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Date : 20170824


Dossier : T-1292-15

Référence : 2017 CF 783

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 août 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

LOUIS DREYFUS COMMODITIES

CANADA LTD.

demanderesse

et

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Louis Dreyfus Commodities Canada Ltd. (LDC), la demanderesse, achète des grains auprès d’agriculteurs canadiens, qu’elle vend à l’échelle nationale et internationale. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), la défenderesse, transporte les grains pour LDC.

[2]  La demanderesse a intenté une action devant la Cour aux termes du paragraphe 116(5) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (la Loi) afin de réclamer des dommages-intérêts puisque le CN avait manqué, à son égard, à ses obligations en matière de niveau de services prévues dans la Loi et dans le contrat conclu entre les deux parties (le contrat de 1999). Le paragraphe 116(5) crée un droit d’action pour les expéditeurs qui souffrent préjudice de la négligence ou du refus d’une compagnie de s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services au sens de la Loi.

[3]  Dans ce secteur très réglementé, c’est à l’Office des transports du Canada (OTC) qu’il incombe de déterminer si une compagnie de chemin de fer a manqué à ces obligations en matière de niveau de services prescrites par la loi si une plainte est déposée. En l’espèce, l’OTC a déterminé que le CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services à l’égard de LDC et la Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision; étant donné que l’OTC ne peut toutefois pas accorder de dommages-intérêts pour les plaintes liées au service, LDC présente donc sa demande devant la Cour fédérale. Il a déjà été conclu, dans la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, que les expéditeurs peuvent déposer une plainte aux termes du paragraphe 116(5) devant la Cour fédérale uniquement si la décision de l’OTC est en place (Kiist c Canadian Pacific Railway Company, [1982] 1 CF 361, 123 DLR (3d) 434 (CAF) [Kiist], au paragraphe 20).

[4]  Le CN soutient que la Cour fédérale n’a pas compétence pour être saisie de la demande présentée par LDC aux termes du paragraphe 116(5) puisque les droits aux dommages-intérêts découlent du contrat de 1999 et non des obligations en matière de niveau de services prescrites par la Loi. Le CN va jusqu’à prétendre que l’OTC a commis une erreur en affirmant avoir compétence pour être saisi de la plainte et que la Cour d’appel fédérale n’a pas tranché cette question. LDC fait valoir que le contrat de 1999 prévoyait des obligations en matière de niveau de services au sens de la Loi et que l’OTC a affirmé à juste titre qu’il avait compétence; LDC peut donc porter plainte devant la Cour aux termes du paragraphe 116(5).

[5]  LDC a présenté une requête en procès sommaire pour régler la question de la compétence, qui est l’unique objet du présent jugement. Si LDC obtient gain de cause, sa demande en dommages-intérêts fera ensuite l’objet d’un procès distinct.

I.  Faits

A.  Résumé des faits

[6]  LDC est une entreprise fédérale dont le siège social se trouve à Calgary (Alberta). Elle est membre du groupe d’entreprises Louis Dreyfus Commodities, qui négocie des marchandises de par le monde. Parmi les activités qu’exerce LDC dans l’Ouest canadien, notons l’achat de grains, principalement du blé et du canola, auprès d’agriculteurs, le traitement dans des silos et l’expédition par chemin de fer à des ports ou des transformateurs.

[7]  Le CN est aussi une entreprise fédérale; elle a toutefois son siège social à Montréal (Québec). La taille de son réseau et de ses recettes en fait la compagnie de chemin de fer la plus importante au Canada. Elle transporte des marchandises, y compris du grain.

[8]  Le litige ayant donné lieu à la présente affaire portait sur le transport de grains, par le CN, à partir des silos de LDC situés à Glenavon et à Aberdeen (Saskatchewan) et à Joffre et Lyalta (Alberta). Les quatre installations ne peuvent utiliser que le réseau ferroviaire adjacent du CN. Les grains entreposés dans les silos de LDC sont expédiés sur la côte ouest, ainsi qu’à Thunder Bay, à Churchill et aux installations de traitement.

[9]  Aux termes de la Loi, le CN a des obligations en matière de niveau de services à l’égard d’expéditeurs comme LDC. À titre d’exemple, le CN doit fournir [traduction] « des installations convenables » pour la réception et le chargement des marchandises d’un expéditeur. Les compagnies de chemin de fer et les expéditeurs peuvent conclure des contrats confidentiels qui précisent davantage leurs obligations mutuelles. La Loi prévoit que divers éléments peuvent faire l’objet d’un contrat confidentiel. Les moyens pris par la compagnie de chemin de fer pour s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services font partie de ces éléments (article 126). Le paragraphe 113(4) de la Loi précise que les expéditeurs et les compagnies de chemin de fer peuvent s’entendre, par contrat confidentiel ou autre accord écrit, sur les moyens à prendre par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations. C’est l’effet juridique du paragraphe 113(4) qui est au cœur de la question présentée devant la Cour afin qu’elle se prononce sur celle-ci.

[10]  Le 25 mars 1999, LDC et le CN ont conclu un contrat précisant les modalités selon lesquelles la demanderesse construirait et exploiterait des silos en lien avec la présente cause. Ce contrat prévoyait aussi, à l’article 7, un niveau de détail pour les exigences en matière de service relatives aux nouveaux silos. Le contrat était établi pour une durée de 15 ans à partir de la date à laquelle LDC commencerait à recourir au service ferroviaire du CN à ces silos.

[11]  L’article 7.0 du contrat de 1999 est l’autre instrument au cœur de la présente question sur la compétence. L’article 7.1 porte sur les droits de LDC liés à certaines normes de service aux termes de la Loi et du contrat. J’interpréterai ce texte de manière plus approfondie dans mon analyse une fois l’économie de la Loi comprise.

[traduction]

7.0 EXIGENCES EN MATIÈRE DE SERVICE

7.1 LDC aura le droit de recevoir les services et le transport assurés par le CN prévus aux articles 113 à 116 de la Loi sur les transports au Canada (LTC). Les parties n’ont pas l’intention de faire de l’article 7.0 un accord, au sens du paragraphe 113(4) de la LTC, en vue de remplacer les droits conférés à LDC par ces articles de la LTC par les droits issus du présent accord. Outre les services et le transport auxquels LDC a droit aux termes des articles 113 à 116 de la LTC, le CN offrira un service de train pour le placement des wagons vides en vue de leur chargement et, par la suite, pour le ramassage des wagons remplis à chaque silo, comme il est prévu dans le présent article 7.0.

[12]  Dans la partie restante de l’article 7.0, on expose des obligations précises que le CN doit respecter dans le cadre des services qu’elle offre aux silos devant être construits. Il n’est pas nécessaire de reproduire ces obligations précises dans les présents motifs. Tout comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué au paragraphe 10 des motifs de son jugement, je ne mentionne rien sur le contenu de l’article 7.1 outre ce qui est cité au paragraphe 10.

[13]  Deux autres parties du contrat de 1999 sont pertinentes dans le présent litige, soit l’article 8.1, qui précise les mesures de réparation dont les parties peuvent se prévaloir sans exclure celles prévues par la loi, et l’article 12.2, qui indique que le contrat est un « contrat confidentiel » au sens du paragraphe 126 de la LTC :

[traduction]

8.1 Si l’une des parties manque à l’une des obligations qui lui incombe aux termes du présent accord, l’autre partie peut se prévaloir a) de recours civils afin d’obtenir réparation, b) de mesures injonctives devant un tribunal approprié, c) d’un arbitrage tel qu’il est prévu dans le présent accord ou d) d’une mesure réglementaire, conformément à la LTC et permis par celle-ci. Afin de déterminer si une mesure est offerte aux termes de la LTC, les parties ont l’intention de faire une interprétation stricte du présent accord et aucune question ne sera réputée être régie par celle-ci à moins d’être expressément abordée aux présentes et uniquement dans la mesure y étant prévue. Le choix d’une partie de se prévaloir d’un recours qui lui est offert ne sera pas considéré comme une renonciation à son droit de se prévaloir d’autres recours offerts dans la loi ou conformément au présent accord.

[traduction]

12.2 Aux fins de la Loi sur les transports au Canada, le présent accord sera réputé être un contrat confidentiel au sens de l’article 126.

[Non souligné dans l’original.]

B.  Événements survenus en 2013-2014 ayant mené à la demande en dommages-intérêts de LDC

[14]  L’industrie céréalière au Canada est organisée selon une campagne agricole de 52 semaines, allant du 1er août au 31 juillet.

[15]  Au cours de la campagne agricole de 2013-2014, l’OTC a conclu que le CN n’avait pas livré des commandes de wagons aux silos de LDC pendant plusieurs semaines, comme l’exigeait son interprétation des modalités du contrat de 1999. En conséquence, LDC allègue qu’elle n’a pas été en mesure d’acheter et de revendre des grains puisque le CN n’avait pas livré suffisamment de wagons porte-rails pour expédier les grains à destination de ports. LDC prétend avoir perdu des profits considérables, selon les marges bénéficiaires disponibles multipliées par la quantité de grains qu’elle aurait pu expédier dans les wagons porte-rails que le CN était tenu de lui fournir conformément à l’accord. LDC soutient aussi qu’elle a engagé des frais considérables de stationnement, qu’elle a dû verser à des navires qui attendaient les grains au port et qu’elle a subi une atteinte à sa réputation commerciale en raison du retard des expéditions.

