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Date : 20170810


Dossier : IMM-53-17

Référence : 2017 CF 762

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 août 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

GUIMEI HUANG

JIAHAO WU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision datée du 14 décembre 2016 [la décision contestée] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a rejeté les demandes d’asile des demandeurs fondées sur l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR.

II.  LE CONTEXTE

[2]  Les demandeurs sont des citoyens de la République populaire de Chine. Il s’agit d’une mère [la demanderesse principale] et de son fils [le demandeur mineur] qui font valoir une crainte de persécution liée au fait que la demanderesse principale est adepte du Falun Gong.

[3]  La demanderesse principale a commencé à pratiquer le Falun Gong en mai 2013. Elle affirme avoir été initiée à cette discipline par une amie qui pensait que le Falun Gong l’aiderait à se détendre et à améliorer sa santé, qui s’était détériorée après que son époux l’eut quittée pour une autre femme en 2011 avant de disparaître en septembre 2012. La demanderesse principale prétend qu’elle s’adonnait tous les samedis à une pratique de groupe avec son amie et qu’elle pratiquait aussi quotidiennement le Falun Gong à la maison.

[4]  En mai 2014, la demanderesse principale est allée au Japon et a dû effectuer des heures supplémentaires à son retour de voyage, ce qui l’a empêchée de se rendre à sa pratique de groupe de Falun Gong. À ce qu’affirme la demanderesse principale, sa belle‑mère lui a téléphoné le surlendemain de son retour pour l’informer que le Bureau de la sécurité publique [le BSP] avait arrêté les quatre autres membres de son groupe de pratique et exigé que la demanderesse principale se présente sur‑le‑champ au Bureau. Cette dernière s’est cachée chez son ancienne camarade d’école et pendant ce temps, soutient‑elle, le BSP a continué à la rechercher et a même menacé ses beaux‑parents. La demanderesse principale a ensuite engagé un passeur pour qu’il l’aide à s’enfuir au Canada avec son fils.

[5]  Le 22 août 2014, les demandeurs sont arrivés au Canada où ils ont présenté une demande d’asile. Leur demande a été instruite les 11 et 26 juillet 2016 et a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR le 8 août suivant. Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.

III.  LA DÉCISION SOUS CONTRÔLE

[6]  Dans une décision datée du 14 décembre 2016, la SAR a confirmé la décision de la SPR et rejeté l’appel des demandeurs.

A.  Le motif de l’adhésion au Falun Gong

[7]  La SAR a convenu avec la SPR que l’absence de preuve de nature à corroborer l’événement qui a poussé la demanderesse principale à adhérer au Falun Gong, à savoir la disparition de son époux en 2012, mettait en doute la raison qu’elle avait de se tourner vers une secte illégale.

B.  La pratique du Falun Gong

[8]  Comme la SPR, la SAR a tiré une inférence défavorable de la contradiction entre le formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] de la demanderesse principale et son témoignage à l’audience de la SPR concernant la fréquence de sa pratique du Falun Gong. La SAR a rejeté l’explication selon laquelle la contradiction était due aux instructions incorrectes fournies par les adjoints de son avocat, attendu que les directives du formulaire FDA étaient claires et que la demanderesse principale était représentée par un avocat compétent.

C.  L’arrestation de quatre autres adeptes

[9]  La SAR a convenu avec la SPR qu’il n’était ni raisonnable ni vraisemblable que la demanderesse principale omette d’indiquer dans sa demande d’asile qu’elle avait demandé à son ancienne camarade de classe de s’enquérir du sort des autres adeptes. La SAR a rejeté l’explication voulant que les adjoints de son avocat lui aient demandé de laisser de côté ce renseignement, étant donné que les instructions indiquaient clairement qu’il fallait déclarer tous les renseignements importants et que la détention de tous les autres adeptes était un élément faisant partie intégrante de la preuve.

D.  L’exemplaire du Zhuan Falun

[10]  La SAR a convenu avec la SPR que l’incohérence du témoignage entendu par la SPR concernant l’endroit où la demanderesse principale conservait son exemplaire du Zhuan Falun amenait à se demander si elle en possédait vraiment un ou si elle l’avait même jamais lu. La SPR a conclu qu’il était déraisonnable et invraisemblable que la demanderesse principale ait lu ce livre complexe une seule fois puis qu’elle ait cessé de l’étudier, alors qu’elle avait précédemment déclaré qu’elle le lisait quotidiennement.

E.  La résidence et le lieu de refuge de la demanderesse

[11]  La SAR a convenu avec la SPR que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse principale n’avait pas vécu dans la clandestinité en mai 2014, comme elle l’avait prétendu. À l’audience devant la SPR, cette dernière a déclaré qu’elle était restée chez elle parce qu’elle n’avait pas pu trouver où se cacher, mais elle a ensuite modifié son témoignage et affirmé qu’elle était restée chez son ancienne camarade d’école. La SPR n’a pas trouvé convaincantes l’explication et l’absence d’éléments de preuve corroborants à cet égard, et en a donc tiré une inférence défavorable. La SAR s’est rangée à ce point de vue.

F.  L’expulsion du demandeur mineur

[12]  La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR suivant laquelle le demandeur mineur n’avait pas été expulsé de l’école. La demanderesse principale a prétendu qu’elle n’avait pas évoqué l’expulsion de son fils durant l’audience devant la SPR parce qu’elle avait mal compris la question; cependant, la SPR a estimé qu’aucun élément de preuve ne corroborait la prétention selon laquelle son fils ou quelque autre parent avait subi les contrecoups négatifs de sa pratique du Falun Gong, malgré les huit visites alléguées du BSP. Compte tenu de l’absence de preuve, la SAR a rejeté l’explication et souscrit à la conclusion de la SPR.

G.  La citation à comparaître

[13]  La SAR a tiré une inférence défavorable du fait que le BSP n’avait pas délivré de citation à comparaître à la demanderesse principale. Même si la politique du BSP en cette matière n’était pas uniforme dans tout le pays, la SAR a noté qu’il était déraisonnable que le BSP ne délivre pas de citation à comparaître alors qu’il recherchait très activement la demanderesse principale, qu’il s’était présenté rien de moins que huit fois à sa résidence, et qu’il avait arrêté tous les autres adeptes de son groupe, qui étaient censés être encore en détention.

H.  Le départ

[14]  La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR suivant laquelle il n’était ni crédible ni vraisemblable que la demanderesse principale quitte la Chine en utilisant son propre passeport après avoir attiré l’attention du BSP. La SAR a en outre estimé que cette conclusion sapait la crédibilité de la demanderesse principale lorsqu’elle prétendait qu’elle était poursuivie par le BSP parce qu’elle pratiquait le Falun Gong.

[15]  En examinant la documentation, la SAR a noté que le réseau informatique chinois de sécurité nationale, le Bouclier d’or, contenait des renseignements sur les fugitifs criminels et les passeports et était muni de mécanismes de contrôle et de localisation très avancés. La documentation indiquait que le Bouclier d’or était utilisé par les fonctionnaires de la sécurité aéroportuaire, et qu’il avait permis de placer en détention des personnes enregistrées dans cette base de données, ainsi que de localiser des adeptes du Falun Gong.

[16]  La SAR a également cité la loi sur la gestion des entrées et des sorties de la Chine (Exit and Entry Administration Law of China), qui exige la présentation de pièces d’identité aux fins de tout voyage et interdit aux suspects ou aux défendeurs dans des affaires criminelles de sortir du pays. La SAR a également cité d’autres documents indiquant que les autorités frontalières chinoises ont mis en place des procédures de contrôle des sorties et peuvent empêcher quiconque de quitter le pays, que les formalités de contrôle aient été complétées ou pas, par exemple en faisant rapport à la Cour populaire suprême au dernier échelon de la hiérarchie. Les documents indiquent aussi qu’avant le départ, les passagers doivent passer au moins quatre contrôles de sécurité où ils doivent présenter leur passeport. Par ailleurs, les autorités chinoises peuvent empêcher un voyageur de partir si ses papiers ne sont pas valides ou s’il est un suspect dans une affaire criminelle.

[17]  La SAR a également examiné la preuve soumise par la demanderesse principale concernant le passeur qui l’a aidée à sortir de la Chine, et a estimé que cette preuve était vague et manquait de détails. Pour la SAR, il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse principale, qui voulait échapper à une arrestation et à la détention en quittant le pays, se renseigne sur les services du passeur en question, d’autant plus qu’elle a déclaré n’avoir adhéré au Falun Gong qu’après avoir été rassurée que des mesures de sécurité étaient en place. Cependant, la SAR a également noté que sa conclusion en matière de vraisemblance était fondée sur des renseignements récents issus du Cartable national de documentation sur la Chine [le CND]. Elle a estimé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le Bouclier d’or et d’autres systèmes servent à empêcher qu’un seul individu compromette les contrôles de sécurité aéroportuaire, par exemple un fonctionnaire soudoyé par un passeur. Par ailleurs, la SAR a estimé que la preuve indiquait que le passeport de la demanderesse principale avait été examiné plusieurs fois au point de sortie et qu’il était improbable qu’un passeur ait su qui il fallait soudoyer pour la faire passer en toute sécurité à l’aéroport.

