Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170725


Dossier : T-60-17

Référence : 2017 CF 720

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

CHAI BENCHMUEL et 9303‑0484 QUÉBEC INC. S/N CANADA ATHLETICS

demandeurs

et

GAGS N GIGGLES, FUNNTEES SPORTS AND GIFTS, SALEEM MALIK et
NINA MALIK

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La requête déposée le 30 mai 2017 [la requête] en application du paragraphe 399(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] par les défendeurs dans la présente action (Gags N Giggles, FunNTees Sports and Gifts, M. Saleem Malik et Mme Nina Malik) [les défendeurs], vise à faire annuler le jugement par défaut que la Cour a rendu contre eux le 3 mars 2017 [le jugement]. Pour les motifs qui suivent, j’estime que les défendeurs n’ont pas satisfait au critère donnant droit à l’annulation du jugement. Par conséquent, la requête sera rejetée.

II.  Contexte

[2]  M. Chai Benchmuel, le demandeur, est titulaire du droit d’auteur sur les œuvres « Canada Athletics‑Souvenir Design » et « Niagara Falls Flash Design » [les dessins] et a concédé une licence sur ce droit d’auteur à l’autre demanderesse, Canada Athletics. Celle-ci fabrique une grande variété de vêtements portant la marque Canada Athletics pour des magasins de souvenir.

[3]  Les défendeurs, Gags N Giggles et FunNTees Sports and Gifts, exploitent des magasins de vente au détail d’articles de souvenir à Niagara Falls (Ontario). M. Malik et Mme Malik sont les propriétaires des deux magasins.

[4]  Le 20 janvier 2017, les défendeurs se sont vu signifier une ordonnance rendue ex parte par la Cour, le 17 janvier 2017 [l’ordonnance], ainsi que la demande introductive d’instance des demandeurs. L’ordonnance contenait une injonction interdisant aux défendeurs d’afficher, de vendre ou de détruire des produits arborant les dessins [les produits contrefaits] et visait aussi la conservation des biens. Dans la demande introductive d’instance, les demandeurs alléguaient que les défendeurs avaient : 1) violé le droit d’auteur de M. Chai Benchmuel dans les dessins, droit sur lequel une licence a été concédée à Canada Athletics; et 2) appelé l’attention du public sur leurs produits, leurs services ou leur entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre leurs produits, leurs services ou leur entreprise et ceux des demandeurs. Dans leur action, les demandeurs sollicitaient une injonction provisoire, interlocutoire et permanente interdisant aux défendeurs d’afficher, de vendre ou de distribuer les produits contrefaits, ainsi que des dommages‑intérêts compensatoires, des dommages‑intérêts punitifs et exemplaires et les dépens.

[5]  Le 20 janvier 2017, un huissier s’est présenté aux magasins Gags N Giggles et FunNTees pour exécuter l’ordonnance. Dans chacun de ces magasins, il a remis une copie de la demande introductive d’instance et de l’ordonnance ainsi qu’un avis de requête en vue de la prolongation de l’ordonnance [l’avis de requête] à un employé. L’avis de requête indiquait que la requête en prolongation de l’ordonnance serait instruite à Ottawa (Ontario) le 3 février 2017.

[6]  Le 20 janvier 2017, après que Mme Malik l’eut informé par téléphone qu’elle était en route vers le magasin Gags N Giggles pour aller chercher les documents judiciaires, l’huissier a attendu qu’elle arrive sur place pour passer l’ordonnance en revue avec elle. Mme Malik ne s’étant pas présentée, l’huissier a décidé de s’en aller après l’avoir attendue plusieurs heures. Les jours suivants, il a tenté de communiquer avec Mme Malik et M. Malik, mais sans succès. À aucun moment, Mme Malik ou M. Malik n’ont cherché à communiquer avec l’huissier après avoir pris possession des documents judiciaires, bien que ce dernier ait appelé plusieurs fois et qu’il ait laissé ses coordonnées au gérant du magasin.

[7]  Il n’est pas contesté que les défendeurs ont effectivement reçu les documents judiciaires et que la demande introductive d’instance leur a été dûment signifiée le 20 janvier 2017.

[8]  L’huissier est retourné au magasin à deux reprises, les 22 et 31 janvier 2017. À ces deux occasions, les défendeurs affichaient et vendaient encore les produits contrefaits, en contravention de l’ordonnance qui leur avait été signifiée.

[9]  Les défendeurs avaient jusqu’au 20 février 2017 pour déposer une défense, mais ils ne l’ont pas fait.

