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Date : 20170926


Dossier : T-485-17

Référence : 2017 CF 864

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ INNOVATRICE

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’un appel en application de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 en vue d’annuler l’ordonnance de la protonotaire Tabib datée du 5 juin 2017.

[2]  La demanderesse, la « société innovatrice », un fabricant de médicaments ayant recours à un pseudonyme, a demandé une ordonnance de confidentialité à l’égard de son identité et de renseignements concernant une présentation de drogue nouvelle déposée auprès du ministre de la Santé (ministre). La protonotaire a ajourné la requête jusqu’à ce que l’on puisse signifier à un autre fabricant de médicaments un avis de la procédure en application de l’article 303 des Règles des Cours fédérales. La demanderesse a demandé que l’ordonnance du 5 juin 2017 soit annulée et que sa requête en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité soit instruite uniquement entre elle-même et les ministres défendeurs.

[3]  Le présent appel est rejeté pour les motifs qui suivent.

I.  Contexte

[4]  En 2016, la demanderesse a produit une présentation de drogue nouvelle auprès du Bureau des médicaments brevetés et de la liaison (le BMBL) de Santé Canada.

[5]  Le 3 mars 2017, le BMBL, agissant au nom du ministre, a soutenu que la présentation de drogue nouvelle de la demanderesse avait déclenché l’application de l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (Règlement ou Règlement sur les MB (avis de conformité)).

[6]  Le 31 mars 2017, la demanderesse a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre, dans lequel elle s’identifie comme « société innovatrice ». Dans les documents de sa requête, la demanderesse désigne un autre fabricant de médicaments sous le nom de l’« autre innovateur ».

[7]  La demanderesse et l’« autre innovateur » avaient mené des études cliniques conjointes pour un médicament. Cela a finalement mené à la commercialisation d’un médicament d’un dosage de force A par l’autre innovateur. L’autre innovateur avait également un produit d’un dosage de force B pour lequel un ou plusieurs brevets connexes sont inscrits dans le registre des brevets du Canada (le registre). En dépit de leur collaboration antérieure, la demanderesse le décrit maintenant comme un concurrent dans le marché des produits pharmaceutiques.

[8]  La présentation de drogue nouvelle déposée par la demanderesse demandait l’approbation de son médicament proposé d’un dosage de force B. Pour accompagner sa présentation, la demanderesse a présenté des arguments selon lesquels elle ne doit pas être traitée comme une deuxième personne, au sens du Règlement, en raison de : 1) ses références à des études cliniques contenant des données liées au dosage de force A dont elle détenait les droits, malgré le fait que l’autre innovateur s’appuyait également sur ces données; et 2) en raison des articles de journaux accessibles au public qui comparent des produits ayant un dosage de force B aux produits ayant un dosage de force A.

[9]  L’avis de demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre sollicite une ordonnance déclarant que la présentation de drogue nouvelle de la demanderesse ne déclenche pas l’application de l’article 5, une ordonnance annulant la décision du ministre ainsi qu’une ordonnance ordonnant au ministre de traiter la présentation de drogue nouvelle sans exiger le dépôt des formulaires requis en application de l’article 5 du Règlement.

[10]  La requête de la demanderesse devant la protonotaire Tabib demande que soit également délivrée une ordonnance de confidentialité à l’égard de sa propre identité, de l’identité de son produit pharmaceutique, du contenu intégral de sa présentation de drogue nouvelle ainsi que de tout renseignement communiqué au ministre à l’appui de sa présentation de drogue nouvelle. Même si cela n’a pas été énoncé expressément dans l’ordonnance proposée, selon l’interprétation de la protonotaire Tabib, la requête visait l’identité de l’autre innovateur.

[11]  Le procureur général est toutefois d’avis que l’autre innovateur est un défendeur nécessaire dans l’examen de la demande de contrôle judiciaire et que l’ordonnance de confidentialité demandée ne peut être accordée d’une manière qui priverait l’autre innovateur du droit d’être informé de la demande et de décider s’il veut ou non en être partie. Le procureur général a également fait valoir qu’il était prématuré de fixer les modalités de l’ordonnance avant que l’autre innovateur ait été informé et qu’il ait eu une possibilité de décider de participer. S’il choisissait de participer, le procureur général a fait valoir que l’autre innovateur pouvait se prononcer sur les paramètres d’une ordonnance qui établirait un équilibre approprié entre la protection des droits de la demanderesse, les droits de l’autre innovateur de participer de manière significative à la demande et l’intérêt du public à l’égard de la publicité des débats judiciaires.