[18]  Pour étayer sa conclusion, la SAR a cité la décision qu’elle a rendue dans l’affaire X (Re), 2015 CanLII 72857 (CA CISR) [X (Re)], dans laquelle elle avait estimé qu’il était peu probable qu’une personne recherchée puisse quitter la Chine depuis un aéroport international en utilisant son propre passeport.

[19]  Comme la demanderesse principale alléguait que le BSP était toujours à sa recherche, la SAR a estimé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les autorités aient saisi les renseignements personnels la concernant dans le Bouclier d’or. La corruption existe, mais la documentation indique qu’elle concerne les ministères et la gestion de fonds, et non les systèmes de sécurité aéroportuaire. La SAR n’a donc pas accepté que la demanderesse principale ait pu contourner tous les contrôles de sécurité en place.

I.  La demande d’asile sur place

[20]  La SAR a convenu avec la SPR que la demanderesse principale n’avait pas fourni assez d’éléments de preuve crédibles pour établir qu’elle pratiquait le Falun Gong ou qu’elle était recherchée par le BSP. La SAR a également estimé que la SPR pouvait reprendre les conclusions en matière de crédibilité que le témoignage de la demanderesse principale concernant sa pratique en Chine lui avait inspirées afin de statuer sur sa demande d’asile sur place. La SAR a donc conclu que les éléments de preuve crédibles étaient insuffisants pour établir que les autorités chinoises connaissaient les activités liées au Falun Gong que la demanderesse principale aurait menées au Canada.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]  Les demandeurs soutiennent que la présente demande soulève les questions suivantes :

  1. L’analyse de la SAR soulève‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité et entraîne‑t‑elle une erreur de compétence?

  2. Subsidiairement, la SAR a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[22]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a affirmé qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer dans chaque cas une analyse concernant la norme de contrôle. À la place, la cour de révision peut adopter la norme applicable à une question particulière dont elle est saisie si la jurisprudence l’a établie de manière satisfaisante. Ce n’est que si cette recherche s’avère infructueuse, ou que les précédents pertinents semblent incompatibles avec l’évolution des principes de common law relatifs au contrôle judiciaire que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs de l’analyse concernant la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[23]  Les allégations de partialité, si elles sont prouvées, peuvent entraîner une atteinte à l’équité procédurale et sont soumises à la norme de la décision correcte : Gaziova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 679, au paragraphe 24.

[24]  La norme de contrôle applicable aux conclusions factuelles de la SAR concernant la crédibilité de la demanderesse et l’évaluation de la preuve, notamment en ce qui concerne l’omission délibérée de tenir compte de la jurisprudence, est celle de la décision raisonnable : Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 539, au paragraphe 19.

[25]  Lorsqu’il s’agit d’évaluer une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour n’interviendra que si la décision contestée est déraisonnable dans le sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[26]  Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

Définition de réfugié

Convention Refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

VII.  LES ARGUMENTS DES PARTIES

A.  Les arguments des demandeurs

(1)  La crainte de partialité et l’erreur de compétence

[27]  Les demandeurs soutiennent que la décision contestée soulève une crainte raisonnable de partialité et entraîne une erreur de compétence, ce qui suffit en soi à justifier une intervention judiciaire.

[28]  Les demandeurs font valoir que la commissaire de la SAR a délibérément omis la jurisprudence contredisant la conclusion suivant laquelle ils n’auraient pas pu quitter la Chine en se servant de leurs propres passeports s’ils étaient des fugitifs. Ils soumettent à cet égard une preuve consistant en un affidavit signé par Michael Korman, conseiller en immigration, indiquant que la commissaire de la SAR qui a statué sur l’affaire connaissait la jurisprudence ayant infirmé les décisions de la SAR où la question de savoir s’il était vraisemblable que des demandeurs d’asile puissent quitter la Chine munis de leurs propres passeports avait été débattue en appel, notamment : Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533, aux paragraphes 5, 9, 10 [Zhang]; Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 387, aux paragraphes 13, 26 [Sun]; Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au paragraphe 16 [Ren]; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543, aux paragraphes 12 à 14 [Yang]. M. Korman avait soumis les décisions susmentionnées à la commissaire de la SAR dans le cadre d’audiences antérieures où il représentait ses propres clients, démontrant ainsi que la commissaire en question connaissait ces décisions. Cependant, la décision contestée ne cite que la décision X (Re), précitée, qui n’est pas favorable aux demandeurs.

[29]  Le critère relatif à la crainte de partialité consiste à se demander si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste : Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394. Les demandeurs font valoir que la conduite de la SAR donne l’impression que la jurisprudence qui leur était favorable a été délibérément omise parce que leur avocat ne la connaissait pas, ce qui peut raisonnablement faire craindre que la commissaire de la SAR se soit montrée partiale. En outre, les demandeurs soutiennent que la SAR a outrepassé sa compétence en omettant délibérément cette jurisprudence, devenant de ce fait une partie adverse plutôt qu’un décideur impartial.

(2)  Les conclusions en matière de crédibilité

[30]  Subsidiairement, les demandeurs soutiennent que la SAR a tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité qui justifient l’intervention judiciaire.

a)  La sortie de la Chine

[31]  En plus des observations précédentes concernant la partialité, les demandeurs font valoir que la conclusion selon laquelle il était invraisemblable que les demandeurs quittent la Chine munis de leurs propres passeports est déraisonnable, parce qu’elle repose sur la présomption à caractère hypothétique selon laquelle le passeur ne pouvait pas les faire passer sans encombre. De plus, la SAR a reconnu « quelques incidents isolés d’évasions réussies » et la possibilité « qu’un passeur réussisse à contourner certains des contrôles de sécurité ». Elle n’a pas non plus contredit la conclusion de la SPR selon laquelle la corruption existe en Chine. Par conséquent, avancent les demandeurs, il n’est pas certain qu’il soit invraisemblable qu’un passeur échappe aux contrôles frontaliers en soudoyant des fonctionnaires aéroportuaires et en contournant les mesures de sécurité.

[32]  À l’appui de cet argument, les demandeurs invoquent des décisions dans lesquelles la Cour a infirmé des décisions qui soulevaient la question de savoir si un demandeur pouvait quitter la Chine depuis l’aéroport en utilisant son propre passeport : Zhang; Sun; Ren; Yang, toutes précitées; et Yao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 927, au paragraphe 9 [Yao].

b)  Le motif de l’adhésion au Falun Gong

[33]  Les demandeurs font valoir qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de rejeter leur explication ayant trait à l’absence de preuve concernant le départ de l’époux de la demanderesse principale en 2011 et sa disparition en 2012. La demanderesse principale a expliqué que les membres de sa famille n’avaient pas fourni d’affidavits, parce qu’ils étaient illettrés et qu’ils ne voulaient pas être mêlés à cette histoire. De plus, son amie lui avait conseillé d’oublier ce qui s’était passé en Chine et ne savait pas comment rédiger la lettre. Les demandeurs affirment que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que des parents et amis illettrés ne soient pas en mesure de fournir une preuve écrite, et qu’ils soient réticents à se mêler à une demande d’asile internationale contre le pays où ils résident encore. La conclusion de la SAR est fondée sur de pures hypothèses et est donc déraisonnable : Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 167, au paragraphe 12.

c)  La citation à comparaître

[34]  Les demandeurs estiment qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de conclure que la demanderesse principale n’était pas crédible lorsqu’elle a allégué qu’elle était recherchée par le BSP, et ce, parce qu’il n’y avait pas eu de citation à comparaître. La SAR a reconnu que le BSP ne délivrait pas systématiquement des citations à comparaître et n’a cité aucun élément de preuve l’autorisant à présumer, comme elle l’a fait, que le BSP en aurait délivré une à la demanderesse principale. De plus, la Cour a estimé que si la norme de la région où habite un demandeur particulier veut que le BSP ne laisse pas de citation à comparaître, cette norme est présumée être suivie, peu importe le nombre de visites des agents du BSP : Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 65, aux paragraphes 13 et 14 [Liang]. Par ailleurs, quand bien même une citation à comparaître aurait été délivrée, rien n’indique que la demanderesse principale en aurait été informée étant donné que sa famille et ses amis n’auraient pas été nécessairement notifiés. Par conséquent, les demandeurs affirment que cette conclusion est arbitraire, conjecturale et dénuée de transparence.

d)  L’exemplaire du Zhuan Falun

[35]  Les demandeurs soutiennent que, contrairement à ce qu’a conclu la SAR, le témoignage de la demanderesse principale concernant l’endroit où se trouve son exemplaire du Zhuan Falun n’est ni une omission ni une contradiction. La demanderesse principale avait déclaré qu’elle lisait ce livre tous les jours; elle a précisé ultérieurement qu’elle l’avait caché après avoir fini de le lire. Il n’y a là ni contradiction, ni omission, ni raison de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

e)  L’expulsion du demandeur mineur

[36]  Les demandeurs font aussi valoir qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter l’explication de la demanderesse principale quant à la raison pour laquelle elle n’a pas évoqué l’expulsion de son fils de l’école. La demanderesse principale a mal compris la question et a cru qu’on lui demandait si son fils avait déjà fréquenté l’école, et non s’il avait fréquenté l’école après que le BSP avait commencé à la rechercher. Elle n’a pas soulevé la question, parce qu’elle ignorait qu’il y avait eu un malentendu.

f)  La demande d’asile sur place

[37]  Les demandeurs estiment que l’évaluation par la SAR de la preuve relative à la demande d’asile sur place était déraisonnable. Lorsqu’elle a abordé dans son analyse les observations ayant trait à la demande d’asile sur place, la SAR avait déjà décidé que la demanderesse principale n’était pas crédible et que ses allégations étaient fausses, ce qui a entaché son analyse : Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 972, au paragraphe 8. Les demandeurs contestent également l’omission de la SAR de tenir compte du fait que les autorités chinoises surveillent les mouvements des adeptes du Falun Gong au Canada, comme la preuve documentaire l’a démontré, et qu’elles utilisent une technologie de reconnaissance faciale pour identifier les personnes d’intérêt. Cette preuve, combinée au fait que le BSP dispose de la photo de la demanderesse principale qui figure sur sa carte d’identité de résidente, établit qu’il existe plus qu’une simple possibilité que les autorités chinoises soient au fait de ses activités pro‑Falun Gong au Canada et qu’elle pourrait être identifiée, comme la Cour l’a conclu dans Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 258, au paragraphe 13.

