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Date : 20161221


Dossier : T ‑1585‑16

Référence : 2016 CF 1405

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

CHARLES G. REESE JR.

demandeur

et

LES INVESTISSEMENTS NOLINOR INC. D/B/A NORLINOR AVIATION

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Aperçu

A.                La requête

[1]               La Cour est saisie d’une requête par laquelle la défenderesse sollicite :

A.    une prorogation du délai de dépôt du mémoire de défense en vertu de l’article 8 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] en attendant que les questions soulevées par la présente requête soient tranchées;

B.     une ordonnance obligeant les demandeurs à signifier et à déposer des précisions supplémentaires aux termes du paragraphe 181(2) des Règles;

C.     une ordonnance radiant la demande de la demanderesse, Cabin Safety International Ltd. [Cabin Safety], aux termes de l’article 208 des Règles;

D.    une ordonnance obligeant Cabin Safety à fournir un cautionnement pour les dépens de la défenderesse aux termes de l’article 416 des Règles, et à se faire représenter dans la présente instance aux termes de l’article 120, au cas où sa demande ne serait pas radiée;

E.     une ordonnance obligeant le demandeur individuel, M. Reese, à fournir un cautionnement pour les dépens de la défenderesse aux termes de l’article 416 des Règles.

[2]               Les demandeurs n’ont ni signifié ni déposé de dossier de requête.

[3]               Le 29 novembre 2016, les demandeurs ont remis à la défenderesse un affidavit établi sous serment par Charles G. Reese Jr. en réponse à la demande de précisions supplémentaires. Cet affidavit a été reçu par le greffe, mais sur directive formulée de vive voix par le protonotaire Roger Lafrenière, il n’a pas été déposé avant l’audition de la présente requête.

[4]               Les demandeurs ont comparu à l’audience et demandé à verser un autre affidavit établi sous serment par Charles G. Reese Jr. le 5 décembre 2016 devant la Cour. Cette demande de dépôt a été refusée parce qu’elle n’était pas conforme aux Règles.

B.                 La demande sous‑jacente

[5]               Dans l’action sous‑jacente, les demandeurs allèguent que la défenderesse a enfreint leurs droits d’auteur relatifs à des « cartes de mesures de sécurité »; ces cartes sont employées dans l’industrie du transport aérien pour illustrer les mesures de sécurité liées aux aéronefs de transports de passagers.

[6]               M. Reese a contacté la défenderesse en août 2016 pour lui signaler qu’elle enfreignait le droit d’auteur des demandeurs. M. Reese prétendait se représenter lui‑même ainsi que la compagnie demanderesse, Cabin Safety. En septembre 2016, les demandeurs ont intenté la présente action dans laquelle ils allèguent que : 1) ils ont produit des cartes de mesures de sécurité et les ont vendues à la défenderesse en 1996; 2) ils ont enregistré un droit d’auteur relativement à ces cartes de mesures de sécurité au Canada et aux États‑Unis; 3) ils continuent de publier des cartes de mesures de sécurité auxquelles les enregistrements de droit d’auteur s’appliquent; 4) ils ont appris en juillet 2016 que la défenderesse enfreignait ledit droit d’auteur.

[7]               La demande introductive d’instance indique que Cabin Safety est une société [traduction« incorporée et existante en vertu des lois de l’État du Delaware » et que Charles G. Reese Jr. est [traduction] « citoyen des États‑Unis d’Amérique ».

[8]               M. Marco Prud’homme, vice‑président de la compagnie défenderesse Les Investissements Nolinor Inc., déclare dans un affidavit établi sous serment et produit à l’appui de la présente requête, que la défenderesse enquête sur les allégations des demandeurs. M. Prud’homme souligne également que les présumées transactions commerciales remontent à plus de 20 ans et que les demandeurs [traduction] « ont refusé de fournir le moindre document concernant les prétendues transactions entre Nolinor Aviation et les demandeurs, le fondement contractuel de ces transactions, et plus précisément, les circonstances ayant entouré la création d’un dessin par les demandeurs […] et nous n’avons pas réussi à retrouver la moindre trace ».