[16]  À titre informatif, ces événements sont survenus au cours d’une campagne agricole où le transport de grains au port a causé des défis importants. L’été menant à cette campagne a donné lieu à une récolte de grains très abondante et l’hiver a été particulièrement froid, faisant en sorte que les compagnies de chemin de fer exploitaient des trains plus courts. Ces événements ont donné lieu à une pénurie de wagons pour expédier une récolte abondante de grains. Il semblerait que LDC a connu une pénurie assez importante, surtout au cours des semaines 30 à 35.

C.  Historique de la procédure

[17]   La Loi donne à l’OTC le mandat d’arbitrer les litiges sur le niveau de services entre des expéditeurs comme LDC et les compagnies de chemin de fer. C’est la réception d’une plainte par l’organisme de réglementation qui déclenche le mécanisme. Si l’OTC affirme avoir compétence pour statuer sur une plainte déposée aux termes du paragraphe 116(1), il est d’avis que la plainte porte sur des « obligations en matière de niveau de services » au sens de la Loi. C’est ce qui a été fait en l’espèce. Le paragraphe 116(1) est rédigé ainsi :

Plaintes et enquêtes

Complaint and investigation concerning company’s obligations

116(1) Sur réception d’une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114, l’Office mène, aussi rapidement que possible, l’enquête qu’il estime indiquée et décide, dans les cent vingt jours suivant la réception de la plainte, si la compagnie s’acquitte de ses obligations.

116(1) On receipt of a complaint made by any person that a railway company is not fulfilling any of its service obligations, the Agency shall

[BLANK/EN BLANC]

(a) conduct, as expeditiously as possible, an investigation of the complaint that, in its opinion, is warranted; and

[BLANK/EN BLANC]

(b) within one hundred and twenty days after receipt of the complaint, determine whether the company is fulfilling that obligation.

[18]  Tout appel visant des décisions de l’OTC peut être interjeté devant la Cour d’appel fédérale. Le 14 avril 2014, LDC a présenté une demande à l’OTC afin qu’il rende une ordonnance déclarant que le CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services prévues dans le contrat de 1999 au cours de la campagne agricole de 2013-2014 relativement aux commandes de wagons aux silos et exigeant du CN qu’il s’acquitte de ces obligations.

[19]  Le 3 octobre 2014, l’OTC a rendu sa décision, dans les 120 jours requis, et a conclu que le CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services à l’égard de LDC : Louis Dreyfus Commodities Canada Ltd c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (affaire no 14-02100, 3 octobre 2014). L’OTC a conclu que les modalités du contrat de 1999 étaient contraignantes pour les parties. Le CN n’avait pas, de l’avis de l’OTC, fourni tous les wagons pour lesquels LDC avait passé des commandes, comme il devait le faire aux termes de l’article 7.0 du contrat confidentiel. Deux clauses du contrat de 1999 permettaient une telle violation et l’OTC a conclu qu’aucune clause ne justifiait le défaut du CN de fournir les wagons demandés.

[20]  La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté par le CN à l’encontre de la décision rendue par l’OTC aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi (Canadian National Railway Company c Dreyfus, 2016 CAF 232 [Dreyfus]). Il est indiqué, au paragraphe 19 de la décision, que « [b]ien que le CN ait qualifié les erreurs recensées d’erreurs de droit ou de compétence, aucune des erreurs alléguées ne concerne la compétence de l’Office ». Le CN a effectivement soutenu que le contrat de 1999 n’était pas un contrat dont il est question au paragraphe 113(4); la Cour d’appel fédérale a toutefois conclu qu’il s’agissait d’une question d’interprétation contractuelle mixte de faits et de droit et qu’elle ne pouvait donc pas faire l’objet d’un appel en vertu de la Loi, qui prévoit qu’il est uniquement possible d’interjeter appel d’une question de droit ou de compétence. La conclusion de l’OTC est donc demeurée inchangée : aucun contrôle judiciaire n’a été demandé.

[21]  En juillet 2015, LDC a présenté une déclaration où elle réclamait des dommages-intérêts devant la Cour en application du paragraphe 116(5) de la Loi, avec la décision de l’OTC en main.

[22]  En janvier 2016, le CN a déposé une requête en radiation de la déclaration au motif que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour statuer sur ce qui constituait purement, à son avis, une question contractuelle. La protonotaire Tabib a rejeté la requête le 27 mai 2016. Elle n’a toutefois pas rendu de décision définitive sur la capacité du CN d’invoquer l’invalidité de la décision rendue par l’Office en tant que moyen de défense à l’action. Les parties ont donc accepté d’instruire la question de la compétence par procès sommaire avant de lancer les préparatifs en vue d’un procès sur la demande en dommages-intérêts.

II.  Cadre législatif

[23]  Il est nécessaire de comprendre le fonctionnement de la Loi pour soupeser les arguments avancés par les parties en ce qui concerne la compétence de la Cour pour statuer sur une demande en dommages-intérêts présentée aux termes du paragraphe 116(5).

[24]  Les articles 113 à 116 de la Loi prévoient les obligations en matière de niveau de services pour les compagnies de chemin de fer sous réglementation fédérale, comme le CN, et établissent des mécanismes de recours pour gérer les litiges entre les expéditeurs et les compagnies de chemin de fer.

[25]  Ces articles se trouvent à la section IV de la Loi, où sont définis les termes « service obligations » (version anglaise seulement) et « contrat confidentiel » :

111 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

111 In this Division,

(…)

[…]

contrat confidentiel Contrat conclu en application du paragraphe 126(1). (confidential contract)

confidential contract means a contract entered into under subsection 126(1); (contrat confidentiel)

(…)

[…]

[EN BLANC/BLANK]

service obligations means obligations under section 113 or 114. (Version anglaise seulement)

Conclusion de contrats confidentiels

Confidential contracts

126(1) Les compagnies de chemin de fer peuvent conclure avec les expéditeurs un contrat, que les parties conviennent de garder confidentiel, en ce qui concerne :

126(1) A railway company may enter into a contract with a shipper that the parties agree to keep confidential respecting

a) les prix exigés de l’expéditeur par la compagnie;

(a) the rates to be charged by the company to the shipper;

b) les baisses de prix, ou allocations afférentes à ceux-ci, indiquées dans les tarifs établis et publiés conformément à la présente section;

(b) reductions or allowances pertaining to rates in tariffs that have been issued and published in accordance with this Division;

c) les rabais sur les prix, ou allocations afférentes à ceux-ci, établis dans les tarifs ou dans les contrats confidentiels, qui ont antérieurement été exigés licitement;

(c) rebates or allowances pertaining to rates in tariffs or confidential contracts that have previously been lawfully charged;

d) les conditions relatives au transport à effectuer par la compagnie;

(d) any conditions relating to the traffic to be moved by the company; and

e) les moyens pris par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations en application de l’article 113.

(e) the manner in which the company shall fulfill its service obligations under section 113.

[26]  Au paragraphe 113, on dresse la liste des obligations en matière de niveau de services applicables à toutes les compagnies de chemin de fer. Ces dernières sont essentiellement tenues de fournir un service ferroviaire « convenable » à des clients comme LDC.

Acheminement du trafic

Accommodation for traffic

113(1) Chaque compagnie de chemin de fer, dans le cadre de ses attributions, relativement au chemin de fer qui lui appartient ou qu’elle exploite :

113(1) A railway company shall, according to its powers, in respect of a railway owned or operated by it,

a) fournit, au point d’origine de son chemin de fer et au point de raccordement avec d’autres, et à tous les points d’arrêt établis à cette fin, des installations convenables pour la réception et le chargement des marchandises à transporter par chemin de fer;

(a) furnish, at the point of origin, at the point of junction of the railway with another railway, and at all points of stopping established for that purpose, adequate and suitable accommodation for the receiving and loading of all traffic offered for carriage on the railway;

b) fournit les installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises;

(b) furnish adequate and suitable accommodation for the carriage, unloading and delivering of the traffic;

c) reçoit, transporte et livre ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus;

(c) without delay, and with due care and diligence, receive, carry and deliver the traffic;

d) fournit et utilise tous les appareils, toutes les installations et tous les moyens nécessaires à la réception, au chargement, au transport, au déchargement et à la livraison de ces marchandises;

(d) furnish and use all proper appliances, accommodation and means necessary for receiving, loading, carrying, unloading and delivering the traffic; and

e) fournit les autres services normalement liés à l’exploitation d’un service de transport par une compagnie de chemin de fer.

(e) furnish any other service incidental to transportation that is customary or usual in connection with the business of a railway company.

[27]  Comme il a été mentionné précédemment, un expéditeur et une compagnie de chemin de fer peuvent, aux termes du paragraphe 113(4), s’entendre sur les moyens à prendre pour garantir que la compagnie s’acquittera des obligations en matière de niveau de services prévues par la loi.

Contrat confidentiel

Confidential contract between company and shipper

113(4) Un expéditeur et une compagnie peuvent s’entendre, par contrat confidentiel ou autre accord écrit, sur les moyens à prendre par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations.

113(4) A shipper and a railway company may, by means of a confidential contract or other written agreement, agree on the manner in which the obligations under this section are to be fulfilled by the company.