[10]  Le 23 février 2017, les demandeurs ont déposé un avis de requête écrite ex parte, conformément aux Règles, afin d’obtenir un jugement par défaut contre les défendeurs. La requête visait à obtenir un jugement condamnant les défendeurs à verser le montant maximal des dommages‑intérêts préétablis prévus par la Loi sur le droit d’auteur, LRC (1985), c C‑42 [la Loi], à savoir deux chefs de 20 000 $ chacun, des dommages‑intérêts punitifs de 15 000 $ pour leur non-respect flagrant du droit d’auteur des demandeurs et de l’ordonnance, une injonction permanente leur interdisant de vendre et de distribuer les produits contrefaits, ainsi que les dépens.

[11]  Dans le jugement, la Cour a ordonné que [traduction« le jugement par défaut soit prononcé à l’encontre des défendeurs suivant les allégations contenues dans la demande introductive d’instance », et a par ailleurs ordonné que les défendeurs versent aux demandeurs des dommages‑intérêts de 40 000 $ conformément à l’article 38.1 de la Loi, ainsi que des dommages‑intérêts punitifs de 15 000 $.

[12]  La seule raison offerte par les défendeurs pour justifier leur omission de déposer une défense ou de répondre aux documents judiciaires qui leur ont été signifiés, le 20 janvier 2017, est la suivante : Mme Malik avait [traduction« l’impression » qu’un règlement avait été conclu, le 30 janvier 2017, avec les demandeurs pour mettre fin à l’action.

[13]  Dans l’affidavit qu’elle a déposé à l’appui de la requête, Mme Malik a déclaré qu’elle s’est entretenue le 30 janvier 2017 avec M. Mike Benchmuel [Mike] à l’occasion du Salon professionnel annuel canadien des cadeaux et des articles de table de Toronto (Ontario). Mike est représentant commercial pour Canada Athletics. Mme Malik affirme qu’elle lui a été présentée par un certain M. Ghader, une de ses connaissances professionnelles qui assistait aussi au salon, et que Mike s’est d’abord présenté à elle comme copropriétaire avec son frère, M. Jacob Benchmuel [Jacob], de Canada Athletics. Cependant, Mike l’aurait informée ensuite (durant la conversation) qu’en fait il n’était pas propriétaire, que Canada Athletics appartenait à Jacob, et qu’il agissait en tant que [traduction« représentant public » pour Canada Athletics.

[14]  Bien que Mike lui ait indiqué que Jacob était le propriétaire de Canada Athletics, que ce dernier ait également assisté au salon professionnel et qu’elle l’ait vu parler à plusieurs reprises avec Mike, Mme Malik ne s’est pas adressée à Jacob directement et n’a pas essayé de lui parler au salon professionnel. Elle n’a discuté qu’avec Mike.

[15]  Mme Malik a cru comprendre que Mike lui parlait au nom des demandeurs, Canada Athletics et M. Chai Benchmuel.

[16]  Mme Malik indique dans son affidavit que Mike l’a informée durant leurs échanges des 30 et 31 janvier qu’il serait mis fin au litige si les défendeurs acceptaient de cesser de vendre les produits contrefaits, de détruire tous ceux qui se trouvaient alors en leur possession et de signer une lettre confirmant formellement qu’ils ne vendraient plus de tels produits [les conditions du règlement].

[17]  Mme Malik affirme avoir immédiatement accepté ces conditions que lui aurait proposées Mike. Elle ajoute qu’elle lui a demandé comment mettre formellement l’entente de règlement par écrit, ce à quoi Mike lui aurait répondu que l’avocat des demandeurs s’en chargerait. À aucun moment Mme Malik n’a pris la peine de coucher par écrit les prétendues conditions de règlement, qui étaient pourtant très favorables aux défendeurs par rapport à la demande introductive d’instance, puisqu’elles ne prévoyaient aucune forme de compensation financière, et elle n’a pas pris la moindre mesure pour donner un caractère officiel à l’entente de règlement censée avoir été conclue.

[18]  Mme Malik n’a fourni ni lettre, ni courriel, ni liste d’appels téléphoniques, ni note personnelle concernant les prétendues conditions du règlement.

[19]  Mme Malik affirme en outre qu’après avoir détruit les produits contrefaits au début de février 2017, elle a effectué un suivi auprès de l’avocat des demandeurs et de Mike [traduction« à plusieurs reprises pour savoir où en était l’officialisation de l’entente ». Elle n’a fourni aucun élément de preuve concernant de telles communications ou les dates précises auxquelles elles sont censées avoir eu lieu.

