Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170804


Dossier : IMM-5283-16

Référence : 2017 CF 757

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

PARMJIT KAUR

KARTAR SINGH

JASHANPREET SINGH

HARMANPREET KAUR

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, Mme Parmjit Kaur, son époux M. Kartar Singh, et leurs deux enfants mineurs, Jashanpreet et Harmanpreet, sont des citoyens indiens. Mme Kaur est arrivée au Canada avec ses deux enfants en avril 2009, et M. Singh a suivi plus de 30 mois plus tard, en décembre 2011. Ils ont tous demandé l’asile à leur arrivée, mais leurs demandes d’asile ont été rejetées en novembre 2011 et en mars 2016, respectivement.

[2]  Au début du mois de mai 2016, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a rencontré Mme Kaur et ses enfants, et les a informés qu’ils devaient quitter le Canada avant la fin du mois de juin 2016. Peu après, Harmanpreet, qui avait 12 ans à l’époque, a commencé à souffrir de crises d’angoisse. Elle a tenté à deux reprises de se suicider. Elle répétait qu’elle préférerait mourir plutôt que de retourner en Inde et être encore une fois séparée de son père.

[3]  Le 10 mai 2016, les demandeurs ont sollicité le statut de résident permanent conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Cette disposition accorde au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté le pouvoir discrétionnaire de soustraire les étrangers aux conditions habituelles de la LIPR s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, le justifient. En novembre 2016, un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande CH des demandeurs, estimant qu’ils n’avaient pas démontré que leur situation personnelle justifiait l’octroi d’une exemption discrétionnaire fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [décision].

[4]  Les demandeurs sollicitent aujourd’hui le contrôle judiciaire de la décision. Ils soutiennent que les conclusions de l’agent sont déraisonnables pour trois raisons. Premièrement, l’agent n’a pas appliqué les bons critères juridiques et a adopté une approche trop étroite dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants touchés, en particulier Harmanpreet; deuxièmement, l’agent a commis une erreur en évaluant le degré d’établissement des demandeurs au Canada et en concluant que cet établissement était insuffisant et minime; troisièmement, plusieurs des conclusions de l’agent relèvent de la pure conjecture. Les demandeurs demandent donc à la Cour d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner qu’un autre agent d’immigration réexamine leur demande de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[5]  La seule question à trancher est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[6]  Pour les motifs qui suivent, et malgré la sympathie que le cas d’Harmanpreet ne peut que susciter, je dois néanmoins rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Compte tenu des conclusions de l’agent, de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable, je ne vois aucune raison d’infirmer la décision, que ce soit quant à l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, au degré d’établissement des demandeurs au Canada ou aux diverses conclusions tirées par l’agent dans le cadre de l’appréciation des facteurs d’ordre humanitaire en jeu. La décision reprend de façon exhaustive les éléments de preuve présentés quant à chacun de ces aspects et les conclusions de l’agent appartiennent aux issues possibles et acceptables, compte tenu des faits et du droit. Il n’existe aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

II.  Contexte

A.  La décision

[7]  Dans sa décision qui est assez détaillée et rédigée en français [1] , l’agent commence par résumer l’historique d’immigration des demandeurs avant d’examiner les trois principaux arguments présentés par ces derniers pour démontrer que des considérations d’ordre humanitaire justifient l’octroi de la résidence permanente au Canada. Ces arguments touchaient au degré d’établissement de la famille au Canada, aux conditions défavorables en Inde et à l’intérêt supérieur des enfants.

(1)  L’établissement au Canada

[8]  L’agent a tout d’abord examiné le degré d’établissement des demandeurs au Canada. Pour ce qui est de l’établissement sur le plan professionnel, Mme Kaur a mentionné qu’elle avait été sans emploi jusqu’en 2015, mais qu’elle était maintenant propriétaire d’une société de transport, ainsi que d’une boutique de mode. L’agent a admis qu’elle était propriétaire d’une société de transport. Il a toutefois estimé que la preuve était nettement insuffisante pour démontrer que Mme Kaur jouait un rôle réel dans cette société. Pour ce qui est de la boutique de mode, Mme Kaur a uniquement présenté un document émanant d’une compagnie d’assurance qui lui était adressé concernant un magasin, « Fancy Indian Clothing Store ». Étant donné que Mme Kaur n’a présenté aucun autre document, comme une déclaration d’impôt ou un certificat d’enregistrement, l’agent n’a pas été convaincu qu’elle possédait une boutique.

[9]  L’agent a alors examiné le degré d’établissement professionnel de M. Singh au Canada. Il a fait remarquer que M. Singh avait probablement touché des prestations d’aide sociale jusqu’en 2013 et qu’il avait commencé à travailler en 2014. L’agent a également noté que M. Singh avait déclaré un revenu total de 19 000 $ en 2014, ce qui donnait un revenu imposable de 6 000 $.

[10]  Après avoir examiné la preuve, l’agent a conclu que les demandeurs n’étaient pas financièrement autonomes depuis leur arrivée au Canada et qu’ils n’avaient pas prouvé qu’ils étaient capables de subvenir à leurs besoins financiers grâce à leurs revenus, sans recevoir une aide de l’État. Il a ajouté que plusieurs factures présentées en preuve montraient qu’il y avait des comptes impayés. Le degré d’établissement professionnel de Mme Kaur et de M. Singh au Canada a donc fait l’objet d’une conclusion défavorable de la part de l’agent.

[11]  Mme Kaur et M. Singh ont également affirmé être bien intégrés dans leur collectivité, avoir fait du bénévolat et tissé des liens avec de nombreuses personnes au Canada. Ils ont fourni, à l’appui de cette affirmation, une lettre émanant d’un temple sikh ainsi que quelque 29 lettres provenant de diverses connaissances. L’agent n’a accordé aucun poids à cette dernière série de lettres, parce qu’elles étaient toutes formulées de manière semblable, et qu’aucune preuve ne précisait l’identité de leurs auteurs. Enfin, l’agent n’a accordé aucun poids au fait que les demandeurs avaient acheté des biens au Canada et qu’ils n’avaient pas de casier judiciaire, étant donné que toute personne qui demeure au Canada pendant un certain temps doit normalement accumuler des biens et ne pas violer la loi.

