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Date : 20170803


Dossier : IMM-3696-16

Référence : 2017 CF 754

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 août 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

MICHAEL NINO DEL MUNDO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  M. Del Mundo a parrainé son épouse et sa fille pour que ceux‑ci deviennent résidents permanents canadiens en août 2013. Sa demande présentée au titre du regroupement familial a été rejetée, du fait qu’il avait omis de divulguer l’existence de son épouse et de son enfant lorsqu’il avait lui‑même obtenu le statut de résident permanent au Canada.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Le contexte

[3]  M. Del Mundo est un citoyen des Philippines. Il a obtenu le statut de résident permanent au Canada en novembre 2011 à titre d’enfant à charge de ses parents.

[4]  Il est allégué que M. Del Mundo et son épouse ont commencé à se fréquenter en décembre 2006. La Section d’appel de l’immigration (la SAI) a conclu qu’ils ont cohabité du 20 décembre 2009 au 18 novembre 2011, d’après le questionnaire de l’époux. Ils ont eu leur premier enfant en 2010. Ils se sont épousés le 18 décembre 2012 aux Philippines. Ils ont depuis eu un autre enfant.

[5]  En août 2013, M. Del Mundo a présenté une demande depuis l’étranger pour parrainer son épouse et son enfant afin que ceux‑ci deviennent résidents permanents du Canada au titre de la catégorie du regroupement familial.

[6]  Le 1er octobre 2013, la demande de parrainage présentée par M. Del Mundo a été rejetée, parce qu’il avait été déclaré inadmissible à parrainer son épouse et son enfant conformément à l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

[7]  M. Del Mundo a interjeté appel de la décision auprès de la SAI. Le 8 juin 2016, la SAI a tenu une audience, à laquelle plusieurs témoins étaient présents. Dans une décision datée du 11 août 2016, la SAI a rejeté l’appel interjeté par M. Del Mundo. Elle a conclu que M. et Mme Del Mundo étaient conjoints de fait depuis au moins un an avant que M. Del Mundo immigre au Canada et, subsidiairement, qu’ils « étaient manifestement des partenaires conjugaux au sens du Règlement au moment pertinent ». La SAI n’a pas conclu que les exceptions prévues au paragraphe 117(10) s’appliquaient, exceptions au titre desquelles il peut être conclu qu’un membre du regroupement familial ne devait pas être interrogé.

III.  Les questions en litige

[8]  Les questions en litige soulevées par le demandeur sont les suivantes :

La SAI a‑t‑elle appliqué le mauvais critère juridique :

  1. en concluant à l’existence d’une relation conjugale dans une situation où le visa avait été rejeté en raison de l’existence d’une union de fait?

  2. en ne passant pas en revue la totalité des facteurs constitutifs d’une union de fait pour déterminer l’existence d’une telle union?

IV.  La norme de contrôle applicable

[9]  Il a été statué que la question de savoir si l’agent a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère juridique est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 739).

[10]  La décision de la SAI, du moins sa conclusion en ce qui a trait à la relation, est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. La Cour doit être convaincue de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, et de l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables qui peuvent être justifiées au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47‑48). La Cour ne peut substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339).

V.  Le droit applicable

[11]  Les termes « conjoint de fait » et « partenaire conjugal » sont définis ainsi dans le Règlement :

conjoint de fait Personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an.

common-law partner means, in relation to a person, an individual who is cohabiting with the person in a conjugal relationship, having so cohabited for a period of at least one year.

partenaire conjugal À l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an.

conjugal partner means, in relation to a sponsor, a foreign national residing outside Canada who is in a conjugal relationship with the sponsor and has been in that relationship for a period of at least one year.

Regroupement familial

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

b) ses enfants à charge;

Member

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

(a) the sponsor’s spouse, common-law partner or conjugal partner;

(b) a dependent child of the sponsor;

Restrictions

117 (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

Excluded relationships

117 (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

[…]

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

VI.  Analyse

[12]  M. Del Mundo a présenté de vive voix un argument qui ne figurait pas dans son mémoire des faits et du droit. Le défendeur s’est opposé à la recevabilité de cet argument, puisque c’était la première fois qu’on le portait à sa connaissance. La Cour a statué que les arguments qui ne sont pas présentés dans les mémoires écrits ne seront habituellement pas étudiés par la Cour (Mishak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1242).

