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Date : 20170725


Dossier : IMM-118-17

Référence : 2017 CF 719

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LAKHWINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, un citoyen indien de confession Sikh, se pourvoit à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Section d’appel des réfugiés [SAR], rendue en date du 19 décembre 2016, confirmant le rejet, par la Section de la protection des réfugiés de ladite Commission [SPR], de la demande d’asile qu’il a logée aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [Loi] à son arrivée au Canada en septembre 2015. La SPR a jugé ladite demande non-crédible. Elle a aussi déterminé que le demandeur avait accès à un refuge intérieur à Delhi ou Mumbai. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR quant au refuge intérieur mais n’a pas jugé nécessaire, dans les circonstances, de se prononcer sur le constat de non-crédibilité posé par la SPR.

[2]  Les faits à l’origine de la présente demande d’asile sont relativement simples. Le demandeur, originaire d’un petit village de l’État du Pendjab, craint les représailles du sarpanch du village et de ses hommes de mains en raison d’un différend politique impliquant son père, décédé depuis, qui aurait refusé de joindre le parti politique auquel le sarpanch est associé (le parti Akali Dal Badal). Le demandeur craint aussi les représailles de la police indienne en raison de la grande influence qu’exercerait ce sarpanch.

[3]  Deux incidents seraient à l’origine de la décision du demandeur de quitter son pays pour le Canada. D’abord, en janvier 2014, le demandeur aurait reçu des menaces d’enlèvement et de mort de la part du sarpanch s’il ne réussissait pas à convaincre son père, alors sympathisant du parti rival, le Congress Party, d’arrêter de le critiquer. Le demandeur se serait alors plaint en vain auprès des autorités policières locales. Sur les conseils de son père, il se serait réfugié dans la ville de Ludhiana, où il a de la famille. Dix-huit mois plus tard, soit en juin 2015, le père du demandeur aurait été assassiné, présumément par les hommes de mains du sarpanch. Une note indiquant que le demandeur subirait le même sort, aurait été retrouvée près du corps. Puis, de retour à Ludhiana après les funérailles de son père, le demandeur aurait été informé que les hommes de mains du sarpanch étaient à sa recherche dans cette ville. Le demandeur aurait alors sollicité la protection de la police de Ludhiana mais celle-ci l’aurait plutôt menacé de représailles s’il refusait d’offrir son soutien au parti politique du sarpanch. C’est à ce moment que le demandeur aurait décidé de quitter pour le Canada avec l’aide d’un facilitateur.

[4]  En plus de trouver le témoignage du demandeur vague et évasif, la SPR a jugé que la demande d’asile du demandeur souffrait d’omissions et contradictions importantes, notamment quant à ses activités politiques et à la date de décès de son père. Sur la question du refuge intérieur, la SPR a déterminé que le demandeur n’avait pas fait la preuve qu’il était recherché par les autorités du Pendjab et qu’à tout événement, il n’avait pas le profil requis pour que les autorités indiennes le recherchent à Delhi ou Mumbai. Quant à la possibilité que le sarpanch et ses hommes de mains puissent le retrouver dans l’une ou l’autre de ces villes, la SPR a jugé que le demandeur n’avait pas fait la preuve qu’ils en avaient soit la capacité, soit la volonté. Enfin, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il lui serait objectivement déraisonnable de se relocaliser dans l’un de ces deux villes. Elle a noté à cet égard qu’il existe plusieurs communautés Sikhs à l’extérieur du Pendjab, notamment à Delhi et Mumbai, et que les Sikhs en général peuvent, non seulement au Pendjab mais ailleurs en Inde, pratiquer leur religion, se loger et trouver du travail.

[5]  Tel que je l’ai déjà indiqué, la SAR ne s’est prononcé que sur la question du refuge intérieur. Même si elle a reconnu qu’il existe dans les stations de police en Inde un registre dans lequel les propriétaires d’immeubles à logement sont tenus d’inscrire le nom de leur locataires, ce qui, selon le demandeur rendrait illusoire, dans son cas, toute idée d’un refuge intérieur, la SAR a relevé de la preuve documentaire que les communications entre les corps policiers des différents états indiens se limite au cas de crimes majeurs et qu’en conséquence, l’inscription du nom du demandeur à ce registre, que cela soit à Delhi ou Mumbai, était peu susceptible, en supposant sa crainte fondée, de le mettre à risque. Elle a relevé le même constat d’une réponse à une demande d’information datée de mai 2016, et donc postérieure à la décision de la SPR. Elle en a conclu ce qui suit :

[traduction]

