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Date : 20170726


Dossier : IMM‑1172‑16

Référence : 2017 CF 729

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 26 juillet 2017

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

KIANA YUNOKA KA SIMMONS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire déposée par Mme Kiana Yunoka Ka Simmons (la demanderesse) contre la décision en date du 9 mars 2016 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande qu'elle avait formée en vertu de l'article 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 (les Règles de la SPR), afin d'obtenir la réouverture de la demande tendant à lui faire reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, au titre, respectivement, de l'article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c 27 (la Loi).

[2]  La demande d'asile de la demanderesse avait été rejetée par décision en date du 11 août 2015.

[3]  La demanderesse a formé contre cette décision une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire portant le numéro de dossier IMM‑3979‑15. Sa demande d'autorisation a d'abord été rejetée par ordonnance en date du 16 mai 2016, puis accueillie à la suite d'une requête en réexamen par ordonnance en date du 22 juillet de la même année. Cette dernière ordonnance autorisait expressément la demanderesse à déposer un avis de désistement de la cause IMM‑3979‑15, afin d'éviter l'application de l'article 170.2 de la Loi. Elle a déposé cet avis de désistement le 25 juillet 2016.

[4]  La demanderesse est citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. Sa demande d'asile est fondée sur son lesbianisme.

[5]  La demanderesse est entrée au Canada en 2011 afin de rendre visite à sa mère. Elle a demandé l'asile en 2015. La SPR a rejeté sa demande, ayant conclu qu'elle n'avait pas établi être exposée à une sérieuse possibilité de persécution pour l'un des motifs prévus à la Convention. La SPR a aussi formulé des conclusions défavorables sur sa crédibilité et une conclusion générale d'« absence de minimum de fondement ». Elle a en outre mis en avant les doutes que lui inspirait le temps mis par la demanderesse à demander l'asile.

[6]  La demanderesse a motivé la demande de réouverture de sa demande d'asile en invoquant des manquements à la justice naturelle commis au cours de son audience devant la Commission. Selon elle, le commissaire avait manqué à l'équité procédurale en lui demandant de clarifier ses réponses ou de répéter ses déclarations.

[7]  Après examen de la demande de réouverture, la SPR a conclu à l'absence de tout manquement à la justice naturelle. La demanderesse, a constaté la SPR, cherchait à faire apprécier de nouveau sa preuve sous prétexte de solliciter la réouverture de sa demande d'asile au motif de manquements supposés à l'équité procédurale.

[8]  Dans sa demande de contrôle judiciaire du refus de rouvrir sa demande d'asile, la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en omettant de prendre en considération et d'examiner presque tous les motifs qu'elle avait invoqués dans sa demande de réouverture. Le fait que la SPR n’a pas tenu compte de ses vulnérabilités psychologiques à l'audience de sa demande d'asile, affirme en outre la demanderesse, constitue une erreur susceptible de révision. Elle allègue que son état psychologique d'alors l'a privée du droit et de la possibilité de participer valablement à cette audience.

[9]  Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le défendeur) soutient que la demanderesse, dans la présente demande de contrôle judiciaire, concentre à tort son attention sur la décision par laquelle la SPR a tranché sa demande de réouverture plutôt que sur le manquement à l'équité procédurale dont se serait rendu coupable le premier tribunal dans l'instruction de sa demande d'asile.

[10]  Selon le défendeur, la norme de contrôle applicable à la présente instance est celle de la décision correcte : notre Cour devrait examiner de novo la procédure tenue devant le premier tribunal afin d'établir si la SPR a manqué à la justice naturelle au cours de cette audience.

[11]  La première question à examiner est celle de la norme de contrôle. Selon le paragraphe 79 de l'arrêt Établissement de Mission c Khela, [2014] 1 R.C.S. 502, les questions d'équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[12]  Je conviens avec le défendeur que la norme de contrôle applicable à la présente affaire est celle de la décision correcte. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la SPR a refusé de rouvrir sa demande d'asile. Elle avait formé sa demande de réouverture en vertu du paragraphe 62(1) des Règles de la SPR, libellé comme suit :

À tout moment avant que la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale rende une décision en dernier ressort à l’égard de la demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou dont le désistement a été prononcé, le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir cette demande d’asile.