[12]  La protonotaire Tabib était d’accord avec la position du procureur général et a ordonné à la demanderesse de signifier l’avis de demande, les documents de la requête ainsi que l’ordonnance du 5 juin 2017 à l’autre innovateur. Son ordonnance comprenait également un calendrier pour la signification et la production des documents ainsi que pour la tenue de l’audience sur la requête. Auprès de notre Cour, en plus de son appel, la demanderesse a déposé une requête en sursis distincte à l’égard de l’ordonnance du 5 juin 2017 en attendant que le présent appel soit tranché. Cette requête a été accueillie sur consentement.

[13]  À l’audience, le 28 juin 2017, la demanderesse a produit un affidavit confidentiel qui ne faisait pas partie de son dossier de requête et a demandé à la Cour de le lire. Après avoir expliqué brièvement son contenu et en l’absence d’une objection des défendeurs, j’ai lu l’affidavit. Le contenu portait sur le rapport compétitif entre la demanderesse et l’autre innovateur. Étant donné que ce fait n’a pas été contesté par les parties, je n’ai pas jugé nécessaire de retenir l’affidavit dans le dossier de la Cour et je l’ai rendu à l’avocat de la demanderesse. Je ne me suis pas appuyé sur le contenu de l’affidavit pour rendre une décision dans le présent appel.

II.  Questions en litige

[14]  La demanderesse soulève les questions suivantes pour examen :

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur de droit en exigeant la signification de l’avis de demande à l’autre innovateur?

  2. La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les faits ne se distinguent pas de ceux d’une affaire antérieure?

  3. La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’autre innovateur est une personne directement touchée par l’ordonnance demandée dans la demande sous-jacente?

[15]  À mon avis, les questions peuvent se réduire à ce qui suit :

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’autre innovateur est une personne directement touchée par l’ordonnance demandée dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente?

III.  Dispositions législatives applicables

[16]  Les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales sont pertinentes en l’espèce :

Appel

Appeal

51 (1) L’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédérale.

51 (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Federal Court.

[…]

[…]

Défendeurs

Respondents

303 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

303 (1) Subject to subsection (2), an Applicant shall name as a Respondent every person

a) toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande;

(a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or

b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande.

(b) required to be named as a party under an Act of Parliament pursuant to which the application is brought.

[…]

[…]

[17]  Les dispositions suivantes du Règlement sont également pertinentes :

Registre et liste de brevets

Register and Patent List

[…]

[…]

5 (1) Dans le cas où la seconde personne dépose une présentation pour un avis de conformité à l’égard d’une drogue, laquelle présentation, directement ou indirectement, compare celle-ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne doit, à l’égard de chaque brevet ajouté au registre pour cette autre drogue, inclure dans sa présentation :

5 (1) If a second person files a submission for a notice of compliance in respect of a drug and the submission directly or indirectly compares the drug with, or makes reference to, another drug marketed in Canada under a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the second person shall, in the submission, with respect to each patent on the Register in respect of the other drug,

[…]

[…]

IV.  Norme de contrôle

[18]  Les parties font valoir, et je suis d’accord, le fait que l’on doit intervenir dans les ordonnances discrétionnaires uniquement lorsque de telles décisions sont mal fondées en droit, lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire est fondé sur une mauvaise application du principe, ou lorsque le protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante à l’égard des faits : Règles des Cours fédérales, article 51; Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, aux paragraphes 64 à 69, [2017] 1 RCF 331 [Hospira c Kennedy]; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 [Housen].

V.  Discussion

A.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’autre innovateur est une personne directement touchée par l’ordonnance demandée dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente?