B.  Les arguments du défendeur

(1)  Les conclusions en matière de crédibilité

[38]  Le défendeur soutient que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité sont raisonnables.

a)  La sortie de la Chine

[39]  Selon le défendeur, compte tenu de la preuve documentaire concernant l’utilisation et la portée du Bouclier d’or, il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’il était hautement improbable que le passeur ait su à l’avance quels agents il devait soudoyer pour permettre aux appelants de passer sans problème à l’aéroport, d’autant plus que les demandeurs voyageaient en utilisant leurs propres passeports et ont allégué qu’ils étaient toujours recherchés énergiquement par le BSP. Il était également raisonnable pour la SAR d’estimer qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les autorités locales aient versé des renseignements au sujet de la demanderesse principale dans le Bouclier d’or. De plus, il était raisonnable pour la SAR de conclure que, même s’il était possible de contourner certains des contrôles de sécurité, il était hautement improbable que les demandeurs aient pu tous les contourner.

[40]  Le défendeur est d’avis que l’argument des demandeurs selon lequel la SAR aurait dû envisager la possibilité que tous les contrôles puissent être contournés est une inférence subsidiaire découlant de la preuve. Cependant, il ne suffit pas de démontrer qu’une autre conclusion aurait pu être tirée; il incombe aux demandeurs de démontrer que les inférences de la SAR n’étaient pas étayées par la preuve, ce qu’ils n’ont pas fait. De plus, ils n’ont pas fourni d’élément de preuve susceptible d’appuyer les inférences subsidiaires, c’est‑à‑dire de démontrer comment le passeur aurait pu contourner tous les contrôles de sécurité.

[41]  Le défendeur estime également que la SAR a raisonnablement conclu que le témoignage de la demanderesse principale concernant le passeur était vague et manquait de détails. Il est raisonnable de s’attendre à ce que la personne qui quitte son pays pour échapper à une arrestation et à la détention veuille savoir comment le passeur projette de la faire sortir du pays en toute sécurité.

[42]  Par ailleurs, le défendeur soutient que les demandeurs se sont fondés à tort, en particulier, sur les décisions Sun et Ren, toutes deux précitées. La preuve concernant le partage de renseignements dans la décision Sun est obsolète puisqu’elle remonte à juillet 2009, alors que la SAR s’est appuyée sur un CND daté du 29 avril 2016, qui indique que les autorités chinoises ont augmenté la portée et la complexité du régime de partage des renseignements et resserré la sécurité aéroportuaire. D’autre part, la décision Ren ne s’applique pas, puisque dans cette décision on laissait entendre qu’il suffirait de soudoyer une seule personne pour aider quelqu’un à sortir de la Chine sans difficulté. En l’espèce, les demandeurs sous‑entendent par leurs arguments que le passeur pourrait avoir effacé du Bouclier d’or les renseignements concernant la demanderesse principale. Compte tenu de la preuve relative à ce système, il était raisonnable de s’attendre à ce que le système ne puisse pas être compromis par une seule personne. De plus, l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle le BSP la recherche toujours affaiblit l’argument selon lequel les renseignements la concernant auraient été effacés du système.

[43]  Le défendeur fait également valoir que la jurisprudence citée par les demandeurs quant à cette question ne signifie pas que la SAR ne peut jamais tirer d’inférence défavorable lorsqu’un fugitif chinois réussit à sortir du pays en se servant de son propre passeport. Chaque décision doit reposer sur les faits de l’affaire, l’analyse effectuée et la preuve documentaire dont dispose le tribunal. De plus, la Cour a rendu des décisions dans lesquelles elle a estimé qu’une telle conclusion défavorable était raisonnable : Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 838, au paragraphe 53 [Ma]; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 698, aux paragraphes 10, 13, 16 [Lin]; Sui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 406, aux paragraphes 37 à 43 [Sui].

b)  Le motif de l’adhésion au Falun Gong

[44]  Malgré la demande de la SPR en ce sens, la demanderesse principale n’a fourni aucun élément de preuve étayant la disparition de son époux en 2012. Comme c’est pour cette raison qu’elle a prétendument commencé à pratiquer le Falun Gong, il était raisonnable pour la SAR de convenir avec la SPR que l’absence d’éléments de preuve corroborants mettait en doute les raisons pour lesquelles elle pratiquait le Falun Gong. Le défendeur fait également valoir que la préoccupation de la SAR concernait l’absence du moindre élément de preuve susceptible d’étayer les motifs de son adhésion au Falun Gong et d’établir le bien‑fondé de sa demande d’asile, et non le fait que sa famille et ses amis étaient illettrés.

c)  La citation à comparaître

[45]  Compte tenu de l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle elle était toujours recherchée énergiquement par le BSP, le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’une citation à comparaître aurait probablement été délivrée si les allégations étaient véridiques, même si la politique du BSP à cet égard n’est pas forcément uniforme dans toutes les régions de la Chine. Comme dans la décision Lan Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1398, au paragraphe 35, la preuve documentaire ne contredisait pas directement la conclusion de la SAR à cet égard. De plus, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAR de s’attendre à ce que la demanderesse principale sache si une citation à comparaître avait été délivrée, puisqu’elle était en communication avec sa belle‑mère et que des agents du BSP se seraient présentés au domicile de cette dernière à plusieurs reprises.

[46]  Quoi qu’il en soit, le défendeur fait valoir que cette question n’est pas déterminante, puisque d’autres incohérences ont été relevées. La conclusion de la SAR en matière de crédibilité reposait sur l’ensemble des divergences; à ce titre, quand bien même il s’agirait d’une erreur, la décision contestée peut quand même être confirmée : Nyathi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1119, au paragraphe 18.

d)  L’exemplaire du Zhuan Falun

[47]  Le défendeur est d’avis que le témoignage concernant l’endroit où se trouve l’exemplaire du Zhuan Falun comporte une incohérence. La demanderesse principale a déclaré au départ qu’elle le lisait chez elle tous les jours et qu’elle ne se rendait au lieu de pratique que la fin de semaine, mais elle a ensuite affirmé qu’elle avait caché le livre à cet endroit. La SAR a rejeté l’explication selon laquelle elle avait caché le livre après l’avoir fini, parce qu’elle avait omis de préciser qu’elle avait fini de le lire et parce que c’est un livre complexe. Compte tenu du témoignage de la demanderesse principale selon lequel elle lisait le livre tous les jours en Chine, la conclusion de la SAR sur ce point était raisonnable.

e)  L’expulsion du demandeur mineur

[48]  Dans sa décision, la SAR n’a relevé aucun élément de preuve indiquant que des membres de la famille auraient subi un préjudice ou été victimes de menaces. Ce fait, combiné au défaut de la demanderesse principale de mentionner, lors de l’audience devant la SPR, que son fils aurait été expulsé de l’école, confirme que le demandeur mineur n’a pas été expulsé. Il incombait à la demanderesse principale de fournir des éléments de preuve corroborants, et elle ne l’a pas fait. Le défendeur soutient que les conclusions de la SAR sur ce point sont raisonnables, puisque le simple fait qu’un demandeur fournisse une explication ne signifie pas que celle‑ci doit être acceptée; par conséquent, il était loisible à la SAR d’examiner l’explication pour déterminer si elle était suffisante, et la Cour n’a pas à réévaluer la preuve : Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 417, au paragraphe 39.

f)  Les autres divergences

[49]  Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAR de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison de nombreuses incohérences, dont certaines n’ont pas été contestées par les demandeurs. Ces incohérences non contestées concernaient notamment la fréquence à laquelle la demanderesse principale participait à des séances de pratique du Falun Gong en groupe, l’absence de renseignements concernant l’arrestation des autres adeptes de son groupe et son lieu de refuge.

(2)  La crainte de partialité

[50]  Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas satisfait à la norme stricte requise pour établir une crainte raisonnable de partialité.

