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Date : 20170815


Dossier : IMM-414-17

Référence : 2017 CF 769

[TRADUCTION FRANÇAISE]

À Ottawa (Ontario), le 15 août 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MESRAK KASSIE NEBRET

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés datée du 4 janvier 2017 et accompagnant un avis de décision daté du 11 janvier 2017. Cette décision confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, conformément à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la LIPR), ni une personne à protéger, conformément à l’article 97 de la LIPR.

[2]  Comme je l’explique plus en détail plus loin, cette demande est rejetée, parce que la demanderesse ne m’a pas convaincu qu’on lui a refusé l’équité procédurale en ce qui concerne l’audience menant à la décision contestée ou que la décision est déraisonnable.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse, Mesrak Kassie Nebret, est une citoyenne éthiopienne d’origine amharique. Elle est arrivée au Canada en avril 2011 et a présenté une demande d’asile à la fin de 2013 fondée sur ses activités politiques en Éthiopie et après son arrivée au Canada.

[4]  Mme Nebret affirme qu’avant de quitter l’Éthiopie, elle était fiancée à Samuel Debesai, un activiste de l’opposition qui était détenu au moment où elle a présenté sa demande d’asile. Elle a également affirmé que son père était un membre du parti de l’ancien régime et gouverneur du district de Debat, et qu’il avait aussi été détenu par le régime au pouvoir, torturé, et qu’il était décédé peu après sa libération en 1993.

[5]  Mme Nebret prétend qu’elle était politiquement active en Éthiopie, en tant que membre du Parti de la Coalition pour la démocratie, la justice et l’unité et du Parti de l’unité pour la démocratie et la justice. Elle affirme, dans son formulaire Fondement de la demande (FD) qu’elle a été détenue à deux reprises, en mai et en août de 2010, qu’elle a été maltraitée en prison à ces deux reprises et qu’elle a été libérée avec un avertissement de s’abstenir de s’engager en politique. Mme Nebret affirme qu’elle craint d’être emprisonnée et torturée si elle retourne en Éthiopie. Elle affirme également qu’elle a poursuivi ses activités politiques au Canada, participant depuis 2012 aux activités d’une organisation non gouvernementale basée à Toronto qui s’appelle « Unity for Democracy and Human Rights », dont elle est devenue membre en 2013.

[6]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est intervenu dans la demande devant la Section de la protection des réfugiés, produisant des documents et des observations écrites. La demande de Mme Nebret a été entendue devant la Section de la protection des réfugiés le 10 mai 2016. Puisque l’interprète amharique n’a pas pu rester pendant toute la durée de l’audience prévue, l’affaire a été ajournée et s’est poursuivie le 21 juin 2016, avec l’assistance d’un autre interprète. La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande de Mme Nebret le 15 juillet 2016 sur le fondement de préoccupations relatives à la crédibilité. La Section de la protection des réfugiés n’a pas cru que Mme Nebret avait été active politiquement en Éthiopie, qu’elle avait été détenue et emprisonnée comme elle le prétendait, ou qu’elle avait attiré l’attention des agents de persécution présumés. La Section de la protection des réfugiés avait aussi des préoccupations en ce qui concerne la crédibilité de la preuve des activités politiques de Mme Nebret au Canada et a conclu qu’elle n’avait pas établi d’éléments de preuve crédibles que de telles activités seraient connues des autorités éthiopiennes. Elle a interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés devant la Section d’appel des réfugiés et demande maintenant le contrôle judiciaire du rejet de son appel par la Section d’appel des réfugiés.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[7]  La demanderesse soumet les questions suivantes à la Cour :

  1. Le caractère inadéquat des services d’interprétation offerts lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés a-t-il enfreint le droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

  2. L’emploi de l’anglais par la Section de la protection des réfugiés lors de l’audience a-t-il enfreint le droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

