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Date : 20170731


Dossier : T ‑1357‑16

Référence : 2017 CF 734

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

AT&T Intellectual Property II, L.P.

demanderesse

et

Lecours, hébert Avocats inc.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’un appel fondé sur le paragraphe 56(1), l’article 59 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T ‑13, et l’article 300 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, et visant la décision du 7 juin 2016 (la décision) par laquelle le registraire des marques de commerce a conclu que l’enregistrement no LMC673,815 (l’enregistrement) de la marque de commerce GO PHONE (la Marque GO PHONE) devait être radié en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce.

I.  Contexte

[2]  La demanderesse est AT&T Intellectual Property II, LP (AT&T IP ou la demanderesse). AT&T IP est une filiale d’AT&T Inc., une société de portefeuille qui détient directement ou indirectement toutes les entreprises et entités AT&T en exploitation dans le monde entier, y compris AT&T IP et AT&T Mobility Services LLC (collectivement appelées AT&T). AT&T IP est la propriétaire de la Marque GO PHONE et de l’enregistrement au Canada.

[3]  La défenderesse est Lecours, Hébert Avocats Inc. (Lecours ou la défenderesse).

A.  La Marque GO PHONE

[4]  Comme l’a décrit AT&T IP, les services employés en liaison avec la Marque GO PHONE sont des services de télécommunications prépayés assortis d’une gamme de modalités de paiement. Ces modalités ne comportent pas de contrat annuel et les clients peuvent acheter du temps/des minutes en ligne sur le site Web att.com. Elles incluent aussi des forfaits interurbains internationaux et autorisent les déplacements en mode d’itinérance.

[5]  Le 9 avril 2014, le registraire a délivré un avis fondé sur l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce à AT&T Wireless Services Inc., qui était alors la propriétaire inscrite de la Marque GO PHONE (l’avis). Après avoir délivré l’avis, le registraire a porté au registre une série de changements de nom et de titre relatifs à la propriété de l’enregistrement; ces changements, qui ne sont pas en cause dans le présent appel, ont eu pour effet de transférer la propriété de la Marque GO PHONE à AT&T IP. La période pertinente pour ce qui est de démontrer l’emploi de la Marque GO PHONE va du 9 avril 2011 au 9 avril 2014 (la période pertinente).

[6]  Le 18 novembre 2014, AT&T IP a volontairement modifié l’enregistrement de manière à radier les produits qui y étaient mentionnés. La décision a donc été prise en se basant sur l’enregistrement modifié, qui vise les services suivants :

Services de télécommunication, nommément services de transmission électronique de la voix, des données, du son, d’images fixes et animées, de signaux, de logiciels, d’information et de messages, services de messagerie vocale sans fil, services de téléappel et services de télécopie pour des tiers; services de messagerie vocale audio et/ou audiovisuelle électronique, nommément enregistrement, stockage et transmission différée de messages vocaux audio et/ou audiovisuels en format numérique (les Services)

(Collectivement appelés, les Services GO PHONE ou les Services)

B.  La décision du registraire

[7]  L’agente d’audience agissant pour le compte du registraire (l’agente d’audience) a estimé qu’AT&T IP n’avait pas présenté de faits suffisants pour lui permettre de déterminer que, durant la période pertinente, la Marque GO PHONE avait été employée au Canada en liaison avec chacun des Services, au sens du paragraphe 4(2) et de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce. Elle a estimé que l’affidavit produit à l’appui des arguments d’AT&T IP (c.-à-d. le premier affidavit Thomas) comportait des ambiguïtés majeures, et que la question de savoir si les clients canadiens pouvaient acheter et obtenir les Services GO PHONE sans avoir à sortir du Canada n’était pas claire.

