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Date : 20170920


Dossier : IMM-1096-17

Référence : 2017 CF 842

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

SHARON HERMAN

DEAN ROBERT

KAYSHA HERMAN

AVERY ROBERT

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre de la décision du représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada (représentant du ministre) en date du 27 janvier 2017, qui a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH) des demandeurs (la décision).

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. La décision est raisonnable telle qu’elle a été évaluée suivant les critères applicables en matière de contrôle judiciaire établis par la Cour suprême du Canada.

[3]  Les demandeurs sont Mme Sharon Herman (34 ans) (la demanderesse principale), son conjoint de fait, Dean Robert (40 ans), une fille née d’une relation antérieure (18 ans) et le fils (9 ans) né de son union avec M. Robert (collectivement, les demandeurs). Les demandeurs sont tous citoyens de Sainte-Lucie.

[4]  La demanderesse principale est entrée au Canada le 14 avril 2010 munie d’une fiche de visiteur valide pour six mois. Une demande de prorogation de son statut de résident temporaire a été refusée le 23 décembre 2010. Plutôt que de partir à l’expiration de sa période de séjour, elle a continué à vivre et à travailler au Canada, sans statut ni permis de travail. M. Robert et les deux enfants sont entrés au Canada le 2 août 2012, également munis de fiches de visiteur valides pour six mois. M. Robert vit également au Canada depuis cette date, sans statut ni permis de travail. Les documents déposés par les demandeurs n’indiquent pas s’ils payaient de l’impôt sur le revenu. Ils ont déposé peu de renseignements financiers, voire aucun.

[5]  En mai 2016, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a délivré un mandat d’arrestation visant la demanderesse principale, et peu après, cette dernière a été brièvement détenue avant d’être remise en liberté sous condition.

[6]  Le 28 juin 2016, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH).

[7]  La demande CH était fondée sur les renseignements suivants :

  • Les demandeurs sont établis au Canada. M. Robert est un technicien formé et spécialisé en climatisation et en réfrigération et la demanderesse principale est une aide familiale. La demanderesse principale fait du bénévolat. Ils sont membres de l’Église catholique Precious Blood et n’ont aucun casier judiciaire.

  • Les deux enfants fréquentent l’école à Toronto depuis septembre 2012.

  • La famille subvient à ses propres besoins et ne compte sur aucune source externe de soutien financier.

  • M. Robert souffre de leucémie myéloïde chronique (leucémie ou LMC) pour laquelle il a été traité avec le médicament Gleevec ou son équivalent, à Sainte-Lucie, et il continue d’être traité avec le même médicament, à Toronto :

    • o Le médecin de M. Robert à Toronto, le Dr E. Cheng, a obtenu un financement pour motifs d’ordre humanitaire afin d’avoir accès au médicament contre la leucémie Gleevec ou son équivalent au Canada auprès d’une société pharmaceutique, par l’intermédiaire de son fonds disponible à titre humanitaire.

    • o Lorsqu’il a présenté la demande d’utilisation à titre humanitaire, le Dr E. Cheng a constaté que M. Robert avait traité sa leucémie à Sainte-Lucie avec un autre médicament plus abordable appelé hydroxyurée, qui n’aidait qu’à soulager les symptômes, mais non à guérir la leucémie.

    • o Le Dr E. Cheng indique qu’à maintes reprises, M. Robert s’est retrouvé sans hydroxyurée pendant deux à trois semaines en raison des coûts, entraînant des crises qui ont nécessité son admission à l’hôpital.

    • o Le Dr E. Cheng déclare [traduction] « il doit vraiment prendre du Gleevec ou son équivalent, et il a eu d’excellents résultats pendant plusieurs années en prenant du Gleevec antérieurement, alors qu’il se trouvait dans les Caraïbes; c’est donc pourquoi ce médicament a été retenu comme étant la priorité absolue ».

  • o Dans une lettre datée du 14 juin 2016, le Dr Ramsaroop, qui a également traité M. Robert, a écrit ce qui suit :

[traduction] « Le patient a reçu un diagnostic de leucémie myéloïde chronique avant son arrivée au Canada. [...] À ce moment-là, le patient prenait un médicament appelé Gleevec (Imatinib) qui était subventionné ou donné. Si le médicament était inabordable, il utilisait l’hydroxyurée, mais ce médicament était inefficace et entraînait des symptômes fréquents. »

  • o La même lettre du Dr Ramsaroop indique que M. Robert devrait poursuivre son traitement médical contre la leucémie au Canada parce qu’il est peu probable qu’il ait accès à ce médicament pour des raisons humanitaires, médicament essentiel à sa survie à Sainte-Lucie.

