenu d’une armoire à pied métallique; M. Kim pensait avoir besoin du contenu de deux armoires à pied métallique et y avoir droit. Au cours de cette période, M. Kim a soulevé cette question et demandé une mesure de réparation directement auprès de la Cour d’appel, au moyen de la procédure de règlement des griefs, et, éventuellement, au Bureau de l’enquêteur correctionnel, l’ombudsman des délinquants sous responsabilité fédérale. Toute la correspondance en cause en l’espèce est liée, du moins en partie, à cette question. Voici le détail de cette correspondance.

[8]  Le 24 septembre 2002, Robert Gourlay a transmis une télécopie de huit pages à M. Kim, à l’Établissement Mountain, aux soins de Monica Stolte, en qualité d’ALCE de M. Kim. Le message qui figure sur la feuille d’envoi par télécopieur indique que la télécopie est envoyée de nouveau, qu’elle comprend deux feuilles de couverture, une note de service que M. Gourlay entendait présenter à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et l’ébauche d’une ordonnance sur consentement visant à faciliter l’accès de M. Kim au dossier du tribunal. Mme Stolte a versé une copie de cette télécopie au dossier de gestion de cas de M. Kim.

[9]  Le 1er octobre 2002, Scott Bell a envoyé une télécopie de quatre pages à M. Kim, également aux soins de Mme Stolte en qualité d’ALCE. Il est indiqué sur la feuille d’envoi par télécopieur qu’il s’agit de la transmission d’un résumé des diverses affaires en instance concernant M. Kim, aux fins d’une audience devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique prévue le lendemain. La page 1 du résumé porte un timbre du greffe de la Cour d’appel de Vancouver, daté du 1er octobre 2002. La feuille d’envoi par télécopieur contient la note manuscrite suivante, rédigée par Mme Stolte : [traduction] « reçu le 2 octobre 2002 à 8 h 45 – le télécopieur n’imprimait pas correctement le 1er octobre 2002 – M. Stolte ». Mme Stolte a aussi versé une copie de la télécopie au dossier de gestion de cas de M. Kim.

[10]  Lorsqu’on lui a demandé, en 2011, pourquoi elle avait versé cette correspondance au dossier, Mme Stolte ne se souvenait pas de l’avoir fait, mais a présumé qu’elle l’avait sans doute fait à la demande de M. Kim, en raison des problèmes courants. Son témoignage au procès allait dans le même sens. Les notes inscrites sur les pages couvertures des deux télécopies permettent de supposer qu’on a éprouvé des difficultés de transmission, ce qui peut expliquer pourquoi on a eu le sentiment qu’il était nécessaire de conserver une copie au dossier. M. Kim lui-même n’avait aucun souvenir précis de ces événements à offrir au procès.

[11]  Les plaintes de M. Kim concernant l’entreposage de ses documents juridiques n’étaient toujours pas résolues en novembre 2002. À une date indéterminée en novembre, il a remis à Mme Stolte une plainte de deux pages en date du 21 novembre 2002, qui devait être envoyée par télécopieur à l’enquêteur correctionnel, afin de demander de l’aide pour résoudre ces questions. Voici ce qui est indiqué à la dernière page du document :

[traduction]

CC : Greffe de la Cour d’appel – No de télécopieur : 604-660-1951

Scott Bell, avocat de la Couronne – No de télécopieur : 604-660-1142

[12]  En plus d’envoyer la plainte par télécopieur, Mme Stolte en a fait des copies qu’elle a envoyées ou remises individuellement au directeur de l’établissement, Alex Lubimiv, et au gestionnaire de l’unité résidentielle où était logé M. Kim, John Romaine. Dans une note manuscrite adressée au directeur de l’établissement qui était jointe à la plainte, Mme Stolte a reconnu avoir fait les copies à l’insu de M. Kim, ce qu’elle n’aurait pas fait normalement, en précisant que [traduction] « cette question est différente, puisque comme l’enquêteur correctionnel voudra sans doute obtenir des explications, nous devons savoir ce qu’a dit M. Kim ».

[13]  La plainte et la note de Mme Stolte ont été versées au dossier de gestion de cas de M. Kim, bien qu’il a été impossible de confirmer qui l’a fait et pour quelle raison. Lorsqu’on lui a posé la question en 2011, Mme Stolte a nié avoir versé ce document au dossier et a maintenu cette réfutation dans son témoignage au procès.