II.                Prorogation du délai de dépôt du mémoire de défense

[9]               En octobre 2016, l’avocat de la défenderesse a contacté les demandeurs par courriel pour réclamer des précisions, en indiquant qu’un mémoire de défense serait fourni [traduction] « rapidement » suivant la réception des précisions demandées. Les demandeurs ont refusé de fournir des renseignements additionnels [traduction] « jusqu’à ce que la Cour [les] y oblige », et ils ont informé la défenderesse qu’ils ne consentiraient pas à une prorogation du délai de dépôt du mémoire de défense. C’est dans ce contexte que la défenderesse sollicite maintenant une prorogation du délai en vertu de l’article 8 des Règles.

[10]           Les paragraphes 8(1) et (2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 prévoient que :

8 (1) La Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance.

(2) La requête visant la prorogation d’un délai peut être présentée avant ou après l’expiration du délai.

8(1) On motion, the Court may extend or abridge a period provided by these Rules or fixed by an order.

(2) A motion for an extension of time may be brought before or after the end of the period sought to be extended.

[11]           La partie qui cherche à obtenir une prorogation de délai doit démontrer 1) une intention constante de poursuivre sa demande; 2) que la position qu’elle fera valoir est fondée; 3) que le délai n’occasionnera pas de préjudice; et 4) que le délai se justifie par une explication raisonnable (Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF no 846, au paragraphe 3).

[12]           En l’espèce, la défenderesse s’est montrée diligente puisqu’elle a retenu les services d’un avocat et qu’elle s’est renseignée sur les allégations contenues dans la demande introductive d’instance. Elle a reconnu que le passage du temps crée des difficultés pour ce qui est de déterminer la nature de la relation contractuelle que les parties ont pu nouer il y a plus de 20 ans. Elle a demandé aux demandeurs de lui fournir des renseignements, ce que ces derniers ont refusé de faire jusqu’au 29 novembre 2016. Rien ne prouve que les demandeurs subiront un préjudice en cas d’octroi du délai de prorogation.

[13]           La Cour accorde à la défenderesse une prorogation de délai pour signifier et déposer un mémoire de défense dans la présente affaire.

III.             Précisions supplémentaires

[14]           L’avocat de la défenderesse a indiqué dans ses observations formulées de vive voix que sa cliente était satisfaite des renseignements additionnels divulgués dans l’affidavit Reese du 29 novembre 2016. Il n’est pas nécessaire que j’aborde cette question.

IV.             Radiation de la demande de la demanderesse, Cabin Safety

[15]           Les demandeurs allèguent dans la demande introductive d’instance que Cabin Safety est incorporée et existe en vertu des lois de l’État du Delaware. Il est bien établi en droit que M. Reese n’a pas la qualité requise pour faire valoir une cause d’action au nom de Cabin Safety; une société est une entité distincte de ses actionnaires, associés ou mandants (Bouchard c Canada, 2016 CF 983, aux paragraphes 19 et 20, et Salomon c Solomon & Co. Ltd., [1897] AC22 (HL)).

[16]           En ce qui regarde le statut de Cabin Safety en tant qu’entité juridique distincte, la défenderesse a produit un certificat signé par le Secrétaire d’État du Delaware et daté du 13 septembre 2016 [le Certificat], d’après lequel Cabin Safety [traduction] « n’existe plus et n’est plus en règle avec les lois du Delaware, étant devenue inopérante et caduque le 1er mars 1996 pour non‑paiement de taxes ».

[17]           M. Reese a soutenu dans ses observations formulées de vive voix qu’au moment du dépôt, Cabin Safety était considérée comme une entité active. Cependant, les demandeurs ne nient pas qu’au moment du dépôt de la demande introductive d’instance, Cabin Safety n’était pas une entité corporative existante, et qu’elle ne l’est pas actuellement. Le Certificat contredit directement les déclarations contenues dans la demande introductive d’instance.