[12]  L’agent a finalement conclu que, eu égard à la preuve, le degré d’établissement des demandeurs au Canada et leurs liens avec le pays n’étaient pas importants. Bien qu’ils aient passé plusieurs années au pays, a-t-il conclu, les demandeurs n’étaient en mesure de démontrer qu’un très faible degré d’établissement au Canada, ce qui constituait un facteur défavorable dans l’évaluation globale de la demande CH des demandeurs. Le caractère limité des liens que les demandeurs entretenaient avec le Canada ne leur poserait donc pas beaucoup de difficultés s’ils étaient renvoyés en Inde.

(2)  Les conditions défavorables en Inde

[13]  Pour ce qui est du deuxième motif CH, les demandeurs affirment qu’ils seraient persécutés s’ils étaient obligés de retourner en Inde. L’agent a toutefois noté que leurs demandes d’asile, qui étaient fondées sur la même crainte, avaient été jugées non crédibles par les autorités d’immigration canadiennes et qu’elles avaient été rejetées.

[14]  L’agent a reconnu qu’il y avait de la pauvreté en Inde, mais il a estimé que le seul fait que le Canada se trouve dans une meilleure situation économique ne justifiait pas l'acceptation de la demande CH. En outre, l’agent a fait remarquer que le taux de chômage était plus faible en Inde qu’au Canada et qu’il n’y avait aucune raison pour que Mme Kaur et M. Singh ne trouvent pas du travail en Inde après leur retour.

[15]  Étant donné que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils connaîtraient des difficultés attribuables aux conditions défavorables en Inde s’ils y retournaient, qu’ils avaient passé la plus grande partie de leur vie en Inde et qu’ils parlaient le pendjabi, l’anglais et le français, l’agent a décidé qu’il ne devait accorder aucun poids à ce facteur dans son évaluation.

(3)  L’intérêt supérieur des enfants

[16]  L’agent a formulé dans sa décision des commentaires particulièrement nombreux et détaillés au sujet de l’intérêt supérieur des deux enfants, Jashanpreet et Harmanpreet. Sur ce point, l’agent a d’abord admis qu’ils fréquentaient tous les deux l’école au Canada, qu’ils avaient de bons résultats scolaires, qu’ils étaient bien intégrés et qu’ils étaient appréciés de leurs professeurs.

[17]  Mme Kaur a prétendu que ses enfants seraient confrontés à une pauvreté extrême s’ils retournaient en Inde, mais l’agent a estimé qu’elle n’avait pas réussi à prouver ce qu’elle avançait. Le fait que le niveau de vie général soit plus élevé au Canada qu’en Inde n’a pas été considéré comme un élément suffisant pour faire droit à la demande CH. L’agent a également mentionné que la langue maternelle des enfants était le pendjabi, ce qui devrait faciliter leur réinsertion en Inde.

[18]  L’agent a alors examiné l’état psychologique fragile d’Harmanpreet. L’agent savait qu’Harmanpreet avait fait deux tentatives de suicide lorsqu’elle avait appris par l’ASFC que sa mère, son frère et elle devaient quitter le Canada. Après cela, Harmanpreet a dû être prise en charge par les services provinciaux de protection de l’enfance. L’idée d’être renvoyée en Inde et séparée de son père était insupportable pour Harmanpreet. L’agent a fait référence à des lettres émanant de psychologues et à des rapports provenant des services de protection de l’enfance. Il a constaté que, depuis ces événements, Harmanpreet avait bénéficié d’un suivi psychologique et qu’elle et sa famille avaient accepté l’aide qui leur était offerte.

[19]  L’agent a mentionné que Mme Kaur savait qu’elle devrait retourner un jour en Inde (puisqu’elle n’avait pas de statut), mais qu’il était vraisemblable qu’Harmanpreet n’avait pris connaissance de la situation que lorsque l’ASFC avait rencontré sa mère, son frère et elle et que son représentant leur avait dit qu’ils devaient quitter le pays, ce qui pourrait expliquer sa réaction extrême. L’agent a toutefois noté que la situation avait évolué depuis le rapport du psychologue et qu’il était très probable qu’Harmanpreet ne serait pas séparée de son père si la demande CH était rejetée et qu’elle devait retourner en Inde. Étant donné que M. Singh n’avait aucun statut au Canada, sa demande d’asile ayant été rejetée, l’agent a estimé qu’il était raisonnable de croire que M. Singh retournerait en Inde avec sa femme et ses enfants. En outre, l’agent a estimé que le suivi psychologique dont Harmanpreet avait bénéficié l’avait manifestement aidée à s’adapter à la situation et qu’elle aurait le temps de s’habituer à l’idée de partir. L’agent a également expliqué que, puisque le statut de résident temporaire de Mme Kaur et de ses enfants était valide jusqu’à la fin du mois d’août 2017, les demandeurs pouvaient choisir le moment approprié pour quitter le Canada et ainsi limiter les conséquences de ce départ pour Harmanpreet.

[20]  L’agent a conclu que l’intérêt supérieur des enfants était de demeurer au Canada avec leurs deux parents, comme c’est généralement le cas lorsque les enfants ont passé la plus grande partie de leur vie consciente au Canada. L’agent a conclu que, s’ils retournaient en Inde, ils auraient probablement au début quelques difficultés à s’adapter à leur nouvelle vie, mais qu’ils finiraient par s’adapter à leur nouveau pays.

[21]  L’agent a conclu que les répercussions du renvoi seraient importantes pour les deux enfants, en particulier pour Harmanpreet. Il a, par conséquent, accordé un poids important à ce facteur dans son évaluation globale de la demande CH. Il a estimé que leur intérêt supérieur serait dans une certaine mesure compromis, mais qu’il le serait surtout à court terme, pendant la période d’adaptation. Même si l’agent a mentionné que c’était là un facteur important, il a conclu que, dans la présente affaire, l’intérêt supérieur des enfants n’était pas un élément déterminant, ni un élément suffisant pour accorder le redressement demandé malgré les autres aspects du dossier. Pour parvenir à cette conclusion, l’agent a tenu compte du fait que les enfants ne seraient pas séparés de leurs parents, qu’ils parlent le pendjabi et l’anglais, qu’ils sont relativement jeunes (ce qui facilitera leur intégration) et qu’ils ont des membres de leur famille élargie en Inde, alors qu’ils n’en ont pas au Canada.

