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Date : 20170831


Dossier : IMM-3020-17

Référence : 2017 CF 795

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 août 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

SARBJEET SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir une ordonnance en application du paragraphe 22(1) des Règles des Cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, et de l’article 8 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, afin de prolonger les délais impartis au demandeur pour achever sa demande d’autorisation en application de l’article 10 des Règles des Cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, jusqu’à 30 jours après que la Cour suprême du Canada (CSC) aura rendu un jugement dans l’arrêt Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile) (Dossier de la CSC no 36784) [Tran], et pour tout autre motif que la Cour estime juste et approprié.

II.  Résumé des faits

[2]  Les faits ne sont pas contestés.

  • a) Le demandeur est citoyen de la République de l’Inde. Il a été parrainé par son épouse pour venir au Canada et a obtenu le statut de résident permanent du Canada le 15 mars 2009.

  • b) Le 11 mai 2011, le demandeur a été reconnu coupable à London, en Ontario, de deux chefs de « leurre d’enfant de moins de seize ans », contrevenant à l’article 172.1 du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Il a été condamné à 15 mois de prison et à trois ans de probation.

  • c) Dans une lettre en date du 8 mars 2016, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a informé le demandeur qu’il faisait l’objet d’un rapport prévu à l’article 44 et lui a offert la possibilité de présenter des observations afin d’expliquer pour quelles raisons ledit rapport ne devrait pas être déféré à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR).

  • d) Le 21 décembre 2016, la Section de l’immigration a tenu une audience concernant le rapport prévu à l’article 44, et a décidé que le demandeur était interdit de territoire, pour des motifs de grande criminalité, en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) : un résident permanent est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité après avoir été déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé, et contre lequel une mesure d’expulsion a été prise.

[3]  Le demandeur a interjeté appel à la Section d’appel de l’immigration et a demandé à la Section d’appel de l’immigration de suspendre l’instance en attendant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l’arrêt Tran. La Section d’appel de l’immigration a décidé de ne pas suspendre l’instance, en affirmant que [TRADUCTION] « [le] tribunal est d’avis qu’il n’est pas contraire à la justice naturelle ni à l’équité procédurale de se prononcer sur la question de sa compétence à ce stade-ci, car il existe des mesures de protection qui permettraient à l’appelant de poursuivre son appel devant la Section d’appel de l’immigration si la Cour suprême du Canada rendait une décision appuyant l’argument de l’appelant ».

[4]  Le demandeur a ultérieurement demandé la divulgation par l’ASFC d’éléments de preuve concernant la date à laquelle elle a été initialement informée que le demandeur avait été accusé des infractions criminelles en 2010, ainsi que la date à laquelle elle a appris sa condamnation en 2011.

[5]  L’ASFC a informé l’avocat du demandeur qu’elle ne divulguerait pas ces renseignements et qu’il devrait présenter une demande conformément à la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 ou à la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21.

[6]  Le demandeur a déposé une autre demande à la CISR le 26 avril 2017, en vue d’obtenir des ordonnances de la Commission autorisant la divulgation par l’ASFC et les Services de police de London de renseignements liés à l’arrestation du demandeur, aux accusations portées contre lui et à sa condamnation.

[7]  À l’appui de cette demande, le demandeur a déposé un affidavit dans lequel il relate avoir été informé par un agent des Services de police de London, lors de son arrestation en 2010, que l’ASFC serait informée des accusations portées. La question d’un possible abus de procédure a été soulevée lors de la présentation de la demande de divulgation de renseignements.

[8]  La Section d’appel de l’immigration a ensuite jugé qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel, au motif que le demandeur faisait l’objet d’une interdiction en application du paragraphe 64(2) de la LIPR, vu qu’il avait été condamné à plus de six mois d’emprisonnement.

[9]  Le demandeur a alors déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[10]  Le demandeur soutient que la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire de suspendre une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en attendant une décision dans l’arrêt Tran, laquelle pourrait lier la Cour. Le demandeur affirme que l’arrêt Tran porte sur des questions similaires à celles examinées en l’espèce, en l’occurrence celle de savoir si la loi applicable aux droits de l’appelant doit être déterminée à la date de sa condamnation pour une infraction criminelle donnant lieu à son interdiction de territoire, ou à la date à laquelle le rapport dont il faisait l’objet au titre de l’article 44 a été déféré à la CISR.

III.  Question en litige

[11]  La question à laquelle doit répondre la Cour est celle de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances, il est dans l’intérêt de la justice de reporter de deux mois la demande présentée par le demandeur, dans l’attente de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tran (voir Mylan Pharmaceuticals ULC c Astrazeneca Canada inc., 2011 CAF 312, au paragraphe 14 [Mylan]). Je me rallie à l’argument du défendeur selon lequel, bien que la présente demande puisse être qualifiée de demande de prorogation du délai, il s’agit dans les faits d’une demande de suspension de l’instance en attendant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tran.

[12]  La norme de contrôle qui s’applique à la décision contestée de la Section d’appel de l’immigration de ne pas reporter l’audience relative à la décision de la Section de l’immigration, en attendant l’appel interjeté devant la Cour suprême du Canada à l’encontre de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tran, est la norme de la décision raisonnable.

