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Date : 20170726


Dossier : T-206-17

Référence : 2017 CF 723

Montréal (Québec), le 26 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

MOTCHIAN AMAN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               La Loi sur la citoyenneté, LCR 1985, c C-29 [Loi] n’est pas arbitraire à l’égard de la durée de présence pour devenir citoyen canadien. Une ligne de démarcation a été tracée et doit être tracée pour s’assurer que la durée de présence requise au Canada pour devenir citoyen ne devienne pas facultative, ni spéculative. Évidemment, une gamme d’exceptions pourrait démontrer que la Loi mène à des situations incompréhensibles, considérant qu’un manque d’emploi exige souvent qu’un individu se situe entre l’arbre et l’écorce à l’égard des durées essentielles pour l’établissement au Canada. Ceci est reflété par les décisions des juges qui se retrouvent également entre l’arbre et l’écorce, sachant que l’interprétation de la Loi mène au difficile résultat à prononcer et donc à accepter, mais néanmoins c’est la Loi qui n’offre pas de choix dans ce type de cas devant la Cour.

Dans un courant de jurisprudence bien établi, la Cour a décidé que pour remplir les conditions requises par la Loi sur la citoyenneté, la résidence doit, dans une première étape, être établie et, dans une deuxième étape, être maintenue : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chen, [1999] A.C.F. no 877 (1re inst.), le juge Richard (maintenant juge en chef); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Yu, [1999] A.C.F. no 421 (1re inst.), le juge Lutfy (maintenant juge en chef adjoint); Canada (Secrétaire d'État) c. Yu (1995), 31 Imm.L.R (2d) 248 (C.F. 1re inst.) le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel) [devenu juge de la Cour suprême] ; Re Sun (1992) 58 F.T.R. 264, le juge Noël (maintenant juge à la Cour d'appel); Re Choi [1997] A.C.F no 740 (1re inst.), le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d'appel); Young c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 9 Imm. L.R. (3d) 234 (C.F. 1re inst.), le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel); Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), précitée; Badjeck c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 19 Imm. L.R. (3d) 8 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau; Re Shaw (1991), 49 F.T.R. 270, le juge Pinard; Re To (1997), 37 Imm. L.R. (2d) 274 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum; Re Lo (1996), 128 F.T.R. 247, le juge MacKay; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liu, [2000] A.C.F. no 323 (1re inst.), le juge Gibson; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Rahman, [1999] A.C.F. no 655 (1re inst.), le juge Simpson; Jreige c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 175 F.T.R. 250, le juge Lemieux; De Lima c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 852, [2002] A.C.F. no 1139, le juge Martineau; Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow; Canada (Ministre d'État, Multiculturalisme et Citoyenneté) c. Shahkar, [1991] 1 C.F. 177 (1re inst.), le juge Addy; Re Hung (1996), 106 F.T.R. 236, le juge Dubé; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ho (1999), 48 Imm.L.R. (2d) 262 (C.F. 1re inst.), le juge Cullen; Canada (Secrétaire d'État) c. Martinson (1987), 13 F.T.R. 237, le juge Martin. [La Cour ajoute mention.]

(Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1067.)

II.                Nature de l’affaire

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’une juge de la citoyenneté qui a approuvé, en date du 5 janvier 2017, la demande de citoyenneté canadienne du défendeur en application des exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

III.             Faits

[3]               Le défendeur, citoyen de la Côte d’Ivoire âgé de 49 ans, est entré au Canada comme résident permanent le 17 décembre 2008. Son épouse et leurs deux plus jeunes enfants sont également devenus résidents permanents le 17 décembre 2008, alors que leur fils aîné l’est devenu le 15 février 2009.

