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Date : 20170707


Dossier : IMM-5062-16

Référence : 2017 CF 661

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 7 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ATINUKE ALAKE DOHERTY

OLUWADOLAPO DERON DOHERTY

OLUWADEMILADE DONALD DOHERTY

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi ou la LIPR], à l’encontre d’une décision défavorable rendue le 10 novembre 2016 [la décision] par la Section d’appel des réfugiés [la SAR ou la Commission]. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]  La demanderesse principale [la demanderesse] et ses deux fils mineurs sont citoyens du Nigéria. La demanderesse, son mari et leurs fils sont venus en vacances au Canada à la fin de mars 2016. Elle allègue que, pendant qu’ils se trouvaient au Canada, ils ont appris que le prophète de leur communauté religieuse, l’Église du christianisme céleste [l’Église céleste ou l’Église] située à Calabar, au Nigéria, avait eu une vision et l’avait faussement accusée de pratiquer la sorcellerie.

[3]  Son mari est ensuite retourné au Nigéria, où il a allégué que le danger persistait, et a donc tenté d’obtenir l’aide de la police, mais en vain.

[4]  La demanderesse demande l’asile au Canada parce qu’elle dit craindre pour sa vie au Nigéria en raison de menaces proférées par des membres de l’Église et de la famille de son mari, à cause de sa sorcellerie.

[5]  Le 12 juillet 2016, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, concluant que la demanderesse et ses fils n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Le refus était fondé sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité et sur une possibilité de refuge intérieur [PRI].

[6]  Dans sa décision, la SAR ne s’est pas prononcée sur la conclusion de la SPR en matière de crédibilité. Elle s’est plutôt attachée exclusivement à ce qu’elle a qualifié de question déterminante, concluant que la demanderesse dispose d’une PRI viable et accessible à Lagos, au Nigéria.

II.  Analyse

[7]  La demanderesse soutient que la SAR a commis trois erreurs, c’est‑à‑dire en :

  1. refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve;

  2. n’examinant pas adéquatement la question de la crédibilité et de la protection de l’État;

  3. commettant une erreur dans son appréciation de la PRI.

[8]  La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux questions soulevées en l’espèce (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica]).

A.  Refus d’admettre de nouveaux éléments de preuve

[9]  La demanderesse prétend que la SAR aurait dû accepter les divers affidavits et lettres qui lui ont été présentés à titre de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR. Je ne souscris pas à cette prétention.

[10]  D’abord, la demanderesse ne conteste pas la conclusion de la SAR selon laquelle les éléments de preuve supplémentaires auraient pu être présentés à la SPR avant l’audience, à l’audience ou même dans des observations postérieures à l’audience, c’est‑à‑dire que tous les éléments de preuve auraient pu être fournis avant que la décision soit rendue en juillet 2016. Ces observations et conclusions sont raisonnables.

[11]  Ensuite, la demanderesse a contesté la façon dont a été traité le rapport de la psychothérapeute [le rapport], qui constituait le seul « nouvel élément de preuve » à l’égard duquel la SAR avait fourni des motifs de rejet, bien que ce fût à titre subsidiaire. Autrement dit, la Commission a fourni des motifs expliquant le rejet du rapport dans l’éventualité seulement où elle aurait accepté l’élément de preuve. La SAR a conclu que, subsidiairement, le rapport n’était pas fiable, estimant que, même s’il avait été accepté comme nouvel élément de preuve, il se serait vu accorder peu de valeur probante parce que, entre autres choses, il était fondé sur une entrevue d’une heure avec la demanderesse sans aucun test psychologique. La SAR a également conclu que la position défendue par la demanderesse, à savoir qu’aucun traitement médical n’est offert au Nigéria, n’était pas étayée par la preuve documentaire. J’estime que ces conclusions sont tout à fait justifiables compte tenu du dossier de preuve.

[12]  En somme, je suis convaincu que la SAR a raisonnablement conclu que les documents supplémentaires ne devaient pas être admis en tant que « nouveaux » documents, conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR, et à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96.