[8]  L’agente d’audience a également relevé les définitions suivantes du terme « itinérance » et de l’expression « se déplacer en mode d’itinérance » :

Se déplacer en mode d’itinérance : […] 4. intr. (se dit d’un utilisateur de téléphone cellulaire) se déplacer d’une région géographique à une autre sans perdre le service de téléphonie. Oxford Canadian Dictionary, deuxième édition

Se déplacer en mode d’itinérance : […] 3. utiliser un téléphone cellulaire à l’extérieur de la zone d’appels locaux – frais d’itinérance. Merriam‑Webster

Itinérance : Installation qui peut être offerte par des services d’accès public, où les abonnés d’un service donné sont en mesure de faire et/ou de recevoir des appels vers et/ou en provenance d’installations appartenant à un autre fournisseur de service.

Tout déplacement avec votre téléphone cellulaire à l’extérieur de votre zone d’appels locaux se dit « itinérance » ... votre téléphone cellulaire vous indiquera toujours si vous êtes en mode d’itinérance - par un témoin lumineux ou par l’apparition du mot « ROAM » [itinérance] à l’écran de votre téléphone. TERMIUM Plus (banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada, Bureau de la traduction).

[9]  En se fondant sur ces définitions, l’agente d’audience a conclu qu’il ressortait de la preuve que les Services GO PHONE s’adressaient aux clients se trouvant aux États-Unis et non au Canada. Elle a décidé que les Services n’étaient offerts au Canada, le cas échéant, que par le biais de services d’itinérance, et qu’il n’était pas établi si et dans quelle mesure chacun d’eux était exécuté ou prêt à être exécuté au Canada grâce à de tels services d’itinérance. Elle a déclaré par exemple qu’il n’était pas certain que la « transmission électronique de logiciels » serait comprise dans les services d’itinérance.

[10]  Par ailleurs, l’agente d’audience n’était pas convaincue qu’AT&T IP avait démontré l’emploi de la Marque GO PHONE en liaison avec les Services, même si elle a reconnu que chacun d’eux avait été exécuté par le biais de services d’itinérance. Elle a déclaré que « la preuve démontre tout au plus l’emploi ou la présentation de la Marque dans la promotion et l’annonce des Services », et a estimé que rien n’indiquait qu’AT&T IP était disposée à offrir les Services au Canada à des clients canadiens, sans que ces derniers n’aient d’abord à sortir du Canada pour acheter les Services aux États-Unis.

II.  Question à trancher en appel

[11]  Les parties conviennent qu’eu égard à la nouvelle preuve admise en appel, et qui comprend le second affidavit Thomas, l’affidavit Levin et l’affidavit Coleman, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Molson Breweries c John Labatt Ltée (2000), 5 CPR (4th) 180 (CA)). Par conséquent, la seule question à trancher en l’espèce est de savoir si AT&T IP a déposé une preuve suffisante pour établir l’emploi, tel qu’il est défini aux articles 2 et 4 de la Loi sur les marques de commerce, durant la période pertinente, et ainsi maintenir l’enregistrement de la Marque GO PHONE.

III.  Analyse

[12]  L’article 45 de la Loi sur les marques de commerce est une mesure d’ordre administratif destinée à éliminer le « bois mort » du registre. Le niveau de preuve requis en appel pour démontrer l’emploi de la marque de commerce en question est faible : il suffit que l’appelant établisse l’emploi, sans avoir à illustrer tous les emplois. Par ailleurs, la jurisprudence a établi qu’un affidavit fournissant suffisamment d’éléments de preuve satisfera généralement à la norme requise pour démontrer l’emploi durant la période pertinente (Supershuttle International Inc c Fetherstonhaugh & Co, 2015 CF 1259, au paragraphe 38).

