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Date : 20170801


Dossier : IMM-3785-16

Référence : 2017 CF 741

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2017

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

O'NEIL MARLON HENDRICKS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel qu’il a interjeté à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR). La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Le demandeur n’était pas représenté à l’audience, mais son avocat précédent a fourni des observations écrites en son nom lors de la demande d’autorisation. Pour rendre ma décision, j’ai tenu compte de ces observations écrites précédentes, ainsi que des observations orales formulées à l’audience.

[2]  Le demandeur a présenté une demande d’asile au motif qu’un disk‑jockey rival en Jamaïque avait l’intention de l’assassiner. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur n’était pas crédible, que sa crainte n’avait aucun lien avec l’un des motifs prévus par la Convention conformément à l’article 96 de la LIPR, que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir une menace à sa vie au sens de l’article 97 de la LIPR, et que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

[3]  En appel, la SAR a maintenu les conclusions de la SPR selon lesquelles le fait que le demandeur ait tardé à présenter sa demande d’asile minait sa crédibilité, la crainte du demandeur n’avait aucun lien avec l’un des motifs prévus par la Convention, le demandeur n’avait pas une crainte subjective de persécution en Jamaïque et le demandeur n’était pas exposé à une menace à sa vie ou à un risque de peines ou de traitements cruels et inusités au sens de l’article 97. La SAR ne s’est pas prononcée sur la protection de l’État.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision. Les motifs de la SAR n’établissent pas clairement si la bonne norme de contrôle a été appliquée à la décision de la SPR.

II.  Questions en litige et arguments

[5]  La norme de contrôle appliquée par la Cour à une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica].

[6]  Le demandeur fait valoir que la SAR n’a pas appliqué la bonne norme de contrôle aux conclusions de la SPR, qu’elle a évalué de façon déraisonnable le fait que le demandeur ait tardé à présenter sa demande d’asile, que son analyse fondée sur l’article 97 était inadéquate et qu’elle a manqué à l’équité procédurale en omettant d’exprimer ses préoccupations au demandeur. Se fondant sur la décision Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 684 [Cortes], la SAR a eu tort de conclure qu’elle devait faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR relativement à la crédibilité du demandeur. Par conséquent, elle n’a pas mené sa propre analyse quant à la crédibilité du demandeur ou à l’égard d’autres faits importants tranchés par la SPR.

[7]  Le défendeur convient que la SAR a commis une erreur de droit en se fondant sur la décision Cortes, mais fait valoir que lorsque la décision est interprétée dans son ensemble, il est clair que la SAR a mené une analyse indépendante et a appliqué la norme de la décision correcte à l’égard des conclusions essentielles portant sur le retard dans la présentation de la demande d’asile, l’absence de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention et l’absence d’éléments de preuve suffisants pour établir l’existence d’un risque.

III.  Analyse

[8]  À mon avis, la décision de la SAR n’est pas raisonnable. La SAR a conclu que la décision de la SPR serait examinée dans son ensemble. La SPR s’est penchée sur cinq questions en litige : 1) la nationalité du demandeur; 2) l’existence d’un lien aux fins de l’article 96; 3) l’application de l’article 97; 4) la crédibilité du demandeur; et 5) la protection de l’État. Se fondant sur la décision Cortes, la SAR a conclu que la question était la suivante : « La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion quant à la crédibilité et, le cas échéant, l’appelant a‑t‑il qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger? » La SAR a conclu que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité exigent « le plus haut degré de déférence » et qu’il « faut manifester une retenue élevée » à l’égard de ses conclusions. Elle a affirmé qu’elle ferait preuve d’une telle retenue à l’égard des conclusions sur la crédibilité de la SPR.

[9]  L’erreur en se fondant sur la décision Cortes pour établir que la SAR, plutôt que la Cour, est tenue de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions sur la crédibilité de la SPR a été commise au début de la décision et a entraîné d’autres erreurs subséquentes. Par exemple, bien que la SAR ait examiné les trois conclusions principales de la SPR, elle a ensuite conclu qu’elle ne se prononcerait pas sur les « microquestions » soulevées par le demandeur, parce que le récit du demandeur sonnait faux et que la SPR a présenté des motifs convaincants et détaillés pour justifier sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas crédible. Selon ce que je comprends de cette analyse, la SAR a simplement souscrit à l’opinion de la SPR au lieu d’examiner les autres questions touchant le demandeur en appel. Essentiellement, la SAR a adopté et fait siens les motifs de la SPR. La SAR a ensuite déclaré avoir examiné l’ensemble de la preuve et a conclu que la SPR avait fourni « des motifs convaincants et détaillés pour conclure que le demandeur n’était pas crédible », en concluant comme suit :

Après avoir examiné de façon indépendante la totalité de la preuve à ma disposition, je conclus que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et son analyse à l’égard de l’article 97 sont défendables. Je remarque également, conformément à ce que la Cour fédérale a déclaré dans Cortes (précité), que la conclusion de la SPR en matière de crédibilité exige une importante déférence.

[10]  En ne procédant pas à l’analyse indépendante des conclusions établies par la SPR et en déclarant que la décision de la SPR serait examinée « comme un tout », la SAR n’a pas effectué le contrôle requis selon la norme de la décision correcte. La SAR affirme deux fois que la décision de la SPR est « défendable », plutôt que correcte. Elle affirme aussi que l’analyse du retard à présenter une demande « correspondait aux directives » de la décision Guirguis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 413. Ces affirmations portent à croire que la SPR a agi de façon raisonnable, et non correcte.

[11]  Il est vrai qu’à certaines occasions, notamment lorsqu’il est question du lien avec un motif prévu par la Convention, la SAR indique explicitement que la SPR a rendu  une décision correcte. Cependant, l’analyse de l’article 97 effectuée par la SAR était clairement entachée par son interprétation erronée de la norme de contrôle. Dans son évaluation de la crédibilité, la SAR a fait preuve de retenue à l’égard des conclusions, alors qu’elle n’a pas indiqué que la SPR avait bénéficié d’un avantage important, comme le retard. Ces conclusions quant à la crédibilité ont eu une incidence sur les conclusions de la SAR portant que le récit « sonn[ait] faux ». Bien qu’une partie de l’analyse fondée sur l’article 97 était basée sur la probabilité que le disk‑jockey rival recherchait encore le demandeur, soit une question distincte de la crédibilité, la SAR a également conclu que « les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et son analyse à l’égard de l’article 97 sont défendables ». [Je souligne]

[12]  Puisque la SAR s’est fondée de façon erronée sur la décision Cortes, et compte tenu des affirmations susmentionnées, qui portent à croire qu’elle a appliqué la norme de la décision raisonnable, je suis d’avis que les motifs de la SAR ne sont pas suffisamment intelligibles, transparents ou justifiés pour me permettre de conclure que l’issue résultait  de l’application de la norme de contrôle appropriée. Par conséquent, je suis d’avis que la décision ne peut se justifier au regard du droit. L’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen, en application de la norme de contrôle établie par la Cour d’appel fédérale dans la décision Huruglica.

[13]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et les faits en l’espèce n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3785-16

LA COUR ORDONNE que :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen, en application de la norme de contrôle établie dans la décision Huruglica.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-3785-16

 

 

INTITULÉ :

O'NEIL MARLON HENDRICKS c. LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUILLET 2017

 

JUDGEMENTS ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER AOÛT 2017

 

COMPARUTIONS :

O'Neil Hendricks

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Susan Gans

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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