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Date : 20170822


Dossier : T-1447-11

Référence : 2017 CF 779

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 août 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

THE STORK MARKET INC.

ET RICCARDO FRONTE

demandeurs

(défendeurs reconventionnels)

et

1736735 ONTARIO INC.

FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE HELLO PINK LAWN CARDS INC. ET

CIPRIANO PRIMICIAS III

défendeurs

(demandeurs reconventionnels)

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente décision résulte de l’instruction des demandes et des demandes reconventionnelles portant sur des droits de propriété intellectuelle de deux entreprises et leurs directeurs, actives dans l’industrie des pancartes sur pelouse dans la région du Grand Toronto (RGT) et dans d’autres régions du sud de l’Ontario. Plus particulièrement, les demandeurs allèguent une contrefaçon de marques enregistrées de deux images d’une cigogne tenant un bébé au-dessus de sa tête sous une banderole annonçant respectivement, « It’s a Girl » (c’est une fille) et « It’s a Boy » (c’est un garçon). Les demandeurs font également valoir une demande fondée sur la commercialisation trompeuse aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T-13 et une demande pour contrefaçon de droits d’auteur. Ces demandes découlent toutes de l’utilisation et de l’annonce publicitaire par les défendeurs de pancartes sur pelouse montrant une cigogne dans une position semblable. Les défendeurs nient le fait que leurs images de cigogne enfreignent les droits des demandeurs et demandent une déclaration selon laquelle les enregistrements des marques des demandeurs sont invalides et une ordonnance radiant ces enregistrements.

[2] Pour les motifs présentés ci-dessous, je conclus que les enregistrements de marque des demandeurs sont valides et qu’ils ont fait l’objet d’une contrefaçon par la société défenderesse, ce qui est contraire à la Loi sur les marques de commerce. La demande de la société demanderesse fondée sur la commercialisation trompeuse aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce est aussi accueillie, là encore à l’encontre de la société défenderesse. Les demandeurs ne m’ont pas convaincu du fait que le défendeur individuel a une quelconque responsabilité personnelle relativement aux demandes faites aux termes de la Loi sur les marques de commerce. Ils ne m’ont pas non plus convaincu du fait que les défendeurs ont enfreint le droit d’auteur du demandeur individuel dans ses images de cigogne.

[3] Les demandes des demandeurs pour contrefaçon d’une marque de commerce et pour commercialisation trompeuse étant accueillies, la société demanderesse se voit accorder une somme de 30 000 $ en dommages-intérêts, une injonction et une ordonnance aux fins de destruction ou de remise aux termes du paragraphe 53.2 de la Loi sur les marques de commerce. La demande et la demande reconventionnelle sont rejetées.

II. Résumé des faits

[4] Les demandeurs comprennent une société constituée en personne morale de l’Ontario appelée The Stork Market Inc. (Stork Market) et son propriétaire et exploitant, M. Riccardo Fronte. En novembre 2009, Stork Market a débuté ses activités, qui consistaient uniquement à louer ce que les parties appellent des [traduction] « cigognes sur pelouse », c’est-à-dire de grandes pancartes illustrant une cigogne et un nouveau-né, conçues pour être installées sur une pelouse devant la maison d’un client pour annoncer la naissance d’un enfant ou un événement connexe. Les cigognes sur pelouse de Stork Market affichent toutes l’une des deux images. Les deux images incluent un espace dans lequel des renseignements comme le prénom, la date de naissance et le poids du nouveau-né peuvent être inscrits. Mis à part cette personnalisation, les deux images de Stork Market sont identiques, à l’exception de la partie supérieure des images qui illustre une banderole rose comportant les mots « It’s a Girl » sur une image et une banderole bleue comportant les mots « It’s a Boy » sur l’autre image.

[5] Les deux images utilisées par Stork Market sur ses pancartes (les images de Stork Market) ont été conçues en automne 2007 par M. Russell Challenger, qui est un artiste publicitaire et un ami de longue date de M. Fronte. En novembre 2012, après le début de la présente action en justice, M. Challenger et M. Fronte ont conclu une entente intitulée « Cession de droits d’auteur et Renonciation aux droits moraux » (la Cession des droits d’auteur) aux termes de laquelle M. Challenger a cédé à M. Fronte ses droits d’auteur dans les images des cigognes qu’il a conçues, cette cession prenant effet dès le moment de leur création.

[6] Le 30 novembre 2009, M. Fronte a également présenté une demande d’enregistrement de ces deux images en tant que marques de commerce aux termes de la Loi sur les marques de commerce. Par conséquent, ces images étaient enregistrées en tant que marques de commerce au nom de M. Fronte (les marques de M. Fronte) sous le no LMC 794667 et le no LMC 794672, dont la date d’enregistrement était le 4 avril 2011 (les enregistrements). Les enregistrements font référence aux biens et services pour lesquels les marques sont utilisées, soit, respectivement, [traduction] « des décorations sur pelouse, à savoir des cigognes sur pelouse » et [traduction] « un service de location de sept jours de l’image de la cigogne sur une planche en bois, installée sur la pelouse devant la maison du client, afin d’annoncer la naissance de leur(s) enfant(s) ». Les marques de M. Fronte apparaissent comme suit dans les enregistrements et sont accompagnées de descriptions des couleurs utilisées dans les marques :

Its a Girl Stork Its a Boy Stork

[7] Représentées en couleur, les images de Stork Market apparaissent de la façon suivante :

Pic1 Pic2

[8] Les défendeurs comprennent une société de l’Ontario nommée 1736735 Ontario Inc., qui exerce ses activités sous le nom de Hello Pink Lawn Cards Inc. (Hello Pink), et son unique administrateur, dirigeant et actionnaire, M. Cipriano Primicias III. M. Primicias s’est représenté lui-même lors du procès et a agi en tant que représentant de Hello Pink conformément à l’autorisation accordée par la protonotaire Milczynski dans une ordonnance datée du 25 juin 2014. Hello Pink a débuté ses activités en juillet 2007. Comme Stork Market, Hello Pink œuvre dans l’industrie de la location et de l’installation de pancartes sur pelouse pour des occasions spéciales. Toutefois, bien qu’elle loue des cigognes sur pelouse conçues pour célébrer les naissances, elle loue également des pancartes portant sur une variété d’autres occasions, comme les anniversaires, les anniversaires de mariage et les obtentions de diplômes.

[9] Lorsque Hello Pink a commencé ses activités commerciales, ses stocks de pancartes incluaient deux images de cigogne, l’une annonçant la naissance d’un garçon et l’autre annonçant la naissance d’une fille. Ces pancartes étaient achetées sur eBay auprès de fournisseurs dans la région de la Pennsylvanie, et dans le cadre de l’achat, M. Primicias a également acquis une licence exclusive au Canada pour utiliser les images sur les pancartes. M. Primicias les a décrites comme des images de cigogne [traduction] « traditionnelles », illustrant une cigogne portant un nouveau-né dans son bec. Les images traditionnelles employées par Hello Pink sur ses cigognes sur pelouse depuis le début de ses activités, actuellement désignées dans les stocks de Hello Pink comme « GS2-Bird 2 » et « BS2-Bird 2 » (les images originales de Hello Pink), ont l’apparence suivante :

GS2-Bird 2

BS2-Bird 2

[10] En juin 2010 ou aux environs de ce mois-là, Hello Pink a commencé à louer des pancartes sur pelouse comportant de nouvelles images de cigogne, utilisant là encore les versions « fille » et « garçon », en plus de pancartes comportant les images originales de Hello Pink et le restant de ses stocks portant sur d’autres occasions spéciales. Des précisions concernant la décision de développer les nouvelles images de cigogne sont fournies plus loin dans les présents motifs. C’est l’utilisation de ces nouvelles images de cigogne, désignées dans les stocks de Hello Pink comme « GS2-Bird 1 » et « BS2-Bird 1 » (les nouvelles images de Hello Pink), qui est à l’origine des demandes des demandeurs. Les nouvelles images de Hello Pink ont l’apparence suivante :

Pic3

Pic4

GS2-Bird 1

BS2-Bird 1

[11] Après que M. Fronte a pris connaissance du fait que Hello Pink utilisait dans ses pancartes les nouvelles images de Hello Pink, qui étaient, selon lui, des copies des images de Stork Market, il a téléphoné à M. Primicias. M. Fronte lui a demandé d’arrêter d’utiliser les nouvelles images de Hello Pink, et M. Primicias a refusé. L’avocat des demandeurs a par la suite envoyé une lettre « de cessation et d’abstention » à Hello Pink, le 15 août 2011, en plus d’un courriel de suivi à l’intention de M. Primicias, le 29 août 2011. Les défendeurs n’ont pas répondu à cette correspondance, ce qui a donné lieu au présent litige.

III. Les témoins

[12] Trois témoins ont présenté une déposition à l’appui des demandes des demandeurs. M. Fronte a témoigné au sujet de l’élaboration des images de Stork Market par M. Challenger, de l’enregistrement des marques de M. Fronte, du commencement et du développement des activités de Stork Market, de la façon dont M. Fronte a pris connaissance de l’utilisation par Hello Pink des nouvelles images de Hello Pink et de la présentation subséquente des demandes qui font l’objet de la présente action. M. Challenger a témoigné au sujet de son rôle dans l’élaboration des images de Stork Market, y compris au sujet du processus créatif par lequel les images ont été élaborées. Le troisième témoin des demandeurs était une ancienne cliente, Mme Wendy Pitblado, qui a donné un témoignage qui, selon les demandeurs, démontre une réelle confusion entre les nouvelles images de Hello Pink et les marques de M. Fronte. Ces témoins ont tous été contre-interrogés par M. Primicias.

[13] M. Primicias a été le seul témoin pour les défendeurs. Il a témoigné au sujet du commencement et du développement des activités de Hello Pink, de l’approvisionnement des images originales de Hello Pink, de la façon dont il a pris connaissance des pancartes sur pelouse de Stork Market utilisant les images de Stork Market, de l’élaboration des nouvelles images de Hello Pink, et des communications subséquentes entre les parties avant le début du présent litige. M. Primicias a été contre-interrogé par l’avocat des demandeurs.

[14] Les demandeurs ont aussi produit en preuve certains extraits de l’interrogatoire préalable de M. Primicias, et les parties ont présenté un recueil conjoint de documents. Les parties ont approuvé l’authenticité des documents et ont accepté que tous les documents du recueil conjoint fassent partie du dossier de la preuve. Bien qu’aucun accord n’ait été conclu entre les parties aux termes duquel les documents étaient nécessairement admis en preuve en vue d’établir la véracité de leur contenu, la nature des documents et leur utilisation au procès sont telles que cela n’a pas d’importance.