(4)  Conclusion et appréciation des facteurs

[22]  Dans sa conclusion, l’agent a réaffirmé que Mme Kaur et M. Singh avaient un degré d’établissement minime au Canada et qu’ils n’avaient pas réussi à démontrer qu’ils étaient capables de subvenir à leurs besoins. Le peu de liens qu’ils avaient tissés avec le Canada a été qualifié par l’agent d’élément négatif dans son évaluation globale de la demande. L’agent a également conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré en quoi les conditions en Inde soulèveraient des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a admis qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils restent au Canada et qu’Harmanpreet serait très probablement bouleversée lorsqu’elle apprendrait que la demande CH est rejetée. L’agent a néanmoins affirmé que la famille pourrait quitter ensemble le Canada et que les parents pourraient choisir le meilleur moment pour le faire, de façon à limiter les conséquences de cette décision sur les enfants.

[23]  L’agent a déclaré que l’intérêt supérieur des enfants était certainement un facteur positif, mais que c’était le seul élément positif de la demande des demandeurs, étant donné que l’autre facteur auquel il avait accordé du poids, soit l’établissement au Canada, avait été jugé négatif. L’agent a donc conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne serait pas compromis au point de devenir un facteur déterminant, permettant à lui seul de justifier l’octroi de la résidence pour des motifs d’ordre humanitaire.

B.  La norme de contrôle

[24]  Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable dans l’analyse d’une décision discrétionnaire fondée sur une demande CH, présentée en application du paragraphe 25(1) de la LIPR, est celle de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], au paragraphe 44; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], au paragraphe 62). L’appréciation des motifs d’ordre humanitaire impose aux agents d’immigration d’exercer un pouvoir discrétionnaire et d’appliquer une loi spécialisée à des faits particuliers, ce qui fait appel à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[25]  Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tient principalement à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel et les conclusions du décideur ne doivent pas être modifiées dès lors que la décision appartient « aux issues possibles, acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 47). L’examen du caractère raisonnable des conclusions de fait appelle la retenue et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 [Kanthasamy CAF], au paragraphe 99). Cela vaut en particulier lorsque l’expertise découle de la spécialisation des fonctions des tribunaux administratifs qui appliquent un régime législatif qui leur est familier (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47 [Edmonton], au paragraphe 33). Selon la norme de la raisonnabilité, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et que la décision, étayée par des éléments de preuve acceptables, peut se justifier au regard des faits et du droit, la cour de révision ne doit pas substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 17).

[26]  Cette norme commande la déférence envers le décideur parce qu’elle « favorise l’accès à la justice [en assurant] aux parties un processus décisionnel plus rapide et moins coûteux », et parce que la norme de la décision raisonnable « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière » (Edmonton, aux paragraphes 22 et 33). La Cour suprême a répété à plusieurs reprises que le caractère raisonnable « s’adapte au contexte » et « s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » (Wilson c Énergie atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, au paragraphe 22; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

III.  Analyse

[27]  Bien que les demandeurs avancent trois arguments pour contester la décision, ils invoquent principalement l’évaluation déraisonnable que l’agent a faite de l’intérêt supérieur des enfants touchés, en particulier Harmanpreet. À l’audience devant la Cour, il est apparu clairement que la thèse des demandeurs reposait principalement sur cet aspect puisque l’avocate des demandeurs a axé ses observations sur la preuve concernant la santé mentale et la fragilité d’Harmanpreet.

A.  L’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants était raisonnable

[28]  Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable compte tenu de l’évaluation faite par l’agent de l’intérêt supérieur des deux enfants touchés et des conclusions qu’il a tirées au regard du poids limité qu’il a accordé à ce facteur. Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas respecté les principes exposés dans l’arrêt Kanthasamy et que les motifs n’indiquent pas qu’il a dûment tenu compte de la situation particulière d’Harmanpreet et de ses deux tentatives de suicide. Plus précisément, l’avocate des demandeurs soutient que l’agent a mal appliqué les critères et les approches préconisés dans l’arrêt Kanthasamy et qu’elle a minimisé de façon déraisonnable la situation d’Harmanpreet.

[29]  Je ne suis pas d’accord.

[30]  J’admets sans aucune hésitation que la situation d’Harmanpreet attire la sympathie et, à cet égard, je partage effectivement les préoccupations et inquiétudes exprimées par les demandeurs à son sujet. Je sais aussi que, même si le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » n’est pas décisif quant à l’issue d’une demande CH, c’est néanmoins un facteur extrêmement important (Baker, au paragraphe 75). Je ne suis cependant pas d’accord avec les demandeurs qui soutiennent que, en l’espèce, l’évaluation faite par l’agent de l’intérêt supérieur de Jashanpreet et de Harmanpreet ne tient pas compte des enseignements de l’arrêt Kanthasamy, qu’elle est déraisonnable et qu’elle ne fait pas partie des issues possibles acceptables. J’admets que je n’aurais peut‑être pas tiré la même conclusion que l’agent. Or, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, je n’ai pas à substituer mon opinion à celle de l’agent.

(1)  L’approche applicable aux considérations d’ordre humanitaire

[31]  S’appuyant sur l’arrêt Kanthasamy, les demandeurs prétendent en premier lieu que l’agent a omis d’évaluer et de déterminer si la situation d’Harmanpreet était « de nature à inciter une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne ». Je ne suis pas de cet avis.

[32]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a précisé le critère juridique que les représentants du ministre doivent utiliser pour évaluer les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. Avant cet arrêt, c’est le critère général des difficultés qui s’appliquait même si les tribunaux avaient reconnu que ce n’était pas le seul critère applicable. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a déterminé que la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] DSAI no 1 [Chirwa] présentait un principe directeur important pour l’évaluation des demandes fondées sur des considérations humanitaires. Elle a déclaré que « la série de dispositions ‘d’ordre humanitaire’ formulées en termes généraux dans les différentes lois sur l’immigration avait un objectif commun, à savoir offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont ‘de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne’ : Chirwa, à la page 350 » (Kanthasamy, au paragraphe 21).

[33]  La Cour suprême a reconnu que le critère des difficultés continuait de s’appliquer, ajoutant que l’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a donc une « vocation descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit le par. 25(1) » (Kanthasamy, au paragraphe 33). Ainsi, il ne suffit plus d’examiner les considérations d'ordre humanitaire sous l’angle seul des difficultés, et les agents d’immigration ne doivent plus utiliser les termes « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » si cela a pour effet de limiter leur capacité de prendre en compte et d’examiner toutes les considérations d'ordre humanitaire pertinentes de l’espèce (Kanthasamy, au paragraphe 25).