[4]               Avant d’arriver au Canada, le défendeur et son épouse résidaient à Genève, en Suisse, et travaillaient tous deux pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [HCR]. Lorsqu’ils se sont établis au Canada, l’épouse du défendeur y a entrepris des études supérieures et leurs enfants ont commencé à y fréquenter l’école, tandis que le défendeur a repris ses missions à l’étranger pour le HCR dès le 11 janvier 2009. Malgré son expérience et ses qualifications, il n’aurait pas réussi à trouver du travail au Canada et devait subvenir aux besoins de sa famille en attendant que son épouse trouve un emploi. Lorsque son épouse a terminé ses études et obtenu un emploi au Canada, le défendeur y serait revenu pour se mettre à la recherche d’un emploi de février à octobre 2013. Quand son épouse a été licenciée après 20 mois, il n’aurait eu d’autre choix que d’accepter une autre mission à l’étranger pour le HCR.

[5]               L’épouse et les deux plus jeunes enfants du défendeur ont obtenu la citoyenneté canadienne le 1er août 2014.

[6]               Le 24 juillet 2014, le défendeur a déposé une demande de citoyenneté canadienne, portant la période de référence du 24 juillet 2010 au 24 juillet 2014. Durant la période pertinente, il a déclaré 1 040 jours d’absence et 420 jours de présence au Canada, soit un déficit de 675 jours de présence effective.

[7]               Le 2 décembre 2015, le défendeur s’est présenté à une entrevue avec un agent de la citoyenneté et a passé un examen de citoyenneté avec un résultat de 19/20. Le 5 janvier 2017, le défendeur a comparu à une audience devant une juge de la citoyenneté.

IV.             Décision

[8]               Le 5 janvier 2017, la juge de la citoyenneté a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur respectait l’obligation de résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

[9]               La juge de la citoyenneté a choisi d’appliquer les critères de résidence qualitatifs élaborés dans la décision Koo (Re), [1993] 1 RCF 286, 1992 CanLII 2417 (CF) [Koo] afin de déterminer si le défendeur avait centralisé son mode d’existence au Canada.

[10]           La juge de la citoyenneté a conclu que le Canada était l’endroit où le défendeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement », en fonction des six questions proposées par le juge Reed dans Koo :

1. Le demandeur était physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté. Il est arrivé le 17 décembre 2008 et a donc été au Canada pendant environ 19 mois avant le début de la période visée.

2. La famille proche et les personnes à charge du demandeur, c’est-à-dire son épouse et leurs trois enfants, résident au Canada et y travaillaient ou y étudiaient durant la période visée.

3. La forme de présence physique du demandeur dénote qu’il revient dans son pays. À la fin de chaque mission de travail humanitaire, il a déclaré être revenu à la maison.

4. L’étendue des absences physiques du demandeur au Canada représente un déficit de 675 jours de présence effective. Toutefois, le demandeur a satisfait aux exigences, compte tenu des motifs de ses absences temporaires et du fait qu’il revient toujours au Canada, où il a bâti sa vie avec sa famille.

5. L’absence physique du demandeur est imputable à une situation manifestement temporaire, puisque tous ses voyages ont été effectués dans le cadre de son travail pour le HCR, qui lui a octroyé des contrats de durées variables. Il a produit ses déclarations de revenus et a payé des impôts au Canada pendant toute la période visée.

6. Les attaches du demandeur au Canada sont importantes. Son épouse et leurs enfants y travaillent et y étudient. Le demandeur et son épouse sont propriétaires, au Canada, du domicile familial depuis 2009 et d’un condo habité par leur fils depuis 2011.

V.                Question en litige

[11]           Les parties ont identifié la question en litige suivante : La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en concluant que le défendeur satisfaisait aux exigences prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

[12]           Les parties conviennent que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à une décision rendue par un juge de la citoyenneté (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 au para 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62 au para 12 [Newfoundland Nurses]).