[14]  Mme Stolte a reconnu avoir fourni une copie de la plainte au bureau du directeur de l’établissement et au gestionnaire de l’unité, mais a toujours maintenu qu’elle l’avait fait uniquement pour faciliter la rédaction de la réponse qui selon elle serait nécessaire. En fait, même s’il ne semble pas que l’enquêteur correctionnel ait fourni une copie de la plainte de M. Kim au directeur de l’établissement, un résumé de la plainte a été communiqué au directeur de l’établissement et au gestionnaire de l’unité dans le cadre de l’enquête sur la plainte, conformément à la pratique habituelle. Je précise aussi que M. Kim a présenté un grief au deuxième palier le 25 novembre 2002, concernant cette même question (V80A0004365, qui fait partie de la pièce JR-3 jointe à l’affidavit de John Romaine), en renvoyant à sa lettre à l’enquêteur correctionnel et en indiquant que [traduction] « une copie non signée de la lettre est jointe à la fin de ce grief ».

[15]  Les documents sont demeurés au dossier de gestion de cas de M. Kim jusqu’en 2012. Celui-ci soutient qu’il n’a pris connaissance de leur présence dans son dossier qu’à la fin de mai 2011, après avoir reçu une copie de son dossier par suite d’une demande d’accès à l’information. Leur présence dans son dossier n’est par ailleurs ni mentionnée, ni commentée, ni soulignée dans quelque document que ce soit. Rien n’indique que ces documents aient été numérisés ou que les renseignements qu’ils contiennent aient été reproduits ou consultés dans le Système de gestion des délinquants (SGD). Le SGD est une base de données électronique contenant des rapports et des formulaires créés et conservés à l’égard de la cote de sécurité des détenus et de la gestion des peines, comme des plans correctionnels, des rapports sur le profil criminel, des rapports psychologiques internes, des évaluations en vue d’une décision et d’autres rapports produits par le personnel.

[16]  Il convient de préciser que le dossier de gestion de cas de M. Kim est un dossier papier qui, en date de l’année 2011, comprenait plus de 27 volumes comptant des milliers de pages. Les membres du personnel du SCC qui souhaitaient consulter l’un de ces volumes devaient consigner leur nom, ainsi que le motif et la date de la consultation, sur la page couverture du volume. Mme Stolte a affirmé dans son témoignage au procès que compte tenu de la disponibilité croissante des renseignements dans le SGD, surtout depuis le milieu des années 2000, il était peu fréquent que quelqu’un consulte le dossier physique de gestion de cas d’un détenu et se fonde sur ce dossier. La preuve démontre qu’entre octobre 2002 et juin 2011, exception faite des personnes qui ont traité des demandes présentées au titre de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, moins de six personnes ont consulté les volumes du dossier de gestion de cas de M. Kim qui existaient à l’époque et auraient pu tomber sur les communications.

[17]  D’un autre côté, les trois documents ont par ailleurs été rendus publics : le document que Scott Bell a envoyé à M. Kim semble provenir du greffe de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, et une copie de la plainte que M. Kim a adressée à l’enquêteur correctionnel devait être transmise au greffe de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. M. Kim en a joint une copie non signée à un grief interne qu’il a ultérieurement déposé comme pièce au dossier de la Cour fédérale portant le numéro de dossier T-442-03. La correspondance de M. Gourlay a été déposée comme pièce par M. Kim lors de deux actions devant la Cour fédérale, portant les numéros de dossier T-971-02 et T-442-03.

[18]  Pourtant, lorsque M. Kim a appris que les communications avaient été versées à son dossier de gestion de cas et que Mme Stolte avait transmis au directeur de l’établissement et au gestionnaire de l’unité une copie de sa plainte à l’enquêteur correctionnel, il a déposé un grief, considérant qu’on avait enfreint ses droits à la vie privée.

[19]  Afin d’apprécier la genèse de la plainte de M. Kim et la reconnaissance immédiate de la validité de cette plainte de la part du SCC, il est utile de comprendre les pratiques et les politiques du SCC concernant la correspondance des détenus. Les politiques en matière de correspondance sont énoncées dans la Directive du commissaire no 085 – « Correspondance et communications téléphoniques ». La Directive prévoit de façon générale que le personnel doit ouvrir et inspecter les lettres reçues ou envoyées par les détenus, sans les lire, sauf en cas de préoccupations relatives à la sûreté et à la sécurité. La Directive prévoit d’autres restrictions à l’égard de la correspondance désignée comme étant « privilégiée ». Celle-ci doit généralement être transmise aux détenus sans être ouverte, à moins que, en plus de l’existence de préoccupations relatives à la sécurité, les autorités de l’établissement aient des motifs raisonnables de croire que les communications n’ont pas à proprement parler un caractère privilégié. En outre, le paragraphe 12 de la Directive prévoit ce qui suit : « La personne qui intercepte une communication à caractère privilégié doit traiter les renseignements qu’elle contient d’une manière confidentielle ». La définition de ce qui constitue une « correspondance privilégiée » énoncée au paragraphe 11 de la Directive est vaste et ne correspond pas à la notion de privilège juridique. Elle englobe la correspondance entre un détenu et l’une des personnes énumérées à l’annexe A de la Directive, où il est fait mention du conseiller juridique, mais aussi des juges et des greffiers des tribunaux, des divers représentants du gouvernement, des commissaires des diverses agences gouvernementales et des protecteurs du citoyen, y compris l’enquêteur correctionnel.