Comme on le constate facilement, la Loi définit les obligations en matière de niveau de services de manière qualitative; il n’est pas surprenant qu’elle permette aux expéditeurs et aux compagnies de chemin de fer de définir plus précisément les obligations en matière de niveau de services s’ils le souhaitent, en définissant, aux termes d’un contrat confidentiel, les moyens à prendre pour que la compagnie de chemin de fer s’acquitte de ses obligations qualitatives liées au niveau de services. Je précise que l’expéditeur peut demander à ce qu’un tel contrat soit conclu et la compagnie de chemin de fer doit présenter une offre, comme le prévoient les paragraphes 126(1.1), (1.2) et (1.3) de la Loi.

[28]  Le paragraphe 116(1) autorise l’Office à statuer sur « une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114 ».

Plaintes et enquêtes

Complaint and investigation concerning company’s obligations

116(1) Sur réception d’une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114, l’Office mène, aussi rapidement que possible, l’enquête qu’il estime indiquée et décide, dans les cent vingt jours suivant la réception de la plainte, si la compagnie s’acquitte de ses obligations.

116(1) On receipt of a complaint made by any person that a railway company is not fulfilling any of its service obligations, the Agency shall

[BLANK/EN BLANC]

(a) conduct, as expeditiously as possible, an investigation of the complaint that, in its opinion, is warranted; and

[BLANK/EN BLANC]

(b) within one hundred and twenty days after receipt of the complaint, determine whether the company is fulfilling that obligation.

Conformément au paragraphe 116(2), si un expéditeur et une compagnie de chemin de fer conviennent, par contrat confidentiel, de la manière dont la compagnie s’acquittera de ses obligations prévues par l’article 113, les clauses du contrat lient l’OTC dans sa décision.

Contrat confidentiel

Confidential contract binding on Agency

116(2) Dans les cas où une compagnie et un expéditeur conviennent, par contrat confidentiel, de la manière dont la compagnie s’acquittera de ses obligations prévues par l’article 113, les clauses du contrat lient l’Office dans sa décision.

116(2) If a company and a shipper agree, by means of a confidential contract, on the manner in which service obligations under section 113 are to be fulfilled by the company, the terms of that agreement are binding on the Agency in making its determination.

[29]  Comme il a déjà été indiqué, après que l’OTC a conclu qu’une compagnie de chemin de fer a manqué à ses obligations en matière de niveau de services, un expéditeur peut présenter une demande en dommages-intérêts aux termes du paragraphe 116(5).

Droit d’action

Right of action on default

116(5) Quiconque souffre préjudice de la négligence ou du refus d’une compagnie de s’acquitter de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114 possède, sous réserve de la présente loi, un droit d’action contre la compagnie.

116(5) Every person aggrieved by any neglect or refusal of a company to fulfil its service obligations has, subject to this Act, an action for the neglect or refusal against the company.

III.  Questions en litige

[30]  La présente requête en procès sommaire soulève les trois questions suivantes :

  1. La question relative à la compétence de la Cour pour statuer sur la demande en dommages-intérêts de LDC peut-elle être tranchée par procès sommaire?

  2. La Cour fédérale a-t-elle compétence pour statuer sur la plainte déposée par LDC aux termes du paragraphe 116(5) de la Loi?

  3. Est-il interdit au CN de présenter son moyen de défense sur la question de la compétence vu les décisions antérieures de l’OTC et de la Cour d’appel fédérale?

IV.  Résumé de l’argumentation

A.  Procès sommaire

[31]  LDC fait valoir que le fait de trancher par procès sommaire la question de savoir si la Cour a compétence ou non pour statuer sur sa plainte déposée aux termes du paragraphe 116(5) permettrait d’instruire l’action plus efficacement. Si la question de la compétence donne lieu au rejet de la plainte présentée par LDC, mieux vaut le savoir dès maintenant, avant que les parties ne se préparent en vue d’un procès complet sur les dommages-intérêts. Par contre, si je donne raison à LDC, le juge qui préside aura à répondre à une question de moins dans le cadre de la demande en dommages-intérêts. Il s’agit donc d’une situation gagnant-gagnant. LDC soutient que la preuve exigée pour trancher la question de la compétence est facilement accessible : il s’agit du contrat de 1999 et des décisions de l’OTC et de la Cour d’appel fédérale.

[32]  Le CN ne conteste pas la suggestion de LDC de trancher cette question dans le cadre d’un procès sommaire.

B.  La Cour fédérale peut-elle être saisie de l’action soi-disant intentée conformément au paragraphe 116(5)?

[33]  En ce qui concerne le bien-fondé de la question de la compétence, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les obligations liées au niveau de services prévues dans le contrat de 1999 sont purement contractuelles ou si elles constituent des obligations en matière de niveau de services au sens de la Loi. Si LDC a raison, elle peut déposer une plainte aux termes du paragraphe 116(5) devant la Cour. Si le CN a raison, la Cour n’est pas la tribune appropriée pour trancher une question contractuelle confidentielle conformément au critère lié à la compétence de la Cour fédérale établi dans l’arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd c Miida Electronics Inc et al, [1986] 1 RCS 752, à la page 766, 28 DLR (4th) 641 [ITO-International].

[34]  LDC affirme que le contrat de 1999 était un contrat confidentiel au sens de la Loi. Selon son interprétation, l’article 7.1 du contrat de 1999 complète, et non remplace, les droits que la Loi lui confère. LDC est d’avis que l’article 7.0 établit les moyens à prendre par le CN pour s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services prévues par la Loi, conformément au paragraphe 113(4). LDC fait valoir que l’interprétation de l’article 7.1 par le CN n’est qu’une lecture partielle et qu’il ne tient pas compte du sens du paragraphe dans son ensemble.

[35]  LDC estime donc que l’OTC a affirmé à juste titre avoir compétence pour statuer sur le litige puisqu’il portait sur les « obligations en matière de niveau de services » au sens de la Loi. Avec la mise en place de la décision préalable de l’OTC, LDC croit que la Cour fédérale a compétence pour entendre sa demande aux termes du paragraphe 116(5).

[36]  En revanche, le CN interprète l’article 7.1 du contrat de 1999 comme maintenant une séparation entre les obligations en matière de niveau de services prévues dans la loi et celles prévues dans le contrat. Il met l’accent sur la partie d’une phrase de l’article 7.1, qui indique que [traduction] « [l]es parties n’ont pas l’intention de faire de l’article 7.0 un accord, au sens du paragraphe 113(4) de la LTC [...] ». Le CN soutient donc que les parties n’avaient pas l’intention de faire appliquer le paragraphe 113(4) au contrat de 1999. Les obligations prévues à l’article 7.0 sont plutôt purement contractuelles. Je précise sans tarder que ladite phrase, lorsqu’on la lit dans son ensemble, est configurée différemment : « Les parties n’ont pas l’intention de faire de l’article 7.0 un accord, au sens du paragraphe 113(4) de la LTC, en vue de remplacer les droits conférés à LDC par ces articles de la LTC par les droits issus du présent accord ».

[37]  Il faut aussi mentionner immédiatement qu’il ne fait aucun doute que la décision rendue par l’OTC le 3 octobre 2014 porte sur les obligations en matière de niveau de services dont le CN devait s’acquitter. De même, il ne fait aucun doute que l’OTC s’est appuyé sur le contrat confidentiel pour rendre sa décision relativement à certains aspects des obligations en matière de niveau de services du CN aux termes de l’article 113 de la Loi (paragraphes 4, 5 et 6 de la décision de l’OTC).

[38]  La position du CN sur l’interprétation du contrat soulève deux arguments. Premièrement, l’OTC a commis une erreur en concluant qu’il avait compétence pour statuer sur la plainte sur le niveau de services parce que cette dernière était purement contractuelle et ne portait pas sur les obligations en matière de niveau de services au sens de la Loi. Par conséquent, LDC ne dispose pas de la décision préalable de l’OTC pour déposer une plainte aux termes du paragraphe 116(5). Deuxièmement, étant donné que le paragraphe 116(5) ne s’applique qu’aux obligations en matière de niveau de services au sens de la Loi, tout manquement allégué aux obligations confidentielles prévues dans le contrat de 1999 ne peut donner lieu à des dommages-intérêts en application du paragraphe 116(5).

C.  Il est interdit au CN de présenter son moyen de défense quant à la question de la compétence

[39]  Vu l’existence des décisions rendues par l’OTC et la Cour d’appel fédérale, LDC invoque comme argument préliminaire que le moyen de défense présenté par le CN quant à la question de la compétence est interdit en vertu des doctrines de la contestation incidente, de la chose jugée (application de la préclusion liée à une question en litige) et de l’abus de procédure.

[40]  En sous-entendant que l’OTC n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte liée aux obligations sur le niveau de service, LDC soutient que le CN poursuit de manière inappropriée une contestation incidente de la validité sous-jacente de la décision de l’OTC (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585, aux paragraphes 63 à 66). Le CN réplique qu’il ne cherche pas à invalider la décision de l’OTC; en fait, il soutient que la compagnie de chemin de fer s’est déjà conformée à l’ordonnance de l’OTC et qu’il n’y a aucun risque de perturber la finalité de cette décision.