[13]  La preuve doit établir un degré d’emploi actuel ou contemporain de l’avis du registraire. L’emploi postérieur à l’avis est admissible pour établir la continuité de l’emploi et pour réfuter des allégations de ventes purement symboliques, mais non pour prouver l’emploi d’une marque de commerce à la date de l’avis (Boutiques Progolf Inc c Canada (Registraire des marques de commerce) (1993), 54 CPR (3d) 451). Dans le cas des marques de commerce affichées sur des sites Web, « l’emploi » suppose non seulement que la marque apparaisse dans les services publicitaires, mais aussi que ces services soient offerts au Canada (Unicast SA c South Asian Broadcasting Corp, 2014 CF 295, au paragraphe 27 [Unicast]).

[14]  Cependant, il n’est pas nécessaire que le service offert au Canada soit le service principal, puisque la Loi sur les marques de commerce ne fait aucune distinction entre les services principaux, accessoires ou secondaires; par conséquent, « [d]ès lors que certains membres du public – consommateurs ou acheteurs – en tirent un avantage, l’activité constitue un service » (TSA Stores, Inc c Canada (Registraire des marques de commerce), 2011 CF 273, au paragraphe 17 [TSA]). Dans cette décision, la juge Sandra Simpson a estimé que le service « Help Me Choose Gear » proposé sur le site Web de TSA fournissait suffisamment de renseignements et de conseils sur les produits, de sorte qu’une visite du site Web « s’apparent[ait] à une visite sur place d’un magasin et rev[enait] à discuter avec un vendeur bien informé »; elle a donc conclu qu’il s’agissait d’un service accessoire de vente au détail (TSA, au paragraphe 19).

A.  Position des parties

[15]  AT&T IP soutient que le modèle GO PHONE comporte des aspects uniques qui doivent être pris en compte au moment d’évaluer si les Services étaient offerts au Canada et « employés » en liaison avec la Marque GO PHONE :

  • les Services sont prépayés et il n’y a pas de facture type;
  • l’accès aux Services peut se faire via un téléphone AT&T ou un dispositif activé pour utiliser les Services GO PHONE par l’insertion d’une carte SIM GO PHONE;
  • l’expérience utilisateur se déroule par téléphone ou sur le site Web myprepaidrefill.com (paygonline);
  • tous les messages de paiement sont envoyés directement au téléphone via des messages texte SMS;
  • une fois abonné, le client reçoit sur son téléphone toutes les promotions liées à la continuité des Services GO PHONE.

[16]  AT&T IP affirme en outre qu’il faut comprendre la nature de l’itinérance afin d’évaluer l’emploi. AT&T est liée par des ententes d’itinérance à d’autres compagnies de télécommunications qui lui permettent de fournir les Services hors de la zone de rayonnement de son réseau : par exemple, au Canada et au Mexique. Cependant, bien qu’AT&T n’offre pas de réseau aux consommateurs finaux qui se déplacent en mode d’itinérance, les Services sont offerts au Canada, car les ententes d’itinérance GO PHONE d’AT&T donnent accès à ses ententes d’itinérance.

[17]  AT&T IP fait valoir que la Marque GO PHONE était employée en liaison avec tous les Services durant la période pertinente et que tous les Services étaient offerts au Canada. Elle ajoute que même si elle ne vendait pas elle-même et ne vend toujours pas les téléphones ou les cartes SIM GO PHONE au Canada, ces produits étaient et sont encore offerts à la vente aux États-Unis. Durant la période pertinente, les cartes SIM GO PHONE pouvaient être achetées sur e‑Bay et elles sont actuellement vendues au Canada par l’intermédiaire d’Amazon.com.

[18]  Durant la période pertinente, le client qui achetait une carte SIM GO PHONE pouvait l’activer au Canada et utiliser le réseau d’itinérance. Les consommateurs qui avaient le téléphone ou la carte SIM GO PHONE pouvaient renouveler leurs minutes sur le site Web paygonline (affidavit Levin, tel que confirmé par le second affidavit Thomas pour la période pertinente). AT&T IP affirme par ailleurs que les consommateurs canadiens pouvaient renouveler leurs Services GO PHONE durant la période pertinente en s’adressant aux services à la clientèle d’AT&T, dont les représentants avaient l’habitude de citer la Marque GO PHONE durant les interactions téléphoniques.

