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Date : 20170704


Dossier : T-1975-16

Référence : 2017 CF 647

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

NORMAN ALLAN BLOUNT

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Norman Allan Blount, est un membre retraité des Forces canadiennes qui a servi comme soldat d’infanterie au sein du bataillon Black Watch pendant 25 ans. Il a été en poste à la BFC Gagetown, au Nouveau-Brunswick, de 1965 à 1971 et soutient qu’en juin 1967, il a été exposé à un herbicide connu sous le nom d’agent Orange lors d’un entraînement à la base. Après avoir appris qu’il était atteint de la maladie de Parkinson, il a demandé des prestations d’invalidité au titre de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2005, c 21, au motif que la maladie de Parkinson dont il souffrait pouvait être liée au fait qu’il avait été exposé à l’agent Orange. Le 10 février 2011, un arbitre des prestations d’invalidité d’Anciens Combattants Canada a refusé la demande de prestations d’invalidité du demandeur parce que celui-ci n’avait pas établi qu’il avait été directement exposé à l’agent Orange. Le demandeur a interjeté appel de cette décision auprès du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [Tribunal]. Enfin, dans une décision datée du 12 octobre 2016, un comité de réexamen de l’admissibilité du Tribunal a refusé de réexaminer la décision par laquelle un comité d’appel du Tribunal avait confirmé le refus initial de la demande de prestations d’invalidité. Le demandeur sollicite aujourd’hui le contrôle judiciaire de la décision du comité de réexamen de l’admissibilité.

I.  Les faits à l’origine du litige

[2]  Le 26 octobre 2011, un comité de révision de l’admissibilité du Tribunal a instruit l’appel du demandeur à l’égard de la décision de l’arbitre des prestations d’invalidité. Au cours de son témoignage, le demandeur a expliqué qu’il était soldat d’infanterie en poste à la BFC Gagetown pendant la période au cours de laquelle l’agent Orange a été pulvérisé à la base. Le demandeur a dit au comité de réexamen qu’il ne se rappelait pas s’être fait demander de manipuler des produits chimiques ou de brandir des drapeaux à des sites de pulvérisation désignés, mais il se souvenait qu’une fine brume avait été pulvérisée depuis un hélicoptère à environ 50 mètres de l’endroit où il se trouvait et qu’un brouillard humide avait dérivé en sa direction. Il a également souligné qu’il était entré dans les secteurs défoliés où l’agent Orange avait été pulvérisé et qu’il ne croyait pas que des mesures de précaution spéciales avaient été prises au sujet de la pulvérisation de ce produit ou que les tests avaient été effectués avec rigueur. Le demandeur a ajouté qu’à son avis, l’accès aux secteurs où l’agent Orange avait été pulvérisé n’était nullement restreint, étant donné que les soldats tenaient régulièrement des exercices militaires dans ces secteurs. Qui plus est, le demandeur a obtenu une somme de 20 000 $ dans le cadre du programme de paiement à titre de gracieux lié à l’agent Orange relativement à un diagnostic de chloracné, problème de santé associé à l’exposition à l’agent Orange.

[3]  Le comité de révision a confirmé la décision par laquelle l’arbitre avait rejeté la demande de prestations d’invalidité du demandeur, estimant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve reliant la maladie de Parkinson dont celui-ci était atteint à son service militaire. Le comité de révision a accordé peu d’importance à la preuve médicale du demandeur, qui comprenait un rapport médical du Dr Juan Alas selon lequel [traduction] « il est très probable que la maladie de Parkinson dont le demandeur est atteint découle de l’utilisation de l’agent Orange à la BFC Gagetown », et au fait que le demandeur avait reçu un diagnostic de chloracné, un autre problème de santé associé à l’agent Orange. Selon le comité de révision, le rapport du Dr Alas ne comportait pas d’examen en profondeur des dossiers médical et militaire du demandeur et ne mentionnait ni les tremblements qui auraient été observés chez ce dernier lors de son enrôlement dans l’armée ni la preuve médicale concernant le diagnostic de chloracné.

[4]  Même si le comité de révision a reconnu que la maladie de Parkinson est considérée comme une maladie associée à l’exposition à l’agent Orange et que le demandeur était affecté à la BFC Gagetown en juin 1967, pendant la deuxième période connue au cours de laquelle l’agent Orange avait été pulvérisé à la base, il a rejeté le témoignage du demandeur selon lequel celui-ci s’était trouvé très près d’un hélicoptère à partir duquel l’agent Orange avait été pulvérisé et qu’il était entré dans un secteur défolié. Le comité de révision a cité les conclusions du Dr Dennis Furlong, qui a mené des recherches sur l’agent Orange pour le gouvernement fédéral et a fait état de ses conclusions dans un rapport en août 2007 [le rapport Furlong]. Le comité de révision a résumé les conclusions pertinentes du rapport Furlong, soulignant que celui-ci montrait clairement que la pulvérisation de l’agent Orange avait été faite avec rigueur sur des parcelles expérimentales de 200 pieds par 600 pieds, séparées par des bandes tampons, et que l’expérience avait été menée dans une zone de la base qui était difficilement accessible et dans des conditions strictement contrôlées. En se fondant sur le rapport Furlong, le comité de révision a conclu que les tests de pulvérisation avaient été effectués avec rigueur dans des zones retirées auxquelles le demandeur n’avait pas accès. Le comité de révision a également conclu qu’il n’avait été saisi d’aucun élément de preuve établissant l’existence d’un diagnostic de chloracné et que, par conséquent, la preuve ne permettait pas de conclure que le demandeur avait été exposé à l’agent Orange à la BFC Gagetown.

