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Date : 20170911


Dossier : IMM-1416-17

Référence : 2017 CF 820

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

HARDEEP SINGH BRAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire rendue par la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 10 mars 2017, par laquelle le commissaire a conclu que les préoccupations du demandeur concernant la Charte ne devraient pas être prises en compte lors de son enquête en admissibilité et que la Section de l’immigration n’entendrait pas d’arguments ou n’examinerait pas d’éléments de preuve concernant la Charte pendant cette audience.

II.  Contexte

[2]  Le demandeur est originaire de l’Inde et est devenu un résident permanent du Canada en 1998, à l’âge de 15 ans. Il n’est pas citoyen canadien.

[3]  Le demandeur a plaidé coupable à des accusations criminelles portées contre lui aux États-Unis pour complot en vue de faire le trafic de cocaïne, et il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 24 mois. Cette condamnation pénale était liée au trafic de 15 kilogrammes de cocaïne destinés à la revente au Canada. Après avoir purgé sa peine, les autorités américaines ont expulsé le demandeur vers l’Inde. À son retour au Canada, il a divulgué à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à l’aéroport international de Vancouver les détails concernant ses antécédents criminels.

[4]  D’autres faits saillants, pertinents dans le cadre de la présente demande, sont clairement énoncés aux paragraphes 8 à 12 des motifs du contrôle judiciaire de la décision de renvoi visant à statuer sur l’admissibilité du demandeur au Canada, décision rendue par la juge Anne Mactavish dans l’affaire Brar c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2016 CF 1214 [Brar] :

[8]  M. Brar a ultérieurement reçu un avis indiquant que les rapports pourront être préparés afin de le déclarer interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, pour criminalité organisée et pour participation à un crime transnational. Il a été interrogé par l’agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’ASFC et a eu l’occasion de présenter ses observations écrites à l’agent avant qu’une décision soit prise quant à la question de savoir s’il devait ou non être renvoyé à une enquête. Au soutien de sa demande de ne pas être renvoyé à une enquête, M. Brar et son avocat ont donné à l’agent plusieurs séries d’observations et des documents à l’appui sur une période de trois années et demie.

[9]  Entre autres, M. Brar a soutenu que même si son infraction était grave, elle n’avait impliqué ni violence ni armes à feu. Plusieurs années sont passées depuis son unique infraction pénale et il n’a participé à aucune autre activité criminelle. Un rapport d’un psychologue fourni par M. Brar a, en outre, indiqué qu’il présentait un risque de récidive faible. M. Brar a aussi indiqué qu’il est venu au Canada quand il était enfant, qu’il a vécu au Canada pendant plusieurs années, et qu’il avait peu de liens avec l’Inde. Tous les membres de la famille immédiate de M. Brar, y compris son épouse, étaient au Canada et il occupait un emploi rémunéré.

[10]  Une décision initiale de renvoyer M. Brar en vue d’une enquête a été annulée sur consentement, après qu’il eut demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Après avoir reçu d’autres observations de M. Brar, l’agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs a une fois de plus recommandé qu’il soit renvoyé à une enquête en lien avec sa grande criminalité, ainsi que sa participation à la criminalité organisée et au crime transnational. Un représentant du ministre a ultérieurement adopté cette recommandation et renvoyé le cas de M. Brar à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et c’est cette décision qui sous-tend la présente demande de contrôle judiciaire.

[11]  M. Brar n’a jamais prétendu qu’il serait exposé à un risque s’il retournait en Inde. Il a en outre reconnu qu’il était interdit de territoire au Canada à la suite de sa condamnation américaine pour trafic de stupéfiants et qu’il serait inévitablement jugé interdit de territoire par la Section de l’immigration. Il relève, cependant, que si son cas est soumis à une enquête, la Section de l’immigration n’aura pas de compétence en équité pour tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire avant de prendre une mesure de renvoi contre lui.

[12]  De plus, comme la peine pour l’infraction de M. Brar aurait pu dépasser 10 ans si l’infraction avait été commise au Canada, il n’a pas le droit d’interjeter appel de décision de la Section de l’immigration auprès de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. M. Brar est aussi définitivement interdit d’invoquer les motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, parce qu’il est interdit de territoire au Canada en vertu de l’article 37 de la Loi pour criminalité organisée et crime transnational. En conséquence, le seul moment où les motifs d’ordre humanitaire de M. Brar peuvent être examinés est à l’étape du renvoi.

