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Date : 20170724


Dossier : IMM-4342-16

Référence : 2017 CF 707

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

CRAIG ANTONIO WILLIAMS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande d’autorisation de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), de la décision (la décision) par laquelle un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada à Etobicoke (l’agent) a rejeté, le 30 septembre 2016, la demande de résidence permanente présentée par le demandeur au titre de la catégorie des époux ou des conjoints de fait au Canada (la catégorie des époux).

II.  LE CONTEXTE

[2]  Le demandeur est un citoyen de Saint-Vincent-et-les Grenadines, âgé de 42 ans, qui réside au Canada depuis le 15 juillet 2008. Il a rencontré son épouse et répondante (la répondante), Maymytty Claramouth Zasvetta, le 21 juin 2009. Ils ont emménagé ensemble le 12 septembre 2009 et se sont mariés le 12 février 2011.

[3]  Le 27 novembre 2012, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux. Il a été établi que le demandeur était admissible à la résidence permanente et il lui a été demandé, dans une lettre datée du 4 novembre 2013, de fournir des informations supplémentaires; cependant, le demandeur n’a pas répondu et a ensuite été informé, dans une lettre datée du 12 mai 2014, qu’il devait partir du Canada avant le 3 novembre 2014.

[4]  Le 4 septembre 2014, le demandeur a présenté une deuxième demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux. Il a été confirmé, dans une lettre datée du 14 février 2016 provenant du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada (CIC) à Mississauga, que la demande était complète. Par la suite, il a été demandé au demandeur et à sa répondante, dans une lettre datée du 4 mars 2016 provenant de CIC‑Etobicoke, de se présenter à une entrevue le 15 mars 2016 (l’entrevue du 15 mars).

[5]  Le demandeur soutient que, lors de l’entrevue du 15 mars, un superviseur n’était pas convaincu qu’il résidait bien à l’adresse indiquée sur les pièces d’identité. Le superviseur a informé le demandeur qu’une enquête plus approfondie devait être faite et qu’une nouvelle date d’entrevue serait fixée dans un délai de deux semaines.

[6]  Le 12 mai 2016, il a été demandé au demandeur et à sa répondante, dans une lettre provenant de CIC-Etobicoke, de se présenter à une entrevue le 26 mai 2016 (l’entrevue du 26 mai). Le demandeur soutient que, lors de l’entrevue du 26 mai, l’agent ne parvenait pas à trouver son dossier. Par la suite, un autre agent a informé le demandeur et sa répondante que l’examen du dossier était toujours en cours et que le demandeur n’obtiendrait pas son droit d’établissement ce jour-là.

[7]  Le 14 septembre 2016, il a été demandé au demandeur et à sa répondante, dans une lettre provenant de CIC-Etobicoke, de se présenter à une entrevue le 29 septembre 2016 (l’entrevue du 29 septembre). Lors de l’entrevue, le demandeur et sa répondante ont été questionnés séparément au sujet de la demande.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]  Dans une décision datée du 30 septembre 2016 envoyée au demandeur, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des époux.

[9]  Dans sa lettre, l’agent a déclaré que le demandeur ne l’avait pas convaincu qu’il entretenait une relation permanente et authentique qui ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. Conséquemment, la demande a été rejetée.

[10]  Dans ses motifs, l’agent a fait mention des divergences entre les réponses du demandeur et de sa répondante lors de l’entrevue, plus particulièrement en ce qui concerne les études de la répondante. Malgré le fait que la demande comprît une lettre du North American College confirmant que la répondante du demandeur avait suivi les cours du programme de formation des travailleurs en services alimentaires à temps plein, de juillet 2014 à novembre 2014, le demandeur ignorait qu’elle avait fréquenté l’école depuis qu’ils avaient emménagé ensemble, en 2009. Lorsqu’il a été interrogé, le demandeur a affirmé qu’il avait oublié qu’elle avait fréquenté l’école, car il était plus préoccupé par les sources de stress quotidiens, tels que l’argent pour payer le loyer. Le demandeur avait aussi supposé que sa répondante étudiait dans le domaine de la médecine vétérinaire puisqu’elle travaillait dans ce domaine avant son arrivée au Canada; cependant, la répondante du demandeur a affirmé qu’elle voulait devenir chef certifiée. Le demandeur a expliqué qu’il ne connaissait pas les détails de ses ambitions de carrière. L’agent a conclu que les deux explications au sujet des divergences étaient invraisemblables. Par conséquent, l’agent a eu de sérieux doutes concernant l’authenticité de la relation entre le demandeur et sa répondante, et a rejeté la demande.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]  Le demandeur soutient que les questions suivantes sont en litige dans la présente instance :

  1. L’agent a-t-il omis de tenir compte de certains éléments de preuve en concluant que le mariage n’était pas authentique et qu’il avait été contracté à des fins d’immigration?