B.  Conclusions quant à la crédibilité

[13]  À l’audience, la demanderesse a fait valoir que la SAR avait commis une erreur en ne se penchant pas sur les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité. Lorsqu’on le lui a demandé, la demanderesse n’a pu citer aucune jurisprudence étayant la thèse selon laquelle la SAR devait se pencher sur chacun des motifs invoqués par la SPR (dans son analyse de la crédibilité), et chacune des conclusions attaquées en appel. En fait, je conviens que, dans les circonstances, la SAR n’était tenue d’apprécier aucune des conclusions quant à la crédibilité, étant donné que la PRI constituait la question déterminante.

C.  Possibilité de refuge intérieur

[14]  Dans son appréciation de la PRI à Lagos, la SAR a correctement appliqué le critère à deux volets énoncé dans les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF), à savoir que :

  1. la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;

  2. la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances, y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge.

[15]  Il incombait à la demanderesse de démontrer que les membres de l’Église pouvaient la retrouver à Lagos, une grande ville dont la population s’élève à 13 millions d’habitants, et qui se trouve à dix heures de route de Calabar.

[16]  La demanderesse soutient que la SAR n’a pas adéquatement apprécié la documentation sur le pays faisant état de la présence de 48 paroisses de l’Église dans la seule ville de Lagos, sa plus forte concentration dans le pays, où elle a également son siège. La demanderesse affirme que la SAR a mal compris cet élément de preuve, et n’en a pas véritablement tenu compte.

[17]  J’estime que la conclusion de la SAR quant à l’insuffisance de la preuve (fournie par la demanderesse en ce qui concerne l’influence de l’Église dans l’ensemble du Nigéria ou à Lagos), était raisonnable. Devant la SPR, la demanderesse a témoigné que l’Église céleste [traduction] « a une paroisse à Lagos » (dossier certifié du tribunal, à la page 277). Ce témoignage ainsi que ses observations en réponse présentées dans le cadre de l’appel sont bien résumés dans la décision de la SAR (aux paragraphes 46 et 47), où la Commission a conclu qu’il n’existait aucune preuve convaincante appuyant ses allégations quant à l’existence d’un risque à Lagos.

[18]  Bref, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la Commission portant que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse ne risquerait pas sérieusement d’être repérée et de subir un préjudice ou d’être persécutée de quelque autre façon à Lagos. La conclusion de la Commission quant au premier volet du critère applicable à la PRI était donc raisonnable.

[19]  La demanderesse a également attaqué la conclusion relative au second volet du critère applicable à la PRI, à savoir qu’il serait déraisonnable pour elle de se réinstaller à Lagos, compte tenu de la présence de l’Église partout au pays. Plus particulièrement, la demanderesse soutient que la SAR a fait abstraction de certains éléments de preuve lorsqu’elle a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve se rapportant à la persécution des personnes qui, comme elle, sont accusées de sorcellerie au Nigéria.

[20]  La Commission s’est prononcée sur ces observations en concluant que la demanderesse « n’a pas donné d’explication raisonnable pour justifier pourquoi elle croit que ses fils et elle seraient repérés à Lagos ou qu’ils seraient victimes d’un préjudice » (décision, au paragraphe 53). De plus, la SAR a également conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve indiquant que la demanderesse avait été accusée de sorcellerie (décision, au paragraphe 50), qui constitue un crime au Nigeria.

III.  Conclusion

[21]  En somme, j’estime qu’il était loisible à la SAR de tirer les conclusions qu’elle a tirées quant aux deux volets du critère applicable à la PRI, et que ces conclusions avaient un caractère déterminant. Pour l’ensemble des motifs exposés ci‑dessus, la décision de la SAR est raisonnable, et la demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5062-16

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5062-16

 

INTITULÉ :

ATINUKE ALAKE DOHERTY ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

 

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 7 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

POUR LES DEMANDEURS

 

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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