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Date : 20170831


Dossier : T-2005-16

T-2098-16

Référence : 2017 CF 794

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

BALJIT SINGH KALKAT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, AU NOM DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA ET LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire, conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7 et de la partie V des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, des décisions rendues par le délégataire prévu par la loi du commissaire (le délégataire) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) concernant a) un ordre de réaffectation temporaire (la décision relative à l’ORT) (dossier T-2098-16) et b) la violation par le demandeur du Code de déontologie de la GRC (le Code de déontologie) (Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, 2014, DORS/2014-281 (le Règlement de la GRC) et des mesures disciplinaires (la décision MDCD) (dossier T-2005-16).

II.  Résumé des faits

[2]  Les faits qui sont à l’origine des deux demandes de contrôle judiciaire sont essentiellement les mêmes.

[3]  Le demandeur, Baljit Singh Kalkat, est un membre assermenté de la GRC, comptant plus de vingt années de service, toutes au sein de la division « E » de la GRC. Au cours des neuf dernières années, ou à peu près, il était affecté à l’Équipe intégrée de la sécurité nationale de la division « E » (EISN Division E).

[4]  En janvier 2013, le candidat a été affecté au poste de chef d’équipe pour l’équipe 2 au sein de l’EISN Division E. L’équipe 2 est composée de dix membres : huit membres de la GRC, un analyste civil et un enquêteur civil. L’EISN Division E est composée de membres chevronnés, notamment, l’inspecteur Leather, responsable des projets de l’EISN Division E, et de l’inspecteur Corcoran, responsable des opérations de l’EISN Division E. Le surintendant Bond est l’officier adjoint de la police criminelle – Sécurité nationale, dans la division « E ».

[5]  En novembre 2014, le demandeur a été détaché à un projet spécial de sécurité nationale. Bien qu’il n’ait pas travaillé directement sur des projets attribués à l’équipe 2, il a continué de travailler à partir de son bureau de l’EISN Division E et il lui incombait d’approuver les heures supplémentaires et les congés des membres de l’équipe 2.

[6]  Le 21 mai 2015, le demandeur a été invité à assister à une réunion avec les inspecteurs Leather et Corcoran (la réunion du 21 mai). Au cours de cette réunion, le demandeur a été informé que les inspecteurs Leather et Corcoran avaient reçu plusieurs plaintes de membres de l’équipe 2 concernant son style de gestion. Plus précisément, on a indiqué au demandeur que le gendarme Melvin, le caporal Amine, ainsi qu’un analyste civil dont le nom n’a pas été révélé, avaient déposé des plaintes. De plus, le demandeur a été informé du fait que, à la fin de son détachement, il serait démis de ses fonctions de chef de l’équipe 2 et affecté dans un nouveau poste.

[7]  À la réunion du 21 mai, le demandeur a convenu de participer à un processus de médiation en vue d’aborder les reproches soulevés par les plaignants. L’inspecteur Leather a précisément soulevé les noms du gendarme Melvin et du caporal Amine et a enjoint au demandeur de ne pas leur adresser la parole. Le 22 mai 2015, l’inspecteur Leather a envoyé un courriel au demandeur et à cinq destinataires cachés membres de l’équipe 2, indiquant que le demandeur avait été mis au fait des problèmes de supervision, indiquant au demandeur qu’il devait s’abstenir de discuter de ces questions avec les destinataires cachés, et précisant qu’on devait lui signaler toute tentative du demandeur d’entrer en communication avec lesdits destinataires cachés (le courriel du 22 mai). Les destinataires cachés de ce courriel étaient, notamment, le caporal Amine, le gendarme Melvin, Michelle Cameron (membre civile Cameron), le caporal McLaughlin, et Vivian Fong. Plus tard, le même jour, l’inspecteur Leather a envoyé au demandeur un courriel personnel, indiquant au demandeur qu’il [traduction] « devait s’abstenir de discuter de ces questions avec quiconque [lui] avait été mentionné » lors de la réunion du 21 mai (le « deuxième courriel du 22 mai »).

[8]  Le 7 juillet 2015, le médiateur a indiqué au demandeur que la médiation n’était pas un mécanisme viable de règlement de différends. Le 22 juillet 2015, le demandeur et la membre civile Cameron, la seule analyste civile de l’équipe 2, ont eu une discussion liée aux plaintes alléguées dans le bureau du demandeur. Les inspecteurs Leather et Corcoran ont appris, au début de septembre 2015, que cette discussion avait eu lieu.

[9]  Ayant pris connaissance de cette possible violation du Code de déontologie en raison de cet échange avec la membre civile Cameron, l’inspecteur Corcoran a préparé une note d’information, sollicitant l’approbation relative à une enquête fondée sur le Code de déontologie relative à cette affaire (l’enquête fondée sur le Code de déontologie). Le surintendant Bond, à titre d’autorité disciplinaire désignée (l’autorité disciplinaire ou surintendant Bond), a autorisé l’enquête.

[10]  Dans la note d’information se trouvaient les faits présentés ci-dessous ainsi que la décision du surintendant Bond indiquant que la réaffectation temporaire était appropriée :

  • Le 21 mai 2015, les inspecteurs Leather et Corcoran ont rencontré le demandeur afin de discuter des problèmes liés à son style de gestion, lesquels avaient été soulevés par des subalternes membres de son équipe. La médiation était à l’ordre du jour, et l’inspecteur Leather a donné au demandeur la directive lui enjoignant de s’abstenir de toute discussion avec quiconque de son équipe en ce qui a trait aux plaintes.
  • Le 22 mai 2015, l’inspecteur Leather a indiqué par un courriel envoyé au demandeur que ce dernier devait s’abstenir de toute discussion avec son équipe.
  • Après avoir rencontré les membres de l’équipe, le médiateur a conclu que la gestion informelle des conflits n’était pas appropriée pour régler cette affaire.
  • Le 2 septembre 2015, l’inspecteur Leather a signalé à l’inspecteur Corcoran qu’il avait appris que le demandeur avait eu une discussion avec la membre civile Cameron.
  • Le 3 septembre 2015, l’inspecteur Corcoran s’est adressé à la membre civile Cameron et cette dernière lui a confirmé que le demandeur s’était enquis auprès d’elle au sujet des plaintes déposées à son égard. La membre civile Cameron estimait que le demandeur s’était montré accusateur et que les agissements de ce dernier l’avaient rendue mal à l’aise.
  • Il faut s’intéresser de près à l’affectation temporaire du demandeur au sein de l’EISN Division E, sans responsabilité de supervision.

[11]  Le demandeur a été informé de l’enquête fondée sur le Code de déontologie et un ordre de réaffectation temporaire (ORT) lui a été signifié le 9 septembre 2015. En vertu de cet ORT, le demandeur a été réaffecté à l’équipe 4 de l’EISN Division E, qui traitait de l’affaire Air India. Le 11 septembre 2015, le médecin du demandeur a établi que le demandeur « n’était pas en état de travailler » et ce dernier s’est vu immédiatement accorder un congé de maladie. Le demandeur s’est vu accorder un congé de maladie et ce congé se poursuit toujours.

[12]  Le 23 novembre 2015, le sergent Dion, des Normes de travail, Crimes graves et Crime organisé de la Police fédérale, qui était chargé de l’enquête fondée sur le Code de déontologie, a terminé son rapport d’enquête portant sur la violation alléguée du Code de déontologie. Le 3 décembre 2015, le demandeur a présenté ses observations écrites au surintendant Bond.

