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Date : 20170804


Dossier : IMM-4233-16

Référence : 2017 CF 755

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SEYED SAJJAD NEMATOLLAHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Seyed Sajjad Nematollahi [M. Nematollahi ou le demandeur] est citoyen canadien. En janvier 2014, son épouse et lui ont présenté une demande en vue de parrainer la mère de M. Nematollahi, qui a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial.

[2]  La demande a été rejetée. L’agent a conclu que M. Nematollahi ne répondait pas aux exigences relatives au revenu vital minimum [le RVM] prévues par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], pour chacune des trois années d’imposition consécutives précédant la date de la demande de parrainage. Plus précisément, l’agent a conclu que les années d’imposition pertinentes dans le contexte de cette demande, reçue et acceptée par le défendeur en 2014, étaient les années 2010, 2011 et 2012, conformément au Bulletin opérationnel 561 publié par Citoyenneté et Immigration Canada (Ottawa : CIC, 13 décembre 2013). L’agent a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que M. Nematollahi et son épouse avaient atteint le RVM pour l’année d’imposition 2010.

[3]  La Cour a examiné les observations écrites et orales des parties. Elle a aussi reçu une lettre rédigée par M. Nematollahi et datée du 21 juillet, ainsi qu’une lettre rédigée en réponse par le défendeur et datée du 25 juillet 2017, et elle en a pris note. La lettre de M. Nematollahi fait état de circonstances liées à d’autres demandes de parrainage dont il a pris connaissance après l’audition des observations orales. Ces autres demandes et leurs circonstances n’ont pas été soumises à la Cour dans le cadre de la présente demande. Je ne me suis donc pas fondé sur le contenu de la lettre du 21 juillet 2017, ni sur celui de la réponse du 25 juillet 2017, pour en arriver à ma conclusion en l’espèce.

[4]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Nematollahi fait valoir que l’agent a mal interprété l’exigence prévue par le RIPR selon laquelle l’évaluation d’une demande doit être fondée sur le revenu gagné par le répondant au cours des trois années d’imposition consécutives précédant la date de la demande. Je suis d’accord. L’agent a effectivement commis une erreur en concluant que l’année d’imposition 2010 faisait partie des « trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage » (RIPR, division 133(1)j)(i)(B)). Je suis également d’avis que le défaut de l’agent de tenir compte de la preuve additionnelle relative au revenu soumise par M. Nemathollahi en 2016 – les avis de cotisation de l’Agence du revenu du Canada pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015 –, renseignements que l’agent aurait pu demander en vertu de l’alinéa 134(2)b) du RIPR, porte atteinte au principe de la transparence et, par conséquent, au caractère raisonnable de la décision.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen.

II.  Les questions préliminaires

A.  L’intitulé

[6]  Le demandeur a désigné le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada comme défendeur dans la présente affaire. Le défendeur est plutôt le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, paragraphe 5(2), et Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, paragraphe 4(1) [la LIPR]). L’intitulé est donc modifié afin de désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur.

B.  La preuve par affidavit

[7]  M. Nematollahi fait valoir que l’affidavit de Mme Jillian Dale daté du 15 février 2017 [l’affidavit de Mme Dale], auquel est joint un document intitulé BULLETIN OPÉRATIONNEL 561 – le 31 décembre 2013 (Modifié) (BO 561), n’est pas conforme et qu’aucun poids ne devrait donc lui être accordé dans le contexte de la présente demande. Il soutient que l’affidavit de Mme Dale ne se limite pas aux faits dont elle a connaissance, qu’il ne correspond pas au témoignage qu’elle pourrait donner si elle comparaissait comme témoin devant la Cour et qu’il constitue une preuve par ouï-dire inadmissible.

[8]  Le défendeur soutient que l’affidavit de Mme Dale a été soumis à la Cour pour l’aider à interpréter les articles 133 et 134 du RIPR. Le défendeur fait également valoir que M. Nematollahi a invoqué le BO 561 dans ses observations et que le BO 561 est fondé sur des renseignements contenus dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) et les instructions ministérielles, dont la Cour peut prendre connaissance d’office.