[20]  À ce qu’affirme Mme Malik, Mike l’aurait informée durant leur conversation qu’il n’était plus nécessaire qu’elle assiste à l’audition de l’avis de requête du 3 février 2017.

[21]  Le 30 janvier 2017, Mme Malik a contacté un avocat externe, mais n’a pas retenu ses services puisqu’elle croyait que l’action avait été réglée. Le même jour, une parajuriste du cabinet d’avocats qu’elle avait contacté lui a indiqué par courriel qu’elle avait été informée le matin du 30 janvier par le greffe de la Cour fédérale qu’en date de ce matin‑là, aucune audience n’avait été [traduction« fixée » pour le 3 février 2017 relativement à ce dossier.

[22]  Mme Malik a expliqué qu’elle avait eu [traduction« l’impression », compte tenu de ses conversations avec Mike, des prétendues conditions du règlement et des renseignements communiqués par la Cour fédérale concernant l’audition de l’avis de requête, que l’action des demandeurs avait été réglée et qu’il n’était pas nécessaire que les défendeurs assistent à l’audience du 3 février 2017.

[23]  À ce qu’elle affirme, Mme Malik est allée à ses magasins le 4 février 2017, après que le salon professionnel eut pris fin, et conformément aux prétendues conditions du règlement, telles qu’elle les avait comprises, elle a personnellement retiré les produits contrefaits des deux magasins, et ceux-ci ont été détruits environ une semaine plus tard. À ce moment‑là, elle n’avait reçu aucune confirmation de la part des demandeurs concernant les prétendues conditions du règlement.

[24]  Mme Malik prétend qu’elle attendait incessamment que les demandeurs ou que leur avocat la contactent au sujet du règlement qu’ils avaient conclu, suivant son impression.

[25]  M. Ghader, un tiers témoin qui a assisté au salon professionnel, a également signé un affidavit à l’appui de la requête, dans lequel il déclare avoir été témoin des conversations entre Mme Malik et Mike les 30 et 31 janvier 2017 concernant les négociations et les prétendues conditions de règlement. Il se trouve que M. Ghader est un concurrent de Canada Athletics.

[26]  En dehors de ce qu’elle déclare dans son affidavit et de l’affidavit de M. Ghader, Mme Malik n’a fourni aucun élément de preuve relativement aux communications (courriels, lettres, listes d’appels ou autres) ou aux tentatives de communication avec Mike, ou quelque autre représentant des demandeurs ou leur avocat après le 31 janvier 2017.

[27]  Mme Malik et les défendeurs ont pris connaissance du jugement le 7 avril 2017, après quoi Mme Malik a contacté Mike, qui l’a mise en rapport avec l’avocat des demandeurs. Ce n’est que le 2 mai 2017 que Mme Malik a estimé qu’il était improbable que le jugement ait été rendu par erreur et qu’elle a retenu les services d’un avocat externe pour la représenter ainsi que les autres défendeurs dans la présente affaire.

[28]  Dans trois affidavits distincts déposés en réponse à la requête, les demandeurs nient avoir négocié un règlement ou convenu de ses conditions avec Mme Malik. Dans leur affidavit respectif, Mike et Jacob déclarent solennellement qu’ils n’étaient pas habilités à représenter les demandeurs, M. Chai Benchmuel ou Canada Athletics, en vue d’une entente de règlement avec les défendeurs, étant donné que Canada Athletics ne leur appartient pas. Mike déclare par ailleurs qu’il n’est que le représentant des ventes de Canada Athletics, qu’il n’a pas négocié de règlement avec Mme Malik, qu’il n’a jamais convenu de conditions de règlement, et qu’il n’avait aucune raison de parler de l’action avec un concurrent comme M. Ghader. Jacob a déclaré qu’il était le vice‑président des ventes de Canada Athletics, qu’il n’était pas habilité à prendre des décisions pour cette compagnie, qu’il ne s’est jamais entretenu avec Mme Malik, et que ni lui ni Mike n’avaient négocié de règlement avec elle.

[29]  Mme Antonia Varuzza, l’unique actionnaire et directrice de Canada Athletics, a soumis un affidavit indiquant qu’elle n’a jamais été contactée par l’un des défendeurs concernant un règlement, et qu’elle n’a autorisé personne à discuter en son nom d’un règlement avec eux.

[30]  Les demandeurs ont également déposé un affidavit signé par l’huissier, le 31 janvier 2017, immédiatement après l’exécution de l’ordonnance, et dans lequel ce dernier décrit les mesures qu’il a prises pour la faire exécuter, la présence des produits contrefaits dans les magasins des défendeurs, et ses tentatives infructueuses de communication avec Mme Malik et M. Malik.

