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Date : 20170706


Dossier : IMM-5243-16

Référence : 2017 CF 659

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JOSIAS CUCHILLA HERNANDEZ,

HORACIO NEHEMIA CUCHILLA HERNANDEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs contestent la décision du 7 décembre 2016 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR ou la Commission] a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de personnes à protéger et a rejeté leurs demandes d’asile au motif qu’ils ne satisfaisaient pas aux critères énoncés aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Pour les motifs qui suivent, la demande ne peut être accueillie.

II.  Contexte

[2]  Josias Cuchilla Hernandez, le demandeur principal, et Horacio Nehemia Cuchilla Hernandez, le demandeur associé, sont des frères et des citoyens du Salvador ayant présenté une demande d’asile sur le fondement du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[3]  Les demandeurs allèguent tous deux avoir eu des démêlés avec le gang Mara Salvatrucha [le MS-13 ou le gang] au Salvador parce que des membres du gang ont tenté de les recruter puis, après le refus des frères, de les tuer. En décembre 2012, le demandeur principal a quitté le Salvador avec l’aide d’un passeur et est arrivé aux États‑Unis d’Amérique [É.‑U.], où il a demandé l’asile après avoir été détenu. Le demandeur associé a quitté le Salvador et est arrivé aux É.‑U. deux ans plus tard. Le 18 août 2016, les deux demandeurs sont venus au Canada et ont demandé l’asile, craignant que le gang leur cause du tort parce qu’ils l’avaient défié et avaient fui le Salvador.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  Dans sa décision, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’il existe une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés pour l’un des motifs prévus dans la Convention ou, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils soient personnellement exposés au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à leur retour au Salvador. Ces conclusions étaient fondées sur la crédibilité liée à la crainte subjective (les demandeurs n’ont pas mené leur demande d’asile à bien et n’ont pas demandé d’autres recours aux É.‑U.) pendant quatre et deux ans, respectivement, ainsi que sur la possibilité de refuge intérieur [PRI] à San Salvador ou à Santa Ana, deux villes plus grandes que Guatajiagua, où ils vivaient et auraient été exposés à un risque personnel continu de la part du gang, et toutes deux situées à plusieurs heures de là.

IV.  Questions en litige et analyse

[5]  Les demandeurs allèguent que la SPR a commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité et à la PRI. La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions relatives à la crédibilité (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa), 2009 CSC 12, au paragraphe 46 [Khosa]) et aux conclusions de fait rendues en vertu du critère relatif à la PRI (Estrada Lugo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 170, aux paragraphes 30-31) est celle de la raisonnabilité. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, le rôle de la Cour n’est pas de soupeser de nouveau les éléments de preuve ni de substituer aux motifs du décideur l’issue qui serait à son avis préférable (Khosa, aux paragraphes 59, 61).

A.  Crédibilité

[6]  Il convient de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des décisions de la SPR qui portent sur la crédibilité. En l’espèce, la SPR a conclu que les demandeurs risquaient d’être renvoyés durant leurs séjours respectifs de quatre et deux ans aux É.‑U. Durant cette période, ils n’ont pas consulté de conseiller juridique et n’ont pas fait de recherches pour trouver des façons de demeurer légalement aux É.‑U., autrement qu’en parlant à des membres de leur collectivité. La SPR a conclu qu’un tel comportement a porté atteinte à la crédibilité des demandeurs quant à l’existence du risque qu’ils soient exposés à un préjudice grave ou à une menace de mort, au titre du paragraphe 97(1).

[7]  Les demandeurs font valoir que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables et que l’option de demander l’asile aux É.‑U. était illusoire, puisque très peu de demandeurs d’asile provenant du Salvador sont acceptés et que l’équivalent de l’article 97 de la LIPR – la disposition sur laquelle ils ont principalement fondé leurs demandes – n’existe pas dans le droit d’asile américain.

[8]  Je suis d’avis que les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité étaient raisonnables, puisque les demandeurs sont restés longtemps aux É.‑U., qu’ils se sont désistés leur demande d’asile aux É.‑U. et qu’ils ont travaillé sans statut, risquant ainsi l’expulsion à tout moment. Le droit est clair quant au fait que le défaut de demander l’asile à la première occasion peut démontrer l’absence de crainte subjective. Les demandeurs ont eu amplement le temps de demander des conseils juridiques aux É.‑U. ou de présenter une demande plus rapidement et en temps opportun au Canada. Ils ont choisi de ne faire ni l’un ni l’autre (Llorens Farfan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 123, aux paragraphes 14 et 16).

[9]  Deuxièmement, la preuve présentée par les demandeurs – dans la mesure où on peut s’y fonder – a démontré que certains demandeurs salvadoriens ont obtenu le statut de réfugié aux É.‑U. Leurs opinions et statistiques n’étaient pas suffisantes pour démontrer qu’[traduction] « aucun recours [n’était] possible » au regard du droit américain ou de la possibilité de se voir accorder le statut de réfugié (Gomez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1070, au paragraphe 19).

B.  Possibilité de refuge intérieur

[10]  Après avoir examiné la preuve documentaire sur le pays et tenu compte de l’absence de preuve démontrant que le gang recherche actuellement les demandeurs, y compris le témoignage du frère et de la famille des demandeurs, la SPR a conclu que les demandeurs pouvaient s’établir à San Salvador ou à Santa Ana sans être exposés personnellement à un risque – autre que celui auquel est exposée la population générale en raison du taux élevé de criminalité reconnu au Salvador. Après avoir examiné le dossier, je conclus qu’il était loisible à la SPR de tirer cette conclusion.