[9]  L’approche moderne en matière d’interprétation des lois nécessite que la Cour lise les termes d’une loi ou d’un règlement dans leur contexte global en suivant leur sens ordinaire et grammatical compte tenu de l’esprit et de l’objet de la loi et de l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21, 36 OR (3d) 418 [Rizzo Shoes Ltd]). Il est reconnu depuis longtemps que la Cour peut s’appuyer sur des sources extrinsèques pour déterminer l’intention du législateur, ou du gouverneur en conseil dans ce cas-ci, lorsqu’elle est convaincue qu’elles sont pertinentes et fiables (Francis c Baker, [1999] 3 RCS 250, au paragraphe 35, 177 DLR (4th) 1).

[10]  Je suis convaincu que le BO 561 (Citoyenneté et Immigration, « Bulletin opérationnel 561 », (Ottawa : CIC, 13 décembre 2013)), ainsi que le REIR publié le 18 mai 2013 dans la partie I de la Gazette du Canada à l’étape de la consultation du processus de réglementation (Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés : Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, (2013) Gaz C I, 1182 (REIR publié préalablement) et la version définitive du REIR (Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés : Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, (2014) Gaz C II, 93 [REIR définitif]) publiée lors de l’adoption du règlement modifié (DORS/2013-246; voir également le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, (2014) Gaz C II, 90), satisfont à la norme de pertinence et de fiabilité.

[11]  M. Nematollahi conteste aussi le BO 561 au motif que le titre indique que le document a été modifié sans préciser quelles modifications ont été apportées ou quand elles ont été apportées. Bien que j’aie pris note de cette préoccupation, il est fait mention du BO 561 dans la décision faisant l’objet du contrôle. Dans son affidavit, M. Nematollahi mentionne lui aussi cette même version du BO 561 et en cite des extraits. Rien n’indique que la version du BO 561 soumise à la Cour n’est pas la même version que celle que l’agent a consultée. Je suis aussi d’avis que la mention figurant dans le titre et indiquant que le document a été modifié ne nuit pas à l’utilité du document pour aider la Cour à tenir compte du contexte et de l’historique des modifications apportées au RIPR.

III.  Le parrainage de parents et de grands-parents

A.  Le contexte

[12]  Le 1er janvier 2014, le gouvernement a adopté des dispositions modifiant les articles 132, 133 et 134 du RIPR afin de réduire l’arriéré de demandes de parrainage présentées par des citoyens canadiens et des résidents permanents du Canada à l’égard de membres de la famille, particulièrement les demandes de parrainage de parents et de grands-parents. Le REIR et le BO 561 indiquent que le gouvernement a cessé temporairement, en novembre 2011, d’accepter de nouvelles demandes de parrainage de parents et de grands-parents. La suspension a été levée le 2 janvier 2014, après l’entrée en vigueur des modifications du RIPR relatives au programme. De nouvelles demandes ont par la suite été acceptées en vue d’être évaluées conformément au règlement modifié. Au moment de la réouverture du programme, un maximum de 5 000 nouvelles demandes complètes par année a été imposé.

[13]  Le REIR énonce que les modifications apportées au RIPR visent notamment l’amélioration de la viabilité financière du programme au moyen de l’imposition d’une obligation financière plus importante aux répondants, l’obligation de fournir des preuves solides de stabilité financière et la capacité de veiller à ce que les répondants aient la capacité financière de répondre aux obligations relatives au parrainage de façon continue.

[14]  L’article 133 du RIPR énumère un certain nombre d’exigences, dont l’exigence relative au RVM. La division 133(1)j)(i)(B) prévoit que, lorsque la demande de parrainage vise un parent, le répondant doit présenter des éléments de preuve pour établir qu’il a « un revenu total au moins égal à son revenu vital minimum, majoré de 30 %, pour chacune des trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage ».

B.  Les dispositions pertinentes du RIPR

[15]  L’article 134 établit les règles de calcul du revenu à appliquer. L’alinéa 134(1.1)a) s’applique lorsque la demande de parrainage vise un parent et prévoit que « le calcul du revenu du répondant se fait sur la base des avis de cotisation qui lui ont été délivrés par le ministre du Revenu national à l’égard de chacune des trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage ».