[20]  La correspondance en cause en l’espèce, parce qu’elle a été envoyée par un conseiller juridique (M. Gourlay et M. Bell) à l’enquêteur correctionnel, devrait relever automatiquement de la définition de la « correspondance privilégiée » et, si elle a été reçue ou envoyée dans une enveloppe cachetée, être traitée comme étant a priori privilégiée.

[21]  La correspondance ici en cause a été envoyée et reçue par télécopieur, un mode de correspondance qui n’est pas expressément couvert dans la Directive. Les détenus n’ont pas directement accès aux télécopieurs et doivent compter sur leur ALCE pour envoyer et recevoir des télécopies. Les télécopies sont par conséquent essentiellement moins protégées que les lettres envoyées dans des enveloppes cachetées, puisqu’elles doivent être ouvertes pour que les ALCE puissent les envoyer et les recevoir, et elles doivent être lues, au moins pour confirmer l’identité des personnes à qui elles doivent être envoyées. Néanmoins, Mme Stolte a reconnu volontiers au procès que la correspondance des détenus envoyée par télécopieur devrait être traitée, dans la mesure du possible, conformément à la Directive. Il semble que cette compréhension ait prévalu, quoique sans être unanimement partagée, dans l’ensemble du SCC. Mary Danel, qui était sous-directrice de l’Établissement Mountain à l’époque, a affirmé qu’elle n’aurait peut-être pas considéré la correspondance adressée à l’enquêteur correctionnel comme un document confidentiel, en partie parce que M. Kim a choisi d’en remettre une copie à son ALCE afin qu’elle puisse être envoyée par télécopieur, au lieu d’utiliser la boîte aux lettres qui était à sa disposition dans son unité résidentielle pour expédier des documents confidentiels.

[22]  Je devrais ajouter que l’article 94 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, prévoit dans le même ordre d’idées que les communications entre un détenu et un membre du public ne peuvent être « interceptées de quelque manière que ce soit par un agent ou avec un moyen technique, notamment […] ouvertes et lues et […] écoutées », sauf s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles contiennent des éléments de preuve relatifs soit à une infraction criminelle, soit à un acte qui compromettrait la sécurité du pénitencier ou de quiconque. Dans le cas des communications a priori privilégiées, l’article 94 exige aussi que les autorités aient des motifs raisonnables de croire que les communications n’ont pas un caractère privilégié.

[23]  Il est évident que les actes de Mme Stolte, qui a copié la lettre de M. Kim à l’enquêteur correctionnel et l’a communiquée à d’autres membres du personnel du SCC à l’insu de M. Kim et sans son autorisation, constituent une interception non autorisée de la communication. À moins que M. Kim ne l’ait demandé ou y ait consenti, le versement au dossier de gestion de cas de copies des communications envoyées par télécopieur par M. Gourlay et M. Bell pourrait aussi être interprété comme une interception non autorisée de communications. Même en présumant qu’en faisant le choix d’envoyer et de recevoir sa correspondance par télécopieur, M. Kim a implicitement consenti à ce que sa correspondance soit lue par son ALCE, le fait que la correspondance ait été a priori privilégiée en raison de l’identité des expéditeurs et des destinataires imposait d’autres obligations de confidentialité au personnel pénitentiaire, aux termes de la Directive et du Règlement. Il y a eu manquement à ces obligations lorsqu’une copie de la correspondance a été envoyée à d’autres personnes et versée au dossier de gestion de cas.

[24]  Cependant, la simple violation d’une obligation imposée par une loi, un règlement ou une directive par un fonctionnaire de la Couronne ne constitue pas automatiquement une transgression susceptible d’action, ni une cause d’action en dommages-intérêts. Le délit civil de manquement à une obligation légale n’est pas reconnu en droit canadien. Dans La Reine c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 RCS 205, la Cour suprême a reconnu que la formulation d’une obligation dans un texte de loi pouvait, dans certains cas, donner une indication utile de la norme de conduite d’un homme raisonnable à laquelle aspire la société, et dont la violation peut constituer de la négligence; en bout de ligne, les conséquences civiles de la violation d’une loi ou d’un règlement doivent être subsumées sous le droit de la responsabilité pour négligence. M. Kim n’a pas affirmé, et il ne serait pas raisonnable de prétendre, que la conduite de Mme Stolte, ou celle d’autres membres du personnel du SCC qui ont éventuellement traité la correspondance, équivaut à de la négligence.

