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Date : 20170724


Dossier : IMM-5128-16

Référence : 2017 CF 705

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ESTHER OBIAGELI NWAEME

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) en vue du contrôle judiciaire de la décision (la décision) par laquelle un agent d’immigration principal (l’agent) du Bureau de réduction de l’arriéré de Toronto a rejeté, le 18 novembre 2016, la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse après son entrée au Canada.

II.  LE CONTEXTE

[2]  La demanderesse est une citoyenne nigériane qui réside au Canada depuis le 30 mars 2010. Elle est arrivée en possession d’un visa de visiteur valide pendant six mois, qui a été renouvelé à deux reprises, et elle a travaillé comme aide familiale résidante.

[3]  La demanderesse affirme que sa relation avec la famille pour laquelle elle travaillait au Canada s’est détériorée avec le temps. Elle allègue que des membres de cette famille ont retenu son salaire, l’ont agressée verbalement et physiquement, et l’ont isolée de la collectivité et de sa famille nigériane. Le 31 janvier 2015, la famille a pris des arrangements pour que la demanderesse retourne au Nigéria, mais a ensuite réalisé qu’elle ne pouvait voyager parce qu’elle avait confié son passeport à une amie. Par suite de cet incident, la famille a refusé à la demanderesse l’accès à la résidence familiale et l’a dénoncée à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). La demanderesse habite depuis un refuge pour femmes.

[4]  Le 6 mars 2015, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la première demande). Le lendemain, elle a déposé une plainte à la police dans laquelle elle alléguait avoir été victime de traite de personnes. Selon ses allégations, elle a reçu un permis de séjour temporaire, valide pendant six mois, qui a expiré le 28 octobre 2015. Faute de preuve, l’enquête policière n’a pas entraîné d’accusations à l’encontre de la famille.

[5]  La première demande a été rejetée le 18 septembre 2015. Bien que la demanderesse ait présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire, celle-ci a fait l’objet d’un désistement sur consentement avant l’audience et l’affaire a été renvoyée pour nouvel examen.

[6]  La demanderesse a alors présenté une deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, qui comprenait deux observations respectivement datées du 25 janvier 2016 et du 28 janvier 2016. Le rejet de la deuxième demande fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]  La décision, envoyée à la demanderesse par l’agent dans une lettre datée du 18 novembre 2016, concluait que la demanderesse n’était pas admissible à une levée des critères législatifs qui aurait permis que sa demande de résidence permanente soit traitée après son entrée au Canada.

[8]  En ce qui concerne les observations sur la traite de personnes, l’agent a conclu que la preuve objective était insuffisante pour démontrer que la demanderesse avait été victime de traite de personnes. L’agent a pris note de l’affidavit provenant de Margaret Charles, à qui la demanderesse avait confié son passeport, ainsi que de l’enquête policière qui n’avait pas entraîné d’accusations à l’encontre de la famille pour laquelle la demanderesse avait travaillé au Canada.

[9]  Par la suite, l’agent a examiné les observations relatives au profil de la demanderesse, en tant que femme âgée, célibataire et sans enfant au Nigéria. Après avoir tenu compte à la fois des observations de la demanderesse ainsi que de recherches indépendantes relatives aux conditions dans le pays, l’agent a conclu que la preuve objective était insuffisante pour démontrer que la demanderesse avait subi des préjudices ou avait été victime de mauvais traitements au Nigéria. L’agent a aussi noté que la demanderesse avait vécu au Nigéria, en tant que femme célibataire et sans enfant, jusqu’à l’âge de 50 ans, et n’avait rapporté aucun mauvais traitement ou préjudice en raison de sa situation. Qui plus est, l’agent a remarqué que la demanderesse avait fréquenté une école de coiffure et travaillé dans ce domaine au Nigéria.

[10]  L’agent s’est ensuite référé au 2015 Country Report on Human Rights Practices — Nigeria publié par le Département d’État des États-Unis (le rapport du Département d’État des États-Unis), qu’il a aussi cité. Ce rapport s’intéresse à plusieurs enjeux nigérians, y compris les violations des droits de la personne et l’agitation sociale répandue. Relativement au rôle de la police, le rapport du Département d’État des États-Unis affirme que des violations des droits de la personne ont été commises par les autorités et que la majorité de ces cas n’ont pas été résolus. Le rapport explique aussi que les femmes victimes de violence ont peu de recours judiciaires, et que la violence conjugale demeure répandue et socialement acceptable, malgré des lois comme le Violence Against Persons Prohibition Act (le VAPP Act). Les femmes sont aussi victimes de discrimination sur le marché du travail et demeurent marginalisées.

[11]  Lors de son analyse de la preuve documentaire relative aux conditions dans le pays, l’agent a conclu que le Nigéria possède une force policière efficace et un appareil judiciaire engagé à l’égard de la protection des droits des femmes. À l’aide de références directes au VAPP Act, l’agent a conclu que les victimes de violence se voient offrir soin et protection.

[12]  L’agent a ensuite considéré la déficience intellectuelle de la demanderesse et le traitement réservé aux femmes ayant une déficience intellectuelle au Nigéria. Bien que Mme Venera Bruto, neuropsychologue clinique, ait conclu que la demanderesse avait probablement une déficience intellectuelle, l’agent n’a pas accordé beaucoup de poids aux éléments de preuve fournis par Mme Bruto, en raison de la validité restreinte du test utilisé pour l’évaluation auprès des individus qui ne parlent pas l’anglais et ne sont pas nord-américains, comme c’est le cas de la demanderesse. De plus, la demanderesse a déclaré qu’elle savait écrire et dessiner, qu’elle lisait la Bible, et qu’elle avait une bonne capacité de compréhension, sans aucune difficulté dans le domaine de la concentration ou de l’attention. En outre, alors que Mme Bruto avait mentionné que la demanderesse, en raison de sa déficience intellectuelle, aurait probablement besoin d’assistance sociale et de services de santé au Canada, l’agent a remarqué qu’il n’y avait aucune indication selon laquelle pareille assistance serait nécessaire au Nigéria, où la demanderesse avait résidé, sans rapporter de difficultés, avant de venir au Canada. Conséquemment, l’agent n’a accordé qu’un poids minimal au rapport de Mme Bruto, au motif que la preuve produite par la demanderesse n’indiquait pas une incapacité à fonctionner au Nigéria.

[13]  Malgré l’incertitude au sujet du possible soutien financier de la part de la famille de la demanderesse, l’agent s’est dit convaincu que la demanderesse avait un réseau de soutien au Nigéria. L’agent a aussi conclu qu’une réunification familiale se produirait au retour de la demanderesse au Nigéria.