  3. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

  4. La décision de rejeter la demande de la demanderesse sur place était-elle raisonnable?

[8]  Je souscris à l’argument de la demanderesse selon lequel les questions liées à l’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12) et que les conclusions de la Section d’appel des réfugiés en ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse et la décision sur place sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

IV.  Analyse

A.  Le caractère inadéquat des services d’interprétation offerts lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés a-t-il enfreint le droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

[9]  Mme Nebret soutient que l’interprétation à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés était inadéquate, en ce sens que l’interprète changeait le sens de ses mots, communiquait des idées qui étaient différentes de ce que voulaient dire les participants, omettait des mots et ajoutait du contenu qui n’était pas dit pendant l’audience. Elle soutient que, en raison de ces erreurs, elle n’a pas pu présenter sa demande convenablement et que la Section de la protection des réfugiés n’a pas pu la comprendre convenablement. Pour appuyer son argument, Mme Nebret a produit une traduction préparée par un employé formé en droit du bureau de son avocat, qui parle couramment l’amharique et l’anglais, et a de l’expérience dans l’offre de services d’interprétation. Ce document présente des extraits de l’audience de la Section de la protection des réfugiés, traduisant en anglais certaines déclarations faites en amharique par Mme Nebret et l’interprète.

[10]  Mme Nebret soutient à juste titre que le droit à un interprète dans une procédure de revendication du statut de réfugié est enchâssé dans l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, que l’interprétation doit être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante et qu’aucune preuve de préjudice réel n’est requise comme condition pour obtenir réparation en cas de traduction insuffisante (voir Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191[Mohammadian]; Licao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 89[Licao], au paragraphe 26).

[11]  Cependant, Mme Nebret reconnaît aussi qu’il n’est pas attendu des services d’interprétation qu’ils soient parfaits et que toutes les erreurs d’interprétation ne constituent pas une atteinte à l’équité procédurale. Elle renvoie à la décision de la Cour dans Batres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 981, qui abordait un argument selon lequel la traduction erronée avait mené la Section de la protection des réfugiés a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité. La juge McVeigh a fait observer, au paragraphe 12, que lorsque des erreurs se glissent dans la traduction, les erreurs doivent être déterminantes quant à aux conclusions en matière de crédibilité pour accorder une mesure de réparation. Mme Nebret soutient que les erreurs de traduction commises pendant son audience devant la Section de la protection des réfugiés l’ont empêchée de raconter son histoire et sont déterminantes dans les conclusions de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité.

[12]  Ces arguments ont été présentés devant la Section d’appel des réfugiés, qui a examiné les extraits traduits de l’audience de la Section de la protection des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés a accepté le fait qu’il y avait des erreurs d’interprétation, mais elle a conclu que celles-ci n’étaient pas déterminantes et qu’elles n’avaient pas empêché Mme Nebret de comprendre les procédures ou de raconter son histoire. Je souscris à la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle il y avait des erreurs d’interprétation. Cependant, comme l’a indiqué le défendeur, la demanderesse n’a pas fourni de traduction en parallèle de toute l’audience. Par conséquent, comme la Section d’appel des réfugiés, la Cour ne peut se baser que sur les extraits traduits qui sont disponibles et doit évaluer selon ces extraits si les erreurs sont déterminantes et révèlent qu’elles ont empêché la demanderesse de communiquer ses arguments à la Section de la protection des réfugiés.

[13]  Lors de l’audience de la présente demande, l’avocat de Mme Nebret a mis l’accent sur trois aspects particuliers des extraits de la transcription de l’audience qui démontrent les lacunes de l’interprétation. Un de ces aspects est lié à la question de savoir si la compréhension qu’avait Mme Nebret de la langue anglaise était suffisante pour qu’elle témoigne en anglais ou si elle devait faire appel aux services d’un interprète amharique. Cet aspect sera abordé plus loin dans mon analyse de la deuxième question soulevée par la demanderesse, c.-à-d. si l’emploi de l’anglais par la Section de la protection des réfugiés lors de l’audience a enfreint son droit à l’équité procédurale.

