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Date : 20170920


Dossier : IMM-496-17

Référence : 2017 CF 841

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

WEN LI

ZHENGSHAN CHEN

ZHENGLIN CHEN

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) à l’encontre de la décision rendue par un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le représentant du ministre) en date du 10 janvier 2016, qui a rejeté la demande de résidence permanente des demanderesses fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la décision).

[2]  Les demanderesses comprennent Mme Wen Li (45 ans) (la demanderesse principale) et ses deux filles (18 ans et 13 ans) dont Mme Li a la garde exclusive (collectivement appelées les demanderesses). Les demanderesses sont des citoyennes de la République populaire de Chine. Lorsque les demanderesses sont arrivées au Canada le 23 octobre 2013 à titre de résidentes temporaires, la demanderesse principale avait un permis de travail valide conformément à l’alinéa 205a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés qui venait à échéance le 30 avril 2014.

[3]  La demanderesse principale a obtenu le permis de travail en s’attendant de façon légitime à ce qu’il lui permette d’obtenir une résidence permanente au Canada à titre d’investisseur et d’entrepreneur. Toutefois, elle ne savait pas que les personnes qui l’aidaient à cet égard se livraient à une fraude en matière d’investissement immobilier aux fins d’immigration d’une ampleur considérable. Son argent, une somme d’environ 500 000 $, a été investi dans l’immobilier passif qui a ensuite été perdu en raison d’une forclusion. Son avocat a décrit la fraude comme suit, description qui n’est pas contestée :

[traduction]
[...] elle a été victime d’une fraude considérable qui comptait 32 victimes dans le cadre d’un complot […] visant à créer des habitations en copropriété comptant un certain nombre de magasins [...] à Scarborough [...] Ma cliente a conclu une entente sans avoir été représentée par un procureur. Elle a pris possession d’une des habitations. Les fraudeurs ayant diverses identités commerciales, maintenant connues sous le nom de Panasian Global Inc (PGI), et une société à dénomination numérique, ont acheté ces biens immobiliers pour la somme de 5 000 000 $ et ont proposé de vendre chacun des magasins entre 400 000 $ et 500 000 $ environ, réalisant ainsi un profit de 300 %. La vente des magasins a été effectuée à l’aide d’un plan de commercialisation dans le cadre duquel ils ont fait de la publicité sous le régime du Programme des candidats de la province de l’Ontario. L’acheteur de l’habitation devenait un résident permanent dans un délai de six mois et obtenait un permis de travail.

Ma cliente a versé la somme de 220 000 $ de la somme totale exigée de 440 000 $ et une demande a été déposée aux termes de l’alinéa 205a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) qui lui permettrait d’exploiter le magasin. Cela s’est produit en 2012. Elle est venue au Canada, a continué d’exploiter le magasin par l’intermédiaire d’une société à dénomination numérique qui a été constituée en personne morale par un procureur qu’elle n’a jamais rencontré. Le procureur a présenté la demande en son nom, même s’il ne l’avait jamais rencontrée.

Lorsque les services de l’immigration ont constaté qu’elle n’avait pas déposé les documents ni créé les documents qu’elle avait indiqué qu’elle créerait, ils ont refusé de proroger son statut. En fin de compte, son magasin a fermé ses portes le 9 octobre 2014. Le vendeur initial a pris une mesure et a vendu le bien dans le cadre d’un pouvoir de vente à un autre acheteur.

La fraude dont je parle consiste simplement à utiliser l’alinéa 205a) pour inciter la personne à venir au Canada et à lui faire croire que l’objectif est d’obtenir uniquement un statut de résident temporaire. Plus particulièrement, si une personne établit une résidence permanente, cet alinéa ne doit pas être appliqué. Il existe des dispositions portant sur l’admission précoce, mais elles doivent s’appliquer lorsqu’il existe une disposition visant un entrepreneur. Une telle disposition n’existe plus.

[4]  Selon son témoignage qui n’est pas contesté, elle était le seul témoin qui pouvait témoigner contre les auteurs de cette fraude à l’égard de qui elle a également intenté une procédure civile. Même si elle n’a pas mentionné ce fait dans sa demande initiale, dans une lettre subséquente, son avocat l’a informée qu’elle était sous la protection de la police et qu’un agent de police judiciaire lui avait dit que : [traduction] « il lui semble que la situation se rapproche du crime organisé en plus d’une infraction de traite de personnes prévue dans la LIPR ». Dans la même lettre subséquente, son avocat a également fourni les cartes professionnelles de deux policiers du service de police de Toronto et d’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). La lettre indiquait que ces policiers offraient d’appuyer sa demande et invitait le représentant du ministre à communiquer avec eux pour obtenir de plus amples renseignements.