[34]  Après avoir analysé les motifs de l’agent, je ne suis pas convaincu que la décision ne respecte pas l’approche élaborée dans le jugement Chirwa ou que l’agent a examiné l’affaire sous l’angle limité des difficultés. Il est vrai que, dans sa décision, l’agent n’a pas expressément utilisé les mots « faits […] de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne », mais les agents d’immigration ne sont pas tenus de reprendre explicitement cette formulation pour respecter l’approche de l’arrêt Kanthasamy. Il n’existe aucune formule magique ni aucun terme précis auxquels les agents doivent recourir. Il suffit que la cour de révision estime que l’approche de l’arrêt Kanthasamy ressort des motifs pour qu’elle puisse conclure que le décideur a, dans son analyse, correctement tenu compte non seulement des difficultés, mais de toutes les considérations d'ordre humanitaire pertinentes, considérées dans un sens large.

[35]  J’estime que c’est manifestement le cas en l’espèce. La décision ne contient aucun passage indiquant que l’agent a examiné la question sous l’angle limité des difficultés et qu’il a appliqué un critère juridique erroné. L’agent ne s’est pas engagé dans cette voie étroite que les agents d’immigration sont maintenant tenus d’éviter. Au contraire, pour évaluer la situation des demandeurs, y compris l’intérêt supérieur d’Harmanpreet, il a plutôt adopté l’approche holistique énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy. À mon avis, il ressort de la lecture de la décision que l’agent a fait preuve de compassion et de sensibilité à l’égard des malheurs d’Harmanpreet, et qu’il a tenu compte de plusieurs facteurs d’ordre humanitaire. Je relève que l’agent a manifesté explicitement son empathie pour Harmanpreet (« [j]’éprouve beaucoup d’empathie pour la jeune fille ») et qu’il a fait expressément référence à son état mental fragile, aux difficultés qu’elle rencontrerait probablement en cas de renvoi (« un retour en Inde […] sans doute difficile ») et au contexte de ses tentatives de suicide.

[36]  Les motifs de l’agent ne reflètent pas, à mon avis, l’attitude d’une personne insensible et indifférente aux malheurs des autres, ou encore d’une personne non animée par le désir de les soulager. Comme le juge Roy l’a déclaré dans la décision Delille c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 508 [Delille], l’agent d’immigration doit être guidé par le souci de remédier aux situations qui sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Delille, au paragraphe 42). Or, ce n’est pas parce que les agents d’immigration doivent tenter de soulager les malheurs d’un demandeur qu’ils doivent automatiquement faire droit à une demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs semblent suggérer que les termes utilisés dans les décisions Chirwa/Kanthasamy commandent un résultat donné. Ce n’est pas ma façon d’interpréter ces décisions et, à mon avis, ce n’est pas ce qu’elles disent. L’approche appelle un certain état d’esprit et une certaine disposition de la part des agents d’immigration, et elle leur impose une certaine voie à suivre dans leur analyse de la preuve de façon à refléter l’objectif des dispositions relatives aux considérations d’ordre humanitaire telles que le paragraphe 25(1) de la LIPR. Les agents d’immigration conservent toutefois leur pouvoir discrétionnaire d’évaluer la preuve, puisqu’ils possèdent une expertise spécialisée dans le domaine de l’immigration. Autrement dit, l’approche adoptée dans les décisions Chirwa/Kanthasamy à l’égard des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire établit la marche à suivre, mais ne prescrit pas le résultat auquel les décideurs doivent ultimement parvenir.

[37]  Comme il est mentionné dans la décision Delille, pour une application correcte du critère et des enseignements de l’arrêt Kanthasamy, il convient d’évaluer la situation personnelle du demandeur ainsi que toutes les considérations d'ordre humanitaire pertinentes de l’espèce (Delille, au paragraphe 42). C’est ce qu’a fait l’agent. À mon avis, la question posée dans les décisions Chirwa et Kanthasamy a été prise en considération et l’agent y a répondu en fonction du dossier, même si cette réponse n’est pas favorable aux demandeurs. La situation factuelle de l’espèce est fort différente du contexte examiné par le juge Roy dans l’affaire Delille.

(2)  Le critère de l’intérêt supérieur des enfants

[38]  Les demandeurs soutiennent également que l’agent a également commis une erreur dans l’application du critère plus particulier de l’intérêt supérieur des enfants. Encore une fois, la Cour suprême a précisé le critère dans l’arrêt Kanthasamy. Elle a jugé qu’une décision rendue en application du paragraphe 25(1) de la LIPR sera déraisonnable « lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte », c’est‑à‑dire que « l’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte » et doit veiller à ce que cet intérêt soit « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Kanthasamy, au paragraphe 39). Les agents d’immigration doivent considérer l’intérêt supérieur des enfants comme « un facteur important », lui accorder un « poids considérable » et « être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Kanthasamy, au paragraphe 38; Baker, aux paragraphes 74 et 75).

[39]  Dans l’évaluation de ce facteur, il est essentiel que l’agent d’immigration ne se contente pas de simplement dire que l’intérêt supérieur des enfants a été pris en compte. Afin d’échapper à l’examen judiciaire, les motifs doivent laisser voir que cet intérêt a été « bien identifié et défini » et qu’il a effectivement été examiné par l’agent « avec beaucoup d’attention, eu égard à l’ensemble de la preuve ». En fin de compte, l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt en se livrant à une analyse « qui dépend fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant », comme l’âge de l’enfant, ses capacités, ses besoins et son degré de maturité (Kanthasamy, aux paragraphes 35, 38 et 39; Baker, au paragraphe 75).

[40]  Lorsque l’intérêt de l’enfant est « minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable » (Baker, au paragraphe 75, cité dans Kanthasamy, au paragraphe 38). Les agents d’immigration ne sont toutefois pas tenus d’appliquer « une formule magique » dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 [Hawthorne], au paragraphe 7). Aucun critère rigoureux n’est prescrit ou exigé pour effectuer l’analyse ou pour démontrer que l’agent d’immigration a été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants (Onowu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 64, aux paragraphes 44 à 46; Webb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060 [Webb], au paragraphe 13). Autrement dit, la forme ne doit pas l’emporter sur le fond (Taylor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 21, au paragraphe 12; Webb, au paragraphe 11).

[41]  Pour conclure que l’agent d’immigration est réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, il faut bien sûr que son analyse prenne en compte les « conséquences uniques et personnelles » qu’aurait le renvoi du Canada pour les enfants touchés par la décision (Tisson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 944, au paragraphe 19; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 469, au paragraphe 16).