[41]  LDC fait valoir qu’il est interdit au CN de présenter son moyen de défense quant à la question de la compétence parce que l’OTC a conclu qu’il avait compétence et la Cour d’appel fédérale a confirmé sa décision. LDC affirme que cela remplit les trois conditions préalables à l’application de la préclusion liée à une question en litige établies dans l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 RCS 422, au paragraphe 27) : la question est la même que celle tranchée dans la décision antérieure; la décision judiciaire antérieure était définitive; et les parties aux deux instances sont les mêmes, ou sont leurs ayants droit. Le CN nie que la première condition préalable est respectée parce que la Cour d’appel fédérale ne s’est pas penchée sur la question de la compétence de l’OTC. Par conséquent, le CN affirme que la compétence de l’OTC et le litige sous-jacent sur l’interprétation contractuelle demeurent des questions sérieuses pouvant toujours être déférées à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Le CN n’a pas sollicité un contrôle judiciaire à ce moment; il est toutefois d’avis qu’il peut encore présenter son moyen de défense sur la question de la compétence dans le cadre du présent procès sommaire. Le CN affirme aussi que la Cour devrait éviter l’application de la préclusion liée à une question en litige puisqu’il serait injuste d’utiliser l’issue de l’instance antérieure pour lui interdire de présenter son moyen de défense actuel. L’intérêt stratégique à l’égard de sa finalité n’est pas en péril puisque la décision relative à la compétence de la Cour ne change rien au fait que le CN a déjà respecté la décision rendue par l’Office.

[42]  Enfin, LDC soutient que le CN commet un abus de procédure s’il n’a jamais déféré la question de la compétence dans le cadre des instances devant l’OTC et la Cour d’appel fédérale, comme il l’affirme. En permettant au CN de présenter son moyen de défense quant à la question de la compétence à cette étape, on saperait les efforts considérables déjà déployés pour en arriver à une décision définitive sur les manquements aux obligations sur le niveau de services. Le CN réplique qu’il a bel et bien déféré la question et que cette dernière n’a pas été abordée; il ne s’agit donc pas d’un abus de procédure de la déférer de nouveau puisque la Cour doit déterminer si elle a compétence pour être saisie de la demande.

V.  Analyse

A.  Procès sommaire sur la question de la compétence

[43]  LDC fait valoir que la Cour peut, dans une requête en procès sommaire, aborder la question litigieuse de savoir si elle peut statuer sur une plainte déposée aux termes du paragraphe 116(5) de la Loi. Le CN ne conteste pas cet argument. Néanmoins, la compétence n’est pas conférée sur consentement (Canadian National Railway Company c BNSF Railway Company, 2016 CAF 284). À mon avis, le moyen procédural retenu pour trancher cette question préliminaire est disponible dans les circonstances, peu importe la position adoptée par les parties.

[44]  Le jugement sommaire et le procès sommaire sont prévus aux articles 213 à 216 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Une requête peut même ne viser que certaines des questions soulevées dans les actes de procédure. C’est exactement le cas en l’espèce.

Requête d’une partie

Motion by a party

213(1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

213(1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed.

Dans la décision Teva Canada Limited c Wyeth and Pfizer Canada Inc., 2011 CF 1169 [Teva], le juge Hughes a établi les conditions qui lui avait permis de conclure qu’il était justifié de tenir un procès sommaire :

[34]  Dans la présente affaire, je suis d’avis que la tenue d’un procès sommaire et le prononcé d’un jugement sommaire constituent une bonne façon de procéder de manière à apporter aux questions en litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. J’en arrive à cette conclusion pour les raisons suivantes :

a.  les questions en litige sont bien définies et, même si la réponse qui leur est donnée ne tranchera peut-être pas tous les points litigieux dans l’action, il s’agit de questions importantes dont la solution permettra d’accélérer le déroulement ou le règlement de l’action ou de ce qui en reste entre les parties agissant de bonne foi;

b.  les faits nécessaires pour répondre aux questions ressortent clairement de la preuve;

c.  la preuve n’est pas controversée et la crédibilité n’est pas en jeu;

d.   bien qu’elles soient nouvelles, les questions de droit peuvent être réglées aussi facilement maintenant qu’elles le seraient par ailleurs à l’issue d’un procès complet.

Tout comme dans la décision Teva, je conclus que la requête en procès sommaire constitue un moyen tout à fait convenable vu la question soulevée. Les conditions sont facilement réunies.

[45]  À l’instar des parties, je ne vois aucune utilité à faire avancer cette poursuite si, à la base, la Cour n’a pas compétence. Il s’agit d’une affaire autonome : si la question de la compétence donne lieu au rejet de la plainte, mieux vaut le savoir avant que les parties ne se préparent en vue d’un procès complet sur les dommages-intérêts. La Cour conclut qu’il ne serait pas injuste de trancher cette question dans le cadre d’une requête (paragraphe 216(6) des Règles). C’est tout le contraire.

B.  Questions préliminaires

[46]  LDC a soutenu que le moyen de défense du CN constitue une contestation incidente, contrevient à la doctrine de la chose jugée et est un abus de procédure. De toute façon, affirme-t-elle, la Cour a compétence pour être saisie de sa demande en dommages-intérêts. Il est certain que le CN soulèverait ce moyen de défense quant à la question de la compétence tardivement si cette question n’avait pas été tranchée directement ou implicitement par l’OTC et la Cour d’appel fédérale. Il semblerait sans aucun doute que l’OTC a conclu qu’il avait compétence; l’appel interjeté par le CN devant la Cour d’appel fédérale a été rejeté. Comme il a déjà été souligné, il ne fait aucun doute que le contrat confidentiel entre les deux parties était au cœur de l’examen mené par l’OTC. Les paragraphes 4 et 5 de la décision de l’OTC sont explicites et méritent d’être reproduits dans leur entièreté :

[4]  Les articles 113 à 115 de la LTC établissent les obligations statutaires des compagnies de chemin de fer en matière de niveau de services et le paragraphe 113(4) de la LTC prévoit qu’un expéditeur et une compagnie de chemin de fer peuvent s’entendre sur les moyens à prendre par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations envers l’expéditeur. Lorsqu’il existe un tel accord, y compris un contrat confidentiel, le paragraphe 116(2) de la LTC prévoit que les clauses du contrat lient l’Office dans sa décision en vertu de l’article 116, lorsqu’il doit déterminer si une compagnie de chemin de fer s’est acquittée de ses obligations en matière de niveau de services.

[5]  Dans le cas présent, le contrat confidentiel conclu entre CN et LDC régit les obligations de CN en matière de niveau de services fourni à LDC. Conformément au paragraphe 116(2) de la LTC, l’Office doit tenir compte des clauses du contrat confidentiel dans son examen de la demande de LDC. L’Office note que dans le cas présent, le contrat confidentiel reflète le fait que les parties conviennent que les dispositions portant sur le niveau de services continuent de s’appliquer. Particulièrement, l’article 7.0 du contrat confidentiel indique que les droits conférés à LDC en vertu des articles 113 à 116 de la LTC demeurent intacts :

[traduction]

7.0 Exigences en matière de services

7.1 LDC aura le droit de recevoir les services et le transport assurés par le CN prévus aux articles 113 à 116 de la Loi sur les transports au Canada (LTC). Les parties n’ont pas l’intention de faire de l’article 7.0 un accord, au sens du paragraphe 113(4) de la LTC, en vue de remplacer les droits conférés à LDC par ces articles de la LTC par les droits issus du présent accord. Outre les services et le transport auxquels LDC a droit aux termes des articles 113 à 116 de la LTC, le CN offrira un service de train pour le placement des wagons vides en vue de leur chargement et, par la suite, pour le ramassage des wagons remplis à chaque silo, comme il est prévu dans le présent article 7.0.

La Cour d’appel fédérale a aussi conclu dans l’arrêt Dreyfus que « la question de savoir si ce contrat confidentiel était ou non un contrat confidentiel au sens du paragraphe 113(4) de la LTC dépendra de l’interprétation de ce contrat » (au paragraphe 29). Elle conclut ensuite que l’interprétation du contrat n’est pas une question donnant droit d’appel. En effet, la Cour a indiqué que : « [l]’Office a conclu que, dans la mesure où les demandes faites par LDC relativement aux wagons se situaient dans les limites précisées dans le contrat confidentiel, le CN avait convenu de fournir un tel nombre de wagons. Cette conclusion reposait sur son interprétation du contrat confidentiel applicable en l’espèce » (Dreyfus, au paragraphe 32).

[47]  La Cour d’appel fédérale a jugé que « l’Office a aussi conclu que l’obligation de décider si la demande de services est raisonnable pouvait être remplacée par un contrat entre l’expéditeur et la compagnie de chemin de fer énonçant ses obligations quant au niveau de services » (au paragraphe 23). La Cour d’appel fédérale a conclu catégoriquement que le contrat entre les parties a préséance :

[26]  La LTC dispose qu’un expéditeur et une compagnie de chemin de fer peuvent conclure une entente établissant les moyens à prendre par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations. Si les parties ont conclu une telle entente, les obligations de services de la part de la compagnie de chemin de fer seront établies en fonction de ce que la compagnie a convenu de fournir, et non en fonction de la question de savoir si une commande particulière est jugée raisonnable.

[...]

[28]  Comme l’Office a conclu que le CN avait accepté de fournir le nombre de wagons commandés par LDC (dans les limites indiquées par l’Office), le CN ne peut maintenant se plaindre que ces commandes étaient déraisonnables. Le CN est simplement lié par l’entente qu’il a conclue avec LDC. À mon avis, l’Office n’a pas commis une erreur de droit en arrivant à cette conclusion.