  2. La décision de CIC-Mississauga, datée du 14 février 2016, était-elle visée par le principe du functus officio?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[12]  La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir) a statué qu’il n’est pas toujours nécessaire de faire une analyse relative à la norme de contrôle applicable. En effet,  lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise à la cour de révision est établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. La cour de révision ne doit se livrer à une analyse complète des quatre facteurs qui permettent de déterminer la norme de contrôle applicable que lorsque cette première démarche se révèle infructueuse, ou lorsque la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 48.

[13]  La Cour a statué que la décision relative à l’authenticité d’un mariage est une question concernant à la fois les faits et le droit, à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable : voir Bercasio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 244, au paragraphe 17.

[14]  La deuxième question en litige, à savoir si un agent a compétence pour examiner une demande de résidence permanente après avoir convoqué un demandeur à une entrevue relative à l’établissement, ou s’il en est empêché par l’application du principe du functus officio, est une question de droit contrôlable selon la norme de la décision correcte : Phan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1203, au paragraphe 26; Salewski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 899, au paragraphe 16.

[15]  Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attachera à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, susmentionnée, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[16]  Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le règlement) s’appliquent en l’espèce :

Mauvaise foi

Bad faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[…]

Qualité

Member

124 Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

124 A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

(b) have temporary resident status in Canada; and

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

(c) are the subject of a sponsorship application.

[…]

Exigences : répondant

Requirements for sponsor

133 (1) L’agent n’accorde la demande de parrainage que sur preuve que, de la date du dépôt de la demande jusqu’à celle de la décision, le répondant, à la fois :

133 (1) A sponsorship application shall only be approved by an officer if, on the day on which the application was filed and from that day until the day a decision is made with respect to the application, there is evidence that the sponsor

[…]

k) n’a pas été bénéficiaire d’assistance sociale, sauf pour cause d’invalidité

(k) is not in receipt of social assistance for a reason other than disability.

VII.  LES ARGUMENTS

A.  Le demandeur

(1)  La preuve

[17]  Le demandeur soutient que l’agent a omis de tenir compte d’importants éléments de preuve démontrant l’authenticité de la relation, et s’est concentré sur une incohérence qui a été relevée lors de l’entrevue du 29 septembre. Par exemple, le demandeur a présenté des éléments de preuve démontrant que sa répondante a ajouté son nom de famille à son nom à elle et démontrant qu’ils cohabitent depuis 2009. Le demandeur a également soumis en preuve des lettres de soutien provenant d’amis, et des photos du mariage. De plus, le demandeur et sa répondante ont fourni des réponses identiques à plus de 20 questions posées lors de l’entrevue du 29 septembre. Cependant, l’agent s’est concentré sur le fait que le demandeur ne savait rien de la formation de trois mois suivie par sa répondante en 2014 (la question de la scolarité). Les notes prises lors de l’entrevue du 29 septembre démontrent qu’une variété de sujets a été abordée. Pourtant, la décision ne fait mention que de  la question de la scolarité.

[18]  Dans ses observations, le demandeur soutient que l’agent a omis de tenir compte d’éléments de preuve et n’a pas expliqué en quoi la question de la scolarité, qui remonte à mars 2014, l’emporte sur les éléments de preuve qui démontrent l’authenticité de la relation, c’est-à-dire les autres réponses aux questions de l’entrevue du 29 septembre et les pièces justificatives. Comme la Cour l’a conclu à plusieurs reprises, les décideurs doivent examiner l’ensemble de la preuve, sans passer sous silence des éléments de preuve importants concernant des points litigieux substantiels : Kalsi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 442, au paragraphe 21; Nijjar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 903, au paragraphe 31. Dans la présente affaire, l’agent a omis de tenir compte d’éléments de preuves tels que les pièces justificatives et le reste de l’entrevue du 29 septembre. Accorder trop d’importance à des incohérences mineures au détriment d’autres éléments de preuve pertinents constitue une erreur importante : Doraisamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1053, au paragraphe 60.