[42]  Encore une fois, je suis convaincu qu’en l’espèce, la décision démontre amplement que l’agent a effectué une analyse de ce genre, qu’il a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des deux enfants, en particulier à celui d’Harmanpreet. L’agent a expressément examiné leur situation et n’a pas omis d’effectuer cette analyse. Il connaissait leur histoire et leurs préoccupations, et il a fait fréquemment référence à leur situation dans la décision. L’agent a dit expressément avoir étudié l’intérêt supérieur des enfants avec beaucoup d’attention. À la différence de la situation qui a été jugée déraisonnable par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, l’agent a pris en compte, de façon suffisamment sérieuse, l’âge et la santé mentale d’Harmanpreet ainsi que les répercussions générales qu’aurait son retour en Inde pour ce qui est des liens avec sa famille, de sa crainte d’être séparée de son père, de ses études et de son état psychologique. Il est évident que l’agent a été sensible à ses deux tentatives de suicide, et il les a évoquées à plusieurs reprises. Il a tenu compte du suivi psychologique dont elle avait bénéficié, du fait qu’elle craignait d’être séparée de son père et du bouleversement qu’entraînerait le renvoi. L’agent a examiné l’ensemble des circonstances et n’a pas soumis à une « interprétation littérale » la preuve relative aux difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées » (Kanthasamy, au paragraphe 45). En fait, l’agent n’a pas repris ces adjectifs dans la décision.

[43]  Lorsqu’on lit les motifs dans leur ensemble, il apparaît clairement que l’agent a été très sensible au fait qu’Harmanpreet avait fait deux tentatives de suicide, qu’il a admis qu’elle souffrait d’angoisse et de dépression et qu’elle avait dû être prise en charge par les services de protection de l’enfance pour la protéger d’elle‑même. L’agent a également reconnu qu’elle ne voulait pas retourner en Inde et être séparée encore une fois de son père. Il a toutefois constaté que sa crainte d’être séparée de son père ne pourrait dorénavant se concrétiser, étant donné que M. Singh n’avait pas de statut et retournerait probablement en Inde avec sa femme et ses enfants. L’agent a également constaté qu’Harmanpreet avait bénéficié d’un soutien psychologique et de services de counseling depuis ses tentatives de suicide. L’agent a en outre mentionné qu’Harmanpreet, son frère et sa mère étaient tous titulaire d’un permis de séjour temporaire qui leur permettrait de rester au Canada jusqu’en août 2017 et qu’ils pourraient, par conséquent, choisir le moment approprié pour quitter le pays avant cette date.

[44]  À mon avis, la décision reflète les efforts d’empathie qu’a faits l’agent pour comprendre la preuve ainsi que son ouverture d’esprit et sa réceptivité face à la situation d’Harmanpreet. L’analyse approfondie à laquelle il a procédé est allée au‑delà de l’examen des simples difficultés et a pris en compte toutes les considérations d’ordre humanitaire. Il a toutefois constaté que certains facteurs faisaient contrepoids et venaient limiter les répercussions négatives du renvoi sur l’intérêt supérieur des enfants. En ce sens, il a mentionné le fait que les enfants ne seraient pas séparés de leurs parents, qu’ils parlaient le pendjabi et l’anglais, qu’ils étaient relativement jeunes (ce qui faciliterait leur intégration) et que des membres de leur famille élargie vivent en Inde, alors qu’ils n’en ont pas au Canada. Pour ces motifs, l’agent a conclu que l’intérêt supérieur des enfants, bien qu’il s’agisse d’un facteur favorable, n’était pas suffisamment déterminant pour accorder la dispense pour considérations d’ordre humanitaire sollicitée par les demandeurs.

[45]  J’estime que la décision contient de nombreux termes qui montrent que l’agent a fait preuve de compassion et qu’il a évalué l’intérêt supérieur d’Harmanpreet en tenant compte de tous les aspects d’ordre humanitaire. L’agent a procédé à un examen complet et équitable de chacun des facteurs susceptibles d’appuyer la demande des demandeurs. La décision ne reflète aucunement un manque de sensibilité à l’égard des malheurs d’Harmanpreet. Elle ne manque pas d’intelligibilité et contient tous les éléments permettant de comprendre le contexte dans lequel ont été tirées les diverses conclusions. Une lecture de la décision me convainc donc que l’agent a examiné la preuve d’une manière qui concorde avec les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, ainsi qu’avec la nature équitable et l’objectif sous‑jacent du processus de demande fondée sur considérations d’ordre humanitaire.

[46]  Contrairement à l’affaire Herreno c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 412, il ne s’agit pas d’une affaire où l’on peut dire que l’agent n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur d’Harmanpreet, qu’il n’a pas identifié et défini cet intérêt, ou encore qu’il ne l’a pas examiné avec attention. L’agent a fait preuve de compassion et déployé des efforts pour bien comprendre les répercussions concrètes qu’aurait une décision d’ordre humanitaire défavorable sur l’intérêt supérieur d’Harmanpreet. Il a été en mesure d’« exposer clairement les épreuves qui résulteront pour l’enfant d’une décision défavorable » (Kolosovs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165, au paragraphe 12, cité dans Dowers c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 593, au paragraphe 12). Ce n’est pas parce que l’agent n’est pas arrivé à la conclusion qu’espéraient les demandeurs que sa décision est déraisonnable.

[47]  Je tiens à souligner que la seule présence d’enfants n’appelle pas nécessairement un certain résultat et que leurs intérêts ne l’emporteront pas toujours sur d’autres considérations ou qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire (Kanthasamy, au paragraphe 38). L’intérêt supérieur des enfants « ne prime pas nécessairement les autres facteurs dont on doit tenir compte dans une demande d’ordre humanitaire », même s’il s’agit d’un facteur important (Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 28). Ce n’est qu’un des facteurs à examiner parmi d’autres (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 72; Hawthorne, au paragraphe 5; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125 [Legault], au paragraphe 12). Une fois que l’agent d’immigration a analysé l’intérêt supérieur des enfants, « il lui appartient de lui accorder le poids qu’à son avis il mérite dans les circonstances » (Legault, au paragraphe 12).