[13]  Je souscris aux conclusions du défendeur selon lesquelles notre Cour devrait examiner la procédure suivie par le premier tribunal de la SPR, c'est‑à‑dire celui qui a instruit la demande d'asile de la demanderesse.

[14]  La demanderesse a déposé sa demande d'asile le 12 juin 2015. Elle a fait valoir dans le Formulaire de fondement de cette demande d'asile qu'elle était exposée à des risques dans son pays de nationalité en raison de son sexe et de son orientation sexuelle.

[15]  La demanderesse était représentée par un avocat lorsqu'elle a comparu devant la SPR le 28 juin 2015. Elle était le seul témoin. Selon la transcription de son témoignage versée au dossier certifié du tribunal, elle a d'abord été interrogée par le commissaire saisi, puis par son avocat.

[16]  La demanderesse a invoqué plusieurs motifs au soutien de la demande de réouverture de sa demande d'asile. Elle a affirmé avoir fait l'objet d'un déni de justice naturelle à l'audience devant la SPR en ce que le commissaire lui avait demandé de répéter ses déclarations, n'avait pas pris de mesures d'adaptation à ses problèmes de santé mentale et avait omis d'examiner l'un des fondements de sa demande d'asile, à savoir le sexe. Elle a aussi soutenu avoir été victime d'un manquement à la justice naturelle du double fait que le commissaire de la SPR saisi était un homme et qu'elle était représentée par un avocat de sexe masculin. Elle a enfin fait valoir que la SPR avait omis d'examiner son allégation selon laquelle elle craint d'être persécutée en raison de son sexe si on la renvoie à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines.

[17]  La transcription révèle que le commissaire de la SPR a prié plusieurs fois la demanderesse de parler plus fort.

[18]  On ne m'a pas convaincue que ces interventions équivaudraient à un déni d'équité procédurale.

[19]  La demanderesse supportait la charge d'exposer sa demande d'asile devant la SPR.

[20]  L'essence de l'obligation de justice naturelle consiste à offrir à l'intéressé la possibilité de présenter son exposé des faits et sa preuve; voir le paragraphe 77 de l'arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 (C.S.C.).

[21]  Je ne constate aucun manquement à l'obligation de permettre à la demanderesse de présenter sa preuve. Elle était assistée par un avocat.

[22]  Les arguments invoqués dans la présente instance selon lesquels la SPR aurait omis de prendre en considération le rapport psychologique ne sont pas convaincants.

[23]  Premièrement, le décideur est présumé avoir pris en considération l’ensemble de la preuve pertinente; voir le paragraphe 17 de la décision Giuseppe Ferraro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 801. Quoi qu'il en soit, il est rare qu'un rapport médical puisse à lui seul établir le bien-fondé d'une demande d'asile.

[24]  La SPR avait pour mandat d'apprécier la preuve produite par la demanderesse au soutien de l'affirmation selon laquelle elle était exposée à des risques. Le commissaire saisi a estimé que la demanderesse ne s'était pas acquittée de sa charge de preuve et il a conclu à l'« absence de minimum de fondement » de la demande d'asile.

[25]  Je note que le défendeur invoque l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Hillary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 51, (2011), 331 D.L.R. (4th) 338 (C.A.F.). Dans cette instance, M. Hillary demandait la réouverture d'une décision devant la Section d'appel de l'immigration au motif d'un manquement supposé à l'équité procédurale. M. le juge Evans, au nom de la Cour d'appel fédérale, a formulé les observations suivantes au paragraphe 29 de cet arrêt :

En l’absence d’une appréciation des faits indépendante par la SAI ou le juge, la Cour doit répondre à la question certifiée en décidant elle‑même si le tribunal de la SAI qui a rejeté l’appel de M. Hillary a violé un principe de justice naturelle en omettant de vérifier sa compréhension de la nature de la procédure d’appel.