[14]  Concernant l’intégration de la demanderesse à la suite de son retour au Nigéria, l’agent a conclu qu’elle avait une bonne capacité d’adaptation et un bon sens de la débrouillardise, puisqu’elle s’était installée au Canada en 2010 et s’était adaptée à son nouveau milieu. Bien qu’il soit admis que la famille pour laquelle la demanderesse avait travaillé au Canada pourrait avoir profité d’elle, l’agent a conclu qu’elle avait un assez bon sens de la débrouillardise pour refuser de retourner au Nigéria, avait développé des amitiés et obtenu de l’aide juridique au Canada, avait fréquenté l’église et suivi des formations d’apprentissage de l’autonomie fonctionnelle offertes par le refuge pour femmes, toutes des choses qui lui seraient utiles lorsqu’elle retournerait au Nigéria. Qui plus est, puisque la demanderesse avait demandé l’aide de la police au Canada, elle serait tout aussi capable de le faire une fois au Nigéria. De plus, la demanderesse avait de la famille au Nigéria, ce qui n’était pas le cas au Canada. Considérant que la demanderesse retournait à l’endroit où elle avait passé la plus grande partie de sa vie et elle connaissait la langue et la culture, l’agent a conclu qu’elle pourrait continuer son développement social au Nigéria.

[15]  Après examen des considérations d’ordre humanitaire, de la situation personnelle de la demanderesse, des motifs présentés, et de la preuve, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’une levée des critères fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était justifiée, et a rejeté la demande.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]  La demanderesse soutient que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. L’appréciation qu’a faite l’agent des conditions au Nigéria était-elle déraisonnable?

  2. L’appréciation de la preuve faite par l’agent était-elle erronée?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[17]  La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), a établi qu’une analyse relative à la norme de contrôle n’est pas nécessaire dans tous les cas. Au contraire, là où la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise à la cour est établie d’une manière satisfaisante par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est uniquement lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision entreprend l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse en vue de déterminer la norme de contrôle applicable : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 48.

[18]  L’évaluation faite par un agent d’une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soulève des questions mixtes de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de la décision raisonnable : Motrichko c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 516, au paragraphe 16.

[19]  Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20]  La disposition suivante de la LIPR est pertinente dans la présente instance :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations - request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire - sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 - soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada - sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 - qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible - other than under section 34, 35 or 37 - or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada - other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 - who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

VII.  LES ARGUMENTS

A.  La demanderesse

(1)  L’appréciation des conditions dans le pays

[21]  La demanderesse soutient que l’examen fait par l’agent des conditions au Nigéria était déraisonnable en raison de sa nature sélective et du fait qu’il n’a pas tenu compte de la jurisprudence établie.

[22]  La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de la demanderesse comprenait une documentation substantielle relativement au traitement réservé aux femmes âgées et célibataires au Nigéria, ainsi qu’aux difficultés auxquelles font face les gens ayant une déficience intellectuelle. Qui plus est, l’avocat de la demanderesse a présenté des observations concernant les raisons pour lesquelles le risque de difficultés pour la demanderesse, tel qu’il a été démontré par les conditions défavorables dans le pays, soutient fortement une décision favorable fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cependant, l’agent n’a fait aucune analyse des conditions dans le pays.

[23]  Tout d’abord, la demanderesse fait valoir que l’appréciation faite par l’agent des conditions dans le pays était de nature sélective et ne prenait en considération que le rapport du Département d’État des États-Unis. La documentation produite comprenait des informations telles que : jusqu’à 75 % de la population âgée du Nigéria est victime de mauvais traitements et dépend du soutien familial; 70 % des femmes nigérianes vivent sous le seuil de la pauvreté; être célibataire est considéré comme [traduction] « le crime ultime » au Nigéria; et la vie des personnes ayant une déficience intellectuelle au Nigéria est marquée par des difficultés extrêmes. Puisque la demanderesse a le profil d’une femme âgée, célibataire, illettrée et ayant une déficience intellectuelle, on peut raisonnablement conclure qu’elle vivrait les difficultés auxquelles la documentation fait référence si elle retournait au Nigéria. Cette conclusion est aussi corroborée par la preuve médicale produite par Mme Bruto et M. Carr.

[24]  Malgré les documents produits, l’agent n’a fait aucune analyse de la documentation relative aux conditions dans le pays et n’a pas expliqué en quoi les conditions de vie au Nigéria n’entraîneraient pas de difficultés pour la demanderesse. En lieu de quoi, l’agent a simplement reproduit partiellement le contenu du rapport du Département d’État des États-Unis pour conclure qu’il y avait, au Nigéria, une force policière et un système judiciaire efficaces qui engageraient des poursuites en justice dans les cas de violence faite aux femmes ? La demanderesse soutient que l’agent ne tient pas compte des informations produites, relatives aux conditions dans le pays, qui décrivent les risques auxquels font face les personnes ayant une déficience intellectuelle ainsi que les femmes célibataires, notamment les mauvais traitements envers les aînés, la discrimination, la pauvreté et la marginalisation.

[25]  Bien que l’agent n’ait pas à se référer à tous les documents dans ses motifs, il devait faire référence aux documents qui contredisaient directement ses conclusions : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17. En ne citant que le rapport du Département d’État des États-Unis et en ne tenant pas compte des autres documents qui traitaient directement des risques que rencontrent les femmes âgées, célibataires, et ayant une déficience intellectuelle, l’agent a fait un examen sélectif des conditions dans le pays. De plus, l’agent n’a pas expliqué pourquoi il a privilégié le rapport du Département d’État des États-Unis aux autres documents disponibles concernant les conditions dans le pays.

[26]  Qui plus est, la demanderesse conteste la décision de l’agent de reproduire le rapport du Département d’État des États-Unis plutôt que de mener une analyse de fond de ses observations. La section reproduite correspondait à 4,5 pages de la décision, qui contenait en tout 6,5 pages. La demanderesse soutient que cette réalité démontre une précipitation et un manque de diligence qui nécessitent une intervention judiciaire.

[27]  Deuxièmement, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des conditions dans le pays lorsqu’il a énoncé que, puisque la demanderesse n’avait pas, auparavant, vécu de difficultés au Nigéria, les possibles difficultés entraînées par les conditions dans le pays n’étaient pas pertinentes dans son cas. Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), la Cour suprême du Canada a statué qu’un agent qui impose une telle exigence aux auteurs de demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire commet une erreur. La demanderesse soutient que l’agent aurait dû évaluer les conditions auxquelles elle aurait à faire face à son retour plutôt que de simplement conclure que la demanderesse n’avait pas, alors qu’elle résidait au Nigéria, personnellement vécu les difficultés que rencontrent les femmes qui partagent son profil.

[28]  La demanderesse fait aussi valoir qu’elle a bel et bien rencontré des difficultés lorsqu’elle résidait au Nigéria, y compris de l’exploitation, et que la conclusion de l’agent constitue une grave erreur d’appréciation des faits. Les demandeurs n’ont pas à prouver qu’ils ont été personnellement touchés, ou le seraient dans l’avenir; ils doivent seulement montrer qu’ils seraient vraisemblablement touchés par une condition défavorable : Kanthasamy, précité, au paragraphe 56. Conséquemment, l’agent devait se pencher sur les conditions dans le pays, les examiner, et expliquer pourquoi aucun poids ne devrait leur être accordé. Son omission de le faire sans raison légitime compromet l’objectif du paragraphe 25(1) de la LIPR et constitue une analyse humanitaire inacceptable : Aboubacar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 714, au paragraphe 12.

