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Date : 20170913


Dossier : IMM-86-17

Référence : 2017 CF 829

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

ERIC WILLIAM ENDRES

MELGEORG JACOBUS DE LANGE

ANNATJIE DE LANGE

SONJA ENDRES

ANDREW ENDRES

JENNIFER ENDRES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 16 novembre 2016, par laquelle a été rejetée la demande d’asile des demandeurs au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

II.  Contexte

[2]  Les faits pertinents en l’espèce se résument comme suit. Les demandeurs sont six membres de la même famille : Eric Williams Endres et Sonja Endres sont mari et femme. Andrew et Jennifer Endres sont leurs enfants mineurs (les demandeurs mineurs) et Melgeorg Jacobus De Lange et Annatjie De Lange sont les parents de Mme Endres. Ils sont tous des Sud-Africains blancs qui prétendent être exposés à un risque de persécution en raison de leur race.

[3]  Les parents de Mme Endres ont été les premiers à quitter l’Afrique du Sud. Ils se sont rendus au Brésil le 1er septembre 2009. Du Brésil, ils se sont rendus au Bélize. Le reste de la famille a quitté l’Afrique du Sud six ans plus tard, en juillet 2015. Ils ont rejoint M. et Mme De Lange au Bélize, puis ils ont rejoint les membres de la famille qui habitent au Canada. Ils ont tous traversé la frontière le 14 avril 2016 en qualité de visiteurs et ils ont présenté leur demande d’asile le 24 avril 2016.

[4]  La demande présentée par les demandeurs est fondée sur plusieurs d’incidents qui sont survenus entre 1995 et 2014 :

  • a) En 1995, M. De Lange a été victime d’un détournement de voiture et il ne s’en est jamais remis. La police n’a dressé aucun rapport, car M. De Lange n’était pas en mesure de décrire les personnes impliquées dans l’incident.

  • b) En 2004, Mme Endres et Mme De Lange, alors qu’elles vivaient dans une ferme, ont été agressées par quatre hommes noirs, qui ont envahi leur maison et qui les ont dépouillées de leurs biens. C’est Mme De Lange qui a chassé les hommes. Mme Endres et Mme De Lange ont signalé l’incident à la police, mais n’ont pas été en mesure d’identifier les agresseurs.

  • c) En 2013, la maison des Endres a été cambriolée. L’incident a été signalé, mais la police était trop occupée pour donner suite à l’affaire.

  • d) En 2014, la voiture de Mme De Lange a été volée devant sa maison. La police a retourné le véhicule le même jour, un témoin lumineux brisé.

  • e) Une fois de plus, en 2014, trois hommes noirs non identifiés ont tenté de voler le téléphone cellulaire de Mme Endres, alors qu’elle travaillait dans un club vidéo. La société de sécurité employée par le club vidéo est arrivée sur les lieux avant la police. Les agresseurs se sont échappés et n’ont pas été retrouvés.

[5]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils étaient des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. Plus précisément, elle a rejeté l’allégation selon laquelle la situation des demandeurs comportait un lien avec la Convention du fait qu’ils étaient des Sud‑Africains, plus précisément des Afrikaners. La Section de la protection des réfugiés a conclu qu’aucun élément de preuve fiable n’appuyait l’allégation voulant que les demandeurs aient été attaqués en raison de leur race. La Section de la protection des réfugiés a plutôt conclu qu’il était plus probable qu’improbable que les demandeurs aient été ciblés aléatoirement ou que les agresseurs les aient visés pour obtenir illégalement leurs possessions.

[6]  En ce qui concerne l’élément lié à l’article 97 de leur demande, la Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs étaient exposés à des risques criminels au même titre que la population en Afrique du Sud en général, et qu’il n’y avait aucun élément de preuve convaincant démontrant qu’ils seraient exposés à un risque personnalisé ou individualisé pour leur vie s’ils devaient retourner dans ce pays. En tirant cette conclusion, la Section de la protection des réfugiés a signalé que les allégations de persécution des demandeurs contenaient des événements sporadiques et peu fréquents sur une période de 20 ans.

[7]  Enfin, la Section de la protection des réfugiés a conclu que, même si une analyse complète de la protection de l’État n’était pas requise, puisque les demandeurs n’avaient pas réussi à établir qu’ils seraient exposés à un risque à l’avenir s’ils retournaient en Afrique du Sud, la présomption selon laquelle la protection de l’État existe pour eux dans ce pays n’a pas été réfutée par des éléments de preuve clairs et convaincants.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[8]  Les quatre demandeurs adultes ne contestent pas ces conclusions. Le seul motif – et la seule question en litige – de la présente procédure de contrôle judiciaire consiste à déterminer si la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur susceptible de révision en omettant de traiter la demande des demandeurs mineurs. Il est bien établi qu’une telle question, qui soulève des questions mixtes de fait et de droit, doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51; Nava Flores c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1147, aux paragraphes 25 à 27; Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 274, au paragraphe 33).