[19]  AT&T IP soutient que sa pratique normale relativement aux produits GO PHONE consistait à envoyer des messages texte et des courriels de confirmation plutôt que des factures et des relevés traditionnels. Elle ne possède à ce titre aucune preuve documentaire de factures se rapportant à la période pertinente. Dans le cours normal de ses activités, AT&T envoyait ses offres promotionnelles directement aux abonnés par téléphone. De plus, AT&T hébergeait des annonces et promotions sur le site Web paygonline ainsi que dans la section des Services GO PHONE du site Web att.com, où la Marque GO PHONE était bien en vue. AT&T soutient que durant la période pertinente, trois à quatre mille visiteurs uniques canadiens ont consulté chaque mois la section des Services GO PHONE sur le site Web d’AT&T. Depuis au moins 2010, le site Web paygonline héberge les données de compte d’utilisateurs GO PHONE et a permis de traiter des transactions de renouvellement des Services GO PHONE entre AT&T et les clients.

[20]  AT&T IP affirme aussi qu’à l’heure actuelle, plus de 4 600 personnes ayant un abonnement prépayé actif ou suspendu ont une adresse courriel canadienne. Cependant, en raison de ses pratiques de tenue des dossiers, AT&T ne peut pas établir le nombre d’abonnés durant la période pertinente. AT&T IP fait valoir qu’il est raisonnable d’inférer qu’il y avait des abonnés canadiens durant la période pertinente puisque, dans cet intervalle, 99 451 commandes ont été traitées au moyen de cartes de crédit délivrées au Canada. Près de 15 % de ces achats correspondaient à des abonnements continus. AT&T IP a également fourni des statistiques (telles que présentées dans les deux affidavits Thomas) illustrant l’utilisation du réseau au Canada par des Américains et des Canadiens durant la période pertinente (les données d’appel).

[21]  Enfin, AT&T a produit des éléments de preuve montrant qu’il était possible, en 2016, d’acheter et d’activer une carte SIM GO PHONE au Canada, sans jamais avoir à se trouver aux États-Unis. Pour cela, le client (c.‑à‑d., M. Levin) devait fournir à AT&T une adresse et un code postal américains. Cependant, certains éléments indiquent qu’il n’était pas nécessaire que cette adresse soit l’adresse domiciliaire de M. Levin. Une fois l’activation effectuée, M. Levin a reçu un numéro GO PHONE américain ainsi qu’un message gratuit d’AT&T indiquant : [traduction] « Bienvenue à GoPhone! » Dans le second affidavit Thomas, M. Thomas confirme que ce service était offert aux Canadiens au Canada durant la période pertinente, c’est‑à‑dire entre avril 2011 et avril 2014. Il n’a pas été contre-interrogé relativement à cet affidavit.

[22]  La défenderesse soutient que les services offerts au Canada ne sont qu’accessoires par rapport à ceux qu’AT&T offre aux États-Unis. Elle avance que les ententes d’itinérance sont par définition des services accessoires par rapport aux Services offerts aux États-Unis sur le réseau domestique d’AT&T, et elle estime que l’emploi des expressions « réseau domestique » et « réseau de déplacement » est un indice de ce caractère accessoire. De plus, comme les ententes d’itinérance ne sont pas apparentes pour le client, la Marque GO PHONE n’est pas employée lorsque ce dernier se prévaut des ententes d’itinérance d’AT&T au Canada, puisqu’il ne voit que la marque de commerce du fournisseur du réseau d’itinérance. Par ailleurs, selon la défenderesse, comme 50 % du plan tarifaire GO PHONE doit obligatoirement être utilisé aux États-Unis, les Services ne peuvent pas être exécutés seulement au Canada. La défenderesse ajoute que certains éléments de preuve, sous forme de messages sur des forums, indiquent que certains des Services (c.‑à‑d., l’itinérance de données) n’étaient pas offerts au Canada durant la période pertinente et que ceci, combiné au fait que les clients ne pouvaient obtenir qu’un numéro de téléphone américain, démontre que l’utilisation des Services au Canada était accessoire.