[29]  En résumé, l’analyse des conditions dans le pays était déraisonnable. L’agent n’aurait pas dû écarter des centaines de pages de documentation, qui démontraient le risque de difficultés pour la demanderesse, et reproduire une section du rapport du Département d’État des États-Unis, pour ensuite affirmer que la demanderesse ne vivrait pas de difficultés dans l’avenir, puisqu’elle n’en avait pas vécu par le passé.

(2)  L’appréciation erronée de la preuve

[30]  La demanderesse soutient aussi que l’agent n’a pas bien qualifié de nombreux faits, ce qui constitue une erreur susceptible de contrôle : Deheza c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2016 CF 1262.

[31]  Par exemple, dans sa décision, l’agent affirme que la demanderesse possède une bonne capacité d’adaptation et un bon sens de la débrouillardise. Cependant, il existait des éléments de preuve démontrant que la demanderesse avait de la difficulté à utiliser le téléphone, était incapable de se souvenir d’une liste de quatre mots, et avait affirmé avec certitude, lors d’une évaluation psychiatrique, que l’année en cours était 1955. La demanderesse ne parvient pas non plus à résoudre des opérations arithmétiques simples et ne parvient à lire que des mots de deux lettres. Conséquemment, les conclusions de l’agent sont une appréciation gravement erronée de la preuve qui minimise et n’interprète pas correctement l’importante vulnérabilité de la demanderesse ainsi que sa déficience intellectuelle.

[32]  L’analyse, faite par l’agent, de l’application de l’évaluation réalisée par Mme Bruto en est un autre exemple; l’agent s’est concentré sur les difficultés découlant du fait de réaliser une évaluation cognitive interculturelle à l’aide d’un interprète. Dans son analyse, l’agent n’accorde aucune attention à la conclusion finale de Mme Bruto selon laquelle, nonobstant ces difficultés, la demanderesse a probablement une déficience intellectuelle et a besoin de soutien de la part de travailleurs sociaux et d’ergothérapeutes.

[33]  L’agent a aussi fait une appréciation erronée de la preuve lorsqu’il a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de preuve démontrant les difficultés qu’elle avait rencontrées parce qu’elle était une femme célibataire et sans enfant, et qu’elle pourrait compter sur le soutien de sa famille lors de sa réintégration au Nigéria. La demanderesse avait déposé un affidavit qui indiquait clairement qu’elle avait été victime d’exploitation économique au Nigéria lorsqu’elle avait travaillé pendant deux ans pour une famille sans recevoir de salaire, et qu’elle avait vécu dans la pauvreté après que la famille en question l’a abandonnée. La demanderesse a aussi affirmé qu’elle n’avait plus de contacts avec sa famille nigériane depuis qu’elle habitait au Canada et ne pourrait donc pas compter sur leur soutien.

[34]  Une autre appréciation erronée de la preuve était l’analyse faite par l’agent des situations vécues au Canada par la demanderesse. Bien que la police n’ait pas déposé d’accusations de traite de personnes à l’échelle nationale à l’encontre de la famille pour laquelle la demanderesse a travaillé au Canada, l’agent n’a pas abordé les années de salaire impayé retenu par la famille ainsi que l’isolement et les mauvais traitements vécus par la demanderesse. Plutôt que d’analyser les conséquences des mauvais traitements que la demanderesse a vécus aux mains de la famille, ainsi que sa santé mentale et sa vulnérabilité, l’agent s’est concentré sur la question de savoir si des accusations avaient été portées. Il s’agit d’une erreur puisque cette question est sans lien avec les difficultés vécues au Canada par la demanderesse et ne tient pas compte des répercussions que son renvoi aurait sur la demanderesse compte tenu de ce qu’elle a vécu ici : Kanthasamy, précité, au paragraphe 48.

B.  Le défendeur

[35]  Le défendeur affirme que l’agent a examiné toutes les considérations d’ordre humanitaire et a soupesé tous les facteurs, notamment les conditions défavorables dans le pays, les allégations de traite de personnes à l’échelle nationale, et la déficience intellectuelle de la demanderesse. Cependant, l’agent a raisonnablement déterminé qu’une exception n’était pas justifiée dans la présente affaire.

(1)  L’appréciation des conditions dans le pays

[36]  Le défendeur soutient que, bien que la demanderesse soit en désaccord avec l’appréciation des conditions dans le pays faite par l’agent, elle n’était cependant pas erronée.

[37]  La décision indique que la preuve soumise par la demanderesse relativement aux conditions dans le pays a été prise en considération, de même que le rapport du Département d’État des États-Unis. L’agent avait manifestement conscience des difficultés que rencontrent les femmes au Nigéria et s’est, en fait, fondé sur la preuve documentaire concernant les conditions dans le pays. Puisque le rapport du Département d’État des États-Unis décrivait les difficultés rencontrées par les femmes âgées et célibataires, de manière comparable à l’information contenue dans la preuve documentaire produite par la demanderesse, l’agent n’avait pas l’obligation de se référer à toute la documentation et de l’analyser dans son entier.

[38]  L’agent a conclu que la situation personnelle de la demanderesse ne correspondait pas au profil décrit dans les documents concernant les conditions dans le pays. Bien que la demanderesse ait toujours été célibataire et sans enfant lorsqu’elle habitait au Nigéria, elle avait du soutien familial et a fréquenté une école de coiffure. Selon sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, elle n’a pas vécu de difficultés au Nigéria. Conséquemment, il était raisonnable pour l’agent de conclure que la situation personnelle de la demanderesse ne correspondait pas à celle décrite dans la documentation relative aux conditions dans le pays.

[39]  De plus, il n’y avait pas de diagnostic formel concernant la santé mentale de la demanderesse. Mme Bruto n’a tiré aucune conclusion claire; elle a indiqué que la demanderesse avait une possible déficience intellectuelle. M. Carr est arrivé à une conclusion similaire, mais non définitive.

[40]  Qui plus est, la demanderesse a suivi des cours pendant cinq ans au Nigéria et elle sait lire et additionner. La demanderesse a aussi déclaré, dans le cadre d’une évaluation psychologique, qu’elle lisait la Bible et qu’elle fréquentait la bibliothèque. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable de conclure que la situation personnelle de la demanderesse ne correspondait pas à celle décrite dans la preuve documentaire relative aux conditions dans le pays.