[13]  Le 11 décembre 2015, le surintendant Bond a rendu sa décision en ce qui a trait à l’enquête fondée sur le Code de déontologie (la décision ECD), laquelle a conclu que la preuve établissait, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait contrevenu à l’article 3.3 du Code de déontologie, lorsqu’il s’est adressé à la membre civile Cameron, désobéissant ainsi à l’ordre sans équivoque et légitime de l’inspecteur Leather. Le surintendant Bond a imposé deux mesures disciplinaires : 1) la perte de huit jours de congé annuel; et 2) l’inscription au programme de formation à la gestion de la GRC, à achever dans une période d’un an.

[14]  Le 21 décembre 2015, le demandeur a présenté un mémoire d’appel à la GRC – Bureau de la coordination des griefs et des appels (BCGA) interjetant appel de la décision ECD. D’autres observations écrites ont été produites par le demandeur le 25 février 2016.

[15]  Le 19 août 2016, le délégataire a rendu la décision relative à l’ORT à laquelle quelques corrections mineures ont été apportées le 26 septembre 2016. Le délégataire a confirmé l’imposition de l’ORT.

[16]  Le 16 septembre 2016, le délégataire a rendu la décision MDCD, laquelle confirmait la conclusion du surintendant Bond, selon laquelle le demandeur avait contrevenu au Code de déontologie. Néanmoins, il a conclu qu’il y avait eu manquement aux principes d’équité procédurale et, par conséquent, il a modifié les mesures imposées, de sorte que sa perte de congés annuels a été réduite à cinq jours.

A.  La décision relative à l’ORT

[17]  Le délégataire a conclu que le processus relatif à la déontologie avait pris fin le 9 décembre 2015. Par conséquent, il a conclu que la demande d’annulation de l’ORT présentée par le demandeur était sans objet. De plus, il a conclu qu’il ne servirait à rien d’accueillir l’appel du demandeur, ce qui renverrait l’affaire à un autre décideur. Par conséquent, il a conclu que le demandeur aurait uniquement disposé d’un recours constituant une réparation adéquate si la décision de le réaffecter prise par le surintendant Bond était entachée d’une erreur de droit, contrevenait aux principes d’équité procédurale, ou était manifestement déraisonnable, comme il est prévu à l’alinéa 38b) et au paragraphe 47(3) des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289 (CCGA).

[18]  Le délégataire a conclu qu’étant donné la faiblesse de l’élément relatif à l’équité procédurale soulevé dans le contexte d’une procédure temporaire, non disciplinaire, non punitive et essentiellement administrative, le surintendant Bond n’était pas tenu de prendre en considération l’information ou les observations produites par le demandeur avant d’entamer l’enquête fondée sur le Code de déontologie et de considérer l’ORT. Par conséquent, le délégataire a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement aux principes d’équité procédurale. Le délégataire a également conclu que le surintendant Bond avait pris en compte les facteurs précisés aux articles 5.3.3.1 à 5.3.3.4 du Manuel d’administration de la GRC, à savoir si un quelconque risque soulevé en ce qui a trait à l’inconduite alléguée ferait l’objet d’un traitement au titre des obligations subsidiaires et de l’intérêt du public.

[19]  De plus, le délégataire a conclu à l’absence d’une erreur de droit quant au raisonnement qui avait mené le surintendant Bond à imposer un ORT et que les éléments de l’ORT n’étaient entachés d’aucune erreur de droit.

[20]  Le délégataire a souligné que la norme de contrôle dans le cas d’un appel lié à une décision de l’autorité disciplinaire est prévue au paragraphe 47(3) des CCGA sur le fondement d’une « erreur de droit ou d’une décision manifestement déraisonnable » (clearly unreasonable). Il a conclu qu’en l’absence de la norme de contrôle prévue par cette disposition de la loi, la norme de contrôle serait soit celle de la « décision raisonnable » ou celle de la « décision correcte » et soulignant la décision Pacific Newspaper Group Inc c Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2014 BCCA 496 [Pacific], dans laquelle il a été conclu que la norme de contrôle du caractère manifestement déraisonnable s’appliquait toujours lorsque la norme de contrôle prévue par la loi — établissant que cette norme prévue par la loi est celle de la décision « clearly unreasonable » (manifestement déraisonnable) — devait être appliquée avec plus de réserve que la norme de la décision raisonnable, c’est-à-dire l’équivalent de la norme de contrôle du « caractère manifestement déraisonnable ».

[21]  En concluant que la norme de contrôle du « caractère manifestement déraisonnable » s’appliquait, le délégataire a conclu que son examen des conclusions du surintendant Bond était limité de la même manière que l’avait été le Tribunal d’appel dans Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal) c Fraser Health Authority, 2016 CSC 25, au paragraphe 30 [Fraser Health] :

Cette conclusion commande donc la retenue, sauf si Fraser Health démontre son caractère manifestement déraisonnable, à savoir que « les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal » […] le caractère manifestement déraisonnable n’est pas établi lorsque la cour de révision estime simplement que la preuve est insuffisante […] En d’autres termes, selon cette norme de contrôle, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier de nouveau la preuve, de rejeter les conclusions que le juge des faits en avait tirées ou de substituer ses propres conclusions à celles du juge des faits.

[22]  Le délégataire a appliqué la norme du « caractère manifestement déraisonnable » et a conclu que la décision du surintendant Bond d’imposer un ORT n’était pas manifestement déraisonnable puisqu’il s’agissait d’une mesure administrative régie par une politique de la GRC et que le surintendant Bond avait respecté les exigences relatives à cette politique en menant une enquête fondée sur le Code de déontologie.

B.  La décision MDCD

[23]  Le délégataire a indiqué que pour établir un motif d’appel, comme il est prévu au paragraphe 33(1) des CCGA, le demandeur devait établir que la conclusion selon laquelle le Code de déontologie avait été enfreint était entachée d’une erreur de droit, contrevenait aux principes d’équité procédurale, ou était clearly unreasonable. Il a souligné que dans sa décision relative à l’imposition d’un ORT, il avait antérieurement conclu que la norme de contrôle fondée sur le caractère « clearly unreasonable » était l’équivalent de la norme du « caractère manifestement déraisonnable ».

[24]  Le délégataire a conclu que la contestation par le demandeur à l’égard de la décision ECD pour des raisons de parti pris ou d’impartialité n’avait aucun fondement. De plus, le délégataire a estimé que la conclusion du surintendant Bond selon laquelle, la directive sans équivoque donnée au demandeur, entre la réunion du 21 mai et le deuxième courriel du 22 mai, par l’inspecteur Leather lui enjoignant de ne pas s’entretenir avec la membre civile Cameron au sujet des plaintes appartenait aux issues acceptables et n’était ni « clearly » ni manifestement déraisonnable. Par conséquent la conclusion du surintendant Bond voulant que le demandeur ne se soit pas conformé à une directive qui lui avait été légitimement transmise, n’était ni « clearly unreasonable » ni manifestement déraisonnable.