  • o Une lettre du Dr M. Cheung, qui a traité M. Robert au Sunnybrook Health Sciences Centre à Toronto, confirme que M. Robert devrait continuer à prendre du Gleevec pour une période indéfinie, un médicament qui est habituellement financé dans le cadre du programme provincial d’assurance-médicaments.

  • o Le Dr M. Cheung indique que, si M. Robert cessait de prendre du Gleevec, sa leucémie s’aggraverait et se transformerait au fil des ans et se transformerait en une leucémie myéloblastique aiguë dont l’issue serait fatale.

  • o Une lettre du Dr O. Gabriel, un oncologue expert-conseil qui exerce ses activités à Sainte-Lucie et qui a traité M. Robert à Sainte-Lucie, a indiqué qu’alors qu’il était à Sainte-Lucie, M. Robert a obtenu le médicament Gleevec dans le cadre d’un programme de dons et par l’intermédiaire de l’unité nationale de fournitures centrales relevant du ministère de la Santé de Sainte-Lucie. Le Dr Gabriel a également mentionné ce qui suit :

[traduction] « Dean Robert risque de ne pas obtenir ce médicament s’il retourne à Sainte-Lucie. Il lui faudrait alors entre trois et six mois pour obtenir ce médicament. Je recommande qu’il continue à recevoir des soins au Canada, puisqu’il est plus facile d’avoir accès à ces médicaments au Canada. Les soins prodigués aux personnes atteintes de cancer sont extrêmement coûteux pour les patients et leur famille à Sainte-Lucie ».

[8]  M. Robert a également des jumelles âgées de 12 ans qui résident à Sainte-Lucie.

[9]  Le représentant du ministre a rejeté la demande de résidente permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs ont également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Le représentant du ministre a rejeté la demande d’ERAR, et les demandeurs n’ont pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

[10]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour est tenue d’appliquer les critères établis par la Cour suprême du Canada et dans d’autres décisions pertinentes. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a statué aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La norme de contrôle appropriée applicable à une décision relative à une demande pour considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy). Dans l’arrêt Kanthasamy, il a également été conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne constituent pas un « régime d’immigration parallèle ». Le juge Noël a conclu qu’il faut faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions des représentants du ministre dans l’exercice de leurs pouvoirs en matière humanitaire, dans la décision Ogunyinka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 595, au paragraphe 19 où le juge cite l’arrêt Baker, au paragraphe 62 :

[O]n devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle [paragraphe 25(1) de la LIPR] d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi.

[11]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[12]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

[13]  J’ai trouvé la citation suivante aux paragraphes 28 et 29 de la décision Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27 Nguyen), qui porte sur le contrôle judiciaire des décisions des représentants du ministre sur des questions d’ordre humanitaire :

[2]  Il n’est pas demandé à la Cour de réévaluer la preuve, et elle ne saurait le faire de toute façon. Un contrôle judiciaire n’est pas une occasion de remettre en litige l’affaire entendue par l’instance inférieure, et il ne s’agit nullement d’un nouveau procès. La question primordiale n’est pas de savoir si la décision de première instance est juste ou non, mais plutôt si elle est raisonnable ou déraisonnable. La question clé consiste à savoir si la décision de l’agent appartient aux issues acceptables au regard des faits et du droit.

[3]  En adoptant l’article 25 de la LIPR, le législateur a conféré au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir et la responsabilité d’appliquer la norme juridique appropriée et d’arriver, dans les affaires fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, à une décision qui est raisonnable, selon la définition qu’en donne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Le ministre a délégué ce pouvoir à des agents CH afin que ces derniers puissent prendre de telles décisions en son nom. Selon la jurisprudence, tant le ministre que ses agents délégués jouissent à cet égard d’un pouvoir exceptionnel et hautement discrétionnaire. Leur pouvoir appelle une retenue considérable de la part de la Cour.