[15] En plus de cet aperçu global des éléments de preuve, des précisions sur des éléments de preuve particuliers sont offertes ci-dessous lorsqu’elles sont pertinentes à l’analyse par la Cour des questions en litige.

IV. Questions en litige

[16] Dans les grandes lignes, les questions du présent litige portent sur la validité des enregistrements des marques de M. Fronte et comportent celle de savoir si les défendeurs, ou l’un d’entre eux, sont responsables envers les demandeurs, ou l’un d’entre eux, pour contrefaçon des marques de M. Fronte, commercialisation trompeuse, ou violation du droit d’auteur de M. Fronte dans les images conçues par M. Challenger. Toutefois, en me fondant sur les plaidoyers et les arguments des parties, je subdiviserais les questions de la façon suivante :

  1. Les enregistrements des marques de M. Fronte sont-ils valides?

  2. Dans l’affirmative, les nouvelles images de Hello Pink ont-elles été utilisées en tant que marques de commerce?

  3. Dans l’affirmative, les défendeurs ont-ils porté atteinte aux droits des demandeurs aux termes des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce?

  4. Les défendeurs ont-ils enfreint l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce?

  5. Les images de Stork Market font-elles l’objet d’un droit d’auteur détenu par M. Fronte?

  6. Dans l’affirmative, les défendeurs ont-ils enfreint ce droit d’auteur?

  7. Si les demandeurs parviennent à établir toute cause d’action alléguée, à quelle réparation les demandeurs ont-ils droit?

V. Discussion

A. Les enregistrements des marques de M. Fronte sont-ils valides?

[17] Les défendeurs soulèvent deux arguments pour soutenir leur position selon laquelle les enregistrements sont invalides et devraient être radiés. Ils sont d’avis que les enregistrements ne sont pas distinctifs et associés à une seule source et que l’objet de chaque enregistrement est principalement fonctionnel ou simplement décoratif.

1) Non distinctifs et non associés à une seule source

[18] Les défendeurs font remarquer que les enregistrements sont au nom de M. Fronte, mais que les marques de M. Fronte n’étaient utilisées que par Stork Market. Ils allèguent que rien n’indique que M. Fronte a autorisé Stork Market à utiliser les marques de M. Fronte ou que M. Fronte a exercé un quelconque contrôle sur la qualité des marchandises ou des services de Stork Market pour lesquels les marques de M. Fronte ont été utilisées.

[19] Les défendeurs ont raison de faire remarquer qu’aucune preuve n’a été présentée au procès pour démontrer l’existence d’un contrat de licence écrit ou explicite entre les demandeurs concernant l’utilisation des marques de M. Fronte. Toutefois, les demandeurs allèguent que la jurisprudence applicable appuie une conclusion selon laquelle les marques de M. Fronte ont été utilisées par Stork Market aux termes d’une autorisation verbale implicite donnée par M. Fronte. Cet argument porte sur l’application de l’article 50(1) de la Loi sur les marques de commerce, qui considère l’emploi d’une marque par un titulaire de licence comme ayant le même effet que l’emploi par le propriétaire de la marque enregistrée, à la condition que le propriétaire ait un contrôle direct ou indirect sur les caractéristiques ou la qualité des marchandises ou des services en question.

[20] J’accepte l’argument des demandeurs selon lequel la licence requise ne doit pas être écrite et que, lorsque le propriétaire d’une marque de commerce contrôle également une société fermée qui utilise la marque, on peut en tirer la conclusion que la société utilise la marque aux termes d’une licence verbale accordée par le propriétaire, et le propriétaire affirme ainsi le contrôle requis sur les caractéristiques ou la qualité des marchandises ou des services (voir TGI Friday’s of Minnesota Inc. c Canada (Registrar of Trade Marks) (1999), 241 NR 362 (CAF); Fairweather Ltd. c Canada (Registraire des marques de commerce, 2006 CF 1248; Smart & Biggar c Powers (2001), 16 CPR (4th) 276 (COMC)).

[21] La déclaration affirme que M. Fronte est l’unique administrateur, dirigeant et actionnaire de Stork Market. Les demandeurs n’ont pas produit d’éléments de preuve présentant explicitement la structure d’entreprise de Stork Market. Toutefois, M. Fronte a témoigné être le propriétaire et exploitant de Stork Market et, mis à part une semaine durant laquelle son frère a assuré la livraison des pancartes sur pelouse, son unique employé. Il ressort clairement du témoignage de M. Fronte que c’est lui qui a lancé l’entreprise et qui la gère. Conformément à la jurisprudence applicable, je suis d’avis qu’il s’agit d’un cas approprié où l’on peut déduire qu’il y a eu autorisation verbale de la part de M. Fronte à Stork Market et que M. Fronte exerce le contrôle requis sur les marchandises et les services. Par conséquent, les demandeurs peuvent se prévaloir de la protection de l’article 50(1) de la Loi sur les marques de commerce, et l’argument des défendeurs selon lequel les marques de M. Fronte ne sont pas distinctives et associées à une seule source ne représente pas un motif pour conclure que les marques sont invalides.

2) Principalement fonctionnel ou simplement décoratif

[22] Faisant référence aux descriptions des marchandises et services pertinents dans les enregistrements, les défendeurs, dans leur argument font valoir que, si l’image de la cigogne était supprimée, les marchandises ne fonctionneraient plus en tant que « cigognes sur pelouse » et les services ne fonctionneraient plus en tant que « services de location de l’image de la cigogne sur une planche en bois ». Ils allèguent que l’objet des enregistrements est principalement fonctionnel ou simplement décoratif et que l’enregistrement en tant que marque de commerce est par conséquent invalidé par la doctrine de la fonctionnalité.

[23] Cette doctrine a été expliquée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65 [Kirkbi], de la façon suivante aux paragraphes 42 à 44 :

42 Le principe de la fonctionnalité apparaît comme un principe logique du droit des marques de commerce. Il reflète l’objet d’une marque de commerce, soit la protection du caractère distinctif du produit, mais non d’un monopole sur celui‑ci. La Loi sur les marques de commerce adopte explicitement ce principe lorsqu’elle prévoit, au par. 13(2), que l’enregistrement d’une marque n’affecte pas l’emploi des particularités utilitaires qu’elle peut comporter :

13. […]

(2) Aucun enregistrement d’un signe distinctif ne gêne l’emploi de toute particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif.

43 Par ces quelques mots, la Loi reconnaît clairement qu’elle ne protège pas les particularités utilitaires d’un signe distinctif. De ce fait, elle constate l’existence et la pertinence d’un principe qui existe depuis longtemps en droit des marques de commerce. Selon ce principe, le droit des marques de commerce ne vise pas à empêcher l’utilisation concurrentielle des particularités utilitaires d’un produit, mais sert plutôt à distinguer les sources des produits. Le principe de la fonctionnalité touche ainsi à l’essence même des marques de commerce.

44 Au Canada comme dans plusieurs autres pays ou régions du monde, ce principe fait partie intégrante du droit des marques de commerce. En droit de la propriété intellectuelle, il empêche l’abus des monopoles exercés sur des produits et des procédés. Il décourage notamment les tentatives de rétablir sous une autre forme les brevets expirés.

[24] Comme il est indiqué dans la citation ci-dessus, la doctrine de la fonctionnalité est adoptée à l’article 13(2) de la Loi sur les marques de commerce, en renvoyant à un « signe distinctif », qui est défini de la façon suivante à l’article 2 :

signe distinctif Selon le cas :

distinguishing guise means

a) façonnement de produits ou de leurs contenants;

(a) a shaping of goods or their containers, or

b) mode d’envelopper ou empaqueter des produits,

(b) a mode of wrapping or packaging goods

dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les produits fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués ou les services loués ou exécutés, par elle, des produits fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués ou des services loués ou exécutés, par d’autres.

the appearance of which is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish goods or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others;

[25] L’arrêt Kirkbi portait sur une action en commercialisation trompeuse intentée par le fabricant des jeux LEGO après que ses brevets eurent expiré. Kirkbi alléguait que le dessin géométrique représentant les tenons de la face supérieure des briques LEGO représentait une marque de commerce non déposée et il tentait d’empêcher son concurrent, Ritvik, de fabriquer et de vendre des briques pouvant être utilisées indistinctement avec les briques LEGO. Kirkbi n’a pas réussi à convaincre la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada. En rejetant l’argument de Kirkbi selon lequel la configuration de ses briques faisait l’objet d’une protection de marque de commerce, la Cour suprême a cité avec approbation, au paragraphe 60, la partie suivante de la décision de la Cour d’appel fédérale :

De fait, à mon avis, le paragraphe 13(2) renforce l’idée selon laquelle la doctrine de la fonctionnalité invalide une marque qui est principalement fonctionnelle. Il montre clairement qu’il n’est pas interdit au public d’employer une particularité utilitaire d’un signe distinctif. Il s’ensuit que, si un signe distinctif est entièrement ou principalement fonctionnel, il n’est pas interdit au public d’utiliser le signe distinctif au complet. Par conséquent, un signe distinctif qui est principalement fonctionnel ne confère aucun droit à un emploi exclusif et il n’accorde donc pas la protection qu’offre une marque de commerce. En d’autres termes, le fait que le signe distinctif est principalement fonctionnel veut dire qu’il ne peut pas constituer une marque de commerce. Les appelantes ont simplement interprété le paragraphe 13(2) d’une façon erronée. [par. 59]

[26] Je remarque aussi que l’analyse de notre Cour dans le jugement subséquent rendu dans la décision Crocs Canada Inc c Holey Soles Holdings Ltd, 2008 CF 188 [Crocs], aux paragraphes 18 et 19, affirmant que le libellé du paragraphe 13(2) de la Loi sur les marques de commerce suggère un choix politique par le législateur pour permettre certaines caractéristiques fonctionnelles ou utilitaires dans une marque pour autant qu’elles ne créent pas un monopole en lien avec la fonction. La décision Crocs comportait une allégation de commercialisation trompeuse par Crocs Canada Inc. contre un concurrent qui fabriquait des souliers en mousse qui, comme le produit de la demanderesse, avait des trous sur la surface supérieure et des ouvertures d’aération sur le côté. La défenderesse a sollicité un jugement sommaire, demandant le rejet de l’allégation au motif que la doctrine de la fonctionnalité y faisait obstacle. Le juge Hugessen a fait remarquer que la question de savoir si la conception et la structure des trous et des ouvertures sont principalement fonctionnelles est une question de fait, qui ne doit pas être tranchée dans le cadre d’une requête en jugement sommaire. En rejetant la requête, le juge Hugessen a aussi noté qu’il existait des éléments de preuve du fait que les trous et les ouvertures d’aération exerçaient une fonction, mais qu’il n’y avait aucune preuve reliant cette fonction au motif et à la disposition de ces trous et ouvertures d’aération, et qu’il serait loisible à la Cour lors du procès de conclure que le motif et la disposition constituaient un signe distinctif. Le juge Hugessen a observé en outre que, tandis que cette question exigerait un examen approfondi lors du procès, il était intéressant de noter que d’autres fabricants avaient été en mesure d’utiliser certaines des caractéristiques purement fonctionnelles des souliers de la demanderesse sans imiter leur présentation.