III.  Analyse

[31]  Aux termes du paragraphe 399(1) des Règles, la Cour peut, sur requête, annuler une ordonnance rendue ex parte si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû l’être. Cela vaut également pour les jugements par défaut.

[32]  Les parties s’entendent sur le critère applicable à une requête en annulation d’un jugement par défaut. Comme l’ont déclaré respectivement la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Babis (Domenic Pub) c Premium Sports Broadcasting Inc, 2013 CAF 288, aux paragraphes 5 et 6, et la Cour dans des décisions telles que Setanta Sports Canada Ltd c Gentile Entreprises Inc, 2011 CF 64 [Setanta], aux paragraphes 4 et 5, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c 654163 Ontario Ltd, 2010 CF 905, au paragraphe 19, Louis Vuitton Malletier SA c Yang (faisant affaires sous le nom K2 Fashions), 2008 CF 45, au paragraphe 4, SEI Industries Ltd c Terratank Environmental Group, 2006 CF 218 [SEI], au paragraphe 4, et Brilliant Trading Inc c Wong, 2005 CF 571 [Brilliant], au paragraphe 8, il s’agit d’examiner les questions suivantes :

  • Le défendeur a‑t‑il une explication raisonnable qui justifie son omission de déposer une défense?

  • A‑t‑il une défense prima facie sur le fond à opposer à la demande du demandeur?

  • A‑t‑il agi dans un délai raisonnable pour présenter sa requête?

[33]  Les trois éléments du critère sont conjonctifs. Autrement dit, pour que leur requête soit accueillie, les défendeurs doivent me convaincre qu’ils ont satisfait aux trois parties du critère (Contour Optik Inc c E'lite Optik, Inc, 2001 CFPI 1431 [Optik], au paragraphe 4). S’il n’est pas satisfait à l’un de ces trois éléments, cela suffit pour rejeter la requête.

[34]  Pour les motifs qui suivent, et compte tenu du dossier dont je dispose, je ne suis pas convaincu que les défendeurs ont satisfait au premier élément du critère et qu’ils ont établi l’existence d’une « explication raisonnable » justifiant leur omission de déposer une défense. En l’espèce, je ne suis pas convaincu que les défendeurs se sont acquittés de leur fardeau et qu’ils ont fourni une explication pouvant être qualifiée de raisonnable. À l’audience, leur avocat a habilement tenté de me convaincre que les défendeurs avaient agi de bonne foi et qu’ils ne s’étaient pas conformés aux règles de la Cour parce que Mme Malik avait eu « l’impression » qu’un règlement hors cour était intervenu avec les demandeurs. Malheureusement, j’estime que la preuve dont je dispose ne permet pas de conclure que cela constitue une « explication raisonnable » dans la présente affaire.

[35]  Au moment d’examiner la preuve qui m’a été soumise dans le cadre de la présente requête, et pour déterminer si les défendeurs se sont acquittés de leur fardeau, je me laisse guider par les principes établis dans l’arrêt FH c McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], où la Cour suprême a statué qu’il n’existait qu’une seule norme de preuve civile au Canada : la prépondérance des probabilités. S’exprimant dans un jugement unanime, le juge Rothstein a déclaré dans ses motifs que la seule règle juridique applicable à toutes les affaires civiles est que « le juge du procès doit examiner la preuve attentivement » et que « la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités » (McDougall, aux paragraphes 45 et 46).

[36]  Je reconnais que des pourparlers en vue d’un règlement ou même l’impression qu’un règlement a été conclu peuvent, dans certaines circonstances et sur la foi des éléments de preuve requis, constituer une explication raisonnable justifiant l’omission d’avoir déposé une défense. Cependant, dans les circonstances de la présente affaire et compte tenu de la preuve fournie par les défendeurs, je ne suis pas convaincu que l’impression de Mme Malik d’après laquelle un règlement avait été conclu peut être tenue pour une « excuse satisfaisante », une « explication raisonnable », ou des « motifs impérieux » justifiant de ne pas avoir déposé de défense en réponse à l’action des demandeurs (Optik, au paragraphe 4). Pour faire écho aux propos du juge Zinn dans la décision Setanta, je souscris au raisonnement tenu par le juge Gibson dans Brilliant : « Bien qu’il soit en principe raisonnable que la Cour prenne en considération tous les éléments de l’affaire et fasse preuve de souplesse plutôt que de priver une partie du droit de produire une défense […] ce principe est restreint par l’élément du critère concernant les ‘motifs impérieux’, l’‘excuse satisfaisante’ ou l’‘explication raisonnable’ » (Brilliant, au paragraphe 13; Setanta, au paragraphe 11). Comme l’a noté le juge Zinn, dans certaines décisions, la Cour a qualifié l’inaction du défendeur d’« aveuglement volontaire » (comme dans Brilliant, au paragraphe 12), ou estimé que son comportement dénotait une « désinvolture à l’égard des documents juridiques » (comme dans SEI, au paragraphe 11). Dans ces affaires, le redressement demandé n’a pas été accordé, car l’explication offerte n’a pas été jugée raisonnable.