[5]  Le demandeur a interjeté appel de la décision du comité de révision devant un comité d’appel de l’admissibilité du Tribunal et l’appel a été instruit le 22 mai 2013. La principale question que devait trancher le comité d’appel était de savoir si la preuve établissait que la maladie de Parkinson diagnostiquée chez le demandeur était liée à son service dans les Forces canadiennes conformément à l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes. Le comité d’appel a exposé le rôle qu’il devait jouer dans le cadre de l’examen de la preuve en application de l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 [la Loi sur le TACRA], dont voici le texte :

39 Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

39 In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

[6]  Le comité d’appel a expliqué que cette disposition l’oblige à trancher toute incertitude en faveur du demandeur. Cependant, compte tenu de l’arrêt Canada (Procureur général du Canada) c Wannamaker, 2007 CAF 126, paragraphes 5-6, 156 ACWS (3d) 929 [Wannamaker], le comité d’appel a souligné que l’article 39 « ne dispense [pas] le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension » et n’oblige pas le Tribunal à « accepter des éléments de preuve présentés par le demandeur s’il conclut qu’ils ne sont pas crédibles, et ce, même s’ils ne sont pas contredits ».

[7]  Le comité d’appel a admis que le demandeur se trouvait à la BFC Gagetown lorsque l’agent Orange a été pulvérisé et qu’il souffrait d’une affection médicale considérée comme un problème associé à l’exposition à cet agent. Cependant, compte tenu de la preuve, le comité d’appel a conclu qu’il n’y avait qu’une faible possibilité que le demandeur ait été directement exposé à l’agent Orange et que, même s’il avait exposé à celui-ci ou à d’autres herbicides ou pesticides, les éléments de preuve scientifiques ne donnaient pas à penser qu’il risquait davantage de contracter une maladie de longue durée. Pour en arriver à cette conclusion, le comité d’appel a cité le rapport Furlong et formulé les observations suivantes :

[traduction] […] la pulvérisation de l’agent Orange – un herbicide – a été effectuée dans des conditions strictement contrôlées, dans une zone inutilisée et retirée de la base, et non à proximité d’un secteur résidentiel ou d’un secteur de travail quelconque. Des éclaireurs avaient été postés au périmètre des secteurs désignés de la grille à pulvériser et devaient brandir des drapeaux indiquant aux pilotes d’hélicoptère quels secteurs pulvériser.

Le comité d’appel a également cité l’évaluation historique des risques pour la santé humaine qui étaient mentionnés dans le rapport Furlong, et selon laquelle les personnes [traduction« qui ne participaient pas de près à l’application de l’herbicide employé, ou au nettoyage subséquent, ne risquaient pas de subir des effets pouvant découler à long terme des herbicides et de leur contenu ». Le comité d’appel a conclu que le rapport Furlong constituait la meilleure preuve disponible au sujet de ce qui s’était passé à la BFC Gagetown.

[8]  En fin de compte, le comité d’appel a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision du comité de révision. Un des trois membres du comité d’appel a rendu une décision dissidente, au motif que le demandeur avait obtenu un paiement à titre gracieux en raison du diagnostic de chloracné qu’il avait reçu et du rapport médical du Dr Alas selon lequel il était très probable que la maladie de Parkinson dont le demandeur était atteint découlait de l’utilisation de l’agent Orange à la BFC Gagetown; le membre dissident aurait accordé des prestations d’invalidité au demandeur.

II.  La demande de réexamen

[9]  Le 2 mars 2016, le demandeur a sollicité le réexamen de la décision du comité d’appel, soutenant qu’elle était entachée tant d’une erreur de fait que d’une erreur de droit. Le demandeur n’a présenté aucun nouvel élément de preuve, mais il a produit des observations écrites auxquelles il a joint une copie de la décision que la Cour fédérale a rendue dans l’affaire McAllister c Canada (Procureur général), 2014 CF 991, 466 FTR 70 [McAllister (2014)], des copies de neuf décisions antérieures du Tribunal et cinq déclarations de membres des Forces canadiennes qui avaient été examinées dans la décision McAllister (2014). Dans sa demande de réexamen, le demandeur a fait valoir que la décision McAllister (2014) a eu pour effet d’infirmer les conclusions du comité d’appel sur plusieurs questions liées à sa demande de prestations d’invalidité. Premièrement, dans la décision McAllister (2014), la Cour fédérale a conclu que le rapport Furlong ne pouvait être considéré comme la meilleure preuve au sujet de ce qui s’était passé à la BFC Gagetown au cours des années 1960, étant donné que des témoignages crédibles qui contredisaient certaines conclusions du rapport pouvaient être acceptés. Deuxièmement, la Cour fédérale a jugé que le texte législatif applicable n’exigeait pas que le demandeur établisse une exposition ou un contact direct pour obtenir des prestations. Troisièmement, la Cour a décidé que l’exposition à l’agent Orange pouvait être établie à l’aide d’un témoignage crédible. Enfin, elle a souligné qu’aucun élément du rapport Furlong « n’atteste que le personnel militaire se voyait interdire l’accès aux sites de pulvérisation », et que « le Dr Furlong ne pouvait parvenir à une telle conclusion, étant donné que les rapports d’enquête sous-jacents ne justifiaient pas et semblaient même contredire » (McAllister (2014), paragraphe 51). En résumé, le demandeur a soutenu que les conclusions de fait et de droit du comité d’appel étaient incompatibles avec la décision McAllister (2014) et devraient donc être réexaminées.

