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Date : 20170925


Dossier : T-2011-15

Référence : 2017 CF 857

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

LA MINISTRE DE LA SANTÉ et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans ce qui est en voie de devenir une véritable saga, la demanderesse se présente une fois de plus devant notre Cour pour obtenir le contrôle judiciaire, vraisemblablement en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (LRC (1985), c F-7), d’une décision afférent à ses comprimés d’oméprazole magnésien, ou Apo-Oméprazole. Apotex sollicite une réparation liée à la décision de la ministre de la Santé (la ministre ou la défenderesse) de mettre fin au processus de révision d’une présentation concernant un avis de conformité demandé eu égard à ses comprimés Apo-Oméprazole (oméprazole magnésien) et de traiter la présentation comme ayant été retirée. La demanderesse sollicite l’annulation de la décision du 16 novembre 2015 par laquelle la ministre mettait fin au processus de révision, et lui demande de poursuivre le traitement de sa présentation sans entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire [traduction] « en insistant sur l’adhésion stricte à des politiques et à une ligne directrice qui n’ont pas force de loi ». Subsidiairement, la demanderesse sollicite la réparation suivante :

  • enjoindre à la ministre de soumettre la question privilégiée par la demanderesse à un banc de révision;

  • ordonner qu’on lui accorde deux heures pour faire valoir son point de vue concernant sa question privilégiée;

  • ordonner qu’on lui permette de présenter ses observations au banc de révision concernant les [traduction] « occasions manquées » de prévenir les litiges ou de les régler rapidement;

  • ordonner qu’il soit interdit aux délégués de la ministre d’engager des discussions ex parte avec le banc de révision.

[2] La demanderesse, Apotex Inc. (Apotex), est un fabricant et distributeur de produits pharmaceutiques qui se spécialise surtout dans les drogues génériques déjà mises en marché par d’autres fabricants. Tout fabricant de drogues doit obtenir un avis de conformité du ministre de la Santé pour vendre un nouveau produit au Canada (paragraphe C.08.002(1) du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 (le Règlement). L’avis de conformité peut être obtenu de diverses façons. En l’occurrence, la demanderesse devait déposer une « présentation abrégée de drogue nouvelle » (PADN) pour vendre une version générique d’une drogue existante approuvée. S’il est établi que la PADN satisfait aux exigences de la Loi sur les aliments et drogues, LRC (1985), c F-27 (la Loi) et du Règlement, le ministre délivre un avis de conformité (alinéa C.08.004(1)a)).

[3] La PADN doit notamment faire la démonstration que la drogue est « bioéquivalente » à la drogue existante, ou « produit de référence canadien ». La notion de bioéquivalence n’est pas définie dans le Règlement, mais Santé Canada a publié des lignes directrices sur la façon dont les sociétés peuvent en faire la démonstration. Aux fins des présents motifs, nous nous appuierons sur la définition de la bioéquivalence telle que la présente M. Scott Appleton dans son témoignage par affidavit pour le compte de la défenderesse. Pharmacologue et toxicologue, M. Appleton a obtenu un doctorat et a été boursier postdoctoral de l’Université Tulane. Il donne une définition de la bioéquivalence au paragraphe 22 de son affidavit :

[traduction]

La drogue générique est considérée comme un bioéquivalent du produit de référence canadien une fois qu’il a été établi que les effets systémiques attendus sont les mêmes que ceux du produit de référence canadien lorsqu’elle est administrée aux patients suivant les conditions indiquées sur l’étiquette de la « drogue innovante ».

[4] En 2000, Apotex a déposé une première PADN à l’égard de ses comprimés « Apo-Oméprazole », un médicament antiulcéreux. Apotex avait compris que la PADN serait approuvée le 7 mars 2003 – l’examen était terminé, mais elle faisait l’objet d’une suspension liée au brevet. Autrement dit, l’avis de conformité ne serait pas délivré tant que les exigences du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93-133) ne seraient pas remplies, ce qui surviendrait, si j’ai bien compris, à l’expiration d’un brevet détenu par AstraZeneca Canada Inc. (Apotex Inc. c Canada (Santé), 2012 CAF 322 [Apotex], au paragraphe 4). Santé Canada a ultérieurement retiré l’approbation au motif que la PADN ne comportait pas d’étude attestant la bioéquivalence avec le produit de référence canadien si la drogue est administrée avec un repas à forte teneur calorique et lipidique. Finalement, en 2013, Apotex a produit une étude menée chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur calorique et lipidique (OMEC03), mais la ministre a refusé de délivrer un avis de conformité parce qu’elle n’a pas été convaincue par les résultats et la conception de l’étude.

[5] Apotex a déposé une demande de révision au titre du processus offert par Santé Canada mais, en définitive, la ministre a refusé de procéder à une révision parce que les parties n’avaient pas réussi à s’entendre sur la question à soumettre à un groupe d’experts externe. Santé Canada souhaitait axer la question sur la bioéquivalence et sur la seule étude (qui remontait à 1998) proposée pour établir la bioéquivalence de la drogue administrée avec de la nourriture, étude dont l’absence avait été déterminante du retrait de l’approbation accordée antérieurement (« lettre de retrait suivant un avis de non-conformité » datée du 9 février 2009). En fait, l’obligation de démontrer la bioéquivalence chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique a été évoquée pour la première fois en décembre 2008, lorsque la ministre a signifié à Apotex que quoi qu’elle ait pu déduire de la lettre de mars 2003, l’examen original n’était pas achevé. Je souligne que la PADN initiale, qui ne comprenait pas d’étude menée chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique, a mené à la lettre de retrait suivant un avis de non-conformité du 9 février 2009. Le 27 juillet 2009, la ministre a rejeté une demande de révision. Une nouvelle PADN a été déposée en 2013. Le processus engagé en 2013 est à l’origine de la dernière demande de contrôle judiciaire, qui est celle qui nous occupe.

[6] Selon le dossier tel qu’il se présentait quand la demande de révision a été rejetée (le 16 novembre 2015), Apotex avait soumis des questions qui portaient plutôt sur [traduction] « l’innocuité et l’efficacité » que sur « la bioéquivalence » des comprimés Apo-Oméprazole. Pendant l’audition de la présente affaire, les avocats d’Apotex ont expliqué que la société savait qu’elle devait démontrer la bioéquivalence, mais qu’elle avait hésité à utiliser ce terme dans les questions proposées aux fins de la révision parce qu’elle craignait que la ministre cherche à entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant trop strictement les normes des lignes directrices sur la bioéquivalence. Cette crainte est loin d’être validée par les discussions qui se sont étalées sur plusieurs semaines entre Apotex et les représentants de la ministre. La preuve donne plutôt à penser qu’Apotex voulait se soustraire à l’obligation de démontrer la bioéquivalence.

[7] Apotex demande à la Cour d’annuler la décision du 16 novembre 2015 par laquelle la ministre a mis fin au processus de révision. La demanderesse fait valoir que la question proposée par la ministre révélait une entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et faisait abstraction de ses attentes légitimes. La défenderesse plaide avec conviction que la question présentée par la ministre ne révèle aucune entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et que la demanderesse n’est aucunement justifiée de s’attendre à ce que sa question l’emporte. La défenderesse soutient en outre que le dossier ne peut être renvoyé pour une révision axée sur le caractère raisonnable de la question proposée par la ministre. Il ne s’agit pas d’une solution de substitution envisageable puisque la demanderesse n’a pas évoqué cette réparation dans l’avis de demande daté du 1er décembre 2015.

[8] Pour les motifs exposés ci-après, il n’y a pas eu entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la ministre, et les attentes légitimes de la demanderesse n’ont pas été frustrées.

II. Cadre législatif et de politique

[9] Pour bien comprendre le contexte, il faut connaître le cadre législatif et de politique qui régit la délivrance d’un avis de conformité à un fabricant comme Apotex. Le présent dossier met en jeu trois aspects importants du cadre législatif et de politique : l’obtention d’un avis de conformité pour une PADN; la satisfaction de l’exigence de « bioéquivalence » et le processus de révision.

[10] Bien que la délivrance d’un avis de conformité suivant le dépôt d’une PADN exige moins de renseignements que dans le cas d’une drogue entièrement nouvelle, certaines conditions s’appliquent, y compris la démonstration de la bioéquivalence entre la drogue visée par la demande d’avis de conformité et le produit de référence canadien. L’obligation pour le fabricant d’obtenir un avis de conformité avant de vendre une drogue nouvelle au Canada est énoncée au paragraphe C.08.002(1) du Règlement. Selon cette disposition, un avis de conformité sera délivré si la PADN ainsi que d’autres présentations sont jugées « acceptables » par le ministre :

C.08.002 (1) Il est interdit de vendre ou d’annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

C.08.002 (1) No person shall sell or advertise a new drug unless

a) le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle-ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle, une présentation de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel que celui-ci juge acceptable;

(a) the manufacturer of the new drug has filed with the Minister a new drug submission, an extraordinary use new drug submission, an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission relating to the new drug that is satisfactory to the Minister;

b) le ministre a délivré au fabricant de la drogue nouvelle, en application des articles C.08.004 ou C.08.004.01, un avis de conformité relativement à la présentation;

(b) the Minister has issued, under section C.08.004 or C.08.004.01, a notice of compliance to the manufacturer of the new drug in respect of the submission; and

c) l’avis de conformité relatif à la présentation n’a pas été suspendu aux termes de l’article C.08.006.

(c) the notice of compliance in respect of the submission has not been suspended under section C.08.006.

d) [Abrogé, DORS/2014-158, art. 10]

(d) [Repealed, SOR/2014-158, s. 10]

(…)

...

(2) La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle, notamment :

(2) A new drug submission shall contain sufficient information and material to enable the Minister to assess the safety and effectiveness of the new drug, including the following:

(…)

De toute évidence, le Règlement vise ultimement à assurer l’innocuité et l’efficacité d’une drogue nouvelle avant sa vente ou son annonce au Canada. C’est l’objectif du Règlement, que la Cour suprême du Canada a confirmé dans une autre affaire mettant en cause l’oméprazole (mais pas l’oméprazole magnésien) : « L’objectif de la LAD [Loi sur les aliments et drogues] est d’encourager la mise en marché de médicaments efficaces et non nocifs de façon à améliorer l’état de santé de la population » (AstraZeneca Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 RCS 560, au paragraphe 12).

[11] Si un innovateur souhaite mettre en marché une nouvelle drogue, le paragraphe C.08.002(1) lui impose d’inclure dans sa présentation, entre autres éléments :

g) les rapports détaillés des épreuves effectuées en vue d’établir l’innocuité de la drogue nouvelle, aux fins et selon le mode d’emploi recommandés;

h) des preuves substantielles de l’efficacité clinique de la drogue nouvelle aux fins et selon le mode d’emploi recommandés.

Comme la juge Layden-Stevenson l’a observé dans la décision Reddy Cheminor Inc. c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 542, 233 FTR 271, ces renseignements sont généralement volumineux (la preuve en l’occurrence suggérait qu’elle pouvait aller de 100 à 300 volumes de données).

[12] Heureusement, une voie moins onéreuse est offerte dans les cas appropriés : la présentation abrégée de drogue nouvelle. Si un fabricant souhaite copier une drogue déjà mise en marché plutôt que de mettre en marché une drogue entièrement nouvelle, il peut éviter de fournir des données et des rapports détaillés et volumineux pour démontrer l’innocuité et l’efficacité requises. Le Règlement autorise une comparaison avec le produit de référence canadien, défini comme suit :

C.08.001.1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent titre.

C.08.001.1 For the purposes of this Division,

produit de référence canadien Selon le cas :

Canadian reference product means

a) une drogue à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré en application des articles C.08.004 ou C.08.004.01 et qui est commercialisée au Canada par son innovateur;

(a) a drug in respect of which a notice of compliance is issued under section C.08.004 or C.08.004.01 and which is marketed in Canada by the innovator of the drug,

b) une drogue jugée acceptable par le ministre et qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, lorsqu’une drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré en application des articles C.08.004 ou C.08.004.01 ne peut être utilisée à cette fin parce qu’elle n’est plus commercialisée au Canada;

(b) a drug, acceptable to the Minister, that can be used for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics, where a drug in respect of which a notice of compliance has been issued under section C.08.004 or C.08.004.01 cannot be used for that purpose because it is no longer marketed in Canada, or

c) une drogue jugée acceptable par le ministre qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, par comparaison à une drogue visée à l’alinéa a). (Canadian reference product)

(c) a drug, acceptable to the Minister, that can be used for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics, in comparison to a drug referred to in paragraph (a); (produit de référence canadien)

[Non souligné dans l’original.]

[13] Si un produit de marque (comme c’est habituellement le cas) commercialisé par l’innovateur est copié, un avis de conformité sera délivré pour la « drogue générique » si les conditions du Règlement sont remplies. L’article C.08.002.1 s’avère particulièrement pertinent. Je le reproduis intégralement compte tenu de son importance en l’espèce :

C.08.002.1 (1) Le fabricant d’une drogue nouvelle peut déposer à l’égard de celle-ci une présentation abrégée de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel si, par comparaison à un produit de référence canadien :

C.08.002.1 (1) A manufacturer of a new drug may file an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission for the new drug where, in comparison with a Canadian reference product,

a) la drogue nouvelle est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien;

(a) the new drug is the pharmaceutical equivalent of the Canadian reference product;

b) elle est bioéquivalente au produit de référence canadien d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, si le ministre l’estime nécessaire, d’après les caractéristiques en matière de biodisponibilité;

(b) the new drug is bioequivalent with the Canadian reference product, based on the pharmaceutical and, where the Minister considers it necessary, bioavailability characteristics;

c) la voie d’administration de la drogue nouvelle est identique à celle du produit de référence canadien;

(c) the route of administration of the new drug is the same as that of the Canadian reference product; and

d) les conditions thérapeutiques relatives à la drogue nouvelle figurent parmi celles qui s’appliquent au produit de référence canadien.

(d) the conditions of use for the new drug fall within the conditions of use for the Canadian reference product.