[5]  Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de renvoi à une enquête au titre du paragraphe 44(2).

[6]  Lorsque le demandeur a présenté la demande de contrôle judiciaire, il a reconnu qu’il était interdit de territoire, mais a fait valoir que ses droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte) avaient été violés en raison du défaut (allégué) de procéder à une analyse de la proportionnalité.

[7]  La juge Mactavish, dans l’affaire Brar, précitée, a rejeté la demande de contrôle judiciaire du demandeur pour les motifs suivants :

  1. Le demandeur a reconnu qu’il était interdit de territoire à la suite de sa condamnation pour trafic de stupéfiants et qu’il serait inévitablement jugé interdit de territoire par la Section de l’immigration, à moins qu’il puisse bénéficier d’une mesure discrétionnaire à l’étape concernant l’article 44.
  2. En invoquant la jurisprudence, y compris celle de la Cour suprême du Canada, la Cour a refusé de conclure que les droits du demandeur garantis par l’article 7 de la Charte étaient en jeu; subsidiairement, la Cour a conclu qu’il n’y avait eu aucune violation de la justice fondamentale.
  3. La considération et la pondération discrétionnaires de la situation personnelle à l’étape concernant l’article 44 ont en l’espèce été jugées conformes à une « évaluation de la proportionnalité », en tenant compte des arguments du demandeur portant sur la Charte et le droit international.
  4. La décision de renvoyer le demandeur à une enquête devant la Section de l’immigration « était tout à fait raisonnable ». Le demandeur a eu l’occasion de présenter des observations quant à sa situation personnelle méritant de la compassion et il a présenté de nombreuses et longues observations; il n’a soulevé aucun autre argument qu’il souhaitait être pris en compte. La Cour a observé que la simple réévaluation de la preuve dépassait la portée du contrôle judiciaire.

[8]  Aucune question n’a été certifiée aux fins d’un appel.

[9]  En procédant à l’enquête devant la Section de l’immigration, le demandeur a avancé encore une fois des arguments concernant l’article 7 de la Charte. L’avocat du ministre s’est opposé à ce que le demandeur demande au tribunal de débattre à nouveau de la même question relevant de la Charte, qui a déjà été tranchée par la juge Mactavish de notre Cour et a demandé, en outre, d’enjoindre au demandeur de respecter ses aveux d’interdiction de territoire.

[10]  La Section de l’immigration a décidé que ni l’article 7 ni l’article 12 de la Charte n’étaient en jeu à l’étape de l’enquête et elle a refusé de permettre au demandeur de reprendre son argumentaire fondé sur la Charte.

[11]  Cette décision interlocutoire rendue par la Section de l’immigration le 10 mars 2007 fait l’objet de la présente demande d’autorisation de contrôle judiciaire présentée par le demandeur.

III.  Question en litige

Objections préliminaires :

  1. Le demandeur a-t-il le droit de demander le contrôle judiciaire d’une ordonnance interlocutoire?
  2. En sollicitant le présent contrôle judiciaire, le demandeur conteste-t-il indirectement le jugement de la juge Mactavish rendu le 2 novembre 2016?

Questions en litige si les objections préliminaires sont écartées :

  1. Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a refusé au demandeur le droit de déposer des éléments de preuve pour établir que l’article 7 de la Charte était en jeu dans les procédures d’enquête à laquelle il était soumis?
  2. Convient-il de tenir compte de l’application de fond de l’article 12 de la Charte à l’étape de la décision concernant l’admissibilité au Canada?

IV.  Norme de contrôle

[12]  Sous réserve de la mise à l’écart des objections préliminaires, la norme de contrôle applicable à l’examen d’une demande d’autorisation de contrôle judiciaire est celle de savoir si l’un des arguments du demandeur concernant le caractère applicable des articles 7 et 12 de la Charte pendant l’enquête soulève un moyen raisonnablement défendable.

[13]  Les questions liées à l’interprétation d’une loi constitutive sont susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable et les questions constitutionnelles le sont selon la norme de la décision correcte.