[14]  Les autres aspects sur lesquels insistait l’avocat de Mme Nebret portaient sur son témoignage concernant la prison où elle prétend avoir été détenue en Éthiopie et son témoignage concernant la façon dont elle avait été traitée pendant sa détention. En ce qui concerne la façon dont elle avait été traitée en détention, la Section de la protection des réfugiés a demandé comment elle avait été traitée en prison, ce que l’interprète a traduit comme une demande relative à la façon dont elle avait été arrêtée. Je suis d’accord avec Mme Nebret pour dire que cela démontre une erreur de traduction. Cependant, cela ne semble pas l’avoir empêchée de raconter son histoire, puisqu’elle a aussi inclus des extraits où elle a décrit l’agression physique subie aux mains de ses geôliers. Mme Nebret souligne également les erreurs d’interprétation dans cette preuve, en ce sens qu’elle a témoigné avoir été maltraitée, ce que l’interprète a traduit comme le fait qu’elle avait été poussée et torturée. Lorsque la Section de la protection des réfugiés a demandé ce qu’elle voulait dire par « torturée », elle a indiqué avoir été poussée et frappée. L’interprète a traduit cela comme [traduction] « ils nous ont donné des coups de pied avec les mains ». La Section de la protection des réfugiés a demandé si elle avait été battue, et elle a confirmé qu’elle l’avait été. Encore une fois, bien que je sois d’accord pour dire qu’il y avait un manque de précision dans une partie de cette interprétation, les extraits traduits présentés par Mme Nebret ne démontrent pas qu’ils l’ont empêchée de communiquer les mauvais traitements qu’elle dit avoir subis en prison ou de communiquer ses arguments par ailleurs.

[15]  Pour en venir au témoignage de Mme Nebret concernant la prison, elle mentionne un échange où la Section de la protection des réfugiés s’est informée sur le terme [traduction] « prison centrale », traduit par l’interprète comme [traduction] « prison Meakelawi », et Mme Nebret a répondu en mentionnant « Meakelawi », ce que l’interprète a traduit comme [traduction] « prison centrale ». La décision de la Section d’appel des réfugiés mentionne une preuve objective que « Meakelawi » veut dire « centrale » en amharique, et je ne comprends pas pourquoi Mme Nebret conteste ce fait. Il n’est donc pas clair, à mon avis, que cet échange démontre une erreur de traduction. Mme Nebret renvoie également à plusieurs extraits de transcription traduits qui démontrent que la Section de la protection des réfugiés lui a demandé d’expliquer pourquoi elle n’avait pas parlé, dans son témoignage, de la région ou du nom de la prison où elle avait été amenée au moment de son arrestation. Je suis d’accord pour dire que ces questions n’ont pas été traduites correctement.

[16]  Cependant, il n’est pas possible de caractériser les erreurs de traduction dans les deux domaines mis en évidence par Mme Nebret comme étant déterminantes pour le rejet de sa demande. Même si la Section de la protection des réfugiés a tiré des conclusions de crédibilité défavorables liées à son défaut de mentionner dans son formulaire Fondement de la demande le nom de la prison où elle a été détenue et l’omission des détails sur les mauvais traitements qu’elle a subis, la Section d’appel des réfugiés a souscrit à son argument dans le cadre de l’appel selon lequel il s’agissait d’erreurs mineures et que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en tirant ces conclusions particulières en matière de crédibilité. La Section d’appel des réfugiés a considéré que ces erreurs se rattachaient à deux conclusions relativement mineures en matière de crédibilité, qui n’ont pas changé la décision globale de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle Mme Nebret n’avait pas établi au moyen d’une preuve crédible et fiable qu’elle était active sur le plan politique, qu’elle avait été détenue, qu’elle est ou était recherchée par les autorités pour quelque raison que ce soit, ou qu’elle était ou est perçue comme une dissidente politique.