[10]  Le demandeur a ajouté que sa situation était identique en tous points à celle de M. McAllister, car tous les deux étaient membres du bataillon Black Watch à la BFC Gagetown et avaient été exposés à l’agent Orange pendant qu’ils suivaient un entraînement dans les secteurs pulvérisés. Selon le demandeur, le comité d’appel a commis une erreur en concluant à l’existence d’une obligation juridique de prouver l’exposition « directe » à l’agent Orange et en exprimant des doutes quant à la crédibilité de l’exposé narratif qu’il avait présenté. De l’avis du demandeur, les déclarations des témoins déposées au soutien de l’affaire de M. McAllister corroboraient son témoignage, et ces déclarations prouvaient que d’autres membres du bataillon Black Watch avaient suivi un entraînement dans les secteurs où l’agent Orange avait été pulvérisé et ont confirmé que le produit avait été pulvérisé directement sur eux pendant l’entraînement.

[11]  Le demandeur a ajouté que, dans la décision McAllister (2014), la Cour fédérale avait tiré des « conclusions de fait » que le procureur général du Canada n’a jamais contestées par voie d’appel. Plus précisément, le demandeur a souligné que la Cour avait conclu que les membres du bataillon Black Watch s’entraînaient dans des zones qui avaient été pulvérisées avec de l’agent Orange et que le Dr Furlong n’a pas mentionné dans son rapport que les soldats ne pouvaient entrer ou s’entraîner dans ces zones. Le demandeur a également relevé la conclusion suivante tirée dans la décision McAllister (2014) :

[53]  Compte tenu de ce qui précède, et comme ces études ont été effectuées 40 ans après les faits, le Tribunal ne pouvait pas raisonnablement conclure que le rapport Furlong constituait la meilleure preuve et qu’aucun des nouveaux éléments présentés par le demandeur ne satisfaisait au critère de la crédibilité […]

III.  La décision rendue à l’issue du réexamen

[12]  Dans sa décision du 12 octobre 2016, un comité de réexamen de l’admissibilité [le comité] a souligné que le traitement d’une demande de réexamen comporte deux étapes. Dans un premier temps, le comité prend connaissance de la demande pour savoir si elle soulève des motifs de réexamen, comme une erreur de fait, une erreur de droit ou l’existence de nouveaux éléments de preuve pertinents qui respectent le critère relatif à la preuve nouvelle. Si la demande franchit la première étape, le comité réexamine la décision portée en appel et rend une décision dans laquelle il explique pourquoi le réexamen est justifié et la mesure dans laquelle la décision précédente sera modifiée, infirmée ou confirmée.

[traduction] Après avoir passé en revue le dossier du demandeur et les arguments de celui-ci au soutien de sa demande de réexamen, le comité a évoqué l’article 39 de la Loi sur le TACRA et ajouté qu’il examinerait la preuve « sous l’angle le plus favorable qui soit et trancherait toute incertitude en faveur du demandeur ». Le comité a également cité l’arrêt Wannamaker et souligné que l’article 39 ne dispense pas le demandeur de la charge de prouver les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension ni n’oblige le Tribunal à accepter des éléments de preuve s’il conclut qu’ils ne sont pas crédibles, et ce, même s’ils ne sont pas contredits. Le comité a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau préliminaire, parce qu’il n’avait pas réussi à établir l’existence d’une erreur de fait ou de droit dans la décision du comité d’appel. Le comité a précisé qu’il n’était pas lié par les autres décisions du Tribunal et qu’il ne pouvait « conclure que les décisions précédentes déposées en l’espèce aux fins du réexamen avaient une valeur probante ». Le comité a ajouté que les déclarations présentées dans l’affaire McAllister (2014) avaient peu de valeur probante, parce qu’elles s’appliquaient à une personne différente et ne revêtaient qu’un intérêt général pour le demandeur. De l’avis du comité, « le demandeur aurait eu intérêt à fournir des déclarations qui s’appliquent à lui et non à une autre personne ».

