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Date : 20170731


Dossier : IMM-170-17

Référence : 2017 CF 746

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

LINAMAR CORPORATION

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les règlements adoptés au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] établissent les conditions régissant l’entrée au Canada et le droit de séjour des étrangers qui cherchent à travailler comme travailleurs étrangers temporaires. Un étranger (c’est-à-dire une personne qui n’a pas la citoyenneté canadienne ou le statut de résident permanent) n’est pas autorisé à exercer un emploi au Canada à moins, entre autres exigences, qu’il soit muni d’un permis de travail délivré par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC]. Les modalités du Programme des travailleurs étrangers temporaires [PTET] et de l’étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] que les employeurs intéressés sont tenus d’obtenir avant d’embaucher un étranger sont régies par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR].

[2]  Dans la présente affaire, Linamar Corporation [la demanderesse ou l’employeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 janvier 2017 par laquelle M. Samir Mourani (l’agent), agent principal de développement de programme au ministère de l’Emploi et du Développement social [EDSC], a rejeté la demande de la demanderesse visant à obtenir une EIMT favorable ou neutre permettant l’emploi de quinze travailleurs étrangers non identifiés pour des postes d’électriciens industriels [le poste].

[3]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Contexte

[4]  La demanderesse, une société canadienne, se décrit comme l’employeur le plus important de Guelph, en Ontario. Le 10 octobre 2015, la demanderesse a présenté une demande d’EIMT par l’entremise d’un cabinet de consultants en immigration, Matthews – Global Immigration Law [Matthews ou le tiers], en vue d’obtenir une EIMT favorable ou neutre afin d’embaucher quinze travailleurs étrangers non identifiés comme électriciens industriels. Le code de la Classification nationale des professions [CNP] pour ce poste est le CNP 7242. La demanderesse a précisé que les personnes embauchées pour ce poste seraient payées selon un taux horaire de 29 $. Elle a souligné dans sa demande d’EIMT que ce taux avait été affiché conformément aux directives données sur le site Internet d’EDSC, selon lesquelles le salaire d’un poste doit figurer dans la publication obligatoire de l’offre faite dans le cadre du PTET. En outre, la demanderesse a affirmé qu’embaucher ces étrangers lui permettrait de maintenir sa production et de respecter ses obligations contractuelles envers ses clients, dont General Motors, Ford et Chrysler. Dans le cadre du processus de recrutement de la demanderesse, sur tous les candidats retenus pour les postes en cause, il y avait deux citoyens canadiens, qui ont été engagés. La demanderesse a aussi fourni un plan de transition à EDSC dans lequel elle indiquait de quelle manière la société réduirait son recours à des travailleurs étrangers au fil des ans.

[5]  Le 11 octobre 2016, l’agent a eu un entretien avec Mme Roxanne Rose, vice-présidente des ressources humaines à l’international de la société employeuse. Cette dernière lui aurait alors dit que la croissance annuelle de Linamar s’élevait à au moins 20 p. 100. Elle a en outre expliqué à l’agent que toutes les usines de fabrication de Linamar fonctionnent par quarts de travail, étant donné qu’elles sont exploitées 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, afin de respecter les obligations contractuelles de la société. C’est pour cette raison que Linamar exige de ses employés qu’ils travaillent par rotation de quarts de travail de 12 heures, et la rotation actuelle requiert 3 jours de travail pour 2 jours de congé. En raison de cet horaire particulier, Linamar a connu de nombreux renouvellements de personnel. En effet, les employés voulaient un horaire avec des jours de travail consécutifs plutôt que de travailler par quarts en continu. Les conditions de l’emploi ont ainsi poussé la majorité d’entre eux à quitter l’entreprise pour des compétiteurs qui offraient des horaires plus conventionnels. Mme Rose a ajouté que Linamar avait de la difficulté à respecter ses obligations actuelles.

[6]  L’agent a demandé pourquoi la société ne pouvait pas embaucher des sous-traitants pour respecter ses obligations plutôt que d’engager des travailleurs étrangers. Mme Rose a répondu que faire appel à des sous-traitants est onéreux d’un point de vue administratif et que la qualité de leur travail est imprévisible.