[41]  Les antécédents de la demanderesse ne corroboraient pas les difficultés alléguées qu’elle vivrait à la suite de son retour au Nigéria et les éléments de preuve médicale ne permettaient pas d’établir que la demanderesse aurait besoin d’assistance au Nigéria. L’agent a donc conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que la demanderesse rencontrerait des difficultés en raison de son profil de femme célibataire, âgée, sans enfant et ayant une déficience intellectuelle. L’agent a aussi conclu que les difficultés alléguées sont survenues au Canada, non pas au Nigéria. Par conséquent, les conclusions de l’agent sont raisonnables.

(2)  L’appréciation erronée de la preuve

[42]  Le défendeur soutient que l’agent n’a pas fait une appréciation erronée de la preuve.

[43]  L’affidavit de la demanderesse démontre qu’elle est capable d’adaptation et de débrouillardise. Au Nigéria, elle s’occupait de ses frères et sœurs, travaillait à la ferme familiale, a fréquenté une école de coiffure, et a travaillé comme coiffeuse. Les difficultés vécues par la demanderesse se sont produites au Canada, pas au Nigéria.

[44]  La preuve médicale ne soutient pas non plus l’argument selon lequel la demanderesse est incapable d’accomplir des tâches simples. Les rapports indiquent que la différence de langue et les facteurs culturels ont empêché d’établir un diagnostic clair et définitif, mais que la demanderesse parlait à peine l’anglais. Par conséquent, il n’est pas déraisonnable d’affirmer que la demanderesse était incapable d’accomplir les tâches demandées lors de l’évaluation. L’agent a d’ailleurs reconnu les limites du diagnostic possible. Le défendeur affirme que les arguments de la demanderesse se fondent sur la prémisse selon laquelle les diagnostics étaient définitifs, et ne tiennent pas compte des difficultés dans la tenue de l’évaluation.

[45]  La conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse pourrait compter sur le soutien de sa famille au Nigéria était aussi raisonnable puisque c’était le cas par le passé, et que la preuve était insuffisante pour démontrer que ce ne serait plus le cas dans l’avenir. Il n’y avait pas non plus d’éléments de preuve démontrant que sa famille ne lui offrirait pas de soutien affectif.

[46]  Bien que l’agent ait reconnu les mauvais traitements allégués dont la demanderesse aurait été victime au Canada, ceux-ci ne suffisaient pas à démontrer qu’elle avait été victime de traite de personnes. Les mauvais traitements en question se sont également produits au Canada, pas au Nigéria. De plus, il n’y avait aucune preuve des conséquences que ces mauvais traitements auraient sur la demanderesse à la suite de son renvoi; en fait, la demanderesse a affirmé qu’elle allait mieux depuis qu’elle avait quitté la famille qui l’avait maltraitée.

C.  Les arguments additionnels de la demanderesse

(1)  L’appréciation des conditions dans le pays

[47]  La demanderesse continue d’affirmer, sur le fondement de l’appréciation des conditions dans le pays faite par l’agent, que la décision est déraisonnable.

[48]  La demanderesse continue de soutenir que l’analyse des conditions dans le pays est erronée puisqu’elle était de nature sélective. Elle s’appuie sur la jurisprudence qui indique que la preuve relative aux conditions défavorables dans le pays d’origine doit être considérée comme un facteur pertinent lors d’une analyse fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : Shrestha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1370, au paragraphe 15; Paramanayagam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1417, au paragraphe 18.

[49]  La décision ne fait référence à aucun des documents produits par la demanderesse concernant les conditions dans le pays; au contraire, l’agent mentionne simplement que les conditions dans le pays ont été prises en considération, ce qui, contrairement à l’argument du défendeur, ne suffit pas à démontrer que l’agent a effectué une analyse sérieuse. D’ailleurs, la décision ne prend pas en considération la discrimination que subissent, au Nigéria, les femmes âgées, célibataires, sans enfant et ayant une déficience intellectuelle.

[50]  La demanderesse est aussi en désaccord avec l’argument du défendeur selon lequel reproduire des sections du rapport du Département d’État des États-Unis constituait une analyse suffisante, car l’information contenue dans le rapport était identique au reste de la documentation produite. En fait, le rapport du Département d’État des États-Unis corrobore les préoccupations relatives à la discrimination envers les femmes ayant une déficience intellectuelle au Nigéria. Le rapport du Département d’État des États-Unis affirme que [traduction] : « les femmes vivent une discrimination économique importante »; « les femmes demeurent généralement marginalisées »; et « les femmes non mariées, en particulier, sont victimes de plusieurs formes de discrimination. » Ces informations contredisent les conclusions de l’agent selon lesquelles la demanderesse ne vivrait pas de difficultés au Nigéria, mais la décision n’explique pas pourquoi l’agent était en désaccord avec ces informations.

[51]  La demanderesse affirme aussi que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’elle n’avait pas présenté une preuve suffisamment objective des difficultés qu’elle avait vécues au Nigéria, en raison de son état vulnérable en tant que femme célibataire et sans enfant.

[52]  Premièrement, cette conclusion est erronée. Dans l’affidavit qui accompagnait sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse a expliqué qu’elle avait été gravement exploitée au Nigéria par des employeurs qui lui ont refusé deux ans de salaire et l’ont abandonnée.

[53]  Deuxièmement, cette analyse constitue une erreur de droit puisque, pour reconnaître les conditions dans le pays comme un facteur pertinent, elle impose à la demanderesse l’obligation de démontrer qu’elle serait, vraiment et personnellement, victime des difficultés décrites dans la documentation relative aux conditions dans le pays. Dans l’arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 51, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’un demandeur doit simplement démontrer qu’il est probable qu’il subisse les répercussions des conditions défavorables dans le pays, un principe qui a été appliqué dans d’autres décisions : Maroukel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 83, au paragraphe 34.

(2)  L’appréciation erronée de la preuve

[54]  La demanderesse affirme aussi que l’agent a fait une appréciation erronée d’éléments de preuve importants.

[55]  Premièrement, comme il a été indiqué précédemment, l’agent a commis une erreur de fait lorsqu’il a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait été victime de mauvais traitements lorsqu’elle résidait au Nigéria. La demanderesse a produit un affidavit qui détaillait l’exploitation économique dont elle avait été victime, au Nigéria, pendant deux ans. De plus, l’agent n’a pas pris en considération le fait que la demanderesse avait été maltraitée pendant deux des six années où elle a vécu au Nigéria en tant que femme indépendante. La demanderesse a habité sur la ferme familiale jusqu’en 2004, puis en a été chassée par son frère. Par la suite, elle a été victime d’exploitation économique, une situation qui s’est reproduite au Canada.