IV.  Analyse

[9]  Les demandeurs soutiennent que la Section de la protection des réfugiés n’a pas examiné les allégations selon lesquelles :

  • a) Les enfants ne peuvent pas jouer dans les parcs et être en sécurité en Afrique du Sud.

  • b) Le jeune garçon, Andrew, a été intimidé à l’école pendant plus de deux ans et il a dû être retiré de l’école.

  • c) Mme Endres craignait de marcher avec ses enfants, car elle croyait qu’ils pouvaient être agressés, violés ou tués.

  • d) M. Endres croyait que des membres sa famille seraient tués ou gravement blessés, car ils sont blancs.

  • e) M. Endres veut inscrire ses enfants dans une école où la couleur de la peau ne pose pas problème.

  • f) M. Endres croit que ses enfants devront lutter pour leur vie dès leur retour en Afrique du Sud.

[10]  Les demandeurs font valoir qu’il s’agit de questions importantes à examiner, compte tenu des instruments de droit international relatifs aux droits de l’enfant. Ils affirment que ces questions, qui ont été répétées maintes fois et de différentes façons, font intervenir le droit à l’éducation, le droit de jouer ainsi que la sécurité générale des demandeurs mineurs, et qu’elles devaient être examinées conjointement pour trancher si elles équivalaient à de la persécution. À ce titre, ils font valoir que la Section de la protection des réfugiés a entièrement échoué à décider si les deux enfants seraient exposés à de la persécution du fait qu’ils font partie d’un groupe social particulier, à savoir les « enfants ». Cela, soutiennent-ils, est inexcusable et justifie l’intervention de la Cour.

[11]  Le défendeur fait valoir que la Section de la protection des réfugiés n’a pas omis d’examiner la situation des demandeurs mineurs. Le défendeur soutient que le risque qui concerne les enfants était soit [traduction] « tellement vague qu’il relevait des conclusions de [la Section de la protection des réfugiés] sur les “risques généralisés” ou était fondé sur des documents de propagande manifestement raciste qui ne justifiaient ni l’examen ni l’attention de [la Section de la protection des réfugiés] » (mémoire du défendeur, au paragraphe 14). Il soutient, en outre, que les allégations de risque auquel seraient exposés les enfants formulées par les demandeurs adultes sont des affirmations générales sur les risques auxquels ces demandeurs sont également exposés, à savoir le risque de crime généralisé en Afrique du Sud. Dans sa forme actuelle, la conclusion de la Section de la protection des réfugiés concernant le risque englobe aussi bien les enfants que leurs parents et leurs grands-parents.

[12]  Plus particulièrement, en ce qui a trait aux allégations selon lesquelles les demandeurs mineurs courraient le risque d’être violés, le défendeur soutient que ces allégations sont sans fondement et hautement offensantes, car la documentation sur la situation dans le pays sur laquelle elle s’appuie est de la littérature haineuse issue de groupes militant pour la suprématie blanche. Il soutient qu’il était donc raisonnable que la Section de la protection des réfugiés fasse totalement fi de cet article.

[13]  Le défendeur réfute également l’argument des demandeurs selon lequel le fils de M. et de Mme Endres, Andrew, a dû être retiré de l’école pendant deux ans parce qu’il était victime d’intimidation, car aucun élément de preuve n’indique qu’Andrew a réellement été retiré de l’école. Le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) de Mme Endres indique plutôt qu’Andrew refusait d’aller à l’école parce qu’il y était victime d’intimidation. De plus, un bulletin de troisième année indique qu’il était inscrit à l’école et qu’il l’a fréquentée jusqu’au départ de la famille de l’Afrique du Sud. Par conséquent, le défendeur soutient qu’aucun élément de preuve ne démontre qu’Andrew a été privé de son droit à l’éducation.

