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Date : 20170721


Dossier : IMM-5223-16

Référence : 2017 CF 714

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 21 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

POLO FERNANDO CARRERA GALLARDO

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi ou la LIPR], de la décision datée du 27 octobre 2016 [la décision] par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a conclu que, même si le défendeur ne remplissait pas les conditions de résidence, sa situation et celle de sa famille justifiaient la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. La SAI a annulé la décision antérieure d’un agent des visas [l’agent] qui avait rejeté la demande de résidence permanente du défendeur et refusé de confirmer son statut de résident permanent du Canada. Pour les motifs exposés ci‑après, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]  Le défendeur, un citoyen du Salvador à qui le statut de résident permanent du Canada a été octroyé en 1992, est retourné dans son pays d’origine à la fin de ses études secondaires pour des raisons familiales et personnelles.

[3]  Le 17 juillet 2014, le défendeur, sa femme et ses deux fils ont présenté une demande de visa de résident temporaire. Ils sont entrés au Canada le 26 août 2014.

[4]  Le défendeur a ensuite signé un formulaire dans lequel il renonçait à ses droits d’interjeter appel des décisions concernant son obligation de résidence rendues en application de l’article 28 de la LIPR, mais il soutient qu’il [traduction« n’avait pas été informé de la possibilité d’invoquer l’existence de motifs d’ordre humanitaire relativement à ces appels » (mémoire des faits et du droit du défendeur, au paragraphe 10).

[5]  Le 18 août 2014, l’agent a informé le défendeur au moyen d’une lettre qu’il avait perdu son statut de résident permanent parce qu’il ne s’était pas conformé aux exigences de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR et parce que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour entraîner l’application d’une exception prévue à la Loi.

[6]  Le défendeur a contesté cette décision devant la SAI, qui a infirmé la décision de l’agent et a conclu que « l’appelant s’est tout juste acquitté du fardeau d’établir qu’il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales » (décision, au paragraphe 29). Ce faisant, la SAI a accordé beaucoup d’importance à l’intérêt supérieur des enfants et à l’unité de la famille.

II.  Analyse

[7]  À mon avis, la seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAI et l’appréciation des facteurs d’ordre humanitaire sont raisonnables (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 58 [Khosa]). J’estime qu’elles le sont.

[8]   En premier lieu, les arguments du demandeur concernant le fait que le défendeur savait que la renonciation qu’il a signée était valide en droit et concernant les intentions véritables de celui‑ci à son arrivée au Canada, qui laissent supposer que sa motivation était d’un autre ordre, ne sont pas clairement étayés par la preuve et au mieux relèvent de l’hypothèse.

[9]  En second lieu, s’agissant des fausses déclarations, la SAI a reconnu la présence de certaines divergences et incohérences dans la demande du défendeur. La SAI en a tenu compte et j’estime qu’elle n’a pas déraisonnablement ignoré les éléments de preuve les démontrant de manière à réfuter la présomption selon laquelle la commissaire de la SAI a examiné l’ensemble du dossier et l’a pris en compte. Il ne s’agit assurément pas d’une affaire dans laquelle la SAI a ignoré ou évalué de façon déraisonnable des éléments de preuve essentiels, comme c’était par exemple le cas dans le jugement Canada (Citizenship and Immigration) v Tefera, 2017 FC 204, dans lequel les conclusions tirées par la SAI ainsi que les décisions finales n’étaient tout simplement pas appuyées par la preuve. Cette erreur n’a pas été commise en l’espèce.

[10]  En dernier lieu, en ce qui concerne l’analyse du degré d’établissement du défendeur et de l’intérêt supérieur des enfants, je tiens à rappeler que le degré d’établissement n’est pas le seul critère à considérer lors de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire. Si j’accueillais la demande de contrôle judiciaire en me fondant sur le fait qu’un commissaire différent aurait pu avoir une opinion différente sur le degré d’établissement du défendeur ou qu’il aurait pu considérer que l’intérêt supérieur des enfants ne justifiait pas, en l’espèce, une exemption pour motifs d’ordre humanitaire, je ne ferais que soupeser à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire, notamment en ce qui a trait aux décisions prises par la SAI, une entité administrative qui commande la déférence (Nekoie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 262, au paragraphe 40). L’intérêt supérieur des enfants et l’unité de la famille sont bien sûr des facteurs à considérer dans les affaires où sont invoqués des motifs d’ordre humanitaire, et la SAI a fait le choix de souscrire à une interprétation large et libérale de ces éléments, leur accordant plus de poids qu’à d’autres. La juge L’Heureux‑Dubé a précisé ce qui suit au paragraphe 67 de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),  [1999] 2 RCS 817 :

Les droits des enfants, et la considération de leurs intérêts, sont des valeurs d’ordre humanitaire centrales dans la société canadienne. Une indication que l’intérêt des enfants est une considération importante dans l’exercice des pouvoirs en matière humanitaire se trouve, par exemple, dans les objectifs de la Loi, dans les instruments internationaux, et dans les lignes directrices régissant les décisions d’ordre humanitaire publiées par le ministre lui‑même.

[11]  Au paragraphe 68, la juge L’Heureux‑Dubé rappelle que « le Parlement estime important également de garder ensemble des citoyens et des résidents permanents avec leurs proches parents qui sont déjà au Canada ». Dans la version actuelle de la Loi, cet objectif figure à l’alinéa 3(1)d), qui prévoit que l’un des objets de la Loi est « de veiller à la réunification des familles au Canada ».

[12]  En résumé, compte tenu du « pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles » que l’alinéa 67(1)c) de la LIPR confère à la SAI (Khosa, au paragraphe 57), je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la décision met en doute l’intégrité de la structure législative en matière d’immigration dans son ensemble. Je suis plutôt d’avis qu’il n’y a pas lieu de modifier la décision, puisque la commissaire de la SAI n’a excédé ni sa compétence, ni son pouvoir discrétionnaire, et que l’approche adoptée et l’ordonnance étaient raisonnables en l’espèce.

III.  Conclusion

[13]  Pour les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Si la décision de la SAI constitue un cas limite (comme l’a admis la commissaire au paragraphe 29 de la décision), elle appartient tout de même aux issues possibles et acceptables.


JUGEMENT dans le dossier no IMM-5223-16

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et aucune n’est soulevée par la présente affaire.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5223-16

 

INTITULÉ :

LE MINISTER DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c POLO FERNANDO CARRERA GALLARDO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 12 JuILLET 2017

 

JUGeMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

le 21 JuILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Khatidja Moloo‑Alam

 

POUR LE DEMANDEUR

Peter Lulic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Lulic

Avocat et procureur

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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