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Date : 20170809


Dossier : IMM-1-17

Référence : 2017 CF 760

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

HONGYING CHEN, YING CHEN, JACKY CHEN, MINEUR, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, HONGYING CHEN ET JERRY CHEN, MINEUR, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, HONGYING CHEN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  En application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27, les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’exécution de la loi d’un bureau intérieur (l’agent) refusant de reporter leur renvoi du Canada.

[2]  Les demandeurs, Hongying et Ying Chen, sont mariés, ils sont des citoyens de la Chine et ils ont trois enfants. Deux de leurs enfants, Jacky et Jerry, sont citoyens canadiens. Leur troisième enfant, Jenny, est citoyenne américaine. Les demandeurs sont visés par une ordonnance de renvoi après qu’on leur a refusé l’asile ainsi que deux demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

[3]  Le 6 janvier 2017, le juge Gleeson a ordonné la suspension des mesures de renvoi les concernant jusqu’à la décision définitive relative à la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I.  Résumé des faits

[4]  En octobre 2016, les demandeurs ont été informés que les ordonnances de renvoi les concernant étaient exécutables. Les demandeurs ont informé les autorités que leur fille retournerait aux États-Unis pour y vivre avec sa grand-mère. Les demandeurs ont ensuite signé une directive leur enjoignant de se présenter pour leur renvoi, prévu le 7 janvier 2017.

[5]  Le 23 décembre 2016, les demandeurs ont présenté une demande de report. Ils ont demandé un report de leur renvoi jusqu’à la fin de l’année scolaire de leurs deux enfants aînés et jusqu’à ce que la famille puisse présenter une troisième demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs ont expliqué que leurs anciens consultants en immigration ne les avaient pas représentés adéquatement, et que ces derniers avaient omis de présenter des éléments de preuve suffisants à l’appui de la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs ont fait valoir l’intérêt supérieur des enfants et, plus précisément, le statut juridique de leurs enfants en Chine, compte tenu des politiques de ce pays en matière de planification familiale. Dans leur demande de report, les demandeurs ont affirmé que les instances ayant rendu les décisions précédentes relatives à leurs demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire n’avaient pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants. Finalement, ils ont indiqué que leur situation avait changé depuis la décision relative à leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, puisqu’ils ont eu un troisième enfant.

[6]  L’agent a reconnu que les enfants étaient nés en Amérique du Nord, qu’ils n’avaient aucune expérience de la vie en Chine et que des liens importants les unissaient au Canada, y compris leur parcours scolaire et leur réseau familial élargi. Cependant, l’agent a conclu que les enfants pouvaient s’adapter à la langue, au système d’éducation et à la culture chinoise.

[7]  Le report a été refusé. L’agent a invoqué la décision antérieure relative à la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour conclure que les facteurs soulevés par les demandeurs dans leur demande de report avaient fait l’objet d’un examen adéquat.

II.  Question en litige

[8]  Les demandeurs soulèvent plusieurs questions concernant la décision de l’agent; néanmoins, l’analyse par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants est l’élément déterminant de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Discussion

A.  Norme de contrôle

[9]  La décision d’un agent d’exécution de la loi relative à une demande de report est examinée selon la norme de la décision raisonnable (Nguyen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 225, [Nguyen]).

B.  Intérêt supérieur de l’enfant

[10]  Les demandeurs reconnaissent que le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de la loi est limité lorsqu’il s’agit du report d’un renvoi, mais ils font valoir que l’agent est néanmoins tenu d’évaluer l’intérêt à court terme de tout enfant touché par la mesure. Les demandeurs invoquent la décision Turay c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1090, au paragraphe 15, où notre Cour a conclu que « [s]i la cour conclut qu’il y a eu une analyse déficiente de l’intérêt supérieur des enfants, la décision de l’agent d’exécution de la loi sera jugée déraisonnable ».