(2) La présentation abrégée de drogue nouvelle ou la présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle, notamment :

(2) An abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission shall contain sufficient information and material to enable the Minister to assess the safety and effectiveness of the new drug, including the following:

a) les renseignements et le matériel visés :

(a) the information and material described in

(i) aux alinéas C.08.002(2)a) à f), j) à l) et o), dans le cas d’une présentation abrégée de drogue nouvelle,

(i) paragraphs C.08.002(2)(a) to (f), (j) to (l) and (o), in the case of an abbreviated new drug submission, and

(ii) aux alinéas C.08.002(2)a) à f), j) à l) et o) et aux sous-alinéas C.08.002.01(2)b)(ix) et (x), dans le cas d’une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel;

(ii) paragraphs C.08.002(2)(a) to (f), (j) to (l) and (o), and subparagraphs C.08.002.01(2)(b)(ix) and (x), in the case of an abbreviated extraordinary use new drug submission;

b) les renseignements permettant d’identifier le produit de référence canadien utilisé pour les études comparatives menées dans le cadre de la présentation;

(b) information identifying the Canadian reference product used in any comparative studies conducted in connection with the submission;

c) les éléments de preuve, provenant des études comparatives menées dans le cadre de la présentation, établissant que la drogue nouvelle :

(c) evidence from the comparative studies conducted in connection with the submission that the new drug is

(i) d’une part, est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien,

(i) the pharmaceutical equivalent of the Canadian reference product, and

(ii) d’autre part, si le ministre l’estime nécessaire d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, d’après les caractéristiques en matière de biodisponibilité de celle-ci, est bioéquivalente au produit de référence canadien selon les résultats des études en matière de biodisponibilité, des études pharmacodynamiques ou des études cliniques;

(ii) where the Minister considers it necessary on the basis of the pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics of the new drug, bioequivalent with the Canadian reference product as demonstrated using bioavailability studies, pharmacodynamics studies or clinical studies;

d) les éléments de preuve établissant que les lots d’essai de la drogue nouvelle ayant servi aux études menées dans le cadre de la présentation ont été fabriqués et contrôlés d’une manière représentative de la production destinée au commerce;

(d) evidence that all test batches of the new drug used in any studies conducted in connection with the submission were manufactured and controlled in a manner that is representative of market production; and

e) dans le cas d’une drogue destinée à être administrée à des animaux producteurs de denrées alimentaires, les renseignements permettant de confirmer que le délai d’attente est identique à celui du produit de référence canadien.

(e) for a drug intended for administration to foodproducing animals, sufficient information to confirm that the withdrawal period is identical to that of the Canadian reference product.

(3) Le fabricant de la drogue nouvelle doit, à la demande du ministre, lui fournir, selon ce que celui-ci estime nécessaire pour évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue dans le cadre de la présentation abrégée de drogue nouvelle ou de la présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, les renseignements et le matériel suivants :

(3) The manufacturer of a new drug shall, at the request of the Minister, provide the Minister, where for the purposes of an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission the Minister considers it necessary to assess the safety and effectiveness of the new drug, with the following information and material:

a) les nom et adresse des fabricants de chaque ingrédient de la drogue nouvelle et les nom et adresse des fabricants de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

(a) the names and addresses of the manufacturers of each of the ingredients of the new drug and the names and addresses of the manufacturers of the new drug in the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold;

b) des échantillons des ingrédients de la drogue nouvelle;

(b) samples of the ingredients of the new drug;

c) des échantillons de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

(c) samples of the new drug in the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold; and

d) tout renseignement ou matériel supplémentaire se rapportant à l’innocuité et à l’efficacité de la drogue nouvelle.

(d) any additional information or material respecting the safety and effectiveness of the new drug.

(4) Pour l’application du présent article, dans le cas d’une présentation abrégée de drogue nouvelle, la drogue nouvelle pour usage exceptionnel à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré en application de l’article C.08.004.01 n’est pas un produit de référence canadien.

(4) For the purposes of this section, in the case of an abbreviated new drug submission, a new drug for extraordinary use in respect of which a notice of compliance has been issued under section C.08.004.01 is not a Canadian reference product.

[je souligne]

[my emphasis]

[14] L’esprit du Règlement semble relativement simple : il vise à assurer l’efficacité et l’innocuité des drogues. Pour atteindre cet objectif, le fabricant peut déposer une PADN, mais il doit se conformer à certaines exigences, et notamment prouver que la drogue nouvelle est bioéquivalent au produit de référence canadien. Selon mon interprétation des paragraphes C.08.002.1(1) et (2), il ne s’agit pas d’un choix. Il importe d’assurer que les drogues sont efficaces et sans danger. Or, pour y parvenir, il faut se conformer à l’article C.08.002.1, et notamment à l’exigence de bioéquivalence. De la façon dont j’interprète le Règlement, ces exigences ne peuvent pas être contournées.

[15] Le ministre doit tenir compte de la bioéquivalence entre le produit de référence canadien et la drogue nouvelle dans sa version générique. Si le produit générique est bioéquivalent au produit de référence déjà approuvé, il devrait être acceptable même si « les rapports détaillés des épreuves effectuées en vue d’établir l’innocuité de la drogue nouvelle, aux fins et selon le mode d’emploi recommandés » et « des preuves substantielles de l’efficacité clinique de la drogue nouvelle aux fins et selon le mode d’emploi recommandés » ne sont pas fournis (alinéas C.08.002 (2)g) et h)), ce qui constitue indéniablement un lourd fardeau. Cependant, la démonstration de la bioéquivalence n’est pas facultative.

[16] En contrepartie, il n’est pas requis d’inclure dans la PADN l’intégralité des renseignements volumineux prévus aux alinéas C.08.002(2)g) et h), tel qu’il est prévu au sous-alinéa C.08.002.1(2)a)(i). Si le fabricant d’une drogue générique se conforme aux exigences de l’article C.08.002.1, il n’est pas tenu de produire la preuve abondante qui avait été exigée de l’innovateur. Le paragraphe C.08.004(1) oblige le ministre à délivrer un avis de conformité si la PADN est conforme à l’article C.08.002.1, tel qu’il est établi ci-dessus. Dans ce cas, l’avis de conformité « constitue la déclaration d’équivalence de cette drogue » (paragraphe C.08.004(4)).

[17] La PADN est déposée à la Direction des produits thérapeutiques de Santé Canada. Si la délivrance d’un avis de conformité incombe d’office au ministre de la Santé, ce pouvoir est habituellement délégué au directeur général de la Direction des produits thérapeutiques.

III. Contexte

[18] Il sera utile de connaître le contexte général de la présente affaire avant d’aborder le mécanisme de « révision » attaqué en l’espèce.

[19] Au début des années 2000, Apotex avait soumis une demande d’avis de conformité qui avait reçu un accueil favorable de Santé Canada. Le 7 mars 2003, Santé Canada a écrit à Apotex pour l’informer que l’examen de la PADN déposé à l’égard des comprimés Apo-Oméprazole (oméprazole magnésien) était achevé. Nul ne conteste que ce message pouvait laisser entrevoir une issue positive de l’examen, mais la décision finale ne pouvait pas être communiquée parce qu’un brevet était en vigueur.

[20] Le 5 décembre 2008, Apotex a été notifiée que sa PADN ne pouvait pas [traduction] « être approuvée pour le moment ». Ce revirement s’expliquait par le fait que la décision précédente avait été rendue au vu d’études sur l’administration du comprimé chez des sujets à jeun (OMEC14) ou ayant pris un repas à faible teneur lipidique et calorique (OMEC13 et OMEC16). Or, à mesure que le corpus d’expérience s’enrichissait, Santé Canada a réalisé que les présentations portant sur ce genre de drogues devaient inclure des études sur le spectre complet des conditions d’administration, c’est-à-dire à jeun et avec un repas standard. Plus précisément, les études devaient porter sur des sujets ayant pris non seulement un repas à faible teneur lipidique et calorique, mais également un repas à forte teneur lipidique. Pour satisfaire à l’exigence de la bioéquivalence, il fallait donc produire des éléments de preuve concernant l’administration chez des sujets à jeun ou ayant pris un repas standard. Ces renseignements étaient manquants dans la PADN en cause.

[21] Dans la lettre, il était également demandé à Apotex de produire une étude pharmacocinétique ou une étude pharmacodynamique menée chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique, ou toute autre justification scientifique fondée sur des données corroborant la bioéquivalence. Considérant le délai écoulé avant l’annonce de la conclusion défavorable, Santé Canada a offert son aide pour la conception d’une étude appropriée, en plus de s’engager à examiner rapidement la preuve au vu de l’intégralité de la présentation et à faire une analyse dans les plus brefs délais afin de rendre une décision.

[22] Deux constats s’imposent. Santé Canada a insisté sur la bioéquivalence et sur la production d’éléments de preuve de la bioéquivalence chez des sujets à jeun et ayant pris un repas à forte teneur lipidique. Nous savons maintenant que la PADN initiale d’Apotex ne faisait pas une démonstration satisfaisante de la bioéquivalence avec un repas à forte teneur lipidique.

[23] La ministre a jugé que la PADN n’était pas conforme et elle a rejeté la demande de révision. Apotex a demandé un contrôle judiciaire de la décision plus d’une année après. Devant notre Cour, elle a tenté de faire valoir un droit acquis concernant la délivrance de l’avis de conformité sollicité. Dans la décision Apotex Inc. c Canada (Santé), 2011 CF 1308, 400 FTR 28, mon collègue le juge Robert Barnes a déclaré qu’après la lettre du 5 décembre 2008, le ministre avait délivré une lettre de retrait suivant un avis de non-conformité à l’égard des comprimés Apo-Oméprazole. Le 28 juillet 2009, une demande de révision de la décision de délivrer un avis de non-conformité a également été rejetée. Le 26 août 2010, Apotex a engagé une action dans laquelle elle attaquait les trois « décisions » en plaidant qu’elles étaient « illégales, déraisonnables, inéquitables, discriminatoires, illogiques, empreintes de partialité et insoutenables sur le plan scientifique » (au paragraphe 14). Le juge Barnes a conclu que la demande avait été déposée en dehors des délais. Mon collègue a tout de même vérifié si la lettre du 7 mars conférait un droit acquis à Apotex. Si pareil droit avait existé, il aurait permis à Apotex de solliciter en tout temps un contrôle judiciaire pour le faire valoir. Voici la conclusion du juge :

[33] Il me semble assez évident que, jusqu’à ce qu’un AC [avis de conformité] soit délivré, le proposant n’a aucun droit acquis d’obtenir un résultat favorable, du moins en ce qui concerne les questions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire légitime du ministre (c’est-à-dire les questions qui concernent la sécurité publique et l’efficacité). Le fait qu’une demande d’AC a été placée en instance de brevet n’a aucune importance sur le plan juridique. Le ministre a pleinement le droit de revoir les questions scientifiques à toute étape du processus, jusqu’à ce que l’AC soit délivré. Ce n’est qu’à ce moment que l’examen du ministre est terminé conformément à l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F-27.

[24] Apotex a interjeté appel de cette décision (2012 CAF 322, 443 NR 291). La Cour d’appel fédérale a convenu avec la Cour fédérale qu’Apotex avait présenté sa demande en dehors des délais. Elle a aussi rejeté l’argument selon lequel la ministre était obligée de délivrer un AC une fois qu’Apotex avait été notifiée que la présentation était alors conforme au Règlement. Étant donné que la Loi et le Règlement ont pour objet d’assurer la mise en marché de médicaments efficaces et sans danger, la Cour d’appel a conclu qu’il serait absurde d’« interprét[er] le Règlement d’une manière obligeant la ministre à délivrer un avis de conformité même sans qu’elle ne soit convaincue de l’innocuité et de l’efficacité d’une drogue » (au paragraphe 30). La Cour d’appel était aussi d’avis qu’Apotex ne pouvait pas invoquer une attente légitime que l’avis de conformité serait délivré dès la levée de la suspension liée au brevet. Selon la Cour, la doctrine de l’attente légitime ne conférait pas de droits fondamentaux de la nature de ceux qu’Apotex revendiquait.

[25] Dans son arrêt, la Cour d’appel fédérale affirme avec insistance que l’innocuité et l’efficacité d’une drogue sont déterminantes. Il était loisible à la ministre d’exiger une démonstration plus étoffée de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue en cause. C’était en fait tout ce qui comptait. La Cour a estimé que les réserves quant à l’innocuité et l’efficacité étaient sincères :

[44] Avant d’en finir sur ce point, j’ai aussi tenu compte de l’argument d’Apotex selon lequel il était [traduction] « inéquitable et arbitraire » que les représentants de la ministre aient préféré les résultats défavorables obtenus lors de l’examen de sa présentation en 2008 aux résultats favorables obtenus en 2002 alors que, selon ses dires, il n’y avait eu aucun changement de situation important. J’ai également tenu compte de l’argument d’Apotex concernant la conduite, censée donner lieu à une crainte raisonnable de partialité, des représentants de la ministre.

[45] La ministre a débattu les éléments de preuve produits par Apotex sur ces questions.

[46] Compte tenu de l’ensemble des preuves, je conclus qu’Apotex n’a pas démontré que les réserves de la ministre relatives à l’innocuité et à l’efficacité n’étaient pas sincères. Il ressort des preuves qu’il existe une grande incertitude à la Direction des produits thérapeutiques de Santé Canada quant aux exigences de bioéquivalence qu’il convient d’appliquer aux inhibiteurs de la pompe à protons. Une telle incertitude scientifique n’enlève rien à la sincérité des réserves de la ministre en matière d’innocuité et d’efficacité.

[26] Malgré sa ferme conviction quant à l’obligation de déterminer la bioéquivalence d’une drogue dans l’ensemble du spectre des conditions (allant du jeûne à la prise d’un repas à forte teneur lipidique) pour attester de son innocuité et de son efficacité, Santé Canada a néanmoins offert d’aider Apotex à concevoir une étude appropriée pour faire cette démonstration. Santé Canada a même fait savoir à Apotex qu’elle accepterait toute autre justification scientifique fondée sur des données probantes démontrant la bioéquivalence et qu’elle examinerait ces données dans les plus brefs délais. Cette invitation n’a clairement pas eu de suite puisque l’étude OMEC03 n’a pas été produite. Une lettre de retrait suivant un avis de non-conformité a été envoyée à l’égard de cette première présentation et, comme l’a fait remarquer le juge Barnes, la révision a été refusée le 27 juillet 2009. Le délai de plus d’un an qui s’est écoulé avant le dépôt de la demande de contrôle judiciaire à notre Cour a été jugé fatal en soi. Par surcroît, les deux cours fédérales se sont prononcées sur le pouvoir de la ministre de demander d’autres données afin d’établir la bioéquivalence.