[25]  Je ne saurais trop insister sur le fait que l’expression « correspondance privilégiée » n’a été retenue pour désigner la correspondance en cause qu’en raison du régime de réglementation découlant du Règlement et de la Directive, aux termes desquels les autorités pénitentiaires doivent traiter comme étant a priori privilégiées toutes les communications entre un détenu et certaines catégories de personnes. Si les communications sont envisagées indépendamment du Règlement et de la Directive, il est évident qu’elles n’ont jamais fait l’objet d’un privilège, et que M. Kim n’a même jamais eu l’intention, ni prévu, qu’elles soient tenues confidentielles.

[26]  M. Kim n’entretenait pas des rapports d’avocat à client avec M. Gourlay ou M. Bell. Le premier a été désigné comme amicus curiae, et non comme avocat de M. Kim. Le second était l’avocat de la Couronne lors de l’appel de M. Kim. Par conséquent, la correspondance ne pouvait ouvrir droit au privilège avocat-client. En soi, elle n’était pas de nature confidentielle. Dans sa télécopie, M. Gourlay demandait à M. Kim ses commentaires au sujet des documents qu’il se proposait de produire devant la Cour. La télécopie de M. Bell transmettait un résumé des requêtes en instance provenant des dossiers de la Cour.

[27]  Alors qu’aux termes de l’article 184 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, les lettres adressées à l’enquêteur correctionnel par les détenus doivent être transmises sans être ouvertes, en envoyant sa correspondance par télécopieur, M. Kim a renoncé à la protection prévue par cette disposition. Il a en outre renoncé à toute attente en matière de confidentialité ou de protection des renseignements personnels en demandant expressément, dans la note « C.C. », à la fin de la lettre, qu’une copie soit envoyée par télécopieur au greffe de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et à M. Bell.

[28]  Dans les circonstances, les employés du SCC n’avaient aucune obligation de confidentialité envers M. Kim et n’étaient pas tenus de s’assurer que sa correspondance soit traitée selon un niveau particulier de confidentialité. La diffusion de la plainte à l’interne, entre des personnes qui, de toute façon, allaient être consultées dans le cadre de l’enquête de l’enquêteur correctionnel, et le versement des communications au dossier de gestion de cas interne ne constituaient pas de la négligence.

[29]  Quoi qu’il en soit, aucun préjudice ne pouvait possiblement découler de la manière avec laquelle le SCC a traité la correspondance : M. Kim n’avait aucune attente raisonnable de confidentialité à l’égard des documents. De plus, il avait lui-même choisi de diffuser la plainte à l’interne – au sein du SCC –, puisqu’il en a joint une copie à un grief au deuxième palier et a communiqué publiquement à la fois cette lettre et celle de M. Gourlay en les déposant à la Cour. La façon dont M. Kim a lui-même traité la correspondance en cause contredit son allégation selon laquelle les autorités pénitentiaires ont fait preuve de partialité à son endroit en raison de la diffusion de la plainte. Sa demande de remboursement des 400 $ qu’il a déboursés au fil des ans pour des transmissions par télécopieur qui n’ont pas été traitées avec la confidentialité requise est sans fondement. M. Kim lui-même n’a pas préservé la confidentialité de la correspondance en cause, et il n’a pas établi que d’autres transmissions par télécopieur avaient été traitées sans précaution dans le passé.

[30]  M. Kim affirme avoir subi un préjudice par suite du traitement inadéquat de ses communications, parce que désormais, il s’inquiète constamment au sujet de sa [traduction« correspondance privilégiée » que le personnel du SCC pourrait avoir interceptée ou lue sans son autorisation. Il affirme que cela lui a causé du stress et de l’inquiétude, et l’a empêché de demander ou d’obtenir un traitement psychologique.

[31]  Les arguments de M. Kim concernant des dommages psychologiques sont sans fondement. La simple contrariété, l’inquiétude et l’anxiété qui demeurent en deçà du préjudice personnel n’équivalent pas à des dommages et ne sont pas indemnisables en droit (Mustapha c Culligan du Canada Ltée, [2008] 2 RCS 114). M. Kim n’a produit aucune preuve montrant que son état mental constitue un trouble psychiatrique ou psychologique. Même si c’était le cas, on ne peut demander des dommages-intérêts que dans les cas où la violation présumée d’une obligation entraînerait une conséquence raisonnablement prévisible pour une personne dotée d’une résilience ordinaire (Mustapha, précité). M. Kim n’a relevé aucun autre cas où, pendant ses 16 années ou plus d’incarcération, l’un ou l’autre de ses documents ou sa correspondance aurait pu être traité autrement qu’en conformité avec les règlements et directives en place. Une évaluation exhaustive du risque d’atteinte à la vie privée a été menée par le SCC à la suite de la plainte de M. Kim. Cette évaluation n’a révélé aucun autre cas similaire. Les inquiétudes ou les craintes que M. Kim peut entretenir concernant le fait que des renseignements véritablement confidentiels ou privilégiés le concernant pourraient être communiqués ou utilisés de manière abusive ne sont pas étayées de façon rationnelle par les faits. Il est exagéré d’affirmer qu’une personne puisse subir un préjudice psychologique constituant un dommage indemnisable par suite de pareilles inquiétudes, et cela n’aurait pas été raisonnablement prévisible.