[56]  Deuxièmement, la demanderesse continue d’affirmer que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’elle avait une bonne capacité d’adaptation et un bon sens de la débrouillardise, et ce, malgré les éléments de preuve qui démontraient le contraire. La preuve médicale démontrait qu’elle avait été incapable d’indiquer son adresse à M. Carr, de lire des mots de plus de deux lettres, de résoudre des opérations mathématiques simples, ou d’identifier l’année en cours. De plus, le rapport de Mme Bruto concluait que la demanderesse ne connaissait pas l’alphabet et ne parvenait pas à se souvenir d’une liste de quatre mots. Qui plus est, Mme Charles, à qui la demanderesse avait confié son passeport, affirme dans son affidavit que la demanderesse éprouvait des difficultés avec les indications pour se rendre au bureau de son avocat, pourtant situé à proximité, et avait aussi des difficultés à utiliser le téléphone.

[57]  Malgré ces éléments de preuve, l’agent s’est concentré sur les déclarations de Mme Bruto concernant les difficultés relatives au fait de mener une évaluation d’une personne d’une culture différente à l’aide d’un interprète. L’agent a ensuite commis une erreur lorsqu’il a conclu, sur le fondement de l’auto-évaluation de la demanderesse, qu’elle savait écrire l’anglais et lire la Bible, et qu’elle n’éprouvait pas de difficultés cognitives, malgré les mises en garde de Mme Bruto, selon lesquelles l’auto-évaluation que faisait la demanderesse de ses capacités cognitives était erronée puisqu’elle ne connaissait pas l’alphabet. Le défendeur fait maintenant la même erreur et en commet une autre en soutenant que la demanderesse est capable de faire des additions alors que M. Carr a mentionné que la demanderesse est incapable de résoudre des opérations arithmétiques simples.

[58]  L’agent a aussi conclu que, puisque la demanderesse est parvenue à obtenir de l’aide juridique, à s’inscrire à des formations, et à déposer une plainte auprès de la police, elle a une bonne capacité d’adaptation et un bon sens de la débrouillardise; cependant, cette conclusion ne prend pas en considération l’explication selon laquelle la demanderesse a accompli toutes ces choses grâce à une aide considérable provenant de sa communauté.

[59]  Troisièmement, l’erreur dans la conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas de déficience intellectuelle a eu pour résultat que l’agent a omis d’analyser la documentation décrivant les obstacles rencontrés au Nigéria par les personnes ayant une déficience intellectuelle. Il s’agit là d’une erreur grave parce que la documentation démontre que la situation est désastreuse pour les femmes qui ont des déficiences.

[60]  Quatrièmement, la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse pourrait compter sur sa famille au Nigéria ne tient pas compte du fait que la demanderesse n’a eu aucun contact avec ses frères et sœurs depuis son arrivée au Canada, et ignorait même qu’un membre de sa fratrie était mort.

[61]  En résumé, la demanderesse soutient que l’agent a fait une appréciation des faits erronée et contredite par la preuve. Par conséquent, la décision est déraisonnable.

D.  Les arguments additionnels du défendeur

(1)  L’appréciation des conditions dans le pays

[62]  Le défendeur soutient que le processus de renvoi comporte inévitablement son lot de difficultés, mais que cette seule réalité ne saurait justifier une levée des critères fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : Kanthasamy, précité, au paragraphe 23. Dans les circonstances particulières de la présente affaire, l’agent a conclu qu’une levée des critères n’était pas justifiée.

(2)  L’appréciation erronée de la preuve

[63]  Le défendeur soutient qu’il incombait à la demanderesse de produire une preuve suffisante pour démontrer que les considérations d’ordre humanitaire justifiaient une levée des critères. Dans la présente affaire, la demanderesse ne l’a pas fait et l’agent n’était pas convaincu qu’une levée des critères était justifiée. Les arguments de la demanderesse ne sont en fait qu’un désaccord avec la façon dont la preuve a été soupesée et examinée, ce qui n’équivaut pas à une erreur requérant une intervention judiciaire.

VIII.  ANALYSE

A.  Introduction

[64]  La section  analyse de la décision contient de longs extraits provenant du rapport du Département d’État des États-Unis de 2016 pour le Nigéria – qui, en grande partie, ne traite pas du profil et des risques particuliers de la demanderesse – suivis d’une série de conclusions fermes qui font une mauvaise interprétation du rapport du Département d’État des États-Unis et des autres éléments de preuve produits par la demanderesse dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[65]  La demanderesse est une femme plutôt âgée (57 ans) originaire du Nigéria qui a été gravement maltraitée par des employeurs au Canada et qui a plusieurs déficiences, ce qui la rend extrêmement vulnérable dans un pays tel que le Nigéria, où les normes et pratiques culturelles rendent très difficile la vie des femmes âgées, célibataires et sans enfant, en particulier celles qui ont des problèmes de santé mentale ou des déficiences intellectuelles. À mon avis, l’agent a omis de faire une analyse sérieuse de ces vulnérabilités.

B.  Le VAPP Act

[66]  Après avoir cité des sections du rapport du Département d’État des États-Unis, l’agent fait l’analyse suivante de la violence faite aux femmes au Nigéria :

[traduction]

Les ressources documentaires consultées indiquent que le Nigéria dispose d’une force policière efficace et d’un système judiciaire engagé à l’égard de la protection des droits des femmes. Cela ressort de l’adoption récente, par le gouvernement, du Violence Against Persons Prohibition (VAPP) Act, qui aborde la violence sexuelle, la violence physique, la violence psychologique, les pratiques traditionnelles néfastes et la violence socio-économique. Selon le VAPP Act, la violence conjugale, l’expulsion forcée de la demeure familiale, la dépendance financière forcée ou la violence économique, les pratiques préjudiciables à l’endroit des veuves, la mutilation génitale féminine (MGF), les pratiques traditionnelles néfastes, le vitriolage (notamment les attaques à l’acide), la violence politique, et la violence faite par les représentants de l’État (particulièrement les membres des forces de sécurité gouvernementales) sont considérés comme des infractions. Les documents indiquent que les victimes et les survivants d’actes de violence ont droit à de l’assistance médicale, psychologique, sociale, et juridique offerte par des fournisseurs de service accrédités et des organismes gouvernementaux, ainsi qu’à la protection de leur identité pendant les procès.

[67]  Il est bien établi en droit que l’adoption d’une loi ne se traduit pas, en soi, par une protection adéquate. L’agent suppose simplement qu’il en est ainsi. Encore plus étrange est le fait que le rapport du Département d’État des États-Unis en tant que tel – sur lequel l’agent a fondé sa décision – démontre clairement que l’adoption du VAPP Act n’a pas entraîné une protection adéquate ou significative des femmes au Nigéria. Le rapport du Département d’État des États-Unis indique clairement ceci :

a)  Il n’existe pas de loi d’ensemble visant à combattre la violence faite aux femmes. Conséquemment, les victimes et survivantes n’ont que peu ou pas de recours pour obtenir justice. Bien que certains États, surtout au sud du pays, aient adopté des lois interdisant certaines formes de violence fondée sur le sexe ou cherchant à préserver certains droits, la majorité des États ne possèdent pas de pareilles lois … Le 25 mai, le gouvernement a adopté le [VAPP Act] … cependant, jusqu’à l’adoption par les États, les dispositions du VAPP Act ne s’appliquent qu’au Territoire de la capitale fédérale.

b)  Le VAPP Act criminalise le viol, mais [traduction] « Le viol demeure répandu … les peines infligées aux personnes reconnues coupables de viol et d’agression sexuelle sont incohérentes et souvent mineures. »

c)  [traduction] « La police a souvent refusé d’intervenir dans les cas de conflits familiaux ou a reproché à la victime d’avoir provoqué la violence. »

d)  Le rapport indique clairement, et à plusieurs reprises, que bien qu’il existe des lois contre de nombreux types de comportements agressifs envers les femmes, ces lois sont inefficaces. Le rapport ne suggère à aucun endroit que les femmes bénéficient d’une protection significative ou adéquate au Nigéria.