[16]  Le paragraphe 134(2) permet à l’agent de demander une preuve de revenu à jour s’il reçoit des renseignements montrant que le répondant ne peut plus respecter ses obligations en matière de parrainage ou que plus de douze mois se sont écoulés depuis la date de réception de la demande de parrainage.

[17]  Le paragraphe 10(1) énonce les exigences relatives à la forme et au contenu d’une demande présentée au titre du RIPR. La demande doit, entre autres, comporter les renseignements et documents exigés par le RIPR et être accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la LIPR. L’article 12 prévoit que la demande qui ne remplit pas les exigences prévues à l’article 10 doit être retournée au demandeur.

[18]  Par souci de commodité, les dispositions pertinentes du RIPR sont reproduites à l’annexe A du présent jugement.

C.  La publication BO 561

[19]  Le défendeur a publié le BO 561, qui énonce les critères auxquels les demandes de parrainage de parents et de grands-parents doivent satisfaire. Le BO 561 prévoit ce qui suit au sujet de l’exigence liée au RVM :

Ils doivent démontrer que pour les trois années d’imposition consécutives précédant la date de leur demande, leur revenu, y compris le revenu du cosignataire, s’il y a lieu, est au moins égal au RVM annuel majoré de 30 % à chacune des trois années;

Ils doivent remettre un avis de cotisation ou un document équivalent (imprimé Option-C) délivré par l’ARC pour prouver le montant de leur revenu et celui de leur cosignataire, s’il y a lieu, pour chacune des trois années consécutives précédant la date de leur demande (par exemple, en janvier 2014, les demandeurs doivent remettre leur avis de cotisation ou un imprimé Option‑C pour les années d’imposition 2012-, 2011 et 2010); aucune autre preuve de revenu ne sera acceptée[.]

[20]  Ce sont les directives prévues dans ce bulletin que l’agent semble avoir suivies pour déterminer que l’année d’imposition 2010 était l’une des trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage présentée en 2014.

IV.  La norme de contrôle

[21]  M. Nematollahi soutient que la question en litige soulevée dans le cadre de la présente demande est une question de droit liée à l’interprétation du RIPR, qui doit être examinée au regard de la norme de contrôle de la décision correcte. M. Nematollahi reconnaît que la question de l’interprétation de la loi, une question de droit, peut être susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, mais il fait valoir que cette norme de contrôle ne s’applique que lorsque la disposition législative est ambiguë et que son interprétation est étroitement liée à l’expertise de l’agent.

[22]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada (la CSC) a statué que certaines questions de droit sont assujetties à la norme plus déférente de la décision raisonnable. La CSC a indiqué que c’est habituellement le cas lorsque le décideur interprète sa propre loi habilitante ou des règlements connexes, dont il a une connaissance approfondie (Dunsmuir, aux paragraphes 51 et 54). En l’espèce, la disposition réglementaire en question relève de la loi habilitante du décideur. La disposition en question porte sur l’évaluation des critères relatifs à la fiabilité des demandes de parrainage. Je suis convaincu qu’il s’agit d’une activité qui relève de la fonction spécialisée de l’agent et dont l’agent a une connaissance approfondie, ce qui crée une présomption en faveur de l’application de la norme de contrôle faisant appel à la déférence. Cette présomption n’est pas écartée au motif que le libellé de la disposition serait dépourvu d’ambiguïté.

[23]  Dans le contexte de l’examen des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, l’ambiguïté du libellé de la loi peut très bien donner lieu à un large éventail d’issues. Au contraire, le fait que le libellé soit clair et non ambigu peut limiter de façon importante les issues raisonnables. Cependant, à lui seul, ce fait ne peut pas justifier l’adoption d’une norme de contrôle moins déférente. La question en litige soulevée dans la présente demande sera examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.

[24]  Cette conclusion ayant été tirée, je suis néanmoins d’avis que la norme de contrôle choisie a peu d’importance. Selon moi, l’interprétation du RIPR retenue par l’agent en l’espèce était à la fois incorrecte et déraisonnable.