[25]  Le surintendant Bond n’a pas accepté les observations produites à titre subsidiaire par le demandeur selon lesquelles la directive de l’inspecteur Leather, lui enjoignant de ne pas communiquer avec les personnes mentionnées lors de la réunion du 21 mai, était devenue caduque, le 7 juillet 2015, par suite de l’avis indiquant que la médiation n’aurait pas lieu. Le surintendant Bond n’a pas non plus accepté la thèse selon laquelle le demandeur était justifié d’agir ainsi puisque les allégations relatives à sa gestion inadéquate nuisaient à sa carrière et qu’il craignait qu’elles aient une incidence sur ses possibilités de promotion. Le délégataire a jugé que ces conclusions n’avaient rien de manifestement déraisonnable. De plus, en concluant que le demandeur n’avait aucune raison légitime pour justifier de ne pas se conformer aux directives de l’inspecteur Leather, le délégataire a conclu que la situation en l’espèce se distinguait de celle dans la décision Stone c SDS Kerr Beavers Dental, [2006] OJ No 2532.

[26]  De plus, le délégataire a conclu à l’absence de toute erreur manifeste ou dominante quant au traitement par le surintendant Bond de la preuve dont il avait été saisi ou de son évaluation de la crédibilité des inspecteurs Leather et Corcoran. Qui plus est, le délégataire a établi que la décision ECD n’avait pas été rendue uniquement sur le fondement de l’information contenue dans le carnet de l’inspecteur Leather, concernant la réunion du 21 mai, laquelle avait été contestée par le demandeur selon qui elle n’était pas à jour, et que d’autres éléments de preuve appuyant les conclusions du surintendant Bond se trouvaient dans le dossier. Le délégataire a également souligné que le surintendant Bond avait reconnu la position du demandeur selon laquelle il n’existait [traduction] « aucun élément de preuve claire et convaincante démontrant, selon la prépondérance des probabilités, qu’un ordre sans équivoque avait été donné » et, après avoir apprécié la preuve et avoir appliqué les éléments requis pour conclure qu’il y avait eu violation du paragraphe 3.3 du Code de déontologie, il est arrivé à la conclusion qu’il y avait eu contravention.

[27]  Enfin, le délégataire a conclu que le surintendant Bond avait commis une erreur lors de son examen des mesures disciplinaires qu’il convenait d’imposer, alors qu’il accordait une importance considérable aux renseignements non divulgués au demandeur : une fiche de rendement signifiée par l’inspecteur Leather au sujet du rendement du demandeur en matière de gestion (la fiche). Le délégataire a conclu que le surintendant Bond avait commis une erreur en traitant la fiche et le refus du demandeur de produire une déclaration volontaire comme des facteurs aggravants importants. Par conséquent, le délégataire a accueilli l’appel en ce qui a trait aux mesures disciplinaires et il a conclu que la suppression de cinq jours de congé annuel et la formation obligatoire étaient des mesures convenables et proportionnelles.

C.  Questions préliminaires

[28]  Le défendeur affirme qu’aux termes du paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales, seul le procureur général du Canada peut agir comme partie défenderesse dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[29]  L’article 303 est ainsi libellé :

303 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

a) toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande;

b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande.

(2) Dans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n’est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procureur général du Canada à ce titre.

303 (1) Subject to subsection (2), an applicant shall name as a respondent every person

(a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or

(b) required to be named as a party under an Act of Parliament pursuant to which the application is brought.

(2) Where in an application for judicial review there are no persons that can be named under subsection (1), the applicant shall name the Attorney General of Canada as a respondent.

[30]  Je suis d’accord avec le défendeur. Par conséquent, l’intitulé doit être modifié de sorte que seul le procureur général du Canada est nommé à titre de défendeur.

III.  Questions en litige

[31]  Les questions en litige relatives au dossier T-2098-16 sont les suivantes :

  1. La demande de contrôle judiciaire a-t-elle été présentée à temps?
  2. Quelle est la norme de contrôle appropriée?
  3. Le délégataire a-t-il commis une erreur de droit en appliquant la norme de contrôle du « caractère manifestement déraisonnable »?
  4. Le délégataire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que ni la décision du surintendant Bond d’imposer un ORT ni les dispositions de l’ORT n’étaient manifestement déraisonnables?

[32]  Les questions en litige relatives au dossier T-2005-16 sont les suivantes :

  1. La demande de contrôle judiciaire a-t-elle été présentée à temps?
  2. Quelle est la norme de contrôle appropriée?
  3. Le délégataire a-t-il commis une erreur de droit en appliquant la norme de contrôle du « caractère manifestement déraisonnable »?
  4. Le délégataire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que la conclusion du surintendant Bond selon laquelle le demandeur avait reçu un ordre sans équivoque n’était pas « manifestement déraisonnable »?
  5. Le délégataire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que la méthode prise par le surintendant Bond pour évaluer la preuve, appliquer la norme de preuve applicable en matière civile, ainsi que pour déterminer et appliquer les éléments requis afin de conclure qu’il y avait eu violation du Code de déontologie n’était pas « manifestement déraisonnable »?
  6. Le délégataire a-t-il commis une erreur de fait et de droit lorsqu’il a conclu que le surintendant Bond pouvait décider qu’il n’était pas « manifestement déraisonnable » de conclure que le demandeur n’avait pas obéi à un ordre légitime?
  7. Le délégataire a-t-il commis une erreur en imposant une mesure disciplinaire de suppression de cinq jours de congé annuel à la place de la mesure disciplinaire imposée par le surintendant Bond?

[33]  Les parties conviennent que la demande de contrôle judiciaire avait été présentée à temps.

[34]  Je conclus également que le délégataire n’a commis aucune erreur de fait et de droit lors de son examen des conclusions tirées par le surintendant Bond selon lesquelles l’ORT était approprié, que les éléments relatifs à l’ORT étaient légitimes, que l’inspecteur Leather avait donné un ordre sans équivoque, et que le demandeur n’avait pas respecté l’ordre de l’inspecteur Leather. Je conclus également que l’imposition d’une suppression de cinq jours de congé annuel et d’une participation à un programme correctif est raisonnable.

[35]  La présente demande est, par conséquent, rejetée.

IV.  Norme de contrôle

[36]  En ce qui a trait à la norme de contrôle que la Cour doit appliquer, j’estime que la norme qu’il convient d’appliquer est celle de la décision raisonnable en ce qui a trait aux questions de fait, aux questions mixtes de fait et de droit, et aux questions de droit lorsqu’il s’agit d’interpréter la loi constitutive du délégataire ou une loi intimement liée à celle-ci. La norme applicable à toute autre question de droit est celle de la décision correcte.

[37]  J’estime que le délégataire pouvait raisonnablement conclure que la norme du « caractère clearly unreasonable », comme il est prévu au paragraphe 33(1) des CCGA, est contextuellement équivalente à la norme du « caractère manifestement déraisonnable », et que par conséquent, le délégataire a eu raison de permettre au surintendant Bond de faire montre d’une certaine retenue à l’égard de toutes ses conclusions liées aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit.

V.  Discussion

[38]  Les trois premières questions en litige relatives au dossier T-2098-16 et au dossier T-2005-16 sont les mêmes et elles seront examinées conjointement.

A.  La demande de contrôle judiciaire a-t-elle été présentée à temps?

[39]  Le demandeur soutient qu’étant donné que la décision relative à l’ORT et la décision MDCD ont été envoyées à l’adresse courriel de son lieu de travail, qu’il lui était, par ailleurs, impossible de consulter alors qu’il était en congé de maladie, au lieu de les envoyer à son avocat, la Cour devrait conclure que la décision relative à l’ORT n’avait pas initialement été communiquée au demandeur avant le 8 novembre 2016, et que la décision MDCD n’avait pas été initialement envoyée au demandeur avant le 19 octobre 2016.

