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Date : 20170724


Dossier : IMM‑223‑17

Référence : 2017 CF 711

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ABDUL HASEEB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, visant la décision [la décision] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé, le 23 décembre 2016, la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter la demande d’asile du demandeur.

[2]  Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui affirme être exposé à un risque de persécution en raison de son homosexualité. Il soutient que le voile a été levé sur son orientation sexuelle au Pakistan et qu’il a été attaqué et menacé en conséquence. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour établir son homosexualité selon la prépondérance des probabilités et, en conséquence, qu’il n’avait pas établi le fondement factuel de sa crainte de retourner au Pakistan. La SAR a souscrit aux conclusions de la SPR et a rejeté l’appel.

II.  Questions et analyse

[3]  La norme de contrôle d’une décision de la SPR par la SAR est celle de la décision correcte. Après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis une erreur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 103 [Huruglica]). Cependant, dans certains cas, la SPR peut avoir un avantage sur la SAR pour tirer des conclusions de fait, particulièrement lorsque les conclusions reposent sur l’appréciation de la crédibilité ou de la valeur des témoignages de vive voix; dans ces cas, la SAR doit faire preuve d’une certaine retenue par rapport aux conclusions de fait de la SPR (Huruglica, au paragraphe 70).

[4]  La norme de contrôle que la Cour doit appliquer pour examiner la décision de la SAR sur une question mixte de fait et de droit est celle de la raisonnabilité (Huruglica, au paragraphe 35). Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]).

[5]  Le demandeur soutient que la commissaire de la SAR ne s’est pas correctement acquittée de sa responsabilité en appliquant la norme qui a été établie dans l’affaire Huruglica et qu’elle a énoncée dans sa décision. Plus particulièrement, le demandeur fait valoir que la SAR a simplement souscrit aux conclusions de la SPR sans examiner la preuve de manière indépendante. Je ne suis pas d’accord.

[6]  L’examen de la décision de la SAR démontre que la commissaire a examiné de façon indépendante la preuve dont disposait la SPR lorsqu’elle s’est penchée sur la question de savoir si la décision était correcte. À cette fin, la SAR a écouté l’enregistrement de l’audience et pris connaissance des éléments de preuve documentaire qui avaient été présentés (aucun nouvel élément de preuve n’a été remis à la SAR).

[7]  Ensuite, la SAR a tiré ses propres conclusions de fait et a formulé ses propres conclusions au vu du dossier. La SAR n’a pas souscrit aux conclusions de fait de la SPR dans deux situations, mais aucune de ces divergences n’était déterminante compte tenu des nombreuses autres conclusions défavorables quant à la crédibilité. Tout au long de l’exposé de ses motifs, la SAR a renvoyé au dossier à de nombreuses reprises, notamment à l’enregistrement audio de l’audience devant la SPR. J’ai écouté divers segments de cet enregistrement audio et pris connaissance du raisonnement de la SAR, et je ne relève aucune erreur dans l’examen par la SAR des conclusions de la SPR, pas plus que dans autre aspect de sa décision. La SAR a fait preuve d’indépendance, comme l’exige la décision Huruglica. Ses motifs ne sont rien de moins qu’intelligibles, transparents et justifiables, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir.

[8]  Le simple fait que la SAR soit arrivée à la même conclusion que la SPR ne signifie pas que la SAR n’a pas effectué sa propre analyse indépendante du dossier ou que la décision était déraisonnable. Même si la SAR doit faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de la SPR quant à ses conclusions concernant la crédibilité fondées sur les témoignages de vive voix, les conclusions que la SAR a tirées en s’appuyant sur le dossier dont elle disposait sont éclairées, claires et convaincantes, et la SAR a bien expliqué les raisons pour lesquelles elle a souscrit à l’opinion de la SPR. Il s’agit de conclusions que la SAR pouvait raisonnablement tirer au regard de la preuve dont elle disposait.