[51]  Premièrement, la décision contestée est très factuelle et analyse en détail le régime de partage des renseignements du BSP, les procédures de contrôle de sécurité aéroportuaire chinoises, les secteurs minés par des problèmes de corruption et les allégations de la demanderesse principale selon lesquelles le BSP a continué de la rechercher énergiquement après qu’elle eut quitté la Chine avec l’aide d’un passeur. Bien que, dans certaines décisions, la Cour se soit opposée aux conclusions de la SAR concernant la capacité d’un demandeur à quitter la Chine, dans d’autres décisions, elle les a confirmées. Chaque décision repose sur des faits qui lui sont propres, et la décision contestée démontre que la SAR a bien compris la preuve et les questions pertinentes. Le fait que les motifs ne mentionnent pas chaque facteur ou élément de preuve n’invalide pas la décision contestée et ne démontre pas l’existence de partialité : Ma, précitée, au paragraphe 53; Lin, précitée, aux paragraphes 10, 13, 16; Sui, précitée.

[52]  Deuxièmement, l’argument des demandeurs à l’égard de cette question revient effectivement à contester la pondération de la preuve effectuée par la SAR. Une preuve ambiguë et équivoque ne justifie pas l’intervention judiciaire pour autant que la conclusion ne soit pas erronée à première vue : Conkova c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] ACF no 300, au paragraphe 5. De plus, la commissaire de la SAR en question a estimé que les décisions Zhang, Ren et Sun, précitées, ne s’appliquaient à aucune des deux décisions de la SAR, car elles étaient fondées sur une preuve documentaire obsolète offrant des renseignements limités sur le Bouclier d’or et les contrôles frontaliers chinois.

(3)  La demande d’asile sur place

[53]  Le défendeur fait valoir que la SAR a évalué la demande d’asile sur place de manière raisonnable. La SAR n’a pas rejeté la demande au motif que la demanderesse principale n’était pas une véritable adepte du Falun Gong; elle a plutôt estimé que les demandeurs n’avaient pas présenté assez d’éléments de preuve crédibles établissant que les activités liées au Falun Gong que la demanderesse principale aurait menées au Canada avaient été portées à l’attention des autorités chinoises. Les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de montrer que leur crainte de persécution prospective avait un fondement objectif. Compte tenu des problèmes de crédibilité, il était raisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse principale ne serait pas perçue comme une adepte du Falun Gong et donc qu’elle ne serait pas recherchée par le BSP. Il était également raisonnable pour la SAR de conclure que quelques photos prises de la demanderesse principale dans un lieu inconnu avec un groupe de personnes inconnues ne suffisent pas pour établir que les autorités chinoises étaient au courant de ses activités prétendues en lien avec le Falun Gong.

C.  La réponse des demandeurs

(1)  La crainte de partialité

[54]  Les demandeurs soutiennent que l’omission délibérée de la SAR de mentionner les décisions contradictoires que leur avocat ne semblait pas connaître n’a rien à voir avec la pondération de la preuve. Le fait que la SAR ait omis de tenir compte d’éléments de preuve contradictoires ne constitue pas une nouvelle pondération.

[55]  De plus, les demandeurs ne pensent pas que l’omission par la commissaire de la SAR de mentionner les décisions Zhang, Ren et Sun, précitées, dans des décisions précédentes de la SAR soit sans importance; ces décisions de la SAR ont donné lieu à des autorisations de contrôle judiciaire devant la Cour relativement à la même question. D’autre part, les demandeurs notent que le défendeur ne s’est pas prononcé sur le caractère applicable des décisions Yang et Yao, précitées.

(2)  Les conclusions en matière de crédibilité

a)  La sortie de la Chine

[56]  Contrairement à ce que fait valoir le défendeur dans ses observations, les demandeurs soutiennent que les décisions Ren et Sun, précitées, ne doivent pas être écartées. Dans ces deux décisions, comme dans le cas présent, le seul élément de preuve concernant ce que le passeur avait fait pour les demandeurs était qu’un pot‑de‑vin avait été versé à des fonctionnaires : Ren, au paragraphe 6; Sun, au paragraphe 8. De plus, dans la décision Ren, la SPR a invoqué et cité le même document concernant le Bouclier d’or que celui qui est cité dans la décision contestée; par conséquent, la décision de la Cour se rapportait à la même preuve que celle dont il est question en l’espèce. Bien que la preuve relative au Bouclier d’or dans Sun ne soit pas identique à la documentation soumise par les demandeurs, ces derniers font valoir que cela ne diminue en rien la pertinence de la décision. Dans la décision Sun, la Cour a estimé qu’il était trop hypothétique de présumer qu’un demandeur d’asile fugitif ne pourrait pas sortir de la Chine en utilisant son propre passeport et avec l’aide d’un passeur; ce sont là les circonstances de la présente affaire. Enfin, les demandeurs font valoir que les décisions Yang et Yao sont pertinentes, car elles sont fondées sur le CND invoqué dans la décision contestée.

b)  Le motif de l’adhésion au Falun Gong

[57]  Les demandeurs affirment de nouveau que l’explication concernant l’absence d’éléments de preuve susceptibles de corroborer la disparition de l’époux de la demanderesse principale en 2012 n’est pas invraisemblable, et ils ajoutent que la position du défendeur sur ce point est dénuée de fondement.

c)  La citation à comparaître

[58]  Les demandeurs sont en désaccord avec le défendeur sur cette question et estiment que rien n’indique que les autorités chinoises signifient des citations à comparaître aux suspects criminels ou aux membres de leur famille, ou qu’elles avisent les suspects ou les membres de leur famille de l’existence d’une citation à comparaître.

d)  L’exemplaire du Zhuan Falun

[59]  Les demandeurs font valoir de nouveau que le témoignage de la demanderesse principale concernant l’endroit où se trouvait le livre Zhuan Falun n’est pas incohérent.

e)  L’expulsion du demandeur mineur

[60]  Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse principale aurait dû mentionner l’expulsion de son fils lors de l’audience devant la SPR est illogique, puisqu’elle ne savait pas qu’il y avait eu un malentendu. En outre, l’absence d’éléments de preuve corroborants sur ce point ne justifie pas le rejet de l’explication de la demanderesse principale; les demandeurs d’asile n’ont pas à fournir des éléments de preuve corroborants, et la SAR ne peut pas refuser de les croire simplement parce que de tels éléments de preuve n’ont pas été produits, ni tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en l’absence de preuve contredisant les allégations : Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 705, au paragraphe 45.

f)  La demande d’asile sur place

[61]  Les demandeurs soutiennent que la preuve soumise pour établir le bien‑fondé de la demande d’asile sur place comportait plus que de simples photos de la demanderesse principale pratiquant le Falun Gong en public au Canada. Ils ont également présenté une preuve documentaire portant sur les mesures énergiques et agressives prises par les autorités chinoises pour surveiller les activités des adeptes du Falun Gong au Canada. Cette preuve, qui se rapportait notamment à la technologie avancée de reconnaissance faciale utilisée par les autorités chinoises et au fait que celles‑ci avaient la photo de la demanderesse principale, appuie la demande d’asile sur place.

VIII.  ANALYSE

[62]  La SAR a rejeté l’appel des demandeurs, parce qu’ils « n’[ont] pas fourni d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi à l’appui de [leurs] allégations selon lesquelles [la demanderesse principale] pratiquait le Falun Gong, et que, par conséquent, elle était recherchée pas le PSB ». Il s’agit là d’une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité qui repose sur une série d’inférences défavorables liées à des questions clés soulevées par la demande de protection des demandeurs. Ces derniers ne contestent pas certaines des conclusions défavorables de la SAR, si bien que ces aspects de la décision contestée doivent être considérés comme raisonnables. Ces conclusions se rapportent notamment aux incohérences concernant la fréquence à laquelle la demanderesse principale participait aux pratiques de groupe de Falun Gong en Chine, à l’absence de renseignements sur l’arrestation des autres adeptes de son groupe en Chine et aux divergences concernant le lieu où elle s’était cachée avant de quitter la Chine. Néanmoins, comme le reconnaît le défendeur, [traduction« c’est la totalité de ces constatations qui a amené la SAR à conclure que [la demanderesse principale] n’était pas crédible pour ce qui est de ses allégations relatives à la pratique du FG en Chine ».

A.  La sortie de la Chine

[63]  L’un des principaux arguments des demandeurs pour justifier la demande de contrôle judiciaire est le fait que la SPR a tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité concernant la façon dont la demanderesse principale aurait pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport, compte tenu des mesures de sécurité à l’aéroport, et que la SAR a traité de la question d’une manière qui soulève une crainte raisonnable de partialité, puisqu’elle n’a ni mentionné ni appliqué la jurisprudence favorable aux demandeurs, que la commissaire connaissait, mais pas l’avocat des demandeurs.

[64]  La SAR a accordé une attention considérable (paragraphes 22 à 42 de la décision contestée) à cette question. Voici le cœur de son analyse :

[36]  La SAR estime que la preuve démontre que le système Bouclier d’or est un dispositif de sécurité perfectionné, étendu et très englobant. Compte tenu de l’importance de ce système pour la surveillance des citoyens par les autorités chinoises, la SAR estime qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que l’utilisation de cet appareil de sécurité soit, elle aussi, surveillée, et que des systèmes redondants aient été mis en place pour éliminer toute possibilité qu’une seule personne puisse compromettre le système. En outre, la SAR fait observer que l’appelante a affirmé que le PSB avait continué à la rechercher, même après son départ de la Chine. La SAR estime que cette allégation mine la suggestion selon laquelle son nom avait été d’une façon ou d’une autre effacé du système informatique.