[32]  L’action en justice de M. Kim est également présentée sous forme de recours pour atteinte à la vie privée. Un manquement à la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21, n’est pas une cause d’action indépendante reconnue, et la Cour a confirmé qu’aucune réparation civile ne peut être accordée en cas de divulgation non autorisée de renseignements personnels en violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels (Murdoch c Canada (Gendarmerie Royale)), 2005 CF 420. Voir aussi la discussion présentée dans la décision Gauthier v Canada (Minister of Consumer and Corporate Affairs), [1992] FCJ No 1040). Dans la mesure où la conduite du personnel du SCC devait constituer une violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels, toute cause d’action, comme dans le cas de toute autre violation générale d’une obligation prévue par la loi, serait quand même subsumée sous le droit de la responsabilité pour négligence. Comme je l’ai déjà mentionné, l’absence de préjudice indemnisable est fatale à l’action de M. Kim fondée sur la négligence.

[33]  Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincue que la conduite du personnel du SCC équivalait à une violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les articles 7 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels restreignent l’utilisation et la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale. Le seul document qui pourrait avoir contenu des « renseignements personnels » ou qui pourrait avoir constitué « des renseignements personnels », au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels, est la lettre de M. Kim à l’enquêteur correctionnel. La correspondance que M. Gourlay et M. Scott ont envoyée à M. Kim ne constitue pas et ne renferme pas des renseignements personnels le concernant.

[34]  Le commissaire à la protection de la vie privée a estimé que la lettre à l’enquêteur correctionnel était protégée aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et cela pour deux motifs : elle contenait le numéro des Services dactyloscopiques de M. Kim, un numéro d’identification qui lui était assigné et qui répondait à la définition des renseignements personnels au titre de l’alinéa 3c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels; il s’agissait d’une « correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale », au sens de l’alinéa 3f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cependant, bien que la correspondance ait effectivement été envoyée à une institution fédérale, une copie a aussi été explicitement envoyée à M. Bell, qui agissait à titre d’avocat de la Couronne, laquelle avait un intérêt opposé à celui de M. Kim, ainsi qu’au greffe de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, et devait être déposée publiquement. La correspondance en soi n’était donc ni implicitement ni explicitement de nature privée ou confidentielle et ne constituait pas des renseignements personnels protégés. Sa communication au directeur de l’établissement et au gestionnaire de l’unité par Mme Stolte ne pouvait pas être faite en violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[35]  Seul le numéro des Services dactyloscopiques figurant dans la plainte aurait pu constituer un renseignement personnel à propos de M. Kim visé par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cependant, ce numéro s’affiche sur tous les dossiers de l’établissement concernant M. Kim, et il était déjà bien connu du personnel du SCC qui y avait accès. La communication de la lettre à l’interne n’a pas entraîné la divulgation de renseignements protégés qui n’étaient pas déjà connus des destinataires, et n’a donc pas été faite en violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[36]  Finalement, M. Kim a affirmé que la conduite du personnel du SCC à l’égard de sa correspondance constituait une faute dans l’exercice d’une charge publique. Ce type de faute est un délit intentionnel, qui comporte deux éléments principaux : 1) une conduite illégitime et délibérée dans l’exercice de fonctions publiques, et 2) la connaissance du caractère illégitime de la conduite et de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur (Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69). Comme je l’ai mentionné, même en présumant que Mme Stolte savait à l’époque que la communication violait le règlement, sa conduite n’a causé aucun préjudice à M. Kim, et l’on ne pouvait pas envisager la probabilité d’un préjudice à son égard. Encore là, M. Kim n’a fait valoir aucune cause d’action valide.

III.  Défaut de corriger le dossier

[37]  Au procès, M. Kim a affirmé que sa demande introductive d’instance faisait aussi valoir une cause d’action en dommages-intérêts découlant du fait que le SCC s’était fondé sur des renseignements faux ou trompeurs versés à son dossier en établissement, ou ne les avait pas corrigés.