[14]  En tenant compte de ces facteurs, j’examinerai les questions relatives aux considérations d’ordre humanitaire comme l’a conclu le représentant du ministre, notamment l’établissement, le risque et les conditions défavorables dans le pays d’origine, ainsi que l’intérêt supérieur des enfants.

Établissement

[15]  Le représentant du ministre a accordé un poids favorable à l’engagement communautaire et auprès de l’église des demandeurs, au fait qu’ils n’avaient jamais demandé l’aide sociale, aux relations d’amitié qu’ils ont créées au Canada et au travail bénévole de la demanderesse principale. Le représentant du ministre a accordé peu de poids à l’engagement communautaire de M. Robert parce qu’il n’a fourni aucun document à l’appui de cet engagement. Le représentant du ministre a également reconnu la réussite et l’engagement scolaires des enfants, facteur auquel il a aussi accordé un certain poids favorable. Je suis d’avis que le dossier permettait de tirer ces conclusions.

[16]  Le représentant du ministre a accordé un [traduction] « poids fort défavorable » à la question de l’emploi au Canada des demandeurs adultes en raison du fait que ni l’un ni l’autre des demandeurs adultes n’avaient été titulaires de permis de travail valides au Canada – l’un d’eux travaillait depuis six ans et l’autre, depuis quatre ans – et aucun d’entre eux n’a déposé de relevés bancaires ou de documents fiscaux. Même si les demandeurs ont critiqué sévèrement cette conclusion, je suis d’avis qu’elle englobait une appréciation et une évaluation des éléments de preuve qu’il revient au représentant du ministre d’apprécier et d’évaluer, et à l’égard desquels il faut faire preuve d’une retenue considérable, comme je l’ai indiqué précédemment. Il est bien connu qu’il revient à ces tribunaux d’évaluer et d’apprécier les éléments de preuve. Je suis d’avis qu’il était loisible au représentant du ministre de procéder à cette évaluation et d’arriver à cette conclusion compte tenu du dossier

[17]  Le représentant du ministre a également accordé un poids défavorable au fait que les deux demandeurs n’ont pas tenté de régulariser leur statut d’immigration. Il appert du dossier qu’il a fallu l’arrestation de la demanderesse principale six ans après son arrivée au Canada (et quatre ans suivant l’arrivée de M. Robert) pour que les demandeurs tentent de régulariser leur statut d’immigration. Le représentant du ministre a fait remarquer avec raison que peu d’explications avaient été fournies quant à la raison pour laquelle ils ont attendu aussi longtemps.

[18]  Comme on peut le constater, l’évaluation de l’établissement comportait des facteurs positifs et négatifs. Je ne constate aucun facteur ayant préséance sur les autres, et les arguments contraires des demandeurs ne me convainquent pas. Le représentant du ministre a dûment tenu compte de « tous » les facteurs, comme l’exige l’arrêt Kanthasamy. Les demandeurs ne souscrivent pas à l’évaluation de l’un des nombreux facteurs, mais je suis d’avis qu’il ne s’agissait pas d’un facteur déterminant de l’évaluation de l’établissement ni de la décision dans son ensemble.

Risque et conditions défavorables dans le pays d’origine

[19]  Le représentant du ministre a tenu compte des lettres de divers médecin concernant la leucémie dont est atteint M. Robert, mais il n’était pas convaincu que M. Robert devrait demeurer au Canada où il a accès au médicament Gleevec ou à son équivalent. Le représentant du ministre indique que le Dr E. Cheng a déclaré [traduction] « il a obtenu d’excellents résultats grâce au médicament Gleevec antérieurement, alors qu’il se trouvait dans les Caraïbes ». Je suis d’avis que le représentant du ministre a raisonnablement conclu que cette déclaration indique que M. Robert a reçu un traitement médical adéquat à Sainte-Lucie; il reste qu’il allait bien et qu’il prenait le médicament Gleevec à Sainte-Lucie lorsqu’il a décidé de partir pour le Canada.

[20]  Le représentant du ministre a accordé peu de poids à l’argument du Dr Ramsaroop selon lequel [traduction] « il est peu probable qu’il ait accès à un “médicament essentiel à sa survie” dans son pays d’origine » parce que d’autres déclarations ont été faites au sujet du fait que M. Robert avait pris le médicament Gleevec pendant de nombreuses années en obtenant « d’excellents résultats » (tel que je viens de l’indiquer) avant son entrée au Canada. Il était également loisible au représentant du ministre de tirer cette conclusion, le Dr Ramsaroop n’étant pas un expert en soins médicaux à Sainte-Lucie.