[13]  Le comité a ensuite examiné la décision McAllister (2014), concluant que celle-ci n’avait [traduction] « rien changé en ce qui concerne l’obligation de prouver que l’exposition à l’agent Orange avait conduit à l’affection qui fait l’objet de la demande ». Le comité a souligné que, dans la décision McAllister (2014), la Cour fédérale avait enjoint au Tribunal [traduction] « d’appliquer un critère différent de celui qui se serait appliqué normalement ». Le comité a fait remarquer que la Cour avait conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve établissant que M. McAllister se voyait interdire l’accès aux sites de pulvérisation et qu’en l’absence de cette preuve, M. McAllister avait droit au bénéfice du doute. Plus précisément, le comité a écrit :

[traduction] […] la Cour fédérale a également accordé beaucoup d’importance aux déclarations des camarades du demandeur et, lorsqu’elle a apprécié celles-ci au regard du rapport Furlong, elle a souligné que ce document ne devrait pas servir à réfuter les allégations d’exposition lorsque celles-ci peuvent être étayées par des déclarations de témoins crédibles.

[14]  Le comité a ajouté que la Cour n’avait tiré aucune conclusion défavorable au sujet des conclusions scientifiques ou des renseignements sur lesquels reposait le rapport Furlong. Il a donc conclu que celui-ci avait encore une grande valeur et que l’emplacement des secteurs dans lesquels le produit avait été pulvérisé en 1966 et 1967 n’avait pas été contesté. De l’avis du comité, [traduction] « le rapport Furlong fournit des éléments de preuve factuels non réfutés en ce qui concerne les deux secteurs de la base ayant été la cible de la pulvérisation et, comparativement aux autres secteurs de la base, ces deux secteurs étaient généralement accessibles et utilisés à des fins de formation ». Le comité a formulé les remarques suivantes :

[traduction] La BFC Gagetown a une superficie de 271 816 acres (page 12 du rapport Furlong) dont 83 acres ont été la cible de la pulvérisation, ce qui représente 0,03 % de la superficie totale de la base de Gagetown.

[…] les essais ont été réalisés dans une zone de la base difficile d’accès, dans des conditions strictement contrôlées permettant de réduire au minimum les quantités de produits pulvérisés qui seraient entraînés par le vent. Les produits ont été appliqués par des hélicoptères volant tout juste au‑dessus de la cime des arbres, afin de limiter la pulvérisation à une bande d’une largeur de 50 pieds. Les données consignées à l’époque indiquent que ces produits ont été appliqués dans des conditions de vent nul ou très faible […]

[15]  Le comité a décrit les emplacements des essais et conclu que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve susceptible de remettre en question les conclusions factuelles énoncées dans le rapport Furlong. Le comité a ajouté qu’il était mentionné dans ce document que l’exposition à court terme à l’agent Orange pourrait être associée à des effets très néfastes pour la santé si elle a eu lieu dans les 24 heures de l’application du produit en question. En se fondant sur le rapport Furlong, le comité a souligné que les demandeurs qui invoquent devant le Tribunal des effets néfastes pour la santé causés par l’agent Orange doivent [traduction] « démontrer les raisons pour lesquelles ils se trouvaient dans un endroit précis pendant la pulvérisation ou pendant les 24 heures qui ont suivi celle-ci ». Le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve de cette nature au comité, qui a fait remarquer que le demandeur aurait pu produire des éléments de preuve comme les dossiers de l’unité, les ordres d’opération d’exercice, les registres des mouvements et les comptes rendus après action afin d’indiquer l’endroit où son unité tenait ses exercices.

IV.  Questions en litige

[16]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision du comité était-elle déraisonnable?

  3. Le comité a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de donner au demandeur l’occasion de présenter des observations de vive voix?

V.  Les arguments des parties

[17]  Le demandeur soutient que le comité a agi d’une façon contraire à la loi en omettant de fournir des motifs précis au soutien de ses conclusions et qu’il a mal interprété et appliqué la décision McAllister (2014) de la Cour fédérale. Il reproche au comité d’avoir mal apprécié la preuve en rejetant à tort les éléments de preuve médicaux qu’il avait présentés et en concluant qu’il n’avait fourni aucun élément de preuve tendant à réfuter ou à contester les conclusions factuelles figurant dans le rapport Furlong. Le demandeur affirme qu’il a présenté, au cours des audiences précédentes, des éléments de preuve qui remettaient en question les conclusions du rapport Furlong.

[18]  Le demandeur affirme que le comité a commis une erreur en concluant qu’il avait choisi de ne pas se présenter à l’audience relative au réexamen de son dossier et qu’il n’était pas raisonnable de sa part de s’en remettre uniquement à ses observations écrites. Le demandeur soutient avoir fourni à son représentant des éléments de preuve qui n’ont pas été déposés auprès du comité. Plus précisément, il fait valoir qu’il a remis à son représentant une liste partielle des endroits de la zone d’entraînement de la base où il avait suivi un entraînement ainsi qu’une lettre de la Dre Dana Hanson datée du 25 septembre 2013.

[19]  Le défendeur répond que le comité a soupesé les éléments de preuve et est arrivé à une décision raisonnable. Il ajoute que, selon le paragraphe 32(1) de la Loi sur le TACRA, le comité devait déterminer uniquement si les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui avaient été présentés. Selon le défendeur, les règles relatives à la preuve qui sont énoncées à l’article 39 de cette même loi visent à accorder au demandeur le bénéfice du doute, mais cette disposition ne le dispense pas de l’obligation de présenter des éléments de preuve établissant le lien de causalité entre son invalidité et son service militaire. À cet égard, le défendeur invoque l’alinéa 39b), qui énonce que les éléments de preuve non contredits du demandeur ne peuvent être acceptés que si le Tribunal estime qu’ils sont « vraisemblable[s] en l’occurrence ».