[17]  Par souci d’intégralité, je note que le mémoire des faits et du droit de la demanderesse expose d’autres extraits de transcription traduits comme exemples de présumées erreurs d’interprétation. J’ai passé en revue les extraits dans le mémoire des faits et du droit et je n’ai relevé aucune erreur qui serait, à mon avis, déterminante pour les conclusions en matière de crédibilité sur lesquelles le rejet de la demande d’asile de Mme Nebret était fondé.

[18]  Je suis donc convaincu que la Section d’appel des réfugiés a conclu correctement que les erreurs de traduction n’ont pas donné lieu à un déni d’équité procédurale.

B.  L’emploi de l’anglais par la Section de la protection des réfugiés lors de l’audience a-t-il enfreint le droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

[19]  Mme Nebret note que, le premier jour de l’audience, le 10 mai 2016, la Section de la protection des réfugiés a conclu que Mme Nebret avait besoin des services d’un interprète et a donc ajourné l’audience. Elle soutient que, lorsque l’audience a repris le 21 juin 2016, la Section de la protection des réfugiés a insisté pour que l’audience se déroule, du moins en partie, en anglais. Mme Nebret prend la position que cela représente le fait que la Section de la protection des réfugiés a réexaminé sa décision précédente, de procéder avec l’aide des services d’un interprète, sans soutien pour cette décision autre que le fait qu’elle avait démontré une connaissance pratique de l’anglais et avait déclaré dans son formulaire Fondement de la demande qu’elle parlait l’anglais.

[20]  En ce qui concerne cette question, Mme Nebret renvoie aux extraits de transcription traduits qui démontrent que la Section de la protection des réfugiés s’est interrogée sur ses capacités en anglais. Le premier jour de l’audience, la Section de la protection des réfugiés a exprimé l’opinion que Mme Nebret avait besoin des services d’un interprète et, même si Mme Nebret souhaitait parler en anglais, la Section de la protection des réfugiés n’a pas considéré que c’était une bonne idée. Le deuxième jour, lorsque l’audience a repris avec l’aide d’un interprète, la Section de la protection des réfugiés a demandé à Mme Nebret si elle écoutait les questions de la Section de la protection des réfugiés en anglais ou seulement les traductions en amharique. La Section de la protection des réfugiés a communiqué qu’elle avait l’option de témoigner en anglais, et elle a affirmé qu’elle essaierait.

[21]  Mme Nebret soutient, et je suis d’accord, que ces communications par la Section de la protection des réfugiés n’ont pas bien été interprétées. Cependant, la transcription traduite démontre également que la Section de la protection des réfugiés a demandé à l’avocat de l’informer s’il préférait que Mme Nebret parle en anglais, ce à quoi l’avocat a répondu qu’il lui demanderait de parler en amharique; par conséquent, la Section de la protection des réfugiés a affirmé qu’ils continueraient avec l’interprétation. Un extrait subséquent de la transcription démontre que la Section de la protection des réfugiés note que Mme Nebret répondait aux questions en anglais sans écouter l’interprétation en amharique. La Section de la protection des réfugiés a de nouveau demandé si elle était à l’aise en anglais; elle a répondu qu’elle préférait avoir l’assistance de l’interprète, et la Section de la protection des réfugiés lui a rappelé que l’interprète parlerait en amharique pour elle. Même si cet échange a encore été traduit imparfaitement, l’extrait traduit démontre cependant que c’est Mme Nebret qui s’éloignait de la dépendance à l’égard du traducteur et que la Section de la protection des réfugiés en était consciente et a abordé le point avec elle. Il démontre aussi qu’elle comprenait le point que soulevait la Section de la protection des réfugiés, exprimant sa préférence à utiliser l’interprète, et que la Section de la protection des réfugiés tirait et communiquait la même conclusion que le premier jour de l’audience, à savoir que Mme Nebret devrait utiliser les services de traduction en amharique offerts.