V.  Analyse

[14]  Le demandeur soutient que si l’on étudie attentivement la jurisprudence pertinente, lorsque la question dont la Cour est saisie constitue une affirmation selon laquelle le demandeur sera soumis à la torture ou à d’autres formes de traitement cruel inhumain et dégradant, il convient d’évaluer les questions relevant de l’article 7 de la Charte à l’étape de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) ou, dans le cas d’un réfugié au sens de la Convention, lorsque l’avis de danger est établi. Je suis d’accord.

[15]  Toutefois, le demandeur soutient également que, dans un cas comme celui dont notre Cour est présentement saisie, où les questions ne portent pas sur la torture après le renvoi, mais plutôt sur la question de l’incidence de l’expulsion sur un résident de longue date qui n’a pas le droit de présenter une demande pour motifs d’ordre humanitaire ou d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration, le seul tribunal où les questions relevant de la Charte peuvent être débattues est devant la Section de l’immigration. En l’espèce, l’article 7 de la Charte entre en jeu par le processus d’expulsion et le demandeur devrait avoir le droit de déposer devant la Section de l’immigration des éléments de preuve relatifs à cette question.

[16]  De même, le demandeur fait valoir que la Section de l’immigration devrait également tenir compte de l’article 12 de la Charte, puisqu’il serait grossièrement disproportionné de le renvoyer vers un pays où il n’a pas vécu depuis sa tendre enfance, étant donné qu’il serait séparé de sa famille, de son réseau de soutien et du pays où il a vécu depuis de nombreuses années, entraînant ainsi un traitement, ou une peine, cruel et inusité.

[17]  Le demandeur reconnaît que si je décide qu’il faut suivre l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711 [Chiarelli], l’argument fondé sur l’article 12 de la Charte est irrecevable.

[18]  Le défendeur soutient que le droit indique clairement qu’une décision quant aux droits de fond garantis par l’article 7 ou 12 de la Charte à l’étape du renvoi à une enquête est prématurée; puisqu’une question concernant une décision interlocutoire a déjà été tranchée par la juge Mactavish dans le cas présent et que, par conséquent, il s’agirait d’une contestation indirecte de sa décision; quoi qu’il en soit, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont déjà toutes les deux décidé que ce serait prématuré; et ce serait futile puisque la juge Mactavish a déjà décidé, après avoir mené un contrôle judiciaire complet qu’une [traduction] « évaluation de la proportionnalité a été effectuée de manière suffisante et raisonnable ».

A.  Objections préliminaires – Article 7

[19]  Comme que je l’ai indiqué à l’avocat du demandeur pendant l’audience, je suis d’accord avec le défendeur à propos du fait que la juge Mactavish a rejeté l’argument du demandeur fondé sur l’article 7 de la Charte, sinon explicitement, du moins implicitement, lorsqu’elle a conclu qu’elle avait de sérieux doutes que l’article 7 de la Charte était en jeu à l’étape du renvoi à une enquête, selon une jurisprudence bien établie (Brar, précité, aux paragraphes 21 à 26; B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, aux paragraphes 74 et 75; JP c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CAF 262, aux paragraphes 120 à 125).

[20]  Je conclus donc que faire valoir maintenant l’argument fondé sur l’article 7 de la Charte constitue une contestation indirecte de la décision de la juge Mactavish (Hardy (Succession) c Canada (Procureur général), 2015 CF 1151, aux paragraphes 74 et 75; Farhadi c Canada, 2014 CF 926, aux paragraphes 31 et 32).

[21]  De plus, même si l’argument fondé sur l’article 7 de la Charte soulevé en l’espèce n’équivaut pas à une contestation indirecte, il n’est toutefois pas en jeu à l’étape du renvoi à une enquête dans le cas qui nous occupe – la juge Mactavish a déjà décidé qu’il n’y a aucune violation de la justice fondamentale à cet égard.

[22]  Vu ma décision concernant l’article 7 de la Charte pour ce motif, je n’ai pas à examiner la question de savoir si le contrôle judiciaire d’une question interlocutoire peut être effectué puisqu’il se rapporte à la question concernant l’article 7 de la Charte.