[21]  Dans une lettre d’un expert oncologue, le Dr Gabriel, à Sainte-Lucie, celui-ci a indiqué que [traduction] « il faudrait entre trois et six mois pour obtenir ce médicament si Dean Robert retourne à Sainte-Lucie ». Le représentant du ministre a reconnu comme expert le Dr Gabriel, mais il a, de façon incohérente, accordé peu de poids à son témoignage sur la chronologie parce qu’ [traduction] « il n’indique pas qu’il a consulté des documents secondaires sur la situation à Sainte-Lucie », de sorte que les « éléments de preuve ne suffisaient pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était une autorité en matière de chronologie médicale ». Je suis d’avis que cette conclusion était déraisonnable. Aucun élément de preuve ni aucune explication n’ont été présentés voulant que les experts oncologues à Sainte-Lucie soient tenus d’étayer leur opinion professionnelle en tant que médecins au moyen de telles sources supplémentaires. Le représentant du ministre avait reconnu le Dr Gabriel comme un expert dans son domaine, et ce dernier devait être considéré comme étant en mesure de témoigner dans les limites de son expertise, comme je conclus qu’il la fait.

[22]  Le représentant du ministre avait souligné antérieurement l’omission des deux demandeurs adultes de déposer des renseignements bancaires ou fiscaux. Ce facteur est devenu pertinent lorsque le représentant du ministre a conclu qu’en l’absence de cet élément de preuve, il n’était pas suffisamment établi que M. Robert ne pouvait pas prendre d’autres dispositions en matière de santé au cours de ces trois à six premiers mois à Sainte-Lucie. Encore une fois, le dossier permettait au représentant du ministre de tirer cette conclusion.

[23]  Le représentant du ministre a accordé peu de poids aux déclarations de la demanderesse principale selon lesquelles elle subvenait aux besoins de sa mère à Sainte-Lucie, étant saisi de très peu d’éléments de preuve à cet égard, comme des reçus pouvant établir dans quelle mesure la demanderesse principale aidait sa mère ou encore leur impossibilité à continuer de l’aider advenant un retour à Sainte-Lucie. Cette conclusion n’a pas été contestée.

[24]  Il est admis, dans la décision, que les demandeurs éprouveraient des difficultés de réadaptation à leur retour à Sainte-Lucie, mais il y est indiqué que la demanderesse principale et M. Robert y ont maintenu un emploi stable à long terme avant leur départ et qu’ils avaient de plus acquis de nouvelles compétences polyvalentes depuis leur arrivée au Canada. Le représentant du ministre conclut que rien n’indique qu’à leur retour, ils ne seraient pas en mesure de vivre avec des membres de leur famille, du moins temporairement. De plus, grâce aux réseaux sociaux, ils pourraient rester en communication avec leurs contacts au Canada. Ces conclusions sont étayées par le dossier et il était loisible au représentant du ministre de les tirer.

Intérêt supérieur des enfants

[25]  Dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, le représentant du ministre reconnaît que le Canada offre un style de vie et des possibilités futures qui sont généralement considérés comme plus souhaitables que ce qu’offre Sainte-Lucie, et que dans une certaine mesure, les deux enfants s’étaient établis au Canada. Il a néanmoins conclu qu’ils ne sont pas à ce point intégrés à la société canadienne ni que la situation qui règne à Sainte-Lucie est si mauvaise que le fait d’accompagner leurs parents à Sainte-Lucie compromette grandement leur bien-être. En outre, les années scolaires à Sainte-Lucie et au Canada sont à peu près semblables en ce sens qu’elles commencent en septembre et se terminent en juin et, par conséquent, un déménagement à Sainte-Lucie n’interromprait pas nécessairement leur éducation. Le représentant du ministre précise que le taux de chômage chez les jeunes à Sainte-Lucie est plus élevé que celui au Canada. Toutefois, l’adolescente semble extrêmement intelligente et débrouillarde et, si elle a besoin d’aide dans sa recherche d’un emploi, elle a des parents qui la soutiennent beaucoup et qui sont susceptibles de l’aider.