[5]  Avant l’expiration de son permis de travail, la demanderesse principale a demandé une prorogation, qui a été refusée. La demanderesse principale a présenté une demande de rétablissement de son statut qui a été rejetée le 27 juin 2014. Elle a également présenté une demande de visa de résidente temporaire qui a été refusée le 27 juin 2016.

[6]  La demanderesse soutient qu’elle n’avait pas réalisé qu’elle avait été victime d’une fraude immobilière et liée à l’immigration avant le début de 2015 lorsque le service de police de Toronto a communiqué avec elle au sujet d’une enquête qu’il menait conjointement avec l’ASFC.

[7]  Vu ses demandes infructueuses de prorogation ou de rétablissement de son permis de travail, la demanderesse principale a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au moyen d’une lettre en date du 20 août 2015.

[8]  Le 10 janvier 2017, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demanderesses a été refusée.

[9]  Les parties s’entendent pour dire que le critère que la Cour doit appliquer dans le cadre d’un contrôle judiciaire comme en l’espèce est la norme de la décision raisonnable : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy) et j’y souscris. L’arrêt Kanthasamy enseigne également que les motifs d’ordre humanitaire ne constituent pas un « régime d’immigration parallèle ». Il faut faire preuve d’une retenue considérable à l’exercice par le représentant du ministre des pouvoirs du ministre en application des dispositions relatives aux motifs d’ordre humanitaire de la LIPR : Ogunyinka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 595, au paragraphe 19, où le juge Noël a cité le paragraphe 62 de l’arrêt Baker :

[O]n devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle [paragraphe 25(1) de la LIPR] d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi.

[10]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi, aux paragraphes 57 et 62, qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

[11]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[12]  Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] au paragraphe 16, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un décideur n’était pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui a mené à sa conclusion finale.

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, Local no 333 c Nipawin District Staff Nurses Assn., 1973 CanLII 191 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[13]  Au paragraphe 20 de la décision Canada c Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

La notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas. Elle a pour philosophie de garantir que l’on joue franc jeu. Le but des droits de participation faisant partie de l’équité procédurale a été défini ainsi :

[...] garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22.

[14]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi Newfoundland Nurses.

[15]  Aux paragraphes 28 et 29 de la décision Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27 [Nguyen], j’ai conclu qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est de la nature d’un redressement extraordinaire ou spécial; voir la conclusion du juge Diner au paragraphe 27 de la décision Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724. Dans Nguyen, j’ai conclu ce qui suit aux paragraphes 2 et 3 :

[2]  Il n’est pas demandé à la Cour de réévaluer la preuve, et elle ne saurait le faire de toute façon. Un contrôle judiciaire n’est pas une occasion de remettre en litige l’affaire entendue par l’instance inférieure, et il ne s’agit nullement d’un nouveau procès. La question primordiale n’est pas de savoir si la décision de première instance est juste ou non, mais plutôt si elle est raisonnable ou déraisonnable. La question clé consiste à savoir si la décision de l’agent appartient aux issues acceptables au regard des faits et du droit.

[3]  En adoptant l’article 25 de la LIPR, le législateur a conféré au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir et la responsabilité d’appliquer la norme juridique appropriée et d’arriver, dans les affaires fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, à une décision qui est raisonnable, selon la définition qu’en donne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Le ministre a délégué ce pouvoir à des agents CH afin que ces derniers puissent prendre de telles décisions en son nom. Selon la jurisprudence, tant le ministre que ses agents délégués jouissent à cet égard d’un pouvoir exceptionnel et hautement discrétionnaire. Leur pouvoir appelle une retenue considérable de la part de la Cour.

[16]  Les demanderesses soutiennent que la décision du représentant du ministre était déraisonnable dans son ensemble et en ce qui concerne son examen du statut de la demanderesse au Canada, de la fraude, de l’établissement et de l’intérêt supérieur des enfants, y compris les conséquences découlant du retour en Chine.

[17]  En ce qui concerne le statut des demanderesses au Canada, le représentant du ministre a précisé à bon droit qu’elles n’avaient aucun statut depuis le milieu de 2014, ce qui était en fait le cas. L’arrêt Kanthasamy insiste sur le fait que « tous » [souligné par la Cour suprême] les facteurs doivent être pris en compte. Le représentant du ministre a tiré une conclusion négative de l’inobservation de la LIPR par les demanderesses à cet égard. Je suis d’avis qu’il avait le droit de tirer cette conclusion. Bien que les demanderesses fassent valoir que cette inobservation aurait dû être évaluée comme neutre vu leur arrivée légale, la fraude et leurs efforts infructueux de régulariser leur statut, je suis d’avis qu’il était loisible au représentant du ministre de se livrer à l’évaluation des éléments de preuve et que cette évaluation ne constitue pas une erreur susceptible de révision. Évidemment, cela doit être équilibré avec d’autres facteurs.