[48]  Les renseignements obtenus à partir de la réponse à la demande d’information (RDI) du 10 mai 2016 révèlent qu’en Inde, [traduction] « il y a peu de communication policière étatique, sauf dans le cas de crimes graves comme la contrebande et le terrorisme, et le crime organisé d’envergure ». Par ailleurs, il est mentionné que [traduction] « les policiers partout en Inde travaillent pratiquement en silo en matière de criminalité et de pistage de criminels. Il n’y a aucun système de stockage de données efficace [...] permettant de partager les données et d’y avoir accès, et il n’existe pas de système unique par lequel une unité policière peut communiquer directement avec une autre unité ». De plus, les programmes visant à relier les banques de données sont bloqués depuis des années en Inde. Certains renseignements sont communiqués sur le réseau zonal intégré de la police (Zonal Integrated Police Network – ZIPNET); cependant, ZIPNET met l’accent sur l’information concernant les cas odieux, les criminels les plus recherchés, les enfants perdus et retrouvés, les cadavres ou personnes non identifiés, et les véhicules volés et non réclamés.

[49]  Le profil de l’appelant ne correspond pas au type de situation exceptionnelle qui inciterait un policier à partager l’information avec ses homologues dans des États différents. L’appelant spécule qu’il existe un rapport de police ou un mandat. L’appelant fait valoir que le sarpanch du village exerce un pouvoir et une influence sur les forces policières. Cependant, même si j’accepte cette information sans réserve, la preuve documentaire démontre que la police de Delhi ou de Mumbai ne communiquerait pas avec le service policier du Pendjab dans le cadre du processus d’enregistrement des locataires.

[50]  En examinant la situation objectivement, je note également que le profil politique de l’appelant n’est pas suffisamment grave pour que le service policier du Pendjab soit porté à traverser la frontière afin de poursuivre l’appelant à Delhi ou à Mumbai. Pour réitérer, la preuve documentaire démontre que la pratique actuelle en Inde est de rechercher les personnes d’un État à l’autre uniquement dans des cas très extrêmes. Cela ne correspond pas au profil de l’appelant. Plutôt, la preuve présentée par l’appelant démontre qu’il est partisan du parti du Congrès dans un petit village constitué de 35 familles. Malgré l’existence d’un conflit entre le parti du Congrès et les partisans du parti Akali Dal Badal dans le village de l’appelant, rien n’indique que l’appelant est une menace grave ou qu’il est impliqué dans de graves crimes ou soupçonné d’être impliqué dans de graves crimes à un point tel qu’il serait poursuivi n’importe où en Inde.

[6]  Quant au caractère déraisonnable d’une relocalisation à Delhi ou Mumbai, la SAR, tout comme la SPR avant elle, a jugé que le demandeur n’en n’avait pas fait la démonstration.

[7]  Le demandeur soutient que la SAR a erré en omettant de considérer à la fois la preuve documentaire faisant état du fait que ce ne sont pas seulement les criminels de haut niveau qui sont recherchés par les autorités partout en Inde et la capacité du sarpanch à influencer les autorités policières et à ainsi inciter celles-ci à rechercher le demandeur peu importe où il se trouve sur le territoire indien.

II.  Question en litige et norme de contrôle

[8]  Il s’agit ici de déterminer si, comme le soutient le demandeur, la SAR, en concluant à l’existence d’un refuge intérieur, a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour suivant les paramètres fixés par l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7.

[9]  Il est bien établi que les décisions de la SAR sont révisables par cette Cour suivant la norme déférente de la décision raisonnable (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35 [Huruglica CAF]; Paye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 685 au para 3; Nazari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 561 au para 12; Gu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 543 au para 20). Cette norme est aussi la norme de contrôle applicable aux fins de l’examen des questions liées à l’existence d’un refuge intérieur puisqu’il s’agit là de questions mixtes de fait et de droit relevant de l’expertise de la SPR (Okohue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1305 au para 10; Zaytoun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 939 au para 10; Lopez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 550 au para 14; Pedraza Corona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 508 au para 5) et maintenant également de celle de la SAR, elle aussi un tribunal administratif spécialisé en la matière (Huruglica CAF, au para 32 ; Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 aux paras 54-55).

[10]  Suivant cette norme de contrôle, la Cour ne saurait interférer avec une décision de la SAR que si celle-ci se situe hors du champ des issues possibles, acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

[11]  En l’espèce, j’estime qu’il n’y pas lieu d’intervenir.

III.  Analyse

[12]  Pour réfuter la possibilité d’un refuge intérieur, un demandeur d’asile doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe un risque sérieux qu’il soit persécuté là où la SPR conclut qu’il y a une telle possibilité. Il doit également démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, la situation dans cette région du pays est telle qu’il serait objectivement déraisonnable pour lui d’y chercher refuge (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) au para 47, [1991] ACF No1256 (QL); Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326 au para 11[Katinszki]; Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 600 au para 4).