[7]  Le 14 octobre 2016, Mme Kim Ly, représentante de Matthews, a fourni à l’agent l’état consolidé de la situation financière de Linamar, qui indiquait que, de 2014 à 2015, le chiffre d’affaires de la demanderesse était passé de 4 171 561 $ à 5 162 450 $. Mme Ly a en outre informé l’agent des programmes d’apprentissage offerts par Linamar à ses employés actuels. Cependant, le nombre d’employés de Linamar pouvant participer à ces programmes est limité par le ministère du Travail de l’Ontario. Mme Ly a également souligné qu’il s’agissait d’une autre raison pour laquelle la demanderesse avait besoin d’embaucher quinze électriciens industriels qualifiés.

[8]  Afin de déterminer s’il y avait une pénurie de main-d’œuvre pour le poste, l’agent a évalué le recrutement de la demanderesse et a consulté de nombreux documents sources. Selon ses notes, le site Internet d’Emploi-Avenir Ontario indique à la fois qu’il « devrait être plus difficile de trouver un emploi » et que « [e]n revanche, il s’avère plus facile de trouver un emploi, la probabilité de se retrouver au chômage est inférieure ». En raison de cette incohérence, l’agent a communiqué avec M. John Grimshaw, du Conseil de la construction en Ontario de la fraternité internationale des ouvriers en électricité [CCO FIOE], qui représente onze sections locales en Ontario, afin d’en savoir davantage sur la situation du marché du travail des électriciens industriels. Au cours de leur conversation, M. Grimshaw a souligné les différences séparant un “électricien en construction” d’un “électricien industriel” reconnues dans la région, et a expliqué que les quarts de travail créent des situations défavorables et entraînent généralement un taux de rémunération plus élevé. M. Grimshaw a ajouté que le taux de chômage chez les électriciens en construction et les électriciens industriels, syndiqués ou non, est élevé dans la région de Guelph. En outre, en plus de pouvoir être recrutés pour des postes d’électriciens industriels, les électriciens en construction peuvent assumer pleinement les fonctions de postes dans ce domaine et, en raison de leur travail saisonnier, ils sont disponibles toute l’année pour combler les besoins en main-d’œuvre. À la suite à cette conversation, l’agent était d’avis qu’il n’y avait pas de pénurie de main-d’œuvre pour le poste annoncé par la demanderesse.

[9]  Le 28 octobre 2016, soit deux jours après sa conversation avec M. Grimshaw, l’agent a communiqué avec Mmes Rose et Ly pour leur présenter les conclusions qu’il avait tirées et qui menaient à une EIMT défavorable. Selon ses notes, il leur a présenté le texte de justification [traduction« accompagné des sources utilisées pour l’IMT ». Mme Ly était d’accord avec la plupart des observations de l’agent, mais pas avec [traduction« l’interprétation des données ». Elle aurait dit que [traduction« les problèmes de maintien des effectifs sont un signe que les Canadiens ne sont pas intéressés par les conditions du poste affiché par Linamar et donc qu’ils ne sont pas disponibles ». L’agent a alors expliqué que [traduction« les problèmes de maintien des effectifs dans ce cas sont un signe que les conditions de travail offertes sont peu attrayantes pour le marché du travail canadien. Ainsi, les Canadiens qualifiés embauchés par Linamar quittent pour d’autres emplois aux conditions plus avantageuses ».

[10]  Dans ses motifs, l’agent a conclu que la demanderesse était raisonnablement en mesure de respecter les conditions de l’offre d’emploi conformément à l’alinéa 200(5)c) du RIPR. Il a toutefois conclu que la recherche de travailleurs étrangers de la demanderesse pour pourvoir quinze postes d’électriciens industriels ne correspond pas aux besoins raisonnables de la société. Il a en outre conclu que la demanderesse n’avait pas signalé que l’emploi de travailleurs étrangers entraînerait la création directe ou le maintien d’emplois (conformément à l’alinéa 203(3)a) du RIPR) et le transfert de compétences ou de connaissances au profit des citoyens canadiens et des résidents permanents (conformément à l’alinéa 203(3)b) du RIPR).

[11]  De plus, l’agent a signalé que le salaire courant pour les électriciens industriels (29 $ l’heure) fixé dans l’offre d’emploi était insuffisant eu égard au fait que cette offre vise aussi les électriciens en construction, qui touchent généralement un salaire plus élevé, et que le poste exige de travailler dans des conditions de travail défavorables. Selon l’agent, la demanderesse aurait dû fixer un salaire plus haut sur l’échelle salariale de l’emploi en question pour démontrer qu’un effort raisonnable avait été fourni dans le but d’embaucher des citoyens canadiens.