[13]  Selon moi, cela porte préjudice à la partie adverse, qui est évidemment prise par surprise. En outre, il ne fait aucun doute que la Cour n’est pas en position de pleinement apprécier le bien‑fondé d’un nouvel argument qui est soulevé de manière soudaine lors de l’audience.

[14]  M. Del Mundo a eu la possibilité de soulever ces arguments avant l’audience, puisqu’au titre de l’article 15 des Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration, il est possible de déposer un mémoire supplémentaire ainsi qu’un mémoire en réplique. Dans la présente affaire, M. Del Mundo n’a pas déposé de mémoire supplémentaire après qu’on lui eut accordé l’autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire, et il n’a pas non plus déposé de réplique. Par conséquent, le défendeur n’a pas eu la possibilité de répondre aux arguments avant l’audience. En temps normal, je ne me pencherais pas sur les nouveaux arguments, cependant, en l’espèce, les arguments sont similaires et juste mieux formulés, les arguments précédents étant peu étoffés. En outre, le défendeur a pu répondre à la nuance que M. Del Mundo a exprimée lors de ses plaidoiries. Compte tenu du caractère exceptionnel de la situation, je traiterai de tous les arguments.

[15]  Dans son mémoire, M. Del Mundo a soutenu que, bien qu’il ait conclu que le couple constituait une union de fait, l’agent n’en a pas fait mention dans la lettre de refus. M. Del Mundo a fait valoir que la SAI a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a substitué sa propre conclusion selon laquelle les parties étaient dans une relation conjugale. M. Del Mundo affirme que la SAI n’a pas compétence pour tirer des conclusions de fait auxquelles n’est pas parvenu l’agent des visas initial. En outre, M. Del Mundo affirme qu’en l’absence d’avis selon lequel la relation conjugale était en cause, le couple n’était pas préparé à l’audience de la SAI pour répondre à des allégations qui ne figuraient pas dans la lettre de refus initiale, et que cela était injuste sur le plan procédural.

[16]  L’audience de la SAI est une audience de novo (Kwan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 971, au paragraphe 17). La SAI a entendu le témoignage de vive voix à l’audience, ce qui renforce le caractère de novo de l’instance. L’alinéa 117(1)a) du Règlement vise autant le partenaire conjugal que le conjoint de fait dans le regroupement familial. Il relevait bel et bien de la compétence de la SAI de conclure, au stade de l’appel, que le couple ne répondait pas au critère en raison de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. L’argument qui a été présenté n’est pas fondé. M. Del Mundo était représenté par un conseil spécialisé en droit, et ses droits en matière d’équité procédurale ont été parfaitement respectés dans le contexte de cet appel, notamment du fait qu’on lui a donné la possibilité de produire des observations écrites (datées du 28 février 2015) et de déposer des documents supplémentaires; le couple a de plus témoigné à l’audience. Pour tous ces motifs, je dois rejeter son argument, puisque le bon critère a été appliqué, que M. Del Mundo a été avisé, et qu’il a bénéficié de l’équité procédurale à laquelle il avait droit.

[17]  De plus, lors de l’audience, M. Del Mundo a prétendu que le mauvais critère avait été appliqué, parce que : a) la SAI n’a pas examiné la totalité des facteurs lorsqu’elle s’est penchée sur la question de la cohabitation, et b) la SAI n’a pas clairement décidé si son épouse et lui ont vécu ensemble pendant plus d’un an.

[18]  L’argument de M. Del Mundo selon lequel la SAI n’a pas appliqué le bon critère repose sur la décision Walia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] ACF no 622 [Walia]. La SAI a fait remarquer que cette décision avait aussi été invoquée lors de l’audience. M. Del Mundo a fait valoir que les renseignements figurant dans les documents étaient erronés et que la SAI aurait dû croire les déclarations et les témoignages des témoins. Devant la SAI et au cours de la présente audience, on a fait valoir que le demandeur a simplement été déclaré comme n’étant pas en union de fait et que la SAI n’a pas suivi le critère de la décision Walia, de sorte qu’il n’a pas été expressément déclaré en union de fait. Il s’ensuit que l’argument, tel que décrit ci‑dessus, est que sa demande n’a jamais été rejetée du fait qu’il était en union de fait, et que la SAI a donc commis une erreur.