[37]  C’est la situation qui prévaut en l’espèce. À mon avis, compte tenu du dossier dont je dispose, les actes de Mme Malik et des défendeurs témoignent à la fois d’un aveuglement volontaire et d’une grave désinvolture à l’égard des documents juridiques.

[38]  Parce qu’elle avait [traduction« l’impression » que l’affaire avait été réglée, alors que les demandeurs ne l’avaient pas confirmé, Mme Malik a estimé, à ses risques et périls, que l’action n’était pas assez importante pour qu’elle se donne la peine de se faire représenter par un avocat et d’engager cette dépense. À mon avis, un tel comportement était manifestement indéfendable et déraisonnable dans les circonstances.

[39]  Bien qu’elle affirme qu’un règlement a été conclu et que des conditions de règlement spécifiques (éminemment favorables aux défendeurs) ont été convenues, il est révélateur que Mme Malik n’a produit aucune preuve documentaire établissant l’existence de ces prétendues conditions ou l’assentiment d’un représentant autorisé des demandeurs. Elle n’a pas prouvé non plus qu’elle avait pris elle‑même des mesures pour confirmer et finaliser l’entente.

[40]  Dans la présente affaire, la preuve dont je dispose révèle que :

  • Mme Malik ne détient pas un seul document (courriel, lettre, liste d’appel, note interne ou autre) à même de prouver la négociation d’un règlement avec les demandeurs;

  • Les discussions en vue d’un règlement que Mme Malik prétend avoir eues avec Mike ne sont étayées que par sa propre déclaration et par l’affidavit de M. Ghader, mais elles sont catégoriquement démenties par les affidavits de Mike, de Jacob et de la seule représentante autorisée de Canada Athletics;

  • En dehors de son affidavit et de la déclaration corroborante de M. Ghader, un concurrent avec lequel les demandeurs n’avaient aucune raison d’évoquer le règlement de leur action, Mme Malik n’avance aucun élément de preuve susceptible de confirmer qu’un règlement avait été conclu ou que les prétendues conditions avaient été convenues;

  • La représentante autorisée de Canada Athletics, Mme Antonia Varuzza, nie avoir négocié un règlement, ou avoir autorisé quiconque à négocier un règlement en son nom avec Mme Malik;

  • À aucun moment, Mme Malik n’a essayé de vérifier qui était le représentant autorisé des demandeurs et si les personnes avec qui elle discutait du prétendu règlement étaient habilitées à régler l’affaire;

  • Après que les défendeurs se sont vu signifier l’ordonnance et ont pris connaissance de la demande introductive d’instance, ni Mme Malik ni M. Malik n’ont jamais contacté l’huissier, un officier de justice, bien qu’il ait essayé plusieurs fois de les joindre, et ne l’ont jamais rappelé;

  • En dehors de sa propre déclaration non corroborée, nous ne disposons pas du moindre élément de preuve (courriel, lettre, facture de téléphone, note interne ou autre) établissant que Mme Malik ait tenté de contacter un représentant des demandeurs ou leur avocat après le 31 janvier 2017 concernant les prétendus règlement et conditions. Je note que les coordonnées de l’avocat des demandeurs figuraient dans les documents judiciaires reçus par les défendeurs, le 20 janvier 2017, et que les renseignements concernant Canada Athletics et son représentant étaient faciles à obtenir par le biais de documents publics;

  • Mme Malik n’a jamais cherché à discuter directement avec Jacob du règlement et de ses conditions, alors qu’il était présent au salon professionnel les deux jours où elle prétend avoir parlé à Mike et qu’elle avait été informée que Jacob, et non Mike, était propriétaire de Canada Athletics;