[38]  La demande introductive d’instance de M. Kim comprend plus d’une centaine de paragraphes, mais seuls les paragraphes 47 à 49 sont susceptibles de concerner cette cause d’action. Il y est essentiellement relaté qu’au début de 2009, M. Kim a écrit des lettres à Alex Lubimiv, en sa qualité de sous-commissaire adjoint des Opérations des établissements de la région du Pacifique, pour contester la cote de sécurité maximale qui lui avait été attribuée après une réévaluation, et le transfèrement non sollicité qui a suivi dans la région de l’Est, mais que M. Lubimiv [traduction] « a mal interprété les observations du demandeur, et a omis d’aider le demandeur à éviter son transfèrement dans une prison à sécurité maximale du Nouveau-Brunswick [… ] ». Ces allégations précises à l’encontre de M. Lubimiv font cependant partie des allégations générales présentées dans la demande introductive d’instance, selon lesquelles, en raison de la communication et de la diffusion inappropriées de la plainte de M. Kim à l’enquêteur correctionnel, les conclusions de M. Lubimiv et les décisions rendues dans les affaires concernant M. Kim étaient [traduction] « entachées de partialité envers le demandeur ».

[39]  Ce n’est que dans sa réponse que M. Kim a précisé ses allégations selon lesquelles des renseignements inexacts, qui ont éventuellement été corrigés, avaient été utilisés pour établir sa cote de sécurité. Il est allégué dans la réponse, aux paragraphes 78 à 80, que [traduction] « la fausse déclaration de la défenderesse » contrevenait à son devoir d’agir équitablement et constituait un manquement à son devoir de prendre toutes les mesures raisonnables afin de s’assurer que les renseignements concernant un délinquant qu’elle utilise soient aussi exacts, à jour et complets que possible aux termes du paragraphe 24(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il est conclu dans la réponse que [traduction] « cette question liée à la fausse déclaration est une cause d’action distincte de la plainte déposée par le demandeur au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels ».

[40]  Une cause d’action nouvelle ou présentée à titre subsidiaire ne peut pas être soulevée dans une réponse. Les nouvelles causes d’action doivent être soulevées au moyen de modifications à la demande introductive d’instance (Niemann v Canada (Public Service Commission)), (1989) 29 FTR 156). Cela dit, les règles mécaniques des actes de procédure ne doivent pas faire obstacle à des demandes valables, lorsque les faits sont par ailleurs plaidés, l’autre partie n’est pas prise par surprise, elle ne subit aucun préjudice, et la Cour est saisie de tous les faits nécessaires pour trancher équitablement l’affaire. Dans ces causes, les modifications tardives peuvent même être autorisées (Faulding (Canada) Inc. v Pharmacia, 2001 CFPI 12; Eli Lilly and Co. c Apotex Inc., (2000) 8 CPR (4th) 52; Martel Building Ltd. c Canada, [1998] 4 CF 300, décision renversée mais non sur ce point dans l’arrêt 2000 CSC 60; Francoeur c Canada, [1992] 2 CF 333). Malgré le caractère inadéquat des actes de procédure, compte tenu de l’insistance de M. Kim et de ma conviction que la défenderesse ne subira aucun préjudice, je suis convaincue que la présente cause d’action est suffisamment plaidée, et j’ai pris en considération son bien-fondé à la lumière de la preuve dont je suis saisie. J’estime que M. Kim n’a pas prouvé les éléments d’une cause d’action fondée sur le défaut de corriger des renseignements inexacts ou leur utilisation.

[41]  Au cœur de la plainte de M. Kim, on note deux incidents d’agression à l’arme blanche auxquels il a été mêlé en 2007 et 2008. Il est mentionné à juste titre dans le dossier du SGD à propos de M. Kim que les accusations portées contre lui en lien avec les deux incidents ont été rejetées, mais les renseignements contextuels signalés dans le dossier le déterminaient toujours comme l’agresseur dans les deux cas. Le fait que M. Kim ait été désigné comme l’agresseur dans deux incidents d’agression à l’arme blanche a joué un rôle important dans la réévaluation de sa cote de sécurité et son transfèrement subséquent non sollicité dans l’Est du Canada en 2009.

[42]  M. Kim a toujours contesté cette mention au dossier du SGD le désignant comme l’agresseur. Il a affirmé que le président indépendant qui a entendu et rejeté la première accusation avait conclu qu’il avait été la victime lors de cet incident, et que la preuve qui était disponible concernant le deuxième incident démontrait qu’en fait il n’avait pas été mêlé à cet incident. M. Kim a déposé plusieurs griefs concernant la réévaluation de sa cote de sécurité et d’autres décisions rendues subséquemment qui se fondaient sur ces présumés renseignements inexacts. L’issue de ces griefs, y compris le contrôle judiciaire portant sur l’un d’eux (Kim c Canada (Procureur général), 2012 CF 870), a invariablement mené à une conclusion selon laquelle il est raisonnable pour le directeur de l’établissement et le commissaire adjoint, lors du contrôle d’un grief au troisième palier, de se fonder sur les faits et la description des incidents indiqués dans le dossier du SGD du délinquant pour prendre des décisions relatives à la cote de sécurité, même dans les cas où le tribunal disciplinaire indépendant a éventuellement rejeté les accusations.