[48]  Les parties se sont entendues sur les moyens pris pour s’acquitter de certaines obligations en matière de niveau de services, ce qui est identique au libellé du paragraphe 113(4). La Cour a refusé de se prononcer sur la nature du contrat. La Cour a conclu au paragraphe 29 que la « question de savoir si ce contrat confidentiel était ou non un contrat confidentiel au sens du paragraphe 113(4) de la LTC dépendra de l’interprétation de ce contrat ». Comme l’interprétation d’un contrat est une question mixte de faits et de droit, selon la Cour d’appel fédérale, et non une question de droit, il n’y avait aucun droit d’appel. La décision rendue par l’OTC selon laquelle le contrat est un contrat au sens du paragraphe 113(4) ne peut faire l’objet d’un appel. La question avait été entendue et tranchée, comme on le voit clairement au paragraphe 30 : « Par conséquent, que ce contrat confidentiel ait été ou non un contrat confidentiel au sens du paragraphe 113(4) de la LTC n’est pas une question donnant droit d’appel en vertu de la LTC ». Même s’il ne conteste pas ce qui constitue à mon avis la décision claire de l’OTC d’établir que le contrat de 1999 est le contrat prévu au paragraphe 113(4), le CN continue de soutenir, dans une certaine mesure, que le contrat n’est pas un contrat confidentiel comme le prévoit le paragraphe 113(4) de la Loi.

[49]  J’aurais été relativement en accord avec les arguments préliminaires soulevés par LDC. En effet, il se peut très bien que l’affaire ait déjà été entendue. Je préfère toutefois statuer sur l’opposition relativement à la compétence soulevée par le CN sur le fond. Je suis d’avis que les dispositions de la loi et du contrat visées par l’examen, lorsqu’elles sont correctement interprétées, mènent à la conclusion que la Cour a compétence pour statuer sur la demande en dommages-intérêts présentée par LDC.

C.  La Cour fédérale peut-elle être saisie de l’action?

[50]  Le CN ne conteste pas que la Cour fédérale a compétence pour accorder des dommages-intérêts après que l’OTC eut conclu à un manquement aux obligations en matière de niveau de services (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 36). Cet argument serait difficile à maintenir vu le paragraphe 116(5) de la Loi. Qui plus est, la Cour d’appel fédérale a conclu, il y a de cela 36 ans, que [traduction] « la Cour fédérale a compétence pour accorder des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation créée par l’article 262 » (Kiist, à la page 14). La Cour a aussi conclu qu’il appartient à l’OTC de déterminer si les compagnies de chemin de fer ont fourni des installations convenables pour le transport de grains, selon le libellé actuel de l’alinéa 113(1)b) de la Loi. En fait, [traduction] « en l’absence d’une telle conclusion par la Commission [maintenant remplacée par l’OTC], la Cour fédérale n’avait pas compétence pour statuer sur la demande en dommages-intérêts ». La situation demeure la même. Le juge Sharlow a bien résumé ce point dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Northgate Terminals Ltd., 2010 CAF 147, [2011] 4 RCF 228 [Northgate Terminals], au paragraphe 25 :

[25]  Le juge Le Dain, qui écrivait les motifs de la Cour, a conclu que la Cour fédérale constituait le tribunal approprié pour connaître d’une action en dommages-intérêts en vertu du paragraphe 267(7) de la Loi sur les chemins de fer et a rejeté l’argument de CN et CP selon lequel la Commission canadienne des transports (la commission qui a précédé l’Office) avait compétence exclusive pour connaître d’une telle demande. Cependant, il a également conclu que la Commission avait compétence exclusive pour décider si CN et CP avaient manqué à leurs obligations quant au niveau de services et que, en l’absence d’une telle décision par la Commission, la Cour fédérale n’avait pas compétence pour connaître de l’action en dommages-intérêts.

Si l’OTC a conclu qu’il y a eu manquement aux obligations en matière de niveau de services, LDC a raison de demander réparation devant la Cour.

[51]  L’argument du CN, une fois réduit à son essence, consiste à établir une distinction entre ce qu’il appelle des [traduction] « obligations en matière de niveau de services prévues par la loi » et des [traduction] « obligations en matière de niveau de services contractuelles ». En fait, cette distinction ne se trouve pas à la section IV de la Loi. Le CN soutient que la compétence de la Cour se limite aux [traduction] « obligations en matière de niveau de services prévues par la loi ». Il fait valoir que le contrat conclu entre LDC et CN n’est qu’un simple accord contractuel, qui n’était pas couvert par le paragraphe 116(5) de la Loi. Il s’ensuit, selon l’argument, qu’il faut obtenir réparation devant les cours supérieures provinciales pour violation de contrat. Pour le CN, le contrat et la Loi constituent des sources de droits différentes qui doivent demeurer distinctes.

[52]  Ainsi, pour obtenir gain de cause, le CN doit établir que le contrat de 1999 est un instrument autonome qui confère certains droits à LDC; si tel est le cas, il s’ensuivrait que le manquement au contrat, s’il y a lieu, serait sanctionné comme toute autre violation de contrat.

[53]  Cet argument ne s’inscrit toutefois pas dans l’économie de la Loi, du contrat lui-même et de son effet juridique; c’est ce que l’OTC a conclu et que la Cour d’appel fédéral a laissé tel quel. Non seulement la Loi ne fait aucune différence entre les « obligations en matière de niveau de services prévues par la loi » et les « obligations en matière de niveau de services contractuelles », mais le CN ne tient également pas compte de l’économie de la Loi lorsqu’il aborde les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services. Il faut comprendre le fonctionnement de la section IV de la Loi et déterminer si le contrat de 1999 joue un rôle dans cette économie. À mon avis, lorsqu’il est bien compris, le contrat de 1999 constitue un contrat confidentiel ou tout autre accord écrit qui devient partie intégrante des obligations en matière de niveau de services à l’égard de LDC parce qu’il est contraignant pour l’OTC, qui doit donc inclure le contrat confidentiel dans sa décision sur les obligations en matière de niveau de services. Il existe donc un droit d’action, conformément au paragraphe 116(5) de la Loi, pour « quiconque souffre préjudice de la négligence ou du refus d’une compagnie de s’acquitter de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114 ».

[54]  Il serait absurde pour le législateur d’avoir permis qu’un contrat confidentiel (dans la mesure où il constitue un accord entre les parties sur les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services) soit contraignant pour l’organisme de réglementation chargé de déterminer le degré des obligations en matière de niveau de services requis, avant de conclure que ce contrat confidentiel est exclu du droit d’action offert en cas de manquement aux obligations en matière de niveau de services. Autrement dit, tout cela ne rapporte rien.

1)  L’économie de la Loi

[55]  L’approche moderne de l’interprétation réglementaire demeure celle exposée par Elmer Driedger :

[traduction]

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(Construction of Statutes, Elmer Driedger, Butterworths, 1983, à la page 87; cité à de nombreuses reprises par la Cour suprême du Canada depuis Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27)

Comme le dit le professeur Ruth Sullivan dans Statutory Interpretation (2e éd.), Irwin Law, 2007 [Sullivan] :

[traduction]

Les tribunaux affirment souvent qu’il est possible de comprendre parfaitement le sens d’un mot ou d’une expression que s’il est lu dans le contexte de la loi dans son ensemble. […] Dans le cadre de l’examen d’une loi dans son ensemble, il faut rechercher (1) d’autres dispositions de la loi qui sont liées d’une certaine manière à la disposition à interpréter; (2) les regroupements internes; (3) les composantes structurales pertinentes; et (4) le texte législatif général.

(à la page 131)

On suppose que chacune des caractéristiques d’un texte législatif a été choisie de façon délibérée et qu’elle a un rôle particulier à jouer dans la conception législative. La législature n’utilise pas un langage inutile ou insignifiant dans ses lois; elle n’utilise pas certains mots uniquement à des fins rhétoriques ou esthétiques; elle n’avance pas deux fois le même argument.

(à la page 167)

[56]  La section IV de la Loi commence par l’article 111, qui présente des définitions de termes. Dans la version anglaise, on définit le terme « service obligations » ainsi : [traduction« obligations prévues aux articles 113 et 114 ». Comme il a déjà été mentionné, il n’y a aucune obligation en matière de niveau de services prévue par loi ou contractuel; il n’y a que les obligations indiquées dans ces deux articles.

[57]  Il s’ensuit que le droit d’action, conformément au paragraphe 116(5), lié au respect des obligations en matière de niveau de services doit porter sur les obligations prévues par les articles 113 et 114 de la Loi. Le paragraphe renvoie directement et clairement au fait que la compagnie de chemin de fer doit s’acquitter de ses [traduction] « obligations prévues par les articles 113 et 114 ». Ainsi, il faut donc déterminer ce qui constitue des obligations en matière de niveau de services dans ces articles, selon ce que le législateur a prévu.

[58]  Sous le titre « Acheminement du trafic », l’article 113 exige d’une compagnie de chemin de fer qu’elle accomplisse un certain nombre de choses, y compris ce qui suit :

·  fournir les installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises;

·  recevoir, transporter et livrer ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus;

·  fournir et utiliser tous les appareils, toutes les installations et tous les moyens nécessaires à la réception, au chargement, au transport, au déchargement et à la livraison de ces marchandises.