B.  Article 12

[23]  L’article 12 de la Charte n’a pas été soulevé devant la juge Mactavish et je conclus donc qu’il n’y a aucune contestation indirecte de sa décision en soulevant cet argument devant moi maintenant. Toutefois, on peut se demander pourquoi cette question est soulevée maintenant alors qu’elle aurait pu l’être devant la juge Mactavish en première instance.

[24]  La Section de l’immigration a conclu qu’il était prématuré d’invoquer les arguments fondés sur l’article 12 de la Charte pour la même raison qu’il est prématuré d’invoquer l’argument fondé sur l’article 7 de la Charte : dans le contexte de l’expulsion, les articles 7 et 12 visent tous deux les conséquences d’un renvoi et la réalisation d’une [traduction] « évaluation de la proportionnalité avant le renvoi ».

[25]  Le défendeur fait valoir que la Section de l’immigration adopte la bonne approche et que, quoi qu’il en soit, le demandeur a bénéficié d’une évaluation exhaustive de la proportionnalité avant le renvoi, que la juge Mactavish a conclu être adéquat et raisonnable (Brar, aux paragraphes 27, 31 à 33) :

[27]   En l’espèce, M. Brar a eu une rencontre individuelle avec l’agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs. Il s’est vu offrir à répétition l’occasion de fournir des observations écrites à l’appui de sa demande de ne pas être renvoyé en vue d’une enquête, et il a fourni à l’agent les nombreuses observations qui avaient été préparées avec l’aide de l’avocat. M. Brar a reçu une ébauche des recommandations préparées par l’agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs aux fins d’examen par le représentant du ministre et il a eu le droit de faire des commentaires sur ces recommandations. Toutes les erreurs dans les rapports provisoires qui ont été relevées par M. Brar ont été corrigées et une analyse approfondie du cas de M. Brar a été fournie au représentant du ministre. Cette analyse est considérée comme faisant partie des motifs du représentant du ministre : Huang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 28, au paragraphe 88, 473 F.T.R. 91.

[31] M. Brar n’a pas identifié d’autres renseignements qu’il n’a pas été en mesure de fournir à l’agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs ou au représentant du ministre qui auraient pu aider sa cause. De plus, il n’a désigné aucun principe de justice fondamentale qui n’a pas été respecté relativement à la décision du représentant du ministre que M. Brar devrait être renvoyé à la Section de l’Immigration en vue d’une enquête.

[32] Essentiellement, M. Brar dit que le représentant du ministre a accordé trop de poids à la gravité de sa condamnation criminelle et n’a pas accordé assez de poids à ses motifs d’ordre humanitaire, et que cela constitue une violation des principes de justice fondamentale. Ce n’est cependant pas le rôle de notre Cour d’usurper le rôle du représentant du ministre et de réévaluer les éléments de preuve pour parvenir à une conclusion différente.

[33] M. Brar soutient aussi dans son mémoire des faits et du droit que le représentant du ministre a tiré certaines conclusions de fait qui n’étaient pas appuyées par les éléments de preuve. Le mémoire des faits et du droit souligne la preuve au dossier qui appuyait les conclusions en question et aucune erreur susceptible de révision n’a été démontrée par M. Brar à cet égard. En effet, le fait que les éléments de preuve tirés du rapport du psychologue soient mentionnés dans l’analyse de l’agent confirme la minutie qui a été appliquée à l’examen des observations de M. Brar.

[26]  Le demandeur soutient que même si je conclus que l’argument fondé sur l’article 7 de la Charte est irrecevable, la Cour peut envisager une autre approche contextuelle quant à savoir si l’article 12 de la Charte peut être pris en compte à l’étape du renvoi à une enquête. Toutefois, ce point de vue est nuancé par la question de savoir si l’arrêt Chiarelli devrait quand même dicter ma décision en tant que jurisprudence ayant force contraignante à l’égard d’une telle conclusion.