[48]  Il importe également de ne pas perdre de vue que le paragraphe 25(1) de la LIPR demeure une exception au fonctionnement habituel de la LIPR. À cet égard, la Cour suprême a souligné dans l’arrêt Kanthasamy que « l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considération d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) […] ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle » (Kanthasamy, au paragraphe 23). La dispense pour motifs d’ordre humanitaire est une mesure d’exception discrétionnaire (Legault, au paragraphe 15). Cette dispense ne s’inscrit pas dans les catégories d’immigration normales ni dans les régimes de protection des réfugiés qui permettent aux étrangers de venir s’installer au Canada en permanence, mais fait plutôt office de soupape de sécurité pour les cas exceptionnels. Elle ne vise pas à créer « une filière d’immigration de remplacement ni […] un mécanisme d’appel » pour les demandeurs d’asile ou de résidence permanente déboutés (Kanthasamy, CAF, au paragraphe 40).

[49]  Pour respecter les limites de la raisonnabilité, l’agent devait considérer l’intérêt supérieur des enfants « comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, au paragraphe 75). En outre, en effectuant cette analyse, il devait identifier et définir clairement l’intérêt supérieur des enfants et examiner cet intérêt avec beaucoup d’attention en tenant compte de l’ensemble de la preuve. Je ne puis conclure qu’une telle analyse n’a pas été effectuée en l’espèce.

(3)  L’intérêt supérieur des enfants n’a pas été minimisé

[50]  Les demandeurs soutiennent également qu’après avoir reconnu qu’Harmanpreet était fragile, l’agent a déraisonnablement conclu que son intérêt supérieur serait uniquement compromis à court terme. Ils affirment qu’en utilisant les mots « dans une certaine mesure », l’agent « minimisait » en fait l’intérêt supérieur des enfants ainsi que les problèmes psychologiques d’Harmanpreet, contrairement à la déclaration de la Cour suprême dans l’arrêt Baker (Baker, au paragraphe 75, cité dans Kanthasamy, au paragraphe 38). Ils soutiennent qu’Harmanpreet avait deux fois donné suite à ses idées suicidaires et qu’il était raisonnable de penser qu’elle ferait probablement une autre tentative de suicide si sa demande était rejetée.

[51]  Avec égards, je ne suis pas d’accord. L’avocat des demandeurs a déployé de vaillants efforts pour démontrer que les termes « dans une certaine mesure », tirés de la décision, témoignaient d’une minimisation de l’intérêt supérieur des enfants, au sens interdit par l’arrêt Baker. Cependant, en s’attachant uniquement à ces quelques mots et en se concentrant sur eux sans tenir compte des conclusions connexes de l’agent, les demandeurs passent sous silence les quatre éléments expressément mentionnés par l’agent dans les phrases qui suivaient et qui expliquaient précisément pourquoi il concluait que l’intérêt supérieur des enfants serait uniquement touché à court terme. Loin d’ignorer l’intérêt supérieur des enfants, il concluait en fait qu’il serait dans l’intérêt supérieur de Jashanpreet et d’Harmanpreet de demeurer au Canada avec leurs parents, et que c’était là un facteur favorable aux demandeurs. L’agent a toutefois conclu que cela ne justifiait pas une décision favorable compte tenu des autres facteurs défavorables. C’est dans ce contexte que les mots « dans une certaine mesure » ont été utilisés dans la décision. Ils ne visaient pas à réduire ou à minimiser l’intérêt supérieur des enfants.

[52]  Je dois ajouter que ce n’est pas minimiser l’intérêt supérieur de l’enfant que de dire que la preuve ne justifie pas une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs interprètent le mot « minimiser » comme s’il voulait dire que l’intérêt supérieur de l’enfant – pour peu qu’il existe et quelle que soit sa nature – donnera toujours lieu à un résultat favorable. Ce n’est pas ce qui se dégage de l’arrêt Baker. L’agent d’immigration ne minimise pas l’intérêt supérieur de l’enfant s’il conclut que la preuve à l’appui des divers facteurs d'ordre humanitaire en cause n’est pas suffisante. Encore une fois, les demandeurs associent erronément le critère élaboré dans les arrêts Baker et Kanthasamy à un certain résultat, ce qui les empêche de bien comprendre la décision. L’approche de l’arrêt Kanthasamy ne veut pas dire que les considérations d'ordre humanitaire et l’intérêt supérieur des enfants doivent toujours l’emporter. La dispense demeure une mesure discrétionnaire et exceptionnelle, qui dépend en grande partie des faits et du contexte, et dont l’octroi variera en fonction des circonstances.

[53]  Je peux comprendre que les demandeurs puissent contester le poids accordé par l’agent à l’état de santé physique et psychologique d’Harmanpreet, mais il n’appartient pas à la Cour de modifier l’importance accordée par l’agent aux différentes considérations d'ordre humanitaire. Considérée globalement, la décision par laquelle l’agent refuse d’accorder la demande d’ordre humanitaire est transparente. L’agent a fourni des motifs intelligibles pour conclure que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir que, tout bien considéré, ils devaient être autorisés à présenter une demander de résidence permanente depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agent n’a pas utilisé la notion de difficultés d’une façon qui aurait limité son pouvoir discrétionnaire ou l’aurait amené à écarter des éléments de preuve pertinents. Il pouvait tout simplement conclure que le dossier ne justifiait pas la dispense demandée en l’espèce.

[54]  J’aimerais faire une dernière observation. Le critère qu’une cour de révision doit appliquer lors d’un contrôle judiciaire comme celui de l’espèce est celui de la décision raisonnable et de la retenue, ce qui n’a pas été modifié par l’arrêt Kanthasamy. Il est vrai que, dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a établi que la conception que les agents d’immigration doivent avoir des considérations d’ordre humanitaire ne doit pas se limiter aux difficultés, et elle a élaboré des critères et donné des indications permettant d’évaluer l’intérêt supérieur des enfants. Elle n’a toutefois pas modifié le critère devant être appliqué par une cour de révision lors d’un contrôle judiciaire. La norme du caractère raisonnable et de la retenue s’applique toujours en révision des décisions d’ordre humanitaire. Si les agents d’immigration doivent désormais éviter d’évaluer les facteurs d’ordre humanitaire et l’intérêt supérieur des enfants sous l’angle étroit des difficultés, la cour de révision doit toujours examiner les conclusions du décideur sous l’angle de la raisonnabilité et de la retenue.

[55]  Il ne faut donc pas interpréter l’arrêt Kanthasamy comme s’il créait une nouvelle norme de contrôle des décisions d’ordre humanitaire. Le principe général demeure la retenue, ce qui impose à la cour de révision de faire preuve de discipline. Lors d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer son point de vue à celui du décideur, même si elle aurait pu arriver à une conclusion différente de celle du décideur. Les décisions rendues en application du paragraphe 25(1) de la LIPR sont hautement discrétionnaires et appellent la retenue. La cour de révision ne devrait pas conclure que la décision d’un agent d’immigration est déraisonnable simplement parce que le résultat lui déplaît et qu’elle serait arrivée à un résultat différent.