En créant ces obligations en matière de niveau de services, le législateur entendait créer une obligation, et pas un pouvoir discrétionnaire. La Loi d’interprétation, LRC (1985), c I-21 (Loi d’interprétation] prévoit précisément, à l’article 11, que l’obligation « s’exprime essentiellement par le verbe “pouvoir” [...] ». Les obligations en matière de niveau de services sont cependant de nature plutôt qualitative. Si on la laisse telle quelle, il appartiendra à l’organisme de réglementation de rendre la décision de manière plus précise : qu’entend-on par la fourniture d’installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises?

[59]  Les expéditeurs et les compagnies de chemin de fer peuvent toutefois s’entendre entre autres sur les moyens à prendre pour s’acquitter de ces obligations en matière de niveau de services. En fait, un expéditeur peut vaincre la réticence d’une compagnie de chemin de fer en la forçant à présenter une offre sur les moyens qu’elle prendra pour s’acquitter de ses obligations prévues par l’article 113 (paragraphe 126(1.2) de la Loi). Par souci de commodité, je reproduis de nouveau le paragraphe 113(4) de la Loi :

Contrat confidentiel

Confidential contract between company and shipper

113(4) Un expéditeur et une compagnie peuvent s’entendre, par contrat confidentiel ou autre accord écrit, sur les moyens à prendre par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations.

113(4) A shipper and a railway company may, by means of a confidential contract or other written agreement, agree on the manner in which the obligations under this section are to be fulfilled by the company.

[60]  L’effet d’un « contrat confidentiel » sur les moyens à prendre pour s’acquitter d’obligations en matière de niveau de services va au-delà de celui d’un contrat ordinaire, vu son rôle dans l’économie de la loi. L’article 116 de la Loi fait partie du texte législatif qui aborde la façon dont les obligations en matière de niveau de services prévues par les articles 113 et 114 doivent être mises en œuvre. Après le dépôt d’une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations en matière de niveau de services, l’OTC mène une enquête et rend une décision. D’après ce que je peux voir, il n’y a aucune obligation de porter plainte devant l’OTC. Cependant, une fois déposée, la plainte doit faire l’objet d’une enquête et l’OTC doit rendre une décision. Au moment de rendre cette décision (c.-à-d. une décision qui établit si les obligations en matière de niveau de services ont été respectées), le contrat confidentiel est contraignant pour l’OTC.

[61]  La partie du contrat confidentiel qui porte sur les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services ne demeure pas en dehors du cadre du régime de réglementation. Il me semble que la seule façon de comprendre l’économie de la Loi est de conclure que les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations générales en matière de niveau de services sont intégrés à l’économie de la Loi et que l’OTC doit les faire appliquer puisqu’elles sont contraignantes à son égard. Autrement dit, le contrat confidentiel (dans la mesure où il prévoit les moyens à prendre par la compagnie de chemin de fer afin de s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services) fait partie de l’économie de la Loi. La décision rendue conformément à l’alinéa 116(1)b) ne peut l’être sans inclure le contrat confidentiel, s’il doit être contraignant pour l’OTC. Il est évident que le législateur a choisi d’inclure le contrat confidentiel en tant qu’élément essentiel de l’économie de la Loi dont l’OTC doit assurer l’application. Le contrat confidentiel permet aux parties de s’entendre précisément sur les moyens à prendre par la compagnie de chemin de fer pour s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services. Les obligations en matière de niveau de services énumérées au paragraphe 113 sont vastes et générales. Le contrat confidentiel apporte une particularité qui, selon le législateur, est contraignante pour l’OTC au moment de rendre une décision sur le respect des obligations en matière de niveau de services.

[62]  On pourrait faire valoir que le paragraphe 113(4) seul indique tout simplement que deux parties privées peuvent conclure un accord. Toutefois, même dans ce cas, on ignore pourquoi le législateur aborderait un élément qui pourrait être sans doute possible en common law. Quel but le paragraphe 113(4) aurait-il? Le législateur n’utilise pas un langage inutile. Les paragraphes 113(4) et 116(2) ont plutôt un objet supérieur; il nous faut interpréter les paragraphes en tant que contributions au fonctionnement élargi de la section IV. Le rôle qu’un contrat confidentiel doit jouer devient évident lorsqu’on le lit parallèlement au paragraphe 116(2). On voit ainsi comment la Loi utilise le contrat confidentiel dans le cadre de ce qui constituera la détermination des obligations en matière de niveau de services. Il s’agit des mêmes obligations en matière de niveau de services, avec l’avantage qu’offre l’accord entre les parties, qui donnent lieu à une indemnisation devant la Cour fédérale après que l’OTC a rendu sa décision (paragraphe 116(5)). Le droit d’action est lié au respect des obligations en matière de niveau de services.

[63]  L’économie de la Loi est donc parfaitement conforme à la section IV. La Loi crée les obligations en matière de niveau de services; elle permet aux parties de conclure des accords confidentiels afin qu’elles s’entendent sur les moyens à prendre par la compagnie de chemin de fer pour s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services (paragraphe 113(4) et article 126) et les encourage même à le faire; elle rend le contrat confidentiel contraignant pour l’organisme de réglementation qui doit déterminer si les obligations en matière de niveau de services ont été respectées (paragraphe 116(2)); tous ces éléments mènent à un droit d’action contre la compagnie de chemin de fer une fois que l’organisme de réglementation a rendu sa décision selon laquelle la compagnie de chemin de fer a manqué à ses obligations en matière de niveau de service (y compris au contrat confidentiel, qui prévoit les moyens à prendre par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations) en raison de sa négligence ou de son refus (paragraphe 116(5)). Les principes de l’interprétation des lois mènent inexorablement, selon moi, à cette interprétation de la section IV.

[64]  Le législateur n’agissait pas par inadvertance. Une fois les dispositions lues ensemble, selon le contexte, il est facile de découvrir l’objet de la section IV. Le contrat confidentiel qui prévoit les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services joue un rôle particulier dans la conception législative; il ne s’agit pas d’un concept dénudé de sens que l’on a rajouté et il faut en tenir compte pour comprendre l’économie de la Loi.

2)  Le contrat confidentiel

[65]  Il faut ensuite répondre à la question de savoir si le contrat de 1999 est admissible en tant que contrat confidentiel de façon à faire entrer en jeu la section IV de la Loi.

[66]  Comme nous l’avons vu précédemment, c’est la conclusion à laquelle l’OTC est parvenu; la Cour d’appel fédérale n’est pas intervenue. Cette conclusion ne fait pas l’objet d’une contestation directe. On pourrait être tenté de dire que l’interprétation du contrat et de son effet ne peut être valablement présentée à la Cour à cette étape. Cela clorait évidemment l’affaire. Quoi qu’il en soit, j’ai conclu que c’est le contrat confidentiel qui prévaut.

[67]  Il est indiqué explicitement dans le contrat de 1999 qu’il s’agit d’un contrat confidentiel et que les parties ne doivent pas en divulguer les modalités (article 12.1 du contrat de 1999). Il ne sera pas nécessaire de divulguer le contenu du contrat de 1999 aux fins de la présente décision. Il suffit d’affirmer que les parties se sont entendues sur les exigences en matière de services pour les silos exploités par LDC et qu’elles indiquent explicitement à l’article 7.0 que LDC a droit aux services prévus par les articles 113 à 116 de la Loi.

[68]  S’il y avait un doute quelconque sur la nature confidentielle du contrat de 1999 au sens du paragraphe 113(4), les parties ont dû vouloir l’éliminer parce qu’elles abordent cette question directement :

[traduction]

12.2  Aux fins de la Loi sur les transports au Canada, le présent accord sera réputé être un contrat confidentiel au sens de l’article 126.

Le paragraphe 126(1) établit un lien avec les obligations en matière de niveau de services prévues à l’alinéa e). Je reproduis de nouveau l’alinéa 126(1)e) :

Conclusion de contrats confidentiels

Confidential contracts

126(1) Les compagnies de chemin de fer peuvent conclure avec les expéditeurs un contrat, que les parties conviennent de garder confidentiel, en ce qui concerne :

126(1) A railway company may enter into a contract with a shipper that the parties agree to keep confidential respecting

(…)

[…]

e) les moyens pris par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations en application de l’article 113.

(e) the manner in which the company shall fulfill its service obligations under section 113.

[69]  Dans l’arrêt Sattva Capital Corp. c Creston Moly Corp., [2014] 2 RCS 633, 2014 CSC 53, [Sattva], la Cour suprême du Canada présente des directives sur l’interprétation des contrats. Comme on le verra, on favorise une approche logique et pratique afin d’aider à comprendre la portée de l’accord dans le cas où le contexte, les faits et le marché dans lequel les parties mènent leurs activités revêtent évidemment une certaine importance particulière :

[47]  Relativement au premier changement, l’interprétation des contrats a évolué vers une démarche pratique, axée sur le bon sens plutôt que sur des règles de forme en matière d’interprétation. La question prédominante consiste à discerner « l’intention des parties et la portée de l’entente » (Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurance Guardian du Canada, 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744, par. 27, le juge LeBel; voir aussi Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, par. 64‑65, le juge Cromwell). Pour ce faire, le décideur doit interpréter le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots y figurant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat. Par l’examen des circonstances, on reconnaît qu’il peut être difficile de déterminer l’intention contractuelle à partir des seuls mots, car les mots en soi n’ont pas un sens immuable ou absolu :

[traduction]

Aucun contrat n’est conclu dans l’abstrait : les contrats s’inscrivent toujours dans un contexte. [...] Lorsqu’un contrat commercial est en cause, le tribunal devrait certes connaître son objet sur le plan commercial, ce qui présuppose d’autre part une connaissance de l’origine de l’opération, de l’historique, du contexte, du marché dans lequel les parties exercent leurs activités.