V.  Analyse

[25]   Le défendeur soutient que l’agent a interprété l’expression « trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage » comme si elle comprenait aussi les mots [traduction] « pour lesquelles le ministre du Revenu national (ou l’Agence du revenu du Canada, l’ARC) a délivré des avis de cotisation ».

[26]  L’argument du défendeur ne m’a pas convaincu. Les termes employés aux articles 133 et 134 doivent être lus et interprétés dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd (Markham : LexisNexis, 2014) à la page 7, citant Elmer A. Driedger, The Construction of Statutes (Toronto : Butterworths, 1974) à la page 67; voir également Rizzo Shoes Ltd, au paragraphe 21).

[27]  La division 133(1)j)(i)(B) emploie des termes précis et non équivoques pour définir les années d’imposition qui s’appliquent : « trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt ». [Les termes équivalents de la version anglaise de cette disposition sont les suivants : « the three consecutive taxation years immediately preceding the date of filing » [non souligné dans l’original]. Le terme « immediately » [immédiatement] utilisé dans la version anglaise est défini ainsi dans l’édition de 2004 du Canadian Oxford Dictionary : [TRADUCTION] « 1 instantanément, sans pause ni retard [...] 2 sans intermédiaire; en relation ou lien direct [...] 3 absence d’objet, de distance ou de temps, etc. entre deux choses »  (Canadian Oxford Dictionary, 2e éd, sub verbo « immediately »).

[28]  Le sens ordinaire et grammatical du terme « immediately » utilisé dans la version anglaise n’étaye pas l’argument du défendeur selon lequel, si aucun document n’a été délivré par le ministère du Revenu national ou l’ARC pour l’année d’imposition précédant l’année au cours de laquelle la demande est présentée, cette année d’imposition doit être écartée aux fins du calcul du RVM au profit d’une année d’imposition antérieure. En outre, à mon avis, le contexte du régime de la LIPR et du RIPR n’étaye pas non plus l’argument selon lequel les mots « trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage » [dans la version anglaise, les mots : « three consecutive taxation years immediately preceding the date of filing » [non souligné dans l’original]] devraient être interprétés autrement qu’en fonction de leur sens ordinaire. Enfin, l’intention du législateur telle qu’elle est décrite dans la preuve extrinsèque mène également à la conclusion que les mots doivent être interprétés en fonction de leur sens ordinaire.

[29]  La stabilité financière des répondants sur une certaine période et à l’avenir était un des objectifs principaux des modifications apportées au RIPR, qui comprenaient un mécanisme permettant aux agents d’avoir accès à des renseignements à jour sur les répondants pour s’assurer qu’ils continuent de satisfaire au critère du RVM après la présentation de leur demande de parrainage. Le fait de faire abstraction du mot « immediately » employé dans la version anglaise ou d’interpréter la disposition comme si elle incluait des mots qui créent de l’incertitude quant à la définition de la période de trois années consécutives que l’agent doit examiner n’est pas conforme à l’esprit ou à l’objectif des modifications.

[30]  L’interprétation que le défendeur invite la Cour à adopter est également incompatible avec l’intention des modifications, telle qu’elle est énoncée dans le REIR publié préalablement qui accompagnait les modifications publiées préalablement. Le REIR publié préalablement est ainsi libellé en partie :

L’obligation de présenter des documents délivrés par l’ARC peut retarder le moment auquel le répondant peut présenter une demande de parrainage, étant donné qu’il lui faudrait remplir sa déclaration de revenus et attendre de recevoir un avis de cotisation ou un autre document délivré par l’ARC. Toutefois, on ne s’attend pas à ce que ce retard possible représente un obstacle important pour les répondants éventuels.

(REIR publié préalablement, à la page 1191)

[31]  Cet extrait montre qu’il était entendu que l’expression « trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt » devait viser les trois années précédant immédiatement la date de la demande, et non toute autre période de trois années consécutives pour lesquelles le répondant disposait de documents délivrés par l’ARC au moment de sa demande.