[27] J’ai du mal à conclure que les marques de M. Fronte sont en contradiction avec la doctrine de la fonctionnalité telle qu’elle est décrite dans l’arrêt Kirkbi ou dans la décision Crocs. On ne peut pas décrire les marques comme un signe distinctif, puisqu’elles ne représentent ni le façonnement de biens ou de leurs contenants ni un mode d’emballage ou de conditionnement de biens, et les allégations des demandeurs ne peuvent certainement pas être définies comme une démarche pour faire valoir une protection qui devrait plutôt faire l’objet d’un brevet. Je ne peux conclure que les marques sont principalement fonctionnelles au sens de la jurisprudence.

[28] De plus, même si l’on examinait de façon plus générale la doctrine de la fonctionnalité, en tant que principe applicable même lorsque le droit des brevets ne s’applique pas, dans le but de s’assurer que le droit en matière de marques de commerce n’est pas utilisé pour empêcher l’utilisation concurrentielle des fonctions utilitaires de produits, je ne peux pas conclure que les protections offertes par les enregistrements des marques de M. Fronte créent le type d’effet anticoncurrentiel pour lequel la doctrine est en jeu. Je constate que, pour étayer leur argument, les défendeurs ont renvoyé la Cour à des articles analysant des décisions des tribunaux des États-Unis, appliquant ce que l’on décrit comme étant la doctrine de la « fonctionnalité esthétique ». Cela semble représenter une application de la doctrine de la fonctionnalité, non reliée à la fonction technique des caractéristiques d’un produit, mais plutôt reliée aux qualités esthétiques d’un produit. Par exemple, l’un des articles soumis par les défendeurs (voir Rachel Rudensky, « Aesthetic Functionality After Louboutin », (2013) 68:7 INTABulletin) faisait référence au jugement rendu dans la décision Christian Louboutin S.A. v Yves Saint Laurent America, Inc, 7 F Supp (2d) 445 (SDNY 2011), dans laquelle la cour de première instance a conclu que la commercialisation par Louboutin de chaussures pour femmes dotées de semelles laquées rouges, bien qu’étant immédiatement reconnaissables comme un produit de Louboutin, ne bénéficiait pas d’une protection à titre de marque de commerce. La cour a conclu que la couleur était fonctionnelle d’un point de vue esthétique, remplissant des fonctions de décoration et de beauté non reliées à la marque de commerce.

[29] Cette décision a été annulée par la Cour du second circuit (Christian Louboutin S.A. v Yves Saint Laurent America, Inc, 696 F (3d) 206 (2d Cir 2012)) [Louboutin] qui a estimé qu’il n’y avait aucune interdiction légale à l’encontre d’une couleur agissant comme marque de commerce et qu’une décision quant à la fonctionnalité esthétique exige que l’on détermine si la protection d’un élément esthétique en question limiterait de façon importante la capacité concurrentielle d’un concurrent.

[30] Un autre article soumis par les défendeurs analysait des décisions de la Cour d’appel du neuvième circuit des États-Unis, appliquant la doctrine de la fonctionnalité esthétique, bien que l’article critique la majeure partie de cette jurisprudence et décrive l’application de cette doctrine par cette cour comme étant déphasée par rapport aux autres cours des États-Unis (voir Nancy Clare Morgan, « Aesthetic Appeal », Los Angeles Lawyer (février 2012) 34.

[31] Il est ainsi difficile de déterminer, en se fondant sur la jurisprudence invoquée par les défendeurs, la mesure dans laquelle la doctrine de la fonctionnalité esthétique fait partie de la loi américaine ou la façon exacte dont cette doctrine est formulée et appliquée. Les parties n’ont également recensé aucun cas de cette application de la doctrine de la fonctionnalité dans la loi canadienne. En outre, même si l’on appliquait cette doctrine telle qu’elle est apparemment formulée par la Cour d’appel du second circuit des États-Unis dans l’arrêt Louboutin, cela n’aiderait pas particulièrement les défendeurs dans l’affaire qui nous occupe. Comme cela sera examiné de façon plus détaillée ci-dessous dans mon analyse de la probabilité de confusion entre les images de cigogne respectives des parties, M. Fronte a témoigné sur le succès commercial des pancartes utilisant les images de Stork Market. Le concepteur de ces images, M. Challenger, a aussi témoigné au sujet de la réaction émotionnelle que ses dessins tentaient d’obtenir. Bien que ces éléments de preuve révèlent le bien-fondé commercial du produit des demandeurs utilisant les images de Stork Market, je ne considère pas que ces éléments de preuve, ou toute autre preuve présentée lors du procès, appuient une conclusion selon laquelle les éléments particuliers de la conception des images de Stork Market sont essentiels ou suffisamment importants au succès des activités reliées aux pancartes sur pelouse, que le fait d’accorder une protection à titre de marque de commerce pour ces images limiterait de façon importante la capacité concurrentielle d’un concurrent.

[32] Je constate que le témoignage de M. Primicias selon lequel son objectif, en concevant les nouvelles images de Hello Pink, était de permettre l’inclusion d’un nouveau-né personnalisable, c’est-à-dire, un nouveau-né pouvant porter différentes tenues personnalisées de façon à être représentatif pour les parents. Il a expliqué que cet objectif commercial a incité l’élaboration des nouvelles images de Hello Pink, avec un nouveau-né habillé placé sur l’épaule de la cigogne plutôt que dans la position traditionnelle, à savoir, enveloppé dans un sac ou une couverture que tient la cigogne dans son bec. Lorsqu’on l’a interrogé lors du contre-interrogatoire au sujet des éléments des nouvelles images de Hello Pink qui sont similaires aux images de Stork Market, M. Primicias a indiqué que la position en question de la cigogne était attribuable au fait que la cigogne porte le nouveau-né et que le positionnement de la cigogne sur une parcelle de gazon était nécessaire pour cacher le matériel de la pancarte. M. Primicias jugeait également essentiel que le nouveau dessin inclue une bannière ou une plaque suffisamment large pour contenir l’annonce « It’s a Girl » ou « It’s a Boy » et une autre zone pour afficher l’information au sujet du nouveau-né. Il a indiqué dans son témoignage qu’en raison de l’utilisation des vêtements personnalisables pour le nouveau-né, il n’était pas possible de placer l’information concernant le nouveau-né sur ce dernier et que, par conséquent, cette information devait être placée sur une pancarte accrochée au cou de la cigogne. Cela a fait en sorte que l’emplacement au-dessus de la tête de la cigogne était le seul emplacement disponible pour l’annonce « It’s a Girl » ou « It’s a Boy ». Par conséquent, les ailes ont été levées au-dessus de la tête de la cigogne pour tenir l’annonce.

[33] Essentiellement, les défendeurs allèguent que les éléments de la conception des nouvelles images de Hello Pink, qui selon les demandeurs sont similaires aux images de Stork Market au point de porter confusion, sont reliés à l’objectif commercial, à savoir d’intégrer un nouveau-né personnalisable. Ils soutiennent également que les mains ou les ailes tendus vers le haut constituent un geste de célébration courant qui est fonctionnel du point de vue esthétique et que les concurrents de Stork Market devraient être libres d’utiliser. En toute déférence, je ne peux accepter ces arguments comme motif pour conclure que le fait d’accorder une protection à titre de marque de commerce pour les images de Stork Market limiterait de façon importante la capacité concurrentielle des concurrents. Mon analyse du degré de ressemblance entre les images des parties, et les autres aspects de l’analyse de la confusion, viendront plus tard dans les présents motifs. Toutefois, dans le but de répondre à la présente question, je constate que la preuve documentaire présentée par les parties inclut un nombre important d’images de cigogne « traditionnelles » assez variées, et que les défendeurs ne m’ont pas convaincu que l’objectif commercial d’offrir l’image d’un nouveau-né personnalisable, ou tout autre ingrédient d’une pancarte sur pelouse commercialement réussie, nécessite l’utilisation des éléments de la conception des demandeurs d’une manière semblable au point de créer de la confusion avec les images de Stork Market.

[34] Enfin, je suis conscient du fait que les images pour lesquelles les demandeurs revendiquent une protection à titre de marque de commerce font elles-mêmes partie intégrante des produits et services de Stork Market. Toutefois, les défendeurs n’ont cité aucune autorité pour appuyer une conclusion que cela privait les demandeurs du droit à une telle protection. Je retiens de la décision Crocs le fait qu’un produit peut avoir des caractéristiques qui remplissent une fonction utilitaire, mais également une fonction commerciale permettant d’établir la source du produit, sans nécessairement invalider la marque. En l’espèce, bien que les images de Stork Market fassent partie des produits et services de Stork Market, elles servent aussi à en distinguer les sources. Le paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce (reproduit dans la partie suivante des présents motifs) précise qu’une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services. Le témoignage de M. Fronte établit que Stork Market a utilisé les images de Stork Market comme image de marque sur son site Web et sur une variété d’autres documents promotionnels, dont des cartes de visite, des brochures distribuées lors de salons professionnels, des dépliants distribués dans toute la RGT, des pancartes utilisées en lien avec des désinfectants pour les mains dans les hôpitaux et, à un moment donné, l’entreprise a également utilisé les images de Stork Market sous forme de décalques appliqués sur les côtés d’un véhicule.

[35] Pour conclure quant à la première question soulevée, je ne vois aucun motif permettant de déclarer que les enregistrements des marques de M. Fronte sont invalides. Pour ce qui concerne les parties à la présente instance, les enregistrements sont valides.

B. Les nouvelles images de Hello Pink ont-elles été utilisées en tant que marques de commerce?

[36] Les défendeurs soutiennent que les nouvelles images de Hello Pink n’ont pas été utilisées en tant que marques de commerce et que, par conséquent, il ne peut y avoir violation des articles 19, 20 ou 22 de la Loi sur les marques de commerce.