[22]  Cette question a été soulevée devant la Section d’appel des réfugiés, qui a noté que c’est la Section de la protection des réfugiés qui avait recommandé, le premier jour de l’audience, que Mme Nebret ait recours aux services de l’interprète et que la Section de la protection des réfugiés avait ajourné l’audience lorsque l’interprète n’était plus disponible. La Section d’appel des réfugiés a fait observer que, à la deuxième séance, la Section de la protection des réfugiés avait offert à Mme Nebret de témoigner en anglais et qu’elle avait accepté, mais que la Section de la protection des réfugiés avait ensuite consulté l’avocat à ce sujet, après quoi la Section de la protection des réfugiés a décidé que Mme Nebret devrait recourir aux services de l’interprète et a demandé à Mme Nebret d’éviter d’écouter les questions en anglais. Je conclus que la Section d’appel des réfugiés a interprété correctement les extraits de la transcription pertinents à cette question, et je suis d’accord avec la Section d’appel des réfugiés pour dire que Mme Nebret n’a pas établi, comme elle l’allègue, que la Section de la protection des réfugiés a insisté pour qu’elle parle anglais.

[23]  Mme Nebret renvoie également à un paragraphe de la décision de la Section d’appel des réfugiés, qui notait que l’avocat avait questionné Mme Nebret, et qu’elle avait répondu, sans les services d’un interprète. La Section d’appel des réfugiés a fait observer que cet échange s’était déroulé rapidement et de manière fluide, et sans indication que Mme Nebret avait de la difficulté à comprendre ou à répondre. Comme l’a soutenu le défendeur, Mme Nebret n’a pas renvoyé la Cour à la partie de l’audience à laquelle ce paragraphe renvoie. Par conséquent, rien ne permet à la Cour de conclure que la conduite de cette partie de l’audience en anglais, qui semble avoir été motivée par l’avocat plutôt que par la Section de la protection des réfugiés, a entravé la capacité de Mme Nebret de présenter sa demande ou l’a par ailleurs privée de son droit à l’équité procédurale. La Section d’appel des réfugiés a conclu que, si Mme Nebret avait des préoccupations concernant un témoignage en anglais, elle ou son avocat aurait dû soulever ces préoccupations à la première occasion. La Section d’appel des réfugiés a également conclu que le dossier prouve que c’est Mme Nebret qui souhaitait parler anglais et que c’est la Section de la protection des réfugiés qui préférait avoir recours à un interprète.

[24]  Je suis d’accord avec l’interprétation du dossier par la Section d’appel des réfugiés et son application du principe juridique pertinent, à savoir que la renonciation au droit à une traduction adéquate survient si une opposition quant à la qualité de la traduction n’est pas présentée par le demandeur à la première occasion dans les cas où il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit déposée (voir Mohammadian; Licao, au paragraphe 26).

[25]  Enfin, je note la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle la Section de la protection des réfugiés n’a pas commis d’erreur en mentionnant le fait que Mme Nebret avait obtenu un visa de travail qui exigeait une connaissance fonctionnelle de l’anglais. Je ne décèle aucune erreur dans cette observation de la Section de la protection des réfugiés, que la Section de la protection des réfugiés a affirmé pour appuyer le propre témoignage de Mme Nebret selon lequel elle parle couramment l’anglais. De même, la Section d’appel des réfugiés a noté que Mme Nebret avait indiqué l’anglais et l’amharique comme les deux langues qu’elle parle. Même sans ces renseignements quant aux compétences de Mme Nebret en anglais, je conclus que la Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur dans son analyse de cette question et sa conclusion selon laquelle Mme Nebret ne s’était pas vu refuser l’équité procédurale. L’analyse par la Section d’appel des réfugiés ne dépend pas de cette information quant à ses compétences linguistiques. Cependant, ces renseignements appuient encore plus le caractère correct de la conclusion.