[18]           Dans Tomchin c Canada, 2015 CF  402, le juge Michael Manson a énoncé, aux paragraphes 21 à 23, les principes applicables à une requête en radiation d’un acte de procédure. Au paragraphe 23, il déclare que : « [l]e paragraphe 221(2) des Règles des Cours fédérales prévoit qu’aucune preuve n’est admissible dans le cas d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa 221(1)a). Toutefois, la Cour peut admettre des éléments de preuve présentés à l’appui d’une requête en radiation fondée sur les autres alinéas du paragraphe 221 ».

[19]           En l’espèce, la défenderesse invoque le Certificat, l’article 208 et l’alinéa 221(1)f) des Règles et fait valoir que Cabin Safety n’est pas une entité juridique, qu’elle n’existe plus depuis plus de 10 ans et que les assertions contenues au paragraphe 2 de la demande introductive d’instance équivalent à un abus des procédures de la Cour. La défenderesse avance que Cabin Safety doit être radiée comme partie à l’action. Je suis d’accord avec la défenderesse.

[20]           M. Reese affirme qu’il ignorait que Cabin Safety n’existait plus et n’était plus en règle avec les lois du Delaware. C’est possible, mais il est évident que cette information était aisément disponible. Cependant, cela n’a que peu de pertinence. La preuve non contestée établit que Cabin Safety [traduction] « n’existe plus […] en vertu des lois du Delaware » et qu’elle n’a donc pas la qualité juridique requise pour intenter l’action.

[21]           La Cour d’appel fédérale a indiqué que les déclarations hâtives non corroborées dans la demande introductive d’instance équivalent à un abus de procédure (Merchant Law Group c Canada Agence du Revenu, 2010 CAF 184, au paragraphe 34 [Merchant Law Group] citant AstraZeneca Canada Inc. c Novopharm Limited, 2010 CAF 112, au paragraphe 5). Je suis d’avis que le principe formulé dans l’arrêt Merchant Law Group s’applique aussi lorsqu’une entité n’ayant aucun statut juridique est présentée comme une entité juridique existante et valide dans le but d’intenter une procédure devant la Cour.

[22]           La compagnie demanderesse, Cabin Safety, est radiée à titre de demanderesse dans la présente instance. Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les questions de la fourniture du cautionnement pour dépens ou du recours à un avocat en ce qui intéresse Cabin Safety.

V.                Cautionnement pour dépens – M. Reese

[23]           La défenderesse sollicite une ordonnance qui obligerait M. Reese à fournir un cautionnement pour dépens. Elle a initialement fait valoir que ce dernier était un citoyen américain qui prétendait résider au Canada, sans toutefois avoir démontré qu’il possédait le moindre actif dans ce pays. Dans l’affidavit complémentaire de M. Prud’homme, daté du 29 novembre 2016, la défenderesse reconnaît que M. Reese a établi la preuve de sa résidence, mais en [traduction] « refusant de [la] présenter sous forme d’affidavit, ce que notre avocat interprète comme une intention de le faire à la dernière minute ».

[24]           Après l’audition de la présente affaire, M. Reese a déposé un affidavit établissant qu’il possède une propriété à Kamloops (Colombie‑Britannique). L’affidavit atteste que la valeur déclarée de cette propriété était de 250 000 $ en 1999, et qu’elle était libre de tout privilège ou hypothèque.

[25]           Compte tenu de cet élément de preuve, il est clair que M. Reese possède des actifs au pays à l’égard desquels la défenderesse pourra faire exécuter les dépens susceptibles d’être accordés à l’encontre du demandeur s’il poursuit cette demande. Je ne rendrai pas d’ordonnance relativement à la fourniture d’un cautionnement pour dépens.