[37] Selon les paragraphes 4(1) et (2) de la Loi sur les marques de commerce, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des biens ou des services dans les circonstances suivantes :

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4 (1) A trade-mark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

Idem

Idem

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

[38] Les défendeurs ont raison de penser qu’une marque de commerce doit être utilisée en tant que marque de commerce pour donner lieu aux recours prévus aux termes de la Loi sur les marques de commerce. Ils citent la décision Compagnie Générale des Établissements Michelin – Michelin & Cie c Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) (1996), [1997] 2 RCF 306 (CF 1re inst.) [Michelin], dans laquelle Michelin alléguait que les TCA violaient sa marque de commerce du Bibendum (la mascotte de Michelin ressemblant à de la guimauve) en incluant celui-ci dans leur documentation organisationnelle. Le juge Teitelbaum a conclu que cette utilisation ne portait pas atteinte à la marque de commerce de Michelin parce que les TCA n’utilisaient pas Bibendum en tant que marque de commerce pour différencier leurs biens ou services de ceux offerts par d’autres.

[39] Je comprends également que, comme c’est le cas pour Stork Market, les images des cigognes utilisées par Hello Pink font partie intégrante de ses produits et services. Toutefois, la preuve établit que, comme c’est le cas pour Stork Market, les images de Hello Pink remplissent aussi une fonction de marque de commerce différenciant ses biens et services de ceux offerts par d’autres. En ce qui a trait aux services de Hello Pink, la preuve présentée par M. Primicias indique que le site Web de Hello Pink est son principal véhicule publicitaire, sur lequel les nouvelles images de Hello Pink apparaissent. Hello Pink a également publié des annonces sur Kijiji et dans un hôpital de la région, utilisant des images de ses cigognes accompagnées de renseignements sur la façon de communiquer avec Hello Pink. En effet, les produits eux-mêmes, affichant les nouvelles images de Hello Pink, incluent les coordonnées de l’entreprise. M. Primicias a confirmé que les pancartes sur pelouse elles-mêmes constituent une forme de publicité.

[40] Que Hello Pink ait considéré que son utilisation des nouvelles images de Hello Pink remplissait une fonction de marque de commerce n’est d’aucune aide pour ce qui est de savoir si les images ont été utilisées en tant que marques de commerce. Comme l’a observé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tommy Hilfiger Licensing, Inc. c International Clothiers Inc., 2004 CAF 252, au paragraphe 40, quelles qu’aient été les intentions d’une partie, la question est de savoir si une marque a été utilisée pour indiquer l’origine des marchandises ou utilisée de telle sorte qu’elle a permis d’atteindre l’objectif qui est d’indiquer l’origine. En me fondant sur les éléments de preuve cités ci-dessus, je conclus que les nouvelles images de Hello Pink, bien qu’elles fassent partie des produits et services eux-mêmes, permettent aussi d’atteindre l’objectif d’indiquer l’origine de ces produits et services et qu’elles ont par conséquent été utilisées en tant que marques de commerce.

C. Les défendeurs ont-ils porté atteinte aux droits des demandeurs aux termes des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce?

[41] L’article 19 de la Loi sur les marques de commerce confère au propriétaire d’une marque de commerce enregistrée le droit exclusif à l’emploi de la marque dans tout le Canada, en ce qui concerne les biens et services pour lesquels la marque est enregistrée. L’article 20 dispose que le droit du propriétaire d’une marque de commerce enregistrée à son usage exclusif est réputé être violé par une personne qui est non admise à l’employer et qui vend, distribue ou annonce des produits ou services en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion.

[42] Pour commencer, je fais remarquer que, bien que M. Fronte soit le propriétaire enregistré des marques de M. Fronte, j’ai conclu que les marques ont été utilisées par Stork Market aux termes d’une autorisation verbale implicite donnée par M. Fronte. Par conséquent, les deux demandeurs (M. Fronte en tant que propriétaire et Stork Market en tant que titulaire d’une licence) détiennent des droits aux termes de la Loi sur les marques de commerce pour alléguer la contrefaçon des marques de M. Fronte (voir la décision  Tonka Corp c Toronto Sun Publishing Corp (1990),41 FTR 56) bien que, comme on l’observe plus tard dans les présents motifs, il existe une distinction entre les positions des deux demandeurs lorsqu’il s’agit de considérer les dommages.

[43] Les facteurs à prendre en considération, lorsqu’il s’agit de déterminer si des marques de commerce se confondent, sont prescrits comme suit par le paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce :

Éléments d’appréciation

What to be considered

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

1) Degré de ressemblance

[44] Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27 [Masterpiece], au paragraphe 49, le degré de ressemblance est le facteur souvent susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion et il a été suggéré que ce facteur devrait constituer le point de départ de la plupart des analyses relatives à la confusion. Dans cette logique, le témoignage de M. Primicias et la majeure partie du contre-interrogatoire des témoins des demandeurs effectué par les défendeurs et de l’argumentation des défendeurs ont mis l’accent sur les différences entre les images de Stork Market et les nouvelles images de Hello Pink. Toutefois, comme l’ont fait remarquer à juste titre les demandeurs, il est important de retenir que le critère relatif à la confusion a été articulé autour de la première impression, et non comme le résultat d’un examen minutieux des marques concurrentes ou d’une comparaison côte à côte. Comme l’a exprimé le juge Rothstein au paragraphe 40 de l’arrêt Masterpiece :

[40] Il est utile, en commençant l’analyse relative à la confusion, de se rappeler le critère prévu dans la Loi. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20, le juge Binnie a reformulé la démarche traditionnelle de la façon suivante :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

Le juge Binnie renvoie avec approbation aux propos tenus par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c St. Regis Tobacco Corp., 1968 CanLII 1 (CSC), [1969] RCS 192, à la page 202, pour faire ressortir ce qu’il ne faut pas faire, à savoir un examen minutieux des marques concurrentes ou une comparaison côte à côte.

[45] En contre-interrogatoire, M. Fronte et M. Challenger ont reconnu les quelques différences entre les images de Stork Market et les nouvelles images de Hello Pink. La cigogne dans les images de Stork Market ne porte pas de vêtements, mis à part un chapeau de livreur et un nœud papillon. La cigogne dans les nouvelles images de Hello Pink porte une veste de smoking, un gilet, un haut-de-forme et un nœud papillon. La cigogne des images de Stork Market a des doigts à l’apparence de plumes, tandis que la cigogne de Hello Pink a des doigts aux traits humains. L’annonce au-dessus de la tête de la cigogne dans les images de Stork Market figure sur une bannière, entourée d’étoiles, tandis que l’annonce au-dessus de la cigogne dans les nouvelles images de Hello Pink se trouve sur un drapeau, sans étoiles. Il y a aussi des différences dans les nouveau-nés figurant dans les images; le nouveau-né des images de Stork Market est enveloppé dans une couverture et est porté par les ailes de la cigogne tandis que celui des nouvelles images de Hello Pink est présenté de la tête jusqu’aux pieds, blotti dans l’une des ailes de la cigogne. En outre, contrairement aux images de Stork Market, les nouvelles images de Hello Pink incluent différentes options possibles de nouveau-nés, identifiables par leurs vêtements ou accessoires. Les défendeurs avancent ces différences pour démontrer un faible degré de ressemblance entre les images respectives des parties.

[46] En revanche, la preuve présentée par les demandeurs mettait l’accent sur les similitudes entre les images de Stork Market et les nouvelles images de Hello Pink. L’artiste graphique embauché par M. Fronte, Russell Challenger, a indiqué dans son témoignage que M. Fronte lui avait donné comme consigne de concevoir une image qui aurait un impact émotionnel particulier, invoquant un sentiment de célébration. M. Challenger a expliqué les choix qu’il a faits en matière de conception pour obtenir cet impact émotionnel, c’est-à-dire les bras étirés vers le haut, levant en l’air le nouveau-né, la grande bannière entourée d’étoiles, et les pattes minces, créant de façon générale une forme mal équilibrée semblable à un trophée. Lorsqu’on l’a interrogé au sujet de la réaction qu’il a eue quand il a vu pour la première fois les nouvelles images de Hello Pink, il a indiqué qu’il les a considérées comme étant directement inspirées par son travail. Il a cité les bras élevés dans les airs de la cigogne étalant son plumage, la bannière élevée dans les airs avec l’annonce, la nature caricaturale du personnage, le nouveau-né apparaissant d’une manière différente que dans les images de cigogne traditionnelles, les pattes au centre de l’image et le gazon en bas de l’image. Les demandeurs avancent ces similitudes pour démontrer un degré élevé de ressemblance entre les images respectives des parties.

[47] Dans mon analyse du degré de ressemblance entre les images pertinentes, je ne considère aucun des éléments de preuve mentionnés ci-dessus, présentés par les demandeurs ou les défendeurs, comme étant particulièrement probant. Comme il a été expliqué dans l’arrêt Masterpiece, le critère à appliquer est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé. Je ne considère pas l’application de ce critère comme étant particulièrement soutenue par les éléments de preuve présentés par les témoins des parties concernant ce qu’ils ont jugé comme étant des similitudes et des différences. Cette observation s’applique à la preuve présentée par les parties elles-mêmes, ainsi qu’à celle de M. Challenger, quelle que soit son expertise en tant que dessinateur. Bien que je reconnaisse qu’aucun effort n’a été fait pour faire reconnaître formellement M. Challenger comme expert, je suis conscient de l’explication donnée aux paragraphes 75 à 77 de l’arrêt Masterpiece selon laquelle l’opinion d’un expert en tant que preuve est admissible pour faciliter l’analyse relative à la confusion uniquement si son témoignage contient des renseignements qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance du juge. Je soulève ce point puisqu’il souligne le fait qu’il incombe à la Cour d’évaluer le degré de ressemblance entre les marques pertinentes, en utilisant les principes tirés de la jurisprudence applicable. Toutefois, en faisant cela, j’ai tenu compte des arguments avancés par les parties pour étayer leur position respective concernant le degré de ressemblance.

[48] Si on applique la jurisprudence, le degré de ressemblance doit être évalué à travers les yeux d’un simple observateur qui voit la marque alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de la marque antérieure et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. Le critère ne comporte pas d’examen minutieux des marques concurrentes ou une comparaison côte à côte. Bien que je ne reproche pas aux défendeurs d’avoir signalé les différences entre les images de Stork Market et les nouvelles images de Hello Pink, je considère que ces différences ne deviennent évidentes que lorsque l’on procède au type d’examen minutieux que la jurisprudence décourage.