[19]  La demanderesse fait essentiellement valoir que l’autre innovateur n’est pas une personne directement touchée par l’ordonnance visée dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente et qu’il ne serait touché que si la demande était rejetée. La demanderesse soutient que le simple fait de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la ministre ne confère pas de droits à l’autre innovateur. À ce titre, l’autre innovateur n’est pas directement touché par l’ordonnance demandée et n’a pas qualité pour être nommé dans la procédure principale : Novopharm Ltd c Canada (Ministre de la Santé), 2010 CF 566, [2010] ACF no 678 [Novopharm 2010].

[20]  L’effet pratique de l’ordonnance de la protonotaire Tabib, selon les défendeurs, serait d’alerter l’autre innovateur, un concurrent connu, quant au moment éventuel de l’entrée sur le marché de la demanderesse. Selon la demanderesse, de tels renseignements commerciaux sont habituellement protégés aux termes de la Loi sur les aliments et drogues, LRC (1985), c F-27 (LAD) pour empêcher une utilisation commerciale injuste par les concurrents.

[21]  Qui plus est, la demanderesse fait valoir que la protonotaire a commis une erreur en concluant que les circonstances de l’espèce ne se distinguent pas des circonstances dans Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 846, au paragraphe 16, [2006] ACF no 1070 [Apotex 2006]. Subsidiairement, la demanderesse me demande de conclure qu’Apotex 2006, une décision que j’ai rédigée, ne devrait pas être suivie.

[22]  En résumé, la position des défendeurs est que, puisqu’une ordonnance de confidentialité pourrait empêcher toute personne susceptible d’avoir un intérêt à l’égard d’une procédure d’être mise au courant de l’existence de celle-ci, on ne saurait dissocier une requête portant sur une telle ordonnance de la question de savoir si toutes les parties requises ont été dûment avisées de la demande sous-jacente : Règles des Cours fédérales, article 303; Apotex 2006, précitée, au paragraphe 16. Selon la demanderesse, l’autre innovateur est une telle partie.

[23]  Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la question principale qui sous-tend l’article 303 des Règles des Cours fédérales consiste à déterminer si la réparation demandée dans la demande de contrôle judiciaire aura une incidence sur les droits juridiques d’une partie, si elle lui imposera des obligations juridiques ou si elle lui portera atteinte d’une façon directe. Le cas échéant, la partie devrait être ajoutée en qualité de défenderesse : Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2013 CAF 236, aux paragraphes 20 à 22 [Forest Ethics], [2013] ACF no 1068.

[24]  Je suis également d’accord avec les défendeurs pour dire que le recours à la LAD par la demanderesse n’est pas utile dans le contexte actuel. Contrairement au Règlement sur les MB (avis de conformité), pris en vertu de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P-4, dans le but de protéger les droits de brevet d’un innovateur, l’objet de la LAD et du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 consiste à protéger la santé et la sécurité du public. En règle générale, les questions liées à l’innocuité et à l’efficacité des médicaments ne concernent pas directement les fabricants tiers et les incidences économiques sur ces fabricants ne sont pas suffisamment importantes pour que l’on puisse dire qu’ils sont « directement touchés » par la délivrance d’un avis de conformité à un concurrent : Hospira Healthcare Corp c Canada (Ministre de la Santé), 2014 CF 179, au paragraphe 13 [Hospira 2014], citant Merck Frosst Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), [1997] ACF no 1847, Glaxo Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1988] 1 CF 422, conf. par (1990), 31 CPR (3d) 29, Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1986), 12 CPR (3d) 438).

[25]  En revanche, aux termes du Règlement sur les MB (avis de conformité), un innovateur dont les brevets sont inscrits à l’égard d’un médicament dans le registre a effectivement qualité lorsque la question faisant l’objet d’un contrôle judiciaire consiste à trancher si les droits et protections qui lui sont conférés en vertu du Règlement sur les MB (avis de conformité) sont visés par la demande d’avis de conformité d’un autre fabricant : voir Hospira 2014, précitée, au paragraphe 14, citant Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] ACF no 879 [Apotex 1994]; Apotex 2006, précitée; Nu-Pharm Inc c Canada (Procureur général), 2001 CFPI 973, 2001 CarswellNat 1895 [Nu-Pharm]; Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé), [2000] ACF no 248, 186 FTR 84; Ferring Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 276, [2007] ACF no 1138.