[12]  Enfin, l’agent a déclaré que l’emploi de travailleurs étrangers était peu susceptible de résorber une pénurie de main-d’œuvre conformément à l’alinéa 203(3)c) du RIPR et que l’employeur n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour embaucher ou former des citoyens canadiens ou des résidents permanents.

La demande dont est saisie la Cour

[13]  La demanderesse soutient qu’il y a eu un manquement important à l’équité procédurale et que la décision contestée est déraisonnable. Premièrement, l’agent a omis d’informer la demanderesse de son entretien avec M. Grimshaw du CCO FIOE et de la teneur des renseignements ainsi obtenus. La demanderesse n’a donc jamais eu l’occasion de répondre à cette information extrinsèque, puisque l’agent avait déjà pris sa décision après sa conversation avec le CCO FIOE. Deuxièmement, l’agent n’a pas fourni de motifs suffisants à l’appui de sa conclusion et son analyse des facteurs pertinents énumérés au paragraphe 203(3) de la RIPR est incomplète.

[14]  Pour sa part, le défendeur ne nie pas que l’agent s’est effectivement appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques. Cependant, la demanderesse aurait été invitée à plusieurs reprises à répondre à l’information obtenue. Le défendeur soutient donc qu’il n’y a eu de manquement ni à l’équité procédurale ni à un principe de justice naturelle. En outre, la décision contestée est raisonnable. Par ailleurs, même si sa demande d’EIMT a été refusée, il est toujours loisible à la demanderesse de répondre aux préoccupations soulevées par l’agent dans une nouvelle demande d’EIMT.

[15]  Comme l’a affirmé l’avocat du défendeur à l’audience, le PTET permet à des employeurs canadiens d’embaucher des travailleurs étrangers, en dernier recours et de manière temporaire, pour pallier de réelles pénuries de main-d’œuvre compétente lorsqu’aucun citoyen canadien ou résident permanent qualifié n’est disponible. Il s’agissait d’un des facteurs clés sur lesquels reposait la décision de l’agent. La demande d’EIMT a été rejetée en vertu du paragraphe 203(1) du RIPR essentiellement parce que l’emploi d’étrangers était peu susceptible d’avoir des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien. En outre, l’agent a fondé son avis défavorable sur les conclusions suivantes :

1) L’employeur n’a pas suffisamment démontré l’existence d’un besoin raisonnable en matière d’emploi,

2) L’employeur n’a pas suffisamment démontré qu’il a fait des efforts pour embaucher des citoyens canadiens, conformément au paragraphe 203(3) du RIPR, et

3) La situation du marché du travail des électriciens industriels n’indique pas de pénurie de main-d’œuvre pour le poste dans la région géographique concernée, conformément au paragraphe 203(3) du RIPR.

[16]  Les deux parties conviennent que le bien-fondé de la décision contestée doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, puisqu’une opinion d’EDSC concernant l’emploi de travailleurs étrangers qui aura une incidence favorable ou neutre sur le marché du travail au Canada constitue une question mixte de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Construction and Specialized Workers’ Union, Local 1611 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 512, [2014] 4 RCF 549, paragraphe 91 [Construction and Specialized Workers’ Union, Local 1611]; Charger Logistics Ltd. c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CF 286, [2016] ACF no 270, paragraphe 9; Sky Blue Transport Ltd c Canada (Emploi et Développement social), 2017 CF 273, [2017] ACF no 272, paragraphe 15 [Sky Blue Transport Ltd]). En revanche, la question de savoir si l’agent a manqué à son obligation procédurale est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. À ce sujet, le défendeur affirme qu’il ne s’agit pas réellement de savoir si la décision ou l’opinion est correcte, mais plutôt de déterminer si le processus qui a été suivi pour parvenir à la décision était équitable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; Kozul c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CF 1316, [2016] ACF no 1328, paragraphe 8 [Kozul]).