[49] En fait, comme cela a été observé au paragraphe 64 de l’arrêt Masterpiece, bien qu’étant dans le contexte de l’analyse d’une marque verbale, il est opportun de se demander s’il y a un aspect de la marque qui est particulièrement frappant ou unique. Particulièrement lorsque les marques de M. Fronte sont examinées dans le contexte des nombreuses images de cigogne traditionnelles qui ont été présentées en tant que preuve (qui seront par ailleurs mentionnées ci-après dans l’analyse du caractère distinctif), je trouve convaincant l’argument des demandeurs selon lequel les aspects frappants et uniques des marques de M. Fronte résident dans la configuration globale et la position de la cigogne, faisant face vers l’avant avec de fines pattes évasées et des ailes plumées élevées vers le haut, une bannière surplombant sa tête. Les nouvelles images de Hello Pink contiennent ces mêmes aspects frappants et uniques. Je constate un fort degré de ressemblance entre les marques de M. Fronte et les nouvelles images de Hello Pink.

2) Le caractère distinctif inhérent et le caractère distinctif acquis

[50] Lorsque j’analyse le caractère distinctif inhérent des marques de M. Fronte, j’ai conscience du fait qu’elles ne sont pas uniques dans leur association d’une image de cigogne à la célébration de la naissance d’un enfant ou d’un événement similaire. Les documents convenus produits en preuve par les parties incluent plus de 100 exemples différents de cigognes sur pelouse. M. Fronte a décrit ces images comme étant le type représentatif de cigogne sur pelouse que l’on peut louer non seulement au Canada, mais également dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. Comme cela a été expliqué par M. Fronte, l’image typique illustre une cigogne se tenant sur une patte, portant dans son bec un sac sur lequel figurent les renseignements concernant le nouveau-né, parfois accompagnés du message « It’s a boy » (c’est un garçon) ou « It’s a girl » (c’est une fille). M. Primicias a également fait référence à ces images de cigognes « traditionnelles », dans lesquelles on voit un nouveau-né que porte une cigogne dans son bec. En examinant ces images dans les documents convenus, je remarque qu’il y a une variation importante dans la façon dont le personnage même de la cigogne est illustré. Toutefois, elles illustrent presque toutes une cigogne orientée vers le côté, se tenant souvent sur une patte et portant dans son bec un sac ou un nouveau-né dans un sac. Elles contrastent fortement avec les images de Stork Market qui, comme elles sont présentées ci-dessus, comprennent une cigogne orientée vers l’avant, se tenant sur ses deux pattes, brandissant ses ailes plumées vers le haut et au-dessus de laquelle figurent une bannière d’annonce et un nouveau-né. Je souscris à la position des demandeurs selon laquelle les marques de M. Fronte ont un caractère distinctif inhérent.

[51] Je suis également d’accord avec les demandeurs sur le fait que la mesure dans laquelle les marques de M. Fronte sont connues, c’est-à-dire leur caractère distinctif acquis, milite en faveur d’une conclusion de confusion. Comme cela a été expliqué plus tôt, M. Fronte a indiqué dans son témoignage que Stork Market a utilisé les images de Stork Market comme image de marque sur son site Web et dans une variété d’autres documents promotionnels. Cela incluait des cartes professionnelles, des cadres miniatures accompagnés de cartes de visite qui ont été distribués à quelque 500 à 1 000 personnes à un certain nombre de salons de Welcome Wagon, 20 000 brochures distribuées lors de salons professionnels, des dépliants distribués à des milliers d’entreprises de toute la RGT, des pancartes utilisées en association avec des désinfectants pour les mains dans six ou sept hôpitaux et, à une certaine période des activités de l’entreprise, des images de Stork Market sous forme de décalques appliqués sur les côtés d’un véhicule.

[52] M. Fronte a aussi témoigné quant au succès rapide qu’ont connu les affaires de Stork Market. M. Fronte s’attendait à ce que Stork Market ne soit qu’un travail à temps partiel lui permettant de gagner quelques centaines de dollars par semaine. Toutefois, après le début de ses efforts de commercialisation en novembre 2009, les réactions des clients ont été très positives, et aux environs du mois de mai 2010, M. Fronte a été en mesure de démissionner de son emploi antérieur, puisque Stork Market lui permettait de gagner un revenu équivalent ou supérieur à celui de son emploi antérieur. Au cours de la première année de ses activités, Stork Market a loué environ 400 cigognes sur pelouse, durant la deuxième année, 700, et au cours de la troisième année, plus de 900. Au cours des années suivantes, les activités ont connu une légère baisse, qui, selon M. Fronte, pourrait être attribuable à la concurrence des nouvelles images de Hello Pink. Toutefois, il est clair, compte tenu de la rapide croissance des affaires de Stork Market, et de ses volumes d’affaires annuels, que les images de Stork Market et par conséquent, les marques de M. Fronte sont devenues bien connues au sein du marché des parties.

[53] Cela contraste avec les volumes moins élevés de Hello Pink pour la location de cigognes sur pelouse, qui, comme le démontre la compilation des factures de vente de Hello Pink, représentaient 63 locations en 2010 (36 desquelles concernaient les nouvelles images de Hello Pink), 74 locations en 2011 (40 desquelles concernaient les nouvelles images de Hello Pink), et 96 locations en 2012 (56 desquelles concernaient les nouvelles images de Hello Pink). Il convient également de noter que les cigognes sur pelouse ne constituent que l’un des nombreux produits de location offerts par Hello Pink. M. Primicias a indiqué que, dans les cinq années qui ont suivi le lancement de son entreprise en juillet 2006, il avait accumulé plus de 100 pancartes, liées non seulement à des naissances, mais aussi à des anniversaires, des remises de diplôme, des promotions et d’autres événements.

[54] Je conclus donc que tant le caractère distinctif inhérent des marques de M. Fronte que leur caractère distinctif acquis dans le marché militent en faveur d’une conclusion de confusion.

3) Période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[55] Les marques de M. Fronte ont été utilisées pour la première fois par les demandeurs en novembre 2009. M. Primicias a indiqué dans son témoignage que les pancartes comportant les nouvelles images de Hello Pink ont été utilisées pour la première fois en juin 2010. Par conséquent, la période pendant laquelle les marques ont été utilisées ne favorise pas considérablement l’une ou l’autre partie, mais elle favorise légèrement les demandeurs.

4) Genre de produits, services ou entreprise et nature du commerce

[56] Ces facteurs favorisent une conclusion de confusion. Bien que les pancartes sur pelouse de Hello Pink ne se limitent pas aux naissances et incluent également d’autres occasions spéciales, les parties vendent directement des produits concurrents à une clientèle identique. Le risque de confusion est par conséquent beaucoup plus élevé que si les nouvelles images de Hello Pink étaient utilisées pour vendre des produits non connexes à une clientèle différente.

5) Circonstances de l’espèce

[57] Lorsqu’elle réalise une analyse relative à la confusion, la Cour est tenue de considérer toutes les circonstances de l’espèce, pas seulement celles expressément prescrites par le paragraphe 6(5). À titre de circonstance pertinente supplémentaire, les demandeurs se sont appuyés sur les éléments de preuve présentés par une cliente de Stork Market, Wendy Pitblado. Mme Pitblado a indiqué dans son témoignage qu’elle a vu l’une des pancartes de Stork Market lorsqu’elle était au volant de sa voiture et a trouvé la conception spectaculaire. Comme son frère et son épouse attendaient un enfant, elle a noté le numéro de téléphone figurant sur la pancarte et a appelé Stork Market pour leur demander s’ils livraient des pancartes dans la région pertinente. Elle n’a pas commandé la pancarte à ce moment-là, parce que l’enfant n’était pas encore né. Après la naissance, Mme Pitblado ne se souvenait pas du nom de Stork Market. Elle est alors allée en ligne et a fait une recherche pour les « pancartes de cigogne ». La première image qu’elle a vue était l’une des nouvelles images de Hello Pink. Elle a presque commandé la pancarte, pensant qu’il s’agissait de celle qu’elle avait vue et pour laquelle elle s’était renseignée. Toutefois, réalisant que la pancarte ne produisait pas tout à fait le même sentiment que celle qu’elle avait vue alors qu’elle conduisait, elle a poursuivi sa recherche et a identifié Stork Market comme la source auprès de laquelle elle souhaitait passer une commande.

[58] Après que Stork Market eut terminé le traitement de la commande de Mme Pitblado, cette dernière a écrit à M. Fronte pour le remercier et lui indiqué qu’elle avait eu du mal à le trouver sur Internet et qu’elle avait été quelque peu confuse parce que sa conception se trouvait sur le site Web de Hello Pink. Elle a indiqué qu’elle avait presque passé une commande auprès de Hello Pink, par erreur, mais qu’elle s’était rendu compte de cette erreur avant qu’il ne soit trop tard.

[59] Lorsqu’elle a témoigné durant l’interrogatoire, on a présenté à Mme Pitblado l’une des nouvelles images de Hello Pink et on lui a demandé quels étaient les éléments de cette image qui lui avaient rappelé en premier lieu l’affiche qu’elle avait vue alors qu’elle conduisait. Elle a indiqué que c’était les ailes de la cigogne et la bannière en haut de l’image. Les défendeurs répondent à cet élément de preuve en faisant remarquer que finalement, Mme Pitblado a été capable de faire la distinction entre les images de Stork Market et les nouvelles images de Hello Pink pour corriger son erreur initiale et déterminer le produit qu’elle souhaitait commander. Toutefois, comme l’ont allégué les demandeurs, l’arrêt Masterpiece expliquait aux paragraphes 70 à 74 que la probabilité de confusion devait être analysée en fonction de la première impression des consommateurs lorsqu’ils voient les marques en question, et non en fonction de la position dans laquelle pourrait se trouver le consommateur après avoir mené d’autres recherches. Bien que ce point ait été souligné dans l’arrêt Masterpiece dans le contexte de l’examen d’une distinction proposée entre l’achat de marchandises et de services coûteux et peu coûteux, il renforce le fait que le critère à appliquer dans l’analyse relative à la confusion est celui de la première impression laissée dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé.

[60] Mme Pitblado n’a aucune relation avec les demandeurs autre que celle d’avoir été l’une des clientes de Stork Market à une occasion. Elle a expliqué qu’elle ne reconnaîtrait pas M. Fronte s’il se trouvait dans la salle d’audience pendant son témoignage. Je considère que son témoignage répond à la question à laquelle la Cour doit répondre, puisqu’elle représente le type de consommateur que la Cour doit prendre en considération pour appliquer le critère prescrit. La preuve produite par Mme Pitblado appuie une conclusion de confusion.