  • Les prétendues conditions du règlement défient toute logique et toute explication rationnelle. Elles font totalement abstraction des trois principaux éléments et conclusions sollicités par les demandeurs dans la demande introductive d’instance, à savoir les dommages‑intérêts compensatoires, les dommages‑intérêts punitifs et exemplaires, et les dépens. Les prétendues conditions du règlement supposent donc que les demandeurs aient renoncé à toutes leurs demandes de dommages‑intérêts et à toute compensation financière relativement aux dommages subis et aux dépenses engagées pour introduire leur action en justice, et obtenir et exécuter l’ordonnance. Par ailleurs, les prétendues conditions du règlement incluent aussi la destruction des produits contrefaits, ce qui enfreint directement l’ordonnance et les obligations de conservation des défendeurs, et implique que les demandeurs ont accepté une violation de l’ordonnance qu’ils ont demandée et que la Cour a rendue pour protéger leur droit d’auteur;

  • Ce que Mme Malik appelle les soi-disant conditions du règlement correspond en réalité au fait que les défendeurs ont partiellement respecté l’ordonnance environ deux semaines après qu’elle leur a été signifiée avec les documents judiciaires, le 20 janvier 2017, et donc après l’avoir ignorée;

  • Comme l’ordonnance était en vigueur depuis le 20 janvier 2017, il n’était pas nécessaire que les demandeurs obtiennent, autour du 30 ou du 31 janvier 2017, que Mme Malik s’engage par écrit à cesser d’utiliser les dessins et de vendre les produits contrefaits, puisque l’ordonnance imposait déjà ces exigences aux défendeurs.

[41]  J’accorde peu de poids à l’affidavit de M. Ghader, puisqu’il me paraît très peu plausible qu’un concurrent des demandeurs ait pu servir d’intermédiaire pour lancer des discussions en vue d’un règlement entre eux et Mme Malik, relativement à une affaire qui ne le concernait en rien. Mike a d’ailleurs nié dans son affidavit avoir eu la moindre raison d’envisager ce type de discussions avec M. Ghader.

[42]  J’estime qu’aucun entrepreneur raisonnable n’aurait l’impression qu’un règlement a été conclu avec un individu dont il n’est pas confirmé qu’il est un représentant autorisé de l’autre partie intéressée, ou encore qu’il ne dédaignerait de vérifier si l’individu avec lequel les négociations de règlement sont apparemment engagées est autorisé à s’exprimer au nom des demandeurs.

[43]  Aucun entrepreneur raisonnable désigné comme défendeur dans une instance judiciaire, et à qui l’ordonnance et la demande introductive d’instance auraient été signifiées, n’aurait l’impression qu’un règlement a été conclu avec les demandeurs en l’absence de la moindre trace écrite d’un tel accord, contemporaine des négociations de règlement, ou même d’une note personnelle confirmant le contenu des prétendues conditions de règlement.

[44]  Aucun entrepreneur raisonnable n’aurait l’impression qu’un règlement a été conclu si, ayant été informé de la présence d’un individu décrit comme le propriétaire des demandeurs, il n’essaye même pas d’aller lui parler.

[45]  Aucun entrepreneur raisonnable qui prétend avoir eu l’impression qu’un règlement a été conclu n’omettrait de confirmer rapidement les conditions d’un tel règlement par écrit, surtout lorsqu’elles lui sont particulièrement favorables, qu’elles laissent de côté une grande partie des allégations que les demandeurs ont fait valoir contre lui, et qu’elles ne font état d’aucune compensation financière relativement aux dommages‑intérêts et aux dépens réclamés dans le cadre de l’action. Contrairement à ce qu’a fait Mme Malik, un entrepreneur raisonnable à qui l’on propose de régler l’instance visée par la demande sans la moindre contrepartie financière prendrait plutôt rapidement des mesures pour finaliser et consolider un tel règlement. Pour que l’explication de Mme Malik, à savoir que les demandeurs ont accepté un règlement si incompatible avec la teneur de leur demande introductive d’instance et si étranger à leur demande fondamentale en matière de dommages‑intérêts, soit jugée « raisonnable », il aurait fallu plus qu’une simple déclaration de sa part en ce sens.

[46]  Aucun entrepreneur raisonnable n’aurait l’impression qu’un règlement a été conclu lorsque les conditions soi-disant convenues impliquent que les demandeurs acquiescent à une violation directe de l’ordonnance qu’ils avaient obtenue moins de deux semaines auparavant, sans que ceux-ci ne confirment par écrit qu’ils consentaient à cette violation.

[47]  Aucun entrepreneur raisonnable n’aurait l’impression qu’un règlement a été conclu sans même tenter de confirmer ce règlement et ses conditions avec l’avocat des demandeurs, alors que ces derniers avaient déjà obtenu l’ordonnance rendue par la Cour, et que le nom et les coordonnées de cet avocat figuraient sur les documents judiciaires.