[11]  Les demandeurs font valoir qu’en l’espèce l’agent a omis d’analyser leurs arguments concernant la difficulté d’obtenir un statut juridique pour leurs enfants en Chine, ainsi que l’accès à des soins de santé et à l’éducation, puisqu’ils se trouveraient en violation des politiques de la Chine en matière de planification familiale. L’agent a invoqué la décision relative à la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour conclure que les questions soulevées par les demandeurs avaient fait l’objet d’un examen approprié. Cependant, dans ladite décision, l’agent responsable de l’affaire souligne qu’il ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour effectuer l’analyse. En outre, les demandeurs soutiennent avoir été mal représentés à l’occasion des demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, il n’est pas nécessaire de trancher cette question, puisque la Cour peut statuer sur le présent contrôle judiciaire en se fondant sur l’obligation de l’agent d’examiner l’intérêt supérieur de l’enfant.

[12]  Je suis d’accord avec les demandeurs que l’examen de l’agent est [traduction« incohérent » lorsqu’il affirme que la question de l’intérêt supérieur des enfants a été examinée dans la décision relative à la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Au moment de ces décisions, les demandeurs n’avaient pas trois enfants. Par conséquent, l’instance ayant rendu la décision relative à la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur du troisième enfant. En outre, l’instance ayant rendu la décision relative à la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas statué sur les questions concernant les difficultés auxquelles la famille pourrait être confrontée si elle devait retourner en Chine avec trois enfants, puisqu’elle se trouverait en violation des politiques de la Chine en matière de planification familiale. L’agent ayant examiné la demande de report n’a pas tenu compte de cet aspect, puisqu’il s’est appuyé sur la décision relative à la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[13]  Dans la décision Nguyen, le juge Boswell a examiné la jurisprudence sur cette question et il a tiré la conclusion suivante :

[17]  La jurisprudence a établi que les agents d’exécution sont tenus de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme de façon juste et avec délicatesse (voir : Joarder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 230, au paragraphe 3, 146 ACWS (3d) 305; Kampemana, au paragraphe 34). Il est également clair que : « si l’intérêt supérieur des enfants est certainement un facteur dont il faut tenir compte dans le contexte d’une mesure de renvoi, il ne s’agit toutefois pas d’un facteur déterminant » (Pangallo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 229, au paragraphe 25, 238 ACWS (3d) 711).

[14]  En l’espèce, bien que l’intérêt supérieur des enfants ne soit pas le facteur déterminant en fin de compte, l’agent a totalement omis d’examiner l’intérêt supérieur à court terme du troisième enfant des demandeurs. L’agent s’est appuyé sur la décision antérieure relative à la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, laquelle a été rendue avant la naissance du troisième enfant, afin de conclure que cet intérêt avait fait l’objet d’un examen approprié. Les demandeurs, dans leur demande de report, ont soulevé la possibilité que leur troisième enfant ne puisse pas obtenir un statut juridique en Chine, le privant ainsi d’un accès aux services de soins de santé et d’éducation. Toutefois, l’agent n’a pas directement abordé cette question, il a plutôt invoqué une décision relative à une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire rendue avant la naissance du troisième enfant.

[15]  Il était déraisonnable que l’agent s’appuie sur une décision relative à une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire rendue avant la naissance de l’enfant pour examiner l’intérêt supérieur de ce dernier à court terme. Même en tenant compte du pouvoir discrétionnaire limité de l’agent, son raisonnement n’est ni justifié ni intelligible; par conséquent, la décision est déraisonnable.

[16]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l’agent d’exécution de la loi refusant la demande de report du renvoi est annulée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent d’exécution de la loi est annulée.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée en l’espèce.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1-17

INTITULÉ :

HONGYING CHEN, YING CHEN, JACKY CHEN, MINEUR, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, HONGYING CHEN ET JERRY CHEN, MINEUR, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, HONGYING CHEN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 9 AOÛT 2017

COMPARUTIONS :

Vincent Wan Shun Wong

Pour les demandeurs

Norah Dorcine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Metro Toronto Chinese & Southeast Legal Clinic

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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