[56]  La question n’est pas de savoir si la cour de révision aurait été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. La question est de savoir si l’agent d’immigration l’était et si son évaluation appartient aux issues possibles et acceptables. La question n’est pas de savoir si les considérations d’ordre humanitaire invoquées devant l’agent auraient convaincu la cour de révision de se prononcer en faveur du demandeur. La question est de savoir si l’agent a correctement examiné ces considérations et si la décision rendue est raisonnable et équitable, sur le plan de la procédure.

[57]  Cela demeure vrai même dans les situations comme celles de l’espèce où le contexte factuel de la demande incite particulièrement à la sympathie. Même dans ce genre d’affaires, la cour de révision doit résister à la tentation de se prononcer sur la demande de contrôle judiciaire en se fondant sur la conclusion qu’elle aurait pu tirer si elle s’était trouvée à la place du décideur. Je peux comprendre que cette sympathie pourrait facilement inciter la cour de révision à céder à cette tentation. Or, la sympathie que suscite le dossier n’est pas le critère en fonction duquel la cour de révision peut décider d’intervenir. Le caractère raisonnable est, et demeure, la norme que je suis tenu d’appliquer dans les circonstances, même si son application peut paraître sévère aux yeux des demandeurs.

[58]  Considérant que l’agent a effectivement conclu que l’intérêt supérieur des enfants était un facteur important qui favorisait l’octroi de la demande, les demandeurs invitent la Cour à modifier la décision de l’agent et me demandent en fait de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve et de réévaluer les motifs d’ordre humanitaire évalués par l’agent. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Cette affaire nous rappelle ce que n’était pas la situation dans l’affaire Dellile et ce à quoi le juge Roy fait allusion au paragraphe 46 de sa décision. En l’espèce, nous sommes saisis d’une affaire où les demandeurs allèguent que certains éléments de preuve ont été écartés ou que l’agent ne leur a pas accordé suffisamment de poids. Ces allégations doivent être rejetées, car elles visent simplement à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve.

[59]  Il convient de faire preuve d’une grande de retenue à l’égard de l’appréciation des facteurs d’ordre humanitaire faite par l’agent (Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705, au paragraphe 29). Ainsi, dans la mesure où tous les éléments de preuve ont dûment été examinés, la question du poids à leur attribuer relève entièrement de l’expertise de l’agent d’immigration (Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1172, au paragraphe 31). Je ne peux conclure, au vu de la preuve, que l’analyse ou les conclusions de l’agent étaient déraisonnables.

B.  Les conclusions de l’agent ne sont pas hypothétiques

[60]  Comme deuxième motif de contrôle judiciaire, les demandeurs allèguent que l’agent a formulé des hypothèses à plusieurs égards, ce qui rend la décision déraisonnable. Ils soutiennent qu’il était purement hypothétique de conclure : 1) que la réaction d’Harmanpreet serait différente maintenant, étant donné qu’elle avait eu davantage de temps pour se préparer psychologiquement à son départ et que ce départ serait sans doute moins traumatisant pour elle; 2) que M. Singh retournerait en Inde avec sa femme et ses enfants; 3) que Mme Kaur et ses enfants pourraient choisir le meilleur moment pour quitter le Canada. Les demandeurs soutiennent que des motifs hypothétiques qui ne découlent pas de la preuve présentée sont déraisonnables (Inniss c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 567 [Inniss], au paragraphe 18; Lao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 219, au paragraphe 23).

[61]  Là encore, je ne partage pas l’avis des demandeurs et j’estime que les conclusions de l’agent ne sont pas purement hypothétiques.

[62]  Il ne faut pas confondre hypothèse et inférence. Il est permis au décideur de tirer des inférences logiques d’une preuve claire et non hypothétique (Administration de pilotage des Laurentides c Corporation des pilotes du Saint‑Laurent central inc, 2015 CAF 295, au paragraphe 13). Dans le même ordre d’idée, il est bien établi que le décideur peut se fonder sur la logique et le bon sens pour tirer des inférences à partir de faits connus. Il est vrai qu’un agent d’immigration ne peut faire des hypothèses et tirer des conclusions conjecturales, mais il peut tirer des inférences logiques à partir de la preuve (Dhudwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1124, au paragraphe 21; Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 838, au paragraphe 54). Une inférence motivée n’est pas une hypothèse.

[63]  En l’espèce, je ne suis pas convaincu que l’agent ait fait des hypothèses lorsqu’il a tiré les conclusions contestées par les demandeurs. Je suis par contre convaincu que ses inférences et ses conclusions sont fondées sur la preuve.

[64]  Je ne pense pas que d’inférer qu’il n’y avait aucune raison de croire que M. Singh ne quitterait pas le Canada avec sa femme et ses enfants tenait de la conjecture, compte tenu de la preuve claire et convaincante selon laquelle il n’avait pas de statut au Canada et qu’il devrait un jour quitter le pays. De même, l’inférence selon laquelle Mme Kaur et ses enfants pourraient choisir le meilleur moment pour quitter le Canada repose sur la preuve, l’agent ayant tiré cette inférence après avoir mentionné que leurs permis de séjour temporaire étaient encore valides jusqu’en août 2017. Il n’était donc pas déraisonnable pour l’agent d’inférer qu’ils ne seraient pas obligés de partir aussitôt la décision rendue et qu’ils pourraient fixer la date de leur départ, avant l’expiration des permis. L’affirmation selon laquelle la réaction extrême qu’avait eue Harmanpreet en mai 2016 pourrait ne pas se reproduire est également une inférence raisonnable fondée sur la preuve au dossier. La preuve psychologique établissait que les tentatives de suicide d’Harmanpreet étaient attribuables à sa crainte de retourner en Inde et d’être séparée de son père. Une fois démontrée l’absence de statut de son père, il était raisonnable et tout à fait loisible à l’agent de conclure qu’il n’y avait aucune raison de croire qu’elle serait séparée de lui dans l’éventualité où la famille serait obligée de retourner en Inde. Par ailleurs, la preuve permettait d’inférer que la famille pourrait préparer son départ et quitter le pays au moment qui conviendrait le mieux à Harmanpreet. L’agent a noté que, si elle avait été surprise en 2016 en apprenant qu’elle devrait partir, Harmanpreet avait depuis eu le temps de digérer l’information et de se préparer mentalement à un éventuel départ. En outre, Harmanpreet a reçu et continue de recevoir des services de counseling et une aide psychologique pour son angoisse et ses problèmes de dépression.