[27] Enfin, le 4 février 2013, après qu’une étude produite antérieurement eut été jugée insuffisante, Apotex a déposé une nouvelle PADN à laquelle elle avait joint l’étude OMEC03 (menée en 1998 sur des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique). La présentation a été rejetée et un avis de non-conformité a été délivré le 28 novembre 2013.

[28] En somme, les différents chapitres de cet épisode particulier se résument ainsi : Apotex s’attendait à obtenir l’approbation de ses comprimés Apo-Oméprazole le 7 mars 2003 même si elle n’avait pas produit d’étude sur des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique. Cependant, l’organisme de réglementation a conclu le 5 décembre 2008 qu’il ne pouvait pas donner son approbation parce que la bioéquivalence n’avait pas été établie au moyen d’études chez des sujets à jeun et ayant pris un repas standard. Au lieu de fournir la preuve de la bioéquivalence, Apotex a attaqué la décision en soutenant qu’elle avait un droit acquis. Elle a toutefois été déboutée devant notre Cour et devant la Cour d’appel fédérale. Apotex a finalement produit l’étude OMEC03, vieille de 15 ans, pour dissiper les réserves à l’égard de la preuve de bioéquivalence.

[29] L’avis de non-conformité du 28 novembre 2013 indiquait expressément que non seulement la bioéquivalence entre la nouvelle drogue d’Apotex et le produit de référence canadien n’avait pas été démontrée chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique, mais aussi, et c’est tout aussi important, que Santé Canada avait jugé que la teneur calorique du repas d’épreuve (760 calories au lieu des 1 000 calories requises), de même que sa teneur lipidique étaient insuffisantes par rapport à la norme. Plus précisément, outre le fait que la puissance statistique et le protocole d’échantillonnage de l’étude avaient été jugés inadéquats, trois comprimés entérosolubles avaient été administrés plutôt qu’un. La lettre donne des orientations précises sur la conception et la réalisation d’une nouvelle étude. Il n’y a pas eu de nouvelle étude, ni alors ni depuis.

IV. Révision

[30] Au lieu de concevoir une nouvelle étude conforme à l’exigence de Santé Canada de faire la preuve de la bioéquivalence chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique ou, encore, de solliciter un contrôle judiciaire de la décision de rejet, Apotex a demandé une « révision ».

[31] Tel qu’il est énoncé dans le document « Ligne directrice à l’intention de l’industrie : Révision des décisions finales sur les présentations de drogue pour usage humain » [remplacé depuis], Santé Canada a mis en place une politique de règlement des différends à propos des présentations de drogues qui s’applique notamment aux PADN.

[32] Si le ministre délivre une lettre de retrait suivant un avis de non-conformité à l’égard d’une présentation de drogue, le promoteur peut demander une révision selon un processus décrit dans un document de politique.

[33] Selon les principes directeurs en matière de règlement des différends, le personnel doit régler les différends d’une manière juste et rapide, en recourant au mécanisme le plus approprié. Les principes déterminants sont l’équité, la responsabilité et l’accessibilité. Le processus de révision est un mécanisme officiel de règlement des différends qui doit être déclenché après que toutes les voies informelles ont été épuisées.

[34] Le promoteur dépose la demande de révision et le Bureau de la science donne sa recommandation au directeur général de la Direction des produits thérapeutique quant au traitement de ladite demande, qui peut comprendre le renvoi des questions à régler à un groupe externe ou l’examen des questions par le Bureau de la science, ou une combinaison des deux.

[35] Le directeur général détermine quel processus sera appliqué et en informe le promoteur. Ici, il a été décidé de soumettre la demande à un banc de révision. Le promoteur (Apotex) et la direction touchée (Direction des produits thérapeutiques) devaient recommander chacun un membre du banc de révision, et son président devait être désigné par le directeur général.

[36] La partie la plus difficile de ce processus tient sans doute à la détermination des paramètres, ou du mandat, du banc de révision. En l’espèce, comme Apotex et la directrice générale ne sont pas parvenus à s’entendre sur la question à soumettre au banc de révision, il a été décidé de mettre fin au processus le 16 novembre 2015. Cette décision est la seule qui fait l’objet du contrôle judiciaire.

[37] La politique de révision ne donne aucune précision sur la manière dont le promoteur et Santé Canada doivent s’entendre sur la question à soumettre au banc de révision. Il y est simplement indiqué que le Bureau de la science doit collaborer avec le promoteur et le bureau ou le centre responsable de l’examen pour préparer une ébauche des questions qui seront soumises au comité consultatif scientifique ou au banc de révision. Cependant, la politique fournit des indications claires quant au type de questions pouvant être soumises à un banc de révision, et donne des exemples de celles qui sont généralement renvoyées à un groupe externe :

- l’interprétation des données accessibles;

- tout désaccord au sujet de la méthode appliquée;

- le poids relatif accordé aux données ayant des répercussions sur l’évaluation des risques et des avantages des renseignements soumis.

La politique énonce également le genre de questions qui, de manière générale, ne devraient pas être renvoyées à un groupe externe :

- la présentation de faux renseignements;

- les allégations de partialité;

- les dossiers portant essentiellement sur des politiques, des lignes directrices ou des procédures réglementaires;

- les questions pour lesquelles la Direction vient d’obtenir l’opinion d’experts indépendants.

[38] De toute évidence, toutes ces questions sont de nature technique. Elles n’ont rien à voir avec les politiques ou les procédures réglementaires. Il ressort de la politique que les questions qui peuvent être soumises au banc de révision, dont le rôle est purement consultatif, sont de nature très précise :

[traduction]

les rôles et les responsabilités du banc de révision, ainsi que le processus à suivre pour obtenir son opinion sont les mêmes que ceux décrits pour le comité consultatif scientifique à l’alinéa 5.3.1a). Compte tenu de son rôle consultatif, il n’est pas demandé au banc de révision de rendre une décision à l’égard d’une présentation, mais plutôt de donner son opinion sur des aspects qui concernent directement certaines questions non résolues.

[Non souligné dans l’original.]

(Ligne directrice [version antérieure], alinéa 5.1.3b), Banc de révision)

[39] Je ne vois pas comment un tel processus pourrait être assimilé à un processus d’appel. Il vise à soutenir la résolution de questions techniques précises qui relèvent essentiellement du directeur général de la Direction des produits thérapeutiques. Le directeur général désigne le président du banc de révision, il reçoit ses opinions et il prend une décision relativement à la révision. Les membres du banc de révision ont l’expertise voulue pour régler les questions qui leur sont soumises, mais ils ne sont pas des spécialistes des questions concernant les lignes directrices ou les procédures réglementaires. Ils sont des experts pour ce qui concerne les données, la méthode et le poids à accorder aux données ayant des répercussions sur l’évaluation des risques et des avantages. Leur expertise ne s’étend pas aux questions portant principalement sur des lignes directrices ou des procédures réglementaires.

[40] Ici, la directrice générale n’a pas tort de dire qu’elle est responsable du processus de révision : c’est elle qui tranche la demande de révision et qui reçoit les opinions des experts. Il lui est également loisible de rejeter une demande de révision si la décision visée ne se prête pas à ce processus. Voici comment son rôle est défini dans la ligne directrice [version antérieure] :

[traduction]

Il incombe au directeur général de la Direction des produits thérapeutiques ou de la Direction des produits biologiques et des thérapies génétiques, ou à son délégué, de :

• rejeter les demandes de révision de décisions non admissibles;

• déterminer si les renseignements fournis dans la demande de révision seront pris en compte;

• déterminer le processus décisionnel qui sera appliqué à la demande de révision;

• décider de recourir à un comité consultatif scientifique ou à un banc de révision et d’en choisir les membres (s’il y a lieu);

• rendre la décision de révision.

(Ligne directrice [version antérieure], 4. Rôles et responsabilités)

Manifestement, un directeur général qui n’agirait pas de bonne foi ou de manière impartiale s’exposerait à un examen attentif de son travail en cas de contrôle judiciaire, même s’il jouit d’un grand pouvoir discrétionnaire. Le devoir d’équité n’en exigerait pas moins. Cependant, aucune allégation du genre n’est soulevée en l’espèce.

[41] Je n’ai rien vu qui permettrait de croire que le promoteur n’a pas été en mesure de soulever toutes les questions qu’il jugeait appropriées. En fait, c’est plutôt le contraire. Il appert que les questions pouvant se prêter à une révision sont d’une nature particulière. C’est peut-être ce qui explique que la ligne directrice prévoit que le promoteur d’une présentation de drogue et le Bureau de la science de la Direction des produits thérapeutiques se consultent pour la formulation des questions à soumettre au banc de révision. À l’inverse de ce que prétend Apotex, la révision ne se fait pas selon un processus accusatoire dans lequel le banc de révision doit trancher toute question que lui soumet un promoteur. Il s’agit plutôt d’un processus par lequel des experts d’un domaine donné donnent leur opinion à un directeur général eu égard à des points précis des questions auxquelles ont acquiescé le promoteur et le Bureau de la science. Ce processus vise à éviter les différends. Voici un passage de la ligne directrice à ce sujet : « Si, lors du processus de révision, le promoteur dépose un avis de demande auprès d’un tribunal fédéral afin de résoudre la ou les questions faisant l’objet de la demande de révision, la Direction mettra fin au processus de révision ». En l’espèce, le processus de révision a abouti à une impasse. Apotex souhaitait ardemment que la question à soumettre au banc de révision se rapporte à l’innocuité et à l’efficacité de sa drogue nouvelle, mais la Direction des produits thérapeutiques était d’avis qu’elle devait porter sur la bioéquivalence.

V. Processus de révision : la question

[42] Le produit Apo-Oméprazole appartient à une catégorie de drogues appelées « inhibiteurs de la pompe à protons ». Ces drogues réduisent l’acidité gastrique et sont utilisées dans le traitement des affections comme les ulcères. Comme les inhibiteurs de la pompe à protons sont instables dans des conditions d’acidité, leur enrobage doit être entérosoluble pour que la dissolution ne se produise pas dans l’estomac, mais dans les intestins afin d’être absorbés par l’organisme. Le produit de référence canadien pour la PADN des comprimés Apo-Oméprazole est le « Losec », qui peut être administré sans aucune restriction alimentaire.

[43] L’avis de non-conformité du 28 novembre 2013 faisait suite à une conclusion comme quoi la drogue nouvelle n’était pas conforme à l’article C.08.002.1 du Règlement, qui exige que la drogue nouvelle soit bioéquivalente au produit de référence canadien. Voici un extrait de la lettre de novembre 2013 :

[traduction]

Pour démontrer l’innocuité et l’efficacité des comprimés Apo-Oméprazole (oméprazole magnésien) à action retardée, il faut démontrer la bioéquivalence avec le produit de référence canadien chez des sujets à jeun et ayant pris un repas à forte teneur lipidique. [...]

L’étude OMEC03 ne satisfait pas aux normes de démonstration de la bioéquivalence d’une dose unique administrée à des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique […]

De plus, l’étude présente de nombreuses lacunes sur le plan de la conception : le repas d’épreuve n’était pas un repas à forte teneur calorique et lipidique standard; le protocole d’échantillonnage inadéquat ne permettait pas de définir les profils de concentration de la drogue en fonction du temps; la puissance statistique de l’étude n’était pas adéquate; l’administration de trois comprimés entérosolubles au lieu d’un seul explique probablement les pics de concentration multiples en fonction du temps.

La décision de recommander la délivrance d’un avis de non-conformité pour cette présentation a été rendue au vu de l’ensemble des données qui ont été fournies […]

Pour démontrer l’innocuité et l’efficacité de votre produit, veuillez fournir les données d’une étude comparative de biodisponibilité conçue et réalisée de manière appropriée chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique […]

[44] L’avis de non-conformité contient également des commentaires à prendre en compte par la demanderesse concernant la conception et la réalisation d’une nouvelle étude, y compris l’administration en association avec un repas à forte teneur calorique et lipidique standard de 1 000 calories, dont au moins la moitié, ou au moins de 500 à 600 calories proviennent de lipides (par exemple, 2 œufs frits dans du beurre, 2 tranches de bacon, deux tranches de pain avec du beurre, 120 grammes de pommes de terre rissolées et 240 millilitres de lait entier). Dans l’étude OMEC03, le repas d’épreuve comptait 760 calories, dont 53 % (405 calories) provenaient de lipides.

[45] C’était la prémisse des événements suivants. En janvier 2014, Apotex a répondu à l’avis de non-conformité en affirmant que les études présentées établissaient l’innocuité et l’efficacité du produit. Je souligne qu’Apotex souhaite faire valoir l’innocuité et l’efficacité de son produit, alors que la ministre lui demande d’en établir la bioéquivalence. C’est très différent. Apotex n’a pas présenté de nouvelle étude. Elle a offert une réplique en trois volets pour réfuter le motif principal fondant l’avis de non-conformité, savoir le fait que l’étude OMEC03 n’établit pas la bioéquivalence :

  • En 2003, la Direction des produits thérapeutiques a approuvé la version antérieure de la PADN pour la même drogue et a accueilli l’étude soumise à l’époque, qui portait sur des sujets ayant pris un repas à faible teneur lipidique.

  • L’approbation d’autres inhibiteurs de la pompe à protons par la Direction des produits thérapeutiques semble indiquer que les lacunes alléguées dans l’étude OMEC03 n’ont aucune pertinence thérapeutique.

  • Étant donné que la Direction des produits thérapeutiques a approuvé de nombreux produits à base d’oméprazole et d’oméprazole magnésien qui ne sont pas bioéquivalents entre eux et qui sont interchangeables, la conformité stricte aux normes énoncées dans la ligne directrice de 2012 sur la bioéquivalence avec un produit de référence canadien ne permet pas de démontrer l’innocuité, l’efficacité ou l’interchangeabilité.

[46] En somme, la ministre a demandé une preuve de bioéquivalence parce qu’il s’agit d’une exigence législative, alors qu’Apotex voulait faire reconnaître l’innocuité et l’efficacité de sa drogue nouvelle malgré l’insuffisance de données sur la bioéquivalence si le comprimé est ingéré avec un repas à forte teneur lipidique et calorique. Apotex semble plaider que l’avis de conformité aurait dû être délivré sur la base des études produites en 2003, que l’étude OMEC03 est suffisante et qu’elle fait l’objet de discrimination considérant que l’examen n’a pas été aussi pointilleux pour d’autres produits.