[19]  Cette décision ne fait pas autorité en ce qui concerne les facteurs devant être employés pour établir si une personne répond à la définition de « membre de la famille » sous le régime de l’alinéa 117a) du Règlement. Dans la décision Walia, la demande traitait d’un cas d’interdiction de territoire d’une mère et de son fils pour une période de deux ans (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, alinéa 40(2)a)) en raison de la fausse déclaration selon laquelle elle vivait en union de fait, aux termes de l’alinéa 40(1)a) du Règlement. Le demandeur a prétendu qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle elle vivait avec quelqu’un. Le juge a souscrit à cette prétention, en s’appuyant sur les faits dont il disposait. Dans cette affaire bien précise, il semble que la seule preuve disponible était celle selon laquelle les parties vivaient ensemble dans une maison. Le juge a dressé la liste d’autres éléments qui pouvaient être considérés comme des éléments de preuve, comme les relations sexuelles, financières et autres, pour établir si les parties vivaient en union de fait sous le régime de cette disposition. Il est possible d’effectuer une distinction entre cette affaire et les faits en l’espèce.

[20]  Dans la présente affaire, le critère est énoncé dans le Règlement (voir ci‑dessus). La SAI a conclu qu’il n’était pas contesté que l’enfant est l’enfant de M. Del Mundo et qu’il est une personne à sa charge. La SAI a aussi conclu qu’il n’était pas contesté que les parents n’étaient pas légalement mariés lorsque M. Del Mundo est venu au Canada. La SAI s’est ensuite penchée sur la question de savoir si son épouse était visée par la restriction prévue à l’alinéa 117(9)d) en examinant si elle répondait au critère d’appartenance au regroupement familial, du fait qu’elle était soit conjointe de fait ou partenaire conjugale du demandeur, au sens du Règlement.

[21]  La SAI a reconnu la présence de nombreuses incompatibilités dans la preuve. Après avoir répondu par l’affirmative dans le questionnaire de l’époux, M. et Mme Del Mundo, ainsi que les autres témoins, ont nié que le couple avait cohabité pendant quelques périodes prolongées que ce soit avant qu’il immigre au Canada.

[22]  Lorsqu’elle a décidé de rejeter l’appel, la SAI a accordé davantage de poids à la demande de Mme Del Mundo qu’aux témoignages subséquents. Dans le questionnaire de l’époux, en réponse à la question 27, « Est-ce que vous et votre répondant avez vécu ensemble » elle a coché « Oui », en mentionnant les périodes du 20 décembre 2009 au 18 novembre 2011, ainsi que celles du 9 décembre 2012 au 17 janvier 2012, comme dates de cohabitation. La SAI a statué que les éléments de preuve produits dans le questionnaire étaient « plus crédibles que les éléments de preuve produits après le refus de la demande et qu’ils reflètent davantage que ceux‑ci la vraie nature de la relation de l’appelant et de la demandeure principale ».

[23]  Compte tenu de la preuve produite par l’épouse, la SAI a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les parties étaient en union de fait aux termes du Règlement lors de la période pertinente, ou, subsidiairement, qu’ils étaient « manifestement des partenaires conjugaux au sens du Règlement au moment pertinent ».

[24]  La SAI a tiré des conclusions claires selon lesquelles M. et Mme Del Mundo étaient des conjoints de fait aux paragraphes 14, 15, 17 et 18 de sa décision. Dans les motifs, la SAI faisait mention de dates et de raisons bien précises pour lesquelles elle a accordé davantage de poids à certains éléments de preuve plutôt qu’à d’autres. Le rôle de la Cour n’est pas de pondérer la preuve de nouveau. Les motifs appuient la conclusion à laquelle la SAI est parvenue (Newfoundland and Labrador Nurses Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 12 à 18).

[25]  Je conclus que la SAI a appliqué le bon critère, soit celui énoncé dans le Règlement. Je ne suis pas d’avis que la SAI a outrepassé sa compétence de manière à rendre l’instance inéquitable d’un point de vue procédural. En outre, je conclus que la décision était étayée par la preuve et qu’elle était raisonnable.

[26]  M. Del Mundo n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une erreur susceptible de contrôle et la présente demande sera rejetée.

[27]  Aucune question n’a été soumise à des fins de certification et l’affaire n’en soulevait aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3696-16

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3696-16

 

INTITULÉ :

MICHAEL NINO DEL MUNDO c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (colombie‑britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 AVRIL 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 3 AOÛT 2017

 

COMPARUTIONS :

Shepherd Moss

POUR LE DEMANDEUR

Marjan Double

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chand and Company Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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