VI.             Dispositions pertinentes

[13]           À l’époque où le défendeur a présenté une demande de citoyenneté, la Loi prévoyait :

Attribution de la citoyenneté

Grant of citizenship

5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

VII.          Analyse

[14]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

A.                Premier volet – la condition préalable de l’établissement au Canada du test de Koo

[15]           Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a commis des erreurs en appliquant le test de Koo. D’abord, la juge de la citoyenneté aurait omis d’analyser si le défendeur rencontrait le premier volet de Koo, soit la condition préalable de l’établissement de sa résidence au Canada (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Chang, 2013 CF 432 au para 4 [Chang]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ojo, 2015 CF 757 aux para 25-27 [Ojo]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Maher, 2016 CF 42 au para 35; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huang, 2016 CF 1348 au para 6). Elle n’aurait jamais expressément abordé la question préliminaire et il serait impossible de déduire de ses motifs si elle l’a fait. Le demandeur souligne que durant son séjour initial de 25 jours au Canada, le défendeur a fait des démarches pour installer son épouse et ses enfants, mais que l’établissement de sa famille ne vaut pas son propre établissement, ce que la juge de la citoyenneté aurait confondu (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ntilivamunda, 2008 CF 1081 au para 13 [Ntilivamunda]). La décision serait entachée d’une erreur déterminante puisqu’il était déraisonnable de conclure que le défendeur avait déjà établi sa résidence au Canada avant la période de référence.

[16]           Le défendeur prétend au contraire que la juge de la citoyenneté a implicitement conclu qu’il avait établi sa résidence au Canada depuis le 17 décembre 2008, compte tenu des faits clairs démontrant qu’il avait transféré de façon complète, permanente et sans équivoque ses attaches au Canada (Ojo, ci-dessus, au para 28). Il est possible de déduire que la juge de la citoyenneté a été satisfaite que le défendeur ait rempli la condition préalable (Tulupnikov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1439 au para 14; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tazaki, 2011 CF 1173 au para 32). En outre, le cas du défendeur se distinguerait des affaires citées par le demandeur puisqu’il n’a pas maintenu d’attaches avec son pays d’origine (Ojo, ci-dessus), qu’il n’a pas de domicile ou de famille ailleurs qu’au Canada (Chang, ci-dessus) et qu’il n’est pas retourné dans son pays d’origine pour y poursuivre son travail (Ntilivamunda, ci-dessus).

[17]           La Cour estime que cette question n’est pas déterminante pour l’issue du présent contrôle judiciaire et elle est satisfaite par les arguments du défendeur que la juge de la citoyenneté a implicitement conclu qu’il avait rempli les conditions préalables d’établissement du test de Koo.

B.                 Second volet – les six critères du test de Koo

[18]           Subsidiairement, le demandeur avance que la juge de la citoyenneté aurait erré en analysant les critères établis par Koo. Plutôt que de tirer des conclusions concernant les six facteurs, puis d’apprécier et de soupeser les conclusions favorables et défavorables, la juge de la citoyenneté aurait simplement repris les justifications d’absences du défendeur. En outre, les conclusions de la juge de la citoyenneté ne seraient ni justifiées, transparentes ou intelligibles, puisque le défendeur ne rencontre pas certains critères.

[19]           Le défendeur nuance plutôt les critères du test de Koo comme étant des lignes directrices, des exemples de questions visant à déterminer si le requérant a centralisé son mode d’existence au Canada. Il n’a d’attaches ni dans son pays d’origine, la Côte d’Ivoire, ni dans son dernier pays de résidence, la Suisse, ni dans les divers pays instables où il a été déployé par le HCR lors de missions où il loge dans des abris temporaires. Le seul pays où il est établi est le Canada et il n’existe aucun pays de référence alternatif (Collier c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1511).

(1)               1er critère : la présence physique au Canada pour une période prolongée avant de s’absenter

[20]           Le demandeur estime, contrairement à ce que la juge de la citoyenneté a conclu, que le défendeur n’a pas été physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter du Canada avant la période de référence. Elle aurait erronément considéré la période de 19 mois comprise entre décembre 2008 et juillet 2010, alors que le défendeur n’est demeuré que 25 jours avec sa famille au Canada avant de reprendre des missions pour le HCR à l’étranger.