[23]  La défenderesse soutient par ailleurs que même si les Services étaient exécutés au Canada, rien n’établit que cette exécution était liée à la Marque GO PHONE. Elle conteste la description des faits contenue dans l’affidavit Levin et l’affidavit Colman, étant donné que les deux cartes SIM GO PHONE dont il est question dans ces documents ont été achetées en 2016, c’est-à-dire après la période pertinente. De plus, M. Levin a dû donner une adresse américaine, ce qui, d’après la défenderesse, doit être interprété comme une exigence de résidence américaine conditionnelle à l’activation des Services. L’utilisation du service de renouvellement en ligne sur le site Web paygonline ne constitue pas, selon lui, un emploi de la Marque GO PHONE.

[24]  La défenderesse soutient qu’AT&T IP n’a fourni ni preuve documentaire des ventes réalisées au Canada, ni documents promotionnels ou publicitaires concernant le Canada durant la période pertinente. Elle fait valoir que les observations d’AT&T IP concernant l’emploi de la Marque GO PHONE en liaison avec des annonces publicitaires sont, de ce fait, extrêmement hypothétiques et non étayées. De plus, la défenderesse avance qu’en l’absence d’une preuve concrète, il est raisonnable de conclure que les dossiers d’adresses courriel canadiennes et de cartes de crédit délivrées au Canada correspondent à l’achat de Services GO PHONE par des Canadiens qui se trouvent aux États-Unis. Elle estime de même que tout emploi au Canada est attribuable à des Américains en visite dans notre pays.

B.  Les Services GO PHONE

[25]  Les services modernes de télécommunication sont de plus en plus mondialisés. L’accès à des services de télécommunications en dehors du réseau domestique contre un prix raisonnable fait l’objet d’une demande croissante, et les clients veulent pouvoir bénéficier de la continuité du service d’un pays à l’autre en utilisant le même téléphone. Les Services, tels qu’ils sont énumérés dans le registre, ne dépendent pas du réseau qui les héberge et, à mon avis, il n’est pas essentiel de savoir si les Services étaient fournis directement sur le réseau d’AT&T ou par le biais d’une entente d’itinérance, par laquelle AT&T permettait à ses clients d’utiliser le réseau d’une autre compagnie.

[26]  Nonobstant les plaintes de clients concernant les difficultés à activer l’itinérance des données au Canada, compte tenu de la liste des Services, de la preuve relative aux plans tarifaires et aux frais d’itinérance soumise à la Cour, ainsi que des déclarations regardant les activités d’AT&T contenues dans le second affidavit Thomas, je ne vois aucune raison de conclure que les Services n’étaient pas offerts à des Canadiens au Canada en mode d’itinérance, durant la période pertinente. L’agente d’audience s’est déclarée préoccupée par le fait qu’il n’était pas certain que la « transmission électronique de logiciels » serait comprise dans les services d’itinérance. M. Thomas affirme dans son second affidavit que le téléchargement en amont d’applications mobiles ‒ un des services offerts ‒ recouvre la transmission de logiciels. De plus, la preuve montre que l’itinérance de données était offerte au Canada, même si des démarches supplémentaires pouvaient être nécessaires pour l’activer.

[27]  La Loi sur les marques de commerce n’établit aucune distinction entre les services principaux et accessoires; cependant, j’estime que la capacité d’accéder aux Services, moyennant au moins 50 % du plan tarifaire, par le biais d’une entente d’itinérance, n’est pas simplement accessoire par rapport aux Services basés sur le réseau domestique d’AT&T. J’estime que les Services GO PHONE étaient offerts au Canada durant la période pertinente, comme le démontre le second affidavit Thomas. J’estime que cette preuve est à la fois crédible et digne de foi, puisqu’elle reposait sur les connaissances personnelles de l’auteur durant la période pertinente.