[26]  La distinction entre des procédures intentées aux termes du Règlement sur les MB (avis de conformité) et du Règlement sur les aliments et drogues a été analysée par le juge Lemieux dans Reddy Cheminor Inc v Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1065, aux paragraphes 41 à 46, conf. par 2002 CAF 179. Il a souligné, au paragraphe 42, que les sociétés pharmaceutiques n’avaient pas le droit de faire appliquer le Règlement sur les aliments et drogues, mais qu’elles avaient « […] celui de s’opposer à la délivrance d’un avis de conformité pour le motif qu’il y a inobservation du [Règlement sur les MB (avis de conformité)] [...] parce qu’il a pour objet d’assurer une protection supplémentaire aux brevets ».

[27]  Dans Novopharm 2010, précitée, un fabricant de médicaments génériques a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance de confidentialité dans le contexte de sa demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre selon laquelle il devait traiter les brevets inscrits au registre avant d’obtenir un avis de conformité. Dans cette affaire, la demanderesse faisait valoir que les médicaments pour lesquels elle cherchait à obtenir un avis de conformité avaient été développés avant que les brevets en cause soient délivrés et inscrits au registre. Le protonotaire a soutenu que c’était au ministre seul qu’il appartenait de décider si une deuxième personne est visée par la portée du paragraphe 5(1) du Règlement à la suite du dépôt de la demande et que les droits de l’innovateur ne s’étaient pas cristallisés, car aucune décision d’accorder l’avis de conformité n’avait été rendue.

[28]  Le protonotaire a également fait observer, au paragraphe 20 de Novopharm 2010, que l’innovateur n’aurait aucun intérêt si le fabricant de médicaments génériques avait raison et qu’il n’avait pas à traiter les brevets inscrits par la suite. Si l’on concluait que le fabricant de médicaments génériques était dans l’erreur, il aurait alors à traiter les brevets de l’innovateur. L’innovateur peut devenir une partie nécessaire à une certaine étape de la procédure, mais avant cela, il n’avait que des intérêts commerciaux et, par conséquent, il n’était pas une personne « directement touchée ». En toute déférence, cette distinction ne trouve pas appui dans la jurisprudence.

[29]  Dans la présente requête, la demanderesse a fait valoir que l’autre innovateur n’est pas directement touché parce que, si sa demande est rejetée et que la décision du ministre est confirmée, elle devra alors informer l’autre innovateur de sa position à l’égard des brevets aux termes du Règlement sur les MB (avis de conformité). La demanderesse soutient que l’autre innovateur ne subira donc aucun préjudice.

[30]  Le critère établi à l’article 303 des Règles des Cours fédérales consiste à savoir si une personne est « directement touchée » par l’ordonnance visée dans la demande. Le critère n’exige pas que l’ordonnance recherchée confère des droits légalement reconnus ou impose des obligations à une personne; il suffit que l’autre partie subisse un préjudice d’une manière directe : Hospira 2014, précitée, au paragraphe 20, citant Forest Ethics, précité. Le critère n’est pas de savoir si l’autre innovateur subit un préjudice découlant d’une disposition possible de l’application.

[31]  Le sens des mots « directement touchée » à l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales a été examiné par le juge David Stratas dans Forest Ethics, précité, aux paragraphes 18 à 21 :

18.  Les mots « directement touchée » à l’alinéa 303(1)a) des Règles font écho à ceux du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales. En vertu de ce paragraphe, seul le procureur général ou « quiconque est directement touché par l’objet de la demande » peut présenter une demande de contrôle judiciaire. L’alinéa 303(1)a) limite la catégorie des parties désignées à titre de défenderesses à celles qui, si la décision de l’office fédéral était différente, auraient pu présenter elles-mêmes une demande de contrôle judiciaire.