6) Responsabilité pour contrefaçon au sens de la Loi sur les marques de commerce

[61] Au vu de l’analyse qui précède, je conclus que l’utilisation par Hello Pink des nouvelles images de Hello Pink porte effectivement atteinte aux droits des demandeurs garantis par l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce. Toutefois, les demandeurs demandent que j’applique également la conclusion de contrefaçon à M. Primicias. Ils font référence aux éléments de preuve qu’il a produits, au moyen des transcriptions de son interrogatoire préalable, qui confirment qu’il est actuellement l’unique dirigeant, administrateur et actionnaire de Hello Pink. Il est la seule personne qui gère l’entreprise et qui prend toutes les décisions concernant Hello Pink. Lorsque l’entreprise a été lancée, sa sœur, qui vit à Chicago, était la présidente, mais sa participation dans l’entreprise a pris fin aux environs de 2011. Il n’y a aucune preuve de la participation de sa sœur aux activités qui donnent lieu à la contrefaçon. M. Primicias a indiqué dans son témoignage qu’il avait eu l’idée de concevoir un nouveau dessin de cigogne afin d’intégrer un nouveau-né personnalisable. Il a identifié un dessinateur sur un site Web et, après plusieurs échanges avec ce dernier, les nouvelles images de Hello Pink ont été produites.

[62] C’est aussi M. Primicias qui a été le destinataire de l’appel de M. Fronte, qui a demandé que Hello Pink cesse d’utiliser les nouvelles images de Hello Pink, et des lettres de cessation et d’abstention envoyées par l’avocat des demandeurs le 15 août 2011 et le 29 août 2011, auxquelles M. Primicias n’a pas répondu.

[63] La question est de savoir si le niveau de participation de M. Primicias, dans l’entreprise et les activités qui donnent lieu à la contrefaçon, permet de conclure qu’il est personnellement responsable de la contrefaçon par Hello Pink. Je conclus que ce n’est pas le cas. Les demandeurs s’appuient sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mentmore Manufacturing Co v National Merchandise Manufacturing Co (1978), 89 DLR (3d) 195 (CAF) [Mentmore], soutenant que cet arrêt reflète le principe selon lequel, pour qu’un dirigeant ou un administrateur soit tenu personnellement responsable des actions d’une entreprise, il suffit de démontrer qu’il a commis délibérément des actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon. Il est intéressant d’examiner le contexte entourant l’expression de ce principe par la Cour d’appel fédérale, aux pages 204 et 205 de l’arrêt Mentmore :

[traduction] Je ne pense pas qu’on doive aller jusqu’à poser en principe que l’administrateur ou le dirigeant doive savoir ou avoir des raisons de savoir que les actes qu’il ordonne ou accomplit constituent des violations. Cela reviendrait à imposer une condition de responsabilité qui n’existe pas, en général, en matière de contrefaçon de brevet. Je constate qu’il a été soutenu aux États‑Unis qu’une telle connaissance n’était pas importante lorsqu’il est question de la responsabilité personnelle des administrateurs ou des dirigeants. (voir Deller’s Walker on Patents, 2e éd., 1972, vol. 7, aux pages 117 et 118). [À] mon avis, il existe toutefois certainement des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait l’administrateur ou le dirigeant n’était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle-ci, mais plutôt la commission délibérée, volontaire et intentionnelle d’actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon.

[64] L’arrêt Mentmore portait sur une demande pour contrefaçon d’un brevet lié à un mécanisme de rétractation pour stylos à bille. En confirmant la décision du juge de première instance selon laquelle le défendeur individuel n’était pas personnellement responsable de la violation commise par la société fermée dont le défendeur individuel était le président, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que la société était légitimement engagée dans le commerce de l’assemblage et de la vente de stylos à bille rétractables avant que la question d’une contrefaçon potentielle de brevet soit soulevée et que de nombreuses incertitudes existaient quant à la portée et à l’application des revendications du brevet en question. De plus, le juge de première instance a refusé de conclure que l’entreprise avait copié des pièces de la demanderesse. La Cour a établi une distinction entre cette affaire et la précédente du fait que le directeur général de la société défenderesse avait acquis ses connaissances relatives au processus breveté en sa qualité d’ancien directeur technique de la société demanderesse, et dans laquelle il a été conclu que la société défenderesse avait en effet copié le processus de la société demanderesse.

[65] Bien que je sois d’accord avec les demandeurs sur le fait que M. Primicias était personnellement impliqué dans les activités qui ont donné lieu à la violation commise par Hello Pink, je considère les circonstances de sa participation similaires à celles de l’arrêt Mentmore. Hello Pink était légitimement engagée dans le commerce des pancartes sur pelouse et, depuis que la question a été soulevée pour la première fois auprès de lui par M. Fronte, M. Primicias a constamment soutenu que les nouvelles images de Hello Pink ne portent pas atteinte aux droits des demandeurs. Bien que j’aie tiré une conclusion de contrefaçon, je n’envisage pas la conclusion selon laquelle les marques respectives des parties prêtaient à confusion à tel point qu’il était incontournable de considérer la participation de M. Primicias en dehors de son rôle de directeur des activités de l’entreprise dans le cours normal de sa relation vis-à-vis de celle-ci.

[66] Lors du contre-interrogatoire de M. Primicias, les demandeurs ont tenté d’obtenir de lui un aveu selon lequel, après avoir vu une affiche de parterre comportant une image de Stork Market et après avoir fait des recherches sur Stork Market sur Internet, il avait conçu les nouvelles images de Hello Pink pour rivaliser avec Stork Market. M. Primicias a nié cette suggestion. Selon son témoignage, il a élaboré un nouveau dessin de cigogne pour concrétiser l’idée d’offrir un nouveau-né personnalisable et il a indiqué que les similitudes avec le dessin de la cigogne des demandeurs étaient attribuables à cette idée.

[67] Si je devais conclure que M. Primicias avait délibérément copié les images de Stork Market, cela soutiendrait la conclusion selon laquelle il a commis délibérément des actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon, ainsi que la conclusion d’une responsabilité personnelle de sa part. Toutefois, je refuse de tirer une telle conclusion. Bien que la preuve établisse qu’il connaissait Stork Market en tant que l’un de ses concurrents, qu’il avait vu les images de Stork Market, et qu’il les avait considérées comme étant impressionnantes, je suis d’avis que les demandeurs n’ont donné à la Cour aucun motif pour contester la crédibilité du témoignage de M. Primicias quant au fait que son idée d’inclure un nouveau-né personnalisable a donné lieu aux choix en matière de conception sous-jacents à l’élaboration des nouvelles images de Hello Pink.

[68] Je conclus par conséquent que Hello Pink a contrefait les marques des demandeurs, mais que M. Primicias n’est pas personnellement responsable de cette infraction.

D. Les défendeurs ont-ils enfreint l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce?

[69] J’en arrive aux mêmes conclusions concernant cette question.

[70] Comme l’ont affirmé les demandeurs, l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce est essentiellement une codification du délit de commercialisation trompeuse de common law, qui a lieu lorsqu’un défendeur présente de façon trompeuse ses produits, ses services ou son entreprise comme étant les produits, les services ou l’entreprise du demandeur, généralement en utilisant des indicateurs commerciaux d’une manière susceptible d’être confondue avec celle du demandeur. Les trois éléments constitutifs d’une action en commercialisation trompeuse sont : a) l’existence d’un achalandage; b) la déception du public due à la représentation trompeuse; et c) les dommages actuels ou possibles pour le demandeur (Ciba-Geigy Canada Ltd. c Apotex Inc., [1992] 3 RCS 120, à la page 132).

[71] Je suis d’avis que Stork Market a établi les éléments de ce délit. Les éléments de preuve que j’ai déjà présentés, concernant les initiatives de commercialisation de Stork Market et le succès et la croissance rapide de ses activités, établissent la réputation et l’achalandage requis pour soutenir une prétention de commercialisation trompeuse. Je fais aussi référence à mon analyse précédente étayant la conclusion que les nouvelles images de Hello Pink créent une confusion avec les images de Stork Market, et j’ajouterais que Hello Pink utilise sa marque portant à confusion dans la même région géographique que celle dans laquelle Stork Market a accumulé un fonds commercial autour des images de Stork Market. J’accepte l’argument de Stork Market selon lequel cette création d’une confusion sur le marché constitue une représentation trompeuse pour le public et satisfait au deuxième élément du délit.

[72] En ce qui a trait aux dommages actuels ou possibles pour Stork Market, je note la preuve avancée par M. Fronte selon laquelle ses activités ont connu une légère baisse après ses trois premières années d’opération, laquelle, selon M. Fronte, pourrait être attribuable à la concurrence des nouvelles images de Hello Pink. Les demandeurs ont reconnu dans leur argumentation qu’ils ne pouvaient pas connaître avec certitude la cause de cette baisse. Toutefois, puisque Stork Market et Hello Pink se trouvent en concurrence directe pour les mêmes clients, offrant toutes deux des pancartes sur pelouse pour annoncer des naissances, dans la même région géographique, je suis prêt à conclure qu’il existe des dommages actuels ou du moins potentiels pour Stork Market en raison de la confusion sur le marché.

[73] Je fais remarquer que les conclusions susmentionnées ne concernent que la société demanderesse, Stork Market, et non M. Fronte, puisque c’est l’entreprise qui a établi la réputation et le fonds commercial et les dommages requis pour soutenir l’allégation aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. Je conclus que cette allégation de Stork Market est bien fondée à l’encontre de Hello Pink. Je refuse de tirer une conclusion en faveur de M. Fronte au titre de l’allégation de commercialisation trompeuse et, en me fondant sur la même analyse que celle appliquée pour l’allégation de contrefaçon de marque de commerce, je refuse de conclure que M. Primicias est personnellement responsable au titre de cette allégation.

E. Les images de Stork Market font-elles l’objet d’un droit d’auteur détenu par M. Fronte?

[74] Les demandeurs ont confirmé dans leur argumentation au procès que c’est M. Fronte qui revendique la propriété du droit d’auteur dans les images de Stork Market et par conséquent, l’allégation relative au droit d’auteur.

[75] L’article 5 de la Loi sur le droit d’auteur, LRC (1985), c C-42 porte qu’un droit d’auteur existe au Canada sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale si certaines conditions sont réalisées, y compris le fait que l’auteur était, à la date de la création de l’œuvre, citoyen, sujet ou résident habituel d’un pays signataire comme le Canada. Une œuvre « originale », au sens de la Loi sur le droit d’auteur est une œuvre qui émane d’un auteur et qui n’est pas une copie d’une autre œuvre. Elle doit en outre être le produit de l’exercice du talent et du jugement d’un auteur (voir CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, aux paragraphes 16 et 25). M. Fronte et M. Challenger ont mentionné dans leur témoignage le recours du premier aux talents de ce dernier, en tant que dessinateur, pour élaborer ces images. Dans la Cession de droits d’auteur, dont on parlera davantage ci-après, M. Challenger est identifié comme ayant une adresse à Toronto. De plus, les défendeurs n’ont nullement soutenu au procès que les images de Stork Market ne constituent pas des œuvres originales ou ne répondaient pas en outre aux exigences donnant lieu à la protection au titre de la Loi sur le droit d’auteur. M. Challenger semble être un résident du Canada et, compte tenu des éléments de preuve présentés sur la façon dont les images de Stork Market ont été élaborées par M. Challenger, je n’hésite pas à conclure que ces images constituent des œuvres originales protégées par un droit d’auteur.