[27]  Le demandeur porte à l’attention de la Cour de nombreux facteurs en s’opposant à l’applicabilité continue de l’arrêt Chiarelli puisqu’elle a été tranchée il y a 25 ans :

  1. L’article 12 de la Charte doit être appliqué à la lumière du droit international pertinent (Saskatchewan Federation of Labour c Saskatchewan, [2015] 1 RCS 245, aux paragraphes 62 à 64; Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn c Colombie-Britannique, [2007] 2 RCS 391, aux paragraphes 78 et 79; Ontario (Procureur général) c Fraser, 2011 CSC 20, au paragraphe 92) [Fraser]);
  2. L’article 12 porte sur un « traitement » cruel ou inusité et l’acte d’expulsion constitue un traitement, du début à la fin, qui ne doit pas être segmenté en fonction de ses diverses étapes et il faut l’examiner du point de vue de la personne qui y est soumise (Chiarelli, au paragraphe 29; Canepa c Canada (Minister of Employment and Immigration), [1992] 3 CF 270 (CAF), au paragraphe 19);
  3. Lorsqu’elle examine le droit garanti par l’article 12 de la Charte, la Cour doit décider si les facteurs juridiques d’admissibilité – la criminalité ou la grande criminalité – par rapport aux conséquences juridiques de l’expulsion sur la personne, sont grossièrement disproportionnés. La règle interdisant la grossière disproportion a évolué depuis l’arrêt Chiarelli, mais elle ne s’applique que dans les cas extrêmes où la gravité de l’expulsion (conséquences sur la personne) est grossièrement disproportionnée par rapport à l’objectif de l’expulsion – la sécurité publique (Canada (Procureur général) c Bedford, [2013] 3 RCS 1101, aux paragraphes 105, 120 à 122; Carter c Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, au paragraphes 89 et 90; R c Nur, [2015] 1 RCS 773, aux paragraphes 65 et 118; Canada (MCI) c Harvey, [2013] ACF no 806, aux paragraphes 52 à 54);
  4. Lorsqu’elle examine la question de savoir si l’objectif de l’État par l’expulsion, lorsque la criminalité, ou la grande criminalité, peut compromettre la sécurité publique, peut être grossièrement disproportionné par rapport à l’évaluation individuelle des conséquences sur le demandeur, s’il est expulsé, la Cour doit tenir compte des éléments suivants :
    1. Afin de décider si le traitement ou la peine est « cruel ou inusité », la Cour doit décider si le traitement est « excessi[f] au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » et un processus d’État actif doit être en cours, concernant l’exercice du contrôle de l’État sur la personne (R c Smith, [1987] 1 RCS 1045, au paragraphe 83 [Smith]; Rodriguez c Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519, au paragraphe 182);
    2. La Cour examinera un certain nombre de facteurs dans le cadre d’une analyse de type « coûts-avantages » : le traitement dépasse-t-il ce qui est nécessaire pour réaliser un objectif légitime? Existe-t-il des solutions de rechange adéquates? Le traitement comporte-t-il une valeur ou un objectif social? Est-il conforme aux normes publiques en matière de dignité ou de valeur humaine? (Smith, au paragraphe 44; Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada (Procureur général), 2014 CF 651, aux paragraphes 583 à 585, et 612 à 614);
    3. Le demandeur a en l’espèce reconnu qu’il était interdit de territoire; son seul moyen de défense consiste à faire valoir que le renvoi à une enquête viole les principes de justice fondamentale. En l’espèce, le demandeur n’a aucun droit d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration, il n’a aucun droit de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et il n’a aucun droit à un ERAR (il n’a pas fait valoir de risque à son retour en Inde) et, vu les allégations précises pesant sur lui en vertu des articles 36 et 37, il ne peut se prévaloir d’aucun autre recours avant le renvoi que de demander à la Section de l’immigration d’examiner les questions soulevées à l’enquête – ces questions comprenant le fait que son renvoi vers un pays où il n’a pas vécu depuis sa tendre enfance, le fait de le séparer de sa famille et de son réseau de soutien au Canada où il vit depuis longtemps serait grossièrement disproportionné par rapport à l’objectif de l’État en matière de sécurité publique, vu que le demandeur a été mis en liberté inconditionnelle après avoir purgé sa peine aux États-Unis, et vu que la preuve indique qu’il ne représente aucun risque pour la sécurité ou la sûreté publique.