19.  Par conséquent, on peut trouver le sens à donner à « intérêt direct » à l’alinéa 303(1)a) des Règles dans la jurisprudence portant sur le sens de l’« intérêt direct » au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.  C’est l’approche que la Cour fédérale a adoptée dans la décision Reddy-Cheminor, Inc. c Canada, 2001 CFPI 1065, 212 F.T.R. 129, confirmé par 2002 CAF 179, 291 F.T.R. 193, et c’est celle que la Cour fédérale semble avoir implicitement adoptée dans la décision Cami International Poultry Inc. c Canada (Procureur général), 2013 CF 583, aux paragraphes 33 et 34.

20.  Selon le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, une partie a un « intérêt direct » lorsque ses droits sont touchés, lorsque lui sont imposées des obligations en droit ou qu’elle subit d’une certaine manière un préjudice direct : Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c Odynsky, 2010 CAF 307, aux paragraphes 57 et 58; Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c Canada (M.R.N.), [1976] 2 CF 500 (C.A.); Irving Shipbuilding Inc. c Canada (P.G.), 2009 CAF 116 (CanLII).

21.  Si on transpose ce principe à l’alinéa 303(1)a) des Règles, la question est de savoir si la réparation recherchée dans la demande de contrôle judiciaire aura une incidence sur les droits de la partie, lui imposera des obligations en droit ou lui causera d’une certaine manière un préjudice direct.  Dans l’affirmative, la partie devrait être ajoutée à titre de défenderesse.  Si cette partie n’a pas été ajoutée comme défenderesse lorsque l’avis de demande a été publié, la Cour doit alors, en application de l’alinéa 104(1)b) des Règles, l’ajouter par ordonnance.

[Non souligné dans l’original.]

[32]  J’interprète les mentions d’un « intérêt direct » dans les paragraphes cités comme des synonymes des mots effectivement utilisés dans la Loi et dans les Règles, « directement touchée ».

[33]  Une décision du ministre selon laquelle l’article 5 du Règlement sur les MB (avis de conformité) s’applique confère des droits aux brevetés dont les brevets doivent être traités. Ces droits ont été décrits de manière constante par la Cour fédérale comme des « droits légalement reconnus » ou des [traduction] « intérêts légalement reconnus » : Merck & Co c Canada (Procureur général), [1993] ACF no 245, au paragraphe 17; Apotex 1994, précitée, au paragraphe 12; Nu-Pharm, précitée, aux paragraphes 23 à 28. Même s’ils sont interprétés autrement que comme des « droits légalement reconnus » ou des [traduction] « intérêts légalement reconnus », l’innovateur titulaire de brevets inscrits au registre subirait un préjudice direct découlant de la demande dans la présente instance.

[34]  À mon avis, il n’y a aucune raison convaincante pour laquelle un breveté devrait être tenu d’attendre l’issue d’un avis de conformité d’un concurrent avant d’être en mesure de traiter la question de savoir si le ministre avait raison dans son interprétation et son application du Règlement. Comme le font valoir les défendeurs, cela pourrait entraîner une multiplicité des procédures judiciaires et donner lieu à des décisions incohérentes. Ce n’est pas dans l’intérêt de l’économie des ressources judiciaires.

[35]  La protonotaire Tabib a décrit les intérêts en cause de l’autre innovateur dans la présente procédure au paragraphe 15 de ses motifs :

La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Forest Ethics [...] a depuis clarifié qu’une partie a un intérêt direct et a qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire ou pour agir à titre de défenderesse dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, non seulement lorsque ses droits sont touchés ou que lui sont imposées des obligations en droit, mais aussi lorsqu’elle « subit d’une certaine manière un préjudice direct » (au paragraphe 20).  Tel qu’il est indiqué ci-après et tel qu’il a été établi dans Hospira, il ne fait maintenant aucun doute, même si la loi ne reconnaît à un innovateur aucun droit légal direct de prendre part à la décision du ministre quant à l’application du Règlement ou d’obliger le ministre à appliquer le Règlement, lorsque le ministre rend une décision indiquant l’application du Règlement en faveur d’un innovateur particulier, cet innovateur bénéficie alors d’un avantage commercial direct suffisant pour lui donner qualité pour agir à titre de défendeur si cette décision fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[36]  Les ordonnances de confidentialité sont des exceptions discrétionnaires au principe de publicité des débats judiciaires. Aux termes du cadre établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, au paragraphe 53, une ordonnance de confidentialité peut être justifiée si : 1) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque et 2) ses effets bénéfiques l’emportent sur ses effets préjudiciables.