[76] Dans son témoignage, M. Challenger a déterminé que la Cession de droits d’auteur était le document par lequel il a cédé la propriété du droit d’auteur dans les images de Stork Market à M. Fronte, la cession prenant effet dès le moment où ont été créées les œuvres. Je note que, dans l’arrêt Marcus c The Quaker Oats Company of Canada Ltd (1988), 20 CPR (3d) 46, la Cour d’appel fédérale a soulevé certaines préoccupations concernant l’efficacité d’une cession nunc pro tunc, c’est-à-dire une cession qui prétend entrer en vigueur à un moment antérieur à celui où elle a été exécutée, en l’absence d’éléments de preuve d’une telle intention à ce moment-là. Toutefois, comme aucune des parties n’a soulevé cette question devant la Cour et puisque, comme il sera expliqué ci-après, ma décision est de rejeter l’allégation des demandeurs relative au droit d’auteur pour des motifs non reliés à l’efficacité de la Cession de droits d’auteur, mon analyse se fonde sur l’idée que la Cession de droits d’auteur a servi à transmettre à M. Fronte le droit d’auteur relatif aux images de Stork Market dès le moment de leur création.

F. Les défendeurs ont-ils enfreint ce droit d’auteur?

[77] L’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur dispose en partie que le droit d’auteur, en lien avec une œuvre, comporte le droit exclusif de produire ou de reproduire l’œuvre ou une partie importante de cette œuvre sous une forme matérielle quelconque. Selon le paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur, « [c]onstitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir ».

[78] La question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si les défendeurs ou l’un d’entre eux ont violé le droit d’auteur de M. Fronte en reproduisant les images de Stork Market ou une partie importante de ces images en produisant les nouvelles images de Hello Pink. Les demandeurs s’appuient sur le jugement rendu dans la décision U & R Tax Services Ltd. c H & R Block Canada Inc. (1995), 62 CPR (3d) 257 (CF 1re inst.) [U&R Tax Services], dans laquelle notre Cour a indiqué à la page 268 que, pour que le tribunal puisse conclure à la contrefaçon d’un droit d’auteur, le demandeur doit établir que l’œuvre ou une partie importante de celle-ci a été copiée et que le plagiaire avait accès à l’œuvre protégée par le droit d’auteur. La Cour a expliqué la nature de la question en faisant référence à l’extrait suivant de l’ouvrage de Hughes G Richard, « Concept of Infringement in the Copyright Act » publié dans Gordon F Henderson, éd., Copyright in Confidential Information Law of Canada (Toronto : Carswell, 1994) 201, aux pages 209 et 210 :

[traduction] Une ressemblance frappante entre deux œuvres ne suffit pas, à elle seule, pour prouver le plagiat. Bien que l’on reconnaisse qu’une violation du droit d’auteur peut découler d’une reproduction inconsciente, il doit y avoir une preuve de l’accès à l’œuvre copiée ou d’un lien entre deux œuvres pour qu’un tribunal conclue qu’il y a bien eu une violation. La preuve de l’accès ne suffit pas à elle seule; la preuve de la reproduction d’une partie importante d’une œuvre protégée doit aussi être produite.

Quand la source commune peut être démontrée et que l’œuvre prétendument contrefaite résulte d’une création indépendante, il n’y a pas violation. Le plagiat est une question de fait et peut être démontré par quelque moyen que ce soit : une preuve directe ou des présomptions. Le tribunal devrait examiner et comparer soigneusement les œuvres qui lui ont été présentées. Puisque la « ressemblance » entre deux œuvres peut s’expliquer par un éventail limité d’expressions propre à un champ d’activité, ou découler de l’utilisation d’une source commune, un tribunal doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’un défendeur a bien emprunté l’œuvre du demandeur pour produire sa propre œuvre, avant de tirer la conclusion que le défendeur est responsable d’une contrefaçon.

Par conséquent, la preuve d’une création indépendante ou l’utilisation d’une source commune servira à établir une non-contrefaçon. D’autre part, la reproduction d’erreurs commises dans l’œuvre originale peut constituer une preuve de plagiat.

[79] Ma conclusion, selon laquelle les défendeurs n’ont pas violé le droit d’auteur de M. Fronte, se fonde sur les mêmes éléments de preuve que ceux qui m’ont permis de conclure que M. Primicias n’est pas personnellement responsable d’une contrefaçon des marques de commerce des demandeurs. M. Primicias a indiqué dans son témoignage qu’il avait conçu les nouvelles images de Hello Pink de façon à pouvoir inclure un nouveau-né personnalisable, et que cet objectif a éclairé les choix qui ont été faits pour la conception de ces images. Cela incluait un nouveau-né habillé placé sur l’épaule de la cigogne plutôt que dans la position traditionnelle, c’est-à-dire enveloppé dans un sac ou une couverture que porte la cigogne dans son bec. L’utilisation des vêtements personnalisables pour le nouveau-né a fait en sorte qu’il n’était pas possible de placer l’information concernant le nouveau-né sur ce dernier et que, par conséquent, cette information devait être placée sur une pancarte accrochée au cou de la cigogne. Cela a eu comme conséquence le placement de l’annonce « It’s a Girl » ou « It’s a Boy » au-dessus de la tête de la cigogne, les ailes élevées au-dessus de la tête de la cigogne pour tenir l’annonce.

[80] La preuve établit que les défendeurs ont eu accès aux images de Stork Market avant de concevoir les nouvelles images de Hello Pink. L’application de l’hypothèse expliquée dans la décision U&R Tax Services pourrait en conséquence donner lieu à une conclusion de contrefaçon. Toutefois, comme cela a été expliqué dans cette décision, la question que doit trancher la Cour est une question de fait. Pour conclure qu’ils sont responsables d’une contrefaçon, la Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les défendeurs ont bien emprunté l’œuvre de M. Fronte pour produire leur propre œuvre. Comme je l’ai expliqué plus tôt dans les présents motifs, les demandeurs n’ont donné à la Cour aucun motif de contester la crédibilité du témoignage de M. Primicias sur la façon dont l’idée d’inclure un nouveau-né personnalisable a donné lieu aux choix en matière de conception sous-jacents à l’élaboration des nouvelles images de Hello Pink. Bien que le degré de ressemblance entre les images de cigogne des parties soit suffisant pour soutenir ma conclusion antérieure de contrefaçon des marques de commerce, je ne considère pas que les similitudes entre les images sont si importantes que je me dois de rejeter la preuve produite par M. Primicias ou de soutenir en outre une conclusion de contrefaçon du droit d’auteur.

G. À quelle réparation les demandeurs ont-ils droit?

1) Dommages-intérêts aux termes de la Loi sur les marques de commerce

[81] Les demandeurs ont établi leur cause d’action pour ce qui est de la contrefaçon des marques de commerce, et Stork Market a établi le bien-fondé de son allégation de commercialisation trompeuse. Les demandeurs ont indiqué dans leur argumentation au procès que les dommages-intérêts qu’ils réclament pour ces causes d’action aux termes de la Loi sur les marques de commerce sont concurrents et s’élèvent à 30 000 $.

[82] Les demandeurs allèguent que les registres des ventes présentés par les défendeurs dans le cadre du présent litige sont incomplets et pratiquement impossibles à déchiffrer. Ils s’appuient sur le jugement rendu par notre Cour dans la décision Ragdoll Productions (UK) Ltd. c Untel, 2002 CFPI 91, aux paragraphes 37, 42 et 45. Dans cette décision, le juge Pelletier a expliqué qu’il est toujours permis au défendeur d’établir l’étendue de son commerce de biens contrefaits et de demander que l’évaluation des dommages-intérêts s’appuie sur les ventes réelles. Cependant, lorsque le défendeur ne tient aucun registre, il ne peut reprocher au demandeur de ne disposer d’aucune preuve de l’étendue du préjudice subi. Lorsqu’il est entendu qu’un préjudice a été subi, mais que rien n’établit le montant de la perte, il arrive parfois que des dommages-intérêts symboliques soient accordés. Toutefois, lorsque le demandeur a établi une contrefaçon et un préjudice subi, il a droit à une évaluation optimale des dommages-intérêts par la Cour sans devoir nécessairement se contenter de dommages-intérêts symboliques.

[83] Dans l’affaire qui nous occupe, les défendeurs ont produit, et les parties ont déposé en preuve par l’entremise de leur recueil conjoint de documents, certains dossiers de vente pour 2010, 2011 et 2012, ainsi que des calculs fondés sur ces dossiers pour déterminer les recettes totales découlant de la location des nouvelles images de Hello Pink pour chacune de ces années. M. Primicias a également parlé de ces dossiers durant son témoignage. Les demandeurs s’appuient sur ces dossiers et ces calculs pour effectuer leurs calculs proposés des dommages-intérêts. Ma seule hésitation à accepter ces calculs est que la preuve produite par M. Primicias indique des montants incluant la TVH et, bien que les parties n’aient pas soulevé cette question, je m’attends à ce que des dommages-intérêts déterminés en fonction des recettes de Hello Pink découlant des images contrefaites soient calculés en utilisant des chiffres excluant la TVH. Toutefois, j’aborderai cette question plus tard dans mon analyse.

[84] La preuve dont dispose la Cour n’inclut pas de chiffres relatifs aux recettes pour les années postérieures à 2012. Je ne dispose d’aucune preuve particulière concernant la mesure dans laquelle la production de cette information a été demandée préalablement au procès et par conséquent, mon analyse des dommages-intérêts ne se fonde sur aucune conclusion selon laquelle les défendeurs n’ont pas respecté leurs obligations en matière de production. Je retiens plutôt le témoignage de M. Primicias qui a indiqué que les chiffres relatifs aux locations de Hello Pink ont augmenté après 2012 jusqu’en 2015 et qu’ils ont de nouveau baissé par la suite. Il s’agit d’une information qui est loin d’être parfaite, mais qui est suffisante pour permettre à la Cour de considérer le calcul des dommages-intérêts proposé par les demandeurs.