[26]  Je suis liée par cet arrêt de la Cour d'appel fédérale; voir le paragraphe 43 de l'arrêt Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308, (2012), 440 N.R. 269 (C.A.F.), où la même Cour rappelle que « [s]elon le stare decisis, le juge doit suivre l’enseignement des décisions rendues par les tribunaux supérieurs ».

[27]  Je souscris aux conclusions du défendeur concernant la pertinence de l'arrêt Hillary, précité, quant à la présente demande de contrôle judiciaire.

[28]  La demanderesse était représentée par un avocat, et aucun élément de preuve ne tend à établir qu'elle ne l'aurait pas librement choisi.

[29]  La demanderesse a témoigné elle-même à l'audience. De son propre choix, elle n'a pas cité de témoins pour appuyer ses déclarations.

[30]  La demanderesse affirme avoir subi un préjudice du fait que sa demande d'asile a été instruite par un homme.

[31]  Elle soutient en outre que la SPR a omis de prendre en considération un bon nombre des motifs particuliers qu'elle avait invoqués dans sa demande de réouverture.

[32]  Ces arguments ne sont pas persuasifs. La jurisprudence applicable oblige notre Cour à examiner la première procédure tenue devant la SPR et à décider si l'audience ou la décision en cause est entachée d'un manquement à l'équité procédurale.

[33]  On ne m'a pas convaincue que la SPR ait omis de s'adapter aux besoins particuliers de la demanderesse pendant les audiences.

[34]  Je conviens avec le défendeur que la demanderesse essaie maintenant de faire valoir que l'omission par la SPR d'examiner un motif de risque n'est pas valablement portée devant notre Cour dans une demande formée au titre de l'article 62 des Règles de la SPR. Cet argument soulève une question de fond qui relève d'une demande de contrôle judiciaire.

[35]  La charge incombait à la demanderesse de faire valoir tout motif de risque sur lequel elle se fondait.

[36]  Je souscris également aux conclusions du défendeur selon lesquelles la demanderesse essaie de contester les conclusions défavorables sur sa crédibilité dans le cadre d'une allégation de manquement à l'équité procédurale.

[37]  Comme je le rappelais ci‑dessus, la SPR est habilitée à évaluer la crédibilité. L'évaluation de la crédibilité n'est pas l'affaire de notre Cour. Je rejette l'argument de la demanderesse sur cette question.

[38]  En fin de compte, la demanderesse ne m'a pas convaincue que la SPR ait commis une quelconque erreur susceptible de révision en rejetant la demande de réouverture de sa demande d'asile. La présente demande de contrôle judiciaire sera en conséquence rejetée.

[39]  La demanderesse a proposé la question suivante aux fins de certification :

Dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision de la Section de la protection des réfugiés portant refus de rouvrir une demande d'asile, le commissaire saisi commet-il une erreur susceptible de révision en omettant d'examiner un déni supposé de justice naturelle invoqué par le demandeur dans sa demande de réouverture, ou cette erreur est-elle indifférente compte tenu des observations formulées par la Cour d'appel fédérale sur la norme de contrôle aux paragraphes 27 à 30 de l'arrêt Hillary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 51?

[40]  Le critère applicable à la certification d'une question au titre de l'alinéa 74 d) de la Loi est formulé dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigrationc Zazai, 2004 CAF 89, (2004), 318 N.R. 365 (C.A.F.), selon lequel il doit s'agit d'une question grave de portée générale qui réglerait le sort d'un appel.

[41]  À mon avis, la Cour d'appel fédérale a déjà répondu, dans l'arrêt Hillary, précité, à la question proposée. Celle‑ci ne sera donc pas certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1172‑16

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu'aucune question ne sera certifiée.

« E. Heneghan »

juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1172‑16

 

INTITULÉ :

KIANA YUNOKA KA SIMMONS c MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 26 JANVIER 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lorne Mccleneghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Aide juridique Ontario

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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