[32]  Il semble que cette question a fait l’objet de commentaires à l’étape de la consultation, et le REIR définitif énonce un point de vue différent :

Les citoyens canadiens et les résidents permanents (y compris, le cas échéant, les cosignataires) qui souhaitent parrainer leur [parents et grands-parents] [...] devront démontrer qu’ils respectent le nouveau seuil de revenu pendant trois années d’imposition consécutives en ne fournissant à l’appui que des documents délivrés par l’ARC. Tout autre document que ceux fournis par l’ARC ne sera plus admissible. À cet égard, des ajustements sont apportés au paragraphe 134(1.1) et à l’alinéa 134(3)c) pour préciser que le revenu total du [répondant] sera calculé en fonction des avis de cotisation de l’ARC émis pour les trois années d’imposition consécutives précédant la date de la présentation de la demande. Le [répondant] potentiel ne sera pas obligé, par exemple, de fournir un avis de cotisation [...] pour l’année d’imposition 2013 s’il devait soumettre sa demande de parrainage en janvier 2014 [...] En vertu des dispositions réglementaires, le [répondant] ne devra que fournir une preuve de revenus pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012, puisque l’avis de cotisation pour 2013 ne serait pas encore disponible à ce moment.

(REIR définitif, à la page 99)

[33]   Le REIR définitif énonce une intention et une interprétation qui correspondent à la thèse que le défendeur invite la Cour à retenir, c’est-à-dire que les trois années consécutives pertinentes sont les trois années précédant la demande [traduction« pour lesquelles le ministre du Revenu national (ou l’Agence du revenu du Canada, l’ARC) a délivré des avis de cotisation ». Le REIR définitif n’indique toutefois pas que les modifications proposées au RIPR peuvent simplement être interprétées comme si elles comprenaient cet ajout. Il indique plutôt que des ajustements ont été apportés au paragraphe 134(1.1) et à l’alinéa 134(3)c) pour refléter cette interprétation. Il est intéressant de noter que le libellé de la division 133(1)(j)(B) est semblable, mais que le REIR définitif n’en fait aucune mention.

[34]  Une comparaison attentive de la version du règlement modificatif ayant fait l’objet d’une publication préalable et de la version définitive des modifications apportées au RIPR ne révèle aucune différence dans le libellé ni aucune autre différence qui pourrait étayer l’interprétation énoncée dans le REIR définitif ou par le défendeur. En l’absence d’ajustements apportés au libellé, la nouvelle interprétation énoncée dans le REIR définitif n’est fondée sur rien d’autre que le REIR lui-même. Dans les circonstances, le REIR ne l’emporte pas sur le sens ordinaire et grammatical des mots tels qu’ils sont employés selon l’esprit de la LIPR et du RIPR.

[35]  Je suis d’avis que la décision de l’agent selon laquelle les années d’imposition 2010, 2011 et 2012 étaient les « trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt » était déraisonnable. Aux termes du RIPR, l’agent aurait plutôt dû tenir compte des années d’imposition 2011, 2012 et 2013. En raison du retard dans le traitement de la demande, l’agent aurait également pu demander des renseignements relatifs aux années d’imposition 2014 et 2015, et en tenir compte, au moment de décider, en 2016, si le répondant satisfaisait au critère du RVM au moment de la demande et s’il continuait d’y satisfaire (RIPR, paragraphe 134(2)).

[36]  Le défendeur fait valoir que, même si l’interprétation du RIPR retenue par l’agent était déraisonnable, la demande doit tout de même être rejetée. Le défendeur soutient que seuls les documents délivrés par l’ARC peuvent constituer une preuve de revenu dans le contexte d’une demande de parrainage. En l’espèce, M. Nematollahi ne s’est pas acquitté de l’obligation de présenter une preuve de revenu sous forme de document délivré par l’ARC pour l’année d’imposition 2013, ce qui porte un coup fatal à sa demande compte tenu des exigences prévues aux articles 10 et 12 du RIPR.

[37]  L’article 12 du RIPR prévoit que la demande qui ne remplit pas les exigences prévues aux articles visés doit être retournée au demandeur. Dans le contexte de son examen de l’article 12, la Cour d’appel fédérale a statué que le défendeur peut retourner une demande qui ne remplit pas les exigences prévues par le RIPR au motif qu’une demande incomplète n’est pas une demande (Gennai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 29, au paragraphe 6, [2017] ACF no 154 (QL) [Gennai]).