[48]  La croyance subjective de Mme Malik concernant l’existence d’une entente de règlement, non corroborée par la preuve documentaire, contredite par les demandeurs, et prétendument assortie de conditions contraires à la logique et inconciliables avec un comportement rationnel de la part des demandeurs, ne constitue pas à mon avis une « explication raisonnable ». Les actes de Mme Malik ne correspondent pas à ce que l’on peut raisonnablement attendre d’une entrepreneure à qui la demande introductive d’instance et l’ordonnance auraient été signifiées, et qui aurait eu des motifs raisonnables de croire qu’elle n’avait pas à déposer de défense parce qu’un règlement avait été conclu.

[49]  Compte tenu du dossier dont je dispose, les actes et le comportement par lesquels les défendeurs ont répondu à la poursuite des demandeurs ne constituent pas une « explication raisonnable » justifiant leur omission de déposer une défense. Leur comportement témoigne plutôt d’un aveuglement volontaire ou d’un défaut d’accorder l’attention nécessaire à des documents juridiques (SEI, au paragraphe 15). Ils ont fait preuve de désinvolture à l’égard de documents juridiques et du processus judiciaire, et ces circonstances ne me paraissent pas mériter l’indulgence de la Cour.

[50]  Une explication « raisonnable » suggère l’idée d’une explication rationnelle, logique, fondée sur un jugement sûr, et donc équitable et pratique. J’estime que l’explication offerte par Mme Malik ne présente aucun de ces attributs. L’impression qu’un règlement a été conclu, reposant sur un fondement si léger et qu’aucun acte ou document tangible n’est venu étayer, ne peut être tenue pour une explication raisonnable justifiant d’être soustrait à un jugement par défaut.

[51]  Je reconnais que les défendeurs se retrouvent aujourd’hui en mauvaise posture, mais à mon avis, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux‑mêmes. Ils n’ont pris aucune mesure raisonnable dans la présente affaire avant d’avoir reçu le jugement.

[52]  L’avocat des défendeurs a abondamment cité la décision Ross c Dickson, 1981 CarswellAlta 365 (ABQB) dans ses observations orales, mais je note que cette décision ne présente pas tout le contexte factuel et toute la preuve dont la Cour disposait dans cette affaire. J’estime que les circonstances particulières et le contexte factuel inhabituel de la présente affaire suffisent pour l’écarter. En l’espèce, les souvenirs de Mme Malik relatifs aux négociations de règlement sont catégoriquement démentis et directement contredits par trois affidavits déposés au nom des demandeurs. Par ailleurs, ses allégations concernant les prétendues conditions de règlement ne sont étayées par aucun élément de preuve documentaire; le dossier indique que Mme Malik ne s’est jamais entretenue avec un représentant autorisé des demandeurs (elle n’a même pas pris la peine de clarifier ce point), Mike n’était pas un porte‑parole dûment autorisé des demandeurs, et les prétendues conditions de règlement alléguées ignorent des éléments cruciaux de la demande introductive d’instance en l’absence de toute explication logique.

[53]  Pour que l’impression qu’un règlement a été conclu constitue une « explication raisonnable » justifiant l’omission de déposer une défense, il me semble que le défendeur doit à tout le moins faire la preuve que les discussions en vue du règlement se sont déroulées avec les bons représentants des demandeurs, que des efforts minimaux ont été faits pour confirmer cet élément, et que les défendeurs ont pris des mesures pour concrétiser et fixer l’entente dont les conditions leur étaient éminemment favorables. C’est particulièrement vrai lorsque les défendeurs disposent de tous les renseignements nécessaires concernant l’avocat des demandeurs et qu’une ordonnance a déjà été délivrée.

[54]  Pour tous ces motifs, je ne suis pas convaincu que les défendeurs ont offert à la Cour une explication raisonnable quant à leur omission de déposer une défense ni qu’il n’existe quelque motif justifiant que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire en leur faveur. Il incombait aux défendeurs de démontrer qu’une « excuse satisfaisante », une « explication raisonnable » ou des « motifs impérieux » justifiaient qu’ils aient omis de déposer une défense, mais ils ne l’ont pas fait.