[40]  Le défendeur convient que les deux demandes de contrôle judiciaire ont été présentées à temps.

B.  Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[41]  Le demandeur soutient que la jurisprudence n’a établi ni la norme de contrôle applicable à la décision de l’autorité disciplinaire ni la norme de contrôle applicable à la décision du délégataire aux termes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R-10 (Loi sur la GRC), étant donné que la Loi sur la GRC a récemment été modifiée en profondeur et que de nouvelles mesures législatives ont récemment été adoptées en ce qui a trait à la conduite d’enquêtes et à l’interjection d’appels : Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada, LC 2013, c 18; le Règlement de la GRC; et les CCGA.

[42]  Le demandeur soutient qu’il existe une clause privative de très faible portée dans la Loi sur la GRC, ce qui laisse croire que selon la Loi sur la GRC, le délégataire ou la Cour fédérale devrait faire preuve de retenue quant à la décision de l’autorité disciplinaire. Le demandeur reconnaît que le commissaire possède une expertise et des connaissances particulières en ce qui a trait aux réalités des services policiers et des exigences en vue de préserver l’intégrité et le professionnalisme de la GRC. Cependant, comme les commissaires ne sont aucunement tenus par la loi de déléguer leur pouvoir d’arbitre à qui que ce soit possédant une expertise particulière dans les domaines visés soulevés dans l’appel, le demandeur soutient que l’autorité disciplinaire et le délégataire ne sont pas plus qualifiés que la Cour pour se prononcer sur ces questions.

[43]  Le demandeur reconnaît également que la Cour a antérieurement conclu que la Loi sur la GRC met en œuvre un processus qui reconnaît que la GRC doit contrôler ses propres affaires disciplinaires. Par conséquent, il faut faire preuve de retenue à l’égard du commissaire et des représentants du commissaire. Considérant l’ensemble de ces éléments, le demandeur soutient qu’en ce qui a trait à la question de fait, et à la question mixte de fait et de droit, la Cour devrait exercer une certaine retenue, alors qu’elle procède au contrôle judiciaire des décisions du délégataire selon la norme de la décision raisonnable. Cependant, en ce qui a trait aux questions de droit, la Cour devrait appliquer la norme de la décision correcte.

[44]  Le défendeur convient que les questions de fait, ainsi que les questions mixtes de fait et de droit, devraient faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Néanmoins, le défendeur n’est pas d’accord avec la thèse selon laquelle la norme de contrôle applicable à l’égard d’une décision rendue par un commissaire ou par son délégataire n’a pas antérieurement été établie dans la jurisprudence, et il précise que c’est la norme de la décision raisonnable qui doit être appliquée par le commissaire ou son délégataire, disposant à cet égard d’une marge de manœuvre particulièrement large. De plus, le défendeur soutient que l’on devrait faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation par le délégataire de ses propres lois constitutives, notamment des CCGA et du Manuel d’administration de la GRC, et que celle-ci devrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.

[45]  Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Boogaard, 2015 CAF 150 [Boogaard], la Cour d’appel fédérale (la CAF) a décidé que selon l’interprétation qu’il faut donner à l’article 5 de la Loi sur la GRC, lequel précise les fonctions et les pouvoirs de délégation du commissaire, le commissaire dispose d’une très grande marge d’appréciation en ce qui concerne ses décisions. Plus précisément, au paragraphe 42 de l’arrêt Boogaard, la CAF a déclaré ceci :

Les mots utilisés dans la loi — « a pleine autorité sur la Gendarmerie et tout ce qui s’y rapporte » — sont en effet très généraux. Ils sont inconditionnels et ne sont assujettis à aucun autre article de la Loi. Le pouvoir et la responsabilité sont conférés au commissaire personnellement et à personne d’autre.

[46]  La CAF a évoqué la possibilité que des décisions par une instance administrative à l’égard de questions prévues par la Loi sur la GRC limitent le pouvoir du commissaire, mais elle ne s’est pas prononcée catégoriquement à ce sujet. Elle a conclu que les décisions du commissaire pouvaient, par conséquent, faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable et, tout au moins dans le contexte de promotions, que le commissaire disposait d’une très grande marge d’appréciation dans l’exercice d’un contrôle judiciaire (Boogaard, aux paragraphes 33 et 53).

[47]  Bien qu’il ne s’agisse pas, en l’espèce, d’un contexte de promotions, je conclus que les décisions rendues aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi sur la GRC existent à peu près de manière similaire dans le cas de promotions dans le contexte de politique et de gouvernance, étant donné que les décisions disciplinaires prennent en considération des questions comme les objectifs du service policier, les valeurs et la culture de l’organisation, ainsi que les intérêts du public, des considérations qui, sans exception, obligent le « commissaire [à] faire appel à ses connaissances, son expérience et son expertise relativement aux besoins du service policier [et] à la gestion du service policier [...] » (Boogaard, au paragraphe 46).

[48]  Puisque la décision dans l’arrêt Boogaard a été rendue après les modifications législatives évoquées par le demandeur, je conclus que la décision de la CAF relative à la norme de contrôle s’applique en l’espèce.

[49]  En ce qui a trait à l’interprétation du droit lié à la Loi sur la GRC et à ses règlements connexes par le délégataire, la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, au paragraphe 21 [McLean], que « [...] notre Cour a statué qu’”il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de ‘sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée’ “ [...] est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire » (renvoi omis). La Cour suprême a ensuite ajouté que la présomption d’application de la norme du caractère raisonnable serait réfutée : i) si un tribunal administratif et une cour de justice sont respectivement appelé[s] à statuer en première instance sur un même point; ii) s’il est question de savoir s’il s’agit d’une question touchant « véritablement » à la compétence; ou iii) s’il s’agit de questions de droit générales qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise de l’organisme juridictionnel (McLean, aux paragraphes 23 à 26).

[50]  Il ne fait aucun doute que la Loi sur la GRC et les CCGA sont des textes législatifs constitutifs ou étroitement liés. De plus, le Manuel d’administration de la GRC est une politique interne de la GRC.

[51]  Le demandeur soutient que le délégataire ne possède aucune expertise particulière à l’égard des questions dont il est saisi. Je ne suis pas d’accord. Il est clairement indiqué au paragraphe 5(2) de la Loi sur la GRC que le commissaire peut « déléguer à tout membre, aux conditions qu’il fixe, les pouvoirs ou fonctions que lui attribue la présente loi, à l’exception du pouvoir de délégation […] ». Il en découle implicitement qu’une personne choisie par le commissaire est ainsi déléguée parce qu’il estime qu’elle possède les attributs lui permettant d’assumer en son nom ses pouvoirs, ses tâches ou ses fonctions aux termes de la Loi sur la GRC. Par conséquent, lorsque le délégataire exerce ce pouvoir délégué, elle doit disposer du même vaste pouvoir discrétionnaire que celui dont dispose le ou la commissaire.

[52]  M’appuyant sur tout ce qui précède, je conclus que la norme de contrôle applicable à la décision du délégataire relative aux questions de fait, et aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable. Je conclus également que la norme de contrôle applicable à l’interprétation du droit par le délégataire en ce qui a trait à une loi constitutive ou à une loi étroitement liée ainsi qu’aux manuels de politiques de la GRC, est celle de la décision raisonnable. Qui plus est, l’on doit faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des décisions du délégataire qui font l’objet d’un contrôle judiciaire.