[21]           Le défendeur avance que la juge de la citoyenneté s’est simplement mal exprimée, mais qu’il ne s’agit pas d’une erreur déterminante donnant ouverture au contrôle judiciaire. Elle avait connaissance du fait que le défendeur avait poursuivi ses missions pour le HCR. Il serait donc logique que la juge de la citoyenneté faisait plutôt référence au fait que le défendeur avait été résident permanent du Canada pendant 19 mois avant le début de la période de référence. Le défendeur souligne que le décideur n’est pas tenu à une norme abstraite de perfection et que la décision doit être revue dans son ensemble sans s’attarder sur un seul motif lacunaire (R. c Sheppard, [2002] 1 RCS 869, 2002 CSC 26; Newfoundland Nurses, ci-dessus, au para 12).

(2)               3e critère : la présence physique de la personne au Canada : retour dans son pays ou visite?

[22]           Le demandeur prétend que le défendeur ne serait qu’en visite lorsqu’il revient au Canada, puisqu’il passe plus de 50% de son temps à l’étranger. La preuve démontrait que le défendeur effectue des allers-retours continuels depuis l’arrivée de sa famille au Canada et qu’il travaille encore aujourd’hui à l’étranger. Ses courts séjours au pays ne permettent pas de conclure que le Canada est l’endroit où il vit régulièrement, normalement ou habituellement.

[23]           Le défendeur soutient plutôt que la juge de la citoyenneté a tiré la seule conclusion raisonnable qu’il était possible de tirer des faits. Après les missions du HCR dans des pays instables, il revient chez lui, au Canada, où sa famille, son domicile et toutes ses attaches sont établis. Les absences du défendeur seraient une situation temporaire, dans l’attente que son épouse obtienne un emploi à temps plein permettant de subvenir aux besoins de la famille et qu’il puisse cesser les missions du HCR et se trouver un emploi au Canada. La décision de la juge de la citoyenneté était donc supportée par la preuve. Une présence physique de moins de 50% du temps ne serait pas suffisante pour conclure qu’un requérant soit uniquement en visite au Canada (Badjeck c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1301 aux para 42-43; Pourzand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 395 au para 25).

(3)               4e critère : l’étendue des absences physiques

[24]           Le demandeur souligne que l’étendue des absences physiques du défendeur est considérable; il n’a été présent au Canada que 38% du temps selon la période de référence. La juge de la citoyenneté aurait erré en remplaçant les exigences relatives aux attaches physiques de la Loi par la justification des absences du défendeur par les besoins monétaires de sa famille (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Olafimihan, 2013 CF 603 aux para 15, 28-29 [Olafimihan]).

[25]           Le défendeur rappelle que la juge de la citoyenneté a tenu compte de ses absences physiques du Canada et qu’elle n’a commis aucune erreur d’appréciation à cet égard. L’étendue des absences physiques ne seraient pas un critère uniquement quantitatif. Toutes les attaches du défendeur – émotives, financières – sont au Canada et ses absences ne seraient qu’une simple nécessité pour subvenir aux besoins de sa famille.

(4)               5e critère : le caractère temporaire de l’absence physique du Canada

[26]           Le demandeur argue que les absences physiques du défendeur ne sont pas imputables à une situation manifestement temporaire. Le demandeur souligne que le défendeur effectue des missions pour le HCR depuis 2006 jusqu’à ce jour et qu’aucune preuve de recherches d’emploi n’a été soumise par le défendeur à l’appui de sa demande de citoyenneté. La juge de la citoyenneté aurait mis l’emphase sur la justification des absences du défendeur plutôt que d’analyser le critère prévu par Koo (Ntilivamunda, ci-dessus, aux para 17-18). Dans les circonstances, il était déraisonnable de conclure que les absences du défendeur étaient une situation temporaire (Olafimihan, ci-dessus, au para 27).

[27]           Le défendeur avance que le cinquième critère de Koo porte sur l’absence physique et de son imputabilité et que, par conséquent, il était nécessaire que la juge de la citoyenneté s’attarde sur cet aspect. Le défendeur réitère que ses séjours de missions pour le HCR étaient toujours temporaires et limités à une durée inférieure à trois mois, et qu’il a toujours été son intention de trouver un emploi permanent au Canada lorsque les ressources financières familiales le permettraient.