Aucun manquement à l’équité procédurale

[17]  La demanderesse souligne d’abord que, bien que l’obligation d’équité procédurale de l’agent se situe à l’extrémité inférieure du continuum, elle n’est pas inexistante. D’après les principes élaborés dans la décision Kozul, au paragraphe 10, la Cour devrait analyser la question de savoir « si des faits concrets, essentiels ou potentiellement cruciaux pour la décision ont été utilisés à l’appui d’une décision, sans que la partie visée ait eu la possibilité de répondre à ces faits ou de les commenter. »

[18]  Les parties reconnaissent que l’information obtenue par M. Grimshaw, du CCO FIOE, constituait une preuve extrinsèque, mais la demanderesse prétend quant à elle que cette information a eu une influence directe sur le résultat de l’EIMT, particulièrement en ce qui concerne la pénurie de main-d’œuvre et les efforts déployés par Linamar pour embaucher et former des citoyens canadiens. À l’audience, l’avocat de la demanderesse a soutenu que la [traduction« longue liste de préoccupations » que l’agent a communiquée à Mme Ly, la représentante du tiers, ne répond pas aux critères établis dans la décision Kozul. Par exemple, l’agent a omis d’informer la demanderesse du fait que les renseignements avaient été fournis par un représentant syndical. S’il avait révélé la source de ces renseignements, la représentante de la demanderesse aurait sans doute évalué l’information différemment. Par conséquent, il était injuste que l’agent rende une décision défavorable en matière d’EIMT alors que l’entièreté des renseignements obtenus par l’agent auprès d’un représentant du CCO FIOE n’avait pas été divulguée à la demanderesse.

[19]  Quoi qu’il en soit, la demanderesse affirme qu’il ressort de l’examen des notes de l’agent qu’on ne lui a pas laissé la possibilité de répondre à l’information obtenue par M. Grimshaw. Selon ces notes, l’agent a envoyé un courriel à Mme Rose le 28 octobre 2016 pour solliciter un rendez-vous afin de discuter de sa décision sur le dossier, mais il a par la suite présenté ses conclusions menant à l’EIMT défavorable à la représentante du tiers. Ainsi, selon la demanderesse, l’agent avait déjà refusé la demande d’EIMT lorsqu’il a contacté Mme Ly le 4 janvier 2017. Priver la demanderesse de la possibilité de commenter ces renseignements non divulgués ou de leur opposer des éléments de preuve contraires constitue aussi un manquement à l’équité procédurale qui justifie l’intervention de la Cour.

[20]  Je ne partage pas ce point de vue et je souscris dans l’ensemble aux arguments du défendeur.

[21]  Premièrement, la preuve présentée à la Cour démontre selon moi que la teneur de la preuve extrinsèque obtenue par M. Grimshaw a été communiquée à la représentante du tiers. Comme l’a fait valoir le défendeur, les agents d’EDSC fondent souvent leur évaluation sur les renseignements fournis par l’employeur, mais aussi sur toute autre information supplémentaire que l’agent aurait recueillie, y compris des renseignements sur la pénurie de main-d’œuvre et sur les salaires. Il arrive aussi souvent que l’agent contacte l’employeur ou son représentant par téléphone avant de parvenir à sa décision définitive, ce qui a été fait en l’espèce. En effet, l’agent a écrit dans ses notes que son entretien avec M. Grimshaw avait été divulgué à Mme Ly, la représentante du tiers, au cours d’une conversation téléphonique qu’il a eue avec elle deux jours après cet entretien, et qu’il lui a alors laissé la possibilité de répondre à l’information. À ce stade, rien ne justifie que la Cour mette en doute cette affirmation, puisque les notes de l’agent mentionnent qu’une liste de préoccupations a été fournie à la représentante concernant la demande d’EIMT de la demanderesse (notes de l’agent, dossier de la demanderesse, pages 11‑12). Même en l’absence d’un affidavit pertinent souscrit par l’agent, je suis convaincu que je peux me fier aux les notes de l’agent qui ont été consignées immédiatement après chacun de ses contacts avec les représentantes de la demanderesse. Quant à Mme Ly, elle n’a aucun affidavit pour contredire ce fait.