[38]  Dans l’arrêt Gennai, la demande a été retournée au demandeur, car elle était incomplète. Ce n’est pas le cas ici. En l’espèce, le défendeur a considéré que la demande était complète en 2014. La demande n’a pas été retournée. Le défendeur a plutôt conservé et traité la demande. En septembre 2016, après avoir conclu de façon préliminaire que la demande de parrainage devrait être rejetée au motif que le critère du RVM n’était pas rempli en 2010, mais avant de prendre une décision définitive à l’égard de la demande et de la communiquer directement à M. Nematollahi, le défendeur a reçu de M. Nematollahi une lettre à laquelle étaient annexés les avis de cotisation délivrés par l’ARC à l’égard de chaque année d’imposition de 2010 à 2015 pour lui-même et pour son épouse. Il n’est pas contesté que l’agent avait une preuve que le critère du RVM pour 2013 (ainsi que pour 2014 et 2015) était rempli au moment où la décision définitive de rejeter la demande a été prise.

[39]  Le défendeur a fait valoir que le défaut d’inclure dans la demande des documents délivrés par l’ARC à titre de preuve de revenu pour 2013 mène à une seule issue raisonnable : la demande était incomplète et ne constituait par conséquent pas une demande. Je ne suis pas d’accord. Comme je l’ai déjà mentionné, la demande en l’espèce a été acceptée et jugée complète. Avant qu’une décision définitive soit rendue et communiquée, le demandeur a fourni les éléments de preuve qui manquaient dans la première demande soumise au décideur. Dans les circonstances, il m’est impossible de conclure que la seule issue raisonnable consistait à traiter la demande comme si elle n’en était pas une. Bien qu’il n’appartienne pas à la Cour de se prononcer à cet égard, il était peut-être bien raisonnablement loisible à l’agent de conclure que la demande était complète et qu’elle pouvait par conséquent être traitée. Ayant conclu à tort que le RVM du demandeur pour 2013 n’était pas pertinent, l’agent n’a pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve. Il ne relève pas du rôle de la Cour de déterminer quelle aurait été l’issue de l’affaire si l’agent avait tenu compte des éléments de preuve et des circonstances liées à leur réception. Le défaut de l’agent de se pencher sur cette question et de tirer une conclusion fondée sur les documents délivrés par l’ARC présentés par M. Nematollahi en 2016 mine la transparence et donc le caractère raisonnable de la décision.

VI.  Les dépens

[40]  M. Nematollahi sollicite les dépens au motif que le défendeur a opposé de façon déraisonnable une défense à une affaire indéfendable et qu’il [traduction] « s’est opposé de façon déraisonnable à une demande de contrôle judiciaire manifestement fondée ».

[41]  L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés (DORS/93-22) (les Règles) prévoit qu’aucuns dépens ne sont adjugés aux termes des Règles « sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales ».

[42]  Il peut exister des raisons spéciales justifiant que les dépens soient adjugés dans le cas où le ministre s’oppose à une demande de contrôle judiciaire manifestement fondée (Ndungu v Canada (Citizenship and Immigration), 2011 FCA 208, au paragraphe 7, 423 NR 228), mais je ne suis pas convaincu que ce soit le cas en l’espèce. La thèse du défendeur n’était pas déraisonnable. Le défendeur a présenté des arguments convaincants et utiles à l’appui de sa thèse, tant à l’égard de l’interprétation du RIPR, qu’à l’égard de l’effet de la demande « incomplète ». L’existence de raisons spéciales justifiant que les dépens soient adjugés n’a pas été établie. Aucuns dépens ne sont adjugés.

[43]  Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur en vue d’un nouvel examen.

  3. Aucune question n’est certifiée.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  5. L’intitulé est modifié pour qu’il indique que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

« Patrick Gleeson »

Juge


Annexe A

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Forme et contenu de la demande

10 (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d) et 139(1)b), toute demande au titre du présent règlement :

a) est faite par écrit sur le formulaire fourni, le cas échéant, par le ministère ou, dans le cas d’une demande de déclaration de dispense visée au paragraphe 42.1(1) de la Loi, par l’Agence des services frontaliers du Canada;

b) est signée par le demandeur;

c) comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi;

d) est accompagnée d’un récépissé de paiement des droits applicables prévus par le présent règlement;

e) dans le cas où le demandeur est accompagné d’un époux ou d’un conjoint de fait, indique celui d’entre eux qui agit à titre de demandeur principal et celui qui agit à titre d’époux ou de conjoint de fait accompagnant le demandeur principal.