VI.             Dépens de la présente requête

[26]           La défenderesse, qui invoque la colonne III du Tarif B des Règles, réclame des dépens de 1 200 $, ce qui comprend les débours. M. Reese fait valoir qu’au moment d’examiner la question des dépens, la Cour doit tenir compte du fait qu’il est en semi‑retraite, qu’il dispose d’actifs liquides restreints, et que c’est en raison de ressources financières limitées qu’il se représente lui‑même en l’espèce.

[27]           En vertu de l’article 400 des Règles, la Cour a « le pouvoir discrétionnaire » de statuer sur la question des dépens. Cette même disposition énonce un certain nombre de facteurs que la Cour peut prendre en compte au moment d’exercer le pouvoir en question, soit notamment la conduite des parties, le défaut de la part de l’une d’entre elles de reconnaître ce qui aurait dû être admis et la nécessité des mesures prises au cours de l’instance.

[28]           Le fait qu’une partie décide de se représenter elle‑même ne la dispense pas de se conformer aux Règles ni ne justifie une conduite irrespectueuse ou discourtoise dans les interactions avec l’autre partie, les avocats et la Cour. En l’espèce, l’avocat de la défenderesse a informé M. Reese de la procédure requise pour répondre à la présente requête et a proposé d’examiner tout élément de preuve qu’il pourrait avancer. M. Reese a rejeté les égards que lui témoignait l’avocat de la défenderesse en déclarant [traduction] « Je connais la procédure ». Dans la correspondance subséquente, il a indiqué : [traduction] « Je vous répondrai probablement 24 heures avant l’audience, ce qui vous obligera à vous dépêcher de modifier votre requête ».

[29]           M. Reese a déclaré qu’il comprenait la procédure des requêtes dans ses communications avec l’avocat de la défenderesse. La preuve montre qu’il a décidé de manière tactique de dissimuler des renseignements jusqu’au dernier moment afin de gêner la défenderesse. Ce faisant, il a aussi évidemment fait obstacle à la Cour et significativement prolongé le délai requis pour instruire la présente requête. Dans ses observations formulées de vive voix, M. Reese a présenté ses excuses à la Cour et à l’avocat de la défenderesse, mais il reste que sa conduite a obligé la Cour à statuer sur des questions qui auraient très bien pu être résolues à l’amiable entre les parties, ou par voie d’ordonnance sur consentement.

[30]           Je reconnais que la défenderesse n’a pas eu tout à fait gain de cause dans cette requête puisque j’ai refusé la demande de cautionnement pour dépens. Cependant, le fait est que cette demande découle directement de la décision de M. Reese de ne pas fournir à la défenderesse des renseignements pertinents qui lui étaient aisément accessibles. Je reconnais aussi que M. Reese s’est conformé à la demande de précisions supplémentaires, quoique très tard dans la procédure. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la défenderesse recevra des dépens de 1 200 $ payables sur‑le‑champ.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que :

A.    la défenderesse signifiera et déposera un mémoire de défense au plus tard le 27 janvier 2017;

B.     la compagnie demanderesse, CABIN SAFETY INTERNATIONAL LTD., est radiée comme demanderesse dans la présente instance et l’intitulé de la cause est modifié en conséquence;

C.     le demandeur signifiera et déposera une demande introductive d’instance modifiée en supprimant toutes les références à la compagnie demanderesse, CABIN SAFETY INTERNATIONAL LTD., au plus tard le 12 janvier 2017;

D.    la défenderesse recevra des dépens de 1 200 $, en comptant les débours, payables sur‑le‑champ.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T ‑1585‑16

 

INTITULÉ :

CHARLES G. REESE JR. c LES INVESTISSEMENTS NOLINOR INC. D/B/A NORLINOR AVIATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 DÉCEMBRE 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 21 DÉCEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Charles Reese

 

LE DEMANDEUR

 

Shaun Cody

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

New Horizon Law

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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