[20]  Le défendeur affirme que le comité a raisonnablement pris connaissance de la lettre médicale du Dr Alas et lui a accordé peu d’importance parce qu’elle ne comportait pas un examen détaillé du dossier militaire du demandeur, notamment en ce qui concerne les tremblements de celui-ci qui avaient commencé avant la pulvérisation de l’agent Orange. Le défendeur ajoute que le comité a, de façon raisonnable, accordé peu de valeur probante aux déclarations des témoins fournies dans l’affaire McAllister (2014), étant donné qu’elles n’ont pas été présentées à titre d’éléments de preuve nouveaux et n’étaient pas utiles pour le demandeur ni ne renvoyaient au dossier de celui-ci. De l’avis du défendeur, le comité n’aurait pu présumer aveuglément que ces déclarations s’appliquaient en tous points et de manière identique à la situation du demandeur. Le défendeur souligne que le demandeur n’a pu réfuter les conclusions du rapport Furlong selon lesquelles l’agent Orange avait été pulvérisé au-dessus d’une zone statistiquement éloignée de la BFC Gagetown. Selon le défendeur, il était raisonnable de la part du comité de conclure que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour s’acquitter du fardeau qui pesait sur lui.

[21]  Le défendeur affirme que le comité n’a pas commis d’erreur en concluant que la décision McAllister (2014) ne s’appliquait pas à la situation du demandeur parce qu’elle reposait sur un ensemble de faits différent. Selon le défendeur, les observations de la Cour selon lesquelles un doute avait été soulevé dans l’affaire de M. McAllister s’appliquaient uniquement à la demande de celui-ci et aux déclarations à l’appui de ladite demande, et ces observations n’établissent pas une incertitude ayant valeur de précédent de manière à couvrir tous les membres du personnel militaire de la BFC Gagetown qui ont été exposés à l’agent Orange. Le défendeur ajoute que la décision McAllister (2014) ne dispensait pas le demandeur de l’obligation de présenter de nouveaux éléments de preuve pertinents.

VI.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[22]  La norme de contrôle applicable à une décision rendue à l’issue d’un réexamen au titre du paragraphe 32(1) de la Loi sur le TACRA est celle de la décision raisonnable (McAllister (2014), paragraphe 38; Stoyek c Canada (Procureur général), 2017 CF 47, paragraphe 17, [2017] ACF n° 30; McAllister c Canada (Procureur général), 2013 CF 689, paragraphe 30, [2013] ACF n° 751 [McAllister (2013)]; Rioux c Canada (Procureur général), 2008 CF 991, paragraphe 17, 169 ACWS (3d) 338). De plus, dans l’arrêt Newman c Canada (Procureur général), 2014 CAF 218, paragraphe 13, 378 DLR (4th) 242, la Cour d’appel fédérale a souligné que « la décision en réexamen rendue par le comité d’appel n’est pas raisonnable si sa décision initiale reposait sur une erreur de droit ou de fait qu’il aurait dû corriger, mais ne l’a pas fait ». La norme de la décision raisonnable s’applique également à la question de savoir si le comité a appliqué correctement l’article 39 de la Loi sur le TACRA (Wannamaker, paragraphe 13; McAllister (2014), paragraphe 39).

[23]  Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708).

[24]  La norme de contrôle applicable à une allégation d’iniquité procédurale est la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339). La question de savoir si une décision administrative était équitable est généralement susceptible de contrôle judiciaire. Cependant, le cadre analytique n’est pas tant celui de la décision correcte ou raisonnable que celui de la décision équitable. Ainsi que l’ont expliqué Jones et deVillars (Principles of Administrative Law, 6e éd. (Toronto : Carswell, 2014), page 266) :

[traduction] L’équité d’une procédure n’est pas mesurée en fonction des normes de la « décision correcte » ou de la « décision raisonnable », mais en se demandant si la procédure respectait le niveau d’équité requis par la loi. La confusion vient du fait que, lorsque le tribunal examine la question de savoir si une procédure est équitable, il […] se prononce sur la question de savoir si l’instance s’est déroulée de façon régulière. Il ne faut pas faire montre de retenue à l’égard de la façon de faire du tribunal. L’instance s’est déroulée de façon équitable ou non.

[25]  Lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, la cour de révision n’acquiesce pas au raisonnement du décideur. En cas de désaccord avec la conclusion du décideur, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose (voir l’arrêt Dunsmuir, paragraphe 50). En outre, la Cour doit décider si le processus suivi pour arriver à la décision recherchée respectait le degré d’équité requis dans les circonstances (voir Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Lorsqu’elle applique la norme de contrôle de la décision correcte, la Cour se demande non seulement si la décision est correcte, mais également si le processus suivi par le décideur était équitable (voir Hashi c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 154, paragraphe 14, 238 ACWS (3d) 199, Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, paragraphe 35, 471 FTR 71).