(Reardon Smith Line, p. 574, le lord Wilberforce)

[...]

[57]  Bien que les circonstances soient prises en considération dans l’interprétation des termes d’un contrat, elles ne doivent jamais les supplanter (Hayes Forest Services, par. 14; Hall, p. 30). Le décideur examine cette preuve dans le but de mieux saisir les intentions réciproques et objectives des parties exprimées dans les mots d’un contrat. Une disposition contractuelle doit toujours être interprétée sur le fondement de son libellé et de l’ensemble du contrat (Hall, p. 15 et 30-32). Les circonstances sous‑tendent l’interprétation du contrat, mais le tribunal ne saurait fonder sur elles une lecture du texte qui s’écarte de ce dernier au point de créer dans les faits une nouvelle entente (Glaswegian Enterprises Inc. c. B.C. Tel Mobility Cellular Inc. (1997), 101 B.C.A.C. 62).

[70]  En l’espèce, le CN ne semble pas tenir compte du fait que les parties ont précisément exprimé dans leur accord que le contrat est un contrat confidentiel aux fins de la Loi. Il ne renie pas que les articles 113 à 116 de la Loi, qui doivent bien sûr inclure le paragraphe 113(4), sont applicables. Il ne fait que déclarer audacieusement que l’article 7 du contrat de 1999 ne constitue pas un accord au sens du paragraphe 113(4) de la Loi.

[71]  Lorsqu’on le lit au complet, il est impossible selon moi de ne pas conclure que l’article 7 prévoit les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services énumérées au paragraphe 113(1) de la Loi. Aux termes de ce paragraphe, la compagnie de chemin de fer est tenue de « fourni[r] les installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises » et de « fourni[r] et utilise[r] tous les appareils, toutes les installations et tous les moyens nécessaires à la réception, au chargement, au transport, au déchargement et à la livraison de ces marchandises ». L’accord vise à préciser les obligations en matière de niveau de services du CN lorsque les nouveaux silos de manutention du grain adjacents aux lignes de chemin de fer du CN auront été construits. Le contrat de 1999 aborde la construction des silos, mais aussi les exigences en matière de services.

[72]  Le CN a tenté de battre le fer pendant qu’il était chaud avec l’introduction de l’article 7.1, qui est rédigé ainsi :

[traduction]

7.1  LDC aura le droit de recevoir les services et le transport assurés par le CN prévus aux articles 113 à 116 de la Loi sur les transports au Canada (LTC). Les parties n’ont pas l’intention de faire de l’article 7.0 un accord, au sens du paragraphe 113(4) de la LTC, en vue de remplacer les droits conférés à LDC par ces articles de la LTC par les droits issus du présent accord. Outre les services et le transport auxquels LDC a droit aux termes des articles 113 à 116 de la LTC, le CN offrira un service de train pour le placement des wagons vides en vue de leur chargement et, par la suite, pour le ramassage des wagons remplis à chaque silo, comme il est prévu dans le présent article 7.0.

[Non souligné dans l’original.]

La compagnie de chemin de fer soutient que l’introduction au paragraphe 7.1 signifie que l’article 7 ne constitue pas un accord au sens du paragraphe 113(4). Cette lecture n’est pas convaincante selon moi. En fait, elle aurait uniquement pu avoir une certaine plausibilité si la partie de la phrase soulignée deux fois était exclue de l’examen. On ne peut évidemment pas le faire. Il faut donner aux mots le sens qui leur est conféré.

[73]  Selon moi, la phrase, lorsqu’on la lit au complet, vise à indiquer clairement que les obligations en matière de niveau de services créées en termes généraux par l’article 113 de la Loi ne sont pas remplacées par les droits issus du présent accord. Contrairement à la thèse du CN, la phrase n’indique pas que l’article 7 ne constitue pas un accord au sens du paragraphe 113(4) de la Loi. Les mots « au sens du paragraphe 113(4) de la LTC » qualifient le mot « accord ». C’est l’accord au sens du paragraphe 113(4) qui est déclaré ne pas remplacer les droits prévus par la Loi. Pour parvenir à une interprétation différente, je souscris à l’opinion de LDC selon laquelle il faut faire abstraction de la ponctuation et de la deuxième partie de la phrase. Qui plus est, il faut aussi ne pas tenir compte du sens de la phrase, qui vise à indiquer que les parties n’ont pas l’intention de renoncer, par l’intermédiaire de l’article 7, aux droits qui leur sont conférés par l’article 113; ce sens est issu du segment de la phrase souligné deux fois. Cette phrase porte sur le remplacement de droits.

[74]  La ponctuation compte et change les choses. On raconte qu’un professeur d’anglais a déjà écrit la phrase « Woman without her man is nothing » (une femme sans son homme n’est rien) au tableau. Le professeur a ensuite demandé à ses étudiants de mettre les signes de ponctuation appropriée. Les hommes ont écrit : « Woman, without her man, is nothing » (une femme, sans un homme, n’est rien), tandis que les femmes ont écrit « Woman! Without her, man is nothing » (La femme! Sans elle, l’homme n’est rien). La ponctuation est importante.

[75]  En l’espèce, les parties ne voulaient pas que l’on comprenne qu’elles renonçaient aux droits qui leur sont conférés par l’article 113 par l’intermédiaire d’un accord établi aux termes du paragraphe 113(4); c’est la façon la plus plausible de lire cette phrase. Dans cette phrase, on ne fait qu’affirmer que l’article 7 de l’accord ne constitue pas un accord établi aux termes du paragraphe 113(4) qui remplace les articles 113 à 116; vu la présence de virgules pour délimiter l’expression « au sens du paragraphe 113(4) de la LTC », cette expression qualifie le mot « accord ». L’accord au sens du paragraphe 113(4) ne remplace pas les droits conférés aux articles 113 à 116; la phrase n’indique pas que l’article 7 n’est pas un accord au sens du paragraphe 113(4).

[76]  Une approche interprétative plus raisonnée tient compte des circonstances, y compris le fait que les obligations en matière de niveau de services énumérées au paragraphe 113(1) sont beaucoup plus vastes que celles indiquées à l’article 7.0 du contrat de 1999. Comme il a été mentionné précédemment, le paragraphe 113(1) exige, par exemple, des compagnies de chemin de fer qu’elles « fourni[ssent] […] des installations convenables pour la réception et le chargement des marchandises à transporter par chemin de fer », tandis que l’alinéa 7.1C) du contrat de 1999 exige du CN qu’il fournisse [traduction] « au moins une unité de services par semaine de services, à la condition que LDC ait terminé les commandes hebdomadaires de wagons » à n’importe quel silo « pouvant accueillir » un certain nombre de wagons. Le dernier semble établir ce que les parties considèrent comme un service « convenable » dans des circonstances particulières, ce qui veut dire que l’article 7.0 établit les « moyens à prendre par le CN » pour s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services à l’égard de LDC au sens du paragraphe 113(4). Les parties se sont toutefois entendues que cet accord n’exclurait pas d’autres obligations en matière de niveau de services prévues au paragraphe 113(1).

[77]  Une autre approche consiste à se demander quelle est l’interprétation logique dans le marché où les parties mènent leurs activités, comme il est indiqué dans l’arrêt Sattva. Si l’article 7.1 indique clairement que LDC souhaitait conserver les droits qui lui sont conférés par les articles 113 à 116, cela sous-entend qu’elle voulait maintenir le droit de faire trancher un différend sur le niveau de services par l’OTC et le droit de réclamer des dommages-intérêts aux termes du paragraphe 116(5). Il est logique que LDC souhaite conserver ces droits vu la dynamique du marché des compagnies de chemin de fer et des expéditeurs. Après tout, la Loi prévoit que c’est l’expéditeur qui peut présenter une demande de contrat confidentiel (paragraphe 126(1.2)). La compagnie de chemin de fer doit présenter une offre (paragraphe 126(1.3)). Si LDC souhaitait conserver ces droits, pourquoi accepterait-elle d’écarter l’application du paragraphe 113(4), qui lui permet de déposer une plainte aux termes du paragraphe 116(5) au moyen des modalités du contrat de 1999?

[78]  Enfin, si nous revenons à l’argument de contestation incidente invoqué par LDC, l’organisme de réglementation lui-même, l’OTC, semble être d’accord avec l’interprétation du contrat de la demanderesse. Comme il en a déjà été question, conformément au paragraphe 116(1) de la Loi, l’organisme de réglementation n’a compétence que pour être saisi des plaintes portant sur les « obligations en matière de niveau de services ». Étant donné que l’OTC a conclu qu’il avait compétence pour statuer sur la plainte présentée par LDC et qu’il s’est appuyé sur les modalités du contrat de 1999 pour rendre sa décision, il doit avoir interprété l’article 7.1 comme permettant de considérer les obligations contractuelles comme des « obligations en matière de niveau de services » au sens de la Loi. La Cour d’appel fédérale a conclu que cela ne constituait pas une erreur de droit aux paragraphes 29 et 30 de sa décision. Lorsqu’on le lit dans son ensemble, l’article 7 semble être de façon concluante le contrat confidentiel prévu au paragraphe 113(4) de la Loi.