[…]

Demandes multiples

(5) Le répondant qui a déposé une demande de parrainage à l’égard d’une personne ne peut déposer de nouvelle demande concernant celle-ci tant qu’il n’a pas été statué en dernier ressort sur la demande initiale.

[…]

Renvoi de la demande

12 Sous réserve de l’article 140.4, si les exigences prévues aux articles 10 et 11 ne sont pas remplies, la demande et tous les documents fournis à l’appui de celle-ci sont retournés au demandeur.

[…]

Exigences : répondant

133 (1) L’agent n’accorde la demande de parrainage que sur preuve que, de la date du dépôt de la demande jusqu’à celle de la décision, le répondant, à la fois :

[…]

j) dans le cas où il réside :

(i) dans une province autre qu’une province visée à l’alinéa 131b) :

(A) a un revenu total au moins égal à son revenu vital minimum, s’il a déposé une demande de parrainage à l’égard d’un étranger autre que l’un des étrangers visés à la division (B),

(B) a un revenu total au moins égal à son revenu vital minimum, majoré de 30 %, pour chacune des trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage, s’il a déposé une demande de parrainage à l’égard de l’un des étrangers suivants :

(I) l’un de ses parents,

(II) le parent de l’un ou l’autre de ses parents,

(III) un membre de la famille qui accompagne l’étranger visé aux subdivisions (I) ou (II),

(ii) dans une province visée à l’alinéa 131b), a été en mesure, aux termes du droit provincial et de l’avis des autorités provinciales compétentes, de respecter l’engagement visé à cet alinéa;

[…]

Règles de calcul du revenu

134

[…]

Exception

(1.1) Sous réserve du paragraphe (3) et pour l’application de la division 133(1)j)(i)(B), le revenu total du répondant est calculé selon les règles suivantes :

a) le calcul du revenu du répondant se fait sur la base des avis de cotisation qui lui ont été délivrés par le ministre du Revenu national à l’égard de chacune des trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage, ou de tout document équivalent délivré par celui-ci;

[…]

c) le revenu du cosignataire, calculé conformément aux alinéas a) et b), avec les adaptations nécessaires, est, le cas échéant, inclus dans le calcul du revenu du répondant.

Preuve de revenu à jour

(2) L’agent peut demander au répondant, après la réception de la demande de parrainage mais avant qu’une décision ne soit prise sur la demande de résidence permanente, une preuve de revenu à jour dans les cas suivants :

a) l’agent reçoit des renseignements montrant que le répondant ne peut plus respecter les obligations de son engagement à l’égard du parrainage;

b) plus de douze mois se sont écoulés depuis la date de réception de la demande de parrainage.

Règles du calcul du revenu modifiées

(3) Lorsque l’agent reçoit la preuve de revenu à jour demandée aux termes du paragraphe (2), le revenu total du répondant est calculé conformément aux paragraphes (1) ou (1.1), le cas échéant, sauf dans les cas suivants :

a) dans le cas de l’alinéa (1)a), le calcul du revenu du répondant se fait sur la base du dernier avis de cotisation qui lui a été délivré par le ministre du Revenu national à l’égard de l’année d’imposition la plus récente précédant la date de la réception, par l’agent, de la preuve de revenu à jour, ou de tout autre document équivalent délivré par celui-ci;

b) dans le cas de l’alinéa (1)c), son revenu correspond à l’ensemble de ses revenus canadiens gagnés au cours des douze mois précédant la date de la réception, par l’agent, de la preuve de revenu à jour;

c) dans le cas de l’alinéa (1.1)a), le calcul du revenu du répondant se fait sur la base des avis de cotisation qui lui ont été délivrés par le ministre du Revenu national à l’égard de chacune des trois années d’imposition consécutives précédant la date de la réception, par l’agent, de la preuve de revenu à jour, ou de tout autre document équivalent délivré par celui-ci.