[43]  Lorsqu’un détenu est d’avis que les renseignements présentés dans son dossier du SGD sont inexacts, le recours consiste à présenter une demande de correction en application du paragraphe 24(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. La Directive du commissaire no 701, dans sa version en vigueur à l’époque pertinente, prévoyait que le détenu devait présenter sa demande de corrections par écrit à son ALCE. Le processus utilisé pour corriger des renseignements saisis dans le SGD, sur lesquels peuvent se fonder des décisions, est donc tout à fait distinct de celui qui consiste à contester les décisions qui ont été prises sur le fondement de ces renseignements en déposant un grief. On ne peut pas, si on conteste une décision en déposant un grief, demander et obtenir une correction des renseignements sur lesquels la décision se fondait. Dans Kim c Canada, précitée, un contrôle judiciaire de l’un des griefs de M. Kim invoquant l’utilisation de renseignements inexacts, la Cour fédérale a confirmé que ces processus sont distincts et indépendants, ce qui est raisonnable :

45 Le commissaire adjoint a rejeté la partie du grief du demandeur qui concernait l’exactitude des renseignements figurant dans ses dossiers parce que ce dernier n’avait pas soulevé cette question au premier palier de la procédure de règlement des griefs, directement avec l’agent responsable, l’ALCE Mark Hare. En effet, le commissaire adjoint a conclu qu’il ne pouvait pas contourner la procédure normale de règlement des griefs. À mon avis, il s’agissait d’une conclusion raisonnable et d’une réponse complète à la plainte du demandeur. Je crois toutefois utile de formuler d’autres commentaires sur les observations du demandeur au cas où la controverse surgirait de nouveau.

46 À l’audience, le demandeur a confirmé être au fait qu’il aurait pu présenter un grief contre l’ALCE relativement à l’exactitude des renseignements figurant dans son dossier. Il allègue cependant avoir soulevé la question dès le départ dans ses griefs contre les décisions du directeur et qu’il est injuste d’exiger de lui qu’il présente une plainte séparée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Cependant, la procédure en question exige que les demandes de correction de renseignements figurant dans les dossiers des délinquants soient adressées à l’agent chargé d’entrer les données dans les dossiers et de tenir ces derniers à jour. En l’espèce, il s’agissait de l’ALCE Hare et non du directeur.

[44]  On indique dans la décision Kim c Canada, aux paragraphes 12 et 13, que M. Kim avait présenté une demande de corrections à son ALCE en avril 2010, mais qu’il « semble qu’aucune autre mesure n’ait été prise pour donner suite à sa demande ». Aucun autre élément de preuve n’a été produit au procès en ce qui concerne cette demande de corrections. Nous ignorons si elle a échoué, a été retirée ou s’il n’y a pas été donné suite, ou pour quels motifs. Le seul élément de preuve qui a été présenté au procès concernant la demande de corrections, c’est l’issue des demandes de corrections présentées par M. Kim en mai-juin 2013 et avril 2014. Les demandes elles-mêmes, y compris les éléments de preuve et les arguments examinés par l’ALCE de M. Kim avant d’accueillir certaines d’entre elles, n’ont pas été déposés en preuve.

[45]  Aux termes du paragraphe 24(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le SCC est tenu « de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets ». Cependant, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne prévoit ni droit d’action particulier ni recours en dommages-intérêts à l’égard d’un manquement à cette obligation. Par conséquent, la responsabilité de la défenderesse, le cas échéant, est ici encore subsumée sous le droit de la responsabilité pour négligence et ne peut découler, aux termes de l’article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC, c C-50, que d’un délit commis par l’un de ses fonctionnaires.

[46]  En supposant, sans toutefois trancher la question, que le défaut de corriger des renseignements inexacts figurant au dossier d’un délinquant ou l’utilisation en toute connaissance de cause de ces renseignements puisse donner lieu à une cause d’action délictuelle reconnue contre un employé de la Couronne, cette cause d’action exigerait à tout le moins que l’employé du SCC désigné comme responsable de la correction des renseignements ou de la prise de mesures à leur égard sache, ou ait à tout le moins des raisons de croire, que les renseignements sont inexacts. Le simple fait de montrer qu’il a été établi que les renseignements figurant au dossier d’un délinquant étaient inexacts et ont été modifiés ne permet pas d’établir que les employés qui ont vu ces renseignements ou se sont appuyés sur ces renseignements dans le passé savaient ou avaient toute raison de croire qu’ils étaient inexacts.