[53]  L’application de la norme de contrôle selon la décision raisonnable par la Cour signifie que celle-ci n’annulera pas la décision rendue par une instance pour autant que cette décision soit conforme aux principes selon lesquels le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

C.  Le délégataire a-t-il commis une erreur de droit en appliquant la norme de contrôle du « caractère manifestement déraisonnable »?

[54]  Le demandeur soutient que le délégataire a commis une erreur de droit lorsqu’il a appliqué la norme du caractère manifestement déraisonnable.

[55]  Le demandeur soutient que rien dans la Loi sur la GRC et les Règlements sur la GRC n’indique sans équivoque que le législateur voulait que la norme du « caractère manifestement déraisonnable » soit appliquée par un délégué se prononçant sur un appel. Le demandeur soutient qu’à la suite de l’arrêt Dunsmuir, si le législateur avait voulu que ce soit la norme du « caractère manifestement déraisonnable » qui soit appliquée, il aurait eu maintes occasions de modifier la Loi sur la GRC, les Règlements sur la GRC, et les CCGA. Le demandeur indique que la déclaration de la CAF au paragraphe 50 de Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], appuie la thèse voulant que la norme applicable soit celle de la décision raisonnable :

En bref, je ne dis pas que la norme de la décision raisonnable ne s’applique jamais lors d’appels devant des organismes d’appel administratifs. En fait, il y a des exemples où le législateur exprime clairement une intention qu’une telle norme soit appliquée : voir, par exemple, le paragraphe 18(2) et l’article 33 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289, adopté en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10; le paragraphe 147(5) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (voir l’annexe A). Cette dernière disposition a été examinée et interprétée par notre Cour dans l’arrêt Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384 (CANLII), aux par. 6-9, [2003] 2 R.C.F. 317.

[56]  Le défendeur soutient que le pouvoir du délégataire découle des lois et règlements, et qu’il est clairement indiqué dans les CCGA que le délégataire doit examiner la question de savoir s’il y a eu violation des principes d’équité procédurale, une erreur de droit, ou si la conclusion tirée était manifestement déraisonnable. Il soutient que l’inclusion en anglais de l’adverbe « clearly » indique que le législateur voulait que l’on fasse preuve d’un degré plus élevé de retenue à l’égard de conclusions de fait, et de conclusions mixtes de fait et de droit, de la part de l’autorité disciplinaire. Le défendeur indique que le délégataire pouvait raisonnablement conclure que ce degré plus élevé de retenue équivaut au degré de retenue dont il faut faire preuve lorsqu’on doit appliquer la norme du caractère manifestement déraisonnable.

[57]  Le défendeur soutient également que l’équivalence établie par le délégataire entre la norme du caractère « clearly unreasonable » et celle du caractère « manifestement déraisonnable » (patently unreasonable) est appuyée par la version française de la disposition en question (voir, à titre d’exemple le paragraphe 33(1) des CCGA), où le libellé équivalent de « clearly unreasonable » est « manifestement déraisonnable ». Dans la version française de l’arrêt Dunsmuir, « manifestement déraisonnable » est la traduction de « patently unreasonable » (voir, à titre d’exemple, Dunsmuir, au paragraphe 37). La norme du caractère manifestement déraisonnable signifie qu’une décision est manifestement déraisonnable si « [l]’on ne peut la contester ou [si elle est de toute évidence] » erronée (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc, [1997] 1 RCS 748, au paragraphe 57).

[58]  Le paragraphe 45.11(3) de la Loi sur la GRC est ainsi libellé :

(3) Tout membre dont la conduite fait l’objet d’une décision de l’autorité disciplinaire peut, dans les délais prévus dans les règles, faire appel de la décision devant le commissaire :

a) soit en ce qui concerne la conclusion selon laquelle est établie une contravention alléguée à une disposition du code de déontologie;

b) soit en ce qui concerne toute mesure disciplinaire imposée après la conclusion visée à l’alinéa a).

(3) A member who is the subject of a conduct authority’s decision may, within the time provided for in the rules, appeal the decision to the Commissioner in respect of

(a) any finding that an allegation of a contravention of a provision of the Code of Conduct by the member is established; or

(b) any conduct measure imposed in consequence of a finding that an allegation referred to in paragraph (a) is established.

[59]  Le paragraphe 33(1) des CCGA est ainsi libellé :

33 (1) Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.

33 (1) The Commissioner, when rendering a decision as to the disposition of the appeal, must consider whether the decision that is the subject of the appeal contravenes the principles of procedural fairness, is based on an error of law or is clearly unreasonable.

[60]  Comme je l’ai décidé plus tôt, il convient d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable à l’interprétation par le délégataire de la Loi sur la GRC et aux CCGA, puisqu’il s’agit de la loi constitutive de l’instance ou d’une loi étroitement liée. De plus, il importe de souligner que dans l’arrêt Huruglica, il était question de savoir s’il était approprié d’appliquer la norme utilisée lors d’un contrôle judiciaire d’une décision administrative ou d’un tribunal d’appel au contexte d’un contrôle par la Section d’appel des réfugiés d’une décision de la Section de la protection des réfugiés. Par conséquent, contrairement à ce que prétend le demandeur, la CAF ne s’est pas prononcée sur le caractère approprié de la norme du caractère manifestement déraisonnable. Qui plus est, il est précisé, au paragraphe 49 de l’arrêt Huruglica, ce qui suit :

Lorsque le législateur conçoit une structure administrative à plusieurs niveaux, il lui incombe de tenir compte de facteurs tels que l’utilisation optimale des ressources de l’exécutif et la question de savoir s’il est nécessaire de limiter le nombre, la durée et le coût des recours administratifs. Comme on le verra, l’évolution législative et les travaux préparatoires relatifs à la [loi] éclaircissent les raisons de principe qui ont guidé la création de la SAR et le rôle qu’elle est censée jouer. Ces considérations de principe sont uniques à la SPR et à la SAR. Par conséquent, on ne devrait pas simplement présumer que ce qui était réputé être le meilleur principe pour les tribunaux d’appel s’applique également à certains organismes d’appel administratifs.

[61]  À mon avis, l’arrêt Huruglica enseigne l’importance de prendre en considération la norme de contrôle applicable à l’examen par le délégataire de l’autorité disciplinaire dans le contexte de la Loi sur la GRC, ses règlements connexes, et les raisons de principe qui ont orienté la création de la fonction de commissaire. Comme il a été mentionné ci-dessus, la ou le commissaire « a pleine autorité sur la Gendarmerie et tout ce qui s’y rapporte » (Loi sur la GRC, au paragraphe 5(1)), et la ou le commissaire doit disposer d’un large pouvoir discrétionnaire dans l’exercice de ses fonctions.

[62]  Par conséquent, étant donné qu’il est expressément indiqué que la décision doit être « clearly unreasonable » et prenant en compte la traduction en français de l’expression (manifestement déraisonnable), je conclus que le délégataire n’a commis aucune erreur. Il est raisonnable d’interpréter la norme de la décision « clearly unreasonable » comme si elle équivalait à la norme de la décision « manifestement déraisonnable » dans le contexte du régime législatif et sur celui des principes. Il s’ensuit que le délégataire doit faire preuve de retenue à l’égard d’une conclusion par l’autorité disciplinaire lorsqu’il estime simplement que la preuve est insuffisante pour étayer la conclusion (Fraser Health, au paragraphe 30).