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

Form and content of application

10 (1) Subject to paragraphs 28(b) to (d) and 139(1)(b), an application under these Regulations shall

(a) be made in writing using the form, if any, provided by the Department or, in the case of an application for a declaration of relief under subsection 42.1(1) of the Act, by the Canada Border Services Agency;

(b) be signed by the applicant;

(c) include all information and documents required by these Regulations, as well as any other evidence required by the Act;

(d) be accompanied by evidence of payment of the applicable fee, if any, set out in these Regulations; and

(e) if there is an accompanying spouse or common-law partner, identify who is the principal applicant and who is the accompanying spouse or common-law partner.

[…]

Multiple applications

(5) No sponsorship application may be filed by a sponsor in respect of a person if the sponsor has filed another sponsorship application in respect of that same person and a final decision has not been made in respect of that other application.

[…]

Return of application

12 Subject to section 140.4, if the requirements of sections 10 and 11 are not met, the application and all documents submitted in support of it shall be returned to the applicant.

[…]

Requirements for sponsor

133 (1) A sponsorship application shall only be approved by an officer if, on the day on which the application was filed and from that day until the day a decision is made with respect to the application, there is evidence that the sponsor

[…]

(j) if the sponsor resides

(i) in a province other than a province referred to in paragraph 131(b),

(A) has a total income that is at least equal to the minimum necessary income, if the sponsorship application was filed in respect of a foreign national other than a foreign national referred to in clause (B), or

(B) has a total income that is at least equal to the minimum necessary income, plus 30%, for each of the three consecutive taxation years immediately preceding the date of filing of the sponsorship application, if the sponsorship application was filed in respect of a foreign national who is

(I) the sponsor’s mother or father,

(II) the mother or father of the sponsor’s mother or father, or

(III) an accompanying family member of the foreign national described in subclause (I) or (II), and

(ii) in a province referred to in paragraph 131(b), is able, within the meaning of the laws of that province and as determined by the competent authority of that province, to fulfil the undertaking referred to in that paragraph; and

[…]

Income calculation rules

134

[…]

Exception

(1.1) Subject to subsection (3), for the purpose of clause 133(1)(j)(i)(B), the sponsor’s total income shall be calculated in accordance with the following rules:

(a) the sponsor’s income shall be calculated on the basis of the income earned as reported in the notices of assessment, or an equivalent document, issued by the Minister of National Revenue in respect of each of the three consecutive taxation years immediately preceding the date of filing of the sponsorship application;

[…]

(c) if there is a co-signer, the income of the co-signer, as calculated in accordance with paragraphs (a) and (b), with any modifications that the circumstances require, shall be included in the calculation of the sponsor’s income.

Updated evidence of income

(2) An officer may request from the sponsor, after the receipt of the sponsorship application but before a decision is made on an application for permanent residence, updated evidence of income if

(a) the officer receives information indicating that the sponsor is no longer able to fulfil the obligations of the sponsorship undertaking; or

(b) more than 12 months have elapsed since the receipt of the sponsorship application.

Modified income calculation rules

(3) When an officer receives the updated evidence of income requested under subsection (2), the sponsor’s total income shall be calculated in accordance with subsection (1) or (1.1), as applicable, except that

(a) in the case of paragraph (1)(a), the sponsor’s income shall be calculated on the basis of the last notice of assessment, or an equivalent document, issued by the Minister of National Revenue in respect of the most recent taxation year preceding the day on which the officer receives the updated evidence;

(b) in the case of paragraph (1)(c), the sponsor’s income is the sponsor’s Canadian income earned during the 12-month period preceding the day on which the officer receives the updated evidence; and

(c) in the case of paragraph (1.1)(a), the sponsor’s income shall be calculated on the basis of the income earned as reported in the notices of assessment, or an equivalent document, issued by the Minister of National Revenue in respect of each of the three consecutive taxation years immediately preceding the day on which the officer receives the updated evidence.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4233-16

 

INTITULÉ :

SEYED SAJJAD NEMATOLLAHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 27 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge GLEESON

 

DATE :

le 4 août 2017

 

COMPARUTIONS :

Seyed Sajjad Nematollahi

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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