[68]  De plus, aucune information contenue dans le rapport du Département d’État des États-Unis, cité par l’agent et, vraisemblablement, sur lequel il s’est fondé, n’est pertinente au profil particulier de la demanderesse. Elle est non seulement une femme; elle est âgée, célibataire, sans enfant, elle a des troubles cognitifs et, ce dont je traiterai sous peu, elle n’a aucun soutien familial réel au Nigéria.

[69]  L’agent a aussi omis de mentionner ou d’examiner la pléthore de preuves documentaires présentées par la demanderesse, preuves qui sont pertinentes à son profil particulier et qui contredisent les conclusions de l’agent. Par exemple, la demanderesse a déposé un grand nombre d’éléments de preuve faisant autorité concernant les traitements réservés aux femmes âgées, célibataires et sans enfant au Nigéria, ainsi que les difficultés vécues par les personnes ayant une déficience intellectuelle. Voyez, par exemple :

[traduction]

a)  Selon le National Centre for Elder Abuse, les mauvais traitements sont physiques dans 1 cas sur 7. Le WCADV (2009) faisait une estimation de 75 %... Au Nigéria, les statistiques sont inconnues, mais il y a des preuves que la violence envers les aînés prévaut… Une analyse comparée selon le sexe démontre aussi que plus de femmes que d’hommes sont victimes de mauvais traitements… Avoir peu d’éducation et être de sexe féminin étaient des facteurs augmentant les risques d’être victime de mauvais traitements (Akpan et Umobong, 2013). Vivre seule, être veuve et avoir peu d’éducation étaient des facteurs corroborés par l’étude sur le Bangladesh, mais les femmes vivant avec leur famille avaient 44 % moins de chance d’être victimes de mauvais traitements…

« Abuse of the Aged in Nigeria: Elders Also Cry »
American International Journal of Contemporary Research, vol 3, no 9, septembre 2013
Dossier de la demanderesse, à la page 459 / Dossier certifié, à la page 553

[traduction]

b)  La vie des aînés est caractérisée par l’insuffisance grandissante du soutien familial coutumier, l’exclusion sociale et l’inexistence d’un filet de sécurité sociale s’adressant à eux, ce qui les laisse très vulnérables à la pauvreté et à la maladie. 

« Country Report: Ageing in Nigeria – Current State [»] ISA RC11, Sociology of Aging, Été 2007
Dossier de la demanderesse, à la page 464 / Dossier certifié, à la page 558

[traduction]

c)  Selon [la ministre de la Condition féminine et du Développement social, Hajiya Zainab Maina], « Plusieurs facteurs socio-économiques interreliés ont mené à la mauvaise situation économique d’une large portion des femmes nigérianes, si bien que 70 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont des femmes. [»]

« 70% of Nigerian women are living below poverty line – Minister »
Daily Post Newsletter
Dossier de la demanderesse, à la page 370 / Dossier certifié, à la page 456

[traduction]

d)  Un sondage sur les attitudes dans la communauté envers la violence familiale au Nigéria indique que les femmes célibataires vivant dans les États du Sud sont les victimes les plus fréquentes. Dans certains endroits, les statistiques atteignent 70 pour cent…

« Unmarried women most at risk of physical violence in Nigeria – SURVEY »
Vanguard News
Dossier de la demanderesse, à la page 272 / Dossier certifié, à la page 358

[traduction]

e)  Okeke a indiqué que, particulièrement au sud, les femmes sont plus à risque d’être victimes de mauvais traitements lorsqu’elles n’ont plus de partenaire masculin (26 octobre 2012). Okeke a ajouté qu’au sud, les femmes dirigeant leur ménage sont « stigmatisées » et exposées à de la « violence psychologique » (26 octobre 2012). Le British Council au Nigéria rapporte que près de « la moitié des femmes célibataires dans le sud du Nigéria ont vécu de la violence physique »…

« Nigeria: Whether women who head their own households, without male or family support, can obtain housing and employment in large northern cities, such as Kano, Maiduguri, and Kaduna, and southern cities, such as Lagos, Ibadan, Port Harcourt; government support services available to female-headed households [NGA103907.E] »
Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada
Dossier de la demanderesse, à la page 281 / Dossier certifié, à la page 365

[traduction]

f)  Une fois atteint l’âge adulte, la perception est qu’une femme accède à son statut le plus important par le mariage [.] Parmi les Igbos, on s’attend à ce qu’une femme se marie. Pour cette raison, le mariage a préséance sur la descendance… En fait, une femme célibataire est souvent perçue comme une personne irresponsable…

« Perception of Womanhood in Nigeria and the Challenge of Development »
Feminist Knowledge: Identities, Culture & Religion
Dossier de la demanderesse, à la page 299 / Dossier certifié, à la page 396

[70]  L’agent ne fait référence à aucun de ces éléments de preuve.

C.  La capacité mentale

[71]  L’agent a abordé les difficultés mentales de la demanderesse – pour ensuite en faire abstraction – comme suit :

[traduction]

J’ai aussi pris en considération les observations faites par l’avocat de la demanderesse en ce qui concerne la déficience intellectuelle de la demanderesse ainsi que les traitements réservés aux femmes ayant des problèmes de santé mentale ou des déficiences. J’ai lu et examiné les rapports des spécialistes au dossier en ce qui a trait aux fonctions cognitives de la demanderesse. J’ai pris note des conclusions de Mme Bruto, mais je remarque aussi que ses conclusions sont fondées sur une évaluation élaborée pour des anglophones nord-américains. Par conséquent, elle conclut que cette évaluation est d’une validité limitée auprès des gens qui sont de cultures différentes et qui ne parlent pas couramment l’anglais. La demanderesse est originaire du Nigéria et sa langue maternelle est l’Igbo. La demanderesse elle-même, selon Mme Bruto, n’a pas confirmé ou soutenu éprouver des difficultés cognitives. Elle ne confirme pas avoir des problèmes de concentration ou d’attention, et affirme qu’elle écrit et dessine bien. Elle dit qu’elle lit la Bible en anglais et croit qu’elle en a une bonne compréhension. Mme Bruto conclut que les résultats suggèrent la présence d’une possible déficience intellectuelle et, selon elle, il y a une forte possibilité que Mme Nwaeme ait besoin d’assistance des services sociaux et des services de santé, étant donné les lacunes dans ses fonctions intellectuelles, cognitives et adaptatives. Mme Bruto ne mentionne pas si la demanderesse aurait besoin d’une telle assistance au Nigéria, son pays d’origine, où elle a vécu et travaillé, et où elle n’a rapporté aucune difficulté, avant son arrivée au Canada. J’accorde un poids négligeable aux conclusions de Mme Bruto, car la preuve produite par la demanderesse n’indique pas qu’elle était incapable de fonctionner dans la communauté où elle est née.