[63]  Peut-être y a-t-il lieu d’examiner la norme de contrôle actuelle afin de déterminer s’il faut appliquer un critère différent, mais c’est au législateur qu’il incombe de décider cette question et non à la Cour.

D.  Le délégataire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que ni la décision du surintendant Bond d’imposer un ORT ni les dispositions de l’ORT n’étaient manifestement déraisonnables?

[64]  Le demandeur soutient que l’imposition d’un ORT par le surintendant Bond n’avait aucun fondement juridique, puisque le demandeur n’avait aucunement contrevenu à l’ordre donné par l’inspecteur Leather lors de la réunion du 21 mai. Il soutient que l’inspecteur Leather n’a jamais précisé l’identité de l’analyste civile qui avait déposé la plainte et, par conséquent, ne pouvait avoir donné au demandeur la directive de s’abstenir de s’entretenir avec la membre civile Cameron. De plus, le demandeur soutient que l’inspecteur Leather a fait plusieurs déclarations contradictoires en ce qui a trait à la directive qu’il aurait donnée au demandeur lors de la réunion du 21 mai, ce qui démontre qu’il n’est pas un témoin crédible. À titre subsidiaire, le demandeur soutient que selon le témoignage entendu par le délégataire, la directive donnée par l’inspecteur Leather avait pour but d’assurer que le processus de médiation ne soit ni « enrayé » ni ébranlé; par conséquent, elle était devenue caduque au moment de la discussion entre le demandeur et la membre civile Cameron.

[65]  Le défendeur soutient que la décision du surintendant Bond d’imposer un ORT était fondée sur l’article 5 du Manuel d’administration de la GRC, chapitre XII.1, lequel indique qu’une autorité disciplinaire peut prendre [traduction] « des mesures administratives destinées à protéger l’intégrité de la GRC et de ses processus jusqu’à la conclusion de l’enquête fondée sur le Code de déontologie, comme une réaffectation temporaire ». Le défendeur soutient que cet article précise que la politique en matière de réaffectation temporaire n’exige pas l’établissement d’une violation du Code de déontologie avant de pouvoir imposer un ORT.

[66]  De plus, le défendeur soutient que le surintendant Bond avait des inquiétudes légitimes en ce qui a trait à la supervision de subalternes de la part du demandeur, lesquels avaient déposé des plaintes relatives à son style de gestion ou avec lequel ils n’étaient pas à l’aise, et qu’il était manifestement déraisonnable que le délégataire puisse conclure que l’imposition d’un ORT constituait un moyen approprié de protection de l’intégrité de l’enquête fondée sur le Code de déontologie.

[67]  Dans la décision relative à l’ORT, le délégataire souligne que les observations écrites du demandeur avaient été appuyées par des éléments de preuve dont n’avait pas été saisi le surintendant Bond, au moment de décider d’imposer l’ORT. Le délégataire a reconnu que ce nouvel élément de preuve démontrait qu’aucune autre préoccupation n’avait été exprimée ni consignée à l’égard du style de gestion du demandeur. Néanmoins, le délégataire a conclu que l’imposition d’un ORT n’était pas irrationnelle considérant l’information présentée par le surintendant Bond — p. ex., qu’une note d’information avait été communiquée en ce qui a trait au fait que le demandeur avait désobéi à un ordre légitime — ainsi que la nécessité de protéger l’intégrité de l’enquête fondée sur le Code de déontologie. De plus, le délégataire a conclu que la décision d’imposer un ORT et les dispositions de l’ORT appartenaient aux issues acceptables et ne contrevenaient aucunement aux principes de l’équité procédurale.

[68]  L’article 5 du Manuel d’administration de la GRC indique sans équivoque que les ORT peuvent être utilisés comme une [traduction] « mesure administrative de protection de l’intégrité de la GRC et de ses processus ». Le délégataire a également souligné que le surintendant Bond, une fois qu’il eut été saisi des faits précisés dans la note d’information, pouvait aux termes de la Loi sur la GRC entamer l’enquête fondée sur le Code de déontologie et sur la politique de la GRC en vue de protéger le processus en imposant l’ORT.

[69]  En ce qui a trait aux arguments du demandeur à l’égard de la validité de la directive de l’inspecteur Leather, et des allégations selon lesquelles l’inspecteur Leather n’était pas un témoin crédible, le délégataire a conclu qu’il n’était pas approprié de tirer une conclusion ayant trait à la décision relative à l’ORT, étant donné qu’aucune décision n’avait encore été rendue en ce qui a trait à l’appel interjeté au sujet de la décision ECD.

[70]  L’imposition d’un ORT est une mesure administrative qui peut être utilisée dans le cadre d’enquêtes fondées sur le Code de déontologie. La question de savoir s’il convenait d’imposer un ORT en l’espèce est une question de fait. Le délégataire a conclu qu’il n’existait aucune preuve indiquant que l’imposition de l’ORT ou du contenu des ORT ne pouvait être contestée ou, de toute évidence, était déraisonnable. Selon la preuve au dossier et la décision relative à l’ORT, je conclus que la décision du délégataire selon laquelle le surintendant Bond avait agi de manière légitime et convenable est raisonnable.

E.  Le délégataire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que la conclusion du surintendant Bond selon laquelle le demandeur avait reçu un ordre sans équivoque n’était pas « manifestement déraisonnable »?

[71]  Le demandeur soutient que le délégataire a commis une erreur à la fois de fait et de droit lorsqu’il a conclu que la conclusion du surintendant Bond, selon laquelle il existait une preuve claire et convaincante de la communication d’un ordre de ne pas adresser la parole à la membre civile Cameron, n’était pas manifestement déraisonnable. Le demandeur soutient que lors de la réunion du 21 mai, on ne lui avait pas indiqué de ne pas adresser la parole au caporal Amine et au gendarme Melvin, et que le nom de la membre civile Cameron n’avait pas été mentionné en tant que tel et que, par conséquent, il ne pouvait pas être ajouté au groupe de [traduction] « quiconque dont le nom [lui] a été mentionné hier » selon le courriel du 22 mai. De plus, le demandeur affirme qu’il n’existe aucune preuve claire et convaincante appuyant la déclaration de l’inspecteur Leather selon laquelle il avait ordonné au demandeur de s’abstenir de parler à quiconque de l’équipe 2 au sujet du litige.

[72]  Le demandeur soutient que la crédibilité de l’inspecteur Leather n’avait pas adéquatement été évaluée par le surintendant Bond et que le délégataire n’avait pas apprécié la question de savoir si le surintendant Bond avait appliqué le critère de la décision raisonnable lors de son examen de la crédibilité d’un témoin. Le demandeur indique que la différence entre les notes écrites de l’inspecteur Leather et ses déclarations, et la nature possiblement non à jour de sa note relative à la réunion du 21 mai démontrent que l’inspecteur Leather n’est pas crédible. Le demandeur soutient que, puisque le surintendant Bond s’est fié au témoignage de l’inspecteur Leather, le délégataire a eu tort de conclure que la décision du surintendant Bond n’était pas manifestement déraisonnable.