[37]  En outre, la SAR constate que les éléments de preuve laissent entendre que le passeport de l’appelante a été examiné à maintes reprises. La SAR estime qu’il est hautement improbable que le passeur ait su à l’avance quels agents il devait soudoyer pour permettre à sa cliente de passer sans problème chacun des points de contrôle. Qui plus est, la SAR fait observer que, selon l’article 51 de la loi sur la gestion des entrées et des sorties de la République populaire de Chine (Exit and Entry Administration Law of the People’s Republic of China), les entreprises transportant des marchandises et des passagers en provenance ou à destination de la Chine doivent fournir de l’information sur les marchandises et les passagers avant leur départ ou leur arrivée. Les autorités frontalières chinoises reçoivent ainsi ce qui est décrit comme de « l’information préalable sur les passagers » au sujet des passagers qui arrivent au pays ou qui le quittent. Cette information comprend un certain nombre de détails sur le passager, y compris son nom complet, sa date de naissance, son sexe, sa nationalité, son pays de résidence, le type de titre de voyage dont il est muni ainsi que le numéro de son passeport, sa date d’expiration et le pays qui l’a délivré. En ce qui concerne les vols intérieurs, il semble que la Chine a établi une liste d’exclusion contenant le nom de tous les passagers qui n’ont pas le droit d’embarquer dans un aéronef; toutefois, le CND ne dit pas s’il existe une liste similaire s’appliquant aux vols à destination de l’étranger. Quoi qu’il en soit, il est évident que les autorités frontalières reçoivent de l’information détaillée sur les passagers des vols à destination de l’étranger.

[38]  À la lumière de l’allégation de l’appelante selon laquelle cette dernière suscitait toujours l’intérêt du PSB, qui la recherchait énergiquement, la SAR estime qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que les autorités locales aient versé des renseignements à son sujet dans la base de données afin de poursuivre leurs efforts pour l’arrêter.

[39]  La SAR reconnaît que le dossier contient des éléments de preuve établissant qu’il y a de la corruption en Chine. Toutefois, la SAR souligne que le dossier contient un document très complet sur la corruption des fonctionnaires en Chine, préparé par le Tribunal de révision des demandes de réfugiés de l’Australie, et d’autres éléments de preuve objectifs qui ne mentionnent nulle part que la corruption s’étend jusqu’au dispositif de sécurité des aéroports. Les éléments de preuve objectifs indiquent que la pratique de la corruption est évidente dans bien des secteurs de la société chinoise, mais la plupart des sources s’entendent sur le fait que ces problèmes de corruption sont concentrés dans des secteurs où l’État joue un très grand rôle, par exemple la construction, l’aménagement du territoire, les infrastructures, le développement immobilier et les banques. L’ex‑premier ministre chinois Wen Jiabao a dit en mars 2012 que [traduction] « la corruption a tendance à être surtout le fait des ministères qui ont un grand pouvoir et des secteurs où la gestion des fonds est centralisée ».

[40]  La SAR estime que les éléments de preuve de l’appelante ne sont pas crédibles en ce qui concerne son passage à un aéroport international alors qu’elle était recherchée par le PSB. La SAR conclut que les éléments de preuve objectifs concernant le Bouclier d’or et les autres contrôles mis en place aux frontières chinoises sont convaincants. Il se peut qu’un passeur réussisse à contourner certains des contrôles de sécurité, mais la SAR conclut que, selon les éléments de preuve au dossier, il est hautement improbable que l’appelante ait pu contourner tous les contrôles de sécurité mis en place. La SAR estime, à la lumière de cette analyse, que l’allégation de l’appelante selon laquelle elle était recherchée par la police n’est pas crédible.

[41]  La conclusion de la SAR à ce chapitre s’appuie sur la décision X (Re), 2015 CanLII 72857 (CA CISR) de la SAR, qui portait sur des circonstances semblables :

Compte tenu des exigences liées à l’IPV, qui sont en vigueur depuis des années, en plus du programme Bouclier d’or, qui est très efficace, il est improbable, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne recherchée soit capable de quitter la Chine depuis un aéroport international en utilisant un passeport sur lequel figure son nom, sa date de naissance et sa photographie. La possibilité de soudoyer le grand nombre de personnes qui interviennent dans le départ d’une personne est minime. Toutes les personnes, y compris la personne qui vend le billet, celle qui travaille au comptoir d’enregistrement, celle qui travaille au point de contrôle de sécurité, les personnes travaillant aux services de douanes et d’immigration, et la personne qui vérifie la carte d’embarquement, peuvent être en poste de façon aléatoire, ce qui fait en sorte qu’il est presque impossible pour quiconque de savoir quelle personne il faut soudoyer à chaque endroit. Il est simplement invraisemblable qu’un homme recherché puisse fuir la Chine en utilisant ses propres documents légitimes.

[42]  Après avoir elle‑même examiné et évalué les éléments de preuve, la SAR souscrit aux conclusions de la SPR et elle estime qu’il n’est ni crédible ni vraisemblable que l’appelante ait pu quitter la Chine au moyen de son propre passeport après avoir attiré l’attention du PSB. En outre, la SAR est d’avis que cette conclusion mine la crédibilité des allégations de l’appelante selon lesquelles elle était recherchée par le PSB en raison de ses activités liées au Falun Gong.

[Renvois omis.]

[65]  La critique détaillée et nuancée que formulent les demandeurs à l’égard du traitement de cette question par la SAR mérite d’être reproduite intégralement :

[traduction]

6.  Pour commencer, nous faisons valoir que l’analyse par la SAR de l’appel des demandeurs soulève une crainte raisonnable de partialité et donne lieu à une erreur de compétence. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte. Les demandeurs sont conscients qu’une allégation de crainte raisonnable de partialité est grave. Le critère en la matière consiste à déterminer si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste. Pour les motifs qui suivent, nous estimons que ce critère est rempli en l’espèce. Par ailleurs, nous estimons que la nature de la décision (revendication du statut de réfugié) et son importance pour les personnes concernées militent en faveur d’une application stricte du critère.

7.  La crainte de partialité en l’espèce concerne l’omission délibérée de la SAR de tenir compte d’une jurisprudence contraignante qui contredit sa conclusion suivant laquelle la demanderesse n’aurait pas été en mesure de quitter la Chine avec son propre passeport si elle était réellement une fugitive. La SAR s’est longuement penchée sur le départ de la Chine de la demanderesse et a consacré 6 pages et demi (soit 21 paragraphes) à analyser comment la demanderesse s’était arrangée pour quitter le pays alors qu’elle était recherchée par le BSP. En fin de compte, la SAR a conclu que la demanderesse ne pouvait pas vraisemblablement s’être échappée de la Chine en utilisant son propre passeport alors qu’elle était recherchée par la police. À l’appui de cette conclusion déterminante, la SAR a cité la décision qu’elle avait rendue précédemment dans X(Re), 2015 CanLII 72857 (CA CISR) (« X(Re) »). Dans cette affaire, la SAR avait jugé invraisemblable qu’une personne recherchée puisse soudoyer assez de fonctionnaires à l’aéroport pour pouvoir quitter la Chine au moyen de son propre passeport. La SAR a invoqué X(Re) comme précédent pour étayer sa conclusion suivant laquelle il n’était pas vraisemblable que la demanderesse puisse quitter la Chine dans des circonstances analogues. Le problème, toutefois, tient à ce que la SAR a délibérément omis de mentionner l’ensemble des décisions récentes et contraignantes de la Cour fédérale qui contredisent la conclusion tirée dans X(Re).

8.  La preuve dont la Cour est saisie montre que la commissaire de la SAR connaissait la jurisprudence contradictoire de la Cour. Cette preuve comprend deux appels antérieurs tranchés par la même commissaire et dans lesquels la jurisprudence contradictoire a été invoquée par l’avocat puis examinée dans les motifs et les décisions de la SAR. En l’espèce, toutefois, les décisions contradictoires de la Cour fédérale n’ont pas été citées par l’avocat des demandeurs dans le mémoire d’appel et, de ce fait, n’ont pas été évoquées par la commissaire de la SAR dans sa décision. Nous estimons que l’omission délibérée de la commissaire de la SAR d’aborder cette jurisprudence contradictoire favorable à la position des demandeurs suscite une [...] raisonnable [...].