[28]  Encore une fois, le défendeur soutient que la prise en compte de la question liée à l’article 12 de la Charte à l’étape de l’enquête en admissibilité est prématurée – il s’agit purement d’une question de choix du moment. Tant qu’une mesure de renvoi n’a pas été ordonnée, la Cour ne peut que spéculer sur ce que l’issue de l’enquête sera et sur les conséquences du renvoi lorsqu’aucune mesure de renvoi n’a été prise. Il est également inapproprié pour le demandeur de solliciter le contrôle judiciaire d’une ordonnance interlocutoire.

[29]  Par ailleurs, le demandeur a bénéficié d’une évaluation de la proportionnalité effectuée au cours d’une période de trois ans et ses préoccupations ont déjà été traitées et tranchées. En outre, le droit international a été pris en considération dans l’évaluation de la proportionnalité et la juge Mactavish a conclu qu’elle était raisonnable et représentait un équilibre proportionné des intérêts opposés en jeu.

[30]  Même si je concluais que le demandeur peut solliciter le contrôle judiciaire d’une ordonnance interlocutoire, ce que je ne conclus pas en l’espèce, je suis d’accord avec le défendeur qu’il est prématuré d’invoquer l’argument fondé sur l’article 12 de la Charte lorsqu’il demeure incertain, même s’il est très probable, que le demandeur soit déclaré interdit de territoire et qu’il sera, en fait, probablement renvoyé.

[31]  Je suis d’accord que le demandeur ne peut pas invoquer l’article 12 de la Charte avant la dernière étape de l’expulsion (Norouzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 368, aux paragraphes 33 à 36 [Norouzi], invoquant Barrera c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 RCF 3 (CAF) [Barrera]).

[32]  Je suis également d’avis que l’évaluation de la proportionnalité par la juge Mactavish, même si elle ne traite pas explicitement de l’argument fondé sur l’article 12 de la Charte, a bel et bien abordé le bien-fondé de l’argument que tente d’invoquer le demandeur quant à sa situation personnelle en tant que fondement de ses arguments fondés sur les articles 7 et 12 de la Charte, et il a été jugé qu’elle découlait principalement des conséquences habituelles d’un renvoi.

[33]  En outre, je ne suis pas d’accord avec le demandeur qui soutient que ma décision entraînerait pour lui l’interdiction de soulever la question fondée sur l’article 12 de la Charte – en concluant que l’argument est prématuré, il ne lui est pas interdit de le faire s’il choisit de solliciter un contrôle judiciaire de toute mesure de renvoi ou de solliciter le sursis d’une telle mesure en conjonction avec ce contrôle judiciaire, encore faut-il qu’il choisisse de le faire.

[34]  Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[35]  À l’audience, le demandeur a soulevé trois questions aux fins de certification :

  1. Convient-il de tenir compte de l’application de fond de l’article 12 de la Charte à l’étape de la décision concernant l’admissibilité au Canada?
  2. L’expulsion d’un résident permanent de longue date constitue-t-elle un traitement au sens de l’article 12 de la Charte?
  3. Dans l’affirmative, existe-t-il des circonstances où l’expulsion pourrait être grossièrement disproportionnée au point où elle constitue une violation de l’article 12?
  4. L’article 7 est-il en jeu dans le cas de l’expulsion d’un résident permanent qui a reconnu être interdit de territoire en vertu des articles 36 et 37?

[36]  À la fin de l’audience, l’avocat du demandeur a accepté qu’une seule question devrait être envisagée aux fins de certification.

  1. Convient-il de tenir compte de l’application de fond de l’article 12 de la Charte à l’étape de la décision concernant l’admissibilité au Canada?

[37]  Le défendeur invoque la décision Norouzi et l’arrêt Barrera, précités, pour soutenir que cette jurisprudence actuelle a déjà établi qu’il est prématuré d’invoquer les arguments fondés sur l’article 12 de la Charte lorsque la possibilité de renvoi est incertaine, surtout lorsque le demandeur n’a pas encore été déclaré interdit de territoire et encore moins lorsqu’il n’est même pas visé par une mesure de renvoi.

[38]  Par conséquent, il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1416-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1416-17

INTITULÉ :

HARDEEP SINGH BRAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 août 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

Pour le demandeur

Marjan Double

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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