[19]  Qui plus est, puisque le demandeur avait obtenu, d’un agent de CIC-Mississauga, une évaluation favorable à la suite de laquelle le droit d’établissement lui avait été accordé, le demandeur affirme qu’il était du devoir de l’agent d’expliquer pourquoi les doutes au sujet de l’authenticité de la relation ont eu plus de poids que la décision de CIC-Mississauga.

[20]  Finalement, le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte de l’approbation de la première demande de résidence permanente, en 2013, un élément qui milite également en faveur de l’authenticité de la relation.

(2)  Functus officio

[21]  Le demandeur soutient que les agents ont commis une erreur en lui refusant le droit d’établissement le 15 mars 2016 et le 26 mai 2016; il a plutôt été convoqué à une entrevue qui aurait lieu le 29 septembre 2016.

[22]  Le demandeur affirme que, le 14 février 2016, il a été avisé, dans une lettre provenant d’un agent de CIC-Mississauga, que sa demande était complète et qu’il serait convoqué à une entrevue relative à l’établissement. Le 4 mars, il a été avisé, dans une lettre, que la demande avait été traitée et qu’il obtiendrait le droit d’établissement le 15 mars. La lettre indiquait que le demandeur, pour compléter le dossier, devait présenter les originaux de ses pièces d’identité, deux photos de format carte de résidence permanente, une pièce d’identité avec photo de sa répondante, et une preuve de résidence. Ces exigences avaient pour objectif de s’assurer que le couple cohabitait toujours et non pas de procéder à une nouvelle évaluation de l’authenticité de la relation. Cependant, à l’entrevue du 15 mars, des questions ont été posées au demandeur concernant ses pièces d’identité et il a été avisé que des éléments de preuve supplémentaires étaient requis. Malgré ces informations, le demandeur n’a jamais reçu de lettre de suivi, sinon pour être convoqué à une autre entrevue relative à l’établissement.

[23]  Par conséquent, le demandeur soutient que, puisque rien concernant les documents présentés à l’entrevue du 15 mars ne suscitait des doutes supplémentaires quant à la demande, l’agent a commis une erreur en refusant au demandeur le droit d’établissement et en annulant l’entrevue. La demande avait été évaluée comme étant conforme aux exigences législatives et la relation avait été jugée authentique, ce qui est démontré par le transfert subséquent du dossier à CIC‑Etobicoke pour la finalisation du dossier. Aucun élément de preuve ne justifiait d’infirmer la décision de CIC‑Mississauga, qui était visée par le principe du functus officio, puisqu’elle avait été prise par un agent de CIC‑Mississauga qui avait examiné l’ensemble du dossier.

[24]  Le demandeur soutient aussi que la même erreur a été répétée lors de l’entrevue du 26 mai, où il a été dit au demandeur que l’évaluation de son dossier n’était pas terminée bien que deux mois se soient écoulés depuis l’entrevue du 15 mars. De nouveau, le demandeur soutient que la décision de lui refuser le droit d’établissement le 26 mai 2016, malgré qu’il satisfît aux exigences législatives, était une erreur.

[25]  Finalement, le demandeur fait valoir qu’il est extrêmement préoccupant de constater que son dossier a été examiné par au moins six agents : l’agent de Mississauga; l’agent et le superviseur lors de l’entrevue du 15 mars; les deux agents lors de l’entrevue du 26 mai, et l’agent lors de l’entrevue du 29 septembre. Le demandeur soutient que, en raison du nombre d’agents d’examen, il est difficile de savoir qui a rendu la décision définitive.

B.  Le défendeur

[26]  Le défendeur soutient que la décision est raisonnable. L’agent a examiné l’ensemble de la preuve et a décidé que la demande ne pouvait pas être acceptée. Les motifs de la décision démontrent que tous les facteurs pertinents ont été pris en compte.