B.  La décision du comité était-elle déraisonnable?

(1)  Le rôle de la Cour lors du contrôle judiciaire d’une décision rendue à l’issue d’un réexamen

[26]  Le paragraphe 32(1) de la Loi sur le TACRA permet à un comité de réexamen de réexaminer la décision d’un comité d’appel si le demandeur « allègue » l’existence d’une erreur de droit ou de fait ou si de nouveaux éléments de preuve sont présentés. Le critère minimal à respecter est relativement peu exigeant. Lorsqu’il est saisi d’une demande de réexamen fondée sur le paragraphe 32(1), le comité de réexamen vérifie d’abord s’il existe un motif de réexamen; si la réponse est affirmative, il réexamine la décision portée en appel. Dans la présente affaire, le comité a rendu une décision uniquement à la première étape, bien qu’il ait également fait des observations sur le bien-fondé de la demande de prestations d’invalidité du demandeur. Même si les observations des deux parties portent sur le fond de la demande du demandeur, il ne faut pas oublier que la décision du comité visée par la présente demande de contrôle judiciaire était une décision préliminaire et non une décision complète rendue à l’issue de la deuxième étape du réexamen. La principale question à trancher est donc de savoir si le comité a raisonnablement conclu que le comité d’appel n’avait pas commis d’erreur de fait ou de droit.

[27]  Dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision du comité, la Cour doit nécessairement réviser cette décision pour savoir si elle comporte des erreurs de fait ou de droit. Dans la décision McAllister (2013), la juge Strickland a expliqué le rôle de la Cour lors du contrôle judiciaire des décisions rendues à l’issue d’un réexamen :

[43]  Le présent contrôle judiciaire vise la décision du deuxième comité de nouvel examen du TAC de refuser de réexaminer, sur le fondement des nouveaux éléments de preuve soumis, la décision du 11 août 2009 du comité d’appel. La décision du deuxième comité de nouvel examen est la dernière d’une série de cinq décisions concernant le droit à la pension revendiqué par le demandeur. À titre de question préliminaire, il est donc nécessaire que la Cour établisse dans quelle mesure il lui est possible de prendre en compte les décisions antérieures pour évaluer la décision qui fait l’objet du contrôle.

[44]    Dans la décision Furlong, précitée, le juge Blanchard a déclaré (au paragraphe 17) que la ligne de démarcation entre la décision de refuser de réexaminer et une décision antérieure ne se tirait pas clairement puisqu’il « est de la nature même d’un réexamen de réexaminer rétrospectivement le fondement d’une décision antérieure ». Il a cité le juge Teitelbaum qui a donné à ce sujet, dans la décision Mackay, précitée, les explications suivantes :

[17]   […] En fait, dans un réexamen, le Tribunal est tenu d’examiner rétrospectivement le fondement de la décision antérieure. Dans la même ligne de pensée, dans une demande de contrôle judiciaire alléguant l’omission du TAC (R&A) de réexaminer une décision antérieure, la Cour doit également se pencher de façon rétrospective sur cette décision. Ainsi, en l’espèce, la Cour ne peut décider dans l’abstrait si, le 21 juin 1996, le TAC (R&A) a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. La Cour doit également accorder une certaine attention à la décision antérieure du TAAC en date du 19 janvier 1994, parce que celle-ci est contestée dans la procédure de réexamen du TAC (R&A).

Toutefois, je tiens à souligner qu’il n’appartient pas à la Cour, dans la présente instance, d’effectuer un contrôle judiciaire en règle de la décision du 19 janvier 1994 du TAAC. La validité de cette décision du 19 janvier 1994 ne peut à bon droit être contestée dans une procédure de contrôle judiciaire portant sur la décision du TAC (R&A) en date du 21 juin 1996, concernant le réexamen. La Cour n’a pas compétence pour annuler la décision antérieure. De par sa nature, le réexamen effectué en vertu de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est de nature rétrospective, mais on ne peut remonter indéfiniment le temps. […]

[Souligné dans l’original.]

[45]  Dans la décision Furlong, précitée, le juge Blanchard a souscrit à cette analyse et conclu que la Cour ne pouvait faire abstraction des décisions précédant la dernière décision rendue par le comité d’appel. Même si la Cour n’avait pas compétence pour annuler ces décisions antérieures parce qu’elles ne constituaient pas l’objet du contrôle judiciaire, elle était tout de même tenue de se pencher sur elles de manière rétrospective pour mieux apprécier le fondement de la décision faisant l’objet du contrôle.

[46]  On a également suivi la décision Mackay, précitée, dans Caswell c Canada (Procureur général), [2004] ACF n° 1655 [Caswell], où la Cour a tiré la conclusion suivante, au paragraphe 20 :

[20]  Par conséquent, pour que je puisse déterminer si le Tribunal a bien exercé sa compétence en vertu de l’article 111 de la Loi, je dois également examiner la décision antérieure rendue par le comité pour vérifier si des erreurs de droit ou de fait ont été commises lorsque la question de savoir si la preuve présentée par M. Caswell, à l’appui de sa demande de réexamen, constituait réellement une nouvelle preuve, a été analysée. Pour décider si le Tribunal a évalué convenablement les motifs du comité, il faut examiner ces motifs. Il me semble que la Cour, à titre d’instance révisionnelle de la décision du Tribunal, doit être dans la même position qu’était le Tribunal lorsqu’il s’est penché sur la décision du comité et elle ne peut l’être sans examiner aussi les motifs du comité. Si elle ne procédait pas ainsi, la Cour n’aurait pas une vision complète de la situation et ne serait pas en mesure de rendre une décision sur le fond.

