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Date : 20170725

Dossier : IMM‑5292‑16

Référence : 2017 CF 721

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MEDINA LURENA BRUCE

demanderesse

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], et visant une décision datée du 21 décembre 2016, par laquelle un agent a refusé de surseoir au renvoi de la demanderesse. Le 30 décembre 2016, la Cour a consenti à ce qu’il soit sursis au renvoi en attendant l’issue de la présente instance.

[2]  La demanderesse est citoyenne de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et vit au Canada depuis le 23 mai 2000. Elle a un fils qui est né au Canada le 10 mai 2013. Son fils quitterait le pays avec elle si elle était renvoyée.

[3]  La demanderesse a soulevé trois points devant l’agent chargé de la demande de sursis : son établissement au Canada, sa schizophrénie et l’intérêt supérieur de l’enfant [ISE]. Les arguments concernant l’ISE portaient principalement sur les répercussions qu’aurait sur l’enfant le renvoi de sa mère. Ils reposaient sur les mêmes motifs que ceux invoqués par la demanderesse dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [CH], qui est en instance.

[4]  Il est bien établi que le pouvoir discrétionnaire de l’agent est limité et qu’il y a lieu d’exécuter le plus rapidement possible la mesure de renvoi, et que l’on ne peut y surseoir que s’il est démontré de façon convaincante qu’en ne la faisant pas, la vie du demandeur serait menacée, qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, ce qui, dans le cas d’une demande CH en instance, veut dire que la sécurité personnelle de la demanderesse serait menacée (Wang c Canada, 2001 CFPI 148; Baron c Canada, 2008 CF 342).

[5]  J’estime que la demanderesse demande essentiellement à la Cour d’imposer comme norme à l’agent des renvois de procéder en quelque sorte à une mini-évaluation des motifs d’ordre humanitaire fondée sur les principes exposés dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] de la Cour suprême. Dans l’arrêt Lewis c Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2017 CAF 130, la Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que l’arrêt Kanthasamy n’avait pas modifié le droit applicable à l’évaluation effectuée par l’agent chargé du renvoi, y compris l’aspect concernant l’ISE. Bien que les considérations relatives à l’ISE soient pertinentes, l’analyse devrait porter principalement sur l’intérêt à court terme de l’enfant qui sera directement touché par le renvoi. En l’espèce, la demanderesse a soutenu que l’ISE est directement lié au risque que constituerait pour sa sécurité personnelle la détérioration de son état psychologique en cas de renvoi. En outre, ni l’évaluation de l’agent ni celle de la Cour ne doivent compromettre les chances de succès de la demande CH en instance.

[6]  J’estime que la seule question essentielle en l’espèce est l’effet à court terme du renvoi sur l’état psychologique de la mère et la possibilité qu’elle se fasse traiter à Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

[7]  La demanderesse a soulevé des questions de sécurité personnelle concernant l’effet de son renvoi sur sa schizophrénie. Elle soutient que l’agent n’a pas tenu compte des lettres provenant de son psychiatre traitant, de son médecin de famille et de son infirmière, dans lesquelles il est indiqué que le renvoi de la demanderesse à Saint-Vincent-et-les-Grenadines aurait pour effet d’aggraver sa maladie.

[8]  Dans une certaine mesure, l’omission de faire expressément référence à ces rapports est excusable, parce que l’agent s’intéressait principalement à la situation à court terme, alors que les rapports ne portaient pas expressément sur l’état de sa maladie à court terme, en cas de renvoi. De plus, l’agent a en fait sous-estimé la gravité de sa maladie en disant qu’elle était [traduction« bien contrôlée à l’heure actuelle grâce aux médicaments ». En fait, elle ne prenait pas ses médicaments en 2016, et le psychiatre qu’elle consultait en 2016 n’a pas dit non plus qu’elle devait en prendre. Il lui avait recommandé de prendre, si elle l’estimait nécessaire, un antipsychotique, la perphénazine, à une dose initiale faible de 2 mg. De plus, la preuve démontre que, lorsque ce médicament lui a été recommandé pour la première fois en 2013, elle a refusé de le prendre parce qu’elle était enceinte. Rien n’indique qu’elle a déjà pris des médicaments pour soigner sa maladie.