[72]  La conclusion de l’agent selon laquelle il faudrait accorder aux conclusions de Mme Bruto [traduction] « un poids négligeable », car [traduction] « la preuve produite par la demanderesse n’indique pas qu’elle était incapable de fonctionner dans la communauté où elle est née » n’est pas une appréciation raisonnable des déficiences de la demanderesse.  

[73]  Mme Bruto a reconnu les difficultés de procéder à une évaluation officielle dans le cas de la demanderesse, mais son opinion est claire :

[traduction]

Il est très probable que Mme Nwaeme aura besoin d’assistance de la part des services sociaux et des services de santé en raison des déficiences dans ses fonctions intellectuelles, cognitives et adaptatives. Une évaluation et un suivi en ergothérapie ainsi qu’une consultation en travail social seraient recommandés. Sans ces services, on pourrait s’attendre à ce qu’elle soit vulnérable à de l’exploitation et à risque de problèmes de santé mentale, et de répercussions sociales.

[74]  Les faits liés à la vie de la demanderesse au Canada confirment aussi que, nonobstant ce qui a pu se produire au Nigéria avant son arrivée au Canada, la situation actuelle de la demanderesse, telle que présentée par Mme Bruto, doit être examinée et prise en compte.

D.  La famille au Nigéria

[75]  L’analyse et les conclusions de l’agent relatives à ce facteur vont comme suit :

[traduction]

J’ai pris en considération le fait que la famille nigériane de la demanderesse pourrait être incapable de lui offrir un soutien financier, mais il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que sa famille refuserait de lui offrir son soutien pour s’établir à nouveau et pour se réintégrer dans la communauté et dans la société. Je suis convaincu que la demanderesse a un réseau de soutien au Nigéria, alors qu’elle n’a aucune famille au Canada et, comme il a été mentionné plus tôt, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que les membres de sa famille seraient incapables de lui offrir un soutien autre que financier au besoin. De plus, je conclus qu’une réunification familiale se produira si elle retourne au Nigéria.

[76]  Aucun des éléments de preuve dont disposait l’agent ne démontrait que la demanderesse avait [traduction] « un réseau de soutien au Nigéria. » Le réseau de soutien de la demanderesse, comme le montre la preuve, se trouve au Canada :

  • a) Le dossier comprend une lettre de Jane Sumwiza, qui travaille au Immigrant Women’s Center de Toronto et qui est la conseillère en établissement familial de la demanderesse. Dans sa lettre, elle décrit la participation de la demanderesse à des cours d’anglais ainsi qu’à des formations telles que [traduction] « Trouver un emploi » et [traduction] « Le mieux-être des femmes ». Cela démontre qu’elle a le soutien de l’IWC;

  • b) Le dossier comprend aussi une lettre du pasteur Cosmos A Ezeonwuire, qui confirme que la demanderesse est membre en bonne et due forme de sa congrégation et qu’elle fait du bénévolat à l’église, où elle aide au ménage et fait partie du comité de bien-être. Cela démontre qu’elle a le soutien de sa communauté religieuse;

  • c) De plus, Margaret Charles, l’amie à qui la demanderesse avait confié son passeport, a produit un affidavit dans lequel elle écrit : [traduction] « Je l’ai accompagnée à chacune de ses rencontres au Bureau du droit des réfugiés pendant la préparation de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Je l’ai aussi accompagnée à ses rendez-vous chez le psychiatre, à ses rendez-vous médicaux, et au poste de police pour déposer une plainte criminelle… Je continuerai de lui offrir mon soutien, et d’être son amie, tant qu’elle sera ici. S’il vous plaît, permettez à Esther de rester. »

[77]  La demanderesse a aussi déposé des éléments de preuve selon lesquels elle avait été exploitée et victime de mauvais traitements lorsqu’elle habitait au Nigéria.

E.  Une personne qui possède une bonne capacité d’adaptation et un bon sens de la débrouillardise

[78]  L’agent décrit la demanderesse comme une [traduction] « personne qui possède une bonne capacité d’adaptation et un bon sens de la débrouillardise », et ce, bien que la preuve révèle que la réalité est tout autre. Il est clair que la demanderesse a des difficultés avec les compétences de base de la vie quotidienne. M. Carr a indiqué que la demanderesse était incapable d’identifier correctement l’année en cours, et n’arrivait pas non plus à indiquer son adresse, à résoudre des opérations mathématiques simples, ou à lire des mots de plus de deux lettres.

[79]  Margaret Charles, l’amie de la demanderesse, a expliqué dans son affidavit que c’était uniquement avec le soutien de la communauté que la demanderesse était parvenue à obtenir de l’aide juridique ou à déposer une plainte auprès de la police. Mme Bruto a mentionné que la demanderesse avait des difficultés à utiliser le téléphone et Mme Charles a affirmé qu’elle éprouvait des difficultés avec les indications pour se rendre au bureau de son avocat, pourtant situé à proximité du refuge où elle habite. Comme il a été mentionné précédemment, Mme Charles a indiqué, dans son affidavit, qu’elle a dû accompagner la demanderesse à chacun de ses rendez-vous avec la police, avec l’aide juridique, avec le psychiatre, etc. Elle a également affirmé que [traduction] : « Bien que le refuge soit situé près du Bureau du droit des réfugiés, elle avait peur de s’y rendre seule. »

[80]  L’évaluation de Mme Bruto était que la demanderesse a une déficience intellectuelle, ou une intelligence dans la moyenne faible. Voici certaines des conclusions les plus révélatrices de Mme Bruto :

[traduction]

-  « De légères difficultés ont été remarquées lors d’une tâche nécessitant une attention soutenue. La performance de Mme Nwaeme lors d’une tâche requérant des aptitudes visuospatiales et structurales était grandement limitée. »

-  « Mme Nwaeme présente de sévères difficultés dans l’apprentissage d’une liste de 4 mots. Elle a été incapable de se souvenir de cette courte liste, et ce, même après 9 essais. » 

-  « De sévères déficiences ont été notées lors d’une tâche de conceptualisation verbale. »

-  « Concernant la façon dont elle réagirait à des problèmes courants, Mme Nwaeme présente, en comparaison aux normes nord-américaines, un trouble du jugement. Elle avait tendance à démontrer une compréhension limitée de ces situations… »