[9]  Devant la Cour, le demandeur ne fait que répéter les arguments qu’il a présentés à la SAR et les explications qu’il a données à la SPR. Dans ses observations orales et écrites, il soutient que la SAR n’a fait que répéter les conclusions déraisonnables de la SPR. Ses arguments se rapportent aux conclusions des deux sections concernant ce qui suit :

  • § son retour au Pakistan en tant qu’homme homosexuel;

  • § la ville indiquée sur le formulaire de demande de visa;

  • § les risques que le demandeur a pris à l’hôpital par ses activités sexuelles prétendues;

  • § le comportement de son partenaire prétendu, et le comportement que le préposé aurait pris à l’égard d’un cadavre;

  • § l’interprétation que le demandeur donne à ces comportements;

  • § le défaut du demandeur de tenir compte de manière satisfaisante des questions d’éthique médicale liées à ce comportement ou de signaler celui‑ci;

  • § le fait que le demandeur connaissait mal le processus de demande d’un permis d’études et qu’il a attendu son permis pendant neuf mois, malgré que des options beaucoup plus rapides s’offraient à lui;

  • § le fait qu’il a longuement tardé à demander l’asile après son arrivée au Canada, malgré qu’il ait déclaré qu’il avait choisi le Canada en raison de la capacité de l’État de le protéger en tant qu’homme ouvertement homosexuel;

  • § le fait que le demandeur ne s’est joint aux divers organismes qu’il allègue avoir joint (519 et Access Alliance of the Pride) seulement qu’après ce long délai et qu’après avoir présenté sa demande d’asile;

  • § la qualité des éléments de preuve présentés l’appui de sa demande;

  • § la fiabilité de l’affidavit de l’étudiant canadien en médecine au Kirghizistan.

[10]  À l’audience, l’avocat du demandeur soutient que la SPR n’a fait qu’imposer son propre point de vue plutôt que de tenir compte des éléments de preuve et de l’expérience du demandeur, qu’elle a utilisés pour donner du poids à ses propres conclusions. Le demandeur affirme que la SAR n’a pas remis en question ces conclusions déraisonnables. L’avocat indique également que le commissaire de la SAR aurait pu corriger les conclusions de la SPR.

[11]  J’estime que seule cette dernière observation est correcte. J’ai déjà expliqué pourquoi je suis d’avis que les conclusions de la SPR étaient raisonnables et que la SAR a examiné les conclusions de la SPR de façon indépendante, et même s’il est vrai que d’autres membres du tribunal auraient peut‑être pu tirer des conclusions différentes, ils ne l’ont pas fait en l’espèce. Les deux décideurs ont expliqué de manière inattaquable les raisons pour lesquelles ils n’acceptaient pas le témoignage du demandeur.

[12]  Enfin, le demandeur critique sévèrement les conclusions concernant le temps qu’il a pris à demander l’asile et les explications qu’il a données à cet égard. Il était loisible à la SPR, de même qu’à la SAR, de tirer ces conclusions. Comme l’a déclaré le juge Scott dans la décision Peti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 82, au paragraphe 42 :

Le défendeur soutient que « …la possession d’un visa ne réfute pas la présomption qu’un véritable réfugié revendiquerait la protection à la première [occasion] » (voir le paragraphe 27 du mémoire du défendeur). La Cour reconnaît la justesse de cet argument. Le comportement d’un demandeur peut devenir important dans l’analyse de sa crédibilité et dans la détermination de sa crainte subjective. Au paragraphe 23 de la décision Niyonkuru, le juge de Montigny écrit : « il est vrai que le demandeur avait un visa qui lui permettait de séjourner au Canada jusqu’au mois de janvier 2003. Il n’en demeure pas moins que son comportement n’est pas celui de quelqu’un qui craint vraiment pour sa vie s’il devait retourner chez lui. Non seulement les raisons qu’il invoque pour attendre la fin de son stage avant de se présenter au bureau d’Immigration Canada sont‑elles peu convaincantes, mais il ressort au surplus des transcriptions qu’il avait le temps de voyager durant les fins de semaine ». La CISR peut tenir compte de ce facteur lorsqu’elle se penche sur la crédibilité de Mme Peti.

[13]  De la même manière, les deux sections de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui se sont penchées sur la présente affaire ont raisonnablement pris en considération les autres facteurs énumérés ci‑dessus pour apprécier la crédibilité de M. Haseeb. Lors d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour d’évaluer et d’apprécier à nouveau la preuve qui a été portée à la connaissance de la SPR et de la SAR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61).

III.  Conclusion

[14]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans IMM‑223‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’avocat n’a présenté aucune question à des fins de certification et le dossier n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑223‑17

 

INTITULÉ :

ABDUL HASEEB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUILLET 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENET ET JUGEMENT :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Peter Wuebbolt

 

pour le demandeur

 

Michael Butterfield

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Wuebbolt

Avocat

Etobicoke (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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