[9]  Le rapport de 2016 a été présenté à l’appui de sa demande visant à demeurer au Canada. Se fondant sur la description des symptômes faite par la demanderesse elle‑même et figurant au rapport de 2013, le médecin a diagnostiqué, et inscrit dans le rapport de 2016, que la demanderesse souffrait de troubles hallucinatoires de la perception. Pour le reste, le rapport indique qu’elle était en bonne santé, que sa pensée était logique et cohérente, qu’elle n’avait pas d’idées délirantes ou d’obsessions, qu’elle n’avait pas de tendances suicidaires ou homicidaires et que sa compréhension de la situation et son jugement étaient sains. D’après le rapport et la preuve, elle avait appris à ne pas tenir compte de sa maladie et elle avait réussi à gérer le problème. Il n’a pas été mentionné qu’elle éprouvait des difficultés à prendre soin de son enfant.

[10]  Bien que le psychiatre estime que, si elle est renvoyée du pays, sa maladie s’aggravera et qu’il s’agit là d’une considération pertinente pour la demande CH, en raison du soutien familial, social et médical dont elle bénéficie au Canada, il n’est pas déraisonnable de conclure qu’à court terme, cette affirmation est hypothétique, surtout qu’il s’agit d’un cas où la demanderesse pourrait prendre les médicaments qui lui ont été prescrits, dans le cas où sa maladie s’aggraverait.

[11]  De plus, la principale conclusion de l’agent était que la prétention qu’elle ne pourrait pas d’obtenir le traitement dont elle a besoin à Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines relève de la conjecture, étant donné l’absence de preuve à l’appui. La demanderesse reproche à l’agent d’avoir mentionné que la communauté caribéenne avait un système de renvoi entre les différentes îles, et que, dans le cas où un traitement n’était pas offert dans une île, le patient pouvait être envoyé dans une île où ce traitement était offert. La demanderesse soutient que [traduction« l’agent n’a fourni aucune preuve indiquant qu’elle pourrait obtenir un traitement psychiatrique dans une autre île, et encore moins une preuve que ce traitement répondrait aux besoins de la demanderesse ». Je conviens avec le défendeur qu’il n’appartient pas à l’agent de fournir une telle preuve, mais que c’est plutôt à la demanderesse de démontrer qu’elle n’aurait pas accès à un traitement si elle était renvoyée, ce qui n’était pas, de l’avis de l’agent, suffisamment imminent.

[12]  J’estime également que la conclusion selon laquelle sa famille et son mari ne continueraient pas à la soutenir financièrement après son arrivée à Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines n’est pas hypothétique. En particulier, sa déclaration solennelle démontre qu’il existe des liens d’amour et d’affection très forts entre la demanderesse, son mari et l’enfant, y compris le fait qu’ils se sont mariés la veille de son renvoi du Canada. D’après cette preuve, il ne me paraît pas hypothétique que le mari continuera à tenter de retrouver la demanderesse et son enfant et de les soutenir de toutes les façons possibles. Si elle obtient la résidence permanente, elle a l’intention de parrainer son retour au Canada. Il a d’abord été renvoyé vers Saint-Vincent-et-les-Grenadines et résidait à Trinidad‑et‑Tobago en décembre 2016. La demanderesse et son enfant possèdent également une famille étendue à Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines.

[13]  Par conséquent, je ne crois pas que la conclusion de l’agent voulant que, en raison de son état de santé et de celle de son enfant, la sécurité personnelle de la demanderesse serait compromise en cas de renvoi, soit hypothétique à court terme, et la décision est donc raisonnable dans les circonstances.

[14]  Par conséquent, la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑5292‑16

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5292-16

 

INTITULÉ :

MEDINA LURENA BRUCE c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 juillet 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

le 25 juillet 2017

 

COMPARUTIONS :

Geraldine MacDonald

pour La demanderesse

 

Nicole Rahaman

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Geraldine MacDonald

Avocate

Toronto (Ontario)

 

pour La demanderesse

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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