[47] La lettre de retrait suivant un avis de non-conformité du 28 juillet 2014 reprend essentiellement les mêmes points que l’avis de non-conformité :

[traduction]

L’étude OMEC03 menée sur des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique (numéro de contrôle 162270) a été produite pour satisfaire au critère de la bioéquivalence chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique. Toutefois, elle a été jugée insatisfaisante parce que l’intervalle de confiance de 90 % par rapport à la moyenne relative de la surface sous la courbe en fonction du temps se situe à l’extérieur de l’amplitude acceptable de 80 à 125 %. Les résultats de l’étude n’étaient pas non plus significatifs en raison de failles dans la conception qui faisaient en sorte qu’il n’en ressortait aucune donnée utile quant au rendement de l’enrobage entérosoluble du comprimé à action retardée chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique.

Une étude menée auprès de sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique, qui produit à tout le moins des données probantes fiables, est nécessaire pour démontrer que le rendement des comprimés Apo-Oméprazole (oméprazole magnésien) à action retardée se compare à celui du produit de référence canadien. Ce type d’étude est requise pour démontrer l’innocuité et l’efficacité du produit d’épreuve dans l’ensemble du spectre des conditions thérapeutiques. Cette exigence a été satisfaite pour tous les autres inhibiteurs de pompe à protons génériques qui ont été approuvés au Canada. L’obligation de démontrer la bioéquivalence au produit de référence canadien dans le cadre d’une étude chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique a été établie par des experts de l’industrie et des scientifiques, comme en témoignent les conclusions du comité consultatif d’experts sur la biodisponibilité et la bioéquivalence (maintenant le Comité consultatif scientifique sur la biodisponibilité et la bioéquivalence). Qui plus est, il s’agit d’une pratique reconnue à l’échelle internationale.

[48] Les parties sont restées campées sur leur position. Dans le dossier de demande de révision présenté en juin 2015, Apotex affirmait que la question au cœur du litige était celle de savoir si l’intégralité de la présentation, y compris l’ensemble des données de l’étude sur la biodisponibilité, la nature du traitement, l’approbation des autres produits et d’autres facteurs suffisaient pour établir l’innocuité et l’efficacité des comprimés Apo-Oméprazole. Inversement, le Bureau des sciences pharmaceutiques de Santé Canada voulait axer la question à soumettre au banc de révision sur la bioéquivalence et, plus précisément, sur la fiabilité des données probantes issues de l’étude OMEC03 pour établir la bioéquivalence de la drogue administrée avec des aliments. La correspondance qui s’est ensuivie à propos des questions à soumettre au banc de révision n’indique pas la moindre tentative de concilier ces divergences. J’ai souligné ce qui constituait l’élément essentiel de chaque question.

[49] Le 18 septembre 2015, les deux parties ont présenté leurs projets de questions à soumettre au banc de révision :

  • Apotex proposait la question suivante : [traduction] À la lumière de l’ensemble des renseignements accessibles, y compris ceux concernant l’approbation d’autres inhibiteurs de la pompe à protons, les données produites sont-elles raisonnablement suffisantes pour conclure à l’innocuité et à l’efficacité des comprimés Apo-Oméprazole et, conséquemment, à la pertinence de délivrer un avis de conformité?

  • Le Bureau proposait la question suivante : [traduction] Les données issues de l’étude OMEC03 suffisent-elles à démontrer le rendement relatif des comprimés Apo-Oméprazole (oméprazole magnésien) chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique par rapport au produit de référence canadien aux fins de la prise d’une décision réglementaire quant à leur bioéquivalence?

[50] Après avoir pris connaissance des deux projets de questions, le Bureau de la science a proposé la question suivante :

A-t-il été établi que les comprimés Apo-Oméprazole (oméprazole magnésien) à enrobage entérosoluble sont bioéquivalents au produit de référence canadien chez des sujets ayant pris un repas?

[51] Le 5 octobre 2015, Duane Terrill a écrit à Santé Canada pour lui signifier qu’Apotex rejetait la question proposée par le Bureau de la science :

[traduction]

La question que nous avons proposée visait à établir si les renseignements produits suffisaient pour conclure à l’innocuité et à l’efficacité du produit. Il s’agit clairement de la seule question pertinente.

Votre question est celle de savoir s’il a été établi que le produit est bioéquivalent au produit de référence canadien chez des sujets ayant pris un repas.

Cette question est ambiguë puisque la réponse est tributaire de la définition donnée à l’expression « bioéquivalent chez des sujets ayant pris un repas ». Une interprétation possible de la question serait qu’elle repose sur la présomption du caractère obligatoire de tous les critères énoncés dans la dernière version de la ligne directrice, y compris l’administration avec un repas à forte teneur lipidique. S’il existe une telle présomption, la question devient futile, car nous ne mettons pas en doute que la réponse serait « non », toujours d’après une telle interprétation de la question.

La question proposée par Santé Canada ne recelait aucune ambiguïté et, dans le contexte, elle n’est certainement pas plus ambiguë que celle portant sur l’innocuité et l’efficacité du produit. La question vise tout simplement à établir la bioéquivalence du produit d’Apotex chez des sujets ayant pris un repas. Le banc de révision aurait donc beaucoup eu beaucoup de latitude pour se prononcer sur la notion centrale de la bioéquivalence chez des sujets ayant pris un repas. La bioéquivalence devait être établie et, de l’avis de la ministre, l’exigence que la preuve soit faite notamment pour des sujets ayant pris un repas était connue depuis au moins décembre 2008, sinon avant. Du reste, dans une réponse transmise le 9 octobre 2015, des représentants de Santé Canada indiquaient que la question ne pouvait pas être modifiée, car [traduction] « la bioéquivalence est l’une des quatre conditions de l’approbation d’une PADN ». Il me semble que l’exigence relative à la bioéquivalence est énoncée on ne peut plus clairement à l’article C.08.002.1. Ce libellé très clair donne à Santé Canada une justification suffisante pour refuser une question visant à obtenir une opinion sur l’innocuité et l’efficacité d’une drogue nouvelle malgré l’échec de l’épreuve du repas à forte teneur lipidique et calorique.

[52] Dans sa réponse datée du 13 octobre 2015, M. Terrill proposait une question modifiée :

[traduction]

Les renseignements accessibles, y compris les études sur la bioéquivalence qui ont été produites, sont-ils raisonnablement suffisants pour conclure à l’innocuité et à l’efficacité des comprimés Apo-Oméprazole?

[53] Le courriel transmis par M. Terrill le 13 octobre 2015 donne à penser qu’Apotex ne dérogeait pas à l’idée que le banc de révision devait axer son examen sur l’innocuité et l’efficacité du produit, sans égard à la conclusion relative à la bioéquivalence :

[traduction]

En ce qui concerne l’alinéa a), notre demande de révision ne porte PAS sur la question de savoir si Apotex a produit une étude de bioéquivalence chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique conforme au critère de confiance énoncé dans la ligne directrice. Puisque nous ne nions pas l’absence d’une telle étude, la question ne peut pas avoir pour objet d’établir si elle a été réalisée ou non. La question qui se pose est celle de savoir si, même en l’absence d’une telle étude, les renseignements accessibles établissent de manière satisfaisante l’innocuité et l’efficacité de notre produit dans une mesure au moins égale aux autres produits approuvés.

La directrice générale a accepté de présenter notre demande à un banc de révision. Par conséquent, la question ne peut pas consister à savoir si nous avons soumis une étude qui satisfait à tous les présumés critères puisque nous reconnaissons que nous n’avons pas soumis une telle étude. La question doit viser à déterminer si les renseignements soumis suffisent pour établir raisonnablement l’innocuité et l’efficacité.

[Souligné dans l’original.]

Je précise que dans le même courriel, M. Terrill introduit la question de la conformité aux critères énoncés dans la ligne directrice :

[traduction]

1. Tel que nous l’avons expliqué, la question que vous proposez est ambiguë et donc inacceptable en ce sens qu’elle suppose que la « bioéquivalence » doit être établie expressément chez des sujets ayant pris un repas, probablement pour satisfaire aux critères de la ligne directrice. Si le banc de révision interprète la question de cette façon, ses délibérations seraient indûment restreintes.

M. Terrill utilise le mot [traduction] « probablement ». Aucun élément de preuve au dossier ne corrobore cette hypothèse. Dans tous ses échanges avec la demanderesse, la défenderesse a maintenu le même point de vue qu’elle défend maintenant : la bioéquivalence est exigée par le Règlement, un point c’est tout. Il n’a jamais été exigé que les critères soient respectés strictement. L’hypothèse de M. Terrill n’est étayée par aucun des éléments de preuve que j’ai eu l’occasion d’examiner.

[54] Le 27 octobre 2015, la directrice générale a adressé une lettre de réponse à Apotex (dont une copie conforme a été envoyée aux membres du banc de révision qui devaient se réunir le 30 octobre 2015) dans laquelle elle explique pourquoi elle ne pouvait pas retenir la dernière question proposée. La directrice générale a alors précisé que la seule question scientifique mentionnée dans la lettre de retrait suivant un avis de non-conformité était celle de savoir [traduction] « si les résultats de l’étude chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique fournissent des estimations exactes de la surface sous la courbe en fonction du temps et de la concentration maximale par rapport au produit de référence canadien. » Elle a ajouté que le rôle du banc de révision n’était pas d’interpréter les règlements ou de recommander l’approbation d’un produit, mais d’examiner les éléments scientifiques fondant une décision défavorable relativement à une présentation de drogue. Encore une fois, la directrice générale a proposé une nouvelle question :

[traduction]

Les résultats de l’étude OMEC03 fournissent-ils une preuve assez fiable des caractéristiques de biodisponibilité des comprimés Apo-Oméprazole à action retardée pour en établir l’innocuité et l’efficacité du fait de leur bioéquivalence avec le produit de référence canadien, conformément au paragraphe C.08.002.1(2) du Règlement sur les aliments et drogues?

[55] Le 28 octobre 2015, M. Terrill a de nouveau rejeté la question proposée par Santé Canada au motif que son caractère trop restreint constituait une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire puisqu’elle rendait l’examen tributaire de données sur l’administration avec un repas à forte teneur lipidique, conformément aux critères de bioéquivalence. M. Terrill demandait en outre que le banc de révision soit autorisé à évaluer si Apotex avait été privée d’occasions de régler rapidement les différends, et que deux heures (plutôt que 45 minutes) lui soient allouées pour faire valoir son point de vue au banc de révision.

[56] Je comprends mal comment le renvoi direct à la disposition du Règlement qui exige « suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle » peut constituer une entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. C’est néanmoins ce qu’avance Apotex.

[57] Dans sa réponse du 6 novembre 2015, la directrice générale lui a proposé une nouvelle version de la question qui prévoyait la prise en compte de l’intégralité de la présentation. Elle ajoutait qu’en cas de rejet de cette approche, elle considérerait la demande de révision comme retirée et la décision annoncée dans la lettre de retrait suivant un avis de non-conformité comme définitive. La dernière question proposée était la suivante :

[traduction]

Les résultats de l’étude OMEC03, considérés à la lumière de l’ensemble des données probantes produites dans la présentation abrégée de drogue nouvelle, fournissent-ils une preuve assez fiable des caractéristiques de biodisponibilité des comprimés Apo-Oméprazole à action retardée pour établir leur innocuité et leur efficacité du fait de leur bioéquivalence avec le produit de référence canadien, conformément au paragraphe C.08.002.1(2) du Règlement sur les aliments et drogues? Dans l’affirmative ou la négative, pourquoi?

Encore une fois, on peut penser que le renvoi au paragraphe C.08.002.1(2) visait à mettre en évidence l’obligation de traiter de la question de la bioéquivalence dans la PADN. Deux jours plus tard, Apotex réitérait sa position.

[58] Le 16 novembre 2015, la directrice générale lui a envoyé une lettre dans laquelle elle l’informait qu’elle mettait fin au processus de révision et que la décision annoncée dans la lettre de retrait suivant un avis de non-conformité du 28 juillet 2014 devait désormais être considérée comme définitive. La partie pertinente de la décision est la suivante :

[traduction]

Vous avez rejeté la question que j’ai proposé de soumettre au banc de révision et, malgré la volonté dont je vous ai fait part de faire preuve d’une certaine souplesse, vous n’avez pas suggéré de solution de rechange. Malgré vos allégations, la question que j’ai proposée dans la lettre du 6 novembre 2015 ne révèle aucune entrave à l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire. Elle vise en fait à établir si l’exigence prévue au paragraphe C.08.002.1(2) du Règlement sur les aliments et drogues a été remplie.

Par ailleurs, vous maintenez que le mandat du banc de révision devrait englober votre opposition au processus lui-même, ce qui à mon sens consisterait à examiner à nouveau les présentations antérieures de votre société. Tel n’est pas l’objet d’une révision. Le banc de révision réunit des experts chargés de faire une analyse et de donner des opinions sur une question scientifique. Son rôle n’est pas d’examiner des renseignements ou des questions que la lettre de décision défavorable ne mentionne pas.

Comme nous nous retrouvons à nouveau dans une impasse, et comme je vous l’avais indiqué dans ma lettre du 6 novembre 2015, je mets fin au processus de révision de la présentation en cause (numéro de contrôle 162270) et la décision annoncée dans la lettre de retrait suivant un avis de non-conformité du 28 juillet 2014 est désormais considérée comme définitive.

[59] Ladite « décision » est celle qu’Apotex souhaite soumettre à un contrôle judiciaire.

VI. Questions en litige et discussion

[60] La demanderesse attaque la décision de la directrice générale de mettre fin au processus de révision de sa présentation concernant les comprimés Apo-Oméprazole (oméprazole magnésien). La présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) est considérée comme ayant été retirée. Nul ne conteste que la directrice générale est la déléguée de la ministre de la Santé ayant rendu la décision en cause.

[61] Tel qu’il a été vu dans la section précédente, Apotex a fait valoir que le processus de révision devait porter sur l’innocuité et l’efficacité de sa drogue nouvelle, alors que la ministre était d’avis que le fabricant d’une drogue nouvelle, conformément à l’article C.08.002.1 du Règlement, peut déposer une PADN dans laquelle la bioéquivalence de la drogue avec le produit de référence canadien est établie au vu de ses caractéristiques pharmaceutiques et, si la ministre le juge nécessaire, de ses caractéristiques de biodisponibilité.