[11]  La Commission a énoncé et appliqué le critère à deux volets établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF) [Rasaratnam], à savoir :

  1. que la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;

  2. que la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, de s’y réfugier.

[12]  Toutefois, les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas appliqué adéquatement le critère, puisqu’elle n’a pas tenu compte du fait que la protection de l’État ne serait pas offerte dans les deux villes proposées, ayant ainsi complètement omis d’effectuer une analyse de la protection de l’État. Les demandeurs se fondent sur l’arrêt Rasaratnam, qui indique ce qui suit : « [L]a Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI » (au paragraphe 6). Plus précisément, les demandeurs soutiennent que la SPR n’a fait aucunement mention du taux élevé d’impunité envers le MS-13 au Salvador et du fait qu’il exerce ses activités comme s’il s’agissait d’une autorité quasi-gouvernementale, que la police ne protège pas ses victimes dans le pays et que le système judiciaire est faible et corrompu. En somme, les demandeurs affirment que la SPR n’a pas tenu compte des documents sur la situation dans le pays et s’est fondée sur des éléments de preuve erronés. Par conséquent, la Commission a mené son évaluation de la PRI sans d’abord examiner le risque auquel les demandeurs étaient exposés.

[13]  Le défendeur indique que les tribunaux ont conclu qu’une telle conclusion est nécessairement décisive à l’égard d’une demande d’asile (Sarker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 353, aux paragraphes 5 et 7) et soutient que l’analyse de la SPR était raisonnable. Je suis d’accord. Le raisonnement des demandeurs aurait certainement été juste si ceux‑ci avaient fourni des éléments de preuve fiables pour démontrer qu’ils étaient, ou seraient, toujours recherchés par le gang à leur retour. Toutefois, la preuve présentée n’a pas convaincu la Commission que les demandeurs seraient recherchés par le MS‑13 à leur retour. Plus précisément, la SPR a indiqué que la preuve présentée par le demandeur principal indiquait que son frère n’avait pas eu de démêlés avec le gang depuis son retour des É.‑U. Étant donné l’absence d’un tel risque, en plus de la preuve démontrant qu’aucun membre de leur famille n’est actuellement pourchassé par le MS-13, je conviens avec le défendeur qu’il était loisible à la SPR de conclure que la preuve n’établissait pas que le gang recherchait actuellement les demandeurs. En effet, les demandeurs, lorsqu’on leur a demandé pourquoi leur frère n’avait pas été pourchassé par le MS-13 à son retour au Salvador, après avoir été expulsé des É.‑U., ont répondu que le gang n’avait pas remarqué qu’il était de retour.

[14]  Ayant souligné que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils étaient recherchés par le MS-13, la SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils étaient personnellement exposés à un risque et qu’ils seraient exposés au même risque généralisé encouru par toute la population au Salvador. Par conséquent, la SPR n’était pas tenue de mener une analyse complète et distincte de la protection de l’État, puisqu’elle a conclu qu’il était satisfait au premier volet du critère en raison du faible risque de persécution là‑bas. À la lumière des circonstances précises, il était entièrement loisible à la Commission de mener cette analyse (Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426, au paragraphe 24).

[15]  Enfin, les demandeurs font valoir qu’en ce qui concerne les première et deuxième questions ci‑dessus, la Commission a ignoré ou mal interprété la preuve, plus particulièrement en ce qui a trait (i) à une lettre provenant du frère des demandeurs indiquant que le gang était toujours à la recherche des demandeurs, et (ii) au fait que peu de demandeurs d’asile sont acceptés aux É.‑U.

[16]  Tout d’abord, je fais remarquer que le décideur n’est pas tenu d’aborder chaque question et chaque argument soulevés par les parties. Il doit plutôt « démontrer [qu’il] a pris en compte les éléments importants de l’affaire ainsi que les principaux facteurs pertinents » (Santhakumaran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1166, aux paragraphes 19-20).

[17]  En l’espèce, je juge que la SPR a bel et bien abordé la preuve se rapportant aux deux demandes d’asile. La SPR a reconnu que seule une petite partie des demandes d’asile provenant du Salvador est acceptée aux É.‑U. La SPR a également renvoyé à la lettre du frère des demandeurs, indiquant qu’il est retourné au Salvador après avoir été expulsé des É.‑U. et qu’il vivrait dans la clandestinité. De plus, la SPR a fait référence à la preuve documentaire objective sur le pays, reconnaissant que les gangs au Salvador sont actifs dans l’ensemble du pays et qu’ils ont des réseaux de communication élaborés.

[18]  Ultimement, la Commission a conclu qu’aucun de ces éléments n’était convaincant, compte tenu de l’ensemble de la preuve des demandeurs, notamment le défaut de prendre des mesures pour régler la question de leur statut pendant qu’ils se trouvaient aux É.‑U., et l’absence de preuve portant qu’ils étaient poursuivis au Salvador.

V.  Conclusion

[19]  Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la décision de la SPR est raisonnable en ce qu’elle possède les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et qu’elle « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » présentés devant la Commission et devant la Cour (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Il incombait aux demandeurs de démontrer que la Commission a commis une erreur déraisonnable, ce qu’ils n’ont pas fait. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5243-16

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier, et aucune n’est soulevée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5243-16

 

INTITULÉ :

JOSIAS CUCHILLA HERNANDEZ ET al c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JUIN 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

 

POUR Les demandeurs

 

Aleksandra Lipska

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’Adela Crossley

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR Les demandeurs

 

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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