(1)  Le cadre législatif

[27]  Selon l’alinéa 124a) du Règlement, fait partie de la catégorie des époux l’étranger qui est l’époux d’un répondant et vit avec ce répondant. L’article 4 du Règlement stipule qu’un étranger ne sera pas considéré comme étant un époux si le mariage n’est pas authentique et s’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

[28]  La section 5.36 du Guide opérationnel IP‑8 (IP 8) stipule que les agents peuvent convoquer les demandeurs en entrevue pour évaluer l’authenticité de la relation du demandeur avec son répondant et pour examiner les documents pertinents.

(2)  La preuve

[29]  Le défendeur soutient que l’agent a examiné l’ensemble de la preuve. Il était raisonnable pour l’agent de s’attendre à ce que le demandeur et sa répondante fassent, dans l’ensemble, des témoignages concordants concernant les faits importants et les questions relatives à la façon dont chacun d’entre eux occupe ses journées et à leurs plans pour l’avenir. De plus, le demandeur n’a pas démontré que l’agent a omis de tenir compte d’éléments de preuve ou que, dans sa décision, il est parvenu à des conclusions que le dossier ne lui permettait pas de tirer.

[30]  Le défendeur est en désaccord avec la prétention que l’agent n’a pas fait une évaluation globale ou a mis l’accent sur des considérations non pertinentes. Les notes de l’entrevue du 29 septembre démontrent que l’agent avait pleinement compris toutes les réponses et tous les éléments de preuves soumis par le demandeur et sa répondante lors de l’entrevue du 29 septembre. Les motifs expliquent clairement les facteurs qui ont mené au rejet de la demande. Le fait que les motifs ne contiennent pas tous les éléments que le demandeur aurait souhaité y retrouver ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

[31]  De plus, les motifs ne constituent pas un motif indépendant de contrôle judiciaire : Dunsmuir, susmentionné, aux paragraphes 47, 51 et 57. L’agent a attribué un poids raisonnable, lors de l’appréciation du mariage, aux réponses incohérentes et aux contradictoires. L’appréciation de la preuve est une question de fait qui relève de l’expertise particulière et du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’examen. Tant que la preuve étaye la conclusion, la Cour ne devrait pas soupeser à nouveau la preuve. Dans la présente affaire, le demandeur n’a pas convaincu l’agent, à l’aide d’une preuve claire et convaincante, que, selon la prépondérance des probabilités, le mariage était authentique. Les motifs sont adéquats puisque l’agent a indiqué les facteurs qui ont mené à la conclusion selon laquelle le mariage n’était pas authentique. Le défendeur soutient que la nature des questions et la conduite de l’agent étaient appropriées.

(3)  Functus officio

[32]  Le défendeur fait valoir que la décision de convoquer le demandeur et sa répondante à une entrevue en septembre 2016 ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Le principe du functus officio s’applique uniquement aux décisions définitives; il n’y avait pas de décision définitive dans cette affaire puisque le demandeur n’avait pas obtenu le droit d’établissement. Les agents d’immigration ne sont pas functus officio tant que le visa n’a pas été délivré ou refusé. Par conséquent, l’agent qui accorde le droit d’établissement au demandeur doit être convaincu que les critères ont été respectés. Voir Ali et al c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 710, au paragraphe 29 (Ali); Brysenko c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] ACF no 1443, au paragraphe 6 (Brysenko).

C.  Les arguments additionnels du demandeur

(1)  Functus officio

[33]  Le demandeur soutient également, contrairement au défendeur, qui s’est fondé sur l’IP 8, que la section de ce guide qui a été mise en évidence ne s’applique pas à la présente affaire. Ainsi que démontré par la lettre du 14 février, le demandeur n’avait pas d’abord été convoqué à une autre entrevue. Le demandeur et sa répondante avaient plutôt été convoqués à une rencontre relative au droit d’établissement au cours de laquelle le demandeur devait recevoir sa carte de résidence permanente. Cependant, c’est à la suite de cette rencontre qu’une entrevue additionnelle a été prévue.