[18]  En ce qui concerne la fraude, les demanderesses présentent plusieurs arguments. En premier lieu, elles soutiennent que la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’était pas axée sur la fraude ou sur ses conséquences, mais sur le fait qu’elles n’avaient aucun statut; un argument présenté deux fois dans la décision. À cet égard, elles soutiennent qu’on leur reproche d’avoir été des victimes de fraude. Ces arguments, qui sont contredits par les énoncés du représentant du ministre à ce sujet, ne me convainquent pas. Il a retenu leur témoignage quant au fait que l’ampleur de la fraude était considérable et que la demanderesse principale était le seul témoin contre les auteurs de la fraude. Il a retenu leur description de la fraude telle qu’elle est exposée ci-dessus et n’a formulé aucune autre conclusion. Il a exprimé sa compassion envers elles. En fait, le représentant du ministre a félicité la demanderesse principale en accordant un poids positif à sa [traduction] « volonté d’aider dans le cadre de l’enquête ». Cependant, la réalité est que, comme il l’a constaté, les demanderesses ont fourni peu d’éléments de preuve pour expliquer pourquoi elles n’ont pas quitté le Canada et présenter une demande pour y revenir de la Chine, conformément à la LIPR. Selon moi, cette évaluation était raisonnable. Les demanderesses n’ont présenté aucun élément de preuve pour étayer cet argument, en dépit du fait qu’il s’agissait de leur demande et que le fardeau leur incombait par conséquent. À mon humble avis, les demanderesses ont effectivement cherché à transformer la fraude en un statut de résident permanent dans le cadre du processus applicable aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, je ne constate aucun problème lié au défaut du représentant du ministre de prendre en compte des éléments de preuve. On ne peut reprocher au représentant du ministre d’avoir refusé d’interpréter la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demanderesses de la façon dont elles l’ont privilégiée.

[19]  Le représentant du ministre devait décider comment tenir compte du fait que la demanderesse principale avait été victime de fraude et qu’en conséquence, elle devait retourner au Canada afin de témoigner dans le cadre de diverses instances criminelles, civiles ou instruites en application de la LIPR et du fait que les demanderesses avaient prolongé leur séjour et sont restées au Canada sans statut pendant plusieurs années après la fraude. Le représentant du ministre suggère que les demanderesses présentent une demande de visa de résident temporaire (aux termes de l’article 22 de la LIPR) sur ce fondement. Dans leur argumentation, les avocats des deux parties ont également évoqué le fait que la demanderesse principale peut demander un permis de séjour temporaire aux termes du paragraphe 24(1) de la LIPR. Les demanderesses peuvent se prévaloir de ces approches et, vu le dossier dont je suis saisi, je puis difficilement voir comment un autre représentant du ministre pourrait raisonnablement refuser la demande de la demanderesse principale de revenir au Canada pour témoigner pendant les procédures criminelles ou instruites en application de la LIPR, surtout compte tenu des responsabilités du ministre en lien avec l’enquête et la poursuite des infractions en application des lois qui relèvent de sa responsabilité et des crimes connexes. Le représentant du ministre a déjà indiqué qu’à l’aide des documents justificatifs appropriés, un retour au Canada pour les deux poursuites serait possible.

[20]  Les demanderesses soutiennent également que le représentant du ministre a agi de manière déraisonnable lorsqu’il n’a pas communiqué avec les policiers ou les agents de l’ASFC dont les cartes professionnelles avaient été fournies. À bien des égards, l’argument des demanderesses reposait sur ce facteur. En toute déférence, cet argument ne me paraît pas très convaincant. Il incombe aux demanderesses de prouver leur thèse. En général, le représentant du ministre n’est pas tenu de présenter d’autres demandes lorsque les demanderesses l’invitent à le faire, comme le confirme Kisana c Citoyenneté et Immigration, 2009 CAF 189 [Kisana]. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Mosley, dans Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 307, qui a certifié la question suivante :

L’équité exige-t-elle qu’un agent procédant à une entrevue et à l’analyse relatives à une demande d’établissement au Canada d’un enfant qui vient y rejoindre ses parents ait l’obligation d’obtenir des renseignements supplémentaires relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant s’il croit que la preuve présentée est insuffisante?