C.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

[26]  Mme Nebret soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en confirmant les conclusions de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité. Elle note que, en ce qui concerne son père, la Section de la protection des réfugiés a fait observer que Mme Nebret n’avait pas allégué dans son formulaire Fondement de la demande que les antécédents de son père avaient été soulevés pendant ses détentions et que, dans son témoignage de vive voix, elle n’avait fait aucune allégation que les antécédents de son père étaient connus des agents de persécution présumés. Elle a plutôt dit avoir été questionnée sur la raison pour laquelle elle exerçait des activités politiques dans sa région. Cependant, Mme Nebret soutient que la Section de la protection des réfugiés ne lui a pas demandé si le profil politique de son père avait été soulevé pendant ses détentions et qu’il s’agissait donc d’une erreur de la Section de la protection des réfugiés que de mettre en doute sa crédibilité sur le fondement de questions qui n’avaient jamais été posées (voir Buwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 850, au paragraphe 18). Elle soutient en outre que, en l’absence de telles questions, la conclusion de la Section de la protection des réfugiés que le profil de son père n’avait joué aucun rôle dans sa détention est simplement conjectural et qu’elle ne peut pas appuyer une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

[27]  Cet argument a été soulevé devant la Section d’appel des réfugiés, qui a analysé le raisonnement de la Section de la protection des réfugiés comme étant qu’il y avait un manque de preuve pour appuyer une allégation principale, que Mme Nebret avait été recherchée par les autorités et avait subi des préjudices de la part de celles-ci en partie parce que son défunt père était reconnu comme un opposant politique au régime. La propre preuve de Mme Nebret ne comprenait pas de mention du fait que le profil de son père avait été soulevé pendant ses détentions. La Section d’appel des réfugiés a considéré qu’il s’agissait d’une observation valide de la part de la Section de la protection des réfugiés compte tenu du dossier, et la Section d’appel des réfugiés a fait la même observation.

[28]  Conscient de la norme de déférence qui s’applique à l’examen, par la Cour, de cet aspect de la décision de la Section d’appel des réfugiés, je ne peux pas conclure que l’analyse de la Section d’appel des réfugiés était déraisonnable. La Section d’appel des réfugiés a tenu compte de l’argument de Mme Nebret et a adopté une interprétation de la décision de la Section de la protection des réfugiés qui appartient aux issues possibles acceptables.

[29]  Mme Nebret a aussi soutenu que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en matière de crédibilité selon son omission de sa deuxième détention dans un des trois formulaires de demande qu’elle a soumis dans sa demande d’asile. Elle note que la date de la détention était identique dans les deux autres formulaires et qu’elle avait été confirmée par elle dans son témoignage de vive voix. Elle soutient que l’omission était une incohérence mineure qui n’appuie pas une conclusion défavorable en matière de crédibilité et que la Section d’appel des réfugiés avait commis une erreur en confirmant que cette conclusion était raisonnable.

[30]  La décision de la Section d’appel des réfugiés démontre qu’elle a tenu compte de cet argument, mais a conclu que, étant donné que les détentions et mauvais traitements allégués sont au cœur même de la demande d’asile, l’omission inexpliquée d’un fait principal par Mme Nebret avait bel et bien nui à sa crédibilité. La Section d’appel des réfugiés a tiré la même conclusion que la Section de la protection des réfugiés. Je conclus que l’analyse de la Section d’appel des réfugiés était raisonnable et qu’il n’y a pas de fondement pour que la Cour intervienne.

[31]  En ce qui concerne la preuve de la situation au pays, Mme Nebret soutient que la Section d’appel des réfugiés a omis d’analyser le changement de situation en Éthiopie et l’incidence que cette nouvelle situation pourrait avoir sur elle à son retour. Elle soutient que la probabilité qu’elle soit persécutée a augmenté à la lumière de la nouvelle situation, et que la Section d’appel des réfugiés aurait dû examiner les expériences de personnes dont la situation est similaire à la sienne dans son pays (voir Chaudri c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1986), 69 NR 114 (CAF)).