A. Thèses des parties

[62] Essentiellement, Apotex soutient que la ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en exigeant que le processus de révision soit centré sur la bioéquivalence plutôt que sur l’innocuité et l’efficacité (mémoire des faits et du droit, aux paragraphes 3, 5, 24, 39, 47, 48 et 53). Apotex, si l’on en juge par les éléments de preuve qu’elle a produits et son mémoire des faits et du droit, tente depuis le début de faire valoir l’innocuité et l’efficacité de sa drogue nouvelle pour éviter, autant que possible, de faire la démonstration de la bioéquivalence. Même si elle a rempli les exigences relatives à l’administration de ses comprimés avec un repas à faible teneur lipidique et calorique, de même qu’à jeun, Apotex a attendu 15 ans pour produire son étude menée en 1998 sur l’administration avec un repas à forte teneur lipidique et calorique. Entre-temps, elle avait en vain tenté de convaincre les cours fédérales de son droit acquis d’obtenir un avis de conformité même si elle n’avait pas fourni de preuve du comportement de ses comprimés avec un repas à forte teneur lipidique. La demanderesse a reconnu dans son mémoire des faits et du droit [traduction] « la non-conformité de sa PADN à l’exigence liée à l’administration des comprimés avec un repas » (au paragraphe 56). Pour éviter d’avoir à produire une étude chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique, Apotex a trouvé comme solution de proposer de faire la démonstration de l’innocuité et de l’efficacité de sa drogue nouvelle au banc de révision.

[63] M. Terril, sans préciser sur quoi il fonde cet argument, fait valoir au nom d’Apotex que la ministre a aussi entravé son pouvoir discrétionnaire en proposant une question axée sur la conformité stricte aux critères de bioéquivalence énoncés dans le document d’orientation.

[64] À l’appui de l’argument concernant l’entrave du pouvoir discrétionnaire, la demanderesse ajoute que d’autres produits qui ne respectaient pas strictement les critères de bioéquivalence ont été approuvés dans le passé.

[65] Apotex plaide aussi que ses attentes légitimes ont été frustrées après que la ministre lui a fait miroiter que la procédure suivie prévoyait une collaboration avec le promoteur pour la formulation des questions à soumettre au banc de révision chargé d’examiner les points en litige. La demanderesse semble même suggérer que les points qu’elle a soulevés devaient être soumis au banc de révision (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 90). Telle était son attente.

[66] La ministre réfute l’allégation selon laquelle elle aurait entravé de quelque manière l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Elle affirme qu’elle s’est conformée au Règlement qui s’applique dans les circonstances,

[67] lequel prévoit un mécanisme plus expéditif lorsque le fabricant propose une copie d’une drogue qui a déjà fait l’objet d’un avis de conformité. Dans ce cas, il n’est pas requis de produire un rapport détaillé des épreuves effectuées pour établir l’innocuité de la drogue nouvelle ni de preuve substantielle de son efficacité clinique puisque cette démonstration a déjà été faite pour le produit de référence canadien.

[68] Toutefois, le Règlement impose quelques exigences visant à assurer que la nouvelle drogue et le produit de référence canadien sont comparables. Pour établir la comparabilité et avoir accès au mécanisme rapide, il faut déposer une PADN qui démontre que :

  • la drogue nouvelle est un équivalent pharmaceutique;

  • la drogue nouvelle est bioéquivalente;

  • la voie d’administration est identique;

  • les conditions thérapeutiques figurent parmi celles qui s’appliquent au produit de référence canadien.

Comme le souligne la ministre, le sous-alinéa C.08.002.1(2)c)(i) énonce sans équivoque que la PADN « doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle, notamment […] c) les éléments de preuve, provenant des études comparatives menées dans le cadre de la présentation, établissant que la drogue nouvelle : (i) d’une part, est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien [...] ». La démonstration de l’équivalence pharmaceutique et de la bioéquivalence avec le produit de référence canadien permettent d’extrapoler à la drogue générique les résultats des rapports détaillés sur l’innocuité et les preuves substantielles de l’efficacité clinique qui ont été fournis antérieurement pour le produit de référence canadien.

[69] Même s’il n’a pas à produire de « rapports détaillés » ou de « preuves substantielles » pour obtenir un avis de conformité, le promoteur doit tout de même satisfaire à certaines conditions réglementaires, et notamment donner la preuve de l’équivalence pharmaceutique et de la bioéquivalence de la drogue nouvelle.

[70] La ministre précise que les lignes directrices publiées par Santé Canada (Conduite et analyse des études de biodisponibilité comparatives et Normes en matière d’études de biodisponibilité comparatives : Formes pharmaceutiques de médicaments à effets systémiques, mai 2012) visent avant tout à guider l’industrie. Ces lignes directrices ont été élaborées après consultation de l’industrie et il y est expressément indiqué qu’il s’agit d’un document d’orientation. Une certaine souplesse est tolérée pour ce qui est des approches possibles. En voici un extrait :

Les lignes directrices sont destinées à guider l’industrie et les professionnels de la santé sur la façon de se conformer aux lois et aux règlements en vigueur. Les lignes directrices fournissent également aux membres du personnel des renseignements concernant la façon de mettre en œuvre le mandat et les objectifs de Santé Canada de manière juste, uniforme et efficace.

Les lignes directrices sont des outils administratifs n’ayant pas force de loi, ce qui permet une certaine souplesse d’approche. Les principes et les pratiques énoncés dans le présent document pourraient être remplacés par d’autres approches, à condition que celles-ci s’appuient sur une justification adéquate. Il faut tout d’abord discuter des autres approches avec les représentants du programme concerné pour s’assurer qu’elles respectent les exigences des lois et des règlements applicables.

[71] La ministre a jugé que la PADN en cause n’était pas conforme aux exigences de l’article C.08.002.1 du Règlement parce que les éléments de preuve produits ne suffisent pas pour établir la bioéquivalence de la drogue nouvelle. Outre le fait que la bioéquivalence n’y est pas établie selon les normes, plusieurs failles dans la conception de l’étude [traduction] « faisaient en sorte qu’il n’en ressortait aucune donnée utile quant au rendement de l’enrobage entérosoluble des comprimés Apo-Oméprazole à action retardée chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique » (rapport détaillé de M. Scott Appleton, du Bureau des sciences pharmaceutiques, Direction des produits thérapeutiques, 23 juillet 2014). La lettre de retrait suivant un avis de non-conformité a été envoyée peu après (le 28 juillet 2014). Les données étaient insuffisantes pour remplir l’exigence liée à la démonstration de la bioéquivalence.

[72] M. Appleton a expliqué que, après l’acceptation initiale de la présentation d’Apotex ne comportant pas d’étude de cette nature en 2003, le corpus d’expérience accumulé relativement à des produits semblables a révélé la nécessité d’exiger des études chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique :

[traduction]

Il est apparu nécessaire d’exiger des essais pour éprouver ou perturber des comprimés entérosolubles administrés avec un repas parce que les aliments retardent la vidange du contenu de l’estomac dans l’intestin grêle (vidange gastrique). La vitesse de vidange gastrique peut être prédite par le volume du repas et sa densité en éléments nutritifs. Cette densité est détectée principalement dans l’intestin grêle, dont les récepteurs transmettent l’information (les signaux nerveux et endocriniens) à l’estomac pour retarder la vidange en modifiant les patrons de la motilité gastrique. Dans l’intestin grêle, les lipides sont les plus puissants inhibiteurs de la vidange gastrique.

Par conséquent, l’un des éléments clés d’une étude de bioéquivalence est le choix du repas qui sera donné aux sujets avant l’administration des produits d’épreuve et de référence. Il est évident que le type de repas donné aux sujets d’une étude de bioéquivalence peut influer sur son résultat et sur son utilité :

La prise d’un repas à forte teneur lipidique et calorique fournit un maximum de données probantes sur le comportement de l’enrobage entérosoluble d’un comprimé à action retardée lorsqu’il est exposé à un milieu acide pendant une période prolongée, par exemple dans l’estomac d’une personne à qui le produit est administré après un repas copieux.

Par ailleurs, certaines études indiquent que le taux d’acidité gastrique ne serait pas uniforme après un repas, et que si le comprimé entérosoluble se retrouve dans une partie où ce taux est plus élevé, l’enrobage pourrait être décomposé et le médicament libéré prématurément.

Si le comprimé est administré après un repas à forte teneur lipidique, il pourrait être enrobé de gras ou d’une émulsion grasse risquant de perturber le procédé de libération du médicament.

Un repas à faible teneur lipidique et calorique ne risque pas d’avoir un effet aussi perturbateur qu’un repas à forte teneur lipidique et calorique sur l’enrobage entérosoluble du comprimé.

Quoiqu’il soit considéré comme une condition « extrême » d’administration (l’autre condition « extrême » étant l’administration à jeun), le repas à haute teneur lipidique et calorique standard correspond à ce qu’il serait raisonnable de considérer comme un petit-déjeuner courant (2 œufs frits dans du beurre, 2 tranches de bacon, 2 tranches de pain rôti avec du beurre, 120 grammes de pommes de terre rissolées et 240 millilitres de lait entier).

La conjugaison d’une étude de bioéquivalence chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique (plus de la moitié des calories provenant de lipides, comme dans l’exemple ci-dessus) à l’étude de bioéquivalence exigée chez des sujets à jeun permet de recueillir le maximum de données sur l’effet perturbateur sur l’enrobage entérosoluble. Ces données indiquent de manière fiable si le rendement du produit à enrobage entérosoluble est comparable à celui du produit de référence canadien dans toutes les conditions thérapeutiques (allant de l’administration à jeun à l’administration avec un repas à forte teneur lipidique et calorique).

[73] Qui plus est, la lettre de retrait suivant l’avis de non-conformité du 28 juillet 2014 contient une explication de la conclusion et confirme que tous les inhibiteurs de pompe à protons approuvés ont répondu à l’exigence :

[traduction]

L’étude OMEC03 menée sur des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique (numéro de contrôle 162270) a été produite pour satisfaire au critère de la bioéquivalence chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique. Toutefois, elle a été jugée insatisfaisante parce que l’intervalle de confiance de 90 % par rapport à la moyenne relative de la surface sous la courbe en fonction du temps se situe à l’extérieur de l’amplitude acceptable de 80 à 125 %. Les résultats de l’étude n’étaient pas non plus significatifs en raison de failles dans la conception qui faisaient en sorte qu’il n’en ressortait aucune donnée utile quant au rendement de l’enrobage entérosoluble du comprimé à action retardée chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique.

Une étude menée auprès de sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique, qui produit à tout le moins des données probantes, est nécessaire pour démontrer que le rendement des comprimés Apo-Oméprazole (oméprazole magnésien) à action retardée se compare à celui du produit de référence canadien. Ce type d’étude est requise pour démontrer l’innocuité et l’efficacité du produit d’épreuve dans l’ensemble du spectre des conditions thérapeutiques. Cette exigence a été satisfaite pour tous les inhibiteurs de pompe à protons génériques approuvés au Canada. L’obligation de démontrer la bioéquivalence au produit de référence canadien dans le cadre d’une étude chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique a été établie par des experts de l’industrie et des scientifiques, comme en témoignent les conclusions du comité consultatif d’experts sur la biodisponibilité et la bioéquivalence (maintenant le Comité consultatif scientifique sur la biodisponibilité et la bioéquivalence). Qui plus est, il s’agit d’une pratique reconnue à l’échelle internationale.

[74] En ce qui concerne le processus de révision, la ministre fait valoir que la détermination de la bioéquivalence fait partie des conditions réglementaires. Pour cette raison, ajoute-t-elle, la question qui doit être soumise au banc de révision est celle de savoir si l’étude présentée fournit des données fiables établissant la bioéquivalence, tel qu’il est exigé aux paragraphes C.08.002.1(1) et (2) du Règlement. Dans les questions qu’elle a proposées, la ministre ne cherchait pas à savoir si la demanderesse s’était conformée à la ligne directrice, mais plutôt si elle avait produit des données fiables sur la bioéquivalence avec le produit de référence canadien. En fait, bien que la ministre insiste sur le fait que la décision relative à l’innocuité et à l’efficacité découle de la décision sur la bioéquivalence, Apotex tente de se soustraire à cette exigence. Cette divergence ressort clairement de l’extrait suivant de la dernière tentative de la directrice générale d’expliquer son point de vue :

[traduction]

Du point de vue de Santé Canada, le seul aspect litigieux de la présentation a déjà été exposé dans la lettre de retrait suivant un avis de non-conformité du 28 janvier 2014 et que je réitère dans ma lettre du 27 octobre 2015, savoir l’interprétation des résultats de l’étude OMEC03 et leur intégration à d’autres résultats que vous avez présentés concernant ce produit. Par conséquent, et bien que je sois disposée à faire preuve d’une certaine souplesse quant à la formulation de la question, je dois m’assurer que la présentation abrégée de drogue nouvelle satisfait à l’exigence réglementaire et que la question soumise au banc de révision l’amène à me donner son opinion sur le fait de savoir si l’étude OMEC03 établit la bioéquivalence de votre produit avec le produit de référence canadien.

[...]

Dans le cas de drogues génériques, qui sont examinées au titre d’une présentation abrégée de drogue nouvelle, il est requis d’établir la bioéquivalence avec le produit de référence canadien. La preuve de la bioéquivalence d’une drogue générique établit son innocuité et son efficacité. La démonstration de l’innocuité et de l’efficacité d’une drogue générique n’est pas une preuve de sa bioéquivalence avec le produit de référence canadien. Il est impératif d’établir la bioéquivalence pour que la ministre délivre un avis de conformité par suite du dépôt d’une PADN pour une drogue générique. La ligne directrice de Santé Canada concernant les présentations de drogues génériques a été élaborée en collaboration avec l’industrie afin d’assurer une interprétation uniforme et prévisible du Règlement, et elle s’applique à la présentation en cause.

[...]

Eu égard au raisonnement présenté dans ma lettre du 27 octobre 2015 et dans la présente lettre, je propose de soumettre la question suivante à l’examen d’un banc de révision externe :

[traduction]

Les résultats de l’étude OMEC03, considérés au vu de l’ensemble des données probantes produites dans la présentation abrégée de drogue nouvelle, fournissent-ils une preuve assez fiable des caractéristiques de biodisponibilité des comprimés Apo-Oméprazole à action retardée pour établir leur innocuité et leur efficacité du fait de leur bioéquivalence avec le produit de référence canadien, conformément au paragraphe C.08.002.1(2) du Règlement sur les aliments et drogues? Dans l’affirmative ou la négative, pourquoi?

[75] Apotex a de nouveau rejeté la dernière question proposée.