[37]  Dans Apotex 2006, la question faisant l’objet de l’appel de la décision du protonotaire était également la question de savoir si une ordonnance de confidentialité serait accordée sans nommer l’innovateur en tant que défendeur. Dans cette affaire, j’ai formulé les observations suivantes :

[14] [...] [La demanderesse] cherche à saisir la justice du différend qui l’oppose au ministre en ce qui concerne l’application du Règlement sans avoir à subir l’inconvénient que représente pour elle l’intervention d’une société innovatrice susceptible de posséder des droits exclusifs sur le produit de référence canadien sur lequel elle cherche à se fonder dans sa PADN.

[15] Le grand principe en jeu dans la présente affaire est celui de l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.  Le pouvoir d’accorder une ordonnance de confidentialité constitue une exception discrétionnaire à ce principe.  Les intérêts commerciaux de la demanderesse revêtent une importance secondaire, mais on peut en tenir compte lorsque, comme il est précisé dans l’arrêt Sierra Club, les effets bénéfiques de l’ordonnance de confidentialité l’emportent sur ses effets préjudiciables.  Saisi d’une requête visant à obtenir une telle ordonnance, le protonotaire doit, à mon avis, s’assurer que la partie qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur a avisé toutes les personnes qui sont susceptibles d’être touchées par la demande sous-jacente.

[16] Dans ce contexte, on ne saurait dissocier la requête en ordonnance de confidentialité de la question de savoir si toutes les personnes devant régulièrement être constituées en parties ont été dûment avisées de la demande principale, étant donné que le prononcé de l’ordonnance sollicitée aura notamment pour effet d’empêcher toute personne qui est susceptible d’être touchée d’être mise au courant de l’existence de cette instance.  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il est évident que la demande principale et la requête sont susceptibles d’avoir une incidence directe sur les droits exclusifs d’un tiers innovateur.  Compte tenu de l’économie du régime réglementaire, il n’était pas nécessaire de présenter des éléments de preuve pour établir ces faits.

[38]  Je ne vois aucune raison de m’écarter de ces opinions. Il va à l’encontre du principe de la publicité des débats, à mon avis, qu’une entreprise commerciale, ayant recours à un pseudonyme, demande à la Cour d’effectuer un contrôle judiciaire d’une décision rendue par un fonctionnaire essentiellement en secret. Tel serait l’effet pratique de l’ordonnance demandée et cela s’étend au-delà de la raison la notion d’exception au principe d’ouverture et de transparence des affaires judiciaires. Je n’ai aucun doute que les intérêts commerciaux de la demanderesse sont importants, mais il n’a pas été démontré que tout risque sérieux à ces intérêts ne peut pas être traité par d’autres moyens raisonnables. De telles mesures pourraient être proposées et examinées par la protonotaire chargée de la gestion de l’instance, tel qu’il est établi dans l’ordonnance du 5 juin 2017.

[39]  J’estime que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en concluant que les intérêts de l’autre innovateur étaient directement touchés et que la signification de l’avis de la demande principale et de la requête était requise avant que la requête puisse être examinée. Par conséquent, le présent appel sera rejeté et le sursis qui a été accordé précédemment sera annulé. Puisqu’aucuns dépens n’ont été demandés, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. L’appel est rejeté.

  2. L’ordonnance de la Cour rendue le 28 juin 2017 suspendant l’effet de l’ordonnance de la protonotaire du 5 juin 2017 est annulée;

  3. Le calendrier établi dans l’ordonnance de la protonotaire Tabib du 5 juin 2017 commence à courir à compter de la date de délivrance de la présente ordonnance et des présents motifs;

  4. Chaque partie assumera ses propres dépens.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-485-17

INTITULÉ :

LA SOCIÉTÉ INNOVATRICE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 juin 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 26 septembre 2017

COMPARUTIONS :

Jamie Mills

Jillian Brenner

Pour la demanderesse

Sanderson Graham

Adrian Bieniasiewicz

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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