[34]  Le demandeur est aussi en désaccord avec l’argument selon lequel la décision Ali, susmentionnée, est applicable à la présente affaire. Dans la décision Ali, le demandeur a présenté une demande à titre de réfugié outre-frontières qui a été approuvée jusqu’à ce qu’un agent remarque que les personnes apparaissant sur les photographies présentées lors de l’examen médical étaient différentes des personnes apparaissant sur les photographies versées au dossier et une autre entrevue a été prévue. La Cour a statué que l’entrevue initiale n’était qu’une décision « intermédiaire » faisant partie du processus de sélection, et non pas une décision définitive, et que, par conséquent, le principe du functus officio n’était pas applicable : Ali, au paragraphe 25. Puisque la présente affaire est une demande présentée au Canada, la décision Ali n’est pas pertinente. La décision Brysenko, susmentionnée, n’est également pas utile au défendeur puisqu’il s’agit aussi d’une décision rendue à l’étranger.

[35]  Dans la présente affaire, le demandeur a été informé, le 14 février 2016, que le [traduction] « traitement de [la] demande [était] complété » et qu’il devait fournir des pièces d’identité. Même s’il ne s’agissait pas d’une décision définitive et que le principe du functus officio ne s’appliquait pas, rien ne justifiait que l’agent refuse le droit d’établissement au demandeur le 15 mars. Le défendeur n’a pas présenté d’éléments de preuve démontrant pourquoi l’agent avait eu raison de remettre en question la conclusion de Mississauga relativement à l’authenticité de la relation. Par conséquent, le demandeur soutient que la décision manque de transparence.

(2)  La preuve

[36]  Le demandeur soutient aussi que les motifs de la décision ne sont ni transparents ni intelligibles. L’agent n’a pas expliqué pourquoi plus de poids a été accordé aux incohérences concernant la question de la scolarité qu’aux réponses positives et cohérentes qui ont constitué la majeure partie de l’entrevue. Dans Momi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 50, aux paragraphes 11 et 12 (Momi), la Cour a conclu que le décideur a commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi les réponses très largement positives et les pièces justificatives ne réfutaient pas les contradictions mineures. Le demandeur soutient que, tel qu’il fut le cas dans  la décision Momi, les autres éléments de preuve présentés dans sa demande n’ont pas été pris en compte ou, s’ils l’ont été, il n’y a pas d’explication quant à la raison pour laquelle ces éléments de preuve ne suffisaient pas à réfuter les incohérences concernant la question de la scolarité de la répondante.

D.  Les arguments additionnels du défendeur

[37]  Le défendeur soutient encore que la décision Ali, susmentionnée, trouve application en l’espèce. Contrairement à ce que soutient le demandeur, la juge Mactavish n’a pas fait de distinction entre les décisions rendues au pays et les décisions rendues à l’étranger : Ali, au paragraphe 23.

[38]  Qui plus est, il est clairement indiqué, dans la lettre du 14 février, qu’une décision définitive, relativement à la demande, n’avait pas été rendue :

[traduction]

IMPORTANT : Vous et, le cas échéant, les membres de votre famille, devrez présenter les originaux de vos pièces d’identité au Centre d’immigration du Canada lors de la rencontre. Une décision définitive concernant l’octroi du statut de résident permanent sera alors rendue. Si la résidence permanente est octroyée, le nom qui apparaîtra sur la confirmation de résidence permanente sera votre nom tel qu’il apparaît sur votre passeport ou vos pièces d’identité.

[Souligné dans l’original.]

[39]  Le défendeur soutient que la lettre indique clairement que la décision définitive n’avait pas été rendue, mais le serait à la suite de la rencontre. La décision d’accueillir une demande de résidence permanente est de nature discrétionnaire et l’agent qui accorde le droit d’établissement au demandeur doit être convaincu que les critères ont été satisfaits.

VIII.  ANALYSE

[40]  Ainsi que l’indiquait clairement la décision, la demande présentée au titre de la catégorie des époux a été refusée au seul motif que le demandeur semblait ne rien savoir sur les études et les ambitions professionnelles de la répondante. Il ne semblait pas savoir que la répondante avait fréquenté l’école depuis qu’ils avaient emménagé ensemble, et ne pouvait dire dans quel domaine la répondante avait l’intention d’étudier lors de son retour aux études.