[55]  Il a été suggéré que les défendeurs ne sont pas des gens d’affaires avisés, que leur défense à l’action est valide, et que les intérêts de la justice exigent que le jugement soit annulé pour qu’ils puissent opposer une défense aux allégations. Même si l’on était enclin à admettre qu’une personne simple peut naïvement s’imaginer qu’il n’est pas nécessaire de répondre à une ordonnance de la Cour, à une demande introductive d’instance et aux appels laissés par un officier de la justice comme l’huissier, ni de les prendre au sérieux, j’estime que les défendeurs n’ont pas fourni d’explication raisonnable dans les circonstances de la présente affaire.

[56]  J’ajouterais que la loi est la même pour tous les plaideurs et qu’elle ne change pas parce qu’une partie à un litige décide d’agir pour son propre compte et de ne pas retenir les services d’un avocat (Cotirta c Missinnipi Airways, 2012 CF 1262, au paragraphe 13, conf. par 2013 CAF 280). Le fait de ne pas être représentée par avocat ne soustrait pas une partie à un litige à l’application de la loi. Le fait de ne pas recevoir d’avis juridiques professionnels ne justifie pas le défaut de se conformer aux Règles.

[57]  Exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur des défendeurs dans les circonstances de la présente affaire m’obligerait à ignorer non seulement le critère formulé par la Cour d’appel fédérale et la Cour relativement à l’annulation d’un jugement par défaut, mais aussi qu’il n’y avait aucune preuve suffisamment claire, pertinente et convaincante pour étayer une « explication raisonnable » justifiant l’omission des défendeurs de déposer une défense. Je ne peux me résoudre à le faire. La primauté du droit repose sur les principes cardinaux de la certitude et de la prévisibilité. Tout exercice d’un pouvoir discrétionnaire doit trouver sa source dans la loi et les faits sous‑jacents, et il ne peut être approprié ou judicieux s’il autorise à contrevenir au droit applicable.

[58]  Les défendeurs se sont montrés désinvoltes à l’égard des documents de procédure qui ont été déposés et qui leur ont été signifiés, et ils ont continué à ignorer l’ordonnance au moins jusqu’au jour où Mme Malik a décidé de détruire les produits contrefaits, soi‑disant en accord avec les prétendues conditions de règlement convenues avec les demandeurs, mais en violation directe de l’ordonnance. Je conviens avec l’avocat des demandeurs qu’au vu de l’indifférence totale des défendeurs à l’égard de l’ordonnance au moins jusqu’au premier jour de février 2017, ses clients n’avaient aucune raison de négocier ni de conclure une entente de règlement avec Mme Malik le 30 ou le 31 janvier 2017.

[59]  Je reconnais que les demandeurs ont agi très rapidement pour obtenir le jugement, ce qui ne laissait que peu de temps aux défendeurs pour déposer leur défense. Or, ils ont agi dans les limites de la loi et conformément à ce qu’autorisent les Règles. On ne peut le leur reprocher. Je remarque que les défendeurs ne se sont pas montrés disposer à coopérer, n’ont pas pris la peine de répondre à l’huissier ni de le contacter au sujet de l’ordonnance, et qu’ils ont enfreint celle-ci au moins jusqu’au premier jour de février 2017. Dans les circonstances, il me paraît compréhensible que les demandeurs aient rapidement exercé leur droit d’obtenir un jugement par défaut.

IV.  Conclusion

[60]  Le défaut de satisfaire au premier élément du critère est fatal à la requête des défendeurs, puisque les trois éléments du critère sont conjonctifs. Il n’est donc pas nécessaire d’évaluer la défense sur le fond ni de déterminer si les défendeurs ont agi dans un délai raisonnable pour soumettre leur requête. Pour les motifs détaillés ci‑dessus, la requête des défendeurs est rejetée, et les demandeurs ont droit aux dépens que je fixe à 1 800 $, ce qui comprend les frais, débours et taxes.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER No T-60-17

LA COUR ORDONNE que la requête des défendeurs visant à obtenir une ordonnance annulant le jugement par défaut que les demandeurs ont obtenu contre eux le 3 mars 2017 soit rejetée; les défendeurs devront verser aux demandeurs les dépens fixés à 1 800 $, ce qui comprend les frais, débours et taxes.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-60-17

 

INTITULÉ :

CHAI BENCHMUEL et 9303‑0484 QUÉBEC INC. S/N CANADA ATHLETICS c GAGS N GIGGLES, FUNNTEES SPORTS AND GIFTS, SALEEM MALIK et NINA MALIK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUILLET 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE :

LE 25 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Audi Gozlan

 

POUR LES DEMANDEURS

Erin Creber

 

POUR Les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Audi Gozlan, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

MBM Intellectual Property Law LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR Les défendeurs

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.