B. Questions en litige et norme de contrôle

[76] Pour l’essentiel, les parties s’entendent sur les questions à trancher :

1) La ministre propose la question suivante concernant l’allégation d’entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : la ministre a-t-elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en insistant pour que la question soumise au banc de révision porte sur la bioéquivalence? Apotex allègue qu’il y a eu entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire parce que les critères liés à la bioéquivalence ont été traités comme étant impératifs.

2) La ministre soutient que la question liée aux attentes légitimes doit être la suivante : Apotex pouvait-elle légitimement s’attendre à avoir droit à une révision? Dans une question un peu plus précise, Apotex associe son attente légitime au fait qu’elle n’a pas pu soumettre ses propres questions au processus de révision.

[77] Les parties n’ont pas eu de discussion de fond concernant la norme de contrôle applicable aux questions à trancher. La ministre estime que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte, une proposition qui n’est pas nouvelle (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au paragraphe 79). Elle soutient par ailleurs que la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions liées aux faits, à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et aux politiques. En fait, cette présomption déborde ces questions, comme la Cour suprême du Canada l’a statué à plusieurs reprises depuis l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 : « [...] il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de “sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie” est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire » (au paragraphe 34).

[78] Si la norme applicable est celle de la décision raisonnable, la cour de révision devra faire preuve de retenue et intervenir seulement si l’issue ne fait pas partie des issues possibles acceptables, en sachant que ce type de questions ne se prêtent pas forcément à un résultat précis ou particulier. Même si la cour ne souscrit pas à la décision, elle n’en est pas pour autant déraisonnable. La cour de révision examinera la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel quand elle cherche à déterminer si une décision était raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RSC 190, au paragraphe 47).

[79] Cela dit, la question de la norme applicable en l’espèce n’est pas réglée pour autant. En ce qui concerne la doctrine de l’attente légitime, elle semble découler de la notion même d’équité procédurale (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]). Il s’agit de l’un des droits de participation qui mérite d’être protégé au nom de l’équité. Si une certaine attente est légitime, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[80] Dans le cas où un tribunal ou un ministre limite l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi, la Cour est liée par la jurisprudence : au paragraphe 24 de l’arrêt Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, la Cour d’appel fédérale observe qu’« [u]ne décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est être [sic] en soi déraisonnable ». Il en est ainsi parce que le pouvoir discrétionnaire accordé a une certaine étendue qui ne peut être restreinte; autrement, il faudrait réécrire la loi.

[81] Malheureusement, Apotex n’a pas réussi à me convaincre que la ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou qu’elle pouvait avoir une attente légitime qui a été frustrée. Je commence par la dernière allégation.

1) Attente légitime

[82] La doctrine de l’attente légitime est de nature procédurale. L’extrait suivant de l’ouvrage Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles, Thomson Reuters Canada, mise à jour en août 2012) a été cité et approuvé par la Cour suprême dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559 [Agraira], au paragraphe 95 :

[traduction]

La caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle‑ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent. Une attente légitime peut donc découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel, ou qu’il soit possible de prévoir une décision favorable. De même, l’existence des règles de procédure de nature administrative ou d’une procédure que l’organisme a adoptée de son plein gré dans un cas particulier, peut donner ouverture à une attente légitime que cette procédure sera suivie. Certes, la pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites.

[83] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504, la Cour suprême définit la doctrine comme suit :

[68] Lorsque dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif, l’État peut être lié par ces affirmations si elles sont de nature procédurale et ne vont pas à l’encontre de l’obligation légale du décideur. La preuve que l’intéressé s’est fié aux affirmations n’est pas nécessaire. Voir les arrêts Centre hospitalier Mont-Sinaï, par. 29-30; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 RCS 249, par. 78; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, par. 131. Constitue un manquement à son obligation d’équité l’omission substantielle du décideur de respecter sa parole : Brown et Evans, p. 7-25 et 7-26.

[84] La doctrine de l’attente légitime ne crée cependant pas de droits substantiels, de sorte que la demanderesse ne peut obtenir gain de cause sur le fond, sauf peut-être si la conduite des fonctionnaires donne naissance à une attente légitime que le pouvoir discrétionnaire sera exercé en sa faveur. Voici les propos de la Cour à ce sujet au paragraphe 97 de l’arrêt Agraira :

[97] L’impossibilité que la théorie de l’attente légitime constitue la source de droits matériels lui apporte une restriction importante (Baker, par. 26; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557). En d’autres mots, « [l]orsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la Cour peut [seulement] accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative “légitime” » (S.C.F.P. C. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, par. 131 (je souligne)).

[85] J’ai longuement cherché la preuve qu’une attente légitime a été frustrée en l’espèce. Apotex estime qu’elle pouvait légitimement s’attendre à soumettre au processus de révision des questions qu’elle aurait formulées à sa guise, comme elle l’aurait fait dans le cadre d’un mécanisme d’appel. En somme, elle ne revendique pas tant le droit de se prévaloir de ce processus que celui de poser ses propres questions. Voici un passage du paragraphe 90 de son mémoire des faits et du droit : [traduction] « La politique sur la révision prévoit un processus selon lequel un banc de révision externe donne son opinion sur les questions que soulève le fabricant dans sa demande de révision » [non souligné dans l’original]. Ce n’est pas ce que prévoit la politique de révision.

[86] En l’espèce, il est clair que la divergence fondamentale entre les parties tient à ce qu’Apotex voulait à tout prix éviter d’être confrontée à une question axée sur la bioéquivalence de son produit avec le produit de référence canadien. Il convient de souligner que la seule étude menée chez des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique a été produite en 2013, alors qu’elle remontait à 1998. La demanderesse n’avait pas joint cette étude à la PADN à l’égard de laquelle une décision a été rendue en mars 2003. Au lieu de la produire après qu’on lui eut fait savoir en décembre 2008 que sa présentation ne pouvait être approuvée en l’absence d’une étude chez des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique, Apotex a attaqué la décision en faisant valoir un droit acquis découlant de la décision rendue en 2003 sans qu’elle ait présenté une telle étude. Apotex n’a convaincu ni notre Cour ni la Cour d’appel fédérale, laquelle a observé qu’« on arriverait à un résultat absurde [...] si on interprétait le Règlement d’une manière obligeant la ministre à délivrer un avis de conformité même sans qu’elle ne soit convaincue de l’innocuité et de l’efficacité d’une drogue » (Apotex, au paragraphe 30). Il convient de souligner que des raisons très convaincantes ont été données concernant l’étude chez des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique.

[87] Malgré ses revers devant les cours fédérales, Apotex n’a pas produit l’étude de 1998, mais une étude comparative de la biodisponibilité d’un autre produit d’épreuve (comprimés Apo-Oméprazole à base d’oméprazole). Dans son affidavit, M. Appleton affirme que cette étude ne fournit aucune donnée utile concernant la nouvelle drogue (Apo-Oméprazole à base d’oméprazole magnésien). Apotex a attendu jusqu’en 2013, quand elle a déposé une nouvelle PADN, pour produire son étude de 1998 en vue de démontrer la bioéquivalence de sa drogue nouvelle lorsqu’elle est administrée avec un repas à haute teneur lipidique. Comme il a déjà été mentionné, l’étude n’a pas été retenue, en raison notamment de failles dans sa conception.

[88] Apotex fait valoir que même si elle n’a pas établi la bioéquivalence de sa nouvelle drogue, elle peut soumettre une question visant à obtenir l’opinion d’un banc de révision sur son innocuité et son efficacité. Elle éviterait ainsi d’être confrontée à une question sur la bioéquivalence. Selon ce que j’ai constaté, la ligne directrice sur la révision des décisions sur les présentations de drogues pour usage humain ne confère à Apotex aucune attente légitime que le processus de révision opère tel un mécanisme d’appel et qu’elle peut donc soumettre les questions de son choix, y compris des questions liées à l’innocuité et à l’efficacité d’une drogue nouvelle à l’égard de laquelle elle a soumis une présentation abrégée. Il n’est mentionné nulle part dans ce document d’orientation que l’exigence de bioéquivalence du Règlement peut être contournée. Par contre, le document précise que les questions qui peuvent être renvoyées à un banc de révision doivent porter sur l’interprétation des données accessibles, la méthode appliquée et le poids accordé aux données. On peut penser que cette liste n’est pas exhaustive, mais elle nous éclaire quant au type de questions qui peuvent être soumises au banc de révision. Je constate que les questions proposées par la défenderesse cadrent parfaitement avec l’exigence liée à la bioéquivalence. Pourtant, Apotex les a rejetées sans ambages parce qu’elle avait décidé d’entrée de jeu qu’elle aurait plus de chance en faisant valoir devant un banc de révision, qu’elle assimile à une instance d’appel, que sa drogue nouvelle satisfait au critère ultime de l’innocuité et de l’efficacité de sa drogue. En l’occurrence, aucune procédure ou pratique ne suscite d’attente légitime claire, nette et explicite.

[89] Une lecture objective de la ligne directrice mène à la conclusion qu’elle s’applique aux différends découlant d’une lettre de retrait suivant un avis de non-conformité. Le seul point soulevé dans la lettre du 28 juillet 2014 a trait au fait que l’étude produite (OMEC03) ne suffit pas pour établir la bioéquivalence du produit d’Apotex. Apotex reconnaît au paragraphe 26 de son mémoire des faits et du droit que le processus de révision est axé sur les désaccords scientifiques à l’égard d’une présentation rejetée. Les différends sur des questions scientifiques peuvent être examinés par un banc d’experts ayant les connaissances et la compétence voulues pour formuler des opinions visant à éclairer le processus décisionnel du directeur général.

[90] Apotex pouvait avoir l’attente légitime d’avoir la possibilité équitable de formuler une question sur un aspect qui était du ressort du banc de révision. Le processus établi consiste à définir les points précis à régler afin que les membres du banc de révision puissent être choisis en fonction de leur expertise. Le banc de révision n’est pas l’organisme de réglementation. La Cour est d’avis qu’Apotex a eu amplement la possibilité de formuler, en collaboration avec le Bureau de la science, une question qui aurait pu être soumise à un banc de révision.

[91] La divergence de vues entre les parties s’est cristallisée quand il est devenu évident qu’elles ne s’entendaient pas sur les éléments à inclure dans leurs projets de questions. Des possibilités ont été offertes à Apotex, mais les parties n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Au bout du compte, la directrice générale a refusé d’accorder une révision à Apotex, comme l’y habilitait la ligne directrice (article 4). Une possibilité équitable a été offerte à Apotex. Comme je tenterai de le montrer ci-après, le seul pouvoir discrétionnaire en cause ici, si tant est qu’il y en eût un, portait sur la méthode de détermination de la bioéquivalence, et non sur l’innocuité et l’efficacité du nouveau produit. Apotex ne peut pas invoquer son attente légitime de pouvoir poser des questions axées sur l’innocuité et l’efficacité, ou de soumettre les questions de son choix au banc de révision. Non seulement la pratique censée susciter une attente légitime n’est pas claire, nette et explicite, mais elle commande un résultat particulier sur le fond.

2) Entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire

[92] Il y a entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire lorsque le décideur refuse de prendre en compte des facteurs qui sont juridiquement pertinents. La ligne directrice donne des orientations utiles. Comme la notion de « bioéquivalence » n’est pas définie dans le Règlement, je soupçonne les fabricants d’avoir demandé des explications à l’administration. Voici ce qu’observe la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909, rendu dans la foulée des jurisprudences Baker et Agraira :

[32] Notre Cour a indéniablement reconnu que les Lignes directrices peuvent servir à déterminer ce qui constitue une interprétation raisonnable d’une disposition donnée de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Agraira, par. 85). Or, selon leur libellé même, les Lignes directrices « ne lient pas légalement le ministre » et elles « ne sont pas exhaustives ni restrictives » (Traitement des demandes au Canada, section 5). En d’autres termes, l’agent peut les considérer lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 25(1), mais il doit [traduction] « s’attacher aux circonstances particulières du dossier » (Donald J. M. Brown et l’honorable John M. Evans [...], Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 12‑45). Il ne doit pas voir dans ces directives informelles des exigences absolues qui limitent le pouvoir discrétionnaire à vocation équitable que le par. 25(1) lui permet d’exercer lorsque des considérations d’ordre humanitaire le justifient (voir Maple Lodge Farms Ltd. C. Canada, 1982 CanLII 24 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 2, p. 5; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49 (CanLII), [2004] 3 R.CF 195 (CA), par. 71).

[93] Dans le contexte de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27), qui autorise le ministre responsable à lever tout ou partie des critères et obligations applicables s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient, la Cour a tranché dans l’arrêt Baker que « [l]es directives révèlent ce que le ministre considère comme une décision d’ordre humanitaire, et elles sont très utiles à notre Cour pour décider si les motifs de l’agent Lorenz sont valables » (au paragraphe 72). Il va de soi qu’il ne faut pas faire abstraction des orientations données dans la ligne directrice. Voici un passage de Brown et Evans dans Judicial Review of Administrative Action in Canada :

[traduction]

12:4421 En conséquence, un décideur doit être disposé à entendre et à prendre en compte toute observation visant à démontrer non seulement que, si elle est bien interprétée, une règle ou une politique ne s’applique pas aux faits d’un litige en particulier, mais également que même si elle s’y applique, une exception pourrait être faite au vu des faits en cause. Il pourrait donc être prématuré de considérer qu’une politique est contraignante avant même d’avoir été appliquée.

[…]

En outre, une politique qui est libellée de manière tellement détaillée et définitive qu’elle regorge d’exceptions est susceptible d’être considérée comme relevant d’un pouvoir législatif que l’organisme ne possède pas.

Néanmoins, le décideur peut s’appuyer sur des lignes directrices et des politiques valables aux fins de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire s’il ne perd pas de vue les circonstances particulières d’une affaire. En fait, dans le cadre d’un contrôle d’une décision discrétionnaire selon la norme de la raisonnabilité, un tribunal peut recourir aux lignes directrices destinées au décideur à qui un pouvoir discrétionnaire a été dévolu pour savoir quels facteurs il devait prendre en compte et, le cas échéant, quel poids il devait leur accorder.