[47]  En l’espèce, la Cour doit par conséquent examiner la décision du premier comité de nouvel examen et la décision du comité d’appel pour bien comprendre le fondement de la décision du deuxième comité de nouvel examen et établir si le TAC a commis des erreurs de droit ou de fait lorsqu’il a évalué si la preuve soumise par le demandeur au soutien de sa demande d’un deuxième nouvel examen consistait, véritablement, en de nouveaux éléments de preuve.

(2)  Le comité a-t-il conclu raisonnablement que le comité d’appel n’avait pas commis d’erreur de droit ou de fait?

[28]  Le principal argument du demandeur est le fait que la décision du comité d’appel était incompatible avec celle que la Cour fédérale a rendue dans l’affaire McAllister (2014). Plus précisément, la Cour a conclu que le rapport Furlong n’attestait pas que le personnel militaire se voyait interdire l’accès aux sites de pulvérisation et que les demandeurs n’étaient pas tenus de prouver une exposition ou un contact direct pour obtenir une pension. Elle a également souligné dans cette même décision qu’il était raisonnable de se fonder sur le témoignage de M. McAllister et de ses collègues militaires. Selon le demandeur, le comité n’a pas tenu compte en l’espèce des observations que la Cour avait formulées dans la décision McAllister (2014), puisqu’il a mentionné que la décision n’avait [traduction] « rien changé en ce qui concerne l’obligation de prouver que l’exposition à l’agent Orange a conduit à l’affection qui fait l’objet de la demande ».

[29]  À mon avis, les observations du comité à cet égard constituent une tentative déraisonnable de sa part de restreindre la portée des conclusions de la Cour fédérale dans la décision McAllister (2014). Le juge de Montigny a passé en revue le rapport Furlong et conclu que le comité avait eu tort de décider que le rapport Furlong établissait que le personnel militaire se voyait interdire l’accès aux sites de pulvérisation (McAllister (2014), paragraphes 51‑53). La Cour a souligné que « le Dr Furlong ne pouvait parvenir à une telle conclusion, étant donné que les rapports d’enquête sous-jacents ne justifiaient pas et semblaient même contredire » (décision McAllister (2014), paragraphe 51). La Cour a formulé les observations suivantes au sujet des conclusions du rapport Furlong à cet égard :

[52] […] Le résumé du même rapport indique aussi que « [d]ans le scénario relatif aux essais de 1966 et 1967, on a présumé que des exercices d’entraînement s’étaient déroulés tout près des zones de pulvérisation, pendant la période de pulvérisation ». Cela laisse entendre, comme l’a noté la juge Strickland, que les zones pulvérisées ont pu servir à l’entraînement du personnel militaire. Le Tribunal a contesté cette inférence, et il s’est dit d’avis que l’objectif de la tâche 3 était de présumer de l’existence des scénarios les plus pessimistes et d’ainsi envisager les pires scénarios en ce qui a trait à toutes les personnes et à tous les postes susceptibles d’avoir été touchés, pour évaluer les modes d’exposition. Cela est fort possible, mais le fait que le groupe des stagiaires militaires sur le terrain était considéré comme représentatif tend à montrer qu’on ne pouvait écarter avec certitude la possibilité qu’ils aient été exposés à l’agent Orange. D’ailleurs, à la fin du résumé du rapport relatif à la tâche 3A-1, (partie 1), on signale qu’il n’a pas été possible d’identifier avec certitude les personnes les plus à risque et de déterminer les circonstances de leur exposition aux produits chimiques, et que pour cette raison les hypothèses et estimations pêchent par excès de prudence (dossier du tribunal, page 337).

[30]  Étant donné que le rapport Furlong n’a pas établi que le personnel militaire se voyait interdire l’accès aux sites de pulvérisation, la Cour a conclu, dans la décision McAllister (2014), que le Tribunal ne pouvait raisonnablement arriver à la conclusion que le rapport Furlong constituait la meilleure preuve sur ce point, eu égard aux témoignages contradictoires présentés par McAllister et des militaires qui étaient en poste avec lui à la BFC Gagetown. Le juge de Montigny a conclu que l’article 39 de la Loi sur le TACRA préconisait une interprétation de la preuve en faveur de M. McAllister :

[53]  […] Comme rien dans le rapport Furlong ni dans les rapports d’enquête ne laisse entendre que l’accès à la zone pulvérisée était interdit au personnel militaire en entraînement à la BFC Gagetown en 1966-1967, et que le commandant de peloton du demandeur a déclaré qu’ils n’avaient jamais reçu l’ordre de ne pas y pénétrer, je crois que le demandeur a droit au bénéfice du doute, conformément à l’article 39 de la Loi sur le TAC. […]

[31]  Il n’y a pas lieu de rejeter les observations que la Cour a formulées dans la décision McAllister (2014) au motif qu’elles n’auraient aucune valeur de précédent, ainsi que l’a fait de manière déraisonnable le comité en l’espèce. De plus, toujours dans la décision McAllister (2014), la Cour n’a pas exigé du Tribunal qu’il [traduction] « applique un critère différent de celui qui se serait appliqué normalement », contrairement à ce que le comité déclare dans sa décision. La Cour a plutôt demandé au Tribunal d’appliquer l’article 39 en se fondant sur l’ensemble de la preuve dont il disposait.