[13]  Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur en l’instance soutient que la SAR a fait défaut de considérer la preuve documentaire faisant état du fait que ce ne sont pas seulement les criminels de haut niveau qui sont susceptibles d’être recherchés par les autorités partout sur le territoire de l’Inde (Dossier Certifié du Tribunal, p 115). Toutefois, je note de cette preuve datant de mai 2013, que les opinions varient. D’une part, on y voit que les forces policières du Pendjab, comme l’a noté la SAR, vont chercher à localiser quelqu’un qui est d’intérêt pour elles dans les cas extrêmes seulement et que pour ce faire, une ordonnance d’un tribunal et l’assistance des autorités policières de d’autres états seront généralement requises. J’y note aussi que si les autorités policières du Pendjab, selon certains observateurs, se livrent impunément à des pratiques de fabrication d’accusations ou à l’inscription de gens sur des listes d’individus à haut profil, ces pratiques visent généralement les Sikhs qui militent pour l’indépendance ou s’opposent au parti au pouvoir, défendent les droits des victimes des actes de violence commis à l’endroit de la communauté Sikh en 1984-85, critiquent la police ou sont membres de regroupements de jeunes Sikhs (Dossier Certifié du Tribunal, p 115).

[14]  La preuve documentaire révèle aussi, selon une Réponse à une demande d’information datée du 14 mai 2012, que chaque état indien a sa propre force de police et que celles-ci agissent indépendamment l’une de l’autre. Selon cette preuve, l’échange d’information entre ces corps policiers est limité et il n’existe aucune obligation pour un corps policier de faire état aux autres du mouvement de personnes d’intérêts. On y voit aussi que l’Inde ne possède pas d’infrastructure nationale de communication reliant les différents corps policiers (Dossier Certifié du Tribunal, p 31).

[15]  La SAR, après avoir donné au demandeur la possibilité de la commenter, a aussi examiné de la preuve documentaire postérieure à la décision de la SPR, laquelle, comme on l’a vu, réitère les constats antérieurs voulant que l’échange et l’emmagasinage de données entre corps policiers soient limités, peu efficaces et réservés, lorsqu’il y en a, aux cas les plus sérieux (Dossier Certifié du Tribunal, p 19). La SAR était en droit de donner du poids à cette preuve plus récente et de la préférer aux extraits d’une preuve datant de 2013 que le demandeur lui reproche de ne pas avoir considéré et qui, lorsque lue dans son ensemble, ne contredit pas de façon claire et convaincante, comme on vient de le voir, la conclusion de la SAR sur cette question (Ramos Villegas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 699 aux para 18 et 20; Rueda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 828 aux para 63-64; Huertas Morales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 216 au para 20; Rodriguez Zambrano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481 au para 60; Yankilevitch c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] FCJ No 1546 au para 10).

[16]  En concluant que, malgré que son nom puisse être inscrit au registre des locataires tenus par la police de Delhi ou de Mumbai, le demandeur n’avait pas le profil requis pour que la police du Pendjab le recherche et le retrouve à l’un ou l’autre endroit ou pour que la police de ces deux villes le dénonce aux forces de l’ordre du Pendjab, la SAR n’a, à mon avis, commis aucune erreur militant en faveur d’une intervention de la Cour. Comme l’avait fait avant elle la SPR, la SAR a rappelé à cet égard, et il est important de le mentionner, que le demandeur n’a pas fait la preuve qu’un mandat de recherche ou d’arrestation avait été émis contre lui.

[17]  Quant à la capacité du sarpanch d’influencer la police du Pendjab, la SAR ne l’a pas ignorée, contrairement à ce que prétend le demandeur. La tenant pour acquise pour les fins de son analyse, malgré qu’il soit question ici du sarpanch d’un petit village de 35 familles, la SAR a jugé, suivant la preuve documentaire, que la police de Delhi et de Mumbai ne contacterait pas celle du Pendjab sur la seule base que le nom du demandeur apparaît sur leur registre de locataires. Encore une fois, je ne peux dire que cette conclusion est déraisonnable. Elle trouve sans aucun doute, à mon sens, un fondement rationnel dans la preuve qui était devant la SAR.

[18]  La présente demande de contrôle judicaire sera donc rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a sollicité la certification d’une question pour la Cour d’appel fédérale. Je suis aussi d’avis qu’il n’y a pas matière à certifier une question.

 


JUGEMENT dans le IMM-118-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-118-17

 

INTITULÉ :

LAKHWINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JUILLET 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

pour le demandeur

 

Me Thi My Dung Tran

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

Me Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 

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