[94] En l’espèce, il est difficile de savoir à quel pouvoir discrétionnaire font référence les allégations d’entrave dans les questions proposées par la défenderesse. Dans son mémoire, Apotex reproche à la ministre d’avoir entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en tenant pour acquis que les critères liés à la bioéquivalence étaient impératifs. J’ai eu beau chercher, je n’ai rien décelé de la sorte dans les questions proposées par la ministre. Il est faux d’affirmer que ces questions invitaient le banc de révision à traiter les critères de bioéquivalence comme des exigences absolues. Il n’existe aucune preuve qui donnerait un soupçon de véracité à l’allégation comme quoi la ministre souhaitait contraindre le banc de révision à adhérer strictement à la ligne directrice. En toute déférence, je n’ai rien relevé qui pourrait me convaincre de l’existence d’un tel dessein. Bien au contraire. En l’espèce, il est seulement demandé à notre Cour d’examiner la décision que la directrice générale a prise le 16 novembre 2015 de mettre fin à la révision sollicitée par Apotex. La décision de mettre fin au processus de révision a été prise parce qu’Apotex a rejeté toutes les questions proposées par la défenderesse, y compris celle qui a été présentée le 6 novembre et que je reproduis à nouveau par souci de commodité :

[traduction]

Les résultats de l’étude OMEC03, considérés à la lumière de l’ensemble des données probantes produites dans la présentation abrégée de drogue nouvelle, fournissent-ils une preuve assez fiable des caractéristiques de biodisponibilité des comprimés Apo-Oméprazole à action retardée pour établir leur innocuité et leur efficacité du fait de leur bioéquivalence avec le produit de référence canadien, conformément au paragraphe C.08.002.1(2) du Règlement sur les aliments et drogues? Dans l’affirmative ou la négative, pourquoi?

[95] Il est également expliqué dans la lettre pourquoi la PADN doit traiter de la question de la bioéquivalence : [traduction] « Je dois m’assurer que la présentation abrégée de drogue nouvelle satisfait à l’exigence réglementaire et que la question soumise au banc de révision l’amène à me donner son opinion sur le fait de savoir si l’étude OMEC03 établit la bioéquivalence de votre produit avec le produit de référence canadien. » De toute évidence, la directrice générale renvoie à l’article C.08.002.1, qui exige notamment des renseignements et du matériel suffisants issus d’études comparatives sur la bioéquivalence. Autrement dit, il est impossible de contourner le Règlement. Lorsque le mécanisme choisi est celui d’une PADN, il faut établir la bioéquivalence entre la drogue générique et le produit de référence canadien. La directrice générale ajoute que le régime réglementaire est tel [traduction] « que c’est par la démonstration de la bioéquivalence que l’innocuité et l’efficacité d’une drogue générique sont établies ». À mon avis, elle a raison. Le paragraphe C.08.004(1) est sans équivoque : « [… ] après avoir terminé l’examen […] d’une présentation abrégée de drogue nouvelle […] a) si la présentation […] est conforme aux articles […] C.08.002.1 […] délivre un avis de conformité ». La condition pour obtenir un avis de conformité est de se conformer à l’article C.08.002.1, qui exige une preuve de bioéquivalence. Ni cette question ni les questions précédentes ne renvoient, directement ou indirectement, à la ligne directrice et encore moins aux critères qui y sont énoncés. Leur seul objet est de centrer la question à présenter au banc de révision sur la bioéquivalence, et non sur l’innocuité et l’efficacité de la drogue.

[96] La Cour d’appel fédérale est aussi de cet avis. Voici la conclusion qu’elle formule à cet égard dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada (Santé), 2011 CAF 86, 419 NR 300 :

[7] Nous convenons avec le ministre que l’argumentation d’Apotex repose entièrement sur la prémisse erronée voulant que le ministre avait la latitude d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de l’Apo-AAS sans exiger la preuve de la bioéquivalence de ce médicament par rapport au Bayer-AAS.

[8] Aux termes du sous-alinéa C.08.002.1(2)c)(ii) du Règlement sur les aliments et drogues, toutefois, le ministre ne peut délivrer d’avis de conformité à l’égard de l’Apo-AAS sur le fondement d’une présentation abrégée de drogue nouvelle indiquant le Bayer-AAS comme produit de référence que s’il est établi que les deux produits sont bioéquivalents. Il en va ainsi parce que la finalité de l’avis de conformité reposant sur une présentation abrégée de drogue nouvelle est de reconnaître l’identité du nouveau produit et du produit de référence à l’égard d’aspects importants, notamment la bioéquivalence. Autrement dit, même si un nouveau produit est sans danger et efficace, il ne peut être approuvé au moyen d’une présentation de drogue nouvelle s’il n’est pas bioéquivalent au produit de référence.

[Non souligné dans l’original.]

À la lumière d’une jurisprudence si impérative, comment peut-on valablement faire valoir que la ministre entrave l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant le Règlement à la lettre et en proposant une question centrée sur la bioéquivalence plutôt que sur l’innocuité et l’efficacité?

[97] En l’espèce, l’objectif de la révision était de demander à un banc d’experts si l’unique étude produite par la demanderesse concernant des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique ainsi que l’ensemble des éléments de preuve figurant dans la PADN établissent la biodisponibilité de son produit conformément aux exigences législatives. Aucun élément de preuve n’indique une volonté de contraindre le banc de révision à se limiter à la ligne directrice. Il n’est écrit nulle part dans ce document d’orientation qu’il a force de loi, et la défenderesse a abondé dans ce sens.

[98] La demanderesse se borne à répéter qu’un accent indu a été placé sur l’adhésion stricte aux critères de bioéquivalence. Aucun élément de preuve n’a été présenté à cet égard. Même une communication interne citée par la demanderesse ne permet pas de corroborer cette allégation. Elle est en fait inoffensive. Même si elle s’avérait exacte, elle ne permettrait pas de conclure que les questions proposées à l’examen d’un banc d’experts scientifiques indépendants visaient à leur intimer d’adhérer strictement à la ligne directrice, qui du reste stipule expressément que d’autres approches sont acceptables, qu’elle est de nature administrative et qu’elle n’a pas force de loi. Cet argument est pour le moins faible.

[99] S’il est reproché à la ministre d’avoir entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en rejetant une question axée sur la preuve de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue, encore faut-il prouver qu’elle avait ce pouvoir. Elle ne l’avait pas. Tout simplement, elle ne pouvait pas accepter une question visant à obtenir une opinion du banc de révision sur l’innocuité et l’efficacité. Une telle opinion n’aurait été d’aucune utilité.

[100] Il est mentionné expressément dans la ligne directrice qu’elle n’a pas force de loi. Par ailleurs, il est clair d’après les questions proposées à tour de rôle par les parties que même s’il y avait nécessité absolue de démontrer la bioéquivalence en vertu du Règlement, la méthode pour le faire n’était pas immuable. La dernière question proposée (celle du 6 novembre 2015) est on ne peut plus claire : elle demandait au banc de révision si la seule étude offerte par Apotex et l’ensemble des éléments de preuve établissent la bioéquivalence de manière fiable. Apotex a répété à maintes reprises qu’elle avait [traduction] « l’impression » que la ligne directrice était traitée comme si elle avait force de loi. Il faut plus qu’une « impression » pour alléguer qu’il y a eu entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, malgré le libellé clair et net des questions. En vérité, il découle des projets de questions successifs qu’Apotex voulait se soustraire à l’obligation d’établir la bioéquivalence et que la ministre s’estimait contrainte par le Règlement.

[101] La défenderesse cite à raison quelques passages de la ligne directrice sur les études de biodisponibilité comparatives pour illustrer qu’une certaine latitude était possible :

1.2 Les recommandations formulées dans le présent document concernant le plan d’étude, la conduite de l’étude, la validation des méthodes bioanalytiques et l’analyse statistique des données devraient être suivies afin de s’assurer de la conformité au Règlement.

1.4 S’il est impossible d’effectuer une étude de biodisponibilité à l’aide d’une méthode adéquate, on peut recourir à une autre approche, notamment une étude de pharmacodynamie. Dans certains cas, il pourrait être nécessaire d’établir l’équivalence au moyen d’essais cliniques comportant des critères de jugement thérapeutiques.

2.1 Il faudrait indiquer quelles normes en matière de bioéquivalence seront appliquées et en donner les raisons. Il faudrait aussi fournir une justification scientifique de tout écart par rapport aux indications du présent document [...]. Les promoteurs sont invités à consulter un représentant de Santé Canada avant l’étude si les écarts sont majeurs.

2.4.3.2 Le repas utilisé au cours d’une étude de biodisponibilité comparative chez des sujets non à jeun devrait perturber le plus possible la biodisponibilité générale du médicament. Il s’agit en général d’un repas à forte teneur lipidique et calorique, et on devrait employer de façon implicite ce type de repas dans les études de biodisponibilité comparatives chez des sujets non à jeun. Le recours à un repas qui n’est pas hyperlipidique et hypercalorique ne devrait se faire que dans des circonstances exceptionnelles et devrait être justifié scientifiquement et a priori par le promoteur.

Il est expressément indiqué que d’autres approches justifiées sur le plan scientifique ainsi que des écarts sont autorisés. Rien de tel n’a été proposé en l’espèce, considérant notamment les justifications données pour exiger des études menées chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique pour ce type de produit. Tel que l’a expliqué M. Appleton dans son témoignage par affidavit, un repas à faible teneur lipidique et calorique ne perturbe pas autant l’enrobage entérosoluble du comprimé qu’un repas à forte teneur lipidique et calorique. D’autre part, le repas à forte teneur lipidique et calorique procure la meilleure preuve du comportement d’un enrobage entérosoluble. Par exemple, ce type de repas peut enrober le comprimé dans une émulsion grasse susceptible de perturber le mécanisme de libération du médicament. Par conséquent, la combinaison d’une étude sur des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et calorique (l’une des conditions extrêmes) et d’une autre chez des sujets à jeun permet d’observer les conditions de perturbation maximale de l’enrobage entérosoluble.

[102] La ministre n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en voulant centrer la question à soumettre au banc de révision sur la bioéquivalence entre la drogue nouvelle et le produit de référence canadien. La démonstration de la bioéquivalence est obligatoire, mais le libellé des questions proposées, surtout la dernière, reflète la latitude qui est donnée aux promoteurs dans la ligne directrice.

[103] Tel que je l’ai mentionné précédemment, le mécanisme de la PADN garantit la conformité aux exigences sans toutefois nécessiter de rapports détaillés sur les épreuves effectuées pour établir l’innocuité ni de preuves substantielles de l’efficacité clinique de la drogue nouvelle (paragraphe C.08.002.1(2), sous-alinéa a)(i) et alinéas C.08.002 (2)a) and h)). La PADN permet de démontrer l’innocuité et de l’efficacité d’une drogue nouvelle en « tirant profit » du processus rigoureux de production de « rapports détaillés des épreuves » et de « preuves substantielles » pour le produit de référence canadien. Le Règlement exige néanmoins que la PADN fasse la démonstration de la bioéquivalence.

[104] La ministre ne peut donc pas entraver l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qu’elle n’a pas. Elle ne peut pas renoncer à la preuve de bioéquivalence. Un exercice de révision qui, tel que le demande Apotex, accorderait la préséance à l’innocuité et à l’efficacité au détriment de la bioéquivalence irait à l’encontre du cadre réglementaire.

[105] À l’audience, Apotex a semblé vouloir revenir sur sa position en expliquant qu’elle savait qu’elle devait démontrer la bioéquivalence, mais qu’elle avait hésité à utiliser ce terme dans les questions proposées parce qu’elle craignait que Santé Canada assimile la « bioéquivalence » aux critères établis dans les lignes directrices sur la bioéquivalence et que le résultat soit par conséquent prédéterminé. Il est difficile de trouver quelque fondement à ce nouvel argument, et Apotex n’a jamais tenté de le clarifier. Au contraire, dans toutes les versions successives de la question proposée, Apotex s’est entêtée à vouloir prouver l’innocuité et l’efficacité de sa drogue parce que, selon M. Terrill, [traduction] « [l]a question qui se pose est celle de savoir si, même en l’absence d’une telle étude, les renseignements accessibles établissent de manière satisfaisante l’innocuité et l’efficacité de notre produit dans une mesure au moins égale aux autres produits approuvés ». Si la bioéquivalence faisait partie de ses préoccupations, Apotex l’a très bien caché.

[106] J’ai été tenté de considérer cette explication comme une preuve inadmissible étant donné que la directrice générale ne l’avait pas à sa disposition lorsqu’elle a pris sa décision le 16 novembre 2015. J’ai néanmoins pris connaissance de l’« explication » fournie par Apotex avant de la rejeter.

[107] Je ne puis retenir l’argument comme quoi Apotex a utilisé les mots innocuité et efficacité alors qu’elle voulait en fait parler de bioéquivalence. Dans son mémoire, chacune des questions proposées est une variante de la question suivante : [traduction] « Les renseignements accessibles, y compris les études sur la bioéquivalence qui ont été produites, sont-ils raisonnablement suffisants pour conclure à l’innocuité et à l’efficacité des comprimés Apo-Oméprazole? » Elle connaît la différence entre les deux notions. D’après la preuve, les notions « d’innocuité et d’efficacité » ont plutôt été utilisées par opposition à la notion de « bioéquivalence ». Essentiellement, le débat a porté sur « l’innocuité et l’efficacité » par opposition à « la bioéquivalence ». C’était le cas pour le débat autour du choix d’une question appropriée, mais également pour tous les documents officiels, y compris l’avis de demande déposé à notre Cour, la demande de révision elle-même et le mémoire des faits et du droit.

[108] Puisque la dernière question proposée par la ministre met l’accent sur la bioéquivalence, comme il se devait et contrairement à l’allégation d’Apotex, l’argument du caractère raisonnable n’est aucunement fondé. Il était tout à fait loisible à la ministre d’exiger des études menées sur des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique pour établir la bioéquivalence, exigence à laquelle Apotex a répondu avec une étude vieille de 15 ans. Seule l’étude OMEC03 répondait à cette exigence, mais Apotex n’a pas voulu qu’elle soit évoquée dans les questions proposées. La question du 6 novembre 2015 est parfaitement raisonnable. Ses composantes essentielles sont la bioéquivalence et l’examen conjoint de la seule étude menée sur des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique et de l’ensemble des éléments de preuve figurant dans la PADN pour établir la bioéquivalence non pas en fonction de la ligne directrice, mais en fonction du Règlement. Les critères de la raisonnabilité sont remplis, de toute évidence. Ce n’est certes pas la question à laquelle la demanderesse souhaite obtenir une réponse, pour des raisons qui lui appartiennent. Toutefois, la question qu’elle propose ne peut être soumise parce qu’elle outrepasse la portée du Règlement. Il serait absurde d’autoriser une demanderesse à solliciter l’examen d’éléments qui ne sont pas visés par un processus de révision, savoir l’innocuité et l’efficacité d’une drogue en l’espèce. Seul l’aspect de la bioéquivalence est pertinent. En termes clairs, aucune attente légitime de la demanderesse n’a été frustrée, la ministre n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en voulant mettre l’accent sur la bioéquivalence, et la question proposée sur la bioéquivalence et sa démonstration par une étude chez des sujets ayant pris un repas à forte teneur lipidique est raisonnable. Cela dit, le caractère raisonnable de la question n’est pas vraiment en jeu ici puisque l’avis de demande de la demanderesse est centré sur son attente légitime et l’entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

[109] Apotex a mentionné d’autres produits approuvés qui, selon elle, ne remplissaient pas strictement les critères de bioéquivalence énoncés dans la ligne directrice. La ministre affirme au contraire qu’ils remplissaient ces exigences. Même si ce n’était pas le cas, il m’apparaît que ces exemples tendraient à démontrer que la défenderesse n’applique pas la ligne directrice de manière rigide et qu’elle entrave ainsi son pouvoir discrétionnaire. Ils témoignent évidemment de certains écarts.