-  « La performance de Mme Nwaeme lors d’une brève évaluation du fonctionnement cognitif était nettement inférieure aux attentes. Les principales constatations indiquent des déficiences modérées dans le domaine de l’apprentissage du langage oral, des aptitudes visuospatiales et structurales, de la conceptualisation verbale, et du jugement au jour le jour. De légères difficultés dans le domaine de l’attention soutenue ont aussi été remarquées. »

-  « La possibilité que les troubles cognitifs remarqués lors de l’évaluation officielle et lors de l’entretien soient une indication d’un retard intellectuel ou d’une déficience intellectuelle ou encore d’une intelligence dans la moyenne faible est, selon moi, tout à fait présente et fera l’objet d’observations. »

-  « Bien que Mme Nwaeme ne rapporte aucune difficulté d’adaptation, il est important de noter que l’auto-évaluation qu’elle fait de ses capacités pourrait ne pas être exacte. Par exemple, elle affirme n’avoir aucune difficulté à lire et à comprendre la Bible. Cependant, elle est incapable d’écrire l’alphabet anglais. »

[81]  Nonobstant la mise en garde de Mme Bruto à propos des capacités d’auto-évaluation de la demanderesse et de sa capacité à lire la Bible ([traduction] « Cependant, elle est incapable d’écrire l’alphabet anglais ») l’agent semble accepter l’auto-évaluation de la demanderesse sans la vérifier : [traduction] « Elle dit qu’elle lit la Bible en anglais et croit qu’elle en a une bonne compréhension. » Ce que la demanderesse [traduction] « croit » quant à sa propre compréhension de la Bible, ainsi que d’autres aspects de sa vie, pourrait ne pas refléter la réalité, prévient Mme Bruto. Cependant, l’agent a accepté ces croyances sans les vérifier, ignorant ainsi les conseils de Mme Bruto.  

[82]  L’avocat du défendeur a habilement soutenu devant moi que la justification réelle de la décision était que la demanderesse n’avait pas vécu de difficultés au Nigéria avant de venir au Canada. Puisqu’elle avait fréquenté une école de coiffure et avait trouvé un emploi de coiffeuse, le défendeur soutient qu’aucun élément de preuve ne démontre qu’elle vivra des difficultés si elle retourne au Nigéria, où elle aura le soutien de son frère et de sa sœur pour s’établir à nouveau et se trouver un emploi. Le défendeur soutient que, bien que les femmes en général rencontrent des difficultés au Nigéria, les expériences antérieures de la demanderesse ne suggèrent pas qu’elle a vécu des difficultés par le passé, ou qu’elle en vivra à son retour.  

[83]  À mon avis, les antécédents de la demanderesse au Nigéria suggèrent qu’elle a vécu la majeure partie de sa vie avec sa famille, sur la ferme familiale. Lorsqu’elle avait 43 ans, la décision a été prise qu’elle devait quitter la ferme et s’établir de façon indépendante. Il s’agit là d’un âge assez avancé pour envoyer une femme célibataire et relativement peu éduquée dans un environnement social et économique qui, comme le démontre la preuve documentaire, est hostile aux femmes, en particulier les femmes célibataires. Avec le soutien de son frère, la demanderesse a pu obtenir une formation de coiffeuse et a travaillé pendant un an dans un salon. Cependant, elle a passé ses deux dernières années au Nigéria à travailler comme bonne d’enfants pour un couple qui a profité de sa vulnérabilité.

[84]  Elle n’a pas cherché à venir au Canada jusqu’à ce qu’une femme nommée Rebeccah lui suggère de devenir bonne d’enfants, au Canada, pour sa fille et le mari de celle-ci, qui l’ont exploitée de façon dégoûtante, bien qu’aucune accusation criminelle n’ait été portée. 

[85]  La vulnérabilité de la demanderesse a été exploitée avant qu’elle ne quitte le Nigéria, et ses antécédents au Canada suggèrent qu’elle est une personne qui a besoin d’un soutien considérable qu’elle n’a pas reçu au Nigéria. Le soutien qu’elle a reçu de sa famille a été de la chasser de la ferme et de l’éloigner de sa dépendance à sa famille. L’agent lui-même admet qu’il est peu probable qu’elle ait le soutien financier de sa famille à son retour.

[86]  Si la demanderesse retourne au Nigéria, elle fera face à toutes les difficultés, clairement indiquées dans la documentation, que rencontrent les femmes vulnérables, et il n’y a aucune preuve démontrant que la demanderesse possède le [traduction] « réseau de soutien » auquel l’agent fait référence et qui lui permettrait de surmonter ces problèmes. L’agent semble s’être largement fondé sur le soutien familial, mais les antécédents personnels de la demanderesse démontrent qu’elle a dû quitter la ferme familiale pour des raisons économiques et n’a eu d’autre choix – à un âge comparativement avancé et en n’ayant que très peu d’éducation – que d’apprendre à se débrouiller. Ces circonstances ont entraîné son exploitation par un couple nigérian avant qu’elle ne quitte le Nigéria, et sa vie ainsi que ses évaluations médicales au Canada renforcent l’image d’une femme âgée, célibataire et sans enfant, qui est extrêmement vulnérable et qui éprouvera de grandes difficultés si elle est maintenant obligée d’abandonner son réseau de soutien canadien pour affronter, au Nigéria, des conditions qui sont extrêmement défavorables aux femmes dans sa situation. La documentation présentée concernant les conditions dans le pays montre une image extrêmement sombre de la vie des femmes célibataires, âgées et sans enfant (par exemple, 70 % des victimes de violence sont des femmes, 70 % des femmes vivent sous le seuil de la pauvreté, les femmes non mariées sont plus susceptibles d’être victimes de mauvais traitements, il y a un manque de services sociaux ou d’un quelconque soutien pour les femmes célibataires, etc.). Ces conditions suggèrent que la vie au Nigéria serait extrêmement difficile pour quelqu’un ayant le profil de la demanderesse et qui, selon M. Carr, pourrait avoir des troubles du développement.

[87]  L’analyse de l’agent fait abstraction d’aspects importants de la vie de la demanderesse au Nigéria, ne tient pas compte de la preuve psychologique et des autres éléments de preuve démontrant les difficultés cognitives et la dépendance aux autres de la demanderesse, ne prend pas en considération la pléthore d’éléments de preuve selon lesquels le Nigéria est un environnement très défavorable aux gens qui partagent le profil de la demanderesse, et ne tient pas compte de l’inexistence, au Nigéria, d’un réseau de soutien adéquat qui permettrait à la demanderesse d’interagir de façon significative avec cet environnement et de s’y réadapter.

[88]  Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour en convient.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie et la décision est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5128-16

INTITULÉ :

ESTHER OBIAGELI NWAEME c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 12 JUIN 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 24 JUILLET 2017

COMPARUTIONS :

Keith MacMillan

POUR LA DEMANDERESSE

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Avocats

Hamilton (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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