[28]  Les affidavits Levin et Coleman concernent tous deux l’achat de cartes SIM GO PHONE et l’activation initiale des Services GO PHONE à partir du Canada. Je conviens avec la défenderesse que la preuve d’achats effectués en 2016 n’intéresse pas la question de savoir si les Services étaient offerts aux Canadiens durant la période pertinente. Cependant, d’autres éléments montrent qu’un client canadien qui avait ouvert un compte GO PHONE pouvait racheter les Services GO PHONE à partir du Canada sur le site Web paygonline ou via le service à la clientèle GO PHONE, durant la période pertinente (second affidavit Thomas, pièce 7). La Marque GO PHONE est clairement affichée sur le site Web paygonline (second affidavit Thomas, pièce 2) et M. Thomas atteste que les représentants du service à la clientèle GO PHONE répondent au téléphone en citant la Marque GO PHONE, et qu’ils envoient des courriels et des messages texte SMS employant la Marque GO PHONE.

[29]  À mon avis, que les Canadiens aient eu ou non à acheter le matériel requis pour ouvrir un compte GO PHONE aux États-Unis durant la période pertinente ne répond pas à la question de savoir si les Services GO PHONE étaient offerts à la vente au Canada. Comme ils sont prépayés, les Services GO PHONE doivent être rachetés de temps à autre, soit sur le site Web paygonline, soit par le biais du service à la clientèle GO PHONE. AT&T IP a fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les clients canadiens pouvaient effectuer ces achats subséquents des Services GO PHONE à partir du Canada. Par ailleurs, la Marque GO PHONE était affichée et/ou citée durant ces interactions, attendu que les clients devaient se connecter à leurs comptes GO PHONE pour effectuer les achats (le second affidavit Thomas, pièce 1).

[30]  Les plans GO PHONE étaient également annoncés, et offerts aux Canadiens, sur le site Web de relations de presse d’AT&T (dossier de la demanderesse, aux pages 90 et 100). Des éléments de preuve indiquent que le plan tarifaire incluant l’itinérance des Services GO PHONE était annoncé directement aux clients canadiens d’AT&T qui avaient déjà souscrit un plan tarifaire GO PHONE et qui comptaient changer de plan (second affidavit Thomas, pièce 7).

[31]  Les faits de la présente affaire sont différents de ceux de la décision Boutique Limité Inc c Limco Investments, Inc, [1998] ACF no 1419 [Boutique]. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a estimé que la preuve n’était pas à même d’établir que Limco avait exécuté suffisamment de services au Canada pour justifier un enregistrement à l’égard de « services de vente au détail de vêtements pour dames », et que leurs ventes à des Canadiens ne relevaient pas du cours normal de leurs activités. En l’espèce, il est clair qu’AT&T offrait les Services GO PHONE à quiconque avait le bon équipement, notamment les Canadiens qui avaient acheté des téléphones AT&T aux États-Unis ou des cartes SIM GO PHONE via des tierces parties en ligne. Le cours normal des activités d’AT&T à l’égard des Services GO PHONE consistait à annoncer et à vendre au détail les Services principalement sur Internet. À ce titre, les ventes faites à des Canadiens relèvent du cours normal des activités d’AT&T. Par ailleurs, même si AT&T demande un code postal américain aux fins de l’activation initiale des Services, la preuve indique qu’il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse du code postal du client.