[110] Par ailleurs, tant dans son rapport du 23 juillet 2014 que dans l’affidavit produit en preuve en l’espèce, M. Appleton a rectifié les faits. Il n’existe aucune comparaison possible avec les comprimés Apo-Oméprazole.

[111] En ce qui concerne l’Apo-Pantrozole, il fallait démontrer la bioéquivalence chez les sujets à jeun et les sujets ayant pris un repas. Les quatre études sur la biodisponibilité portaient sur des sujets à jeun et des sujets ayant pris un repas à faible teneur lipidique. Toutefois, M. Appleton ajoute qu’une étude pharmacodynamique menée chez des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique comparait la drogue nouvelle à un produit de référence canadien, et qu’il en ressortait des données concernant l’administration de la drogue après un repas à haute teneur lipidique. La drogue a été approuvée.

[112] Dans le cas de l’Apo-Lanzoprazole, les données se limitaient à l’administration avant un repas chez des sujets à jeun. Toutefois, une étude chez des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique a été demandée, mais celle qui a été ne remplissait pas les critères de bioéquivalence. L’étude menée sur des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique a toutefois confirmé que le rendement de la nouvelle drogue était au moins équivalent à celui du produit de référence canadien. Le banc de révision a examiné l’ensemble des données et a estimé qu’elles suffisaient pour considérer la drogue nouvelle comme étant bioéquivalente au produit de référence canadien, et il a fait une recommandation en ce sens. Il faut souligner que cela tend à montrer que les bancs de révision peuvent notamment déterminer si une preuve scientifique est suffisante pour établir la bioéquivalence.

[113] En ce qui concerne les comprimés Apo-Oméprazole (à base d’oméprazole), des études sur la biodisponibilité chez des sujets à jeun et ayant pris un repas à haute teneur lipidique ont été produites, mais cette dernière ne satisfaisait pas aux critères. Apotex a soumis deux autres études de biodisponibilité chez des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique dans lesquelles les produits de référence n’étaient pas canadiens. Toutefois, le produit de référence canadien, qui n’était plus commercialisé, avait satisfait aux normes applicables de bioéquivalence avec le produit de référence non canadien. La drogue nouvelle a été approuvée. Dans son rapport du 23 juillet 2014, M. Appleton observe que [traduction] « [l]e pic de concentration de 127 % observé durant l’étude chez des sujets ayant pris un repas par rapport au produit de référence canadien se situait tout juste à l’extérieur de la limite acceptable (de 80 à 125 %). Pris ensemble, ce constat et le fait que l’étude sur le Prilosec américain avait satisfait aux critères d’approbation ont justifié l’octroi d’une déclaration de bioéquivalence avec le produit de référence canadien. »

[114] Par souci d’exhaustivité, je reproduis le témoignage de M. Appleton concernant un quatrième produit, soit les comprimés d’oméprazole magnésien entérosolubles d’AstraZeneca. Je précise toutefois que ce produit n’a pas fait l’objet d’une PADN, mais plutôt d’une présentation supplémentaire de drogue nouvelle (PSDN) :

[traduction]

41. Avant l’approbation de ses comprimés d’oméprazole magnésien entérosolubles Losec, AstraZeneca Canada Inc. a mis en marché une gélule d’oméprazole. AstraZeneca avait joint une étude sur des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique à sa présentation aux fins d’approbation des comprimés d’oméprazole magnésien entérosolubles Losec. D’autres études ont été fournies à l’appui des comprimés Losec. Ils ont été approuvés en 1995 à la lumière de l’ensemble des données figurant dans la PSDN. Depuis leur approbation, le corpus d’expérience s’est enrichi.

42. Ainsi qu’il a été expliqué lors d’une réunion entre les fonctionnaires de Santé Canada et les représentants d’Apotex le 14 avril 2015, la ministre doit être convaincue de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue pour approuver une PSDN. Le Règlement sur les aliments et drogues n’exigeait pas d’étude de bioéquivalence entre les comprimés d’oméprazole Losec et les comprimés d’oméprazole magnésien entérosolubles. Une copie du rapport de la décision rendue à l’issue de la réunion du 14 avril 2015 sur l’Apo-Oméprazole est jointe aux présentes (pièce D). Il est énoncé expressément dans la monographie du produit que les capsules Losec ne sont pas bioéquivalentes aux comprimés. L’approbation des comprimés était fondée sur diverses études, pas uniquement sur l’étude de bioéquivalence.

[115] Cet élément de preuve n’est d’aucun secours pour Apotex pour ce qui est de son allégation d’entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Au contraire, il reflète la volonté de la ministre de faire preuve de souplesse pour ce qui est de l’exigence en matière de bioéquivalence appliquée aux présentations abrégées de drogue nouvelle. De plus, il établit que la preuve de la bioéquivalence est essentielle dans le cas d’une PADN. Il en découle même que la demanderesse avait étoffé des études déficientes à cet égard afin d’obtenir une approbation. Rien de tel n’a été fait ici. Il semblerait même que la demanderesse n’avait guère confiance dans la seule étude produite plus de 15 ans après sa réalisation. Apotex a choisi la voie judiciaire pour contester l’exigence qui lui était faite de fournir des données sur des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique en faisant valoir un droit acquis par suite d’une décision rendue en l’absence d’une telle preuve. Elle a par après produit une étude non admissible, puis l’étude OMEC03. Après avoir déposé cette preuve, elle a tenté de contourner l’exigence liée à la bioéquivalence en cherchant à se pourvoir en « appel » devant le banc de révision pour qu’il confirme l’innocuité et l’efficacité de son produit.

[116] Je conclurais par conséquent qu’il n’existe aucune preuve que l’application de l’exigence de bioéquivalence constitue une entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Le témoignage de M. Appleton concernant les autres produits tend plutôt à démontrer le contraire. Le Règlement sur les aliments et drogues oblige la ministre à prendre en considération la bioéquivalence, et elle agirait au mépris de celui-ci si elle acceptait de faire abstraction de cette exigence lors de la révision d’un dossier. Pour ce qui concerne l’application de l’exigence de bioéquivalence, rien dans la preuve n’indique qu’elle a donné force de loi à la ligne directrice ou qu’elle a agi sans la souplesse requise. Je n’ai rien relevé dans la preuve qui indique que d’autres approches scientifiques rigoureuses ou des écarts n’ont pas été autorisés, ou qu’Apotex a proposé une autre approche scientifique rigoureuse pour établir la bioéquivalence. C’est peut-être révélateur du fait que l’objectif poursuivi n’a jamais été d’obtenir une opinion sur la bioéquivalence de sa drogue, mais plutôt d’établir son innocuité et son efficacité devant le banc de révision. Cette démarche était pourtant vouée à l’échec puisque, comme la Cour d’appel fédérale l’a observé dans l’arrêt Apotex (2011 CAF 86), « même si un nouveau produit est sans danger et efficace, il ne peut être approuvé au moyen d’une présentation de drogue nouvelle s’il n’est pas bioéquivalent au produit de référence » (au paragraphe 8).

[117] Je vais clore par quelques remarques concernant le renvoi de la demanderesse à la décision Apotex Inc. c Canada (Santé), 2013 CF 1217, rendue par ma collègue la juge Catherine Kane à l’égard d’une autre drogue nouvelle, Apo-Telmisartan.

[118] Je ne vois pas en quoi cette décision peut servir la cause de la demanderesse. Le point sur lequel elle a obtenu gain de cause a trait à l’interprétation que le ministre a donnée, à l’étape de l’examen préliminaire, à l’expression « ingrédient médicinal identique » utilisée dans la définition d’« équivalent pharmaceutique » à l’article C.08.001.1 du Règlement. La Cour a conclu, à l’instar de la demanderesse, que la position du ministre était incohérente. Or, ce succès ne lui est d’aucune aide, car l’espèce ne porte pas sur l’interprétation d’une loi et la ministre n’a pas fait preuve d’incohérence. Ici, le Règlement n’est pas interprété différemment au gré des circonstances ou de la composition chimique de la drogue.

[119] Qui plus est, il n’existe aucun lien entre les observations formulées dans l’affaire concernant le Telmisartan et la décision de mettre fin au processus du banc de révision au motif que la question devait porter sur la bioéquivalence avec le produit de référence canadien et non sur l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle. De fait, une question soumise à un banc de révision qui ferait abstraction d’un élément central pourrait s’avérer problématique. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Les questions proposées n’escamotent pas la question véritable ou centrale. En l’espèce, il aurait été mal à propos de la part de la ministre d’accepter de saisir le banc de révision d’une question ne relevant pas de sa compétence – en l’occurrence, de lui soumettre une question concernant l’innocuité et l’efficacité d’une nouvelle drogue plutôt que sa bioéquivalence.

[120] In extremis, les avocats de la demanderesse ont déclaré qu’elle aurait été d’accord avec la question proposée si la ministre s’était montrée disposée à examiner la bioéquivalence en l’absence d’études sur des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique. C’était prévisible. Cette proposition nous ramènerait à 2003, quand le ministre était disposé à confirmer la bioéquivalence en l’absence d’une telle étude. C’était vrai à autre époque, mais les choses ont changé depuis la décision de 2008. À mon avis, cet argument n’est pas fondé. Ni l’avis de conformité ni la lettre de retrait suivant un avis de non-conformité n’ont été attaqués.

VII. Conclusion

[121] Tout l’argumentaire d’Apotex repose sur son allégation, qu’elle a répétée à maintes reprises sans toutefois fournir d’éléments de preuve, comme quoi l’accent mis sur la bioéquivalence dans le processus de révision découle de la ligne directrice ou des critères de bioéquivalence. La ligne directrice sert de guide pour déterminer si un terme comme « bioéquivalence » a été interprété de manière raisonnable parce qu’il n’est pas défini dans le Règlement. Toutefois, elle n’a pas force de loi et n’a pas reçu force de loi en l’espèce. La question soumise au banc de révision devait être axée sur la notion de bioéquivalence. Rien ne permet de conclure que les questions proposées visaient à convaincre le banc de révision d’adhérer strictement à la ligne directrice. Toutes les mentions de la bioéquivalence renvoient au Règlement, jamais à la ligne directrice. Comme le démontre la dernière question proposée à Apotex, il fallait demander au banc d’experts si, à son avis, une étude menée par Apotex sur des sujets ayant pris un repas ayant à haute teneur lipidique pour satisfaire aux exigences de bioéquivalence, ainsi que l’ensemble de la preuve fournissaient une preuve assez fiable des caractéristiques de biodisponibilité pour établir l’innocuité et l’efficacité du fait de la bioéquivalence avec le produit de référence canadien. Apotex n’était pas satisfaite de cette question et a opté pour la voie de la contestation devant notre Cour. Elle n’a pas obtenu gain de cause.

[122] La ligne directrice autorise la directrice générale à rejeter une demande de révision de décisions qui ne sont pas admissibles. Comme il était clair qu’Apotex resterait inflexible, la ministre n’avait pas vraiment le choix de mettre fin au processus de révision.

[123] En guise de réparations, la demanderesse a réclamé que la décision du 16 novembre 2015 de mettre fin au processus de révision soit annulée et qu’il soit ordonné à la ministre de le reprendre sans entraver son pouvoir discrétionnaire en mettant l’accent sur l’adhésion stricte aux politiques et aux lignes directrices. De plus, la demanderesse considérait que le banc de révision devait être saisi de la question qu’elle avait proposée concernant l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle. À l’audience, ses avocats ont également suggéré à la Cour de renvoyer le dossier au banc de révision en lui soumettant la dernière question proposée par la directrice générale le 6 novembre 2015.

[124] Cette ultime tentative de la demanderesse pour sauver sa cause est toutefois irrecevable sur le plan du droit puisque la Cour devrait annuler la décision du 16 novembre 2015, dont le message est on ne peut plus clair : [traduction] « Comme nous nous retrouvons à nouveau dans une impasse, et comme je vous l’avais indiqué dans ma lettre du 6 novembre 2015, je mets fin au processus de révision de la présentation en cause (numéro de contrôle 162270) et la décision annoncée dans la lettre de retrait suivant un avis de non-conformité du 28 juillet 2014 est désormais considérée comme définitive. » Même si la décision visée par le contrôle judiciaire était annulée, il serait impossible de renvoyer le dossier au banc de révision en lui soumettant une question qu’Apotex a par ailleurs rejetée. Cela dit, rien ne justifie d’annuler la décision, car il n’y a pas eu entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et les attentes légitimes ont été respectées. Tel que je l’ai indiqué précédemment, même si elle avait été avertie que si elle refusait cette approche, la ministre considérerait sa demande de révision comme ayant été retirée et la décision formulée dans la lettre de retrait suivant un avis de non-conformité comme étant définitive, la demanderesse a rejeté la dernière question proposée parce qu’elle portait sur la démonstration de la bioéquivalence et les études sur des sujets ayant pris un repas à haute teneur lipidique. Il ne peut y avoir entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’une question porte de manière raisonnable sur la démonstration de la bioéquivalence.

[125] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse. Les parties ont convenu que les dépens devraient être taxés conformément à l’article 407 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106).


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2011-15

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Les dépens seront taxés conformément à l’article 407 des Règles et adjugés à la défenderesse.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour d’août 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


INTITULÉ :

APOTEX INC. c LA MINISTRE DE LA SANTÉ ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 7 et 8 décembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

H.B. Radomski et Daniel G. Cohen

 

Pour la demanderesse

 

J. Sanderson Graham et Adrian Bieniasiewicz

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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