[22]  En outre, encore selon la seule preuve pertinente dont disposait la Cour (les notes de l’agent), Mme Ly n’était en désaccord qu’avec l’évaluation de l’agent concernant la situation du marché du travail. Cependant, son désaccord à cet égard ne signifie pas qu’elle a été privée de son droit de réagir à cette évaluation. Selon le défendeur, les notes montrent que la demanderesse, par l’entremise de la représentante du tiers, a eu la possibilité de répondre à l’information, ce qu’elle a effectivement fait au moyen de la réponse de la représentante (Fredy’s Wedding Inc c Canada (Emploi et Développement social), 2017 CF 7, [2017] ACF no 4, paragraphes 17-28 [Fredy’s Wedding Inc]). L’agent a néanmoins de nouveau téléphoné à la représentante du tiers le 4 janvier 2017 avant de parvenir à son refus définitif et de rendre sa décision. Il a ensuite expliqué les trois motifs de son refus et présenté les sources sur lesquelles il s’est appuyé pour prendre sa décision. Le défendeur souligne qu’à ce moment précis, l’agent n’était pas tenu de rendre une décision et que si la demanderesse avait fourni de nouveaux éléments de preuve ou de nouveaux arguments qui auraient requis une modification de la décision ou une recherche de faits plus approfondie, il aurait dû réexaminer sa décision.

[23]  En ce qui concerne la preuve extrinsèque, la Cour doit évaluer si les représentantes de la demanderesse ont été informées de la teneur de la preuve obtenue du CCO FIOE et si on leur a laissé la possibilité de répondre à ces renseignements et de faire toutes les observations pertinentes les concernant (El-Helou c Service administratif des tribunaux judiciaires, 2012 CF 1111, [2012] ACF no 1237, paragraphes 75-77).

[24]  Dans la présente affaire, l’essentiel de l’information a été communiqué et la demanderesse n’a pas démontré de quelle façon la source de la preuve extrinsèque aurait modifié ses observations. Le fait que le CCO FIOE est reconnu comme représentant de syndicats en Ontario n’est que peu pertinent en l’espèce, puisque la demanderesse n’a pas démontré de quelle manière la source de l’information aurait modifié sa réponse. Comme l’a affirmé le juge Shore dans la décision Ahmed c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CF 197, [2016] ACF no 214, paragraphe 15, il est impossible pour la Cour de conclure qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale « si les demandeurs n’indiquent pas, à tout le moins, comment ces changements ont eu des conséquences tangibles pour leur demande, en gardant à l’esprit le contenu de la demande des demandeurs ainsi que [l]es circonstances qui y sont indiquées ». En outre, le refus n’est pas définitif, et la demanderesse peut présenter une nouvelle demande et répondre aux préoccupations soulevées par l’agent dans sa décision.

[25]  Dans l’ensemble, je suis convaincu que la demanderesse a eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent. En effet, la preuve montre que Mmes Rose et Ly ont été contactées à plusieurs reprises et que l’agent a divulgué ses conclusions dans son EIMT et a demandé des renseignements supplémentaires.

[26]  Deuxièmement, et surtout, l’avocat du défendeur a démontré à la Cour de façon efficace que les trois motifs du refus de l’agent reposaient en grande partie sur l’information communiquée par les représentantes de la demanderesse. Sans entrer dans les détails, le défendeur a souligné à l’audience que les principaux renseignements fournis par M. Grimshaw, à savoir (1) les différents types d’électriciens, (2) la situation du marché du travail et (3) les conditions de travail, soit les quarts de travail (notes de l’agent, page 8), ont été communiqués à la demanderesse. En effet, les notes de l’agent indiquent que Mmes Rose et Ly ont toutes les deux fourni une contre-preuve à l’égard de chacun de ces éléments, plus tôt ou plus tard dans le processus (notes de l’agent, pages 3‑4). De plus, il semble que la demanderesse savait déjà que les quarts de travail sont défavorables, puisque Mme Rose avait déjà confirmé à l’agent que [traduction« les employés quittent pour d’autres sociétés qui offrent des horaires plus conventionnels » (notes de l’agent, page 4, « deuxième contact », le 11 octobre 2016). Par ailleurs, l’autre motif du refus de l’agent, concernant l’effort fourni pour embaucher des citoyens canadiens, reposait uniquement sur l’information transmise par la demanderesse et n’avait rien à voir avec les renseignements obtenus auprès de M. Grimshaw.

[27]  Je suis convaincu qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale, car l’agent n’a pas fondé son refus uniquement sur l’information extrinsèque fournie par M. Grimshaw, qui a été divulguée, mais aussi sur les renseignements fournis par les représentantes de la demanderesse. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’agent n’a transgressé aucun principe d’équité procédurale dans son évaluation de l’EIMT.