[32]  La défenderesse soutient que la preuve établissant l’emploi au Canada durant la période pertinente est insuffisante, car il n’est pas certain que les transactions effectuées avec des cartes de crédit délivrées au Canada aient réellement été faites à partir du Canada. En l’absence de factures, avance la défenderesse, il est tout aussi probable qu’il s’agisse d’achats effectués par des Canadiens se trouvant aux États-Unis. Il ajoute que tous les emplois de Services au Canada pouvaient être le fait d’Américains en voyage, puisque ces derniers constituent la principale clientèle des Services GO PHONE. Par ailleurs, la défenderesse fait valoir que les chiffres fournis dans le second affidavit Thomas concernant les données d’appel (c.‑à‑d., nombre d’abonnés, nombre d’appels, et nombre total de minutes d’emploi au Canada durant la période pertinente) et les transactions basées sur des cartes de crédit délivrées au Canada, font simplement état de l’emploi, mais ne l’établissent pas.

[33]  Les factures ne sont pas nécessaires pour établir l’emploi dans le cadre d’une instance fondée sur l’article 45 (Diamant Elinor Inc c 88766 Canada Inc, 2010 CF 1184 [Diamant]). De plus, il existe une distinction entre des affidavits qui font état d’un emploi et ceux qui présentent des faits permettant d’inférer l’« emploi » (Diamant, aux paragraphes 8 et 9). J’estime que le second affidavit Thomas tombe dans la seconde catégorie. À ce titre, même si l’hypothèse de la défenderesse peut être vraie, compte tenu des données d’appel et du nombre de transactions effectuées avec des cartes de crédit délivrées au Canada (c.‑à‑d., 99 451 transactions), j’estime qu’il est raisonnable d’inférer, selon la prépondérance des probabilités, qu’au moins certains des appels effectués au Canada l’ont été par des Canadiens. Par ailleurs, la pièce 7 du second affidavit Thomas montre que les utilisateurs du forum Howard surnommés Whitecapsfan ‒ qui affirme travailler à Victoria ‒ et disco65 ‒ qui utilise une carte de crédit délivrée au Canada ‒ ont réussi à placer des appels et à envoyer des messages texte avec leurs téléphones disposant de l’option GO PHONE alors qu’ils se trouvaient au Canada durant la période pertinente.

[34]  Comme je l’ai indiqué plus haut, le niveau de preuve requis pour démontrer l’emploi de la marque de commerce en question est faible. De plus, même si une preuve explicite est préférable, la Cour peut inférer l’emploi de l’ensemble de la preuve (Eclipse International Fashions Canada Inc c Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, au paragraphe 7). Par conséquent, compte tenu des documents écrits soumis à la Cour et des arguments avancés par les parties à l’audience, je conclus que la Marque GO PHONE était employée durant la période pertinente d’une manière conforme à l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce.

[35]  Par conséquent, j’estime que l’agente d’audience a commis une erreur en concluant que la Marque GO PHONE, telle qu’elle figure dans l’enregistrement, n’était pas employée durant la période pertinente. L’appel est accueilli et la décision infirmée.

IV.  Dépens

[36]  Les parties ont soumis des observations informelles au sujet des dépens. La demanderesse estime qu’un montant de 15 000 $ serait raisonnable, et la défenderesse soutient que le tarif normal devrait s’appliquer. L’observation de la demanderesse n’étant pas dûment étayée, je ne puis accepter sa proposition comme un montant raisonnable.

[37]  Par conséquent, j’adjuge à la demanderesse les dépens qui seront taxés suivant la colonne III du Tarif B.


JUGEMENT dans le dossier T ‑1357‑16

LA COUR STATUE que

  1. l’appel est accueilli;

  2. la décision du registraire datée du 7 juin 2016 est infirmée;

  3. la défenderesse doit verser à la demanderesse les dépens qui seront taxés suivant la colonne III du Tarif B.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T ‑1357‑16

 

INTITULÉ :

AT & T INTELLECTUAL PROPERTY II, L.P. c LECOURS, HEBERT AVOCATS INC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JUILLET 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Colleen Spring Zimmerman

POUR La demanderesse

Claude Levesque

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FOGLER, RUBINOFF s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

LEVESQUE JURISCONSULT INC.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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