[26]  Le représentant du ministre a indiqué qu’il avait peu de renseignements indiquant que les demandeurs soutenaient financièrement les jumelles de M. Robert, résidant à Sainte-Lucie. Il reconnaît que les jumelles ont vécu à Sainte-Lucie toute leur vie et qu’il n’était saisi d’aucun élément de preuve indiquant qu’elles étaient intéressées à déménager au Canada. Finalement, le représentant du ministre conclut qu’il est dans l’intérêt supérieur des jumelles de demeurer à Sainte-Lucie. Le décideur pouvait tirer chacune de ces conclusions.

[27]  Les demandeurs soutiennent que l’évaluation des répercussions du départ sur l’adolescente était inadéquate compte tenu de l’arrêt Kanthasamy. Cependant, cet argument n’est pas un motif pour faire un reproche au représentant du ministre parce qu’en fait, les demandeurs, qui avaient l’obligation et le fardeau de prouver cette thèse, n’avaient déposé aucun élément de preuve à cet égard. En l’espèce, ils n’y sont pas parvenus.

[28]  Je suis d’avis que dans l’évaluation, l’intérêt supérieur des enfants a été pris en compte par rapport aux faits de l’espèce. Le représentant du ministre était clairement attentif et sensible aux enfants et à leur situation, que ce soit au Canada ou à Sainte-Lucie. Il a estimé qu’il était dans leur intérêt supérieur de demeurer avec leurs parents. Même si elle est peut-être mal formulée, il était loisible à l’agent de tirer la conclusion suivante concernant l’intérêt supérieur des enfants : [traduction] « Vu qu’il semble être contraire à l’intérêt supérieur des demandeurs mineurs d’être séparés de leurs parents aimants, je conclus qu’il est en quelque sorte dans l’intérêt supérieur des enfants de rester au Canada et qu’il est dans leur intérêt supérieur de demeurer avec les demandeurs adultes ». Comme il était tenu et qu’il avait le droit de le faire, le représentant du ministre a conclu que le poids accordé à l’intérêt supérieur des enfants ne suffisait pas à justifier une exemption en raison de l’insuffisance des éléments de preuve établissant une incidence négative sur les enfants susmentionnés si les demandeurs quittaient le Canada.

[29]  Quant à la situation à Sainte-Lucie, il conclut que les demandeurs n’ont pas établi une difficulté exceptionnelle compte tenu de leurs antécédents professionnels à Sainte-Lucie. Le représentant du ministre a conclu qu’il y avait peu de raisons pour lesquelles la demanderesse principale et M. Robert ne pourraient pas s’établir, dans une certaine mesure, dans un endroit où ils pourraient subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leurs enfants. J’estime que cette conclusion n’est pas attaquable.

[30]  En prenant du recul, en examinant l’affaire dans son ensemble et en gardant à l’esprit que le contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, à la recherche d’une erreur, je conclus que la décision du représentant du ministre est justifiée, transparente et intelligible, en dépit de l’évaluation déraisonnable que le représentant a faite du témoignage du Dr Gabriel. En toute déférence, l’argument selon lequel la décision relative à la longue durée de la situation d’emploi sans les permis requis était un facteur déterminant de cette décision à volets multiples fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est sans fondement.

[31]   J’ai conclu que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicables en l’espèce, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir. Par conséquent, le contrôle judiciaire doit être rejeté.

Les demandeurs ont proposé de certifier une question quant à la conclusion selon laquelle leur expérience de travail, un facteur d’établissement, s’est vue accorder un « fort poids défavorable ». Le ministre s’est opposé à la certification après avoir reçu des directives. Je suis d’avis que cette question n’est pas appropriée aux fins de certification parce que je ne la considère pas comme déterminante, mais plutôt comme l’un des nombreux facteurs pris en compte. Par conséquent, et quoi qu’il en soit, cette question se rapporte aux faits de l’espèce et n’est pas de portée générale. Voir, de façon générale, Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994), 176 NR 4, aux paragraphes 4 à 6; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, aux paragraphes 7 à 10; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Zazai, 2004 CAF 89 aux paragraphes 11 et 12.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, sans aucune question à certifier et aucune ordonnance quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1096-17

 

INTITULÉ :

SHARON HERMAN, DEAN ROBERT, KAYSHA HERMAN, AVERY ROBERT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 SEPTEMBRE 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 SEPTEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

Talia Joundi

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law

Avocats

Toronto (Ontario)

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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