9.  À l’appui de leur position, les demandeurs ont soumis un affidavit signé par M. Michael Korman, un avocat qui pratique exclusivement dans le domaine du droit des réfugiés et de l’immigration. Deux décisions de la SAR rendues par la commissaire qui a statué sur l’appel des demandeurs sont jointes à l’affidavit. Dans les deux cas, la question de la sortie de la Chine par des appelants munis de leurs propres passeports a été soulevée en appel et, dans les deux cas, l’avocat a cité les décisions récentes de la Cour fédérale infirmant les décisions de la SPR qui avait jugé ces sorties invraisemblables. Parmi ces décisions de la Cour fédérale, notons celles‑ci :

  Zhang c. Canada (MCI), 2008 CF 533 (« Zhang »), dans laquelle la juge Dawson a déclaré :

[5]  [...] 2. Deuxièmement, [...] la Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que Mme Zhang a utilisé son propre passeport authentique pour quitter la Chine. Elle a mis l’accent sur le témoignage de Mme Zhang selon lequel, alors qu’elle passait trois points de contrôle à l’aéroport de Beijing, le passeur lui avait dit que son nom « n’a[vait] pas fait l’objet d’une vérification dans le système informatique » et qu’il avait versé des pots‑de‑vin « aux agents des douanes ». La Commission a déterminé que la preuve documentaire mentionne qu’une personne qui quitte la Chine doit passer par au moins trois points de contrôle et que son passeport est contrôlé par les agents des douanes pour vérifier si elle est recherchée par le Bureau de la sécurité publique. La Commission a écrit ce qui suit : « [la demanderesse] a ajouté ignorer combien de personnes ce dernier avait dû soudoyer. Je rejette cette explication. Bien qu’il y a certainement un problème de corruption en République populaire de Chine, je trouve invraisemblable que le passeur puisse avoir été en mesure de verser des pots‑de‑vin à des centaines d’agents des douanes, étant donné qu’il était impossible de savoir à l’avance quel agent de la police de frontière serait en service ce jour‑là ou vers quelle file d’attente la demandeure d’asile (et le passeur) allaient être dirigés. »

[...]

[9]  En ce qui concerne la deuxième conclusion, le ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni a décrit dans le Country Report de 2005 relatif à la Chine [traduction] « plusieurs rôles très spécialisés » au sein du réseau des passeurs, dont les fonctionnaires corrompus. Le rapport mentionne ce qui suit :

[traduction]

Les fonctionnaires corrompus sont les autorités en Chine, et dans de nombreux pays de transit, qui sont payées pour aider les immigrants illégaux chinois. Certains fonctionnaires agissent non seulement en qualité d’aide, mais également en qualité de membres ou de partenaires importants au sein des organisations de passeurs. Les personnes qui faisaient partie de grandes organisations de passeurs ont souvent mentionné que des fonctionnaires chinois locaux étaient à la tête de leur organisation.

[10]  La réponse à la demande d’information numéro CHN36091.EF (le 6 février 2001) décrit les mesures de sécurité et de contrôle des sorties à l’aéroport de Beijing dans les termes suivants :

[traduction]

En théorie, les documents de voyage devraient être vérifiés à deux reprises et, si la personne se rend au Canada, à trois reprises. Les documents doivent être vérifiés par le transporteur aérien lorsque le passager s’enregistre pour son vol et ensuite par l’inspecteur à la frontière lorsque le passager est au contrôle des sorties. Pour les vols directs à destination du Canada, les documents de voyage doivent être vérifiés par le transporteur aérien à la porte d’embarquement.

Le système de contrôle des sorties de l’aéroport de Beijing est informatisé et tous les noms doivent être vérifiés à l’aide de ce système. Toutefois, comme pour tout système, des erreurs peuvent se produire ou des noms peuvent être entrés incorrectement, donc les personnes recherchées en Chine ne devraient pas pouvoir quitter le pays, mais cela peut se produire.

[11]  En raison de la preuve susmentionnée, je conclus que la Commission a fait une conjecture lorsqu’elle a conclu qu’il y avait possiblement des centaines de fonctionnaires à soudoyer. Un seul fonctionnaire ayant accès au système informatique suffirait.

  Sun c. Canada (MCI), 2015 CF 387 (« Sun »), dans laquelle le juge de Montigny a déclaré :

[13]  En ce qui a trait au récit du passage de clandestins, la Commission a conclu qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur soit en mesure de se déplacer en Chine et de quitter le pays muni de son véritable passeport, sans obstacle, alors qu’il faisait l’objet d’un prétendu mandat d’arrestation. La Commission a relevé que les documents sur la situation dans le pays démontrent l’existence d’une base de données nationale de la police. Bien qu’elle reconnaisse que la corruption est fréquente en Chine, la Commission a rejeté l’explication selon laquelle le passeur aurait versé un pot‑de‑vin à un douanier et elle a précisé que si le BSP avait été tant résolu à arrêter le demandeur, celui‑ci aurait été arrêté malgré le versement d’un seul pot‑de‑vin.

[...]

[26]  La Commission a tiré une autre conclusion tout aussi contestable, à savoir qu’il était peu probable que le demandeur, qui faisait l’objet d’un mandat d’arrestation, arrive à utiliser son véritable passeport pour quitter la Chine sans être remarqué, en particulier après que le BSP se fut rendu chez lui huit fois à sa recherche comme il le prétend. La Commission fonde principalement sa conclusion sur une Réponse à la demande d’information mentionnant l’existence et le développement d’une base de données d’envergure nationale des forces de police chinoises et utilisée par le BSP et aussi aux ports d’entrée et de sortie du pays. Ce document précise également qu’il reste du travail à faire en ce qui concerne l’échange de renseignements entre les services policiers régionaux. La Commission a elle‑même reconnu qu’il existe une grande liberté de décision en matière administrative partout en Chine et que la corruption est fréquente en Chine. Il est bien établi qu’il n’est possible de conclure à l’invraisemblance que dans les « cas les plus évidents » (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7) lorsque [traduction« les faits tels qu’ils ont été présentés sortent tellement de l’ordinaire que le juge des faits peut avec raison conclure qu’il est impossible que l’événement en question se soit produit » (Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, Markham (Ont.), Butterworths, 1992, article 8.22, cité au paragraphe 24 de la décision Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653). Comme la Commission a elle‑même reconnu que la corruption est fréquente et qu’il est possible que les renseignements ne soient pas communiqués efficacement, la Commission ne pouvait pas conclure que le récit du demandeur était invraisemblable. La conclusion selon laquelle le demandeur ne pouvait, selon toute vraisemblance, s’être déplacé en Chine pour présenter une demande de visa des États‑Unis sans être remarqué s’appuie elle aussi entièrement sur des conjectures; cette conclusion n’est fondée sur aucun élément de preuve. [Non souligné dans l’original.]

  Ren c. Canada (MCI), 2015 CF 1402 (« Ren »), dans laquelle le juge Boswell a tiré la conclusion suivante :

[16]  [...] Il n’est pas [invraisemblable] qu’une personne puisse quitter la Chine munie de son propre passeport avec l’aide d’un passeur qui a soudoyé la personne appropriée; « Un seul fonctionnaire ayant accès au système informatique suffirait » (Zhang au paragraphe 11). L’explication du demandeur selon laquelle il a engagé un passeur qui lui a dit de se présenter à une sortie particulière n’est pas invraisemblable et peut expliquer pourquoi il a été en mesure de partir muni de son propre passeport.

  Yang c Canada (MCI), 2016 CF 543 « “Yang »), dans laquelle le juge Phelan a tiré la conclusion suivante :

[12]  [...] la détermination selon laquelle la demanderesse n’aurait pas pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport est une simple spéculation quant à la manière de quitter la Chine. Il n’y avait aucun élément de preuve montrant qu’il faut donner des pots‑de‑vin à chaque agent dans la « chaîne de départ ». La décision ne tient pas compte de l’élément de preuve fourni par la demanderesse selon lequel l’agent des douanes n’a pas balayé son passeport ni tapé quelque chose dans l’ordinateur, mais a simplement estampillé son passeport.

[13]  Avant de conclure qu’il était invraisemblable de pouvoir quitter la Chine, la SAR (et la SPR) devait se pencher sur l’élément de preuve de la demanderesse. Si elle y croyait, elle aurait dû expliquer pour quelle raison il était invraisemblable que la demanderesse ait pu quitter la Chine; si elle n’y croyait pas, elle aurait dû expliquer pour quelle raison elle en venait à cette conclusion quant à la crédibilité.

[14]  Il y avait suffisamment d’éléments de preuve de la corruption des agents et de l’existence d’un régime de corruption pour que la SAR ait à expliquer pourquoi il n’était pas raisonnable que cette corruption ait eu lieu. Comme l’a conclu le juge Boswell dans la décision Ren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au paragraphe 16, [traduction« [...] il n’est pas impossible qu’une personne puisse quitter la Chine en utilisant son propre passeport avec l’aide d’un passeur qui donne des pots‑de‑vin à la bonne personne ».

10.  Ces décisions de la Cour fédérale ont été examinées par la commissaire de la SAR dans les deux appels mentionnés par M. Korman. Il est donc évident qu’elle les connaissait. Pourtant, comme nous l’avons déjà indiqué, ces décisions ne sont pas citées dans les motifs de la SAR en l’espèce. Cette omission délibérée de tenir compte d’une jurisprudence pertinente et contradictoire est troublante. Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Cipak, précitée, l’omission de la SAR amènerait une personne raisonnable bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, à se demander quel était le but du décideur. Nous faisons valoir, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, que la conduite de la SAR donne l’impression qu’elle a intentionnellement omis de tenir compte de la jurisprudence favorable à la position des demandeurs, car l’avocat des demandeurs ne semblait pas la connaître. Dès lors, il y a lieu de craindre raisonnablement que la commissaire se soit montrée partiale dans son évaluation de l’appel des demandeurs. Nous faisons valoir en outre que la SAR a outrepassé sa compétence en omettant intentionnellement une jurisprudence favorable aux demandeurs, jouant ainsi le rôle d’une partie adverse plutôt que celui d’un décideur impartial. Nous demandons respectueusement qu’il soit fait droit à la présente demande pour ce seul motif.