[32]  Il est important de comprendre le contexte de la décision à l’examen. Le demandeur demandait au comité de réexaminer la question de savoir s’il avait droit à des prestations d’invalidité, parce que la décision du comité d’appel était fondée sur une erreur, eu égard à la décision McAllister (2014). Selon le paragraphe 32(1) de la Loi sur le TACRA, le rôle du comité était de décider si la décision du comité d’appel reposait sur une erreur. Dans sa décision, qui avait été rendue avant la décision McAllister (2014), le comité d’appel a formulé les observations suivantes :

[TRADUCTION]

Selon ces études, la pulvérisation de l’agent Orange – un herbicide – a été effectuée dans des conditions strictement contrôlées dans une zone inutilisée et retirée de la base, et non à proximité d’un secteur résidentiel.

[…]

Le comité est convaincu que ces études constituent la meilleure preuve disponible pour le moment sur ce qui s’est passé à la BFC Gagetown.

[33]  Lorsqu’il a formulé ces observations, le comité d’appel a fait mention du rapport Furlong. Or, ce document ne permet pas de conclure, ainsi que l’a fait le comité d’appel, que l’agent Orange a été pulvérisé dans une zone « inutilisée », comme la Cour l’a expliqué dans la décision McAllister (2014). C’est là une erreur de fait que le comité d’appel a ignorée ou dont il n’a pas tenu compte. Dans son rapport, le Dr Furlong mentionne que la zone pulvérisée était éloignée, mais non qu’elle était « inutilisée ». Le Dr Furlong a simplement souligné dans son rapport que [traduction« la base m’a informé que depuis cette époque, on n’a pas fait d’entraînement officiel dans le secteur précis utilisé par les Américains pour effectuer les essais en 1966 et en 1967 ». Cela ne signifie pas, ainsi que l’explique le demandeur, que cette zone n’a pu être utilisée à des fins d’entraînement au cours des activités de pulvérisation effectuées en juin 1967. Le rapport Furlong ne peut être considéré comme un document établissant de façon concluante que l’agent Orange a été pulvérisé dans une zone « inutilisée ». Compte tenu de cette erreur commise par le comité d’appel, il était déraisonnable de la part du comité de conclure que le demandeur n’avait établi l’existence d’aucune erreur.

[34]  De plus, la conclusion du comité d’appel selon laquelle le rapport Furlong constituait la « meilleure preuve » sur ce qui s’est passé à la base ne peut plus être considérée comme une conclusion valide, eu égard à la décision McAllister (2014). Le comité d’appel s’est fondé sur cette « meilleure preuve » pour conclure qu’il n’y a [traduction] « qu’une faible possibilité que l’ancien combattant ait été directement exposé à l’agent Orange ». Même si cette conclusion était peut-être raisonnable à la date de la décision du comité d’appel, les conclusions tirées dans la décision McAllister (2014) soulèvent des doutes à son sujet et, à mon sens, il était déraisonnable de la part du comité de ne pas la réexaminer.

[35]  En résumé, le comité a refusé déraisonnablement la demande de réexamen du demandeur sans tenir dûment compte de la preuve dont il disposait et de la décision McAllister (2014).

C.  Le comité a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de donner au demandeur l’occasion de présenter des observations de vive voix?

[36]  Le demandeur a précisé dans ses observations présentées au comité qu’il fournissait seulement des observations écrites et qu’il ne demandait pas d’audience de vive voix. Compte tenu des observations du demandeur, il n’était pas inéquitable de la part du comité de procéder sans tenir d’audience de vive voix.

VII.  Conclusion

[37]  Pour les motifs exposés plus haut, la décision du comité de refuser en l’espèce de réexaminer la décision du comité d’appel est déraisonnable. L’affaire doit être renvoyée à un comité de réexamen de l’admissibilité différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs de jugement. Le demandeur peut présenter des observations et éléments de preuve supplémentaires aux fins de la nouvelle décision.

[38]  Aucune des parties n’ayant demandé ses dépens en l’espèce, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-1975-16

LA COUR :

  1. ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et RENVOIE l’affaire pour qu’un comité de réexamen de l’admissibilité différemment constitué rende une nouvelle décision conformément aux motifs du présent jugement;

  2. AUTORISE le demandeur à présenter des observations et éléments de preuve supplémentaires aux fins de la nouvelle décision;

  3. MET HORS DE CAUSE le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) à titre de défendeur désigné et MODIFIE l’intitulé en conséquence;

  4. DÉCLARE qu’aucune ordonnance n’est rendue au sujet des dépens.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1975-16

 

INTITULÉ :

NORMAN ALLAN BLOUNT c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 mai 2017

 

jugement et motifs :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Norman Allan Blount

 

LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Jan Jensen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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