[41]  L’agent semble avoir été étonné de constater que le demandeur [traduction] « ne se souvenait pas que son épouse ait fréquenté l’école à temps plein pendant 3 mois » et qu’il n’était pas au courant [traduction] « qu’elle projetait étudier afin de devenir chef certifiée ». L’agent a conclu que les explications du demandeur quant à sa méconnaissance de ces éléments étaient invraisemblables.

[42]  Si on tient compte isolément de ce qui précède, il semble effectivement étrange qu’un époux qui cohabite avec son épouse ne sache pas qu’elle a fréquenté l’école pendant plus de 3 mois, ou qu’il ne sache pas dans quel domaine elle a l’intention d’étudier lorsqu’elle retournera aux études. Cependant, les époux inattentifs ne sont pas chose rare, et il incombait à l’agent d’examiner tous les éléments de preuve avant d’en arriver à une conclusion concernant l’authenticité du mariage. Ce n’est pas ce que l’agent a fait. La preuve dont disposait l’agent contenait une quantité considérable d’éléments qui indiquaient que la relation était authentique (et qui permettaient de tirer une conclusion différente) et dont l’agent n’a pas fait mention. La Cour doit conclure, selon moi, que ces éléments n’ont pas été pris en compte. L’agent avait l’obligation d’examiner l’ensemble de la preuve soumise en l’espèce, y compris le fait qu’un agent de Mississauga avait déjà examiné le dossier dans son entier et l’avait approuvé pour établissement.

[43]  Même dans le cas où la Cour supposerait que l’agent a examiné l’ensemble de la preuve, y compris les nombreux éléments favorables, la décision manque tout de même d’intelligibilité et de justification, car il n’est pas possible de comprendre pourquoi l’agent a estimé que l’ignorance du demandeur concernant les études de son épouse l’emportait sur tous les autres éléments favorables que l’on trouve dans la présente affaire.

[44]  Selon moi, le fait que la répondante a dit à l’agent pourquoi le demandeur ne savait pas qu’elle retournait aux études pour devenir chef certifiée est révélateur. Voici ce que la répondante a répondu à la question qui lui a été posée :

[traduction]

Q.  Avez-vous mentionné le domaine dans lequel vous souhaitez étudier?

R.  Je ne sais plus si je le lui ai dit. Pourquoi? Je cherchais un emploi; il y a eu beaucoup de changements dans les programmes que l’on peut suivre.

[45]  Le demandeur croyait que la répondante retournait étudier en médecine vétérinaire parce qu’elle était vétérinaire avant d’arriver au Canada. Cela est exact. Le demandeur a démontré qu’il connaissait des détails significatifs concernant le passé de son épouse et celle-ci a clairement indiqué qu’elle ne se rappelait pas si elle avait dit au demandeur qu’elle voulait devenir chef. Il n’y avait là aucune incohérence.

[46]  Dans la décision même, l’agent a indiqué que les contradictions dans les réponses [traduction] « ne se limitaient pas » à la question des études expressément mentionnée dans la décision. En fait, je ne relève aucune autre contradiction importante. L’agent ne tient pas compte de l’explication donnée quant à la raison pour laquelle le demandeur ne savait pas que son épouse voulait étudier pour devenir chef certifiée, et tente de donner l’impression qu’il y avait d’autres contradictions alors que ce n’est pas le cas, pour finalement ne pas prendre en compte les importantes réponses cohérentes fournies tout au long de l’entrevue.

[47]  Les mots du juge Gleeson, dans Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1283, sont éclairants en l’espèce :

[10]  En parvenant à cette conclusion, l’agent a fait remarquer que d’autres documents ont été fournis lors de l’entrevue en appui à l’allégation selon laquelle le mariage était authentique, y compris des relevés d’impôt, des documents de nature financière, des certificats de divorce, des affidavits et des photos. Sauf l’accusé de réception concernant cette preuve documentaire, l’agent n’a pas abordé cette dernière de quelle que façon que ce soit.

[11]  Les documents fournis à l’agent démontrent que Mme Ma et M. Wilson ont un compte bancaire conjoint et que le compte semble être utilisé régulièrement. Les documents indiquent que Mme Ma et M. Wilson ont la même adresse sur 1) les documents d’impôt; 2) les documents bancaires; 3) les comptes de téléphone cellulaire; 4) les documents en matière de soins de santé; et 5) les documents liés à l’assurance-automobile. En outre, l’agent s’est vu remettre plusieurs lettres qui attestent de l’authenticité de la relation. Tous ces éléments de preuve semblent corroborer l’allégation voulant que Mme Ma et M. Wilson entretiennent une relation authentique. Cependant, aucun de ces documents n’est mentionné dans la décision de l’agent. Et il n’est pas évident non plus à l’examen du dossier de savoir si l’agent a activement pris en considération ces éléments de preuve.