[13]  Le demandeur estime que la Cour doit trancher les questions suivantes :

  1. la Commission a-t-elle commis une erreur en refusant de reporter sa décision en attendant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tran?
  2. la Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte la requête présentée par le demandeur pour obtenir la divulgation des renseignements liés aux questions touchant l’abus de procédure?
  3. la Commission a-t-elle commis une erreur en jugeant qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel, au motif que le dossier du demandeur a été renvoyé pour audience devant la CISR, après l’entrée en vigueur de l’actuel paragraphe 64(2) de la LIPR en juin 2013?
  4. la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire afin de suspendre l’instance pour des considérations discrétionnaires d’ordre général, y compris l’intérêt public, vu les circonstances factuelles en l’espèce : voir Mylan, précité, au paragraphe 5 et Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 19, au paragraphe 8 [Sanchez]?
  5. plus particulièrement, contrairement aux dossiers sur lesquels se fonde le défendeur et qui portent sur des délais ne servant pas l’intérêt public, la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tran est imminente, puisque l’affaire a été entendue en janvier 2017.

[14]  Le demandeur reconnaît que même si on a appliqué dans les arrêts Mylan et Sanchez le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, et qu’il n’existe aucun équivalent de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales dans la LIPR ou dans les Règles de la section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, le paragraphe 162(2) de la LIPR et l’article 57 des Règles de la section d’appel de l’immigration confèrent néanmoins aux tribunaux un vaste pouvoir discrétionnaire concernant toutes les décisions de la CISR :

Fonctionnement

162(2) Chacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité.

Cas non prévus

57 Dans le cas où les présentes règles ne contiennent pas de dispositions permettant de régler une question qui survient dans le cadre d’un appel, la Section peut prendre toute mesure nécessaire pour régler la question.

[15]  Pour ce motif, le demandeur soutient que la Cour devrait prendre en considération, comme dans les arrêts Mylan et Sanchez, la durée du délai et se demander s’il existe un lien explicite entre la question soumise à la Section d’appel de l’immigration et celle soumise à l’instance supérieure (c.-à-d. l’arrêt Tran devant la Cour suprême du Canada), et si un délai nuirait à l’intérêt public en faveur d’une décision rapide en matière d’immigration.

[16]  Le défendeur réplique qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de suspendre l’instance en attendant la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Tran, au motif que :

  • a) l’arrêt Tran n’a pas de lien direct avec la demande du demandeur;

  • b) cela va à l’encontre des principes de contrôle judiciaire;

  • c) la demande sous-jacente est non fondée.

[17]  Le défendeur soutient que, contrairement à l’arrêt Tran, qui portait sur des modifications apportées à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, laquelle ne prévoit aucune disposition transitoire, la présente affaire porte sur des modifications apportées à la LIPR, qui prévoit une disposition transitoire.

[18]  De plus, le défendeur soutient que, vu la nécessité de décisions finales, la nature sommaire et expéditive du contrôle judiciaire et l’obligation d’appliquer la loi en vigueur au moment de la décision, il faudrait néanmoins rejeter la demande de suspension de l’instance, même si la décision dans l’arrêt Tran pourrait être pertinente dans une certaine mesure.

[19]  Le défendeur estime que le jugement dans l’arrêt Tran, même si elle a été entendue en janvier 2017, pourrait être ou ne pas être imminent, que la date prévue de son rendu est strictement conjecturale, et qu’il pourrait ou non fournir une réponse définitive aux questions sous-jacentes soulevées par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire. L’intérêt public ne sera servi que par une décision rapide dans la présente instance, et il est dans l’intérêt de la justice de se conformer à l’état actuel du droit – plusieurs décisions récentes ont confirmé que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Tran, 2015 CAF 237, représente actuellement l’état déterminant du droit qui lie la Cour : Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 305, au paragraphe 11; Shehzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 79, aux paragraphes 11 à 14; et Kidd c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1044, au paragraphe 23.

[20]  Enfin, le défendeur affirme qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de suspendre l’instance du demandeur en attendant la décision dans l’arrêt Tran, au motif que la demande sous-jacente du demandeur est non fondée. La décision de la Section d’appel de l’immigration de suspendre sa propre procédure est entièrement discrétionnaire, et la Cour devrait s’y référer sur la question. Il n’y a également aucun fondement à l’argument selon lequel la décision de la Section d’appel de l’immigration de refuser d’exercer sa compétence est déraisonnable, puisque la disposition transitoire applicable excluait la possibilité de faire appel, et que la Section d’appel de l’immigration a appliqué la loi qui était alors en vigueur au moment de rendre sa décision.

[21]  Je me rallie aux arguments du défendeur selon lesquels la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tran pourrait être rendue au cours des prochains mois, que cette date est au mieux conjecturale, et que rien ne garantit que l’issue de cette affaire sera déterminante pour ce qui est des droits du demandeur en l’espèce.

[22]  De plus, je suis également d’accord pour dire que la Section d’appel de l’immigration a appliqué la disposition transitoire applicable concernant le paragraphe 64(2), laquelle est actuellement déterminante de l’état du droit qui lie la Cour. L’intérêt de la justice ne justifie pas le délai demandé par le demandeur.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3020-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La requête est rejetée.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3020-17

INTITULÉ :

SARBJEET SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

Le 31 août 2017

COMPARUTIONS :

William Macintosh

Pour le demandeur

Ward Bansley

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Macintosh Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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