[79]  En conséquence, je conclus que le contrat confidentiel tel qu’établi par les parties relève du paragraphe 113(4) de la Loi. Il s’ensuit que les moyens à prendre par le CN pour s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services comprennent les dispositions appropriées du contrat confidentiel, qui, après avoir fait l’objet d’une décision par l’OTC, donne un droit d’action étant donné que l’Office n’a pas compétence pour imposer des dommages-intérêts. Il me semble que la thèse défendue par le CN mènerait, sauf le respect que je lui dois, à une absurdité. Le régime de réglementation est cohérent si le contrat confidentiel qui porte sur les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services en fait partie. Quel intérêt y a-t-il à rendre les dispositions du contrat, qui portent sur les moyens à prendre pour s’acquitter de ses obligations en matière de niveau de services, contraignantes pour l’OTC si l’exercice ne mène pas à la cause d’action que la loi a précisément créée? L’interprétation du CN mène à un retour à la case départ devant une cour. L’interprétation tendue qu’il fait de l’économie de la loi et du contrat confidentiel mène à un résultat qui ne peut être l’intention du législateur. Plutôt que de proposer une solution de droit (article 12 de la Loi d’interprétation), cette interprétation mène à une impasse parce qu’elle ne reconnaît pas que [traduction« chacune des caractéristiques d’un texte législatif a été choisie de façon délibérée et qu’elle a un rôle particulier à jouer dans la conception législative » (Sullivan, à la page 167).

D.  Compétence de la Cour pour être saisie d’une demande en dommages-intérêts

[80]  Dans ses observations, le CN a fait valoir que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la demande en dommages-intérêts. Il est possible de trancher rapidement cette question maintenant puisqu’il a été déterminé que le « contrat confidentiel » fait partie du régime de réglementation adopté par le législateur en tant que section IV de la Loi.

[81]  La Cour n’a pas une compétence inhérente. La Cour suprême du Canada a exposé un critère à trois volets dans l’arrêt ITO-International afin de déterminer si la Cour a compétence pour trancher une question particulière. Le CN renvoie à ces conditions, qui se trouvent à la page 766 de l’arrêt ITO-International :

1.  Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

3.  La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[82]  Le CN ne conteste pas l’attribution légale de compétence à la Cour fédérale. L’article 23 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, est libellé ainsi :

23 Sauf attribution spéciale de cette compétence par ailleurs, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans tous les cas — opposant notamment des administrés — de demande de réparation ou d’autre recours exercé sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit en matière :

23 Except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned, the Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under an Act of Parliament or otherwise in relation to any matter coming within any of the following classes of subjects:

a) de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures;

(a) bills of exchange and promissory notes, where the Crown is a party to the proceedings;

b) d’aéronautique;

(b) aeronautics; and

c) d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province.

(c) works and undertakings connecting a province with any other province or extending beyond the limits of a province.

Étant donné que les compagnies de chemin de fer sont des ouvrages reliant une province à une autre, la demande de LDC liée aux obligations en matière de niveau de services du CN répond à la première condition. L’affaire en l’espèce répond aux critères puisque LDC présente sa demande de dommages-intérêts aux termes de la Loi sur les transports au Canada, une loi du Parlement, et que le litige concerne une expédition ferroviaire qui traverse plus d’une province.

[83]  Toutefois, il ne suffit évidemment pas d’intenter tout simplement une poursuite à l’égard d’une compagnie de chemin de fer. La demande doit aussi être présentée en vertu d’une loi fédérale. En effet, le postulat avancé par le CN repose sur son argument selon laquelle le contrat confidentiel n’est pas couvert par le paragraphe 113(4) de la Loi, qui fait entrer en cause le droit d’action en dommages-intérêts aux termes du paragraphe 116(5) après que l’OTC a rendu sa décision à la suite d’une plainte présentée contre une compagnie de chemin de fer. Si la demande n’est pas présentée conformément au contrat confidentiel prévu au paragraphe 113(4), soutient le CN, et que le litige porte sur un manquement allégué à un contrat, qui ne relève pas d’une loi fédérale, une loi du Canada, la Cour fédérale n’a pas compétence pour être saisie de l’affaire.

[84]  Contrairement à ce que le CN a soutenu, la décision rendue par l’OTC se fonde précisément sur l’article 7 du contrat de 1999, qui est un contrat confidentiel aux termes du paragraphe 113(4). On peut donc se demander où l’OTC trouverait-il sa compétence s’il n’avait pas déterminé que le contrat confidentiel était le contrat prévu au paragraphe 113(4), soit un accord sur les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services prévues à l’article 113. Ces obligations comprennent la fourniture d’installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises. Comme l’OTC l’a reconnu, l’affaire porte sur les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services :

[84]  Dans le cas présent, le manquement allégué a trait au nombre de wagons livrés par CN aux installations de LDC. Les parties ne conviennent pas de la façon dont le contrat confidentiel traite du nombre de wagons à fournir à LDC. Ainsi, l’Office doit déterminer ce qui a été convenu par les parties en ce qui a trait aux exigences en matière de services de CN dans le contrat confidentiel.

On ne m’a pas convaincu que le contrat confidentiel n’était pas le genre de contrat prévu à l’article 113 de la Loi. L’organisme de réglementation, l’OTC, n’a pas été convaincu lui non plus :

[77]  En 1999 ou vers cette époque, LDC a informé CN qu’elle souhaitait construire cinq nouvelles installations de traitement du grain dans des régions desservies par CN. Un contrat confidentiel a été conclu entre LDC et CN avant la construction des installations, dans lequel les parties se sont entendues, entre autres choses, sur les modalités régissant la construction des cinq silos à grains ainsi que de la façon dont CN devait s’acquitter de ses obligations relatives au niveau de services en vertu de l’article 113 de la LTC.

[85]  Je ne peux donc pas accepter la proposition du CN selon laquelle le contrat ne relève pas de la Loi. Le contrat confidentiel qui prévoit les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations s’inscrit dans le régime fédéral adopté par le Parlement. C’est par l’intermédiaire du droit d’action prévu au paragraphe 116(5) que LDC souhaite saisir la Cour fédérale après la décision rendue par l’organisme de réglementation fédéral. C’est approprié, puisqu’un ensemble de règles de droit reconnaît que la Cour a compétence pour statuer sur les dommages-intérêts après que l’organisme de réglementation a rendu sa propre décision (Kiist et Northgate Terminals, précités). La Cour fédérale établira les dommages-intérêts subis par LDC en fonction de la détermination des obligations en matière de niveau de services faite par un organisme de réglementation fédéral, à l’égard de qui le Parlement a exigé d’inclure dans sa décision un contrat confidentiel prévoyant les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services.

[86]  Comme il ressort clairement de la lecture de la déclaration, LDC réclame des dommages-intérêts conformément au paragraphe 116(5) de la Loi parce que l’organisme spécialisé dans ce genre d’affaires a conclu qu’il y avait eu manquement aux obligations en matière de niveau de services. Cette décision de l’OTC a été rendue par l’organisme de réglementation en tant que question relevant d’une loi fédérale. Voilà la nature essentielle de la demande en dommages-intérêts à la suite d’une décision où il a été conclu que les obligations en matière de niveau de services prévues en vertu d’une loi fédérale n’avaient pas été respectées. Voilà l’administration des lois fédérales. Il s’agit certainement du rôle attribué à la Cour fédérale dans l’interprétation et l’élaboration des lois fédérales dans des affaires pour lesquelles on lui a attribué une compétence. Son rôle suit les traces de l’organisme de réglementation fédéral du secteur visé.

[87]  Le CN avance comme argument que la demande présentée par LDC vise une violation de contrat. Cela n’est pas le cas. L’OTC a déjà statué sur l’effet du contrat. Le législateur a confié à l’organisme de réglementation la tâche de déterminer si une compagnie de chemin de fer s’est acquittée de ses obligations en matière de niveau de services après le dépôt d’une plainte. Cette décision doit comprendre l’accord des parties sur les moyens à prendre pour s’acquitter des obligations en matière de niveau de services. Ainsi, la réclamation présentée aux termes du paragraphe 116(5) ne vise pas une violation de contrat. Elle vise l’adjudication de dommages-intérêts à la suite de la décision rendue par l’organisme de réglementation selon laquelle les obligations en matière de niveau de services, y compris les moyens à prendre pour s’acquitter de ses obligations, prévus dans un contrat confidentiel, n’ont pas été respectées. La source du droit de LDC ne provient pas tant du contrat que de la conclusion qu’il y a eu manquement aux obligations en matière de niveau de services, que l’organisme de réglementation a déjà tirée et qui est demeurée inchangée en appel. Il n’y a qu’à établir les dommages-intérêts.

[88]  Par conséquent, la Cour a la compétence requise pour être saisie du droit d’action en dommages-intérêts conformément à la loi fédérale.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1292-15

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : la Cour fédérale a la compétence requise pour être saisie de la demande en dommages-intérêts, conformément au paragraphe 116(5) de la Loi sur les transports au Canada, amorcée par la demanderesse.

La demanderesse a droit au remboursement de ses dépens, quelle que soit l’issue de la cause.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de juillet 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1292-15

 

INTITULÉ :

LOUIS DREYFUS COMMODITIES CANADA LTD. c COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 août 2017

 

COMPARUTIONS :

Brent Meckling

Forrest C. Hume

 

Pour la demanderesse

 

Douglas C. Hodson

Ryen Lepage

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

MLT Aikins LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour la défenderesse

 

 

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