(5)               Analyse

[28]           La Cour constate que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que le défendeur avait été présent physiquement au Canada durant une période prolongée, soit 19 mois, alors que de son propre aveu, il a quitté sa famille après l’installation au pays moins d’un mois suivant leur arrivée. Néanmoins, cette erreur à elle seule n’est pas fatale à la décision de la juge de la citoyenneté.

[29]           Toutefois, la Cour conclut que la juge de la citoyenneté a erré en ce qui a trait à la présence physique du défendeur au Canada, à l’étendue de ses absences et au caractère temporaire de celles-ci. En raison de son emploi, le défendeur n’a tout simplement pas été présent au Canada pour une période suffisante afin de démontrer qu’il y vit régulièrement, normalement ou habituellement, et cet emploi, louable et qui aide même le Canada dans ses démarches à l’égard des réfugiés, ne peut pallier l’étendue considérable de ses absences du Canada. Bien que la Cour regrette que le défendeur ait éprouvé des difficultés à obtenir un emploi correspondant à son talent au Canada, elle fait siens les propos du juge Luc Martineau en semblables circonstances :

[17]      D’autre part, les absences physiques du demandeur du Canada au cours de la période visée ne sont pas attribuables à une situation purement temporaire. Au contraire, selon la preuve au dossier, il est clair qu’il s’agit d’une situation permanente. Bien que les intentions futures du défendeur ne sont pas pertinentes pour évaluer le caractère des absences au cours de la période visée (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 47, [2006] A.C.F. no 73 (QL); Paez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), [2008] A.C.F. no 292 (QL), 2008 CF 204), le défendeur a d’ailleurs indiqué son intention de prendre sa retraite de l’OMS dans seulement huit (8) ans. À ce rythme, bien qu’il passe tous ses congés au Canada (trente-six jours par année, selon le dossier), le défendeur n’aura pas, même dans huit ans, accumulé le nombre de jours requis pour véritablement centraliser son existence au Canada.

[18]      Il est déplorable que pour une raison ou une autre, le défendeur ne puisse actuellement travailler comme médecin dans la province de Québec. Malheureusement, ce dernier ne satisfait pas à l’exigence de résidence de la Loi et sa demande de citoyenneté est manifestement prématurée. En l’espèce, le défendeur se trouve actuellement dans une impasse similaire à nombre de résidents permanents désireux d’obtenir la citoyenneté canadienne, mais dont les obligations professionnelles ou autres à l’étranger font obstacle à l’établissement d’une résidence au sens de la Loi.

(Ntilivamunda, ci-dessus.)

VIII.       Conclusion

[30]           La Loi n’est pas arbitraire à l’égard de la durée de présence pour devenir citoyen canadien. Une ligne de démarcation a été tracée et doit être tracée pour s’assurer que la durée de présence requise au Canada pour devenir citoyen ne devienne pas facultative, ni spéculative. Évidemment, une gamme d’exceptions pourrait démontrer que la Loi mène à des situations incompréhensibles, considérant qu’un manque d’emploi exige souvent qu’un individu se situe entre l’arbre et l’écorce à l’égard des durées essentielles pour l’établissement au Canada. Ceci est reflété par les décisions des juges qui se retrouvent également entre l’arbre et l’écorce, sachant que l’interprétation de la Loi mène au difficile résultat à prononcer et donc à accepter, mais néanmoins c’est la Loi qui n’offre pas de choix dans ce type de cas devant la Cour.

[31]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée.


JUGEMENT au dossier T-206-17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée, la décision soit annulée et le dossier soit renvoyé pour un nouvel examen par un autre juge de la citoyenneté. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-206-17

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c MOTCHIAN AMAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 juillet 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 juillet 2017

 

COMPARUTIONS :

Yaël Levy

 

Pour le demandeur

 

Rosalie Brunel

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Brunel Immigration Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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