[21]  Le juge Mosley s’est donc dit d’avis qu’il n’appartenait pas à l’agente de chercher à obtenir d’autres renseignements pour découvrir des éléments de preuve qui auraient pu être favorables à la thèse défendue par les appelants. La Cour d’appel fédérale a souscrit à son avis et a répondu par la négative à la question certifiée. Au paragraphe 56, elle a indiqué en outre que « [...] l’agente aurait pu poser davantage de questions pour recueillir de plus amples renseignements sur la situation des jumelles en Inde mais, comme nous le verrons, elle n’était nullement tenue de le faire en l’espèce ». Au paragraphe 62, la Cour d’appel fédérale a conclu que « [j]e n’écarte cependant pas la possibilité qu’il puisse exister des situations dans lesquelles l’équité commande que l’agent obtienne de plus amples informations. La réponse à la question de savoir si l’équité exige une telle chose dépend donc des faits de chaque espèce. »

[22]  Selon les faits de l’espèce, il n’y a aucune raison pour laquelle le représentant du ministre aurait dû présenter les demandes proposées, ce qui signifie que la conclusion relative à cet argument est raisonnable. Il a retenu les éléments de preuve essentiels déposés par les demanderesses relatifs à la fraude considérable et au rôle clé de la demanderesse principale dans la présentation d’éléments de preuve et de son témoignage, en plus de la description de la fraude, conformément à ce qui est exposé ci-dessus. Je suis d’avis qu’il ne s’agit pas du genre de cas exceptionnel où l’équité impose une obligation formelle au représentant du ministre d’appeler les agents. Le représentant du ministre disposait d’éléments de preuve suffisants; il lui était loisible de décider de ne pas faire d’autres appels pour confirmer les faits qu’il avait déjà retenus.

[23]  Les demanderesses reprochent également au représentant du ministre d’avoir exclu de ses motifs deux phrases de la deuxième lettre de l’avocat des demanderesses : la première indiquant que les policiers et l’agent avaient offert d’appuyer la demande de la demanderesse et la deuxième l’invitant à communiquer avec ces derniers. Je suis d’accord pour dire que les motifs seraient plus complets si ces observations y avaient été incluses, mais le représentant du ministre n’est pas tenu de le faire, surtout parce qu’il n’a pas fait les appels qu’il était invité à faire. Fait important, comme il a été déjà décidé, il n’y avait aucune raison de faire ces appels. L’argument des demanderesses selon lequel des éléments de preuve n’ont pas été pris en compte est sans fondement.

[24]  Vu mon examen, je ne suis pas non plus en mesure de retenir les arguments des demanderesses relatifs à l’établissement et à l’intérêt supérieur des enfants.

[25]  En ce qui concerne l’établissement, le représentant du ministre a indiqué à juste titre que les demanderesses n’avaient pas été au Canada pendant une période considérable, ce qui n’était pas contestable dans la mesure où elles sont arrivées en octobre 2013 et que la décision a été rendue en janvier 2017.

[26]  Pour ce qui est de l’intérêt supérieur des enfants, ce facteur a été évalué de manière distincte par le représentant du ministre. On ne peut dire qu’il n’était pas réceptif et attentif à l’intérêt supérieur des enfants. Il a déterminé ce qui était dans l’intérêt supérieur des enfants et décidé que cet intérêt serait respecté si elles retournaient en Chine. Cela impliquait le fait d’être avec leurs parents et d’avoir les nécessités de la vie, soit la nourriture, l’hébergement, les vêtements, ainsi que l’éducation et les systèmes médicaux dont ils ont besoin pour vivre et un soutien social de la part de membres de la famille et d’amis, et tout cela serait disponible en Chine. Il a indiqué que la demanderesse principale avait la garde exclusive des deux enfants et qu’il disposait de peu d’éléments de preuve de la rupture de la relation entre les deux parents. En outre, les enfants seraient plus près de leur père en Chine. À mon humble avis, le représentant du ministre a encore une fois décidé de manière équitable qu’il existait peu d’éléments de preuve de répercussions négatives découlant de leur retour en Chine. Même si les enfants subissent une période de rajustement au début de leur retour, cette période ne compromettrait pas leur intérêt supérieur; ils ont démontré la capacité de s’adapter au Canada et peu d’éléments de preuve indiquaient qu’ils ne pourraient pas s’adapter à un retour. Il était loisible au représentant du ministre de tirer de telles conclusions. Qui plus est, le représentant du ministre estimait que les enfants resteraient avec leur mère lorsqu’ils retourneraient en Chine. À mon humble avis, l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants était équitable, complète et raisonnable. Le désaccord des demanderesses avec le résultat ne suffit pas à infirmer les conclusions du représentant du ministre.

[27]  En prenant du recul, je dois décider du caractère raisonnable de la décision rendue dans son ensemble. Après avoir examiné les arguments écrits et oraux, le dossier et le droit applicable, y compris le pouvoir discrétionnaire et la déférence dont on doit faire preuve à l’égard du représentant du ministre en ce qui concerne une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, je suis d’avis que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, la décision était justifiée, transparente et intelligible. Par conséquent, le présent contrôle judiciaire doit être rejeté.

[28]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune ne se pose.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, sans aucune question à certifier et aucune ordonnance quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-496-17

 

INTITULÉ :

WEN LI, ZHENGHAN CHEN, ZHENGLIN CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 septembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Mario D. Bellissimo

POUR LES DEMANDERESSES

 

Asha Gafar

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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