[32]  La Section d’appel des réfugiés a admis en preuve, en vertu du paragraphe 110(4) de la LIRP, des éléments de preuve documentaire des événements liés à un état d’urgence en Éthiopie en octobre 2016. Cependant, la Section d’appel des réfugiés a expliqué que cette preuve n’aidait pas Mme Nebret, car elle n’avait pas établi à l’aide d’une preuve crédible qu’elle était ou est recherchée par les autorités, ou qu’elle était ou est perçue comme une opposante politique au gouvernement. Encore une fois, je conclus que l’analyse de la Section d’appel des réfugiés était raisonnable. Même si Mme Nebret renvoie à la nouvelle preuve comme décrivant l’approfondissement de l’atteinte aux droits de la personne en Éthiopie, y compris la détention des manifestants et les mauvais traitements qui leur sont infligés, la Section d’appel des réfugiés a conclu raisonnablement qu’il ne s’agissait pas d’une preuve probante du risque encouru par Mme Nebret, étant donné son défaut d’établir qu’elle est personnellement susceptible d’intéresser les autorités.

[33]  Enfin, Mme Nebret note que la Section de la protection des réfugiés a conclu que le fait qu’on lui a remis un passeport authentique, quelques jours après sa présumée libération de détention, indiquait selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’avait pas été détenue comme elle l’avait allégué. Elle soutient que cela représentait une conclusion d’invraisemblance et que la Section d’appel des réfugiés avait commis une erreur en confirmant cette conclusion. Elle a renvoyé la Cour à deux documents du Cartable national de documentation (CND) qui, selon elle, n’avaient pas été pris en compte dans la conclusion et qui contredisent celle-ci.

[34]  La Section d’appel des réfugiés a mentionné la preuve objective indiquant que les autorités harcèlent et détiennent des membres et des partisans des partis de l’opposition, que le gouvernement arrêtes régulièrement des opposants politiques et les soumet à de l’intimidation, à des mauvais traitements et à de la torture, et que les dissidents sont gardés sous surveillance. La Section d’appel des réfugiés a noté que le gouvernement éthiopien avait empêché des opposants politiques de se rendre à l’étranger et que Mme Nebret avait allégué qu’après ses détentions, elle avait été avertie que les autorités la surveilleraient et qu’elle avait reçu l’ordre de se présenter aux autorités chaque semaine. La Section d’appel des réfugiés a conclu, après avoir examiné la preuve objective et la propre preuve de Mme Nebret, qu’il était peu plausible qu’elle ait pu obtenir aussi bien un passeport qu’un certificat de police sans difficulté presque immédiatement après sa libération.

[35]  Mme Nebret renvoie la Cour à deux réponses à des demandes d’information du Cartable national de documentation. Elle note que l’une renvoie au fait qu’il est très facile d’obtenir un passeport en Éthiopie et que l’autre explique la façon dont le passeport d’une personne peut être saisi pour des accusations criminelles en instance. Ce dernier document affirme qu’une telle saisie n’est pas automatique. Au contraire, si le procureur public a des motifs de croire qu’une personne quittera le pays, ce bureau demandera aux tribunaux d’ordonner que le passeport soit suspendu. Ce document indique également que, si une Cour accorde une caution, et qu’elle décide de restreindre le droit de la personne à voyager à l’extérieur de l’Éthiopie, elle remet simplement une telle ordonnance de restriction aux autorités de l’immigration sans qu’il soit nécessaire de saisir les documents de voyage.

[36]  À mon avis, ces réponses aux demandes d’information ne contredisent pas l’analyse de la Section d’appel des réfugiés d’une manière qui appuierait une conclusion que la décision est déraisonnable. Le fait qu’il est généralement facile d’obtenir des passeports ne règle pas la question de savoir si une telle facilité s’applique dans le cas d’opposants politiques au gouvernement. Le deuxième document auquel renvoie Mme Nebret traite de la saisie d’un passeport qui a déjà été délivré, et d’autres moyens d’interdire le voyage, dans le cas d’une personne qui a été poursuivie pour une infraction criminelle. Il ne traite pas de la disponibilité d’un nouveau passeport pour les opposants politiques au gouvernement, ce qui a fait l’objet de l’analyse de la Section d’appel des réfugiés.