[73]  Le défendeur soutient que le dossier de la preuve appuie la conclusion selon laquelle l’inspecteur Leather avait donné un ordre direct au demandeur lui enjoignant de ne pas adresser la parole aux membres de l’équipe 2. Le défendeur souligne que l’inspecteur Leather et le demandeur s’entendent pour dire que l’inspecteur Leather avait indiqué au demandeur que la plainte provenait du caporal Amine, du gendarme Melvin, et d’une analyste civile dont le nom n’avait pas été révélé. Une seule analyste civile faisait partie de l’équipe 2, la membre civile Cameron. Par conséquent, le défendeur soutient que la directive de l’inspecteur Leather selon laquelle le demandeur devait s’abstenir de parler à [TRADUCTION] « quiconque dont le nom [lui] a été mentionné hier » constituait, pour le moins que l’on puisse dire, une directive sans équivoque lui enjoignant de ne pas parler à la membre civile Cameron.

[74]  De plus, le défendeur soutient que le deuxième courriel du 22 mai, lequel comprenait des directives enjoignant au demandeur de s’abstenir d’adresser la parole à quiconque avait été mentionné lors de la réunion, à l’exception du caporal McLaughlin et du sergent Stevely, appuie la conclusion du surintendant Bond selon laquelle le demandeur avait eu comme directive de ne pas communiquer avec les autres membres de l’équipe 2, autres que le caporal Amine et le gendarme Melvin, puisque cette mention du caporal McLaughlin et du sergent Stevely ne pouvait nécessairement avoir une autre signification. Le défendeur affirme également que le délégataire n’a pas eu tort de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions tirées par le surintendant Bond en ce qui a trait à la crédibilité du témoignage de l’inspecteur Leather.

[75]  La question de savoir si l’inspecteur Leather avait donné des instructions sans équivoque est une question de fait. Par conséquent, le délégataire a examiné la conclusion tirée par le surintendant Bond relative à la norme de contrôle appliquée selon la décision manifestement déraisonnable, ou en d’autres termes, la norme de la décision « clearly unreasonable ». Par conséquent, le délégataire pouvait conclure que la décision ECD n’était pas manifestement déraisonnable, s’il existait la moindre preuve claire appuyant les conclusions du surintendant Bond.

[76]  Comme il a été indiqué au paragraphe 59 de la décision MDCD, le délégataire a souligné les observations du demandeur en ce qui a trait à l’absence de preuve claire et convaincante. Néanmoins, lors de son évaluation du dossier de la preuve recueillie par le surintendant Bond, le délégataire a conclu à l’existence d’une preuve pouvant appuyer la conclusion du surintendant Bond. Le délégataire a examiné les faits considérés par le surintendant Bond : i) que la membre civile Cameron était la seule analyste civile au sein de l’équipe 2 et qu’elle avait été mentionnée lors de la réunion, malgré le fait que son nom n’avait pas été soulevé; ii) qu’il n’aurait pas eu de raison de créer une exception en ce qui concerne le caporal McLaughlin et le sergent Stevely, si la directive avait uniquement eu pour objet l’interdiction d’adresser la parole au caporal Amine et au gendarme Melvin; et ii) la note récente rédigée par l’inspecteur Leather à 14 h 06, le 22 mai 2015, dans laquelle l’inspecteur Leather indique qu’il a interdit par courriel au demandeur de s’adresser à quiconque avait été mentionné lors de la réunion du 21 mai, notamment la membre civile X (c.-à-d., la membre civile Cameron).

[77]  De plus, le délégataire a pris compte de la preuve relative aux allégations du demandeur selon lesquelles l’inspecteur Leather n’était pas un témoin crédible et il a, à juste titre, conclu qu’il n’était pas habilité à trancher une question portant sur la crédibilité de l’inspecteur Leather (Elhatton c Canada (Procureur général), 2013 CF 71, aux paragraphes 45 à 46 [Elhatton]). Le délégataire a conclu que le surintendant Bond n’avait commis aucune erreur manifeste ou dominante lors de son évaluation de la crédibilité et il n’est pas intervenu (Elhatton, au paragraphe 47, citant FH c McDougall, 2008 CSC 53, aux paragraphes 72 et 73). De plus, le délégataire a correctement souligné qu’il n’était pas tenu de soupeser de nouveau la preuve dont avait été saisi le surintendant Bond. Ainsi, je conclus que la conclusion tirée par le surintendant Bond selon laquelle l’inspecteur Leather avait donné un ordre sans équivoque est raisonnable.

F.  Le délégataire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que la méthode prise par le surintendant Bond pour évaluer la preuve, appliquer la norme de preuve applicable en matière civile, ainsi que pour déterminer et appliquer les éléments requis afin de conclure qu’il y avait eu violation du Code de déontologie n’était pas « manifestement déraisonnable »?

[78]  Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur ne traite pas de cette question en profondeur. Quoi qu’il en soit, j’estime que cette question est simplement une combinaison et une reprise des questions E et G tirées du dossier T-2005-16, comme elles sont présentées ci-dessus dans la section portant sur les questions en litige. Par conséquent, ce point ne fera pas l’objet d’une appréciation distincte.

G.  Le délégataire a-t-il commis une erreur de fait et de droit lorsqu’il a conclu que le surintendant Bond pouvait décider qu’il n’était pas « manifestement déraisonnable » de conclure que le demandeur n’avait pas obéi à un ordre légitime?

[79]  Le demandeur fait valoir qu’il a suivi l’ordre qui lui a été donné : s’abstenir de parler au caporal Amine et au gendarme Melvin. À titre subsidiaire, le demandeur soutient que la directive était devenue caduque au moment où il a parlé à la membre civile Cameron, puisque la médiation n’allait pas avoir lieu. De nouveau à titre subsidiaire, le demandeur indique que cette discussion avec la membre civile Cameron avait pour but de se renseigner sur les plaintes et qu’il était justifié de le faire puisque l’information reçue à ce sujet par les inspecteurs Leather et Corcoran n’était pas adéquate.

[80]  Pour la dernière fois, à titre subsidiaire, le demandeur soutient qu’il lui était légitimement justifié de ne pas se conformer à la directive de l’inspecteur Leather, notamment, en raison de la méthode inappropriée employée par les inspecteurs Leather et Corcoran pour traiter les préoccupations alléguées relatives au style de gestion du demandeur — soit que les inspecteurs Leather et Corcoran ont mis en jeu la réputation et la carrière du demandeur en lui imposant une réaffectation temporaire, et en acheminant à ses pairs et à ses subalternes un courriel leur annonçant qu’une plainte avait été déposée contre lui. Le demandeur soutient qu’une promotion lui avait déjà été refusée par l’inspecteur Corcoran en raison de ces allégations. Enfin, le demandeur indique que l’utilisation par le délégataire de la fiche distingue la présente affaire de la décision Stone c SDS Kerr Beavers Dental, [2006] OJ No 2532, en ce sens qu’elle constitue une violation des principes d’équité procédurale puisque la fiche n’avait pas été divulguée au demandeur.

[81]  Pour sa part, le défendeur répond que le délégataire pouvait raisonnablement conclure que les éléments de preuve produits étayaient la conclusion selon laquelle la consigne de l’inspecteur Leather était toujours en vigueur, même si la possibilité de la médiation n’existait plus, puisqu’il n’existait toujours pas de solution évidente relative au traitement de la plainte. De plus, le défendeur soutient que la preuve démontre que le délégataire pouvait raisonnablement confirmer la décision du surintendant Bond, selon laquelle le demandeur n’était pas justifié de s’adresser à la membre civile Cameron en vue d’obtenir des renseignements, puisque le demandeur s’avait qu’il pouvait s’adresser aux inspecteurs Leather et Corcoran, au caporal McLaughlin, ou au sergent Stevely au sujet de ses préoccupations, mais il a plutôt choisi de parler précisément à la seule analyste civile de l’équipe 2. Qui plus est, le défendeur soutient que le délégataire pouvait raisonnablement conclure que les inquiétudes du demandeur concernant les mesures imposées par les inspecteurs Leather et Corcoran, et les questions relatives aux affectations et aux promotions ne constituaient pas des moyens de défense pour avoir désobéi à un ordre direct.