[47]  Aucun élément de preuve au dossier n’explique pour quelle raison les renseignements versés au dossier de M. Kim relativement aux incidents d’agression à l’arme blanche étaient inexacts. Il n’existe aucun élément de preuve relatif aux faits, ni de documents ou arguments sur lesquels a été fondée la correction ultérieure des renseignements. M. Kim a déposé un grand nombre de griefs au fil des ans, en faisant valoir qu’il existe des éléments de preuve appuyant son allégation selon laquelle les renseignements enregistrés dans son dossier du SGD sont erronés. Cependant, aucun des témoignages ou des documents présentés au procès ne permet d’établir que ces éléments de preuve existaient à l’époque, qu’ils étaient en la possession du SCC, ou même qu’il s’agissait des éléments de preuve sur lesquels s’est appuyée l’ALCE de M. Kim pour accepter de corriger le dossier en 2013.

[48]  À vrai dire, lorsqu’on lui a demandé au procès pour quelles raisons, s’il était si évident que des renseignements inexacts figuraient dans son dossier du SGD, il avait décidé de ne pas demander de corrections, ni de donner suite au processus reconnu de demande de corrections en 2008 ou 2009, M. Kim a expliqué qu’il ne disposait pas de tous les renseignements nécessaires à l’époque. Il n’a cependant pas précisé quels renseignements manquaient. Il n’a pas pu expliquer quand et comment il avait éventuellement obtenu les renseignements prétendument manquants. Chose plus importante encore, M. Kim n’a pas démontré pourquoi on pourrait conclure que ces renseignements étaient connus des personnes qui avaient initialement saisi les renseignements inexacts dans son dossier, de celles qui pouvaient être tenues de corriger le dossier, ou encore de celles qui se sont fondées sur le dossier pour prendre diverses décisions.

[49]  Il n’existe par conséquent aucun fondement permettant à la Cour de conclure éventuellement que des renseignements inexacts ont été versés ou conservés au dossier du SGD de M. Kim sciemment, ou par suite de la faute, de la négligence ou du manquement à ses obligations d’un employé de la défenderesse, ni qu’un employé de la défenderesse s’est appuyé sur ces renseignements en sachant, ou en ayant toute raison de croire, qu’ils étaient inexacts.

[50]  Cette conclusion s’applique également aux allégations visant expressément M. Lubimiv, selon lesquelles il a fait preuve de partialité envers M. Kim et ne lui a fourni aucune aide en refusant de reconnaître que les décisions concernant l’évaluation de la cote de sécurité de M. Kim et son transfèrement non sollicité étaient fondées sur des renseignements inexacts. Il n’incombait pas à M. Lubimiv, en qualité de sous-commissaire adjoint, d’accueillir une demande de corrections ou d’y donner suite, qu’elle soit formulée dans une lettre ou dans le cadre d’un grief au deuxième palier à l’égard d’une décision concernant la réévaluation d’une cote de sécurité. Comme je l’ai mentionné, la Cour a statué expressément dans Kim c Canada qu’il est raisonnable, pour trancher les griefs visant des décisions relatives à une réévaluation de la cote de sécurité, que des fonctionnaires comme M. Lubimiv se fondent sur les renseignements qui figurent dans le SGD. Quoi qu’il en soit, selon le témoignage de M. Lubimiv au procès, à l’époque où il a traité les demandes et les griefs de M. Kim, les renseignements qu’il avait obtenus de façon indépendante au sujet du premier incident d’agression à l’arme blanche corroboraient le fait que M. Kim était l’agresseur. M. Kim n’a pas contesté les souvenirs de M. Lubimiv en contre-interrogatoire.

[51]  Enfin, M. Kim fait valoir que la mauvaise foi de M. Lubimiv était évidente, dans la mesure où il a continué d’insister, dans son témoignage au procès, pour dire que M. Kim était l’agresseur lors des deux incidents d’agression à l’arme blanche, malgré le fait que des corrections ont maintenant été apportées. Cependant, la Cour souligne que M. Lubimiv a quitté le SCC en janvier 2012, avant que les corrections aient été apportées au dossier du SGD de M. Kim. Pendant le contre-interrogatoire de M. Lubimiv au procès, M. Kim n’a porté à son attention ni les corrections qui ont été apportées au SGD après son départ à la retraite, ni les éléments de preuve à partir desquels les corrections ont été apportées. Je ne peux conclure à de la mauvaise foi de la part de M. Lubimiv, pour s’être appuyé sur les renseignements figurant dans le SGD en 2009 et 2010, ni pour avoir continué à le faire au procès, puisqu’il n’avait aucune raison de penser qu’ils sont ou étaient inexacts.

[52]  En conclusion, M. Kim n’a établi aucune cause d’action contre la défenderesse, et son action est par conséquent rejetée, avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’action est rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse.

« Mireille Tabib »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2299-14

 

INTITULÉ :

FRANK KIM c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 22 ET 23 MARS 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Frank Kim

 

Pour le demandeur

 

Nicholas Banks

Erin Morgan

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Frank Kim

Pour son propre compte

La Macaza (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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