Décision raisonnable

[28]  Compte tenu des différents facteurs énoncés au paragraphe 203(3) du RIPR, sur lesquels les agents doivent fonder leurs EIMT positives, ainsi que de la preuve au dossier, je suis aussi convaincu que la décision contestée est raisonnable. De façon générale, l’évaluation défavorable de l’agent est fondée sur le défaut de la demanderesse de fournir des éléments de preuve objectifs quant à la pénurie de main-d’œuvre, au besoin précis d’électriciens industriels et à l’absence d’efforts pour annoncer un poste avec des conditions de travail attirantes ou un salaire approprié pour alléger la difficulté des quarts de travail. Le résultat de l’évaluation est raisonnable à la lumière du droit applicable et de la preuve au dossier.

Évaluation de tous les facteurs pertinents

[29]   L’avocat de la demanderesse a affirmé à l’audience que tout repose sur la question plus large de savoir si les agents doivent mettre en balance tous les facteurs énoncés au paragraphe 203(1) du RIPR ou s’il y a un facteur déterminant. En l’espèce, la demanderesse prétend que l’agent n’a fait ni l’un ni l’autre, puisqu’il a considéré chaque élément comme une exigence plutôt que comme un facteur à mettre en balance (Construction and Specialized Workers’ Union, Local 1611, paragraphe 144). Toutefois, la jurisprudence indique clairement que les agents d’EDSC doivent concentrer leur attention sur l’impact global, plutôt que de refuser automatiquement une demande d’EIMT s’ils jugent qu’un des facteurs est défavorable (Entreprise Paturel International c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CF 541, [2016] ACF no 528, paragraphes 10-11 [Paturel]). Dans la présente affaire, la demanderesse fait valoir qu’il n’est pas clair quel aurait été le résultat de l’évaluation des facteurs de l’agent s’il n’avait pas commis autant d’erreurs susceptibles de contrôle en fondant sa décision sur les renseignements obtenus auprès du CCO FIOE concernant la pénurie de main-d’œuvre et le salaire approprié pour les électriciens industriels. Quoi qu’il en soit, la décision de l’agent était déraisonnable, puisqu’il n’a pas cherché à déterminer comment l’ensemble des facteurs définis au paragraphe 203(3), considérés globalement, influent sur le marché du travail canadien.

[30]  Les arguments de la demanderesse ne sont pas fondés. La jurisprudence établit qu’il est déraisonnable pour un agent d’EDSC de se fonder sur un seul facteur ou une seule donnée. Ce faire constituerait une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire (Seven Valleys Transportation Inc c Canada (Emploi et Développement social), 2017 CF 195, [2017] ACF no 210, paragraphe 32, citant Paturel, paragraphes 11-12). Bien que j’estime comme la demanderesse que l’information obtenue du CCO FIOE a joué un rôle dans la décision de l’agent, celui-ci ne s’est pas fondé uniquement sur cette seule source de données pour évaluer la pénurie de main-d’œuvre ou l’EIMT dans son ensemble. Il appert à la lecture des notes de l’agent qu’il mettait sérieusement en doute les efforts raisonnables déployés par Linamar pour offrir un salaire adéquat et des conditions de travail attirantes pour que des citoyens canadiens pourvoient les postes en question. En outre, l’agent a plusieurs fois demandé des renseignements supplémentaires à Mme Rose et à la représentante du tiers afin de mieux comprendre la situation de la main-d’œuvre, mais aussi pour comprendre la dynamique au sein de Linamar.

[31]  Comme l’a déclaré le juge en chef Crampton dans la décision Frankie’s Burgers Lougheed Inc c Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 27, [2015] ACF no 53, au paragraphe 40, il ressort clairement du paragraphe 203(3) du RIPR que le caractère raisonnable des décisions d’un agent devrait être évalué en fonction du critère ultime consistant à savoir si « le travail de l’étranger n’est pas susceptible d’avoir des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien ». Les sept critères particuliers énoncés aux alinéas 203(3)a) à g) du RIPR renforcent ce principe, mais ils ne font mention ni ne tiennent compte d’aucune façon du type de considérations que l’agent devrait évaluer ou de la latitude qu’a ce dernier.