[85] Les demandeurs offrent deux calculs extrapolés des recettes relatives à la location des nouvelles images de Hello Pink, depuis 2013 jusqu’à la période du procès vers le milieu de l’année 2017, fondés sur les chiffres de 3 442,40 $ en 2010, de 4 243,10 $ en 2011, et de 5 579,00 $ en 2012. La première extrapolation calcule une moyenne des chiffres de 2010, 2011 et 2012, après avoir d’abord extrapolé le chiffre de 3 442,40 $ (qui se rapporte aux ventes depuis juin 2010, lorsque les nouvelles images de Hello Pink ont été utilisées pour la première fois, jusqu’en décembre 2010) à 5 901,26 $ pour 2010. La moyenne annuelle qui en résulte est de 5 241,12 $. En utilisant ce chiffre pour chaque année, de 2013 à 2016, en le calculant au prorata pour les six premiers mois de 2017, et en ajoutant les chiffres connus pour 2010 à 2012, on obtient un montant total de 36 849,54 $ pour la période de juin 2010 à juin 2017.

[86] La seconde extrapolation des demandeurs détermine de manière prudente le chiffre de 4 243,10 $ pour les locations de 2011 comme étant le chiffre annuel le plus bas au cours des trois années pour lesquelles des chiffres sur les recettes des locations étaient disponibles, et utilise ce chiffre pour chaque année, de 2013 à 2017 (de nouveau en le calculant au prorata pour les six premiers mois de 2017). En ajoutant les chiffres connus pour la période de 2010 à 2012, on obtient comme résultat un montant total de 32 358,45 $ pour la période de juin 2010 à juin 2017.

[87] Puisque les montants extrapolés des demandeurs dépassent le chiffre qu’ils ont proposé pour les dommages-intérêts compensatoires, à savoir 30 000 $, les demandeurs allèguent que leur quantification proposée est prudente, notamment parce qu’elle ne tient pas compte de la preuve de M. Primicias selon laquelle les locations reliées aux nouvelles images de Hello Pink ont augmenté entre 2012 et 2015. Je souscris à la position des demandeurs et je suis disposé à accepter le chiffre de 30 000 $ comme montant approprié pour les dommages-intérêts compensatoires. Ce faisant, j’en reviens au point susmentionné selon lequel les chiffres fournis par les défendeurs, et par conséquent les calculs des demandeurs qui s’en inspirent, incluent tous la TVH. Toutefois, en retirant les 13 % de TVH des deux calculs extrapolés, on obtiendrait les chiffres de 32 610,21 $ et de 28 635,80 $ respectivement. Ces chiffres oscillent encore autour de la fourchette de 30 000 $, de nouveau sans tenir compte de toute augmentation dans les recettes annuelles en 2013, 2014 et 2015 qui semble être soutenue par la preuve.

[88] J’accorde donc des dommages-intérêts de 30 000 $ pour contrefaçon des marques de commerce et pour commercialisation trompeuse. Toutefois, même si j’ai conclu que les demandeurs ont chacun établi une cause d’action pour contrefaçon d’une marque de commerce, je conclus également que les dommages qui en découlent n’ont été subis que par Stork Market, puisque c’est l’entreprise, et non M. Fronte personnellement, qui a connu des pertes de revenus liées à la location en raison de la location par Hello Pink de pancartes sur pelouse contrefaites. Par conséquent, j’accorde dans mon jugement des dommages-intérêts de 30 000 $ payables par Hello Pink en faveur de Stork Market.

2) Dommages-intérêts aux termes de la Loi sur le droit d’auteur

[89] Les demandeurs réclament des dommages-intérêts préétablis pour contrefaçon du droit d’auteur selon l’alinéa 38.1(1)a) de la Loi sur le droit d’auteur. Ils font observer que cette disposition législative prévoit l’attribution d’un montant allant de 500 $ à 20 000 $ et ils allèguent que de tels dommages-intérêts devraient être établis au montant maximal de 20 000 $. Puisque je n’ai conclu à aucune contrefaçon du droit d’auteur de M. Fronte, aucun dommage-intérêt ne sera accordé au titre de la Loi sur le droit d’auteur.

3) Injonction et autre redressement

[90] Les demandeurs sollicitent aussi une injonction permanente pour empêcher les défendeurs de violer les droits des demandeurs dans les marques de M. Fronte et d’attirer l’attention du public sur la marchandise, les services ou l’entreprise des défendeurs d’une manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre la marchandise, les services ou l’entreprise des défendeurs et ceux des demandeurs. Les demandeurs demandent également une ordonnance enjoignant aux défendeurs de livrer, ou de détruire, sous serment, le matériel contrefait comme des pancartes sur pelouse, le matériel de signalisation, les biens, les étiquettes, les emballages, le matériel de promotion, les documents imprimés et le matériel servant à produire ou à imprimer ces articles.

[91] Ces formes de redressement sont autorisées aux termes de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce en tant que sanction pour violation de cette loi. Ayant conclu à de telles violations, je conclus que les demandeurs ont droit à une injonction et à une forme appropriée d’ordonnance pour la destruction ou la livraison. Toutefois, pendant la plaidoirie, l’avocat des demandeurs a indiqué que les demandeurs ne demandent pas d’injonction en ce qui concerne le nouveau-né faisant partie des nouvelles images de Hello Pink, ce qui semble être une reconnaissance du fait que l’idée du nouveau-né personnalisable est celle des défendeurs et qu’elle n’est pas alléguée comme constituant une violation des droits des demandeurs. Avant de prononcer une ordonnance d’injonction et de destruction ou de livraison, la Cour profiterait des observations des parties concernant le projet de cette ordonnance, de façon à ce qu’elle soit adaptée aux violations déterminées dans les présents motifs, mais à ce qu’elle ne soit pas plus étendue que nécessaire. Mon jugement au terme des présents motifs comprendra la prescription d’un processus et l’établissement d’échéances pour la réception de ces observations.

4) Intérêts et dépens

[92] Les demandeurs ont réclamé des intérêts et dépens avant et après jugement, et les défendeurs ont réclamé des dépens. Aucune des parties n’a fourni des observations à l’appui des intérêts ou des dépens lors du procès. Les parties ont convenu que des observations sur les dépens devraient être présentées à la Cour après le prononcé de la décision de la Cour sur le bien-fondé des demandes et demandes reconventionnelles. Les parties ont eu partiellement gain de cause dans l’affirmation de leurs thèses respectives. Avec l’avantage que ce résultat est maintenant connu, je demanderai dans mon jugement que les parties se consultent afin de parvenir à une entente sur l’adjudication des dépens dans le cadre de la présente instance, ainsi que sur le calcul ou le traitement des intérêts, à défaut de quoi la Cour recevra des observations sur ces questions conformément au processus et aux échéanciers prescrits dans le jugement.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1447-11

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Les marques de commerce portant les numéros d’enregistrement LMC 794667 et LMC 794672 (les marques de commerce enregistrées) sont valides pour ce qui concerne les parties à la présente action;

  2. La société défenderesse, 1736735 Ontario Inc., faisant affaire sous le nom de Hello Pink Lawn Cards Inc. (HelloPink) :

  • a) a porté atteinte au droit des demandeurs à l’usage exclusif des marques de commerce enregistrées, en violation de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce;

  • b) a appelé l’attention du public sur ses marchandises, ses services et son entreprise d’une manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses marchandises, ses services et son entreprise et les marchandises, les services et l’entreprise de la société demanderesse, The Stork Market Inc. (StorkMarket), en violation de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce;

  1. La défenderesse, HelloPink, paiera à la demanderesse, StorkMarket, des dommages-intérêts de 30 000 $ pour les violations de la Loi sur les marques de commerce précisées au paragraphe 2 du présent jugement;

  2. La Cour est disposée à accorder une forme appropriée d’ordonnance aux termes de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce, pour réparation par voie d’injonction ou pour la disposition par la destruction ou la livraison des catégories d’articles appropriées précisées à l’article 53.2, à titre de réparation aux violations de la Loi sur les marques de commerce précisées au paragraphe 2 du présent jugement. Les parties se consulteront en vue de parvenir à une entente concernant le projet d’une telle ordonnance, cohérente avec les motifs de jugement de la Cour, et :

  • a) dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, les demandeurs signifieront et produiront soit un projet d’ordonnance convenu par les parties soit, si aucune entente n’a été obtenue, un projet d’ordonnance proposé par les demandeurs en plus de leurs observations écrites à l’appui d’un tel projet d’ordonnance;

  • b) si aucune entente n’a été obtenue sur le projet de l’ordonnance, les défendeurs, dans les 14 jours suivant la date de la signification et du dépôt par les demandeurs, aux termes de l’alinéa 4a) du présent jugement, signifieront et produiront un projet d’ordonnance proposé par les défendeurs, en plus de leurs observations écrites à l’appui d’un tel projet d’ordonnance;

  • c) si une entente n’est pas obtenue sur le projet d’ordonnance, les demandeurs, dans les sept jours à compter de la date de la signification et du dépôt par les défendeurs aux termes de l’alinéa 4b) du présent jugement, signifieront et produiront toute observation en réponse;

  1. Les parties se consulteront en vue de parvenir à une entente concernant l’adjudication des dépens dans le cadre de la présente instance, ainsi que sur le calcul ou le traitement des intérêts, et :

  • a) dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, les demandeurs signifieront et produiront, soit des observations conjointes à l’appui de l’adjudication des dépens dans le cadre de la présente instance, et du calcul ou du traitement des intérêts, comme cela a été convenu par les parties ou, si une telle entente n’a pas été obtenue, les observations écrites des demandeurs à l’appui de leur proposition d’adjudication des intérêts et des dépens;

  • b) si une entente concernant l’adjudication des dépens dans le cadre de la présente instance, ainsi que sur le calcul ou le traitement des intérêts, n’a pas été obtenue, les défendeurs, dans les 14 jours à compter de la date de la signification et du dépôt par les demandeurs aux termes de l’alinéa 5a) du présent jugement, signifieront et produiront les observations écrites des défendeurs à l’appui de leur proposition d’adjudication des intérêts et des dépens;

  • c) si une entente concernant l’adjudication des dépens dans le cadre de la présente instance, ainsi que sur le calcul ou le traitement des intérêts, n’a pas été obtenue, les demandeurs, dans les sept jours à compter de la date de la signification et du dépôt par les défendeurs aux termes de l’alinéa 5b) du présent jugement, signifieront et produiront toute observation en réponse;

  1. Mis à part celles énoncées ou envisagées dans le présent jugement, les demandes faites par le demandeur, Riccardo Fronte, sont rejetées;

  2. Les demandes reconventionnelles des défendeurs sont rejetées.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de juillet 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1447-11

INTITULÉ :

THE STORK MARKET INC., ET AL C. 1736735 ONTARIO INC., ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 22 août 2017

COMPARUTIONS :

Kelly Gill

Patricia Brooks

POUR LES DEMANDEURS

Cipriano Primicias III

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

[EN BLANC]

POUR LES DÉFENDEURS

 

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