II.  Subsidiairement, la SAR a tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité

11.  Subsidiairement, nous faisons valoir que la SAR a tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité qui n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les conclusions de la SAR concernant la crédibilité sont soumises à la norme de la décision raisonnable.

La sortie de la Chine

12.  La question de la sortie des demandeurs de la Chine a déjà été examinée attentivement plus haut. Cependant, en plus de la crainte raisonnable de partialité que soulève l’évaluation de cette question par la SAR, la conclusion de cette dernière selon laquelle la demanderesse ne pouvait vraisemblablement pas avoir contourné les mesures de sécurité frontalières chinoises en utilisant son propre passeport est également déraisonnable. Cette conclusion repose sur la présomption à caractère conjectural selon laquelle le passeur de la demanderesse n’avait pas les moyens d’assurer sa sortie de la Chine sans encombre. La SAR n’a pas bien compris que les passeurs sont justement engagés pour faire ce que les gens ne peuvent faire par eux‑mêmes. La conclusion conjecturale de la SAR était particulièrement déraisonnable, étant donné qu’elle a explicitement reconnu qu’il y a eu « quelques incidents isolés d’évasions réussies » et qu’« [i]l se peut qu’un passeur réussisse à contourner certains des contrôles de sécurité » à l’aéroport. Cette conclusion était également incompatible avec celle de la SPR (sur laquelle la SAR n’est pas revenue) suivant laquelle [traduction] « une corruption systémique sévit en Chine et les fonctionnaires à l’aéroport peuvent être soudoyés » et [traduction] « les autorités chinoises n’appliquent pas toujours uniformément les règlements ». Nous faisons respectueusement valoir que s’il n’est pas contesté qu’il existe des fraudes et de la corruption en matière de procédures de contrôle dans les aéroports chinois, que [traduction] « les fonctionnaires peuvent être soudoyés » et que des « évasions réussies » sont possibles malgré les mesures de sécurité frontalière, il est difficile de comprendre pourquoi la SAR a trouvé invraisemblable que le passeur de la demanderesse ait eu les moyens de contourner les contrôles frontaliers en soudoyant des fonctionnaires à l’aéroport et en contournant les mesures de sécurité. La conclusion de la SAR est arbitraire et manque de transparence.

13.  Il est également instructif de noter qu’en plus des décisions rendues par la Cour fédérale dans les affaires Zhang, Sun, Ren et Yang, précitées (qui ont été délibérément omises dans l’analyse de la SAR), la Cour fédérale s’est récemment penchée une fois de plus sur cette question dans la décision Yao c Canada, 2016 CF (« Yao »), dans laquelle le juge Locke a déclaré ce qui suit :

[9] D’après la SPR, la capacité du demandeur à passer par l’aéroport sans difficulté a appuyé la conclusion selon laquelle son passeport était valide. Le demandeur a soutenu que ce passage sans heurts était attribuable à des dispositions prises par le passeur, mais la SPR a jugé la prépondérance de la preuve documentaire, indiquant que les autorités aéroportuaires mènent un contrôle rigoureux des voyageurs, plus convaincante. La SPR a reconnu qu’il y a de la corruption en Chine, où les autorités n’appliquent pas toujours les règlements de façon uniforme, mais elle a tout de même préféré les documents objectifs du pays au témoignage du demandeur. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’était pas recherché par le BSP.

[...]

[18] Je souligne ici que la SPR a même reconnu la présence de corruption systématique en Chine et le manque d’uniformité en ce qui a trait à l’application des règlements. Les conclusions de la SPR semblent exiger une croyance voulant que les passeurs ne puissent pas aider les citoyens visés par un mandat d’arrestation qui veulent quitter la Chine. À mon avis, les éléments de preuve ne soutiennent pas une telle croyance.

14.  Les conclusions de la SAR en l’espèce sont déraisonnables pour tous les motifs énoncés par la Cour dans les décisions Sun, Ren, Yang et Yao. La décision déraisonnable de la SAR quant à cette question a porté un coup fatal à l’ensemble de la demande d’asile des demandeurs et suffit donc à justifier l’intervention de la Cour.

[Renvois omis.]

[66]  Le défendeur défend vivement l’approche de la SAR et son analyse mérite elle aussi d’être examinée intégralement :

[traduction]

12.  Les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû envisager la possibilité que le passeur ait pu contourner toutes les mesures de sécurité et tous les agents aux contrôles de sécurité. C’est une inférence subsidiaire que les demandeurs voulaient que le tribunal tire. Cependant, au moment d’évaluer le caractère raisonnable des conclusions d’un décideur en matière de crédibilité, il ne suffit pas que le demandeur démontre que la preuve permettait d’arriver à des conclusions différentes. Pour établir que les inférences de la SAR sont déraisonnables, les demandeurs doivent démontrer que celles qu’a tirées le tribunal en l’espèce ne sont nullement étayées par la preuve. Les demandeurs n’ont pas satisfait à cette condition. En outre, ils n’ont présenté aucun élément de preuve susceptible d’appuyer l’inférence subsidiaire qu’ils proposent. Il leur incombe de démontrer que le passeur aurait pu contourner toutes les mesures de sécurité en place, ce qu’ils n’ont pas fait. Les arguments qu’ils soumettent quant à cette question doivent donc être rejetés.

13.  D’autre part, comme l’a expliqué en détail la SAR, la preuve soumise par la demanderesse concernant le passeur était vague et manquait de détails. Le tribunal a jugé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’un individu qui tente d’échapper à une arrestation et à la détention en quittant le pays veuille savoir quels services le passeur qu’il engage est en mesure de lui fournir et quelles mesures seront prises pour le faire sortir de la Chine en toute sécurité. Cette conclusion appartient aussi aux issues possibles acceptables et elle est raisonnable.

14.  Pour conclure sur ce point, la demanderesse invoque mal à propos les décisions Sun et Ren de la Cour. La preuve sur laquelle la Commission s’est appuyée dans la décision Sun est désormais obsolète. Dans cette affaire, la preuve concernant le partage des renseignements provenait principalement d’une réponse à une demande d’information datée de juillet 2009. En l’espèce, la SAR s’est appuyée sur le Cartable national de documentation très récent daté du 29 avril 2016. Cette preuve plus actuelle indiquait que les autorités chinoises ont étendu la portée et la complexité de leur régime de partage des renseignements et qu’elles ont resserré la sécurité aux aéroports.

15.  Dans la décision Ren, il a été suggéré qu’il suffirait de soudoyer une seule personne pour permettre au demandeur de sortir de la Chine sans difficulté. Cependant, comme l’a expliqué la SAR dans le cas présent, cette proposition ne s’applique pas ici. Les arguments des demandeurs concernant le passeur sous‑entendent qu’un pot‑de‑vin pouvait faire en sorte que le Bouclier d’or n’indique pas que la demanderesse était une personne d’intérêt pour la police. Cependant, la preuve dont disposait la SAR en l’espèce démontrait que le Bouclier d’or est un dispositif de sécurité très poussé. Il est donc raisonnable de s’attendre à ce que l’utilisation de ce dispositif soit également surveillée et que des protocoles soient mis en œuvre pour empêcher que ce système soit compromis par un seul individu. De plus, la SAR a noté que la demanderesse avait allégué que le BSP avait continué de la rechercher énergiquement même après son départ de la Chine. Cette allégation mine la prétention voulant que son nom ait été effacé d’une manière ou d’une autre du système informatique.

16.  Quoi qu’il en soit, aucune des décisions citées par les demandeurs ne permet d’affirmer que la SAR ne peut jamais tirer d’inférence défavorable lorsqu’un fugitif chinois réussit à sortir du pays muni en se servant de son propre passeport. Le caractère raisonnable de la conclusion dépend des faits de chaque affaire, de l’analyse effectuée et de la preuve documentaire dont disposait le tribunal. D’ailleurs, la juge Kane a conclu, dans la décision Ma, que « [l]a conclusion de la Commission selon laquelle il était invraisemblable que la demanderesse puisse quitter la Chine sans être détectée en utilisant son propre passeport authentique, si elle était en effet recherchée par le BSP, est raisonnable ».

[67]  Je conviens avec le défendeur que les conclusions défavorables de la SAR s’appuient sur des constatations factuelles et ne reposent pas sur la décision X (Re), précitée, à l’exclusion d’autres précédents. Bien entendu, cela ne signifie pas que d’autres décisions ne soient pas pertinentes à la question de savoir si les conclusions factuelles de la SAR sont raisonnables. À cet égard, je souscris à l’approche du juge Brown telle qu’elle est présentée dans Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146 :

[20]  La SAR a examiné la preuve documentaire la plus récente et pris acte des faits sur la corruption en Chine. En ce qui concerne les faits en l’espèce, la SAR a établi une distinction avec Zhang c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 533, juge Dawson, tel était alors son titre, Sun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 387, juge de Montigny et Ren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, juge Boswell. Je suis d’avis que la SAR a agi de manière raisonnable en l’espèce, car elle disposait de renseignements sur la situation dans le pays en cause plus à jour que ceux qui avaient été présentés à notre Cour lors des décisions antérieures, notamment au sujet des contrôles à la sortie en Chine et du projet Bouclier d’or. À mon humble avis, on ne peut considérer comme déterminantes dans l’examen de demandes ultérieures comme celle présentée en l’espèce les décisions sur le système de contrôle des sorties en Chine, qui sont fondées sur des éléments de preuve antérieurs ou différents sur la situation dans le pays en cause, bien que ces décisions appuient le principe voulant que chaque affaire doive être tranchée en fonction des éléments de preuve présentés. Les décisions sont fondées sur des faits et sur des conclusions qui commandent un certain degré de déférence, car la SPR et la SAR sont toutes deux des tribunaux spécialisés. En l’espèce, les éléments de preuve plus récents appuient la décision de la SAR sur cette question.