[32]  En l’espèce, l’agent a tenu compte de tous les facteurs établis au paragraphe 203(3) du RIPR, mais a finalement conclu qu’il était peu probable qu’une EIMT favorable ait une incidence favorable ou neutre sur le marché du travail canadien. De plus, l’agent a tiré ses conclusions à la suite d’un examen méticuleux des documents relatifs à l’EIMT et ses notes portant sur ses motifs de refus étaient claires, autant concernant le défaut de la demanderesse de démontrer des efforts raisonnables pour embaucher des citoyens canadiens et des résidents permanents qu’en ce qui a trait au salaire affiché, considéré trop bas eu égard aux quarts de travail imposés. Même après avoir passé en revue les autres motifs de la décision contestée – les motifs autres que la pénurie de main-d’œuvre –, la demanderesse ne m’a pas convaincu que le résultat final est déraisonnable au regard de toutes les erreurs soulevées dans ses longues observations.

Besoins raisonnables en matière de main-d’œuvre

[33]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans sa conclusion concernant le besoin de quinze électriciens industriels, car il a omis de tenir compte de quatre éléments déterminants. D’abord, (1) il n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse est l’un des plus importants fabricants de pièces pour véhicules automobiles au Canada et (2) qu’elle a obtenu l’approbation du ministère de l’Ontario pour faire travailler ses employés un nombre excédentaire d’heures pour satisfaire à la demande. Ensuite, (3) la demanderesse a besoin de travailleurs étrangers afin d’améliorer la proportion d’électriciens qualifiés par apprenti et, malgré les heures excédentaires imposées à ses employés, la société ne peut pas respecter ses engagements actuels sans dépendre largement de fournisseurs de main-d’œuvre indépendante. Enfin, (4) l’agent a commis une erreur en concluant qu’un fabricant de pièces pour véhicules automobiles multimilliardaire qui emploie plus de 6 000 personnes à Guelph n’a pas raisonnablement besoin de 15 électriciens industriels supplémentaires. La demanderesse prétend que cette conclusion déraisonnable ne concorde pas avec la preuve au dossier.

[34]  Cette position est sans fondement. Comme l’indiquent ses notes, l’agent a tenu compte de tous les éléments favorables mentionnés par la demanderesse, mais aussi des éléments défavorables. En effet, l’agent souligne que le contrat en vigueur avec Ford, conclu en 2013 et fourni par la demanderesse, indique qu’il n’a pas eu, au cours des quatre dernières années, de changement dans les circonstances opérationnelles de la société qui ferait en sorte qu’il serait nécessaire d’engager des travailleurs étrangers. La demanderesse a dû faire face à des difficultés opérationnelles, mais celles-ci n’étaient, de toute évidence, pas suffisantes pour que l’agent conclue que l’emploi de travailleurs étrangers est la  solution. L’agent fait aussi valoir qu’en plus de pouvoir être recrutés pour des postes d’électriciens industriels, les électriciens en construction peuvent assumer pleinement les fonctions de postes dans leur domaine et, en raison de leur travail saisonnier, ils sont disponibles toute l’année pour combler les besoins en main-d’œuvre. Compte tenu de ses conclusions sur la pénurie de main-d’œuvre, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que la demanderesse n’avait pas démontré de besoins raisonnables en matière de main-d’œuvre.

Efforts suffisants en vue d’embaucher des citoyens canadiens ou des résidents permanents

[35]  La demanderesse plaide que l’agent a commis plusieurs erreurs qui influencent au bout du compte sa conclusion concernant les efforts déployés par Linamar pour embaucher des citoyens canadiens.

[36]  Premièrement, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans son évaluation du salaire approprié pour le poste. L’agent a conclu à tort que les électriciens industriels travaillant par quarts sont généralement mieux payés que les électriciens industriels qui ne sont pas assujettis à de telles conditions. En fait, la demanderesse fait valoir que le salaire affiché pour le poste correspond aux directives publiées sur le site Internet de « Travailler au Canada », qui est régulièrement utilisé afin d’évaluer les salaires dans le PTET, et qui indique que le salaire courant pour un électricien industriel dans la région de Kitchener-Waterloo-Barrie est de 32 $ l’heure, tandis que le salaire courant pour un électricien en construction est de 27 $ l’heure. Cela dit, la demanderesse prétend que l’agent s’est trompé sur le salaire raisonnable pour le poste. Sa présomption suivant laquelle les électriciens en construction s’attendent à un salaire plus élevé que celui des électriciens industriels est non seulement pure conjecture et infondée, mais aussi contraire à l’information se trouvant sur le site Internet de « Travailler au Canada ». Par conséquent, la conclusion de l’agent selon laquelle les électriciens en construction s’attendent à un meilleur salaire que les  électriciens industriels est erronée et relève de la conjecture, et est donc déraisonnable.