[65]  La situation en l’espèce est tout à fait différente des affaires invoquées par les demandeurs, à savoir Douglas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 740, au paragraphe 19 ou Inniss, au paragraphe 18. Dans ces décisions, les conclusions hypothétiques ne reposaient pas sur la preuve et n’étaient pas étayées par la preuve.

[66]  Encore une fois, la Cour n’est pas appelée à décider si elle serait arrivée à la même conclusion que l’agent, mais si la décision fait partie des « issues possibles, acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). C’est le cas en l’espèce et la Cour n’a donc aucune raison d’intervenir.

C.  La conclusion relative au faible degré d’établissement est raisonnable

[67]  Enfin, les demandeurs allèguent que la conclusion relative à leur établissement au Canada est déraisonnable. Ils soutiennent qu’ils ont fourni de nombreux documents prouvant leur établissement au Canada, notamment des lettres d’amis, divers documents montrant que Mme Kaur possède une compagnie de transport et une boutique de mode, une lettre de l’employeur de M. Singh confirmant qu’il occupe un emploi à temps partiel permanent, des certificats scolaires et bulletins de notes qui montrent que les deux enfants étaient bien intégrés, ainsi que des relevés de banque et une copie du bail de leur logement. Les demandeurs affirment qu’il est tout simplement faux et déraisonnable de conclure qu’ils n’avaient pas démontré un degré suffisant d’établissement.

[68]  Je ne suis pas d’accord.

[69]  Dans la décision, l’agent a examiné la preuve en détail et il lui était certainement loisible de conclure comme il l’a fait. Certains éléments étayaient les conclusions selon lesquelles les demandeurs n’avaient pas été en mesure de subvenir à leurs besoins financiers depuis leur arrivée. Il n’était pas non plus déraisonnable de conclure que la preuve déposée au sujet des sociétés de Mme Kaur ne permettait pas d’en établir l’existence. Il y avait certainement assez d’éléments pour permettre à l’agent de conclure que, bien que certains liens aient été établis au Canada, ils n’étaient pas suffisants au point de soulever des préoccupations d’ordre humanitaire. Lorsque le demandeur n’a pas satisfait au critère des difficultés, l’agent d’immigration peut accorder un poids défavorable à celui de son établissement au Canada, pourvu qu’il prenne en considération tous les éléments concernant les facteurs d’ordre humanitaire, qu’il explique pourquoi il est arrivé à cette conclusion et que cette conclusion soit étayée par la preuve au dossier (Judnarine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 82, au paragraphe 32; Da Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 347, aux paragraphes 16 et 17; Frank c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 270, aux paragraphes 35 à 38). En fait, l’agent d’immigration « a l’expertise et l’expérience voulues pour évaluer le degré d’établissement typique de personnes qui sont au Canada depuis environ le même nombre d’années que les demandeurs et, par conséquent, pour utiliser ce critère dans le cadre de l’appréciation de leur établissement » (Villanueva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 585, au paragraphe 11). Encore une fois, il y a lieu de faire preuve de déférence envers l’agent d’immigration dans ce contexte (El Thaher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1439, au paragraphe 43).

[70]  Il reste à déterminer si les conclusions tirées par l’agent appartiennent aux issues possibles et acceptables. La Cour n’est pas autorisée à apprécier à nouveau la preuve ou à substituer sa propre évaluation à celle de l’agent. En outre, le contrôle judiciaire n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54), et la Cour doit aborder les motifs « en essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151, au paragraphe 15). Les cours de révision doivent également prendre soin de ne pas trop disséquer ou analyser les motifs d’un décideur, mais plutôt leur prêter une attention respectueuse. En l’espèce, l’agent a décidé de tirer des inférences défavorables de la preuve relative à l’emploi des demandeurs et de leur manque d’autonomie financière. Au vu de cette preuve, l’agent a conclu que la faiblesse des liens qui unissaient les demandeurs au Canada ne leur causerait que peu de difficultés s’ils retournaient en Inde. Cette conclusion repose principalement sur la situation factuelle particulière des demandeurs; elle est expliquée dans la décision et elle est étayée par la preuve; elle possède donc tous les attributs d’une conclusion raisonnable.

[71]  Il s’agissait là d’une analyse très factuelle, effectuée par l’agent disposant d’une expertise spécialisée dans les questions d’immigration et il n’appartient pas à la cour de révision de revenir sur cette analyse. Selon la norme de la décision raisonnable, lorsque le processus et l’issue cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et que la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut se justifier sur le plan des faits et du droit, la cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard du décideur.

IV.  Conclusion

[72]  Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la décision par laquelle l’agent a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs constituait une issue raisonnable fondée sur le droit et la preuve. Selon la norme de la raisonnabilité, il suffit que la décision visée par le contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je n’ai aucune hésitation à conclure que c’est le cas en l’espèce. Je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire. Je le fais toutefois avec une certaine réticence parce que je n’aurais peut‑être pas tiré la même conclusion que l’agent. Or, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, je ne peux pas substituer mon opinion à celle de l’agent. Si je le faisais, je ne respecterais pas le rôle qui incombe à la Cour en matière de contrôle judiciaire.

[73]  Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier. Je reconnais qu’il n’y en a pas. Les parties ont convenu qu’il y avait lieu de modifier l’intitulé de la cause pour remplacer le nom de la demanderesse Paramjeet Kaur par Parmjit Kaur. La Cour rendra jugement en conséquence.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5283‑16

LA COUR STATUE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée;

  3. Le nom de la demanderesse Paramjeet Kaur est remplacé par Parmjit Kaur, avec effet immédiat.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5283‑16

 

INTITULÉ :

PARMJIT KAUR, KARTAR SINGH, JASHANPREET SINGH, HARMANPREET KAUR c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUIN 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 AOÛT 2017

 

COMPARUTIONS :

Annabel E. Busbridge

 

POUR Les demandeurs

 

Sherry Rafai Far

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BDIA Bertrand Deslauriers Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR Les demandeurs

 

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Je mentionne ce point, parce que, dans le jugement, les références que je fais au contenu de la décision reprendront bien souvent les termes français exacts utilisés par l’agent dans ses motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.