[14]  Le défendeur affirme également que les demandeurs n’ont jamais soutenu dans leurs observations écrites et orales auprès de la Section de la protection des réfugiés que les demandeurs mineurs seraient exposés à de la persécution du fait d’être membres du groupe social particulier des « enfants ». Cet argument a été présenté par leur nouvel avocat dans le contexte des présentes procédures de contrôle judiciaire. En fait, le formulaire FDA d’Andrew indiquait que sa demande était [traduction] « fondée sur les mêmes renseignements » que ses parents, et le formulaire FDA de Jennifer était sans substance. L’essence de la demande présentée par les demandeurs a toujours été que les Blancs étaient en danger en Afrique du Sud, mais pas parce que ce pays constitue un danger pour les adultes blancs et que les demandeurs mineurs sont exposés à des risques du fait d’appartenir à un groupe social distinct.

[15]  Cependant, le principal argument du défendeur est que le défaut des demandeurs de réfuter la présomption de protection de l’État dispose entièrement de leur demande d’asile, peu importe que la Section de la protection des réfugiés ait omis ou non d’examiner précisément les risques que pourraient encourir les demandeurs mineurs à leur retour en Afrique du Sud. Il signale à cet égard que les demandeurs n’ont même pas tenté de contester la conclusion de la Section de la protection des réfugiés relative à la protection de l’État.

[16]  Je retiens que la disponibilité de la protection de l’État dispose de la demande des demandeurs mineurs. Il est bien établi en droit que la responsabilité à l’égard d’un réfugié incombe d’abord à l’État dont le réfugié est un citoyen. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 709 [Ward] :

Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée. C’est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [traduction] « protection auxiliaire ou supplétive » fournie uniquement en l’absence de protection nationale; voir The Law of Refugee Status (1991), à la page 135. [...]

[17]  Il est également établi en droit qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il faut présumer qu’un État est en mesure de protéger ses citoyens et que cette présomption peut uniquement être réfutée au moyen d’une preuve claire et convaincante (Ward, au paragraphe 57; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 29 [Ruszo]).

[18]  Comme je viens de le souligner, les demandeurs ne contestent pas la conclusion de la Section de la protection des réfugiés voulant qu’ils n’aient pas réussi à présenter des éléments de preuve clairs et convaincants que les autorités ne peuvent pas les protéger en Afrique du Sud. Un examen du dossier montre en outre qu’il ne contient aucune mention de problèmes particuliers relatifs à la capacité de l’Afrique du Sud à protéger ses enfants. Pendant l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, Mme Enders a indiqué qu’elle était préoccupée à propos de ses enfants et de leur sécurité, alors que M. Endres a indiqué qu’il [traduction] « trouve très difficile de vivre dans un endroit où ses enfants ne peuvent pas jouer dans la cour avant sans supervision » (dossier certifié de la Cour, à la page 861). Ni l’un ni l’autre n’a cependant abordé la question de la protection de l’État pour leurs enfants. À la fin de l’audience, la Section de la protection des réfugiés a invité l’ancien avocat des demandeurs à présenter des observations relatives à la question de la protection de l’État. Ces observations ont été déposées le 7 novembre 2016, mais elles ne contenaient aucun nouveau renseignement relatif à la protection de l’État et ne font même aucune mention des enfants.

[19]  À l’audience, dans le cadre des présentes procédures de contrôle judiciaire, l’avocat actuel des demandeurs a insisté sur le fait que la conclusion de la Section de la protection des réfugiés relative à la protection de l’État n’était pas nécessairement applicable aux demandeurs mineurs, car les enfants sont fondamentalement plus vulnérables que les adultes et que, par conséquent, une protection de l’État adéquate pour les adultes sud-africains ne constitue pas nécessairement une protection de l’État adéquate pour les enfants sud-africains.

[20]  L’argument avancé sur ce point doit être rejeté. Il incombait aux demandeurs de démontrer, au moyen des éléments de preuve clairs et convaincants, que l’Afrique du Sud n’est pas en mesure d’offrir une protection adéquate aux demandeurs mineurs (Ruszo, au paragraphe 29). Comme nous l’avons vu, cette demande n’a même pas été présentée, et encore moins prouvée, devant la Section de la protection des réfugiés et il n’y avait certainement aucune obligation de la part de la Section de la protection des réfugiés de le découvrir par elle-même.

[21]  Cela est, à mon avis, fatal à la présente demande de contrôle judiciaire.

[22]  La demande de contrôle judiciaire des demandeurs a été déposée tardivement. Or, vu ma conclusion selon laquelle leur demande devait être rejetée, il n’est pas nécessaire de décider si une prorogation du délai est justifiée en l’espèce.

[23]  Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-86-17

 

INTITULÉ :

ERIC WILLIAM ENDRES, MELGEORG JACOBUS DE LANGE, ANNATJIE DE LANGE, SONJA ENDRES, ANDREW ENDRES, JENNIFER ENDRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juillet 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alexander Menticoglou

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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