[37]  Deuxièmement, la demanderesse prétend que l’agent a omis de prendre en compte son « Plan de transition » dans son évaluation conformément à l’alinéa 203(3)e) du RIPR. Cette disposition indique clairement que l’évaluation peut tenir compte autant des efforts futurs que passés. Or, l’agent a uniquement mis l’accent sur les efforts de recrutement antérieurs. Contrairement à ce que la conclusion de l’agent laisse entendre, le plan de transition de la demanderesse, une exigence du PTET, fournit des renseignements pertinents concernant la façon dont l’employeur engagera ou formera des citoyens canadiens ou des résidents permanents : en contactant des établissements postsecondaires offrant des programmes coopératifs de métiers spécialisés ou en offrant des formations et des cours de perfectionnement professionnel aux employés, particulièrement aux femmes et aux jeunes apprentis.

[38]  De façon générale, la demanderesse a essayé de mettre le doigt sur différents éléments de l’analyse de l’agent avec lesquels elle n’est pas d’accord. Je suis toutefois d’avis que l’analyse de l’agent, qui est étayée par la preuve, n’est pas arbitraire. En effet, il était raisonnable de conclure que l’affichage du salaire courant pour une offre d’emploi, qui comporte des conditions de travail peu attrayantes, ne démontrait pas d’efforts suffisants pour embaucher des citoyens canadiens ou des résidents permanents. Les deux représentantes de la demanderesse, Mmes Rose et Ly, ont reconnu à plusieurs reprises que les employés canadiens qualifiés quittaient pour des emplois offrant de meilleures conditions de travail (pour ne pas avoir à travailler par quarts de travail) et, malgré qu’il soit exigé des employés qu’ils travaillent selon un horaire indésirable, elles ont confirmé que Linamar n’offre pas de prime de quart à ses employés.

[39]  Comme l’a mentionné le défendeur, le poste affiché par la demanderesse indiquait le salaire courant, plutôt qu’un salaire au bas de l’échelle salariale de l’emploi en question. Malgré une apparente confusion en ce qui a trait au salaire de ce poste, au final, la demanderesse a choisi d’afficher le poste à 29 $ l’heure (le salaire courant) plutôt qu’à 29,94 $ (le salaire au bas de l’échelle salariale du poste). Ce faisant, la demanderesse a reçu vingt candidatures de citoyens canadiens et résidents permanents, dont seulement deux étaient qualifiés pour le poste. Toutefois, le fait que la demanderesse a embauché des Canadiens dans le cadre de son processus de recrutement n’est pas déterminant quant à savoir si elle a fait des efforts suffisants pour embaucher des Canadiens ou des résidents permanents. En bref, il était raisonnable que l’agent mette en doute les efforts de recrutement de la demanderesse puisqu’elle avait affiché le poste au salaire courant plutôt qu’à un salaire plus élevé dans l’échelle salariale de l’emploi en question, alors qu’il n’y avait pas de pénurie de main-d’œuvre et que le poste exigeait de travailler par quarts, ce qui a été identifié par la représentante de la demanderesse comme des conditions de travail défavorables.

[40]  En ce qui a trait au Plan de transition, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, puisqu’il a été conclu que la demanderesse n’a pas fait d’efforts raisonnables pour embaucher des personnes du Canada, l’examen de l’intention de la demanderesse d’embaucher des citoyens canadiens ou des résidents permanents dans le futur importait peu  pour la décision finale de l’agent aux termes de l’alinéa 203(3)e) du RIPR (Babic c Canada Emploi et Développement social), 2016 CF 174, [2016] ACF no 188, paragraphe 32).

[41]  Par conséquent, je conclus que la conclusion à laquelle est parvenu l’agent en l’espèce appartenait nettement aux issues possibles acceptables.

Conclusions

[42]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soulevée, et aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-170-17

 

INTITULÉ :

LINAMAR CORPORATION c LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUILLET 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Steven Meurrens

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jordan Regehr

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sous-procureure générale du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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