[37]  En conclusion sur cette question, aucun des arguments soulevés par Mme Nebret, liés à l’analyse de sa crédibilité par la Section d’appel des réfugiés, ne constitue un fondement permettant de conclure que sa décision était déraisonnable.

D.  La décision de rejeter la demande de la demanderesse sur place était-elle raisonnable?

[38]  En ce qui concerne sa demande sur place, Mme Nebret soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en imposant une norme de preuve plus élevée que celle qui est imposée par la loi. Elle soutient que la Section d’appel des réfugiés s’attendait à ce qu’elle prouve que le gouvernement éthiopien était conscient de ses activités, mais que la norme de preuve applicable à une demande sur place est une probabilité ou une prépondérance des probabilités, c.-à-d. si les activités du demandeur sont susceptibles d’être portées à l’attention des autorités dans son pays (voir Win c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 398).

[39]  J’accepte la déclaration de Mme Nebret quant à la norme de preuve applicable, mais autrement je ne trouve aucun fondement à cet argument. La Section d’appel des réfugiés a maintenu qu’elle doit établir qu’elle fait face à une grave possibilité de persécution dans son pays d’origine et qu’il y avait des problèmes de crédibilité quant à sa preuve d’activité politique au Canada. La Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve crédibles que ses activités au Canada avaient été portées à l’attention des autorités éthiopiennes ou qu’il y avait plus qu’une simple possibilité qu’elle soit persécutée en raison de ses activités politiques perçues. Je n’interprète pas la décision comme exprimant ou appliquant une norme de preuve qui va à l’encontre de la jurisprudence applicable. La Section d’appel des réfugiés a plutôt conclu qu’elle n’avait pas de preuve crédible pour l’aider à satisfaire à cette norme.

[40]  Mme Nebret a aussi soutenu que la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle elle n’avait pas établi que ses activités avaient été portées à l’attention des autorités éthiopiennes était erronée, étant donné la preuve qu’elle a fournie sur ses activités politiques au Canada et les activités de surveillance du gouvernement éthiopien à l’égard de la diaspora éthiopienne. Elle affirme que les éléments de preuve documentaire démontrent clairement que le gouvernement surveille les activités de ses opposants dans la diaspora et qu’il est clair que ses activités étaient menées ouvertement et vocalement, et seraient mal perçues par le gouvernement éthiopien.

[41]  Encore une fois, je ne trouve aucun bien-fondé à cet argument. Mme Nebret demande à la Cour de réévaluer la preuve dont était saisie la Section d’appel des réfugiés, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. De plus, comme l’a noté le défendeur, la Section d’appel des réfugiés a admis en preuve lors de l’appel des imprimés de pages provenant du compte Facebook de Mme Nebret démontrant que, entre la production de son avis d’appel et la mise en état de l’appel, elle avait affiché plusieurs messages politiques sur Facebook. La Section d’appel des réfugiés a conclu que cela ne corroborait pas son argument qu’elle était active politiquement au Canada depuis un certain temps. Cela nuisait plutôt à sa crédibilité, car cela donnait l’impression que, aux fins de l’appel, elle avait rapidement et pour une courte période, créé les éléments de preuve jugés manquants par la Section de la protection des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés a conclu dans tous les cas que rien n’indiquait que ces quelques brefs messages dans les médias sociaux avaient ou auraient été portés à l’attention des autorités éthiopiennes. Je ne constate aucune erreur en ce qui concerne le caractère raisonnable de cette analyse.

V.  Conclusion

[42]  Ayant conclu que les arguments de la demanderesse n’avaient démontré aucune erreur susceptible de révision, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-414-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-414-17

INTITULÉ :

MESRAK KASSIE NEBRET c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 15 août 2017

COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

Pour la demanderesse

Khatidja Moloo-Alam

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Tilahun Kebede

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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