[82]  J’ai déjà conclu que le délégataire pouvait raisonnablement confirmer la décision du surintendant Bond selon laquelle la directive de l’inspecteur Leather était sans équivoque.

[83]  En ce qui a trait à la question de savoir si la directive était devenue caduque, le délégataire a souligné que le surintendant Bond n’avait pas accepté la thèse du demandeur à cet égard, parce que, d’une part, le processus de règlement de la plainte n’avait pas été clos, et d’autre part, parce que la directive n’avait pas été contestée. Le délégataire a examiné l’appréciation de la preuve par le surintendant Bond en ce qui a trait à l’objectif de la directive et à l’évolution du processus de règlement du différend par suite de l’échec de la médiation, et il a conclu que le surintendant Bond n’avait commis aucune erreur de fait ou de droit. Le délégataire a également conclu qu’il incombait au demandeur de s’enquérir au sujet de la directive auprès de l’inspecteur Leather et obtenir la confirmation que la directive n’était plus en vigueur. Par conséquent, l’absence de preuve attestant indubitablement que la directive était toujours en vigueur après le 7 juillet 2015 n’est pas un fondement assez solide pour inciter le délégataire à conclure que le surintendant Bond avait commis une erreur. Je conclus que la décision du délégataire à cet égard est raisonnable.

[84]  Il est précisé à l’article 3.3 du Code de déontologie que les « membres donnent et exécutent des ordres et des directives légitimes ». Le surintendant Bond a conclu que les inquiétudes du demandeur à l’égard des inspecteurs Leather et Corcoran, ainsi que ses préoccupations relatives à sa réputation et à ses chances de promotion éventuelles ne pouvaient justifier qu’il désobéisse à des directives légitimes et, par conséquent, il a contrevenu au Code de déontologie. Le délégataire qui, par ailleurs, possède une expertise dans le domaine des politiques de la GRC et de l’obligation de s’assurer d’une gestion adéquate au sein de la GRC, a souscrit à la conclusion du surintendant Bond.

[85]  Dans ses observations écrites, le demandeur cite plusieurs décisions pour appuyer ses allégations selon lesquelles les inspecteurs Leather et Corcoran n’ont pas satisfait à la norme juridique applicable quant à la méthode à suivre par les employeurs lors du traitement des situations d’écarts de rendement à l’égard des employés syndiqués et non syndiqués. Je conclus que ces décisions, bien que pertinentes, ne minent aucunement le seuil consistant à établir un fondement manifestement déraisonnable en ce qui a trait à la décision en l’espèce. Un tel fondement n’existe pas en l’espèce. Bien que je puisse être en désaccord avec le traitement réservé au demandeur, et que je puisse comprendre sa frustration à l’égard de l’absence de renseignements explicatifs complets relatifs aux soucis liés à son rendement, je ne suis pas disposé à soupeser de nouveau la preuve ni à appliquer une autre norme de contrôle.

[86]  Qui plus est, la question de savoir si les inspecteurs Leather et Corcoran avaient assuré un traitement adéquat des situations de prétendus écarts de rendement du demandeur est une question différente et distincte de celle visant à établir si le demandeur était justifié de désobéir à un ordre légitime. Comme l’a fait remarquer le délégataire, il existe une procédure interne de règlement des griefs décrite dans la partie III de la Loi sur la GRC, qui était à la disposition du demandeur pour répondre à ces préoccupations. Par conséquent, la conclusion du délégataire selon laquelle cet argument présenté à titre subsidiaire manque de fondement est raisonnable.

[87]  Le délégataire a reconnu l’existence d’un problème d’équité procédurale en ce qui a trait à la fiche. La décision du délégataire au sujet du non-respect des principes d’équité procédurale de la part du surintendant Bond ne précise pas expressément si ce non-respect avait eu une incidence sur la conclusion du surintendant Bond, selon laquelle le demandeur n’était pas justifié de désobéir à la directive de l’inspecteur Leather. Néanmoins, il ne fait aucun doute que le délégataire a conclu que la fiche et l’utilisation qu’en a faite le surintendant Bond étaient liées aux mesures disciplinaires imposées, et non pas à la question de savoir si le demandeur était justifié de désobéir à un ordre direct. Par conséquent, rien dans les motifs évoqués par le délégataire ne constitue une erreur de droit (Newfoundland and Labrador Nurses Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62).

[88]  Je suis conscient des inquiétudes exprimées par le demandeur en ce qui a trait à sa réputation et aux possibilités de promotion dans l’avenir. Néanmoins, je conclus que l’examen par le délégataire de la décision du surintendant Bond a été fait de manière raisonnable et qu’il n’a commis aucune erreur de droit.

H.  Le délégataire a-t-il commis une erreur en imposant une mesure disciplinaire de suppression de cinq jours de congé annuel à la place de la mesure disciplinaire imposée par le surintendant Bond?

[89]  Le demandeur soutient que le délégataire a commis une erreur de fait et de droit en refusant d’accorder suffisamment d’importance aux facteurs atténuants et en accordant une importance considérable aux facteurs aggravants en l’espèce.

[90]  Pour sa part, le défendeur soutient que le délégataire a adéquatement examiné la violation par le surintendant Bond du droit du demandeur au respect des principes d’équité procédurale, qu’il a accueilli l’appel relatif aux mesures disciplinaires et a imposé une autre série de mesures disciplinaires raisonnables.

[91]  L’établissement de mesures disciplinaires adéquates est fonction des faits et est guidé par des considérations de politique. Par conséquent, il est préférable que cette analyse soit effectuée par le décideur expert. De plus, la Cour n’entreprendra pas d’apprécier de nouveau la preuve. La décision MDCD démontre que le délégataire a pris en compte les facteurs atténuants et aggravants. Les mesures disciplinaires imposées s’harmonisent avec les mesures disciplinaires qui peuvent être imposées aux termes des articles 3 et 4 des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291. De plus, le délégataire a clairement expliqué les motifs qui l’ont incité à choisir les mesures disciplinaires qu’il a imposées au demandeur.

[92]  J’estime que les mesures disciplinaires imposées par le délégataire sont raisonnables.

VI.  Dépens

[93]  Les parties n’ont présenté aucun argument au sujet des dépens. À mon avis, les faits en l’espèce ne justifient pas l’adjudication de dépens.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T-2005-16 ET T-2098-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé doit être modifié de manière à ne nommer que le procureur général du Canada comme défendeur.

  2. Les demandes du demandeur dans les deux dossiers T-2005-16 et T-2098-16 sont rejetées;

  3. Les parties n’ont présenté aucun argument au sujet des dépens. À mon avis, les faits en l’espèce ne justifient pas l’adjudication de dépens.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2005-16 et T-2098-16

 

INTITULÉ :

BALJIT SINGH KALKAT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 août 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 août 2017

 

COMPARUTIONS :

Sebastien Anderson

Sherry Shir

Pour le demandeur

Erica Louie

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labour Rights Law Office

S. Anderson Professional Law Corp.

Coquitlam (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour les défendeurs

 

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