[68]  À mon avis, l’approche de la SAR en l’espèce ne soulève donc pas de crainte raisonnable de partialité. La question que la Cour doit trancher concerne seulement le caractère raisonnable. Après avoir examiné l’évaluation factuelle de la SAR se rapportant à cette question, je relève les préoccupations suivantes :

  • a) Des fonctionnaires publics corrompus sont payés pour aider des immigrants chinois illégaux et font partie des groupes de passeurs qui connaissent les systèmes de sécurité en place. Comme dans l’affaire Yang, précitée, « [i]l y avait suffisamment d’éléments de preuve de la corruption des agents et de l’existence d’un régime de corruption pour que la SAR ait à expliquer pourquoi il n’était pas raisonnable que cette corruption ait eu lieu ». Dans la décision contestée, la SAR exclut ce facteur en se référant au document très complet sur la corruption des fonctionnaires en Chine, préparé par le Tribunal de révision des demandes de réfugiés de l’Australie, et « d’autres éléments de preuve objectifs » qui « ne mentionnent nulle part que la corruption s’étend jusqu’au dispositif de sécurité des aéroports ». Voilà un cas d’aveuglement volontaire, attendu que la SPR a conclu qu’une [traduction« corruption systémique sévit en Chine et [que] les fonctionnaires à l’aéroport peuvent être soudoyés », et que [traduction« les autorités chinoises n’appliquent pas toujours uniformément les règlements ». En fait, le rapport du gouvernement australien invoqué par la SAR indique que [traduction« [l]a corruption serait endémique dans la force policière chinoise », ce qui inclut vraisemblablement le BSP. La SAR aurait dû prendre acte de ces renseignements et les évaluer.

  • b) La SAR conjecture et présume, sans preuve, que l’utilisation du dispositif de sécurité « [est], elle aussi, surveillée, et que des systèmes redondants [ont] été mis en place pour éliminer toute possibilité qu’une seule personne puisse compromettre le système ». Cela mine ses conclusions quant à l’invraisemblance.

  • c) La SAR s’appuie également sur l’allégation voulant que le BSP recherche toujours les demandeurs pour mettre en doute « la suggestion selon laquelle [le nom de la demanderesse] avait été d’une façon ou d’une autre effacé du système informatique ». Elle conclut en outre que le passeport de la demanderesse principale a été examiné plusieurs fois et « qu’il est hautement improbable que le passeur ait su à l’avance quels agents il devait soudoyer pour permettre à sa cliente de passer sans problème chacun des points de contrôle ». La SAR reconnaît néanmoins « quelques incidents isolés d’évasions réussies » et néglige les mises en garde formulées dans les décisions Ren et Zhang, précitées : « [u]n seul fonctionnaire ayant accès au système informatique suffirait ». La SAR estime également que la preuve soumise par les demandeurs concernant le passeur était « vague et manquait de détails » :

[34]  De surcroît, la SAR conclut que la preuve de l’appelante concernant le passeur était vague et manquait de détails. Elle estime qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne qui tente d’éviter d’être arrêtée et détenue en quittant le pays cherche à savoir quels services le passeur qu’elle engage peut fournir et quelles mesures seront prises pour garantir qu’elle sortira de la Chine en toute sécurité. La SAR fait remarquer que l’appelante a déclaré qu’elle était au fait des risques liés à la pratique du Falun Gong et qu’elle s’était jointe à un groupe uniquement une fois convaincue que des mesures de sécurité avaient été mises en place pour assurer sa sécurité. À la lumière de cette information, et compte tenu du niveau de confiance et de scolarité apparent de l’appelante, il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elle ait pris les mêmes mesures auprès du passeur.

La preuve présentée par les demandeurs quant au rôle du passeur est résumée dans la décision de la SPR au paragraphe 22 :

[traduction]

La demandeure d’asile a quitté la Chine en se servant d’un passeport récemment délivré à son propre nom. Elle a déclaré à l’audience qu’elle avait fui la Chine le 15 août 2014 à destination des États‑Unis, et qu’elle avait eu recours aux services d’un passeur. Elle a été priée à l’audience d’expliquer ce que le passeur avait fait pour elle, et elle a répondu qu’il l’avait aidée à obtenir un visa américain. À la question de savoir pourquoi elle n’avait pas demandé de visa elle‑même, elle a répondu qu’elle vivait dans la clandestinité et que le BSP était à sa recherche. Elle a déclaré que le passeur l’avait aidée à remplir la demande et qu’elle lui avait donné son hukou et une photo. La demandeure d’asile a également affirmé que le passeur l’avait aidée à passer les douanes, qu’il lui avait remis un insigne et lui avait dit de se présenter au contrôle de sécurité numéro trois. Elle a expliqué que l’insigne était l’équivalent d’un laissez‑passer pour les douanes.

Je ne vois rien de vague dans cette déposition, et il ne semble pas que la demanderesse principale ait été priée de fournir plus de détails que ceux qu’elle a donnés.

  • d) La SAR cite la décision qu’elle a rendue précédemment dans X (Re), précitée, pour étayer ses conclusions quant à l’invraisemblance, mais n’invoque pas les décisions rendues par la Cour fédérale, notamment dans les affaires Zhang, Sun, Ren, Yang et Yao, précitées, qui contredisent au moins certaines de ses conclusions en l’espèce.

B.  Les autres sujets de préoccupation

[69]  Il me semble aussi que la SAR a commis les erreurs importantes suivantes :

  • a) La SAR a dénaturé l’explication de la demanderesse principale concernant son incapacité à obtenir de sa famille et de ses amis des éléments de preuve pour corroborer la disparition de son époux. La demanderesse principale n’a pas simplement déclaré que ces personnes étaient illettrées, elle a expliqué qu’elles [traduction« ne voulaient pas être mêlées à cette histoire », ce qui est aisément compréhensible et vraisemblable, compte tenu de ce qui pourrait leur arriver en Chine s’ils l’aidaient dans sa demande d’asile fondée sur la pratique du Falun Gong.

  • b) La conclusion de la SAR suivant laquelle « [l]’absence de citation à comparaître ou de mandat d’arrestation, lorsqu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’un tel document ait été délivré, mine la crédibilité de la [demanderesse principale] », ne s’appuie sur aucune preuve véritable. Voir la décision Liang, précitée, aux paragraphes 11 à 14.

  • c) Le témoignage de la demanderesse principale concernant son exemplaire du Zhuan Falun ne comportait pas de véritables incohérences ou omissions.

  • d) La déposition de la demanderesse principale concernant l’expulsion de son fils ne pouvait avoir été soumise à la SPR, car comme elle l’explique clairement dans son affidavit, elle n’aurait pas pu se rendre compte d’un malentendu concernant son témoignage devant ce tribunal.

[70]  La SAR a fondé sa conclusion défavorable cumulative en matière de crédibilité sur d’autres facteurs que les demandeurs ne contestent pas. Cependant, j’estime que les éléments cités plus haut suffisent à rendre la décision contestée hasardeuse et déraisonnable.

C.  La demande d’asile sur place

[71]  Les conclusions que la SAR a tirées quant à la demande d’asile sur place des demandeurs sont entachées par les conclusions défavorables en matière de crédibilité découlant du reste de la décision contestée. À mon avis, la demande d’asile sur place doit donc également être réexaminée à la lumière des erreurs susceptibles de contrôle relevées plus haut.

[72]  Je sais bien que des affaires comparables à la présente sont fréquemment instruites par la Cour, notamment pour ce qui est de déterminer si les demandeurs d’asile peuvent quitter la Chine munis de leurs propres passeports malgré le système Bouclier d’or. Les décisions rendues à ce sujet vont dans les deux sens. À mon avis, et le défendeur l’admet lui‑même, cela dépend véritablement des faits et de la preuve produite dans chaque cas. En l’espèce, j’estime que les conclusions factuelles de la SAR soulèvent suffisamment de préoccupations, ainsi que nous l’avons vu plus haut, pour qu’il y ait lieu de réexaminer la présente affaire. Cela ne signifie pas que j’établis ici un quelconque précédent susceptible d’être appliqué dans de futures affaires.

[73]  Les avocats conviennent qu’aucune question à certifier ne se pose, et la Cour est d’accord.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER No IMM‑53‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie. La décision contestée est infirmée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour qu’il la réexamine;

  2. Aucune question n’est à certifier.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑53‑17

 

INTITULÉ :

GUIMEI HUANG ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUILLET 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AOÛT 2017

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Crighton

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sous‑procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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