[12]  Il est vrai qu’un décideur n’est pas tenu d’examiner chaque élément de preuve et que l’on suppose qu’il a pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Cependant, lorsqu’une preuve directement contradictoire n’est pas abordée par un décideur, un tribunal peut conclure plus facilement que le décideur est parvenu à une détermination sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17).

[13]  En l’espèce, je ne laisse pas entendre que les éléments de preuve sont en soi déterminants quant à la nature authentique du mariage. Cependant, à mon avis, ils sont directement pertinents à l’analyse qu’entreprenait l’agent. Le fait que l’agent ait omis d’examiner ces éléments de preuve mine la transparence, l’intelligibilité et la justification de la décision. Les motifs ne divulguent pas comment ou même si l’agent a soupesé ces éléments de preuve au regard des conclusions défavorables concernant la crédibilité sur lesquelles repose la détermination. Il s’agit à mon avis d’une erreur susceptible de révision qui justifie l’intervention de la Cour.

[48]  Cependant, je ne peux pas accepter l’argument du demandeur selon lequel la décision de CIC‑Mississauga était visée par le principe du functus officio, et que, par conséquent, CIC‑Etobicoke a commis une erreur en lui refusant le droit d’établissement le 15 mars et de nouveau le 26 mai, plutôt que de fixer une nouvelle entrevue le 29 septembre, soit six mois plus tard.

[49]  Concernant cette question, je souscris à la position du défendeur selon laquelle aucune décision définitive n’avait été rendue dans la présente affaire. Le demandeur avait d’ailleurs été informé de ce fait dans la lettre du CIC datant du 14 février 2016, dans laquelle on peut lire :

IMPORTANT : Vous et, le cas échéant, les membres de votre famille, devrez présenter les originaux de vos pièces d’identité au Centre d’immigration du Canada lors de la rencontre. Une décision définitive concernant l’octroi du statut de résident permanent sera alors rendue. Si la résidence permanente est octroyée, le nom qui apparaîtra sur la confirmation de résidence permanente sera votre nom tel qu’il apparaît sur votre passeport ou vos pièces d’identité.

[Deuxième soulignement ajouté. Soulignement dans l’original en partie supprimé.]

[50]  Selon moi, rien sur le plan juridique n’interdit l’évaluation de l’authenticité d’une relation par un bureau local de CIC, et un agent local qui pourrait avoir des doutes quant à l’authenticité de la relation ne devrait pas être empêché de les exprimer parce que de tels doutes n’ont pas été exprimés plus tôt dans le processus. Selon moi, rien n’empêche un agent de réexaminer la question de l’authenticité du mariage avant que le visa soit délivré.

[51]  D’autres décisions donnent à penser que les agents des visas peuvent, dans certaines circonstances, réexaminer des décisions. Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kurukkal, 2010 CAF 230, au paragraphe 3, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes : « Comme la juge, nous sommes d’avis que le principe du functus officio ne s’applique pas strictement dans les procédures administratives de nature non juridictionnelle et que, si les circonstances s’y prêtent, le décideur administratif a le pouvoir discrétionnaire de réexaminer sa décision ». Dans la décision Kurukkal, le juge qui siégeait en révision a conclu que le principe du functus officio ne s’appliquait pas dans le contexte des décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire parce qu’il s’agissait d’un processus informel, sans droit d’appel. Si le principe functus officio ne s’applique pas dans le contexte d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il me semble probable qu’il ne s’appliquerait pas non plus dans le contexte d’une décision relative au parrainage d’un époux.

[52]  Selon les avocats des parties, aucune question en vue de la certification n’est soulevée et la Cour est également de cet avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4342-16

INTITULÉ :

CRAIG ANTONIO WILLIAMS c LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE

Le 15 juin 2017

jugement et motifs :

LE JUGE RUSSELL

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

Le 24 juillet 2017

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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